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20/11/2019

La conservation du saumon, ses acteurs, ses débats, ses résultats (Thomas et Germaine 2018)

Deux chercheurs français produisent une synthèse critique sur la question de la conservation du saumon atlantique en France. La politique française de "continuité écologique" a été souvent motivée par la mise en avant de l'espèce emblématique des poissons migrateurs, mais elle a aussi suscité des conflits un peu partout lorsque la destruction des barrages et de leurs usages a été imposée. Le saumon ne mobilise pas que des écologues et naturalistes, il intéresse aussi les usagers de la nature que sont les pêcheurs, influents sur les politiques publiques. Et malgré les fonds investis, les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous, notamment sur des grands axes fluviaux. Loin d'être consensuelle, la conservation du saumon ouvre donc un débat plus large sur les rivières que veulent les riverains, sur le caractère social et naturel des milieux, sur la manière dont l'écologie sera appropriée par la libre discussion démocratique de ses fins et de ses moyens.  

Olivier Thomas et Marie-Anne Germaine (Laboratoire Mosaïques UMR LAVUE 7218 CNR) ont publié un article intéressant sur le saumon atlantique comme espère repère des politiques d'aménagement de rivière en France.

Les auteurs introduisent la problématique en rappelant que les poissons migrateurs - dont le saumon - sont devenus depuis peu des arguments du discours public pour la gestion des rivières, en particulier la continuité écologique et son cortège de démantèlement d'ouvrages :

"La lutte contre l’érosion de la biodiversité se traduit par divers engagements politiques et réglementaires ainsi qu’une multiplication des opérations à visée écologique dont la mise en place des trames vertes et bleues constitue un exemple phare (Vimal et al., 2012 ; Cormier et al., 2010). La promotion de ces actions s’appuie souvent sur la mise en avant d’espèces emblématiques qui permettent de communiquer auprès des élus et du grand public sur les bénéfices escomptés. Dans le domaine des milieux aquatiques, les amphibiens (ex. grenouille et triton) largement mis à l’honneur dans les années 1980/1990 pour sensibiliser à l’intérêt des zones humides ont laissé place aux poissons migrateurs qui occupent une place prépondérante dans les politiques de gestion des rivières. L’affirmation des principes de restauration écologique, et plus spécialement de rétablissement de la continuité écologique – et piscicole – des cours d’eau, institutionnalisée par la directive-cadre sur l’eau (DCE, 2000) a tout spécialement conduit à mettre en avant les poissons migrateurs (Germaine et Barraud, 2013). La suppression des obstacles aménagés en travers des rivières (barrages et seuils de moulins) et dans leur continuité (buses pour l’essentiel) vise à rétablir la dynamique fluviale en assurant le transit sédimentaire, mais aussi à garantir le passage à la montaison comme à la dévalaison des poissons amphihalins qui vivent alternativement en eau douce et en mer, et ont donc particulièrement besoin de franchir ces obstacles pour passer de la rivière à la mer et inversement. Il en est ainsi de l’anguille européenne, de la truite de mer, de la lamproie marine et fluviatile, de l’alose et du saumon atlantique. Ces espèces sont mises en avant par les promoteurs des opérations d’effacement d’ouvrages pour convaincre les financeurs de leur soutien ou pour sensibiliser les décideurs, le grand public et les usagers du bienfondé de ces actions (Rainelli et Thibault, 1980 ; Drouineau et al., 2018)."

Ils rappellent que cette focalisation sur le poisson migrateur ne va pas de soi et peut aussi faire l'objet d'analyse critique dans la recherche internationale :

"il s’agit de s’interroger sur la place occupée par un de ces acteurs non humains – le saumon – dans la mise en œuvre des programmes de restauration écologique (Callon, 1986). Gottschalk-Druschke et al. (2017) ont par exemple montré comment le discours des gestionnaires est focalisé sur les poissons migrateurs tandis que les espèces «résidentes» sont négligées. Kareiva et Carranza (2017) ont, eux, montré comment le saumon pacifique est devenu l’objet d’une bataille symbolique autour des barrages installés sur la rivière Columbia aux États-Unis. Le saumon constitue de fait tout spécialement une espèce à part du fait de son image emblématique (Verspoor et al., 2007). L’approche acteurs-réseaux permet alors d’observer la manière dont le saumon occupe le devant de la scène et permet (ou pas) d’enrôler les parties prenantes autour de projets écologiques à différentes échelles."

L'article propose un rappel éco-historique de l'évolution du saumon en France, suivi d'une analyse à deux échelles : la programmation des grandes stratégies en faveur du retour des stocks de poissons (échelle nationale et européenne) et les projets de démantèlement d’ouvrages.

Nous ne reviendrons pas ici sur ses riches développements, que chacun peut lire en accès libre (cf référence). Quelques-uns méritent d'être soulignés et discutés.

Un schéma intéressant montre le réseau des acteurs impliqués autour de la conservation du saumon:



Extrait de Thomas et Germaine 2018, art cit, cliquer pour agrandir. 

Ce schéma sur les jeux d'acteurs, présentant les parties prenantes comme à quasi-égalité dans 4 collèges distincts, nous semble sous-estimer le rôle historique et actuel du milieu halieutique et en particulier du milieu "pêcheurs à la mouche" dans l'enjeu saumon. Par exemple, l'agence française de la biodiversité (aujourd'hui office français pour la biodiversité) est, dans le domaine aquatique, l'héritière institutionnelle du conseil supérieur de la pêche (puis Onema), ce qui a forcément exercé une influence sur les méthodes, objets et priorités de ses agents. Un collectif comme les Amis de la Sélune est essentiellement soutenu par des associations de pêcheurs, l'association ANPER-TOS a été organiquement liée aux pêcheurs de salmonidés, on retrouve assez souvent des entreprises de pêche dans ses soutiens financiers ou ses réseaux d'acteurs (page "amis et partenaires" en date du 11/2019), comme pour divers groupes naturalistes (Rivières sauvages, voir "les fonds privés" en date du 11/2019). Or, ce point n'est pas négligeable : les pêcheurs sont d'abord des usagers de la nature, le fait de concentrer des moyens publics sur certaines espèces d'intérêt pour leurs usages ou de faire droit à leurs attentes par rapport à d'autres est un élément à part entière du débat démocratique. L'idée que le saumon serait une "espèce ombrelle" dont la protection serait forcément synonyme de gains importants pour toute la biodiversité – donc que l'enjeu de la pêche se confond avec l'enjeu de l'écologie – est devenue assez discutable : c'est plutôt une espèce repère de la volonté de retour à un état antérieur du vivant, ce qui relève davantage d'un idéal de bio-intégrité que d'une analyse des milieux par leur fonctionnalité et biodiversité, cette dernière incluant aussi les nouveaux écosystèmes créés par l'humain et les espèces qui les ont colonisés au fil de siècles.

Un autre point intéressant de l'article est le constat d'échec relatif de la restauration sur les grands axes fluviaux (par rapport aux fleuves côtiers) malgré l'ancienneté des programmes et les fonds débloqués.

C'est le cas sur la Loire :
"Sur le bassin de la Loire, la population de saumons estimée à 45 000 individus à la fin du XIXe siècle s’est presque éteinte au XXe siècle après avoir disparu de la Vienne, de la Creuse, de la Gartempe, du Cher et de la Loire amont. Il ne restait qu’une centaine de saumons sur l’Allier à la fin des années 1990. Depuis 20015, le déversement de millions d’œufs et de juvéniles par le Conservatoire National du Saumon Sauvage, salmoniculture créée en 2001 dans le cadre du Plan Loire Grandeur Nature, n’a permis que d’empêcher la disparition des derniers saumons de souche « Allier ». Et si une partie du contingent total (12 à 18 %) remonte aujourd’hui dans la Vienne et la Creuse grâce à l’amélioration de la continuité piscicole, ce ne sont en moyenne que 657 saumons qui ont été comptabilisés chaque année à la station de comptage de Vichy sur l’Allier sur la période 2002-2012."
Sur les bassins Dordogne-Garonne :
"Sur la Dordogne et la Garonne, le saumon a disparu au tournant du XIXe et du XXe siècle. L'opération de restauration entamée en 1970 apparaît comme un échec complet puisque 46 ans plus tard, on ne recense chaque année que quelques centaines de saumons sur ces deux bassins, issus à 75 % des campagnes de repeuplement. Le nombre très élevé de barrages hydroélectriques condamne la plupart des habitats favorables à la reproduction et engendre une mortalité importante des smolts lors de la dévalaison (20,1% en moyenne). De plus, 70 % des frayères creusées annuellement le sont dans des zones soumises aux éclusées hydroélectriques. Dès lors, l’installation de passes à poissons et le déversement de 1 000 000 de juvéniles sur les deux bassins chaque année ne permettent pas la reconstitution d’une population de saumon."
Et aussi sur la Seine :
"Le saumon a disparu de la Seine au début du XXe siècle suite à la construction du barrage de Settons et à la chenalisation de la Seine et de l’Yonne. Son retour est avéré depuis 2008, date à laquelle une centaine de poissons a été observée au niveau du barrage de Poses. Ces saumons n’ont pas été introduits dans le cadre d’une campagne de restauration, mais issus d’une recolonisation naturelle : l’analyse génétique des poissons piégés montre qu’ils proviennent des côtiers normands, de l’Allier, du Royaume-Uni, de Norvège ou encore de Suède (Perrier et al., 2011). Le saumon peut aujourd’hui remonter la Seine jusqu’au barrage de Suresnes et l’Oise jusqu’au barrage de Carandeau, mais l’essentiel du bassin versant (80 %) reste inaccessible."

Concernant le cas des démantèlements en cours des barrages de la Sélune (cas d'un fleuve côtier), les auteurs montrent que le projet est un échec de gouvernance car il a été imposé aux populations sans réel portage local :

"Instrumentalisé par des acteurs extérieurs qui le placent sous le devant de la scène pour vanter les bénéfices économiques et écologiques de l’effacement des barrages, le saumon n’a en revanche pas été approprié par les pêcheurs localement qui ne se sont pas saisi de l’opportunité de développer un tourisme halieutique nouveau."

Comme le concluent les auteurs, la question du saumon et plus largement de la restauration écologique est en train d'ouvrir un débat plus large sur nos représentations collectives des eaux et rivières :

"En creux, c’est la question du regard que la société porte sur les cours d’eau qui apparait ici. Longtemps considérés comme une fraction utile de la nature (Luglia, 2015), les fleuves et les rivières font aujourd’hui l’objet d’une gestion écologique. Mais derrière l’ambition de restauration des populations de saumons, c’est en fait la question du devenir des cours d’eau, pensés comme des entités socio-naturelles, et plus largement de nos usages de la nature (Larrère, 2009) qu’il semble nécessaire de se poser."

On ne saurait mieux dire. Mais encore faut-il que les principaux acteurs publics soient dans une culture du débat démocratique, et non dans une machinerie technocratique visant à imposer une "vérité" de la nature et à minimiser ou nier tout différend comme un bruit dommageable. Cela concerne aussi la connaissance et l'expertise, car l'allocation des fonds de recherche n'est jamais neutre. Cela concerne enfin la place des lobbies – entendu comme tout groupe constitué défendant ses intérêts économiques, pratiques, idéologiques ou autres – dans la construction de la décision publique.

L'écologie (politique) apportait de grandes promesses sur la "démocratie environnementale" : la gestion écologique des rivières ne réalise pas ces espoirs en France, à la fois parce que certains avancent l'écologie comme croyance non discutable ou comme vérité scientifique devant clore la discussion (ce qui est en soi incompatible avec la démocratie comme liberté de discuter des fins et des moyens) et parce que les bureaucraties dirigistes véhiculant des programmes du sommet vers la base ont le plus grand mal à entendre la société et la diversité de ses attentes, déjà à susciter un sens de la responsabilité et de l'engagement plutôt qu'une soumission à l'Etat et à ses "experts". Mais ce dernier point, les citoyens l'observent désormais sur la plupart des sujets...

Référence : Thomas O, Germaine MA, De l’enjeu de conservation au projet de territoire : Le saumon atlantique au coeur des débats,, VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], 18, 2, DOI : 10.4000/vertigo.22259

14/05/2019

Loire-Allier: retour du saumon d'élevage et échec des politiques de renaturation

Le Comité de gestion des poissons migrateurs du bassin de Loire a pris la décision fin avril d'autoriser le déversement d'alevins de saumons d'élevage dans les zones refuges jadis protégées en amont du barrage de Poutès-Monistrol. Ce retour aux techniques usuelles d'alevinage en soutien des effectifs signe l'échec des politiques de "renaturation" des axes Loire-Allier entreprises voici plus de 40 ans. Cela pose évidemment question sur la volonté du gouvernement de poursuivre de telles stratégies sur d'autres axes fluviaux qui sont encore moins favorables que la Loire et l'Allier pour le saumon sauvage. Va-t-on continuer à détruire des ouvrages partout ou à construire des passes à poissons coûteuses pour finalement reconnaître le caractère vain et inopportun de ce choix, alors que d'autres services rendus par les ouvrages détruits sont sacrifiés? 


Le comité scientifique du Comité de gestion des poissons migrateurs (Cogepomi) a rendu au début du mois d'avril 2019 un avis favorable au retour des opérations d'alevinage en amont du barrage de Poutès. Le Cogepomi (comité de gestion des poissons migrateurs), réuni le 29 avril 2019, a validé cette position. Au moment où nous écrivons, ces dispositions sont rapportées dans la presse et sur les réseaux sociaux, mais les documents de décision ne sont pas disponible pour le public - mauvaise habitude de négligence ou d'opacité de certains cénacles à financement public dont les délibérations ont pourtant des effets concrets sur l'environnement, devant à ce titre recevoir toute publicité et accessibilité nécessaire pour les citoyens.

Le Conservatoire national du saumon sauvage (CNSS) basé à Chanteuges (Haute-Loire) pourra donc déverser des milliers d'alevins dans ce qui était depuis 12 ans considéré comme une réserve pour le saumon sauvage, soit les zones de frayères amont du barrage de Poutès. La directrice adjointe du CNSS, Céline Bérard, a confié à la presse le souhait de déverser 170.000 alevins d'élevage dès le mois de juin (voir La Montagne, 5 mai 2019).

Cette décision vient sanctionner l'échec de certaines options de restauration du saumon sauvage de l'axe Loire-Allier commencée dans les années 1970. Tout un symbole, puisque c'est l'un des plus anciens combats pour ce migrateur : le tout premier "Plan saumon" concernait la période 1976-1980.

Dans la dernière estimation consultable (voir cette page, mise à jour 24 mars 2019), 389 saumons de l'année sont comptés en 2018 à la station de Vichy par le Cogepomi. Qui commente: "Le nombre d’adultes actuellement observés à Vichy (rivière Allier) est faible et bien en-deçà de la capacité d’accueil du bassin de l’Allier. Le modèle de dynamique de population du saumon fournit des estimations du nombre de saumons à Vichy présents à la fin des années 70. Les effectifs observés actuellement ont été divisés par près de 5 par rapport au maximum estimé dans les années 70-80."

Le même texte annonce : "L’objectif du plan de gestion actuel 2014-2019 est l’atteinte à terme d’une population de saumons sauvages qui se renouvelle naturellement." Mais vu les introgressions génétiques fréquentes entre saumon sauvage et saumon d'élevage, la décision d'aleviner partout y compris dans la zone refuge soulève des doutes sur la réussite de cet objectif. C'est plus probablement une population de saumons d'élevage ou de saumons hybridés qui pourrait s'installer à terme dans l'Allier.

On peut qualifier cette décision de défaite de la position "naturaliste". L'idée était qu'en renaturant la rivière (notamment par la continuité écologique), on pourrait préserver et renforcer des populations sauvages de saumon sans avoir recours à la pisciculture de repopulation, qui est le choix par défaut depuis le XIXe siècle. Mais la stratégie de la renaturation ne fonctionne pas, tout du moins elle ne fonctionne pas à un niveau d'acceptabilité sociale et économique par les populations et les usagers concernés.

Ré-ensauvager la rivière pour le saumon revient à la débarrasser de ses usages humains, entre autre à faire disparaître les barrages. Une position délicate à tenir, parce que la rivière a d'autres dimensions que le saumon (ou la "naturalité" en général) pour la société. De plus, les pêcheurs forment en réalité les bénéficiaires finaux de cette politique, puisqu'ils seraient ré-autorisés à pêcher une fois la population de saumon rétablie. Cet usage correspond à une demande sociale légitime en soi, mais si les politiques publiques servent certains usagers, les autres ne seront pas forcément satisfaits des équilibres trouvés. Notamment l'électricien EDF, qui gère le barrage de Poutès-Monistrol, et les populations qui bénéficient des revenus locaux de la production hydro-électrique. L'Etat français est déjà empêtré dans son projet de destruction très vivement contesté des barrages de la Sélune (au nom du saumon encore). Et son retard sur les engagements carbone ne l'autorise pas vraiment à sacrifier ces barrages, bien au contraire : l'hydro-électricité sur les sites déjà existants (sans génie civil ni ennoiement supplémentaire) a le meilleur bilan carbone des énergies renouvelables, outre pas mal d'atouts que n'ont ni l'éolien ni le solaire.

Si ce choix de l'alevinage du saumon sur l'Allier est bien retenu, il posera donc de nombreuses questions:

  • Combien d'argent public a été dépensé sur cet axe Loire-Allier depuis 40 ans au regard du résultat obtenu sur le saumon sauvage?
  • Pour quelles causes clairement identifiées ces dépenses n'ont-elles pas suffi à restaurer efficacement une population de saumon sauvage?
  • En dehors de la politique du "toujours plus" (de dépenses, de renaturation, de destruction de barrages etc.) sans prédiction fiable sur un seuil de réussite, a-t-on des options?
  • En terme de services rendus et de diversité fonctionnelle, le retour du saumon d'élevage est-il pénalisant par rapport à celui du saumon sauvage?
  • Pourquoi ce qui ne fonctionne pas sur l'axe Loire-Allier devrait fonctionner sur l'axe Seine ou sur d'autres, dans des zones lourdement défavorables aux saumons (pollutions, colmatages, fragmentations, réchauffement, prédateurs etc.)? 
  • Quand les politiques publiques migrateurs vont-elles mettre en balance ces enjeux devant les citoyens, et avec les citoyens, en faisant notamment une présentation transparente et complète des coûts, des résultats, des conséquences sur les autres usages de la rivière?

A lire autour de ces sujets
Le saumon de l'Allier va-t-il devenir le symbole des échecs et inconséquences de la politique de l'eau? 
Des saumons, des barrages et des symboles, leçons de la Snake River (Kareiva et Carranza 2017)
Quand les saumons franchissent un seuil de moulin... en évitant les passes à poissons! (Newton et al 2017)
Hybridation génétique des saumons de la Sélune (Le Cam et al 2015)

Illustration : saumons en ferme d'élevage, CSIRO, CC VY 3.0.

23/01/2019

Les riverains demandent à la justice d'annuler le projet de destruction des barrages de la Sélune

Trois recours en justice ont été déposés contre les arrêtés de destruction des barrages hydro-électriques et des lacs de la Sélune. Le combat judiciaire s'ouvre donc tandis que la mobilisation des riverains continue sur le terrain. Sur ce fleuve normand, ce sont 20 000 citoyens qui ont refusé la disparition de leur cadre de vie imposée par le ministère de l'écologie. Casser sur argent public des outils de production bas-carbone et de retenue d'eau en pleine transition est incompréhensible. La préservation des saumons peut être assurée par d'autres moyens que ce choix disproportionné de la destruction – d'autant que les cadeaux de l'Etat au lobby des pêcheurs de saumons font douter de la sincérité écologique de ce projet. Quoiqu'il en soit, le contentieux judiciaire est désormais ouvert : nous attendons du gouvernement qu'en plein débat national sur la nécessité de mieux écouter les attentes des Français, il respecte le temps de la justice et entende toutes les parties prenantes.


Les avocats des riverains de la Sélune et de l'association les Amis du barrage ont déposé  auprès du Tribunal administratif de Caen trois recours contre la destruction des ouvrages hydrauliques annoncée par Nicolas Hulot en 2018.

Les trois procédures concernent :

  • un référé-suspension visant à obtenir la suspension des opérations de démantèlement du barrage de Vezins qui devraient intervenir dès le mois d’avril,
  • un recours de plein contentieux contre l’arrêté « complémentaire » du préfet de la Manche portant sur la démolition du barrage de Vezins,
  • un autre recours de plein contentieux contre l’arrêté « complémentaire » du préfet de la Manche portant sur la démolition du barrage de la Roche-qui-Boit.

La bataille judiciaire est donc engagée, en même temps que la bataille de terrain puisqu'une manifestation unitaire gilets jaunes - riverains avait eu lieu voici quelques semaines. Les syndicats EDF ont déjà déploré la casse de ces outils de production à l'heure où l'on proclame l'urgence climatique.

Notre association avait écrit au ministère de l'écologie, qui n'a jamais daigné répondre aux arguments avancés, ni faire la politesse d'un semblant de concertation. Le niveau de mépris de la haute fonction publique française pour les règles élémentaires du débat démocratique est devenu assez effarant...

Le projet de destruction des barrages de la Sélune est avant tout un cadeau de l'Etat au lobby des pêcheurs de saumon, alors que le gain pour cette espèce (1300 saumons remontants, moins que le nombre d'animaux tués pour la seule pêche de loisir en France) est négligeable par rapport aux coûts engagés et que le saumon est déjà présent dans les autres bassins versants des rivières de la région, ainsi qu'à l'aval des barrages sur la Sélune.

Les motifs de refuser la destruction des sites sont nombreux :
  • ce projet altère le cadre de vie des 20 000 riverains qui se sont exprimé à 99% contre la destruction de leur vallée aménagée, une protestation qui prend un sens nouveau à l'heure où la crise des gilets jaunes a révélé l'exaspération des Français face aux mesures autoritaires et punitives imposées depuis Paris,
  • ce projet a un coût public important (au moins 50 M€) et évitable, cela ne passe pas à l'heure où tout le monde est censé se serrer la ceinture, où les collectivités manquent de moyens pour des choses essentielles, où l'Etat peine à financer des dépenses publiques prioritaires,
  • ce projet contredit la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement, en détruisant des outils de production bas-carbone déjà en place et pouvant produire plusieurs décennies encore, cela alors que deux millions de Français ont demandé à l'Etat d'engager la lutte pour le climat et que le débat public sur la programmation énergétique nationale a conclu à la nécessité de développer l'hydro-électricité,
  • ce projet anéantit un écosystème de lacs et les espèces qui en profitent, ainsi que les services écosystémiques associés à ces lacs,
  • ce projet met en danger l'aval du fleuve et la baie du Mont Saint-Michel (pollution, inondation),
  • ce projet prive la population de réserves d'eau alors que tous les modèles prévoient une instabilité hydro-climatique croissante et une aggravation des étiages,
  • ce projet a une alternative énergétique et écologique viable, y compris pour transporter le saumon à l'amont des barrages et déjà vérifier que les habitats y sont propices à sa reproduction, ce qui n'est nullement garanti.
Ajoutons que le SADGE Seine-Normandie a été annulé en décembre 2018 par la justice alors que les dépenses de financement de l'agence de l'eau - principal bailleur public - pour détruire les ouvrages de la Sélune ont été votées au nom de ce texte, désormais caduc et non opposable.

Nous demandons donc au gouvernement français de revenir sur ce projet dépassé, conflictuel et contraire à l'intérêt général des citoyens. Le débarrage des rivières doit se faire quand les ouvrages sont en fin de vie et présentent des risques de sécurité. Mais l'expertise n'a rien indiqué de tel sur la Sélune.

Illustration : manifestations contre la casse des barrages et des lacs en décembre 2018, Ouest France, droits réservés.

21/01/2019

Plan saumon 2019-2014 : donnez votre avis

Pour répondre aux recommandations émises par l’organisation de conservation du saumon de l’Atlantique nord (OCSAN), la France a élaboré un plan de gestion du saumon atlantique, mis en œuvre pour les périodes 2008-2012 et 2013-2018. Lors de la session annuelle de l’OCSAN en juillet 2018, il a été demandé de renforcer les plans selon de nouvelles recommandations pour la période 2019-2024. Le nouveau plan français de gestion du saumon 2019-2024 est soumis à la consultation publique. Nous incitons nos lecteurs, et en particulier les associations en rivières salmonicoles, à y déposer leurs avis. Notre association observe pour sa part divers biais et carences dans l'action de l'Etat français. 



A la lecture des réponses françaises aux demandes de l'OCSAN, nous observons les points suivants.

- Les association de riverains, de moulins, de protection du patrimoine ne sont pas couramment invitées dans les instances de gestion du saumon en France (Cogepomi-Plagepomi) ni consultées dans la phase d'élaboration des plans par bassins versants.
Notre demande : une consultation en mode ouvert de tous les documents dans la phase d'élaboration des plans, une intégration des associations en lien à la rivière et aux ouvrages. 

- L'Etat ne produit pas de synthèse des résultats des précédents plans pour évaluer leur efficacité : sommes investies, évolutions démographiques des reproducteurs remontants, courbes de tendances par bassin, test de puissance sur la significativité des résultats par rapport à la variabilité internannuelle connue, etc.
Notre demande : un bilan complet de la politique saumon en France permettant aux citoyens de juger sur des faits et des chiffres précis.

- L'Etat ne produit aucune synthèse claire et chiffrée des objectifs du nouveau plan 2019-2024, notamment aucun objectif qui permettrait de faire le bilan de son efficacité à terme.
Notre demande : un engagement sur des résultats vérifiables dans le plan 2019-2024.

- Le contrôle de la pression de pêche manque de transparence et de cohérence, alors que le problème est connu depuis longtemps et que les structures de pêche bénéficient de soutiens publics. Ainsi, les totaux autorisés de capture (TAC) ne sont pas généralisés et/ou n’ont pas toujours les mêmes méthodologies, certains bassins sont en interdiction complète de pêche (axe Loire-Allier) d’autres non (malgré des fortes demandes du gestionnaire public aux autres usagers de l’eau pour une espèce menacée dont la pêche de loisir devient alors peu audible…), les non-déclarations de capture sont mal connues et les pressions de contrôle faibles, les effets génétiques des empoissonnements de soutien par pisciculture sont peu étudiés, les pressions en mers et estuaires sont difficilement évaluées, etc.  Il est souhaité que l’Etat français repense ces questions à nouveaux frais et que l’usage pêche fasse l’objet d’investigations scientifiques plus sérieuses, énormément ayant déjà été fait sur l’étude des autres usages. De nombreux travaux scientifiques justifient l'intérêt d'une telle enquête.
Notre demande : une analyse scientifique indépendante de la pression de pêche de loisir et de pêche commerciale en estuaire, ainsi que des empoissonnements par saumons d'élevage.

- La question de la protection et la restauration de l’habitat du saumon est entièrement centrée sur la continuité en long. C'est un biais actuel des politiques publiques de rivière en France, avec parfois une dépense indue sur des ouvrages anciens dont il a été montré qu'ils sont franchissables par des saumons. En se concentrant à l'excès sur la continuité - dont il ne fait aucun doute qu'elle est par ailleurs un point d'importance pour les migrateurs -, l'Etat ignore ou minimise les problèmes de pollution et de qualité physico-chimique de l’eau, l'évolution des apports sédimentaires (matières fines), les pathologies, le changement climatique, la prédation et les espèces invasives (silures par exemple). L'action engagée ne permet pas d'évaluer correctement le poids relatif des discontinuités par rapport à d'autres causes.
Notre demande : une analyse comparative France entière des populations de saumons entre rivière non restaurée, rivière partiellement restaurée et rivière totalement restaurée en continuité, avec descripteurs des autres impacts de bassin versant.

- La phase océanique du saumon est mal évaluée (taux de survie, évolution des ressources alimentaires en zones de grossissement, routes migratoires etc.), de même que l’évolution génétique et phénotypique des populations (tendance à la baisse de taille assez documentée, mais mal expliquée).
Notre demande : une synthèse sur les causes océaniques de variation des populations de saumon.

Conclusion
Il se pose in fine la question de «l’état de référence» pour la politique du saumon : que veut-on au juste? Les données d’histoire et archéologie environnementales montrent sans ambiguïté que le saumon était jadis répandu jusqu’en tête de nombreux bassins versants de la France métropolitaine. Il y a eu régression sur plusieurs siècles, pour de multiples causes (obstacles à la migration de plus en plus hauts, mais aussi pêches, pollutions, changements hydroclimatiques, évolutions sédimentaires liées aux usages des sols, espèces concurrentes introduites, prélèvements quantitatifs sur les débits, etc.). Certaines de ces causes correspondent aussi à l’évolution démographique, économique, technologique des sociétés modernes, et revenir au niveau de pression de la sortie du Moyen Âge (voire avant) n’est guère envisageable. Il serait donc utile d’avoir une stratégie permettant
  • d’évaluer le coût-bénéfice des mesures déjà prises ; 
  • de prioriser les choix plutôt que de disperser des financements sur un peu tous les bassins  ; 
  • d’observer, selon le niveau de pression actuel (descripteurs de qualité DCE + base usages des sols) le taux de migration-reproduction des saumons (analyse multivariée sur toutes les rivières salmonicoles),  de définir des baselines réalistes, d’estimer la robustesse de certains modèles déterministes habitat-démographie qui irriguent encore la décision, mais dont la puissance de prédictivité ne nous paraît pas assez contrôlée  ; 
  • d'évaluer l'effet des différentes stratégies de franchissement d'obstacles aux migrations (suppression, passes, rivières de contournement, ouvertures de vannes)
  • éventuellement de définir des rivières pilotes à fort investissement pour évaluer un potentiel de conquête, ses coûts et ses effets socio-économiques : 
  • de démocratiser la gouvernance de ces questions, car les choix publics en écologie sont aussi des choix sociaux excédant le cercle des experts (ou d’usagers ayant intérêt particulier à agir sur le saumon). 

Illustration : juvéniles de saumon, appelés tacons (Peter Steenstra, Green Lake National Fish Hatchery, United States Fish and Wildlife Service, domaine public). 

11/01/2019

Pêche commerciale et pêche de loisir du saumon dans l'Adour et les Gaves

A l'occasion de "l'année du saumon" en 2019, l'association pyrénéenne Salmo Tierra - Salva Tierra lance une pétition pour interdire sa pêche commerciale aux filets dérivants au niveau des estuaires du bassin Adour-Garonne. Elle rappelle que 50 millions € ont déjà été dépensés pour favoriser la migration des saumons, qui sont donc simultanément protégés et exploités avec l'aval de l'Etat. Ce qui est peu audible pour ceux à qui on demande des efforts coûteux, notamment les propriétaires des barrages et moulins, ou les riverains voyant disparaître certains sites appréciés au nom du saumon. Cette pétition concerne la pêche commerciale, mais pas la pêche de loisir, qui pose pourtant question lorsqu'elle s'exerce sur des espèces menacées, même en "no kill".  



Extraits de la pétition : 

"Le saumon sauvage de l'Atlantique a été décimé par une multitude d'agressions : les barrages, la pollution, la dégradation du lit des rivières, la surpêche en mer et en rivière, l'explosion des parasites liée à l'aquaculture, et maintenant le réchauffement climatique.

Les stocks s'amenuisent, l'espèce est déjà en voie d'extinction comme pour les axes Garonne-Dordogne, Loire-Allier, la Seine, ou encore le bassin Rhin-Meuse ... où la pêche professionnelle aura été interdite trop tard.

Alors que les saumons du bassin de l'Adour et des Gaves sont menacés de disparition prochaine, alors que 50 millions d’euros ont été investis pour faciliter leur remontée, l'Adour est la seule rivière en France et l'une des dernières d’Europe et dans le monde où est encore autorisée leur pêche aux filets dérivants, les empêchant d’atteindre leurs rivières natales pyrénéennes et de s’y reproduire.

Depuis déjà bien longtemps, tous les pays de l’atlantique-nord concernés ont interdit la pêche professionnelle et la commercialisation du saumon sauvage. 

La France s’honorerait en 2019, année internationale du saumon, à s’engager définitivement dans la protection de ce poisson-roi, emblématique de la biodiversité, qui pourrait ainsi pour tous les territoires du bassin de l’Adour, de ses vallées et de ses gaves, en redevenir le héros."

Lien vers la pétition 

Remarques sur la pétition
Le bassin Loire-allier a déjà interdit la pêche de loisir du saumon pour en préserver le stock migrateur et reproducteur : la demande de Salmo Tierra - Salva Tierra ne concerne pas cette prédation-là. Et pour cause, la présentation de cette association précise : "Pour la reconquête de nos rivières, Le saumon sera notre emblème. De l’océan nourricier aux frayères secrètes de nos Pyrénées, nous le voulons rétabli dans son abondance, symbole de gaves qui portent le rire des enfants à la baignade, le vagabondage des canoës au fil de l’eau, les repas de famille sur les berges accueillantes et la passion des pêcheurs pour le poisson roi, pour sa beauté, sa combativité, son insolence, son imprévisibilité."

Chacun est libre de ses positions en démocratie. Mais la confusion entretenue d'un discours halieutique et d'un discours écologique produit une mauvaise information pour les citoyens et le débat. On demande de dépenser de l'argent public pour un enjeu qui répond à des usages : pourquoi pas, il faut l'assumer et l'argumenter, pas juste brandir le mot "écologie" comme sésame. 

Cet extrait d'un forum de passionnés du saumon (adresse de la source) montre que certains sont sensibles au problème :



Moins de 10% des saumons attrapés par les pêcheurs de loisir sont remis à l'eau dans les Gaves, selon les chiffres donnés dans les bulletins internes de ces pêcheurs. Encore cela ne tient-il pas compte du braconnage, des pêches accidentelles, et cela n'intègre pas les problèmes que pose aussi le no-kill (blessures, contaminations, acceptabilité sociale d'une souffrance animale infligée pour le plaisir, sans besoin alimentaire ni vocation économique).

L'écologie des rivières a d'innombrables enjeux et la focalisation avec arrière-pensée sur le saumon comme symbole peut aussi conduire à des choix dont le bilan coût-efficacité est mauvais et l'acceptabilité sociale problématique (cf les réflexions des écologues américains à ce sujet, cf le cas du saumon de Loire-Allier). Il convient donc de mettre à plat les attentes, les positions et les impacts de l'ensemble des acteurs. C'est le rôle de l'Etat, à condition que celui-ci soit impartial, notamment que son agence en charge de la biodiversité coupe ses liens organiques et sa complaisance avec le monde des pêcheurs de salmonidés.

09/01/2019

Aux gorges du Pont d'Enfer du Bastan, les saumons franchissent des chutes naturelles de 5 m

Un riverain nous fait parvenir un document de l'AFB-Onema sur le Bastan, affluent de la Nive. Il en ressort que malgré des chutes naturelles de 5 m sur une assez courte distance, le classement de cette rivière à fin de continuité écologique est justifié selon les services de l'Etat, car le saumon peut franchir de tels obstacles. Dans le cadre de la définition des ouvrages prioritaires au titre de la continuité, nous appelons donc les propriétaires en rivières salmonicoles à conserver ce document et à proposer l'exemption de leur ouvrage s'il est dans des hauteurs et conditions similaires. Nous attendons par ailleurs toujours une gouvernance ouverte sur la définition des ouvrages et rivières prioritaires pour les poissons migrateurs, promise par le gouvernement mais non mise en place par son administration. 



Le Bastan est un affluent franco-espagnol de la Nive, avec 5 km de linéaire situés en France (13 km3 du bassin versant, pour un total de 60 km2).

La rivière présente des chutes naturelles au lieudit des gorges du Pont d'Enfer. Ces chutes sont composées de 3 obstacles : un premier rebond de 1,2 m, puis un massif granitique  à chenal étroit d'une hauteur de 5 m décomposable en série de chutes intermédiaires de 0,7 à 1,2 m

Un riverain a eu la surprise de voir le Bastan classé au titre de la continuité écologique, malgré ces chutes. Il a demandé à l'Onema (aujourd'hui AFB) de justifier le classement (télécharger ce document).

Voici la conclusion de l'AFB-Onema :
"Il est possible d'avancer , sur la base notamment du document ICE (Information sur la Continuité Ecologique - Evaluer le franchissement des obstacles par les poissons) en cours de parution, que les chutes naturelles du Pont d'Enfer situées en aval de la pisciculture Cabillon sont franchissables par les grands salmonidés migrateurs comme le saumon. Les difficultés de franchissement sont toutefois variables selon les conditions hydrologiques."

Donc les saumons peuvent franchir des série d'obstacles cumulant 5 m sur courte distance (dont certaines chutes de plus de 1m en débit moyen) quand ils sont naturels. On suppose que des obstacles artificiels présentant des caractéristiques similaires sont dans le même cas.

Dans le cadre de la priorisation des ouvrages hydrauliques à aménager au titre de la continuité envisagée par le gouvernement, nous demanderons que les services de l'Etat harmonisent leurs évaluations sur les exemptions d'aménagements de seuils (ou les déclassements de rivières L2 à chutes naturelles). Et que le processus se passe de manière concertée et entièrement transparente, avec dépôts des documents et compte-rendus de débats dans des répertoires ouverts à tous.

Vu l'importance du sentiment d'arbitraire dans l'instruction publique des ouvrages, les cas avérés de classements n'ayant aucune cohérence de connectivité écologique et des retours scientifiques critiques sur l'intérêt de certains choix (lire quelques références récentes en bas de l'article), il est de première importance  pour la restauration de la confiance entre les riverains et l'Etat que la pleine transparence soit désormais garantie sur les motifs et les arguments visant à classer ou non certains cours d'eau et certains ouvrages. C'est de toute façon une nécessité au regard du coût économique considérable et de la faible acceptabilité sociale de ces mesures, exigeant qu'elles soient réservées à des situations d'intérêt peu contestable.

A lire sur le même thème
Quand les saumons franchissent un seuil de moulin... en évitant les passes à poissons! (Newton et al 2017)
Le silure, le saumon et la passe à poissons (Boulêtreau et al 2018) 
Des saumons, des barrages et des symboles, leçons de la Snake River (Kareiva et Carranza 2017) 

06/12/2018

Le silure, le saumon et la passe à poissons (Boulêtreau et al 2018)

Ce pourrait être le titre d'une fable moderne de La Fontaine. Une équipe de chercheurs et ingénieurs français montre que les silures organisent leur chasse au niveau d'une passe à poissons de la Garonne et consomment jusqu'à 35% des saumons se présentant dans le dispositif. Le silure est un poisson-chat géant originaire du Danube, introduit voici cinquante ans dans la plupart de nos eaux. Il représente donc une nouvelle menace pour les grands migrateurs déjà affectés par d'autres pressions (obstacles, pollutions, surpêche, pathogènes, pertes de frayères, réchauffement, changement de cycles océaniques). Cela pose question sur les choix publics, car cette énumération des menaces anciennes ou nouvelles signifie aussi une addition des coûts sociaux et économiques si l'on souhaitait revenir à des conditions antérieures sur toutes les rivières du pays. Combien doit-on et veut-on investir (ou perdre)? Pour quels résultats? Avec quel consentement des citoyens et quels enjeux pour eux? Car ces passes à poissons coûtent cher, surtout si elles devaient devenir de simples garde-manger pour espèces opportunistes...


Les principales causes historiques du déclin mondial des salmonidés sont la fragmentation des cours d'eau, la modification de l'habitat, l'acidification, la pollution et la surexploitation. Désormais,les changements climatiques et les espèces de poissons introduites sont aussi considérés comme des menaces potentielles, quoique moins bien connues.

Stéphanie Boulêtreau et ses 5 collègues (CNRS, université Toulouse, LNHE, EDF—R&D, Migado) ont analysé les comportements des silures vis-à-vis des saumons atlantique dans la Garonne.

Comme le remarquent ces auteurs, "les introductions de poissons prédateurs de grande taille qui se nourrissent au sommet des réseaux trophiques sont réputées pour avoir un impact sur les populations de poissons indigènes et modifier les assemblages de proies ainsi que la structure du réseau trophique. Un exemple bien connu est donné par l'introduction de la perche du Nil dans des lacs africains qui ont eu un impact négatif sur les populations de cichlidés et le réseau trophique par le biais d'effets descendants".

Largement introduit dans les années 1970, le silure (Silurus glanis) est un grand poisson-chat européen répandu dans les eaux douces d’Europe occidentale et méridionale. Il a établi des populations autonomes dans la plupart des grandes rivières. Les plus grands individus peuvent mesurer plus de 2,7 m de longueur et peser 130 kg. Le silure est un prédateur potentiel pour de nombreux poissons indigènes, y compris les migrateurs diadromes (vivant alternativement en eaux douces et salées dans leur cycle de vie, avec des migrations de plus ou moins longue distance entre ces milieux).

Dans ce travail, les chercheurs ont étudié le comportement de prédation des silures au niveau d'une passe à poissons. La Garonne s'étend sur 580 km de sa source dans les Pyrénées à l’océan Atlantique. Le complexe hydroélectrique Golfech-Malause a été construit en 1971 à environ 270 km de l'embouchure de la rivière, en aval de la confluence avec le Tarn. C'est le premier obstacle à la montaisons des anadromes. La centrale a été équipée en 1987 d’un ascenseur à poisson sur la rive droite du canal de fuite.

Un comptage vidéo installé en 1993 a permis d'observer le risque de prédation, et une analyse télémétrie RFID avec caméra acoustique de poisons taggés a été organisée pour analyser les stratégies du silure.

"Nos résultats démontrent un taux de prédation élevé (35% - 14/39 indindividus) sur le saumon à l'intérieur de la passe à poisson lors de la migration de la période de frai de 2016. Nos résultats suggèrent que quelques silures spécialisés ont adapté leur comportement de chasse à de telles proies, y compris leur présence synchronisée avec celle du saumon (c'est-à-dire davantage d'occurrences d'ici la fin de la journée). De tels résultats suggèrent que la propagation du silure pourrait avoir un impact sur la migration des espèces anadromes par le biais de systèmes anthropisés."

Le fait que le saumon a une activité à dominante diurne et le silure à dominante nocturne ne prévient donc pas cette forte prédation.

Discussion
Le cas de la Garonne n'est pas isolé pour ces constats de prédation des migrateurs par des silures. Une forte expansion du silure en bassin de Loire est aussi signalée depuis quelque temps, avec des consommations d'aloses, saumons, lamproies, mulets, flets variant notamment selon la taille des individus (voir par exemple cette note de Boisneau et Belhamiti 2015).

Cette étude de Stéphanie Boulêtreau et ses collègues rappelle que les poissons ont des capacités adaptatives et des stratégies alimentaires assez élaborées. Le barrage et la passe à poisson sont un système artificiel, pour lequel les poissons n'ont évidement pas reçu de pression sélective menant à un répertoire dédié de comportement : cela n'empêche pas les individus adultes des silures de repérer l'opportunité qu'il y a à se placer à des endroits stratégiques de la passe, pour surveiller les montaisons et dévalaisons. Habituellement méprisé en raison de son absence d'expression faciale familière pour l'homme, le poisson se révèle un animal doté d'une certaine vie intérieure!

Autre enseignement de l'étude : les espèces exotiques et invasives sont en train de changer peu à peu toutes les conditions du vivant. Jadis, seuls les océans et les airs étaient libres de barrières physiques. Désormais, depuis plusieurs millénaires mais avec une forte accélération depuis un siècle, des espèces sont introduites  par l'homme dans tous les milieux terrestres. A court terme, nous observons surtout des proliférations ici ou là. Mais à long terme, ce sont toutes les cartes de l'évolution qui sont rebattues.

Comme souvent, l'étude pose question sur les choix publics. Pour certains, elle démontrera qu'il convient de démanteler tous les ouvrages des fleuves et rivières, conditions pour un retour garanti des grands migrateurs vers les têtes de bassin, puis une survie optimale de la progéniture retournant vers la mer. Pour d'autres, elles suggérera au contraire que la volonté de revenir à des conditions naturelles antérieures représente un coût et une contrainte considérables sur les usages humains de la rivière, donc que la politique de conservation des poissons migrateurs devrait se dédier à certains axes peu ou pas équipés, mais ne plus prétendre "renaturer" des systèmes ayant déjà changé et présentant désormais d'autres dynamiques.

Référence : Boulêtreau S et al (2018), Adult Atlantic salmon have a new freshwater predator, PLoS One, 13(4): e0196046.

Image : localisation de l'étude Boulêtreau et 2018 ci-dessus, organisation de la passe à poisson de Golfech sur la Garonne, droit de courte citation

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Quand les saumons franchissent un seuil de moulin... en évitant les passes à poissons! (Newton et al 2017)

15/11/2018

Débarrage de l'Aulne canalisée : effondrement de berges et nuisance aux riverains

De la confluence avec l'Hyères jusqu'à Port-Launay, le cours médian de l'Aulne coïncide avec un tronçon du canal de Nantes à Brest, aujourd'hui déclassé pour la navigation commerciale. Cette zone est attractive pour les pêcheurs à la ligne et les randonneurs du chemin de halage: elle est appelée l'Aulne canalisée. Là comme ailleurs, le lobby des pêcheurs de salmonidés fait pression pour son loisir et souhaite le "débarrage" de l'Aulne (ouverture forcée des écluses). Mais nombre de riverains n'apprécient nullement cette expérience et réclament sa fin. Les saumons peuvent remonter par des dispositifs de franchissement ou des sauts d'obstacles de moindre importance. Et les pêcheurs de ces saumons ont de nombreux autres "spots" pour leur passion. Alors, va-t-on cesser d'imposer des dogmes de continuité écologique bénéficiant à certains usages particuliers de la nature au détriment du respect de la pluralité des enjeux riverains? Ou la section canalisée de l'Aulne va-t-elle se dégrader peu à peu sous l'effet de ces débarrages qui emportent les berges et perturbent la faune ayant colonisé la zone après les interventions humaines?

Les riverains de l'Aulne canalisée se plaignent : perte de l'écosystème artificiel (poissons blancs et carnassiers notamment, mais aussi oiseaux et autres faunes aquatiques ou rivulaires) et de ses services (dont la pêche des espèces de poissons d'eaux calmes), affaissement de berges et dégradation des installations hydrauliques, moins-value paysagère. Témoignage récent sur les réseaux sociaux : "Les débarrages sur l'Aulne canalisée supposés favoriser le retour des poissons migrateurs ont un seul effet réellement visible et immédiat : la destruction des berges et des ouvrages. Photos de l'écluse 212 Méros en Plonévez du Faou. Une précédente réparation n'a pas tenue".

En image (droits réservés) :


Alors stop ou encore? Débat ou diktat? On a promis une continuité apaisée et concertée : quand elle soulève des oppositions et des refus, la "renaturation" des rivières ne doit-elle pas être révisée dans ses ambitions? Il existe en France un problème de plus en plus manifeste de conciliation entre la mise en oeuvre de certaines mesures écologiques, le recueil des avis démocratiques et l'écoute des attentes sociales. Persister dans cette voie par conformisme intellectuel ou par certitude dogmatique d'avoir raison, c'est s'enfermer dans une impasse.

10/11/2018

20 ans après la destruction du barrage de Maisons-Rouges, où en sont les grands migrateurs de la Vienne et de la Creuse?

La destruction du barrage de Maisons-Rouges sur la Vienne a libéré tous les obstacles entre la mer et les stations de comptage de Châtellerault (Vienne) et de Descartes (Creuse). Les quatorze années (Vienne) et onze années (Creuse) de suivi des migrateurs montrent des résultats inégaux, faibles pour le saumon et catastrophiques pour l'alose, avec une tendance déclinante pour la majorité des espèces sur les données et la période  disponibles. Ce qui pose diverses questions : d'où viennent au juste ces tendances? Correspondent-elles aux anticipations de gestionnaire? Que nous savons-nous réellement des déterminants d'abondance des populations piscicoles? Combien veut-on dépenser au juste sur les 100.000 obstacles que comptent les rivières françaises, pour quels services rendus à la société?

Malgré une forte opposition locale, le barrage de Maisons Rouges sur la Vienne, non loin de la confluence avec la Creuse, a été détruit en 1998 dans le cadre du Plan Loire Grands Migrateurs. A l'époque, le coût était de 12 millions de francs (2,6 millions € actuels). Les promoteurs de cette destruction (notamment les fédérations de pêche d'Indre-et-Loire et de la Vienne, le Conseil supérieur de la pêche, l'Union nationale des pécheurs, TOS (association Truite, ombre, saumon), Loire vivante) ont mis en avant le potentiel de recolonisation de la Vienne et de la Creuse par le saumon, alors disparu, l'alose, la lamproie marine, l'anguille.

La station de comptage du barrage de Châtellerault est située sur la Vienne à 270 km de l’estuaire de la Loire, en service depuis 2004. Ce barrage est devenu suite à l’arasement de Maisons-Rouges, le premier ouvrage depuis la mer pour les poissons migrateurs.

L'image ci-dessous montre le comptage de quatre espèces migratrices depuis 2004 sur la Vienne à Châtellerault.


On observe notamment :

  • les très faibles quantités de saumons (moins de 10 individus en général),
  • le déclin catastrophique des aloses,
  • la faible et inégale remontée des lamproies et des anguilles.

La station de comptage du barrage de Descartes se situe sur la Creuse à 260 km de l’estuaire de la Loire, en service depuis 2007. C’est le premier obstacle à la mer sur la Creuse, depuis la fin de Maisons-Rouges.

L'image ci-dessous montre le comptage de trois espèces migratrices depuis 2007 sur la Creuse à Descartes.


On observe notamment

  • les faibles quantités de saumons (autour de 100),
  • le déclin catastrophique des aloses,
  • les quantités inégales, souvent faibles et tendanciellement déclinantes de lamproies marines.

Ces données montrent donc un effet faible pour le saumon, un échec pour l'alose, un succès relatif pour l'anguille et les lamproies, avec des tendances sur 15 ans qui sont déclinantes pour la majorité des espèces. On constate qu'il existe une forte variabilité inter-annuelle, qui n'est plus explicable par la discontinuité en long depuis l'effacement de Maisons-Rouges.

Plusieurs questions se posent pour les gestionnaires :

  • quels étaient les chiffres anticipés dans les années 1990 pour les grands migrateurs de la Vienne et de la Creuse, et ces chiffres sont-ils atteints ?
  • quel a été le coût total des aménagements engagés sur ces axes, depuis les premiers plans migrateurs du milieu des années 1970?
  • pourquoi a-t-on des résultats très inégaux, et mauvais pour certaines espèces?
  • avant de continuer à dépenser des sommes importantes et d'induire des nuisances sociales sur les effacements d'ouvrages hydrauliques, n'est-il pas opportun d'avoir de bonnes explications et des capacités prédictives solides sur les variations des populations de poissons?
  • les services rendus à la société par les grands migrateurs justifient-ils une politique de restauration tous azimuts pour ces espèces spécialisées? 
On aimerait avoir une discussions transparente de ces points, au lieu de l'actuelle autosatisfaction du gestionnaire public martelant la supposée nécessité d'une course en avant sans réel retour critique sur sa politique de restauration de rivière

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15/06/2018

Lettre à Justine Roulot sur les enjeux de la Sélune

Notre association répond au courrier de Justine Roulot (conseillère biodiversité, eau et mer du ministre de l'écologie) sur le projet contesté de destruction des barrages de la Sélune. En particulier, nous rappelons que le potentiel salmonicole du cours d'eau ne peut être considéré comme "exceptionnel", que des options non-destructrices permettent d'engager et vérifier les opportunités de recolonisation par le saumon, que les nouveaux écosystèmes formés par les lacs ne doivent pas être négligés au prétexte de leur origine humaine. Outre son coût exorbitant au plan financier et son effet négatif sur les services écosystémiques, ce projet d'effacement des ouvrages de la Sélune n'a pas aujourd'hui la maturité suffisante pour être accepté par les populations riveraines. A quoi bon s'enfermer dans une écologie de la division, surtout promue pour des motifs halieutiques, à l'heure où les initiatives pour la biodiversité ont besoin de rassembler les citoyens? 



Le 5 juin dernier, vous avez répondu à l’interpellation dont a fait l’objet M. le ministre d’Etat Nicolas HULOT à propos du projet actuel de destruction des lacs et barrages de la Sélune. Cette réponse a été rendue publique. Le présent courrier l’est aussi, puisque notre association milite pour un débat démocratique ouvert sur ces questions.

Vous relevez que la destruction des ouvrages de la Sélune s’inscrit dans le cadre du Plan d’action pour la restauration de continuité écologique des cours d’eau (PARCE 2009). Vous n’êtes pas sans ignorer que ce Plan a fait l’objet de nombreuses critiques depuis son lancement :
  • deux rapports du conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD 2012, CGEDD 2016) dont la plupart des préconisations n’ont pas à ce jour été prises en compte par l’administration de votre ministère en charge de l’eau et de la biodiversité ;
  • près d’une centaine d’interpellations parlementaires des ministres successifs en charge de l’environnement depuis 2010, ayant notamment conduit Mme Ségolène ROYAL à demander en 2015 aux préfets de cesser les opérations de continuité écologique ne rencontrant pas des conditions apaisées de consensus local ;
  • déjà quatre évolutions législatives entre 2015 et 2017 (modifiant les art L211-1, art. L214-17 et art. L214-18-1 code environnement) ayant conduit à poser que la continuité écologique doit se rendre compatible avec les autres dimensions d’intérêt général de l’eau, qu’il s’agisse de la production d’énergie bas carbone, du patrimoine historique et industriel, des réserves d’eau à l’étiage et de la gestion des crues, de l’adaptation des vallées aux défis que posera le changement climatique dans les prochaines décennies ;
  • une recherche observant de fortes divisions sociales dans la représentation des rivières et une dimension subjective dans l’appréciation de ce que devraient être les priorités écologiques (voir le livre collectif de Barraud et Germaine 2017)
La restauration de continuité en long des rivières est l’une des politiques publiques de l’environnement les plus contestées en France en raison de sa gouvernance fermée, de ses nuisances aux riverains et de ses divers effets négatifs, y compris parfois écologiques : c’est dans ce contexte que l’opportunité de poursuivre ou non des projets anciens sur la Sélune doit s’apprécier aujourd’hui.

L’association des Amis des barrages de la Sélune vous a déjà rappelé les nombreuses raisons pour lesquelles la destruction des sites de la vallée est refusée par les parties prenantes impactées. Nous les rappelons pour mémoire : disparition du cadre de vie majoritairement apprécié par les riverains, crainte des élus sur l’aggravement du risque inondation pour les crues à temps de retour fréquent, perte de la principale réserve d’eau potable de la région, sacrifice d’une unité de production renouvelable en pleine transition et ce malgré le retard français en ce domaine, disparition de la fonction de stockage et épuration des polluants des retenues, avec pression supplémentaire sur la baie du Mont Saint-Michel et ses activités. Les services écosystémiques associés aux retenues sont ainsi détruits par le projet.

Outre cet enjeu local, la propriété des sites par l’Etat et par EDF comme le coût public considérable de l’opération (déjà 45,6 M€ engagés par l’agence de l’eau Seine-Normandie entre 2012 et 2018) en font également une question de politique générale, touchant tous les citoyens dont les taxes sont utilisées à fin de détruire les ouvrages.

Ce projet est également mis en avant comme un test ambitieux de «renaturation» associé à une vaste étude scientifique de suivi des effets. Mais ainsi présenté, cela revient à dire aux habitants que leur vallée est mise sous cloche et qu’ils seront les cobayes d’une expérimentation grandeur nature où leur consentement n’est pas requis. Faut-il s’étonner d’avoir des réticences face à cette manière de faire d’un autre âge ? M. Edouard PHILIPPE n’a-t-il pas souligné dans le cas de Notre-Dame-des-Landes qu’un projet structurant est impossible à mener à bien sans une pleine implication du territoire, ce qui suppose qu’il n’y ait pas de division forte ?

Des chercheurs en sciences sociales ont observé que la gouvernance de ce chantier est problématique depuis son origine (voir Germaine et Lespez 2017), ce qui a empêché une appropriation locale et une articulation démocratique des enjeux. L’enquête publique de 2014 a produit une très courte majorité en faveur de la destruction (53 versus 47%), actant déjà la division des esprits. Mais le résultat de cette enquête a surtout été biaisé par la mobilisation électronique du lobby international des pêcheurs de saumons – principale force de soutien à la destruction, pour des raisons halieutiques davantage qu’écologiques. Un loisir individuel fondé sur le stress et la prédation des animaux sauvages peut difficilement être un motif suffisant pour modifier une vallée entière et investir des dizaines de millions € d’argent public.

Dans toutes les questions de continuité écologique que nous suivons depuis le PARCE 2009, la sincérité, la rigueur et la précision de la parole publique forment un enjeu essentiel. Les citoyens sont excédés quand ils ont le sentiment d’être trompés ou manipulés.

Pour la Sélune, vous évoquez dans votre courrier du 5 juin un « potentiel exceptionnel » pour les poissons migrateurs, anguilles et surtout saumons. C’est aujourd’hui le principal argument en faveur de la destruction des barrages. Il est audible : améliorer les conditions d’espèces menacées est légitime, à condition que les coûts soient proportionnés aux enjeux et que ces enjeux soient assez significatifs pour produire un large accord chez les riverains et usagers.

Est-ce le cas? Nous aimerions relativiser votre propos sur le caractère «exceptionnel» du bénéfice écologique du chantier de la Sélune à la lumière des faits suivants :
  • La seule estimation publiée à ce jour (Forget et al 2014), sur la base d’un modèle déterministe, fait état d’un potentiel de 1314 saumons supplémentaires. A titre de comparaison, la destruction des deux barrages de l’Elwha aux Etats-Unis représente un potentiel de retours annuels d'anadromes estimé entre 380.000 et 500.000 individus (Pess et al 2008). On voit la différence entre une opération réellement « exceptionnelle » et une autre beaucoup plus modeste.
  • 4 rivières à salmonidés et migrateurs se jettent dans la baie du Mont-Saint-Michel: la Sienne (92,6 km), la Sée (78,1 km), le Couesnon (97,8 km) et la Sélune (84,7 km). Non seulement la Sélune n'est pas le fleuve le plus long, mais d'autres ont fait l'objet de tentatives de restauration pour le saumon avec des résultats mitigés, malgré des alevinages massifs. Il faudrait procéder à une analyse bien plus approfondie de ces conditions locales et des probabilités de succès.
  • On trouve aujourd’hui un total de 1635 km de linéaires de rivières salmonicoles en Seine-Normandie, le gain d’habitat de l'effacement des barrages sur la Sélune représente 3,5% de ce linéaire total. Outre la Seine-Normandie, les rivières côtières salmonicoles sont présentes sur toute la façade atlantique de l'Aquitaine à l'Artois, et de grands bassins font l'objet de suivis et aménagements pour être rendus accessibles (Loire, Allier, Garonne, Dordogne, Adour, Somme, Rhin, etc.). Le gain de linéaire sur la Sélune rapporté au potentiel salmonicole français devient alors quantité plus négligeable. Ce qui pose la question de son coût considérable.
  • Le projet est censé structurer la vallée à échelle de ce siècle, or on ne trouve aucune information sur les projections climatiques à horizon 2100 et leurs effets pour les phases de vie continentale et océanique des saumons atlantiques. 
  • Entre 2500 et 3000 saumons sont capturés par les pêcheurs chaque année en France (chiffres Onema 2012), donc le gain espéré pour l'espèce menacée sur la Sélune serait inférieur d'un facteur 2 aux seules pertes de prédation dues au loisir pêche (hors braconnage, mortalités accidentelles, etc.). Si un gain de 1300 saumons est jugé « exceptionnel », cela devrait conduire votre ministère à interdire rapidement la pêche du saumon pour les pertes « exceptionnelles » de géniteurs qu’elle engendre…
  • Le repreneur industriel des barrages de la Sélune se propose de procéder pendant la nouvelle concession de 30 ans à des captures et relargages de saumons remontants, comme cela se pratique un peu partout dans le monde, et sur plusieurs rivières françaises dans le cadre de la gestion EDF de grands barrages. Cette solution n’est évidemment pas l’idéal, mais elle permet déjà de tester la qualité des habitats en amont de la Sélune, dont un rapport avait souligné le caractère très dégradé (étude Hydroconcept / Fédération de pêche Manche 2010). Cette issue paraît une étape raisonnable en vue de préparer un éventuel effacement, qui aurait lieu s'il était nécessaire dans des conditions plus consensuelles et sur la base de données plus solides quant au potentiel salmonicole de long terme. Une partie des équipes scientifiques pressenties pour étudier l’effacement pourrait être mobilisée sur l'accompagnement de cette première phase de recolonisation. 
Les salmonidés et plus généralement les poissons migrateurs ne résument pas tous les enjeux écologiques. Les lacs de la Sélune forment ce que l’on nomme désormais en écologie de la conservation des «nouveaux écosystèmes», appelant un mode de décision adapté (voir récemment Backstrom et al 2018, ainsi que Beatty et al 2017 sur la réévaluation du rôle des retenues comme refuges en période de changement climatique). Ces lacs sont certes défavorables à certaines espèces pisciaires qui remontaient jadis la Sélune, mais ils ont été colonisés par de nombreuses autres après leur création.

Détruire les hydrosystèmes en place a aussi de nombreux désavantages écologiques, comme l’a relevé le rapport de diagnostic fait par Artelia en 2014 et comme le soulignent des riverains :
  • disparition de la réserve d’habitats que peut constituer la retenue en période de très basses eaux dans le cas d'un cours d’eau soumis à des étiages sévères,
  • destruction de l’alimentation des zones humides dans les zones déprimées en fond des vallons,
  • mortalité d’une partie de la ripisylve de la retenue du barrage dont les racines seront exondées,
  • réduction de zones favorables aux espèces des milieux lentiques (brème, brochet, gardon, carpe, perche, sandre, tanche),
  • destruction des conditions favorables au développement du phytoplancton et de certaines macrophytes, disparition des vasières et des espèces inféodées à ce milieu (limoselle aquatique, scirpe à inflorescence ovoïde, léersie faux-riz), 
  • perte d'habitat et nourrisserie pour l'avifaune, dont certaines espèces protégées (hirondelle de fenêtre, bergeronnette des ruisseaux, chevalier guignette, grèbe huppé, héron cendré, grand cormoran, bouscarle de Cetti, martin pêcheur d’Europe, troglodyte mignon, bondrée apivore, pic épeichette),
  • perte d'habitat pour les amphibiens et urodèles (grenouille agile, crapaud commun, salamandre tachetée, triton palmé), risque de disparition de certains insectes protégés (gomphe semblable),
  • menace sur les colonies de chiroptères (petit rhinolophe, murin à oreilles échancrées, murin de Daubenton).
Sur ce point, aucune étude n’a démontré que le projet de destruction des lacs de la Sélune évite une perte nette de biodiversité, et cette carence rend problématique l’hypothèse d’un arrêté préfectoral de destruction suite aux évolutions nées de la loi dite de biodiversité de 2016.

Au-delà de la question juridique, c’est la représentation sociale de la biodiversité que votre ministère gagnerait à questionner. Nous vivons dans une zone européenne où l’influence humaine est multimillénaire et où la plupart des milieux sont en réalité des hybrides de trajectoires naturelles et de contributions anthropiques. Développer des politiques publiques de «renaturation»  a un coût important pour des bénéfices à long terme parfois incertains au plan biologique et souvent discutés au plan social. Considérer la biodiversité in situ – endémique comme acquise – plutôt que viser le retour hypothétique à une biodiversité passée paraîtrait un choix préférable pour définir les priorités d’investissements. A l’heure où l’on documente dans tant de nos régions un déclin massif et alarmant de cette biodiversité ordinaire des insectes, oiseaux, amphibiens, poissons ou petits mammifères, il serait contre-productif d’investir des sommes disproportionnées sur des opérations dont les dimensions sont plus symboliques et halieutiques qu’autre chose.

Il s’agit aujourd’hui pour notre pays de réunir les citoyens autour d’enjeux de biodiversité : le projet de destruction des lacs et barrages n’a pas la maturité suffisante pour y aboutir dans de bonnes conditions. Nous vous demandons donc de poser un moratoire sur son exécution. Les options existent pour l’Etat, qui a toutes les cartes en main : classement en masse d’eau fortement anthropisée au titre de la DCE, déclassement de la liste 2 du L 214-17 CE en raison du coût disproportionné de la mise en conformité, poursuite de la concession avec mesure de sauvegarde du saumon. L’alternative serait un engagement dans un long conflit judiciaire et politique, un chantier imposé à des habitants qui n’en veulent pas, une image encore un peu plus ternie d’une continuité écologique dont la mise en œuvre pose déjà problème partout.

Nous ne voulons pas croire que le gouvernement fera ce choix de la division et de la confusion, au moment où un plan ambitieux de protection de la biodiversité doit engager tous nos concitoyens.

Références citées
Backstrom AC et al (2018), Grappling with the social dimensions of novel ecosystems, Front Ecol Environ, 16, 2, 109-117.
Barraud R, MA Germaine (ed) (2017), Démanteler les barrages pour restaurer les cours d’eau. Controverses et représentations, Quae, Paris, 240 p.
Beatty S et al (2017), Rethinking refuges: Implications of climate change for dam busting, Biological Conservation, 209, 188–195
Forget G. et al (2014), Estimation des capacités de production en saumon du bassin de la Sélune après la suppression des deux barrages de Vezins et de la Roche-qui-Boit, 8 p., non publié.
Germaine MA, Lespez L (2017), The failure of the largest project to dismantle hydroelectric dams in Europe? (Sélune River, France, 2009-2017), Water Alternatives, 10, 3, 655-676
Onema (2012), La pêche du saumon en France en 2011 et 2012, 6 p.
Pess GR et al (2008), Biological Impacts of the Elwha River Dams and Potential Salmonid Responses to Dam Removal, Northwest Science, 82, 72-90.

05/05/2018

Contentieux, manifestation : la bataille de la Sélune est engagée

Le scandaleux projet de destruction des barrages et lacs de la Sélune suscite une opposition croissante. Le préfet de la Manche alterne des propos lénifiants et autoritaires, admettant désormais que le projet "remet en cause un mode de vie", ce qui ne calme nullement la population sacrifiée au saumon. Pendant ce temps-là, le ministre de l'écologie pratique la concertation par communiqués et tweets depuis ses bureaux parisiens, confirmant et amplifiant le mépris des riverains à l'oeuvre dans ce projet depuis ses origines. Un élu local vient de déposer un premier contentieux pendant que l'association des amis des barrages lance une série de manifestations. Nous combattrons les arrêtés de destruction devant les cours de justice, et demanderons la pause des travaux le temps que les juges disent le droit. Donc le gouvernement ferait mieux d'abattre ses cartes au lieu de multiplier des diversions inutiles. 



Le 3 mai 2018, une convention de "suivi scientifique de la renaturation de la vallée de la Sélune" a été signée à Isigny-le-Buat (Manche) entre l'Etat et divers partenaires choisis. Le procédé est quelque peu étrange puisque la seule communication de l'Etat sur ce dossier de "renaturation" est un communiqué lapidaire et méprisant du ministre de la Transition écologique et solaire, ayant suscité la colère des associations, élus et riverains. Nicolas Hulot semble devenu expert de la communication par déclarations et tweets depuis son ministère (ce qui ne va pas vraiment arranger l'image d'un gouvernement perçu comme trop technocrate, trop coupé des citoyens, et en particulier en conflit avec la ruralité...)

Revenons au réel : l'Etat peut toujours multiplier des effets de communication et essayer de faire croire que son projet jouit d'un large soutien au-delà du lobby des pêcheurs de saumon et de quelques alliés de ce lobby, mais on n'efface pas deux barrages sans produire des arrêtés en ce sens. Ces arrêtés seront attaqués en justice, donc le gouvernement serait avisé de procéder dans le bon ordre et de déclarer son projet.

Au cours de la signature de cette convention à Isigny-le-Buat, le préfet de la Manche a admis : "Pour quelqu'un qui a toujours vécu avec ces paysages, c'est assez difficile et je le comprends. Quand vous avez vécu 40 ans avec un barrage, un plan d'eau élargi, forcément, ce type de projet remet en cause un mode de vie et une façon de regarder et d'aborder la rivière. Tout cela est perturbant. Ce qui explique certaines réactions un peu hostiles. Les hommes font aussi partie de ce paysage (activités humaines, agricoles, économiques, etc.). C'est souvent l'inconnu qui fait peur."

En effet, ce projet altère le cadre de vie des 20 000 riverains qui se sont exprimé à 99% contre la destruction de leur vallée aménagée. Mais ce n'est pas "la peur" qui les anime. La destruction des barrages et lacs de la Sélune est critiquée pour des raisons bien précises :
  • ce projet a un coût public important (au moins 50 M€) et évitable, cela ne passe pas à l'heure où tout le monde est censé se serrer la ceinture, où les collectivités manquent de moyens pour des choses essentielles, où l'Etat peine à financer des dépenses publiques prioritaires,
  • ce projet contredit la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement, en détruisant des outils de production bas-carbone déjà en place et pouvant produire plusieurs décennies encore,
  • ce projet anéantit un écosystème de lacs et les espèces qui en profitent, ainsi que les services écosystémiques associés à ces lacs,
  • ce projet met en danger l'aval et la baie du Mont Saint-Michel (pollution, inondation),
  • ce projet prive la population de réserves d'eau alors que tous les modèles prévoient une instabilité hydro-climatique croissante et une aggravation des étiages,
  • ce projet a des bénéfices très modestes pour le saumon (1300 géniteurs au maximum) et disproportionnés à ses coûts par rapport aux standards internationaux en restauration de continuité migrateurs sur des grands barrages,
  • ce projet a une alternative énergétique et écologique viable, y compris pour transporter le saumon à l'amont des barrages et déjà vérifier que les habitats y sont propices à sa reproduction, ce qui n'est nullement garanti.

Les conséquences ne se font pas attendre.

Bernard Pinel, ex-conseiller général et maire honoraire d'Isigny-le-Buat, a déposé un recours, le 6 avril 2018 au tribunal administratif de Caen (Calvados), contre la décision d'arasement des barrages du sud-Manche.

Par ailleurs, les Amis des barrages (ADB) se mobilisent, le 5 mai 2018 à Ducey. Pour John Kaniowski, président des ADB, "il s'agit de marquer le début d'une série d'actions ponctuelles et brèves visant à montrer notre opposition à la destruction immédiate des barrages de Vezins et la Roche-qui-Boit".

L'association Hydrauxois participera aux contentieux contre les futurs arrêtés de destruction des barrages et lacs de la Sélune dans le cadre du collectif national de défense de la vallée, qui a déjà écrit à Edouard Philippe en mars dernier. Nous appelons toutes nos consoeurs à exprimer leur solidarité avec les riverains de la Sélune, et à participer en septembre prochain à la fête annuelle des barrages pour organiser la résistance aux projets inutiles et imposés de l'Etat.

Illustration: Barrage de Vezins, Christophe Jacquet, CC BY-SA 1.0

04/04/2018

Critique du plan de gestion des poissons migrateurs Bretagne 2018-2023

La Bretagne va se doter d'un nouveau plan sur les poissons migrateurs (PLAGEPOMI) pour la période 2018-2023. Le bilan du plan précédent fait apparaître divers résultats décevants malgré les efforts engagés. Le nouveau PLAGEPOMI est en consultation publique jusqu'au 10 avril 2018 et nous invitons les propriétaires riverains, associations et autres acteurs concernés en Bretagne à exprimer leurs remarques. 

Le code de l’environnement (article R436-45) prévoit qu’un plan de gestion des poissons migrateurs (PLAGEPOMI) est établi par bassin, cours d’eau ou groupes de cours d’eau. Un nouveau plan est proposé pour la Bretagne soit l’ensemble des cours d’eau du bassin Loire-Bretagne dont l’embouchure est située dans les départements de la Manche, d’Ille-et-Vilaine, des Côtes-d’Armor, du Finistère et du Morbihan ainsi que leurs affluents.

Les espèces cibles sont le saumon atlantique (Salmo salar), la grande alose (Alosa alosa), l’alose feinte (Alosa fallax), la lamproie marine (Petromyzon marinus), la lamproie fluviatile (Lampetra fluviatilis), l’anguille (Anguilla anguilla), la truite de mer (Salmo trutta), le mulet porc (Liza ramada), le flet commun (Platichthys flesus).

Parmi les rivières concernées :  Rance, Seiche, Vaunoise, Vilaine, Aron, Semmon, Ille, Ise, Chère, Don, Isac, Couesnon, Loisance, Guerge, Aff, Arz, Oust, Trévelo, Claie, Sal, Loch, Liziec, Bilaire, Etel, Evel, Kersalo, Blavet, Scorff, Scaff, Yer, Aer, Stang Hingant, Ellé-Isole-Laïta, Aulne.

Des espèces qui ne semblent pas toujours profiter des choix d'investissement
A cette occasion, un bilan est fait du précédent plan 2013-2017. Celui-ci a engagé "131 actions dont 39 qui concernaient toutes les espèces, 24 uniquement le saumon, 25 uniquement l’anguille, 16 uniquement les aloses, 11 les lamproies marines et fluviatiles et 16 la truite de mer, le flet et le mulet porc".

Les quelques données chiffrées posent question. 

Voici par exemple les résultats des indices d’abondance de juvéniles de saumons de 1997 à 2017.


Il est noté : "Sur les 15 années de suivi, la moyenne régionale pondérée est stable, elle est de 35,8 sur la période 2001-2005, 35,9 sur la période 2006-2011 et 35,4 pour 2012-2017". On se demande donc pourquoi les lourds investissements en faveur du saumon (suppression et aménagement de barrage, restauration d'habitat) ne donnent pas de résultats tangibles sur leur abondance. D'autres causes sont-elles impliquées? A-t-on une explication scientifique à peu près rigoureuse et permettant de faire des prédictions testables?

L'évolution de l’alose sur la Vilaine à la station de vidéocomptage d’Arzal (56) est tout aussi énigmatique.


On voit des abondances très faibles entre 1996 et 2001, une croissance brusque puis un seuil élevé entre 2002 et 2011, enfin un effondrement en 2012 et des années récentes à effectifs réduits. Pourquoi la démographie de l'alose présente-t-elle ce profil? Y a-t-il un rapport entre les actions menées et les résultats mesurés?

Planifier une action sur les grands migrateurs suppose que l'on comprend et évalue correctement le poids des facteurs expliquant leurs variations. Les exemples lacunaires donnés dans le bilan 2013-2017 n'incitent pas à penser que c'est le cas.

Nos réserves sur ce PLAGEPOMI
Les riverains peuvent consulter le PLAGEPOMI Bretagne 2018-2023 à ce lien et donner leur avis. En points critiquables sur ce PLAGEPOMI, nous ferons observer pour notre part :

- aucune analyse coût-bénéfice n'est menée, on continue de programmer des dépenses sans souci de vérifier l'efficacité en terme de conservation ou la solvabilité des mesures proposées,

- aucun bilan critique n'est mené, alors que les données fournies du bilan du PLAGEPOMI 2013-2017 ne montrent pas de changement remarquable par rapport à la décennie précédente

- les préconisations restent très centrées sur la franchissabilité et la morphologie, le plan ne prévoit pas d'action de connaissance ou d'intervention sur les pollutions (des têtes de bassin à l'estuaire), les prélèvements d'eau, etc. au prétexte que d'autres outils y travaillent. Mais cette gestion en silo nuit à l'approche intégrée des enjeux écologiques et à la priorisation objective des mesures

- il est désigné 262 "ouvrages [hydrauliques] à enjeu essentiel" (au sein des liste 2 du 214-17CE ou parfois hors d'elles) mais les critères de franchissabilité en montaison ne sont pas clairs (alors que des travaux de recherche récents ont pu montrer que le saumon atlantique préfère parfois remontrer sur les parements de seuils de moulins anciens qu'utiliser des passes à poissons, cf Newton et al 2017, ce qui pose question sur les coûts imposés dans ce cas)

- les solutions de franchissement (ouvertures de vanne, passes rustiques ou techniques, rivière de contournement) doivent être privilégiées sur les ouvrages d'intérêt patrimonial, paysager, énergétique ou écologique, mais il est indispensable de flécher dès la programmation des financements publics au regard du coût inaccessible pour les particuliers ou petites collectivités

- la pratique de pêche de loisir continue de faire l'objet d'un traitement préférentiel, sans étude scientifique indépendante de son impact, sans pression de contrôle suffisante sur les totaux autorisés de capture et sans expérimentation utile à la conservation (par exemple mise en réserve de cours d'eau entiers sur longue période). Déjà des mesures du PLAGEPOMI 2013-2017 concernant la pêche avaient été non réalisées

- la pratique d'élevage et de repeuplement est insuffisamment encadrée pour ses effets négatifs sur les stocks d'espèces sauvages, pourtant documentés en recherche internationale

- les phases marines et estuariennes de la migration ne font pas l'objet d'études ou de protections suffisantes

- la multiplicité des structures, plans et schémas (PLAGEPOMI, SDAGE, SAGE, DOCOB Natura 2000, PAMM, PDPG, TVB, PARCE, PAOTT, CEPR, PBE, PTE…) induit des complexités inutiles, des dépenses évitables et un manque général de lisibilité de l'action publique. L'environnement est déjà un domaine en carence de financement, c'est dommage de voir ces coûts empilés de gestion et programmation empiéter sur les maigres dotations.

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Pêcheurs-moulins-riverains: définir les conditions de bons rapports
Les COGEPOMI et PLAGEPOMI ont été mis en place en étroite association avec des instances de pêche. Le principal et quasi-unique enjeu social associé aux poissons migrateurs dans leur phase d'eau douce est en effet la pêche de loisir. Les moulins, riverains et pêcheurs gagnent à s'entendre pour une gestion concertée de la continuité écologique, une protection des rivières et plus généralement un respect mutuel des usages. Ce n'est pas toujours le cas : certaines structures de pêche militent parfois pour des positions intolérantes et contestées (pression à la destruction d'ouvrages, demandes exorbitantes par rapport aux enjeux, refus des autres usages de l'eau, indifférence à la biodiversité autre que celle des salmonidés, etc.) de même qu'elles peuvent développer des pratiques contestables. Si des AAPPMA adoptent ces attitudes sur les bassins non domaniaux de Bretagne où vous êtes propriétaires / riverains, nous vous suggérons de contacter Hydrauxois afin d'organiser en réponse une campagne de contrôle et régulation de leurs droits de pêche. Il est désormais important de poser les conditions d'un respect mutuel de l'ensemble des dimensions de la rivière, de favoriser les attitudes tolérantes et de sanctionner les autres, d'actionner tous les leviers disponibles à cette fin.