21/05/2018

Encore un "nouveau" Poutès : l'Etat très compréhensif sur les barrages EDF

La Dreal Auvergne-Rhône-Alpes vient de mettre en consultation du public un arrêté préfectoral concernant le barrage de Poutès-Monistrol, sur l'Allier. L'exploitant EDF, qui avait obtenu une nouvelle concession en 2015, a souhaité lui apporter un avenant avec des conditions plus avantageuses d'exploitation. Les pouvoirs publics se montrent intraitables sur le soi-disant impact de moulins pluricentenaires, n'ayant pas empêché les saumons d'être observés en têtes de bassin jusqu'au XIXe et parfois XXe siècle, mais ils font preuve d'une étonnante compréhension quand le propriétaire est un industriel à capitaux publics. Il est vrai que le maintien de Poutès avait été négocié en 2009-2010 en échange du sacrifice des barrages de la Sélune. Car cela se passe comme ça, au pays des bureaucraties opaques…



Le barrage de Poutès  fait partie de l’aménagement hydroélectrique de Monistrol-d’Allier, en Haute-Loire. Il est géré par EDF. Un réseau de trois barrages et retenues est relié à l’usine de Monistrol-d’Allier, exploitant l’eau captée sur l’Ance du Sud (barrages de Saint-Préjet et Pouzas) et sur l’Allier (barrage de Poutès). La hauteur de chute entre la prise d'eau de Poutès et l'usine est de 64 m. Sa production représente l’équivalent de la consommation domestique d’environ 36 000 personnes.

Le barrage de Poutès a une hauteur de 17 m et il est difficilement franchissable par les poissons, malgré des aménagements (ascenseur, passe). Le saumon sauvage de l'Allier a donc un accès limité aux meilleures zones de frayères, qui sont situées vers les sources, en amont du barrage. Sa retenue occasionne des retards en dévalaison, outre la mortalité en turbine.

Depuis près de 30 ans, des pêcheurs et des écologistes contestent l'existence du barrage de Poutès, demandant sa destruction. Ils n'ont pas obtenu gain de cause : lors des négociations ayant présidé au Plan de restauration de la continuité écologique de 2009 et à la Convention d'engagement pour le développement d'une hydroélectricité durable de 2010, il a été décidé de sacrifier les barrages de la Sélune et de conserver ceux de l'Allier.

Concernant Poutès-Monistrol, un accord avait été trouvé dans les années 2010 pour un "nouveau Poutès". Ce projet, matérialisé par l'arrêté préfectoral  du 22 juillet 2015, a d'abord vu l'exécution des travaux repoussée car EDF arguait d'une baisse de ses revenus, elle-même consécutive à une baisse du prix de l'électricité sur le marché européen. Finalement, EDF a demandé un avenant - objet de la consultation publique - pour ce qui est appelé le "Nouveau Poutès Optimisé". En substance :

  • la hauteur du barrage devait être réduite à 3,9 m, elle est remontée à 7 m, 
  • le débit turbiné devait être réduit à 20 m3/s, il est remonté à 28 m3/s, réduisant d'autant le débit du tronçon court-circuité,
  • le dispositif ascenseur et passe est maintenu, et optimisé,
  • le passage libre en dévalaison (sans turbinage) sera garanti 91 jours, sur des périodes non spécifiées pour le moment,
  • des grilles fines passent de 20 à 12 mm.

A l'appui de ses propositions, EDF souligne que le régime temporaire d'exploitation depuis 2016 a permis de faire des études de comportement du saumon. Le fait de surélever le barrage de 3 m par rapport à la concession de 2015 ne change guère la longueur de la retenue (350 à 400 m). L'amélioration pilote de la dévalaison a permis de réduire le temps de passage des juvéniles dévalants de 20 jours à 3,6 heures.

En revanche, la rehausse du barrage devrait diminuer le gain prévu en montaison, puisque les saumons remontants retrouveront un dispositif plus complexe qu'une simple passe à poissons.

La plupart des élus locaux sont favorables au maintien des barrages. Le monde des pêcheurs de saumon et des écologistes est divisé. Certains refusent toujours l'existence du barrage ou souhaitent le voir réduit à une hauteur minimale. Ils critiquent par ailleurs l'idée d'une compensation par le Conservatoire national du saumon sauvage de Chanteuges, considérant que le remplacement du saumon sauvage par du saumon d'élevage dégrade la souche de l'axe Loire-Allier et ne peut apporter de solutions durables. D'autres acceptent le maintien du barrage et, s'ils préfèreraient en soi une rivière sans ouvrages ou autres impacts, considèrent que la salmoniculture apporte au moins un soutien de peuplement sur un axe où le risque de disparition reste élevé. Les considérations économiques et touristiques ne sont pas éloignées des esprits: la pêche au saumon est actuellement interdite en Loire-Allier, mais une hausse démographique liée à l'élevage permettrait de la rouvrir sur certains tronçons. Certaines instances de pêche soutenues par des élus locaux ont déjà avancé des propositions en ce sens.

Pour conclure, nous observons le déséquilibre habituel des instructions de l'Etat. Les mêmes pouvoirs publics qui ont engagé le programme inouï et absurde de destruction des moulins et étangs d'Ancien Régime sur les rivières françaises se montrent bien plus compréhensifs dans la gestion de la plupart des grands barrages, qui ont pourtant un impact nettement plus conséquent et qui ont toujours été au coeur de la littérature scientifique sur la continuité écologique. On ne connaît pas beaucoup de propriétaires privés de site modeste qui pourraient, comme EDF, renégocier avec le préfet les conditions d'existence et d'exploitation de leur ouvrage hydraulique. Dans le même temps, après la première annonce surprise de C. Jouanno en 2009, le gouvernement accorde à la contestation écolo-halieutique et par simple communiqué de N. Hulot la victime expiatoire  de la vallée de la Sélune, deux barrages dont la destruction est envisagée aujourd'hui, au grand dam des 20000 riverains sacrifiés. Mais comme l'avaient observé les biologistes Peter Kareiva et Valerie Carranza, la gouvernance par les symboles n'est pas vraiment ce dont a besoin l'écologie de la conservation. La gouvernance par des arbitrages opaques, arbitraires et contradictoires non plus.

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