18/03/2016

Adour-Garonne: scandaleuse prime à la casse des ouvrages hydrauliques sur argent public

L'Agence de l'eau Adour-Garonne avait la réputation d'être plutôt une "bonne élève" dans la gestion des ouvrages hydrauliques, avec des positions moins caricaturales et inégales que ses consoeurs de Loire-Bretagne et Seine-Normandie, notamment des financements de passes à poissons pouvant atteindre 80%. Mais voilà que cette Agence lance un "appel à projets continuité écologique" avec financement à 100% des seules destructions de seuils, barrages et autres ouvrages en rivière. On y débloque 5 millions d'euros d'argent public à une condition : la suppression totale. Jusqu'où s'abaissera l'administration en charge de l'eau dans son programme insensé de destruction du patrimoine hydraulique français aux frais du contribuable et au mépris de ce que demandent réellement nos lois? 

Le diagnostic : généralités et assertions sans preuve
"1200 à 1400 ouvrages présents sur les cours d’eau du bassin doivent faire l’objet de travaux pour restaurer la circulation des poissons et des sédiments d’ici 2018 ; cette obligation s’applique sur les rivières classées prioritaires en matière de restauration de la continuité écologique par le Code de l’environnement (L214-17 liste 2). Certains seuils sont aujourd’hui sans usage et parfois en mauvais état. Cette action de restauration de la continuité écologique contribue à améliorer de manière significative le fonctionnement naturel du cours d’eau et la qualité générale des milieux aquatiques. Cet appel à projets vise à apporter un soutien financier décisif aux propriétaires désireux de s’engager dans l’effacement de leurs seuils." 

Que la restauration de continuité écologique améliore de "manière significative" la qualité des milieux est une affirmation qui appelle des preuves. Car les travaux scientifiques émettent les plus grandes réserves sur ce point (voir cette synthèse d'une vingtaine de publications couvrant des milliers d'opérations en rivière, voir aussi Morandi et al 2014 en détail sur 44 projets français de restauration de rivière, dont des effacements de seuils).

Sans parler d'une analyse scientifique pour l'instant inexistante, les Agences de l'eau doivent a minima publier les scores de qualité chimique et écologique DCE 2000 des tronçons ayant bénéficié d'aménagements de continuité, afin que l'on vérifie si ces scores se sont améliorés, stabilisés, aggravés, et sur quels compartiments, avant et après la supposée "restauration". Mais d'après le rapport Dubois-Vigier, qui s'en agaçait assez clairement, l'administration française n'est pas capable de produire aux parlementaires une telle base de données – elle n'est même pas capable de dire combien de chantiers sont réalisés, a fortiori de croiser ces chantiers avec une analyse de qualité des eaux et un suivi scientifique un tant soit peu sérieux.

Il est donc insupportable que les citoyens français paient de leur poche ces pratiques d'apprentis-sorciers à grande échelle. Ce n'est au demeurant que la partie émergée de l'iceberg : c'est tout notre rapportage sur la qualité des eaux de surface à Bruxelles qui paraît vicié par des mesures incomplètes, des données manquantes, des évaluations à dire d'expert ou de modèle à faible niveau de confiance.

Le chantage : tout est payé si tout est détruit, prime à la casse sur argent public
"Les aides de l’Agence portent sur les projets d’effacement d’ouvrages c’est-à-dire de suppression totale ou d’arasement permettant un franchissement naturel par les poissons, dans la limite d’une enveloppe globale de 5 millions d’euros. (…) Les projets retenus dans le cadre de cet appel à projets pourront bénéficier d’un taux d’aide allant jusqu’à 100% des dépenses éligibles. Des acomptes seront versés au démarrage afin de faciliter le déroulement du projet."

Rappelons que la loi française (LEMA 2006 et Grenelle 2009) n'a jamais prévu l'effacement des ouvrages, mais demandé qu'ils soient "gérés, entretenus, équipés" ou que leur "aménagement" soit "mis à l'étude" pour "les plus problématiques" d'entre eux. Rappelons aussi que, de dérives en dérives, l'administration a interprété dans un sens maximaliste et doctrinaire la continuité écologique. Au nom de quoi une Agence de l'eau dont le Comité de bassin n'intègre même pas les représentants des moulins et des riverains premiers concernés, dont la légitimité démocratique ne repose nullement sur le suffrage, mais sur le bon-vouloir de nomination des Préfets, et dont la place dans la hiérarchie des normes juridiques est fort basse se permet-elle de réécrire la loi française et de proposer des "solutions" que les parlementaires ont exclues dans leurs délibérations? Sans parler de la réglementation européenne qui n'a jamais exigé le moindre effacement de barrage.

Les Agences de l'eau engagent l'argent des Français pour détruire tout un pan de leur patrimoine historique, paysager et culturel. Les ouvrages et leurs écosystèmes aménagés rendent de nombreux services qui sont systématiquement écartés, niés, minimisés, au profit de cette idéologie folle de la destruction portée par une minorité de bureaucrates et de lobbyistes estimant qu'elle n'a de comptes à rendre à personne.

Cette dérive doit cesser. Nous appelons nos consoeurs associatives d'Adour-Garonne à interpeller leurs élus du Comité de bassin pour savoir s'ils cautionnent cet appel à la casse du patrimoine sur fonds publics, à exiger de M. le Préfet de bassin qu'il justifie ce financement différentiel pour une option totalement absente des lois françaises et européennes, à informer Mme la Ministre de l'Ecologie de cette incitation à l'effacement dont elle a pourtant déploré à plusieurs reprises, récemment encore de la manière la plus claire, les effets négatifs sur le patrimoine et sur le potentiel de développement de l'énergie renouvelable.

Nota : plus que jamais, nos lecteurs doivent diffuser l'appel à moratoire sur la continuité écologique pour requérir la signature des élus, des associations et des personnalités de la société civile. Les derniers mois ont montré que cette initiative unitaire commence à porter ses fruits et oblige les politiques à prendre en considération la crise démocratique que représente la dérive autoritaire et agressive de l'administration en charge de l'eau. La pression du moratoire comme la saisine de la Ministre de l'Ecologie et des parlementaires doivent continuer tant que des décisions posant clairement un nouveau cap n'ont pas été actées dans le domaine de la continuité écologique.

4 commentaires:

  1. Les ouvrages en question ne sont pas des SEUILS (et encore moins des Barrages) mais des CHAUSSEES. Le dérives du vocabulaires sont arrivées dans les années 80.
    Le vocabulaire a beaucoup d'importance pour la défense

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    1. En distinction de "barrages", le terme de "seuils" est couramment employé pour désigner les ouvrages des moulins, tout comme "chaussées" (en même temps que, de manière plus ou impropre, déversoirs, digues, pelles, etc.). Le seuil désigne aussi en hydromorphologie un obstacle naturel (accumulation de gros sédiments type pierres, galets) qui crée un changement local du régime d'écoulement. Nous trouvons donc que "seuil" est bien adapté à beaucoup de moulins. Il faut aussi voir que dans les détails, les ouvrages hydrauliques barrant le lit mineur sont assez différents (ouvrages fixes en pierre, ouvrages mobiles avec larges vannes, inclinaison variable à l'amont et à l'aval, matériaux variables selon la dernière réfection, etc.)

      Les administratifs ne voient dans tout cela que "obstacles", quel que soit l'ouvrage. Jargon qui en dit long sur leur incapacité à assumer les différentes dimensions d'intérêt général à l'oeuvre dans les rivières, dimensions qui ne se résument certainement pas à un taux différentiel de telle ou telle espèce de poisson.

      Au-delà du lexique, c'est l'impact écologique des ouvrages dont nous contestons le diagnostic actuel, et cela d'autant que l'ouvrage est modeste. Mais même de grands barrages ont leur intérêt, combien de réserves ornithologiques dans des lacs artificiels et combien de poissons sauvés dans ces zones refuges quand des étiages très sévères assèchent et asphyxient certaines rivières?

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  2. Un seuil entraine un ralentissement des eaux, un réchaussement de celle-ci donc une augmentation/dévelloppement des bactéries (perte de qualité physico-chimique), un colmatage des fonds, une diminution/homogéneisation des faciès, une moindre oxygénation des cours d'eau (manque de turbulence) soit une perte de qualité biologique (en nombre d'espèces pas en poids)... Et des exemples peuvent prouver que sur certains endroits il est préférable de conserver les seuils (création de zone tampons, augmentation de zone humide en amont). Il ne fait pas généraliser mais dans la majorité des cas, un seuil en cours d'eau posent des soucis...
    Cdlt,
    Anonymous

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    1. Difficile de vous répondre vu la généralité du propos. Dans notre rubrique "idée reçue" (14 articles), ces point sont répondus, sur la base au total d'une centaine d'études scientifiques peer-reviewed.
      http://www.hydrauxois.org/search/label/Id%C3%A9es%20re%C3%A7ues

      Que tout obstacle (naturel, artificiel) modifie localement la physique, la chimie et la biologie de l'eau courante, c'est une certitude. Que cette modification ait un caractère quelconque de gravité, c'est discutable, et très douteux dans le cas de la petite hydraulique. Il faut adapter la réponse à l'impact, le choix d'aménager ou détruire 15.000 ouvrages en 5 ans est totalement disproportionné. Dans la plupart des études prenant soin de contrôler les peuplements du tronçon (IBD, I2M2, IPR, etc.) sur différentes zones, on s'aperçoit qu'il y a simplement des répartitions différentielles d'espèces selon les zones, ce qui est une prédiction de l'écologie (la physique de l'écoulement et la chimie du nutriment déterminent la biologie du peuplement en gros). Dans de rares cas, on a des rivières tellement aménagées que les peuplements sont totalement changés. La question c'est : et alors ? Va-t-on casser des choses inéressantes et bousculer des équilibres en place pour que chaque rivière ait un "quota" d'espèce rhéophile? Il faut en débattre démocratiquement, pas présenter cela comme un choix évident.

      Dans les travaux qu'il nous a été donné de lire, la rupture de continuité latérale (écotones de la plaine alluviale inondable) montre une réponse beaucoup plus forte de la biodiversité que la continuité longitudinale en zone tempérée. Il serait nécessaire que les travaux de la science ne soient pas galvaudés par du charabia technocratique ou du slogan lobbyiste.

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