11/01/2023

Forte progression des espèces exotiques dans les communautés de poissons du Rhin (Le Hen et al 2023)

Gwendaline Le Hen et neuf collègues ont étudié la composition piscicole du Rhin supérieur en Allemagne, sur 35 ans de données. La tendance est marquée par la forte progression des espèces exotiques, qui représentent aujourd'hui 30% des espèces et 32% des individus, contre respectivement 5% et 0,1% au début des années 1980. Le changement climatique favorise cette évolution de la biodiversité qui modifie les traits fonctionnels des communautés biotiques. Ce phénomène de diversification des espèces de poisson, déjà généralisé dans les grands fleuves connectés et ayant tendance à s'accélérer, pose la question des conditions de référence et des objectifs de conservation que les politiques publiques choisissent en gestion de la biodiversité aquatique. De toute évidence, le vivant évolue rapidement à l'Anthropocène.


Voici le résumé du travail des chercheurs :

"Les poissons exotiques ont un impact considérable sur les communautés aquatiques. Cependant, leurs effets sur la composition des traits restent mal compris, en particulier à de grandes échelles spatio-temporelles. Ici, nous avons utilisé des données de biosurveillance à long terme (1984-2018) de 31 communautés de poissons du Rhin en Allemagne pour étudier les changements de composition et fonctionnels au fil du temps. 

La richesse communautaire totale moyenne a augmenté de 49 % : elle a été stable jusqu'en 2004, puis a diminué jusqu'en 2010, avant d'augmenter jusqu'en 2018. L'abondance moyenne a diminué de 9 %. Partant de 198 individus/m2 en 1984, l'abondance a largement décliné à 23 individus/m2 en 2010 (−88 %), puis a augmenté de 678 % jusqu'à 180 individus/m2 jusqu'en 2018. Les augmentations d'abondance et de richesse à partir de 2010 environ étaient principalement entraînée par l'implantation d'espèces exotiques : alors que les espèces exotiques représentaient 5 % de toutes les espèces et 0,1 % du total des individus en 1993, elles sont passées à 30 % (7 espèces) et 32 % des individus en 2018. Concomitant à l'augmentation des espèces exotiques , la richesse et l'abondance moyennes des espèces indigènes ont diminué de 26 % et 50 % respectivement. Nous avons identifié l'augmentation de la température, les précipitations, l'abondance et la richesse des poissons exotiques comme forces motrices de changements de composition après 2010. 

Pour mieux comprendre les impacts des espèces exotiques sur les communautés de poissons, nous avons utilisé 12 caractéristiques biologiques et 13 caractéristiques écologiques pour calculer quatre métriques de caractéristiques chacune. La dispersion des traits écologiques a augmenté avant 2010, probablement en raison de la diminution des espèces indigènes écologiquement similaires. Aucun changement dans les paramètres de trait n'a été mesuré après 2010, bien que les parts relatives des modalités de trait exprimées aient considérablement changé. Le changement observé dans les modalités des traits a suggéré l'introduction de nouvelles espèces portant des modalités de traits à la fois similaires et nouvelles. Nos résultats ont révélé des changements significatifs dans les compositions taxonomiques et caractéristiques suite aux introductions de poissons exotiques et au changement climatique. 

Pour conclure, nos analyses montrent des changements taxonomiques et fonctionnels du Rhin sur 35 ans, probablement indicatifs de changements futurs dans les services écosystémiques."

Discussion
L'introduction et la dispersion des espèces exotiques est un phénomène devenu commun sur les fleuves et rivières connectés, en Europe comme dans le reste du monde. Concomitamment, des espèces endémiques et spécialisées voient souvent leur population se restreindre, tant sous l'effet du changement climatique que sous la pression de compétiteurs dans leur niche trophique. Nous avions commenté une étude sur la Seine montrant que 46% des espèces de ce bassin sont désormais d'origine exotique, avec une accélération du phénomène depuis un siècle (voir Belliard et al 2021). L'analyse de Gwendaline Le Hen et de ses collègues sur le Rhin confirme les mêmes tendances, mais de manière plus accélérée et sur trois décennies seulement.

L'arrière-plan de la politique écologique des rivières en Europe est de conserver une biodiversité représentative des "conditions de référence" de chaque cours d'eau, selon les termes choisis par la directive européenne. Mais plus nous avançons dans la condition anthropocène – que ce soit ici le changement climatique ou le brassage des espèces – et plus cette idée d'un référentiel fixe de biodiversité ou de fonctionnalité des communautés biotiques paraît irréelle.

Référence : Le Hen G et al (2023), Alien species and climate change drive shifts in a riverine fish community and trait compositions over 35 years, Science of The Total Environment, 867, 161486

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