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08/06/2018

La Mérantaise, ses poissons et ses ouvrages (Roy et Le Pichon 2017)

Deux hydro-écologues ont étudié une petite rivière d'Ile-de-France pour comprendre l'impact des ouvrages hydrauliques sur la circulation des truites. Ils observent qu'une petite partie des obstacles à l'écoulement bloque l'essentiel des gains possibles d'accès en habitats de frai ou de nourriture. Tout traiter n'aurait pas un bon bilan coût-bénéfice par rapport à des interventions ciblées. Cette recherche montre donc que l'on peut prioriser les interventions de continuité écologique, d'autant que la mobilité des truites mesurée par radiotélémétrie (quelques centaines de mètres) se révèle assez modeste. Mais cette recherche ne répond pas à d'autres questions. Et notamment : pourquoi dépenser de l'argent public et imposer des contraintes en faveur de la truite commune si l'espèce n'est pas menacée (contrairement aux grands migrateurs amphihalins)? 


La Mérantaise est une rivière de la haute vallée de Chevreuse (Yvelines), affluent de l'Yvette, bassin de Seine. Elle a un bassin versant de 31 km2. Cette rivière a été identifiée comme réservoir biologique en raison de la présence de 28 espèces terrestres et aquatiques protégées, dans le cours d'eau ou ses zones humides attenantes. La rivière comporte aussi plusieurs moulins, en place depuis un à plusieurs siècles.

Mathieu Roy et Céline Le Pichon ont analysé un tronçon de 6 km, d'une largeur de 2-5 m, pente moyenne de 0,75%, substrat mêlée de limon, sable, gravier et galets. Douze barrières ont été retrouvées : 3 associées à des moulins, d'autres à des buses, passages routiers, lavoir.

Entre mars 2012 et avril 2013, 39 truites communes âgées de plus de 1 an ont été suivies en radio-télémétrie. Leur taille variait de 178 à 554 mm. L'analyse a révélé que les poissons immatures circulent sur une distance moyenne de 143 m (maximum 366 m) hors période de reproduction et les poissons mature de 170 m (maximum 774 m), ces derniers circulant en moyenne 351 m (maximum 830 m) en période de frai.

Les ingénieurs ont ensuite utilisé un logiciel (Anaqualand) pour estimer le gain que représenterait le traitement des obstacles à la circulation. Ils en présentent ainsi le fonctionnement:  "Le logiciel permet à l'utilisateur de quantifier la connectivité structurelle et fonctionnelle entre les parcelle d'habitat ou des points de coordonnées en amont ou en aval, ou les deux (Le Pichon et al 2006). La connectivité structurelle peut être quantifiée en calculant les distances entre les parcelles d'habitat dans le cours d'eau (c'est-à-dire le chemin le plus court à l'intérieur des limites du chenal) et la résistance au mouvement est supposée homogène. En revanche, la connectivité fonctionnelle intègre la distance entre les parcelles et une résistance variable au mouvement, ce qui permet d'identifier les chemins les moins coûteux, exprimés en résistance minimale cumulée (MCR) (Adriaensen et al 2003; Knaapen et al 1992). Cette approche est basée sur les hypothèses générales de la théorie de la stratégie optimale de recherche de nourriture (Davies et al 2012) prédisant que les poissons auront tendance à minimiser les coûts d'énergie lorsqu'ils voyagent (Giske et al 1998). Ainsi, le chemin le moins coûteux entre deux parcelles d'habitat fonctionnel peut parfois impliquer de parcourir une distance plus longue que l'option la plus courte afin d'éviter un obstacle ou une zone à risque."

Le principal résultat du travail est qu'en rendant franchissable 3 barrières sur 12, on obtient un gain d'accès à des frayères qui ne s'améliore pas significativement ensuite. Les barrières en place ne sont pas des obstacles pour la circulation liée aux besoins quotidiens de recherche de nourriture, cf image ci-dessous, cliquez pour agrandir.

Gain en accès d'habitats de frai (gauche) et de circulation courante (droite) selon le nombre d'ouvrages rendus transparents. Cliquer pour agrandir. Extrait de Roy et Le Pichon, art cit.

Mathieu Roy et Céline Le Pichon concluent : "A la lumière de l'analyse, les efforts dans le cas de la Mérantaise devraient se concentrer sur l'amélioration de la franchissabilité de la barrière B3, à la fois pour augmenter la superficie des habitats de fraie accessibles de 13% de la superficie totale de l'habitat pour la truite, et maximiser la connectivité entre l'habitat de fraie et les parcelles d'habitat à usage quotidien. Un tel changement serait favorable, car une meilleure connectivité entre les habitats de fraie et d'utilisation quotidienne pourrait accroître la probabilité d'utilisation de l'habitat (Flitcroft et al 2012). Cependant, l'élimination d'autres obstacles en amont n'augmenterait que légèrement la superficie totale de l'habitat accessible, en raison des obstacles plus franchissables et de la moindre disponibilité d'habitats fonctionnels dans cette zone en amont. Par conséquent, l'élimination ou la modification de ces obstacles pourrait être considérée comme peu prioritaire pour la gestion et la conservation de l'habitat de la truite".

Discussion
A l'heure où certaines réfléchissent à la priorisation du traitement des ouvrages hydrauliques à fin de continuité, cette étude de Mathieu Roy et Céline Le Pichon suggère que traiter la totalité des barrières à la circulation n'est pas forcément utile, car le rapport coût-bénéfice peut devenir défavorable à mesure que les gains diminuent et que les dépenses s'accumulent. Les gestionnaires de bassin versant seraient avisés d'utiliser de tels outils, au lieu de multiplier des opérations. Le syndicat concerné a fait des travaux lourds de continuité écologique sur certaines zones et parle de "projet ambitieux du rétablissement de la continuité écologique de la Mérantaise".  Il est vrai que ces travaux étaient d'abord motivés par le risque inondation à Gif-sur-Yvette, impliquant plutôt la continuité latérale et l'expansion de crue, mais il a été aussi posé à l'occasion le supposé besoin d'intervenir sur le maximum d'ouvrages.

Or, outre le peu d'intérêt de traiter systématiquement les ouvrages, cette étude pose d'autres questions. Ainsi, la Mérantaise est déjà classée comme réservoir biologique (28 espèces protégées dans le bassin), donc la nécessité de mobiliser l'argent public pour agir sur la continuité en long de ce cours d'eau doit être questionnée, alors que tant d'autres sont dans un état plus dégradé appelant des actions plus utiles (voire plus impératives pour atteindre notre obligation européenne de bon état écologique et chimique, prioritaire par rapport à la question des densités locales de poissons migrateurs). Par ailleurs, la truite commune est une espèce abondante et non menacée en France et en Europe, outre que les populations présentes en rivière sont souvent issues des empoissonnements de pêcheurs depuis plus d'un siècle. Les données sur la Mérantaise suggèrent qu'elle n'est pas menacée non plus dans cette rivière, les mobilités observées étant compatibles avec la fragmentation. Enfin, aucune étude ne permet de dire si les ouvrages et leurs annexes hydrauliques ont des effets sur cette biodiversité locale. Nous souhaitons que le gestionnaire des rivières fondent leurs réflexions et actions sur la réalité biologique des bassins - inventaires faune-flore, étude des habitats singuliers, - plutôt que sur des principes abstraits qui seraient valables partout.

Référence : Roy ML, Le Pichon C (2017), Modelling functional fish habitat connectivity in rivers: A case study for prioritizing restoration actions targeting brown trout, Aquatic Conserv: Mar Freshw Ecosyst, 1–11.

Illustration en haut : photo Jlbailleul, CC BY-SA 3.0

30/05/2018

Prioriser les ouvrages hydrauliques pour la continuité en long des rivières : à quelles conditions?

Les audits administratifs, les rapports parlementaires, les contentieux judiciaires et les désaccords riverains convergent vers une même conclusion : la mise en oeuvre de la continuité écologique des rivières est problématique en France. Même en dehors des vues divergentes, il est de toute façon impossible d'aménager tous les ouvrages classés en 2012-2013 dans le délai imparti par la loi. Certains évoquent donc aujourd'hui la possibilité de définir des priorités dans la mise en oeuvre du classement, c'est-à-dire de distinguer des bassins, tronçons ou sites à aménagement prioritaire et d'autres non.  Cette idée pourrait aider à débloquer la situation, mais à deux conditions : au plan juridique, que les ouvrages jugés non prioritaires soient clairement exemptés d'aménagement ; au plan méthodologique, que la définition des priorités se fasse dans un processus ouvert, transparent et co-construit avec les usagers concernés.


La loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 avait prévu que des rivières seraient classées à fin de conservation (liste 1) ou de restauration (liste 2) de continuité écologique. Ce classement a eu lieu en 2012-2013, sous la forme d’arrêtés du préfet de bassin. Il a été jugé opaque et contradictoire par les riverains lorsqu’ils en ont pris connaissance :
  • grands barrages épargnés malgré leur impact de premier ordre, 
  • certains cours d’eau classés et d’autres non, alors que leurs propriétés et peuplements sont très similaires, 
  • double classement de même cours d’eau en liste 1 (supposé bon état à conserver) et liste 2 (supposé mauvais état à restaurer), peu compréhensible, 
  • abondance anormale d’ouvrages classés en tête de bassin, là où il n’y a quasiment aucun enjeu migrateur amphihalin (excès de choix purement halieutiques, souvent pour des truites communes et un usage pêche).
Par ailleurs, le bilan du rapport CGEDD (rendu public en 2017) sur ce classement de continuité a observé des retards et blocages (rappelons qu’il agit d’un audit administratif, donc indépendant des usagers mais pas de l’administration elle-même) :
  • 20 665 obstacles à l’écoulement ont été classés en 2012-2013, ce qui fut totalement irréaliste,
  • il se traite environ 340 dossiers par an, soit une durée d’exécution des arrêtés de bassin de 50 ans (et non 5 ans!) pour l’ensemble du linéaire classé,
  • le coût moyen observé pour les seules subventions publiques dépasse les 100 K€ par chantier, ce qui signifie un coût public global dépassant les 2 milliards €, auquel il faut ajouter les coûts privés (et les coûts publics non comptabilisés des salaires des fonctionnaires centraux ou territoriaux traitant ces sujets plutôt que les nombreux autres concernant la rivière),
  • les agences de l’eau procèdent à des choix d'orientation très variables entre l’effacement et l’aménagement ce qui renforce le procès en arbitraire fait à ces établissements publics au contrôle quasi-impossible par le citoyen, vu la faible représentativité de la société dans son comité de bassin et l'absence des principaux intéressés (moulins, étangs) dans les processus de décision.
En clair, la mise en œuvre de la loi de continuité par l’administration a été défaillante : beaucoup trop de rivières classées, des choix manquant parfois de justification claire, des politiques variables d’un bassin à l’autre, un défaut manifeste de réalisme économique, un manque d’écoute préalable des premiers concernés.


Face à cette planification en berne sur ses objectifs, ses moyens et son acceptabilité, on évoque aujourd’hui l’hypothèse de «prioriser» les traitements des ouvrages hydrauliques. Ce point avait été évoqué dans le rapport parlementaire Dubois-Vigier 2016. Ce serait une avancée, mais cela crée débat.

Il y a d’abord la question de la clarification et sécurisation juridiques. Si l’administration persiste à dire que tout ouvrage doit être traité en 5 ans (ce que pose l’article L 214-17 CE), alors «prioritaire» ou «pas prioritaire», tout le monde est censé agir dans un délai très court. Cela ne règle pas les problèmes observés par le CGEDD et il n’y a aucun sens à chercher des priorités à quelques années près. Si l’administration admet que l’on ne peut traiter que certains ouvrages (les «prioritaires» justement) dans les cinq prochaines années, alors les autres doivent se voir reconnaître d’une manière ou d’une autre une exemption temporaire ou définitive de continuité. Mais ni les arrêtés de bassin de 2012-2013 ni la loi de 2006 ne le prévoit pour le moment… Ce vide juridique ne sera pas tenable, car la mise en œuvre de la continuité est déjà passablement opaque et compliquée : les propriétaires ont peu de chance d’accepter un régime flou les laissant dans l'incertitude ou une priorisation qui ne changerait finalement rien à l'impératif intenable de tout aménager très vite, et à grands frais.

Au-delà de la question de droit, à régler, c’est aussi la méthode d’un nouveau classement par priorité qui est décisive.

Un éventuel ordre de priorisation des ouvrages à traiter ne saurait procéder de la même manière que le classement des rivières en 2012-2013, c’est-à-dire dans la confidence de services ne répondant pas de leurs travaux devant les organisations représentant les ouvrages (moulins, étangs, hydro-électriciens), et devant les autres usagers de la rivière. Le nouvel examen des ouvrages hydrauliques ne pourrait être que co-construit, sous l’impulsion et le contrôle des services de l’Etat, mais avec des échanges transparents, rigoureux et sincères sur la méthode.

Idéalement, la définition des priorités devrait commencer par un modèle d’hydro-écologie permettant de rentrer des descripteurs d’espèces, d’états et de pressions. Ce premier filtrage pourrait être ensuite analysé, contrôlé et débattu. Il y a par exemple des publications scientifiques intéressantes ces dernières années, comme Maire et al 2016 ayant proposé une modélisation géographique des espèces et populations piscicoles les plus menacées en France ; Roy et Le Pichon 2017 sur le logiciel Anaqualand de modélisation de la mobilité au sein d'une rivière ; Grantham et al 2014 ayant montré la faisabilité de grilles de décision appliquées à un large territoire (ici la Californie).

Si le cas par cas et la concertation locale sont aussi nécessaires, il s'agit de ne pas limiter l'évaluation à des avis plus ou moins subjectifs, à dire d’experts ayant chacun des méthodes différentes (opinion locale de représentants de l’AFB-Onema, voire de fédérations de pêche) et oubliant parfois que la loi de continuité n'a jamais été une loi de restauration des habitats. On évitera aussi des lectures un peu trop simplistes des états des lieux des agences de l’eau, tendant à conclure que partout où l’on ne trouve pas d’impacts chimiques (à supposer qu’on les ait cherchés…), ce serait les ouvrages hydrauliques qui abaisseraient la note de qualité de l'eau selon la directive cadre européenne (en fait, les impacts des barrages ont été démontrés comme plutôt faibles sur des indices de qualité DCE dans les rares cas où ils ont été étudiés par un vrai modèle interprétatif et à grande échelle, voir par exemple Villeneuve et al 2015, Corneil et al 2018 ; les autres impacts morphologiques sont plus déterminants, dont les usages des sols versants).


Quoiqu’il en soit, menée par des scientifiques et/ou par des administratifs, la construction d’une grille de priorisation des ouvrages les plus impactants pour la continuité écologique en même temps que les moins intéressants pour d’autres critères écologiques devra répondre dans chaque cas à de nombreuses questions…

…sur les espèces
  • Y a-t-il des migrateurs amphihalins ?
  • Y a-t-il des migrateurs holobiotiques (espèces dont la mobilité longue distance est réellement une condition limitante forte du cycle de vie) ?
  • Y a-t-il des risques d’espèces invasives depuis l’aval ?
  • Y a-t-il des souches génétiques d’intérêt et des risques d’introgression ou extinction?
  • Dispose-t-on d’une tendance historique sur les populations présentes (pas seulement un modèle déterministe théorique habitat-densité), attestant en particulier d’un déclin attribuable à des discontinuités?
… sur les sédiments
  • Quelle est aujourd'hui l’activité sédimentaire du bassin (entrée-sortie) et sa tendance?
  • Y a-t-il déficit observable de charges grossières vers les zones aval? 
  • Y a-t-il un excès de sédiments fins issus de l'érosion de sols agricoles (risque de favoriser la circulation des fines colmatant les substrats) ?
…sur les sites
  • L’ouvrage est-il déjà partiellement franchissable sans travaux aux poissons cibles (par sa faible hauteur, sa surverse en crue, l'existence de brèches, la dépose des vannes, etc.)  ? 
  • L’ouvrage crée-t-il des milieux locaux à biodiversité appréciable (biefs renaturés, étangs anciens, zones humides profitant de la nappe, etc.) ?
…sur les tronçons
  • Les ouvrages aval sont-ils déjà aménagés (cas des grands migrateurs où il est inutile de traiter l'amont avant l'aval) ?
  • Existe-t-il un grand barrage sans projet sur la rivière (modifiant sa thermie, son hydrologie, sa charge sédimentaire et son peuplement piscicole)?
  • Où se situent les noeuds d'importance vers des affluents d’intérêt ?
  • Quelle est la valeur de l’Indice Poissons Rivières révisé (IPR+) dans les relevés disponibles?
  • Observe-t-on des déficits d’espèces dans un gradient aval-amont ? 
  • Le tronçon est-il dégradé par des impacts chimiques ou physico-chimiques (formant la priorité d’investissement DCE en vue du bon état 2021 ou 2027) ? 
  • Le tronçon est-il dégradé par des impacts morphologiques autre que la continuité en long ?
  • Y a-t-il des risques d’assecs et que disent les projections climatiques ?
…sur les bassins
  • Les usages des sols créent-ils une pression forte sur la qualité du milieu récepteur (auquel cas la continuité n'ouvre pas à des eaux et sédiments de qualité)? 
  • Les ouvrages ont-ils un effet régulateur, atténuateur ou retardateur sur les crues, avec des enjeux inondations à l’aval?
…sur les coûts
  • La sélection des sites prioritaires est-elle budgétée et solvabilisée sur le calendrier choisi et pour chaque bassin versant (sachant que l’effacement n’a pas à être priorisé et que seul un soutien public conséquent permet aujourd'hui d’engager les chantiers)?


Les réponses à ces questions (et probablement à d’autres) sont nécessaires pour distinguer de manière objective les bassins où la discontinuité en long représente en enjeu fort et immédiat par rapport à ceux où elle a un impact secondaire, voire négligeable. Elles sont aussi nécessaires pour identifier des sites qui ont un enjeu plus important, soit du fait de leur position dans le réseau hydrographique, soit du fait de leurs propriétés physiques les rendant totalement infranchissables. Ces questions sont aussi celles que posent les riverains,  associations et collectifs quand ils s’expriment en réunion publique, en consultation d’enquête voire en contentieux. Le refus d’y répondre - ou l’affirmation péremptoire de l’absence d’intérêt à se les poser - est ce qui a rapidement dégradé la perception de la crédibilité et de l'objectivité de la mise en œuvre de la continuité.

La continuité longitudinale est depuis 10 ans un point d’abcès et de défiance dans la politique publique des rivières. Mais ce n’est pas une fatalité. L'expérience internationale montre que le sujet n'est pas consensuel, que les services écosystémiques ne concernent que certains usagers au détriment d'autres, que l'engagement des riverains sur certaines solutions fait de toute façon partie des clés de réussite d'un projet. Il est raisonnable d’admettre aujourd'hui que la programmation administrative a eu des défauts, que l’acceptation de la réforme demande un dialogue social et environnemental renouvelé, que la dépense publique importante exige des bases scientifiques plus solides et des choix d’action plus efficaces sur les enjeux de biodiversité, plus largement les enjeux de qualité des rivières. Nous verrons bientôt si le nouveau gouvernement entend ce message et propose une voie pour sortir du blocage actuel.

Illustrations : seuil sur Labeaume, à Rosières (07).

11/12/2016

Défragmenter des rivières? 25 enjeux pour le faire intelligemment

Agir sur la morphologie des rivières, comme on le fait sur la chimie, est un angle légitime de gestion. Mais cette action doit garantir au préalable qu'elle apporte des bénéfices écologiques significatifs, ce qui n'est pas automatique, et qu'elle respecte les attentes des riverains, car la rivière recoupe de nombreuses représentations sociales et symboliques. La politique publique de continuité longitudinale a été marquée depuis le PARCE 2009 par la précipitation et la confusion: milliers d'ouvrages à aménager en très peu de temps, rivières classées et traitées à la chaîne, sous-emploi des modèles scientifiques de la recherche appliquée, solutions toutes faites sans diagnostics approfondis de bassin, chantiers à coût inaccessible aux particuliers, absence de dialogue environnemental avec les riverains. Améliorer la continuité – et, pourquoi pas, détruire certains ouvrages quand les conditions sont réunies –, c'est possible si l'on montre un certain respect de la démarche scientifique en écologie, si l'on agit là où il y a des besoins prioritaires pour des espèces menacées et, surtout, si l'on permet aux citoyens d'exprimer leurs attentes au lieu de leur imposer des options définies à l'avance. 


Connaissance

Utiliser des modèles de connectivité, pour une priorisation des besoins de circulation sur le réseau hydrographique

Analyser la dynamique fluviale, car peu de bassins ont de réels problèmes de déficit sédimentaire lié aux petits ouvrages

Mobiliser des modèles hydrologiques, car l'évolution du régime crue-étiage et de l'alimentation des nappes doit être connue sur le bassin

Recourir à des modèles climatiques, car les choix doivent être sans regret à diverses hypothèses de changement thermique et pluviométrique

Estimer l'impact biogéochimique (nutriments, polluants, carbone), car les retenues peuvent avoir des rôles positifs

Vérifier les enjeux d'espèces invasives, car la continuité les favorise aussi

Evaluer la biodiversité, car les poissons ne sont qu'une faible part du vivant d'eau douce et de rive

Prendre en compte l'histoire et la culture, car les moulins et usines à eau ont une valeur patrimoniale

Prendre en compte le paysage, car les lacs, étangs, retenues, biefs et canaux sont souvent appréciés des riverains

Analyser le potentiel énergétique de l'existant, car la transition bas-carbone inclut l'énergie hydraulique

Estimer les services rendus par les écosystèmes restaurés, car le coût public doit être justifié par des bénéfices aux citoyens


Action

Agir d'abord pour les grands migrateurs menacés, car les espèces communes, quoique mobiles, sont moins impactées

Différer l'intervention en rivières polluées, car l'action morphologique ne corrige pas un mauvais état chimique

Prioriser les seuils sans intérêt patrimonial connu, construits au XXe siècle pour des usages devenus sans objet

Envisager des solutions douces (ouvertures de vanne, rivière de contournement, passe à poissons), car elles préservent les ouvrages d'intérêt et sont plus consensuelles

Tester sur des rivières pilotes, avant de généraliser à tous les bassins

Assortir de propositions paysagères et récréatives, car les territoires veulent des rivières attractives

Garantir la solvablité économique des projets, car il ne sert à rien de proposer des chantiers impossibles en raison d'un coût privé exorbitant


Gouvernance

Prendre le temps de la réflexion et de la concertation, car le véritable horizon d'action morphologique est séculaire (et non quinquennal)

Eviter le discours de la stigmatisation, car il provoque une crispation immédiate des maîtres d'ouvrage

Préférer l'incitation à la contrainte, en commençant par les propriétaires sans intérêt pour leur ouvrage

Ecouter l'ensemble des riverains de chaque projet, car ils sont aussi concernés par leur cadre de vie et les différents usages

Donner la parole aux citoyens, car les structures actuelles (SDAGE, SAGE) sont trop fermées et peu représentatives

Débattre des enjeux locaux concrets (gains espèces, habitats), en ne se limitant pas à des généralités abstraites

Développer une culture de la rivière, car la mémoire s'en est souvent perdue sur le bassin et les connaissances sont peu diffusées

Illustration : un moulin sur le Cousin (affluent de la Cure), en zone classée liste 2. Il n'a pas d'usage autre que d'agrément, mais il est parfaitement entretenu et situé dans le périmètre d'un site protégé. Sur cette rivière comme tant d'autres, plusieurs dizaines d'ouvrages sont sans projet à date, car la seule solution correctement financée est la destruction des ouvrages au bénéfice de résultats qui ne sont pas garantis, ni même pronostiqués et proposés en débat aux citoyens. A quoi bon persister dans ces blocages observés partout? La continuité écologique doit changer de méthode, choisir des priorités justifiées par des modèles scientifiques et rechercher des solutions fondées sur la concertation. Elle doit aussi revoir ses ambitions, car l'impact réel des ouvrages modestes (seuils, chaussées)  n'est toujours pas quantifié par la recherche et la diversité biologique des rivières ne se limite pas à des espèces de poissons migratrices ou rhéophiles. La grande majorité des citoyens informés des enjeux réels des chantiers ne considèrent pas que des gains locaux et modestes justifient des mesures aussi brutales que des effacements répétés sur un maximum de sites.

28/11/2016

Quelles priorités pour la conservation des poissons d'eaux douces? (Maire et al 2016)

Quatre chercheurs proposent une analyse des priorités de conservation des poissons d'eaux douces de la France métropolitaine. Leur modèle, dont on critique ici certains aspects, inclut notamment le caractère migratoire des poissons (dans les traits fonctionnels) et la densité de barrage (dans les variables de répartition), mais aussi beaucoup d'autres dimensions des populations et des bassins versants. Le résultat de ce modèle permet de regarder d'un oeil critique le classement 2012-2013 des rivières en listes 1 et 2, un exercice qui a été mené de manière rudimentaire, sans modélisation scientifique (ni même publication des méthodes, données et auteurs ayant conduit à ce classement). Il est temps que l'écologie des rivières revienne sous le giron d'une expertise scientifique ouverte et d'une concertation démocratique élargie, au lieu des modalités opaques et autoritaires que nous avons connues depuis dix ans. 

L'équipe de chercheurs français (Irstea, CNRS, Onera, Université de Toulouse) part d'un constat : les ressources humaines et financières allouées à la conservation des milieux et des espèces sont limitées, donc il faut définir des zones prioritaires pour la protection.

Le réseau hydrographique français a été divisé en 6097 sous-bassins de taille assez homogène (en moyenne 89 km2). La base de données Onema a permis d'avoir accès à 20.000 pêches électriques réalisées entre 1994 et 2011, avec un total de 74 espèces de poissons.

Un modèle de répartition des assemblages de poissons a été réalisé à partir de 11 variables environnementales (pente, superficie totale du bassin, hydro-éco-région, distance à la source, température, usage des sols, population humaine). On note que le modèle inclut la densité de barrage, par l'usage du ROE (mais pas leur hauteur ni le taux d'étagement ou fractionnement). Ces données multifactorielles ont été traitées par six approches statistiques, avec au final un modèle de consensus pour définir une probabilité d'occurrence des espèces, avec une comparaison aux données empiriques afin de le valider.

Les chercheurs ont ensuite tenté de définir des objectifs de conservation, c'est-à-dire de circonscrire les tronçons présentant un intérêt particulier. Ils ont construit un indice à quatre facteurs : la diversité taxonomique (nombre d'espèces), la diversité fonctionnelle (traits singuliers du comportement de l'espèce, voir Buisson et al 2013, à noter que cela inclut la rhéophilie et le type migratoire), l'importance patrimoniale (statut de conservation, limitations biogéographiques d'expansion) et l'intérêt socio-économique. Ce dernier est fondé sur un précédent travail (Fishing Interest Index, FII, Maire et el 2013) et centré sur la pêche (professionnelle et de loisir).

Une analyse statistique a montré que les facteurs sont peu corrélés entre eux. Par exemple, les zones aval des bassins ont de l'importance pour leur diversité d'espèces mais moins pour l'intérêt patrimonial, schéma inverse des têtes de bassin.

Pour obtenir un seul indice de priorité en conservation, les chercheurs ont appliqué un optimum de Pareto (maximiser les gains dans tous les objectifs en minimisant la perte dans chacun d'entre eux), avec un rang d'ordre. Les sous-bassins d'ordre 1 à 3 ont été considérés comme d'intérêt prioritaire de conservation.

Cette carte donne le résultat du modèle, les zones d'intérêt de conservation sont en noir, les zones sont d'autant moins intéressantes qu'elles s'éclaircissent.

Maire et al 2016, art. cit., droit de courte citation

Pour éclaircir les choses, les chercheurs ont défini quatre clusters d'intérêt de conservation, qui sont représentés dans la carte ci-dessous (laquelle isole les zones prioritaires d'intérêt de conservation).

Maire et al 2016, art. cit., droit de courte citation

Les sous-bassins en rouge (cluster I) sont dominés par des limnophiles et amphihalins. Les sous-bassins en bleu (cluster II) sont dominés par les truites, saumons ou anguilles avec espèces d'accompagnement. Les sous-bassins en vert (cluster III) sont des têtes de bassins salmonicoles. Les sous-bassins en orange (cluster IV) accueillent surtout des espèces méridionales d'intérêt (ou des zones à truite).

Les auteurs observent que les hydro-régions n'ont pas les mêmes rangs d'intérêt en conservation : par exemple les bassins de Loire et de Seine n'ont que 2,3% et 3,1% de leurs sous-bassins en zone d'intérêt. Les côtiers de l'Ouest et la Garonne oscillent entre 7 et 15%. Le Rhône et la Méditerranée sont à plus de 30%, l'Adour culmine à 53%.

Discussion
Tout modèle est une construction intellectuelle pour essayer d'approcher une réalité ou un objectif. Il n'est jamais définitif ni exclusif d'autres modèles intégrant d'autres paramètres de construction. L'intérêt d'un modèle scientifique comme celui d'Anthony Maire et de ses collègues est la transparence de sa méthode et de ses données, ce qui permet à la communauté scientifique comme à la société d'en apprécier la portée. Voici quelques réflexions critiques nées à la lecture de ce travail:
  • le modèle tel qu'il est présenté paraît "statique", c'est-à-dire qu'il photographie à un instant donné la diversité pisciaire des sous-bassins. Pour lui donner un caractère plus dynamique, il serait intéressant de le coupler avec les modèles de tendance des populations (par exemple Poulet et al 2011) mais aussi avec les modèles d'évolution hydroclimatique (par exemple Buisson et al 2008) car le changement probable de température et de pluviométrie va modifier les conditions aux limites de répartition de certaines espèces d'intérêt (du même coup, cela peut relativiser l'intérêt de certains efforts de conservation),
  • la biodiversité pisciaire n'est pas toute la biodiversité aquatique (elle n'en représente que 2%, voir Balian et al 2008) et, dans certains cas, les approches de conservation peuvent diverger. Par exemple, les lacs, étangs et retenues sont parfois des zones de forte diversité (oiseaux, mammifères, amphibiens, végétaux) qui, sur un système lotique, n'améliorent pas spécialement des espèces patrimoniales, migratrices ou rhéophiles de poissons, voire leur sont franchement défavorables. Il faut donc se garder d'assimiler la protection des seuls poissons à la protection de l'ensemble des milieux aquatiques et de leur diversité, 
  • on observe ce qui ressemble à une contradiction apparente entre le souhait de modéliser une valeur de conservation (intérêt intrinsèque des espèces) et l'inclusion d'une activité de prédation (pêche) comme facteur d'évaluation. Voir ce que donne le modèle sans ce paramètre de la pêche serait utile et, à notre sens, plus représentatif d'une approche écologique débarrassée d'un biais halieutique ne se confondant pas avec elle. Si l'on pense aux services rendus par les écosystèmes, alors il ne faut pas seulement intégrer les services rendus par certaines espèces à la pêche, car les milieux ont beaucoup d'aménités et la pêche n'a pas de prééminence particulière parmi les usages de la rivière. Et même au sein de la pêche, il faudrait attribuer une valeur de conservation locale proportionnée à la réalité de pratiques très différentes (carpes, "petits blancs", carnassiers, salmonidés), ce qui nous paraît assez hasardeux. 
Ce travail intéresse bien sûr les réformes en cours de la politique des rivières, au premier rang desquelles le classement en liste 1 et liste 2 de 2012-2013, qui attire une bonne part des fonds dédiés à la restauration physique (habitat, continuité) et à la promotion de certaines espèces piscicoles. Voici les questions que l'on peut se poser :
  • le résultat de Maire et al 2016 coïncide-t-il avec les classements en liste 1 (zone théoriquement d'intérêt pour la conservation), et dans le cas contraire, comment s'expliquent les divergences ? Pour ce que l'on observe sur notre région (Bourgogne Franche-Comté), la plupart des tronçons classés en liste 1 n'apparaissent pas comme d'intérêt particulier de conservation dans le modèle des chercheurs;
  • de très larges zones (notamment les bassins amont et médian de la Loire et de la Seine) ont fait l'objet de classements "intensifs" en liste 2 (milliers de kilomètres et d'ouvrages concernés). Ces zones n'apparaissent pas comme d'intérêt pour la conservation dans le travail de Maire et al 2016. Cela peut faire sens (la liste 2 vise à "restaurer"), mais cela pose plusieurs questions: comment estimer la probabilité que ces choix de classement aboutissent à des changements significatifs dans les critères écologiques d'intérêt? Les facteurs corrélés au moindre intérêt de conservation dans ces zones sont-ils relatifs à la densité d'obstacles ou à d'autres impacts (les travaux de Van Looy et al 2014 ou Villeneuve et al 2015 suggèrent par exemple que le facteur densité de barrage est marginal par rapport à la qualité de l'eau et aux impacts agricoles, globalement peu susceptible de faire varier la qualité piscicole telle qu'elle estimée par l'IPR, indice construit par rapport à des tronçons de référence peu anthropisés)?
  • inversement, il y a coïncidence entre certains sous-bassins d'intérêt pour leur population actuelle et des classements en liste 2: si des rivières conservent un intérêt piscicole malgré leur fragmentation longitudinale, cette dernière doit-elle être une priorité des choix publics?

Finalement, ce que montre avant tout ce travail, c'est notre capacité à produire une amélioration qualitative dans le diagnostic et le pronostic écologiques fondant la politique publique des rivières, en particulier la biodiversité. Jusqu'à une date récente, incluant hélas l'engagement dans la continuité écologique et le classement de rivière (2006-2012), les approches des décideurs ont été informées par des données partielles, sans modèle d'interprétation ou avec des modèles insatisfaisants (comme les biotypologies du XXe siècle, voir par exemple la critique qu'en faisait déjà Wasson 1989, ces typologies anciennes ayant un faible pouvoir descriptif et prédictif par rapport à la diversité et la rapidité d'évolution des rivières anthropisées, par rapport aussi à l'accumulation de données sur les milieux et à la sophistication des méthodes statistiques depuis trente ans).

Il reste cependant du chemin à parcourir. Modéliser la biodiversité pisciaire n'est qu'une étape dans la modélisation de l'ensemble de la biodiversité aquatique. Comprendre plus finement les impacts sur cette biodiversité reste un champ ouvert. Et il faut encore insérer la défense de la biodiversité dans les autres enjeux de la rivière: sa gestion durable et équilibrée n'inclut pas que les enjeux environnementaux, mais aussi bien des enjeux économiques, sociétaux et symboliques dont l'histoire a montré toute la force. L'écologie de la conservation et de la restauration ne doit pas seulement affermir ses attendus scientifiques : il lui faut aussi mûrir sa gouvernance politique et son acceptabilité sociale. Le contre-exemple malheureux de la continuité écologique montre qu'il y a beaucoup de travail en ce domaine aussi.

Référence : Maire A et al (2016), Identification of priority areas for the conservation of stream fish assemblages: implications for river management in France, River Research and Applications, DOI:10.1002/rra.3107

10/07/2016

Diagnostic écologique de chaque rivière: le travail que nous attendons des gestionnaires

Aujourd'hui les Agences de l'eau abondent les syndicats pour toutes sortes d'opérations disparates en rivières, sans grande cohérence ni pertinence, ce que nous avons appelé le greensplashing. C'est une dépense non optimale d'argent public, qui interdit d'asseoir un discours légitime, fondé sur la donnée et la preuve au service des décisions, particulièrement quand ces dernières sont contestées. Ce qui est le cas de certains chantiers de continuité écologique. Au commencement de toute action sur une rivière en son bassin versant, il doit exister un diagnostic complet des masses d'eau, et si possible un modèle de priorisation. Nous en sommes très loin, et au lieu de dépenser des fortunes pour des travaux sur sites de bureaux d'étude, commençons par proposer comme préalable (donc financer) une étape d'acquisition et d'interprétation des données, suivie d'une explication aux citoyens sur la réalité des enjeux et d'un échange sur leurs attentes par rapport à la rivière.  

Dans les cinq opérations en cours d'effacement sur les rivières du Nord de la Bourgogne, nous avons constaté la persistance des travers que nous déplorons depuis plusieurs années déjà. Autant l'écologie comme orientation de l'action en rivière est brandie par le gestionnaire avec fierté (mais de manière souvent assez abstraite et générique), autant l'écologie comme science et comme pratique est très négligée par la faible exigence des travaux préparatoires. Le cas particulier des ouvrages hydrauliques fait l'objet de diagnostics biaisés quand il s'agit d'objectiver l'intérêt relatif du chantier au plan écologique et d'estimer son intérêt général par la conciliation entre l'écologie et d'autres enjeux relevant eux aussi d'une forme de bien commun (paysage, patrimoine, etc.).

Certains pensent que l'association Hydrauxois s'oppose systématiquement à l'effacement. C'est inexact : notre association s'oppose (et s'opposera) systématiquement à l'effacement défini a priori et de manière dogmatique comme une solution préférable, ainsi qu'à la dépense publique sans garantie de résultat. L'écologie n'est pas un domaine où l'on procède par décision centralisée, lointaine et autoritaire : on doit toujours partir des faits d'observation de l'écosystème concerné. Nous attendons en conséquence des syndicats (donc des Agences de l'eau qui financent la connaissance et l'action) la base élémentaire de toute concertation sur une masse d'eau : une information complète (des données), un régime de démonstration (des preuves ou faisceaux de présomption), un engagement de résultats (des suivis). Mais aussi une écoute des citoyens dont la rivière est le cadre de vie, écoute ne pouvant se résumer à l'imposition d'une programmation définie à l'avance.


Ce que les syndicats doivent réunir sur chaque bassin (des données objectives et complètes)
Les informations ci-dessous sont la base d'un modèle de décision : idéalement un modèle conçu par des chercheurs (mais l'écologie appliquée est très en retard par rapport à ses prétentions de conservation et restauration des milieux), par défaut un arbre de décision dont chaque étape s'appuie sur des réponses objectives, avec des niveaux de confiance dans la robustesse de l'information disponible – des données peu fiables devant conduire, par précaution, à l'abstention.

Analyse de l'ensemble des indicateurs DCE : état biologique (poissons, diatomées, invertébrés, etc.), état physico-chimique (dont nutriments et gradient verticaux / longitudinaux de température), état chimique (contaminants type pesticides), sur un nombre variable de points de contrôle selon la précision des phénomènes à caractériser (par exemple des sources localisées de pollutions, des ruptures thermiques, etc.). Certaines mesures peuvent être étendues au-delà des strictes obligations DCE (par exemple, analyse chimique des micropolluants dont on sait qu'ils excèdent largement la cinquantaine de substances contrôlées par le rapportage DCE).

Analyse morphologique et sédimentaire : l'ensemble des descripteurs sur les berges et le lit, la granulométrie, le substrat et son colmatage, les annexes, la connectivité latérale aux écotones du lit majeur, etc. Vue d'ensemble de la dynamique fluviale par l'usage de l'outil SYRAH avec descriptions des pressions de bassin connues (dont usages des sols) et application du protocole CARHYCe sur des stations représentatives.

Description complète des obstacles à l'écoulement : au sein de la morphologie, le cas des obstacles longitudinaux doit faire l'objet d'un focus détaillé en rivière classée au titre de la continuité écologique, c'est-à-dire calcul du taux d'étagement ou taux de fractionnement, du taux de fragmentation (discontinuité rapportée à la connectivité des affluents et annexes de l'exutoire principal analysé), indices de franchissabilité ICE sur chaque ouvrage par espèces et par gamme de débit.

Analyse piscicole détaillée : analyse par indice poisson rivière révisé IPR+ (et non pas des biotypologies théoriques relativement désuètes comme Verneaux 1976-77), avec toutes ses métriques constitutives (pour un diagnostic fin), sur des stations représentatives du bassin, en zone de libre écoulement et en zone anthropisée, selon une répartition pertinente par rapport à la nature de la fragmentation (zoom autour des grands obstacles, des accumulations d'obstacles). Focus si nécessaire sur le cycle de vie local des migrateurs.

Inventaire de biodiversité : outre les motivations factuelles des zonages de protection (Znieff, Natura 2000, corridors biologiques TVB), il est utile de disposer de l'inventaire le plus complet possible de la biodiversité des masses d'eau (dont lacs, étangs, retenues) du bassin, en s'appuyant sur les travaux naturalistes et des campagnes d'observation.

Recherche en histoire de l'environnement local : l'état instantané d'un système ne dit rien sur sa trajectoire, sur la manière dont il se comporte (évolue, bifurque, oscille, etc.), alors que le vivant est par nature dynamique. Il est préférable d'avoir le maximum de données en profondeur historique, pour comprendre la variabilité de la rivière sur ses paramètres biologiques, physiques, chimiques (par exemple données hydro-climatiques, archives de pêches anciennes, relevés CSP depuis 50 ans, phylogénie moléculaire, paléo-écologie, archéologie et histoire du bassin dont stratigraphie, cartographies anciennes, etc.).

Bancarisation et intégration de ces données : il ne suffit pas d'avoir des données, encore faut-il les exploiter. Nombre de gestionnaires souffrent du syndrome d'empilement des "rapports enfermés dans le tiroir" : on commande des tas d'études (pour avoir un sentiment de confiance), sans vérifier que les résultats seront exploitables et additionnables aux travaux déjà existants, ni intégrables aux référentiels développés par l'expertise publique (Onema Irstea). Parfois même sans tirer les conséquences de ce que dit réellement l'étude!


Ce que les bureaux d'études doivent réaliser sur chaque ouvrage (de vraies analyses multicritères)
Une fois que l'on a un diagnostic satisfaisant de la rivière, on peut décider de quelques priorités de l'action. Quand on en vient au cas des ouvrages hydrauliques, les descripteurs biologiques, physiques et chimiques sont requis sur une analyse stationnelle (amont retenue, retenue, aval chute).

S'y ajoutent les éléments indispensables de la grille multicritères demandée par le CGEDD depuis 2012, mais presque jamais mise en place :
  • enquête historique et culturelle (valeur patrimoniale du bien)
  • enquête de riveraineté du plan d'eau et du bief (représentations, attentes et usages par rapport à l'hydrosystème existant / futur) 
  • analyse de risque (espèces invasives, perte de biodiversité locale, remobilisation de sédiments pollués, érosion régressive, tenue du bâti riverain)
  • analyse chimique de l'effet épurateur du ralentissement local de l'écoulement
  • analyse juridique et économique (droit d'eau, droit des tiers, indemnisation, analyse coût-avantage de hypothèses d'aménagement, bilan objectivé des services rendus par les écosystèmes avant/après).
Pour finir, le rôle du bureau d'étude en préparation d'enquête publique est de rendre lisible et non illisible l'information :
  • dans un chantier écologique, il faut exposer clairement et principalement l'impact du système actuel (en quoi il présente un caractère de gravité) ainsi que les gains écologiques attendus (comment on les garantit et comment on les mesure);
  • l'élément-clé de tout dossier devrait être l'analyse coût-avantage avec tous les critères correctement pris en compte, car c'est cela qui intéresse les citoyens (comprendre les avantages, les inconvénients, le sens de la dépense d'argent public);
  • les informations (volumineuses, souvent plus de la moitié du dossier) sur le contexte réglementaire servent principalement au service instructeur de l'administration pour vérifier la validité du projet, elles peuvent aller en annexes ou dans un livret séparé (pour ne pas égarer le citoyen dans une masse d'information sans rapport direct avec l'objet du chantier)
Aucun des projets d'effacement sur lesquels Hydrauxois a donné un avis négatif à cet été 2016 ne répondait à ces critères, même de loin. Ni l'Agence de l'eau Seine-Normandie (qui finance ces diagnostics sur argent public) ni la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère (qui fixe les règles de qualité) n'ont fait de cette approche complète et équilibrée un prérequis de l'action.


Les objections irrecevables à nos demandes

"Ces informations sont inutiles, on en sait déjà assez" : c'est évidemment absurde, l'écologie est une science du contexte et de la complexité. Faire des choix sur une base lacunaire ou en appliquant mécaniquement des préceptes trop généraux produira des échecs voire des effets négatifs (ce qui est hélas fréquent, voir cette synthèse). La moindre des choses quand on intervient sur un tronçon en vue d'améliorer son environnement, c'est de posséder tous ses descripteurs pertinents. Dans tout domaine un tant soit peu technique et scientifique, on agit ainsi : aurait-on confiance dans le prescription d'un médecin qui ne vérifie pas tous les symptômes de son patient, ne procède pas à tous les examens nécessaires au diagnostic, ne se renseigne pas sur l'état actuel des sciences de la vie et de la santé? Eh bien la rivière, que l'on prétend justement "soigner " voire "sauver", attend exactement le même engagement de rigueur.

"Ces informations sont impossibles à réunir" : beaucoup d'entre elles sont obligatoires au regard de nos engagements européens nés de diverses directives sur l'eau, notamment depuis 16 ans pour la DCE. Il serait inquiétant pour les citoyens d'entendre que nous sommes incapables de caractériser l'état de nos masses d'eau. Après, il est clair que réunir toutes les informations prend du temps, exige une planification rigoureuse et demande une vision claire des besoins propres à l'écologie des rivières. Mais c'est justement le but des SDAGE, des SAGE, des contrats rivières et autres outils de programmation à échelle de bassins ou de rivières. On ne crée pas ces outils pour produire des catalogues approximatifs de dépense de l'argent public, mais pour garantir l'intelligence, la cohérence et le pertinence des actions.

"Ces informations sont bien trop coûteuses" : nous l'avons déjà fait observer, c'est une question de répartition des lignes budgétaires au sein des programmes d'intervention des Agences. L'argent existe (de l'ordre de 3 milliards d'euros à investir par an sur la métropole), c'est son utilisation qui est en question. Agissons un peu moins dans la précipitation (ce qui coûte cher), travaillons un peu plus sur les connaissances et les diagnostics, ainsi que sur la concertation. Nous dépensons déjà des fortunes pour des rapports locaux de bureaux d'études qui ne servent pas toujours à grand chose, au lieu de financer une solide base publique et interopérable de données, ainsi que des modèles de priorisation qui permettraient pas la suite de dépenser moins, mais mieux.

"Ces informations demandent un temps que nous n'avons pas". Cette objection est sans doute la plus fondée, mais elle révèle un dysfonctionnement majeur de la politique publique de l'eau. Nous nous sommes donnés des objectifs irréalistes, dont chacun sait qu'ils sont impossibles à atteindre : par exemple traitement de 10.000 à 15.000 ouvrages hydrauliques en 5 ans (classement de continuité 2013-2018), bon état chimique et écologique des 100% des masses d'eau en une génération (DCE 2000-2027). Ces programmations sont assorties d'obligations de rapportage et de contrôle se traduisant par une manie du bilan "autojustificateur". L'effet est catastrophique : perte de crédibilité de la parole institutionnelle par des objectifs insensés, produisant d'inévitables échecs suivis de contorsions dissimulatrices ; pressions court-termistes d'urgence voire de précipitation contraire à la sérénité d'une politique publique et, particulièrement dans le domaine de l'environnement, à l'exigence de concertation avec les citoyens ; caractère de plus en plus désincarné, mécanique (programmes et normes indiscutables) de l'action en rivière au lieu d'un travail d'implication des riverains.

Illustration : la Cure à Bessy. Sur ce chantier d'aménagement d'ouvrage, tout comme sur la Brenne à Montbard, notre association a d'ores et déjà alerté le gestionnaire et les services instructeurs sur le fait que le diagnostic réalisé n'est pas complet. Soit on continue à vouloir "faire du chiffre" en appliquant le dogme d'effacement prioritaire du financeur des études et des chantiers (ici Agence de l'eau Seine-Normandie), soit on prend le temps d'estimer complètement les impacts et les enjeux, d'objectiver le gain écologique attendu, de discuter les attentes et les objections des citoyens concernés, de chercher des solutions de consensus dans une logique de "gestion durable et équilibrée" voulue par la loi.

15/01/2016

Développer des grilles de priorisation écologique des ouvrages hydrauliques (Grantham et al 2014)

Aménager tous les ouvrages en rivière n'est pas possible, ni sans doute souhaitable. Mais comment définir des priorités? Trois chercheurs américains ont proposé une grille de priorisation appliquée aux barrages californiens, avec une insistance sur les effets hydrologiques (modification de débit). Cet exemple n'est pas forcément transférable comme tel dans notre pays, mais il indique en revanche la méthode qui manque cruellement en France: au lieu d'un classement en bureau par rivière entière et sans motivation scientifique claire, voire avec des contradictions manifestes (non-classement des ouvrages les plus impactants d'un tronçon, non-classement d'une rivière alors que sa voisine classée est très similaire, etc.), il s'agit plutôt de définir de manière rationnelle et consensuelle des critères écologiques d'intérêt. Le refuser, c'est pénaliser la faisabilité de la continuité écologique, retarder l'appropriation de la réforme par les riverains et dépenser l'argent public sans gains optimaux pour les milieux – autant de voies sans avenir.

Comme le rappellent Theodore E. Grantham et ses collègues, la prolifération des barrages au cours du XXe siècle (pour les plus importants d'entre eux) a altéré les écoulements et les peuplements de nombreuses rivières. Le premier impact de ces ouvrages vient des modifications de débit par rapport aux conditions naturelles (changements plus ou moins prononcés des processus sédimentaires, des variations hydrologiques et des habitats). Il est possible dans certains cas de moduler la gestion des débits afin de se rapprocher de la variabilité naturelle de l'écoulement.

Les auteurs choisissent comme terrain d'étude la Californie, un Etat nord-américain de 425.000 km2, avec 1440 barrages (définis ici comme ayant une hauteur de plus de 1,8 m et stockant plus de 60.000 m3 d'eau en réservoir). La Californie comporte aussi des dizaines de milliers de seuils plus modestes que les auteurs n'analysent pas.

Le point qui nous intéresse ici est le principe d'une grille de priorisation des enjeux proposée par les chercheurs. Elle se définit comme suit (cliquer pour agrandir).


Source Grantham et al 2014 (droit de courte citation)

Les chercheurs proposent une succession de filtres pour objectiver les enjeux et sélectionner les ouvrages les plus impactants. Ces filtres sont successivement :
  • les attributs physiques (superficie de la retenue > 1 km2 et stockage > 100.000 m3);
  • les altérations hydrologiques (débit mensuel dérivé, débit de décharge maximal quotidien, etc.);
  • les impacts biologiques (présence d'espèces menacées sensibles au débit ou risque d'extinction locale);
  • le classement des barrages par analyse plus détaillée (contexte réglementaire, usage, richesse spécifique locale, degré d'altération hydrologique);
  • la sélection des candidats pour analyse locale approfondie.
Au terme de cette grille de priorisation, les chercheurs suggèrent que 181 barrages sur 1440 pourraient justifier d'aménagements ou de réglementations spécifiques de régulation des débits à fin environnementale.

Quelques commentaires et réflexions
Un point que nous reprochons au classement des rivières (donc des ouvrages) au titre de la continuité écologique en France est le manque de motivation et de concertation. Ces classements n'ont pas été le fait d'une recherche scientifique : leurs documents techniques d'accompagnement sont de simples listes de tronçons avec des espèces, construites à dire d'experts (les experts n'étant pas cités sur chaque tronçon). Sans même parler de la faisabilité réglementaire et économique du classement, sa construction montre un problème manifeste de légitimité.

Par exemple, quand on observe que les ouvrages les plus impactants de rivières ne font pas l'objet de classement (donc d'obligation), alors que l'amont et l'aval de ces rivières sont classés, il n'est pas possible d'y voir des choix cohérents avec ce que nous dit réellement la recherche sur la continuité écologique (voir cet article). C'est un peu comme si des experts du climat conseillaient de faire des efforts sur notre consommation de gaz en oubliant de signaler qu'il faut aussi restreindre de manière drastique l'exploitation du pétrole et du charbon: ce ne serait pas crédible! Il en va de même pour l'argent public dépensé de manière inefficiente dans des suppressions de très petits obstacles à impact écologique inconnu, par simple effet d'affichage.

On peut poser deux conditions raisonnables à la réflexion collective sur la continuité écologique: la réforme ne sera pas abandonnée (car la continuité est un angle légitime d'amélioration des rivières); la réforme ne sera pas menée dans les termes très peu réalistes où elle avait été conçue (c'est-à-dire traiter plus de 10.000 ouvrages en 5 ans, si possible en les effaçant, puis réviser le classement pour en aménager d'autres par tranches de 5 ans).

Partant de là, il ne faut pas s'enfermer dans un dogme administratif et contreproductif (on va tout aménager et on usera de la contrainte si nécessaire), ni au demeurant dans une posture oppositionnelle non constructive (on ne fera rien et on supprimera la loi), mais plutôt définir des grilles de priorisation comparables à celle proposée par Grantham et ses collègues. Voici quelques éléments de réflexion dans la construction de cette grille en France:
  • intégrer les objectifs DCE 2000 qui forment une contrainte réglementaire forte (par exemple, sortir du classement liste 2 les rivières en bon état chimique et écologique au sens DCE, n'y développer que des démarches incitatives);
  • utiliser (et d'abord réaliser!) l'ensemble des mesures biologiques, physiques et chimiques obligatoires dans le cadre de la DCE pour définir des rivières où l'impact morphologique paraît le facteur de premier ordre de la dégradation biologique, puis confirmer ce filtre par modélisation (vérifier que l'altération biologique ne correspond pas à d'autres facteurs);
  • définir des caractéristiques discriminantes des ouvrages hydrauliques (hauteur, forme, volume de retenue, score de franchissabilité) et traiter la classe la plus impactante (donc, pas forcément tous les ouvrages d'une rivière);
  • analyser les peuplements de la rivière et choisir d'abord les cours d'eau où il existe des enjeux importants (grands migrateurs, espèces très localisées, espèces menacées d'extinction ; ce qui signifie, sauf exception, pas d'aménagement prioritaire pour des truites, des cyprinidés rhéophiles ou diverses espèces actuellement très réparties sur les bassins versants français, sans réel risque de disparition à horizon temporel de la réforme, soit deux ou trois décennies.)
Une telle grille serait la première étape de désignation des ouvrages d'intérêt. Pour le choix de l'opération (aménagement, effacement), il faut encore développer une autre grille multicritères, que le Ministère de l'Ecologie devait concevoir mais sur laquelle il n'a pas avancé (voir cet article): usages professionnels et sociaux du site, patrimoine, paysage, énergie, attachement du propriétaire au droit d'eau et des riverains à la retenue, risques spécifiques (nutriments, pollutions sédimentaires, espèces invasives), etc.

Il faut noter que sur le compartiment écologique, la plupart des outils sont déjà disponibles: les services de recherche des établissements publics (surtout Onema et Irstea ici) ont développé divers méthodes ou indicateurs d'analyse des rivières, des ouvrages et des bassins versants ; les techniques statistiques / probabilistes de modélisation des phénomènes complexes sont bien connus dans de nombreux domaines de recherche, dont l'hydro-écologie. Le problème : ces outils ne sont pas rassemblés dans une méthode intégrée et ne sont pas appliqués aux analyses des rivières.

Avec des efforts de réalisme, de transparence et de concertation, on peut certainement arriver à une réforme de continuité écologique acceptée et appropriée par les parties prenantes et les populations. Si l'on continue à réfléchir en bureaux fermés sans rien vouloir changer à des choix déjà datés des années 2000, on s'enfermera dans l'impasse actuelle, en faisant perdre beaucoup de temps et d'argent à la collectivité.

Référence: Grantham TE et al (2014), Systematic screening of dams for environmental flow assessment and implementation, BioScience, doi: 10.1093/biosci/biu159