07/03/2016

Pas d'effet piscicole à long terme d'une restauration morphologique sur la Günz (Pander et Geist 2016)

Une recherche allemande sur le suivi d'une rivière fortement modifiée par l'homme (Günz, en Bavière) montre que les populations de poissons rhéophiles n'ont tiré aucun bénéfice à long terme des mesures de restauration morphologique et dynamique des habitats en berges. Ce travail rappelle le caractère largement expérimental et les résultats non garantis de l'ingénierie écologique appliquée aux milieux aquatiques. Ce qui est tout à fait normal dans le développement de la connaissance scientifique ne l'est plus quand des politiques publiques engagent des dépenses massives pour modifier des rivières sur la base de présupposés assez fragiles et sans campagne systématique de suivi des effets obtenus.

Plus de 37% des rivières allemandes ont été classée comme "masses d'eau fortement modifiées" : ce critère prévu par la DCE 2000 permet de prendre en compte la réalité de certains cours d'eau ayant des influences anthropiques anciennes et nombreuses, altérant de manière conséquente les peuplements et les écoulements. Ce critère induit notamment des exigences écologiques et chimiques moins strictes.

Joachim Pander et Juergen Geist, chercheurs à l'Université technique de Münich, ont analysé une de ces masses d'eau, la Günz. Ce cours d'eau bavarois de 55 km (bassin versant de 710 km2) est un affluent en rive droite du Danube. Il est aménagé depuis le XVIIIe siècle, avec au total 102 seuils et 5 barrages-réservoirs. L'aire étudiée a fait l'objet d'une restauration morphologique en 2006, avec un premier contrôle en 2008. Le deuxième contrôle de 2013 vise à analyser l'évolution du peuplement piscicole et des conditions physico-chimiques après 5 ans.


Illustration extraite de Pander et Geist 2016, art. cit., droit de courte citation. Localisation géographique de la rivière étudiée et types d'aménagement de berge concernés.

La restauration a ici consisté en un renforcement de berge et aménagement de micro-habitats avec quatre types de modèle (arbustes, arbrisseaux, herbacés, fascine de bois mort, cf illustration ci-dessus). Les débits lors des analyses (mars et juillet) étaient compris entre 5.0 et 8.5 m3/s. Des conditions similaires pour la pêche de contrôle ont été recherchées entre chaque campagne. Pour les poissons, les chercheurs ont analysé la richesse spécifique, la biomasse, la diversité alpha, la proportion d'espèces rhéophiles, limnophiles et indifférentes.

En 2008, 20 espèces de 7 familles de poissons ont été relevées ; en 2013, 21 espèces de 8 familles. Les cyprinidés dominaient les deux campagnes avec 14 espèces. Seules 5 espèces typiquement rhéophiles (barbeau, hotu, loche franche, chabot commun et goujon) ont été relevées dans chacune des campagnes. En 2013, le nombre d'individus était de 1674, soit une division par rapport à 2008 d'un facteur 2,3. La biomasse totale a également diminuée d'un facteur 1,5.

Les chercheurs observent : "contrairement à notre hypothèse, les données à long terme sur l'efficacité et la fonctionnalité de quatre mesures différentes de restauration de berge de la rivière très modifiée Günz étaient moins prononcées que prévu, et encore moins prononcées que la réponse à court terme. En général, aucune amélioration substantielle des communautés piscicoles dans l'aire étudiée n'était détectable, indiquant qu'aucune des mesures de restauration n'a été capable d'améliorer substantiellement la biomasse, la diversité, le nombre d'individus ou les classes distinctes de poissons sur le long terme".

Les chercheurs en déduisent que les rivières déjà fortement modifiées par l'homme ne sont pas forcément des cibles prioritaires de la restauration morphologique, laquelle demande un potentiel écologique préservé. Une restauration isolée n'aura pas d'effet si elle n'est pas accompagnée de mesures plus larges et coordonnées sur ces bassins très modifiées – mesures dont la faisabilité est donc à estimer vu leur ampleur.

Quelques commentaires
Les auteurs soulignent à juste titre que la restauration écologique doit avoir une approche "fondée sur la preuve", avec un management adaptatif (et non une application mécanique de règles génériques à toutes les situations). Les cas d'échec sont loin d'être isolés, ils forment même un topique récurent des discussions scientifiques en restauration de rivière (voir cette synthèse). L'écologie des milieux aquatiques reste une science jeune et ses applications en ingénierie à visée restaurative sont plus expérimentales que routinières.

Il n'y a pas de mal à cela, puisque toute connaissance progresse ainsi. Le problème réside plutôt dans la manière dont la restauration physique des cours d'eau est mise en oeuvre à travers les politiques nationales. En France, environ le quart des budgets des Agences de l'eau dans leur présent exercice quinquennal a été dédié à ce poste : on est donc dans une dépense publique considérable, dont on voit les effets à travers les financements nombreux des syndicats sur ce compartiment morphologique des cours d'eau. Il semble qu'on a voulu passer en France de la théorie à la mise en oeuvre massive en oubliant l'étape intermédiaire des expérimentations à petite échelle avec suivi scientifique. Les retours d'expérience en hydromorphologie de l'Onema témoignent de la sous-information des pratiques : les protocoles de suivi ne sont presque jamais scientifiques, et aucun n'étudie sur une longue période la réponse des milieux.

Arrêtons les frais et revenons plutôt à une phase expérimentale, avec beaucoup moins de chantiers de restauration aux effets incertains, mais beaucoup plus de recherche appliquée sur des projets ciblés, pour en déduire des avancées dans les connaissances et les pratiques.

Référence : Pander J, J Geist (2016), Can fish habitat restoration for rheophilic species in highly modified rivers be sustainable in the long run?, Ecological Engineering, 88, 28–38

13 commentaires:

  1. Monsieur Champetier arrêtez s'il vous plait de déformer toutes les études que vous trouvez. Voici quelques éléments pour vos lecteurs :

    + Votre titre « restauration morphologique » alors que les aménagements réalisés sur la Gunz comme vous le cité plus loin ont consisté à « un renforcement de berge et aménagement de micro-habitats avec quatre types de modèle (arbustes, arbrisseaux, herbacés, fascine de bois mort ». Vous osez parler de restauration morpho !!!

    + Cours d’eau de 55km avec SEULEMENT 102 seuils et 5 réservoirs, et vous pensez qu’avec simplement des aménagements de berges, le cours d’eau allait changer….

    Franchement Maurice vous poussez le bouchon un peu trop loin ! ! !

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    1. Monsieur ou Madame Anonyme, des chercheurs font un travail scientifique pour analyser un aménagement de berges (compartiment de la morphologie), constatent l'inefficacité des résultats sur le peuplement piscicole et publient leurs travaux.

      Votre difficulté à reconnaître leurs conclusions indique assez la posture dans laquelle vous vous enfermez.

      Vous inventez l'idée que le "cours d'eau allait changer", idée présente ni dans l'article de recherche ni dans notre recension. Il est aisé de réfuter des propos que l'on invente soi-même, mais ce n'est généralement pas ainsi que l'on débat. Tout le monde conçoit qu'une politique environnementale doit faire l'objet d'une analyse précise de ses effets, sauf peut-être les apprentis sorciers qui dépensent l'argent public en refusant la contrainte de ce contrôle. En feriez-vous partie, monsieur ou madame Anonyme?

      Lien vers le papier complet sur Research gate
      https://www.researchgate.net/publication/288022540_Can_fish_habitat_restoration_for_rheophilic_species_in_highly_modified_rivers_be_sustainable_in_the_long_run

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    2. Quel est le rapport entre un aménagement de berges et un effacement d'ouvrage?
      Aucun ou très peu si les berges sont aménagées dans le cadre d'un effacement d'ouvrage, mais dans ce cas on solutionne le problème lié à la retenue, et l'aménagement des berges est un accompagnement paysagé.
      Cette étude est hors sujet.

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    3. Encore une fois vous interprétez, ce n'est pas les conclusions de l'étude que je remets en cause mais bien les vôtres...
      Il me semble que les opérations de restauration sur le territoire Français ne sont guère semblables à celle-ci (article) et les résultats non plus d'ailleurs.

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    4. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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    5. - Où avez-vous vu que nous parlons d'effacement d'ouvrage ?

      - Où avez-vous vu que le budget de restauration physique des Agences (ou les travaux des syndicats) sont limités à la question des ouvrages ?

      Sur les opérations françaises de restauration morphologique en analyse scientifique (pas l'autocongratulation Onema et fédé de pêche), voyez par exemple Morandi 2014 :

      Since the 1990s, French operational managers and scientists have been involved in the environmental restoration of rivers. The European Water Framework Directive (2000) highlights the need for feedback from restoration projects and for evidence-based evaluation of success. Based on 44 French pilot projects that included such an evaluation, the present study includes: 1) an introduction to restoration projects based on their general characteristics 2) a description of evaluation strategies and authorities in charge of their implementation, and 3) a focus on the evaluation of results and the links between these results and evaluation strategies. The results show that: 1) the quality of an evaluation strategy often remains too poor to understand well the link between a restoration project and ecological changes; 2) in many cases, the conclusions drawn are contradictory, making it difficult to determine the success or failure of a restoration project; and 3) the projects with the poorest evaluation strategies generally have the most positive conclusions about the effects of restoration. Recommendations are that evaluation strategies should be designed early in the project planning process and be based on clearly-defined objectives.

      http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24675435

      Et ne parlons pas des articles de Palmer et al depuis 10 ans, sur des centaines de projets.

      Quand des chercheurs se penchent sur la question, c'est une critique sévère de la pauvreté des protocoles. L'administration et certains profiteurs des réformes actuelles essaient d'étouffer ces données, mais c'est un combat perdu d'avance. Au demeurant, on nous rapporte des anecdotes amusantes sur la nervosité croissante de certains, même au sommet de ladite administration, ce qui laisse penser qu'ils sentent approcher la sanction de leur action passée...

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    6. Sans être spécialiste des cours d'eau, ça ressemble plus à un simple aménagement de berges ou protection qu'à une restauration morphologique.
      Un enrochement pour protection de berges est considéré comme une restauration morphologique j'imagine?
      Pas étonnant que cela n'ait aucun effet sur les populations piscicoles, connaissez vous la longueur du tronçon "restauré"? (si on peut parler de restauration...)

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    7. Zone étudiée : 2,45 km

      Les auteurs parlent de "restauration d'habitat" dans leur titre. Basiquement, on modifie la berge pour changer des propriétés physiques (substrat, vitesse, profondeur, température) et induire des conditions supposées être favorables à des espèces cibles. En général, quand on parle berge, substrat, écoulement, on parle de morphologie. Ce point lexical est néanmoins assez secondaire.

      S'il n'est "pas étonnant" que cela ait aucun effet, il devient "étonnant" que ces mesures de restauration soient néanmoins prises et qu'elles fassent l'objet d'étude scientifique. (Vous devriez certainement participer à la programmation de la restauration écologique de cours d'eau si vous avez une si bonne intuition des résultats.)

      Les syndicats de rivière disposent des travaux sur berges parmi la panoplie de la restauration physique et biologique des cours d'eau. Cela peut donc les intéresser, si tant est que l'on s'intéresse au résultat réel des actions, pas juste aux chantiers avec la croyance que ce sera forcément bon pour le milieu.

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  2. pour les anonymes : vous pensez qu'il faut foncer tête baissée ou vous êtes OK avec le principe d'analyse scientifique (avec publication) préalable des résultats de diverses mesures sur diverses rivières ? Vous pensez quoi de Morandi cité au-dessus qui s'inquiète de la piètre qualité des projets français ? En vous lisant on a l'impression que vous n'êtes pas vraiment de gens sensibles au vertus du doute et de l'examen critique...

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    1. Je ne sais pas... vous semblez critiques des études montrant le bien fait des opérations de restauration hydro-morphologique ( et non morphologie) ou de l'intérêt des effacements d'ouvrage et vous vous étonnez que certains internautes ne prennent pas pour "parole d'évangile" les articles hydrauxois?
      Le monopole du sens critique n'appartient pas à une poignée de membres d'une association...
      Alors apportez nous vos "lumières" quels étaient les conditions hydrauliques entre 2008-2013? les conditions climatiques?

      Un cours d'eau de 55 kms avec 102 seuils soit un seuil quasiment tous les 500m avec 5 barrages réservoirs, je ne pense pas qu'il y ait besoin d'être un grand scientifique pour parier qu'un simple aménagement de berges ne va pas redynamiser et modifier profondément le peuplement piscicole d'un tronçon fortement perturbé, mais je suis certain que vous me direz le contraire avec une ultime étude en guise de "preuve".

      Donc pour résumer lorsque les cours d'eau sont en bon état vous souhaitez ne rien faire et lorsqu'ils sont fortement dégradé, vous préconisez de ne rien faire non plus?

      Aimez vous réellement les cours d'eau pour ce qu'ils représentent ou simplement pour l’intérêt qu'ils procurent?

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    2. Ce papier de B. Morandi et de ses collègues va assez loin dans ses conclusions, nous y reviendrons en détaiL

      "Moreover, the association between a poor quality of the evaluation strategy and a successful outcome highlights the fact that in most projects, the evaluation is not based on scientific bases. The choice of metrics is more related to the political au- thority in charge of the evaluation than to river characteristics or restoration measures. In many cases, monitoring is used as a scientific cover to legitimate a more subjective evaluation, which then really consists in the attribution of values to measurements rather than an objective evaluation of the measurements them- selves."

      Une "couverture scientifique" pour légitimer des "évaluations subjectives" dictées par l'autorité politique... c'est un travail Irstea, CNRS, ENS qui aboutit à ces conclusions, pas Hydrauxois!

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    3. anonyme : "pour résumer lorsque les cours d'eau sont en bon état vous souhaitez ne rien faire et lorsqu'ils sont fortement dégradé, vous préconisez de ne rien faire non plus? Aimez vous réellement les cours d'eau pour ce qu'ils représentent ou simplement pour l’intérêt qu'ils procurent?"

      Savez vous lire ?

      "revenons plutôt à une phase expérimentale, avec beaucoup moins de chantiers de restauration aux effets incertains, mais beaucoup plus de recherche appliquée sur des projets ciblés, pour en déduire des avancées dans les connaissances et les pratiques."

      Voilà ce que nous souhaitons, pas 2 milliards de budget Agences "restauration physique" pour des syndicats qui agissent de manière désordonnée sans suivi sérieux et des BE privés qui s'engraissent dans des études locales sans réel intérêt pour la connaissance scientifique.

      Je vous rappelle aussi que notre association a toujours considéré la continuité écologique (par extension la morphologie) comme un outil légitime d'analyse et gestion des rivières. Si vous n'êtes pas capable de faire la différence entre des dérives bureaucratiques autoritaires pour casser un maximum de moulin et des approches concertées, fondées sur la preuve, intégrant les différents usages de l'eau et les différentes dimensions des ouvrages, sachez qu'un nombre croissant d'acteurs de la rivière la font.

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    4. Bonjour,
      Je vous remercie de nous renseigner sur les études qui sont menées hors de nos frontières car en France, il n’y a rien de tel. Nous n’en sommes même pas à la liste des indicateurs. L’angle de l’hydromorphologie a été ciblé par dogme et par facilité : il est plus simple de stigmatiser les ouvrages hydrauliques que d’interdire le Roundup. On observe que les ‟priorités” qui ont coûté des milliards d’euros sous couvert du ‟bon état 2015”, ne reposent sur aucune étude scientifique de la hiérarchisation des impacts.
      Après la LEMA 2006, l’ONEMA a gesticulé en inventant quelques concepts (le t% d’étagement et autres découvertes opportunistes) pour accréditer la thèse qu’il fallait, par simple principe administratif, ‟ne conserver que deux ou trois moulins par rivière”.
      J’imagine que vos critiques fondées n’auraient jamais été formulées si des études scientifiques, interdisciplinaires, intersectorielles, de haute technicité et indépendantes avaient été disponibles pour légitimer le programme des mesures réparatrices…de bon sens à mettre en œuvre.
      Le bon sens qui fait souvent cruellement défaut dans les travaux dits de ‟restauration” des berges quand les process du 21éme siècle ont recours en guise de ‟remèdes” à des techniques plus invalidantes pour l’environnement que le mal à traiter : coûts exorbitants, émissions de GES, emploi de bâches…
      Vos contradicteurs tenteraient d’inverser la charge de la preuve, alors que ce sont eux qui doivent apporter les preuves de l’effet bénéfique des actions entreprises et de leur acceptation sociale.

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