16/04/2021
"Des millions de dollars ont été dépensés pour essayer de ramener les cours d'eau à un état artificiel", l'erreur américaine reproduite en France
07/04/2021
Quels facteurs de stress expliquent les variations de l'état écologique des rivières européennes? (Lemm et al 2021)
06/01/2021
Les castors créent des habitats lentiques et modifient les peuplements de la rivière (Wojton et Kukuła 2020)
25/12/2020
Les moulins alimentent les sols, aquifères et zones humides lors des saisons pluvieuses
28/10/2020
Comment nos arrière-grands-parents exploitaient les rivières de tête de bassin en Bourgogne (Jacob-Rousseau et al 2016)
Quatre auteurs ont étudié l'exploitation agricole et industrielle des bassins de l'Arroux, de la Grosne et de la Petite Grosne à la fin du 19e siècle. Ils concluent que la pression sur la ressource en eau liée à l'hydraulique et les petites discontinuités écologiques étaient plus marquées voici 100 ans qu'elles ne le sont aujourd'hui. Leur travail permet aussi d'observer qu'une proportion importante des écoulements de tête de bassin relève de milieux artificiels et non naturels: cela forme une réalité hybride, co-construite à la rencontre de la nature, de l'économie et de la société, pendant plusieurs siècles d'occupation. On en trouve aujourd'hui la trace persistante dans un réseau de retenues, biefs et canaux dont beaucoup se sont peu à peu et spontanément renaturés après la fin de leur exploitation économique. Mieux comprendre l'histoire environnementale permet de relativiser certains discours hâtifs voire simplistes tenus aujourd'hui par une écologie administrative ou militante qui parle beaucoup des ouvrages hydrauliques, mais qui connaît finalement très peu leur réalité, faute d'analyse sérieuse.
Nicolas Jacob-Rousseau, Fabien Météry, Charles Tscheiller et Oldrich Navratil ont étudié l'histoire environnementale de trois bassins versants de Bourgogne (Arroux, Grosne, Petite Grosne), en particulier l'expansion de l'hydraulique agricole et industrielle au 19e siècle, période de la présence démographique la plus importante et de l'exploitation économique la plus diffuse de l'eau dans ces campagnes.
L’Arroux, tributaire de la Loire, la Grosne et la Petite Grosne, tributaires de la Saône, ont des bassins de taille inégale : 1798 km2 pour l’Arroux à Étang-sur-Arroux, 465 km2 pour la Grosne à Massilly, 125 km2 pour la Petite Grosne à son confluent avec la Saône. Les régimes d’écoulement présentent une abondance de saison froide et des étiages estivaux assez marqués (ponction de l’évapotranspiration), avec des situations d’étiages prononcés en juillet, août et septembre.
Les auteurs font observer à propos de leur objet d'étude : "les cours d’eau des bassins de l’Arroux et des deux Grosnes appartiennent au domaine océanique dégradé et sont, à l’exception des quelques tributaires de l’Arroux qui drainent le Morvan, des organismes de faible énergie où, autre élément de distinction, les sites hydrauliques remontent très souvent à l’époque médiévale ou au début des temps modernes (...) ces types de vallées concentrent aujourd’hui l’attention des projets de restauration et que les enjeux de conservation de l’héritage hydraulique y sont les plus discutés".
La base documentaire a été formée de L’Atlas des irrigations et des usines, constitué entre 1861 et 1901 dans chaque département (AN - série F10), qui recense toutes les prises d’eau existant alors et indique les débits moyens dérivés, la longueur des canaux collectifs, les forces motrices ainsi que les superficies arrosées. Les cartes (Cassini, État-Major, IGN) ou les cadastres ont été mobilisés pour confirmer les sites et des caractéristiques techniques (longueur des biefs et tronçons court-circuités) ont été vérifiées par des observations sur le terrain.
Cette carte montre le débit des eaux motrices dérivées pour usage industriel à la fin du 19e siècle (1879 Grosne, 1881 Arroux). On observe la très forte expansion des débits canalisés par rapport aux tronçons naturels.
Cette carte montre les surfaces des prairies irriguées en hectares par commune à la fin du 19e siècle (1879 Grosne, 1881 Arroux)
Les auteurs soulignent qu'à cette époque, le double usage agricole et industriel de l'eau soulevait des tensions récurrentes :
"Le seul fait que toute amélioration technique entreprise par un industriel ait immanquablement suscité l’inquiétude voire l’opposition des riverains du voisinage témoigne du degré de sensibilité de la société à la question de l’eau. La crainte que le remous d’un barrage rehaussé produisît une submersion de prairies riveraines était un motif récurrent de protestation. Mais les tensions les plus fortes furent relatives au partage des eaux car les dérivations industrielles ou les prélèvements agricoles entraînèrent à plusieurs reprises l’asséchement temporaire de certains tronçons de cours d’eau. Ainsi les archives signalent-elles le phénomène dans le Ternin en 1862, l’Arroux à Dracy-Saint-Loup en 1870, le ruisseau de Manlay en 1883, celui de Blanot en 1913 ou encore en 1858 et1859danslaGrosne(AD71,7S3et4).En août 1858, un arrêté préfectoral, invoquant une situation de sécheresse exceptionnelle depuis une année et le préjudice que les prélèvements agricoles faisaient subir aux industriels, exige la suppression de tous les barrages agricoles construits sans autorisation, sur toutes les rivières du département de Saône- et-Loire"
Voici une des conclusions de leur travail :
"Les documents et informations utilisés montrent que l’exploitation agricole et industrielle des eaux au XIXe siècle engendrait une pression non négligeable sur les écoulements. Les éléments de plusieurs ordres (statistiques, textuels, hydrologiques) semblent assez concordants et permettent même d’envisager les aspects spatiaux. Comme l’ont montré les travaux qui ont déjà été menés sur cette question (Berger, 1998 ; Jacob, 2005), les pratiques agricoles sollicitaient fortement les écoulements et aggravaient les situations de faible débit. À bien des égards, l’équipement industriel comme l’extension des prés paraissent avoir été étroitement ajustés aux ressources, induisant une tension latente qui commence à se relâcher dans les premières décennies du XXe siècle, avec les recompositions démographiques et économiques de l’Entre-deux-guerres ; les conflits disparaissent alors des archives. L’impression qu’une situation de blocage avaient été atteinte avant 1914 concorde avec le diagnostic pessimiste que firent maints ingénieurs du Service hydraulique au XIXe siècle : les conflits, les droits d’eau préexistants, la densité des prises d’eau ne permettaient plus guère à de nouvelles initiatives ou à des projets d’irrigation collective de s’immiscer dans des espaces hydro-agricoles saturés (Jacob-Rousseau, 2015). Ceci invite à considérer aussi avec un autre regard le passé des hydrosystèmes, qui n’étaient pas exempts de fortes perturbations ou de discontinuités de l’écoulement. D’autre part, la déprise rurale et industrielle fait que les écoulements sont aujourd’hui bien moins sollicités dans ces bassins qu’ils l’étaient à la fin du XIXe siècle."
Discussion
Plus nous étudions l'histoire et l'archéologie environnementales, mieux nous mesurons que les modifications humaines des milieux ne sont pas propres à notre époque ni même forcément à l'accélération de la société industrielle de consommation dans les 30 glorieuses. En réalité, dans des zones anciennement et densément peuplées comme l'Europe occidentale, l'usage des ressources a été toujours été présent. Une part importante des écoulements en tête de bassin de Bourgogne est ainsi d'origine artificielle (retenues, biefs, canaux, fossés), avec un recul de l'activité industrielle / agricole ayant pu engager des renaturations partielles et spontanées de ces milieux.
Contrairement à ce que dit une vulgate simpliste de certains experts administratifs de l'eau, les discontinuités écologiques d'origine humaine ne sont pas une pression qui augmente partout dans le temps et dans l'espace: elle était plus forte au 19e siècle qu'elle ne l'est aujourd'hui dans nombre de têtes de bassin ayant subi depuis l'exode rural et le développement de nouvelles industries ne dépendant pas de l'eau locale. Du même coup, faire reposer la causalité d'un déclin récent de biodiversité sur ces ouvrages est assez douteux : à tout prendre, si déclin il y a eu, il serait corrélé au recul et non à l'avancée de la petite hydraulique depuis 100 ans ; il faudrait déjà disposer d'estimation fiable de cette biodiversité sur des séries longues, ce qui est loin d'être le cas et ce qui autorise certains à parler dans le vide des données...
Ce qui a changé entre la fin du 19e siècle et le début du 21e siècle n'est généralement pas la hausse des usages hydrauliques locaux de tête de bassin, mais plutôt d'autres phénomènes : changement climatique, apparition des polluants de synthèse bien plus nombreux et diffus, évolutions de certaines pratiques culturales et drainage de zones humides, artificialisation de lits majeurs dans les zones urbaines et péri-urbaines.
Référence :Jacob-Rousseau N et al (2016), La petite hydraulique agricole et industrielle, de l’histoire économique à l’évaluation quantitative des pressions sur les écoulements, XIXe – début XXe siècle. Bassins de l’Arroux, de la Grosne et de la Petite Grosne (Bourgogne, France), BSGLg, 67, 143-160
08/08/2020
La propagande simpliste des agences de l'eau
Voici ce que dit le site des agences de l'eau (italiques) dans sa page sur la restauration et nos commentaires.
« C’était mieux avant »… Une citation loin d’être applicable aux cours d’eau qui ne cessent d’être chamboulés depuis plusieurs siècles. Mais pourquoi vouloir changer l’ordre établi ? Pour le bien de tous !
La faute aux activités humaines !
Les cours d’eau sont aménagés par l’Homme depuis le Moyen-Âge et même avant. Mais c’est à partir du milieu du XIXe siècle, et surtout au XXe siècle, qu’ont été réalisés les aménagements les plus lourds et les plus étendus. C’était la solution pour satisfaire les besoins humains, avec les techniques et les connaissances de l’époque.
- navigation
- régulation des crues
- production d’énergie
- adduction d’eau
- aménagement agricole et urbain du territoire
Cette description correspond toujours à des réalités: la plupart des rivières sont aménagées en Europe comme dans le monde, afin de répondre à divers besoins ou choix des sociétés humaines. L'aménagement des rivières a commencé dès le néolithique puisque l'humain sédentaire a dû maîtriser le cycle de l'eau pour son alimentation, son hygiène, son agriculture et son artisanat. Puis sont venus d'autres enjeux au fil de l'évolution de ces sociétés. Aujourd'hui, les enjeux majeurs sont la production d'énergie bas carbone, la gestion des aléas hydro-climatiques (crues, sécheresses), l'appropriation de l'eau par les territoires dans une logique de développement durable équilibrant environnement, économie et société. L'idée qu'il existerait une communauté humaine sans aucune interaction avec les milieux en eau est évidement insoutenable : si l'agence de l'eau veut expliquer l'écologie au public, elle doit commencer par exposer les conclusions actuelles de l'écologie scientifique, à savoir que les milieux aquatiques et rivulaires sont modifiés depuis plusieurs millénaires par les activités humaines, qu'ils sont modifiés (en premier ordre) en proportion de la démographie et de le prospérité des sociétés. Enfin, les agences de l'eau désignent les aménagements du 20e siècle comme les plus lourds mais financent partout la destruction ou l'assèchement des aménagements d'ancien régime intégrés de longue date dans le milieu local (retenues et biefs de moulin, étang, canaux d'irrigation gravitaire, etc.). Ces milieux possèdent aussi des biodiversités et fonctionnalités, dont la négation conduit à des mauvaises politiques.
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L'apparition de nouveaux problèmes
Rapidement, les pêcheurs se sont inquiétés des conséquences des barrages et des pollutions sur les poissons. Les progrès de la connaissance et l’évolution des sociétés ont ensuite montré que les rivières aménagées ne satisfaisaient pas durablement l’ensemble des besoins économiques et sociaux.
Les aménagements ont aussi pu créer de nouveaux problèmes : baisse de la capacité auto-épuratoire des rivières, dégâts plus importants lors des crues du fait des ruptures de digues, obstacles à la circulation des poissons (et notamment des poissons migrateurs), etc.
Le seul public cité comme exprimant un problème avec la rivière aménagée est celui des pêcheurs. Ce qui n'est que partiellement exact puisque les milieux aquatiques artificiels comme les étangs et les lacs sont co-gérés par des sociétés de pêche. Ce sont les lobbies de pêcheurs de salmonidés (migrateurs) qui ont surtout des problèmes avec les aménagements, en lien aux ruptures de continuité (barrage), mais ce sujet reste assez périphérique au plan de la représentativité sociale du public concerné. La baisse de la capacité épuratoire des rivières est une légende ou une "fake news" comme on dit aujourd'hui (ce qu'une agence de l'eau a fini par admettre après nos protestations à ce sujet) : la rivière n'a jamais été une station d'épuration où nous pourrions mettre sans dommage des toxiques, les ouvrages tendent en général à favoriser l'élimination de certains intrants, le fait de disperser plus vite des pollutions vers l'aval ou l'estuaire n'a guère d'intérêt. Quant à citer la rupture de digues comme "preuve" qu'elles ne remplissent pas leur rôle anti-crue, c'est une mauvaise foi évidente: autant dire que le vélo, la voiture, le train ou l'avion n'apportent aucun bénéfice de transport car de temps en temps ils provoquent des accidents! En réalité, la gestion des crues et sécheresses a toujours fait appel à des aménagements, c'est une des raisons pour lesquelles les profils actuels de nos bassins versants n'ont plus rien de "naturels" au sens de non modifiés par les humains dans l'histoire. Et l'actualité nous rappelle tristement ce que signifie l'absence de maîtrise de l'eau en situation d'aggravation des sécheresses et des vagues de chaleur.
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Une réhabilitation nécessaire
L’artificialisation des rivières nous oblige aujourd’hui à intervenir pour restituer tout ou partie les services dégradés par les aménagements, parfois au prix d’impacts financiers, économiques et sociaux très élevés. En outre, face au dérèglement climatique, redonner un fonctionnement naturel aux rivières apparaît comme une mesure tout à fait pragmatique. C’est la garantie de bénéficier le plus possible des services gratuits rendus par la nature et rendre ainsi nos territoires plus résilients.
Là encore, ces assertions sont des arguments d'autorité sans logique. Le fait d'avoir une rivière dite "naturelle" dont on a supprimé les ouvrages fait disparaître les avantages économiques, sociaux et écologiques issus de ces ouvrages, comme l'irrigation, la navigation, l'énergie, le soutien d'étiage, l'agrément paysager, les loisirs, le rafraîchissement local de l'air ambiant, la biodiversité propre aux milieux anthropisés. De nombreux travaux de recherche montrent ces réalités, un passage en revue récent de la littérature scientifique a énuméré ces services rendus (Clifford et Hefferman 2018). L'analyse des services rendus par les écosystèmes montre aussi que l'aménagement raisonné de ces écosystèmes fait partie des services valorisés par les humains. Affirmer sans preuve que la société tire des bénéfices de la destruction des aménagements qu'elle a créés ne peut constituer un discours public, à moins que ce discours devienne un charabia militant.
Conclusion : les agences de l'eau s'enferment dans une propagande qui vise à diffuser une idéologie administrative, celle de la "renaturation" des milieux aquatiques. Cette idéologie est sans rapport aucun avec la manière dont la loi définit la gestion équilibrée et durable de l'eau, donc l'intérêt général des citoyens. Elle est sans rapport non plus avec l'évolution de la connaissance scientifique, qui ne valide plus des oppositions stériles entre rivières naturelles et rivières aménagées, solutions fondées sur la nature et solutions fondées sur la technique. Elle est enfin issue des choix de fonctionnaires non élus, dont on se demande pourquoi ils se permettent ainsi de réécrire les normes et d'imposer leur vision des cadres de vie. La démocratie de l'eau doit être restaurée autant que la qualité de l'eau, ce qui passe par un contrôle réel des élus sur les administrations et par une représentation correcte de la société dans les comités de bassin des agences de l'eau.
A lire en complément
Un dossier de 100 références scientifiques pour faire connaître et protéger les ouvrages hydrauliques et leurs milieux
"Les experts sont formels"... mais quels experts? Au service de quels pouvoirs, quelles idéologies, quels intérêts?
Des scientifiques rédigent un livre pour alerter sur certaines dérives de l'écologie des rivières en France
L'idéologie du retour à la nature est simpliste et vit dans le déni des milieux humains
Défragmenter les rivières? 25 enjeux pour le faire intelligemment
"La science est politique : effacer des barrages pour quoi? Qui parle?" (Dufour et al 2017)
Faiblesse scientifique, dimension subjective et résultats incertains des chantiers de restauration de rivière en France (Morandi et al 2014)
Lire notre rubrique "agence de l'eau" pour la chronique des résultats médiocres et dérives nombreuses de ces établissements administratifs.
Lire notre rubrique "idées reçues" pour des réponses détaillées et référencées aux assertions fausses ou incomplètes du discours public sur les ouvrages en rivière.
11/06/2020
Huit siècles dans la vie d'un ruisseau français (Leblé et Poirot 2019)
Geoffrey Leblé et Agata Poirot ont publié une analyse de l'occupation du lieu, en particulier de la morphologie du lit et des berges. L'étude du remplissage sédimentaire a mis en évidence six grandes séquences de dépôts, chacune ayant façonné la topographie et l’identité du fond de vallon. Ce schéma montrent les profils de fond de vallon qui se sont succédés dans le temps :
Les six séquences organisent l'histoire du fond de vallon depuis le Moyen Age.
La séquence 1 indique les plus bas niveaux alluviaux, "un environnement de dépôt très humide, mais plus bas de près de deux mètres que la surface actuelle, et daté immédiatement après la principale phase d’occupation du site (Moyen-Âge central)". La sédimentation alluviale se réalise au gré de dépôts argileux qui colmatent le fond de la vallée, sans doute principalement le fait de l’aménagement anthropique. On ne peut exclure une occupation de type moulin ou pêcherie à cette époque.
La séquence 2 est datée par radiocarbone du XVIe au XVIIe siècles, soit pendant le Petit Âge Glaciaire (période froide dans l'Hémisphère Nord, surtout en Europe). Elle est "marquée par une nouvelle dynamique alluviale puisque le méandrage du ruisseau a laissé des traces jusque dans le transect étudié. L’incision observée en coupe n’est pas de nature anthropique comme on l’a cru à première vue, mais bien d’origine naturelle." Les années froides du petit Âge glaciaire européen sont marquées par des hivers très humides, connus pour avoir "profondément et durablement modifié les cours d’eau de plus faible énergie".
La séquence 3 a enregistré un dépôt limoneux en bas et argileux en haut, signalant un environnement hydraulique déconnecté du courant principal. Ce peut être lié aux grandes crues ont affecté le Bassin parisien au cours du XVIIe et du XVIIIe siècle. "Ces épisodes de débordement interviennent préférentiellement lorsque le lit de la rivière est encombré, aussi on peut supposer que l’entretien des berges n’était pas régulier au cours de cette période."
Les séquences 4 à 6 sont marquées surtout par la remontée du niveau de la nappe phréatique.
La séquence 4 a enregistré deux épisodes colluviaux successifs, probablement à peu de temps d’intervalle : "La présence de sédiments très calcaires pourrait être la marque de labours profonds en amont de la pente, ou bien de la mise en place massive du marnage et du chaulage comme en Sarthe au XVIIIe siècle. Au niveau régional, les XVIIIe et XIXe siècles apparaissent comme la période d’érosion la plus importante, liée à l’essor des cultures extensives et aux hivers rigoureux".
Les sédiments de la séquence 5 indiquent quant à eux "une adaptation de la nappe phréatique à la présence d’une importante quantité de sédiments qui encombrent le lit, sous la forme d’une remontée nette de la nappe". Il y a eu alors "un rehaussement significatif du lit mineur du Sausset, et donc un exhaussement de la nappe phréatique". On peut y lire la matérialisation physique du lit majeur sur un versant voué à l’agriculture. La séquence 6 est essentiellement constituée de remblais contemporains.
Les auteurs concluent notamment : "les conséquences du Petit Âge Glaciaire peuvent être facilement appréciées au sein de tels contextes, et la mise en œuvre d’études sédimentaires plus complètes et systématiques pourraient permettre à terme d’évaluer les débits moyens des crues qui ont sévi à cette période. Dans le contexte de déstabilisation climatique rapide que nous connaissons, ces connaissances pourraient être utiles pour l’anticipation des risques au niveau local et régional".
Discussion
Cette étude rappelle que la morphologie des bassins versants et des cours d'eau évolue sans cesse dans le temps, et que l'on ne peut s'abstraire des occupations humaines pour la comprendre. Elle pose d'intéressantes questions quand on applique ses enseignements aux politiques publiques de l'eau menées en France et en Europe.
Comme on le sait, les pouvoirs publics en charge de l'écologie des milieux aquatiques ont adopté en France un paradigme de la "renaturation" ou "restauration de la nature", de manière assez peu débattue, essentiellement sous l'influence d'experts ayant une représentation biophysique de la nature. Mais de quelle "nature" parle-t-on ici, alors que les paramètres d'évolution du ruisseau sont sous influence humaine de longue date (et le restent bien entendu, à diverses échelles de temps et d'espace)? Pareillement, la directive cadre européenne sur l'eau - conçue en comité assez restreint dans les années 1990, avec des experts partageant le même type d'approche biophysique - a affirmé que l'on devait juger un cours d'eau selon un "état de référence" adossé à l'état de milieux très peu ou pas anthropisés. Mais là encore, que signifie cette référence dont l'humain serait exclu ou quasi-exclu? En quoi doit-on s'y référer si les cours d'eau ont une existence sociale autant que physique? De fil en aiguille, quelles réalités biologiques et morphologiques retient-on comme "dans la norme", quelles réalités humaines exclut-on comme "hors de la norme"?
Quand un pouvoir veut s'exercer en minimisant les contradictions, il a parfois recours à un procédé que l'on nomme la naturalisation : laisser entendre qu'une option est "dans la nature des choses", c'est dire qu'on ne peut pas vraiment s'y opposer puisqu'il en est ainsi. L'idéal du cours d'eau naturel agit parfois de la sorte pour ses promoteurs : que leur vision soit la seule vision que l'on puisse avoir puisque telle serait la "vraie" nature du cours d'eau. Nous devons identifier, dénoncer et renverser ce procédé rhétorique partout où il s'exerce : il n'y a jamais que des choix humains. La renaturation en est un, bien sûr, mais parmi d'autres, ni plus ni moins légitime en soi que d'autres. Et loin d'être l'apanage d'experts décidant seuls des règles, de tels choix doivent toujours se justifier démocratiquement, en particulier quand ils impliquent dépenses publiques et contraintes normatives.
Référence : Leblé G., A. Poirot (2019), Rythmes d’évolution d’un fond de vallon du Moyen-Âge à l’époque moderne : étude géoarchéologique de la haute vallée du Sausset (Tremblay-en-France), Géomorphologie : relief, processus, environnement, 25, 1, 69-78.
06/06/2020
L'impact sédimentaire des moulins et petits ouvrages anciens de rivière a été surestimé (Peeters et al 2020)
Les études sur les grands barrages ont montré que ceux-ci modifient la morphologie de la rivière, notament en retenant des grands volumes de sédiments de toutes dimensions (des vases aux blocs rocheux) dans leurs réservoirs. Mais ces barrages ont des propriétés spécifiques : haute dimension, grand volume de retenue, ancrage sur toute la largeur du lit majeur. Qu'en est-il est des petits ouvrages (moulins, étangs, seuils anti-affouillement) qui sont bien plus nombreux sur les rivières?
Pour le savoir, Alexandre Peeters et ses collègues (université de Paris-CNRS et de Liège UR SPHERES) ont étudié une petite rivière de Wallonie (Belgique), le Bocq. Sa pente est de 2% en moyenne, sa puissance de 30 W/m2. Les ouvrages de cette rivière, dont certains datant du 14e siècle, sont caractéristiques des sites anciens que l'on trouve sur les cours d'eau européens (cf image ci-dessus, extrait de Peeters et al 2020 art cit). La hauteur des ouvrages va de 40 à 230 cm. Les vannes, quand elles sont présentes, ne sont pas souvent manoeuvrées en raison de l'absence d'usage. Certaines ont disparu.
Voici le résumé de leur travail :
"La restauration du transfert actif de la charge de fond dans les rivières touchées par l'homme a reçu une attention croissante ces dernières années, notamment en réponse à la directive-cadre européenne sur l'eau (DCE), qui exige que la continuité des rivières ne soit pas perturbée par des caractéristiques anthropiques telles que les barrages ou les déversoirs.
La rivière Bocq (233 km2), un cours d'eau à gradient modéré en Wallonie, en Belgique, possède une ressource hydraulique qui était auparavant largement exploitée avec 74 déversoirs (jusqu'à 2,3 m de haut) sur 43 km. Nous avons examiné les effets de sept anciens déversoirs abandonnés sur le transport de la charge de fond pour trois types de déversoirs différents (définis par la présence et la position du système d'écluse).
Premièrement, les estimations de volume de la charge de lit stockée dans les réservoirs indiquent que, malgré leur vieillesse, les réservoirs n'étaient pas complètement remplis (entre 25 et 50% remplis par rapport à la capacité volumique du réservoir) et n'ont pas beaucoup évolué depuis 1989-1990. Deuxièmement, l'analyse de la granulométrie du matériau du lit en amont, en aval et à l'intérieur des réservoirs, et les mesures directes du transport des sédiments (particules de scories et cailloux marqués PIT) ont démontré que la charge de fond continue d'être transportée hors du réservoir, même si le piégeage sélectif d’éléments plus grossiers a été observée à l’intérieur du réservoir. Des particules dans la plage de la médiane peuvent passer sur la crête des déversoirs, mais les éléments les plus grossiers ont tendance à rester dans les réservoirs. Cet effet de piégeage est atténué lorsque le déversoir a des vannes de chasse ouvertes ou effondrées qui facilitent le transfert de la charge de fond. Cela indique que les déversoirs agissent comme des barrières qui laissent passer la charge de fond, bien que le cadre géomorphologique individuel joue un rôle principal dans la détermination de la continuité locale des sédiments.
Ces résultats suggèrent que la connectivité de la rivière est moins affectée qu'on ne le pensait initialement et qu'elle est susceptible d'augmenter au fil du temps à mesure que les vieux déversoirs tombent progressivement en ruine. Cela doit être reconnu lors de la planification des projets d'élimination des obstacles."
Dans leur travail, les auteurs détaillent :
"Les vieux déversoirs abandonnés dans cette étude n'agissent pas complètement comme des pièges à sédiments, et une grande partie de l'approvisionnement grossier en charge de fond peut passer à travers les déversoirs et continuer à être transportée hors du réservoir. Cela a été démontré en estimant les volumes de sédiments stockés dans sept réservoirs, qui n'étaient pas complètement remplis (entre 25 et 50% par rapport à la capacité volumique du réservoir). Ce volume n'a pas beaucoup évolué depuis 1989-1990 pour les trois déversoirs étudiés en détail. De plus, l'analyse de la granulométrie du matériau du lit et l'évaluation des concentrations de particules de scories menées en amont et en aval des réservoirs suggèrent que la charge du lit continue d'être transportée hors du réservoir, à l'exception des clastes plus grossiers piégés dans la partie centrale du réservoir. La partie en aval des réservoirs présentait une rampe à sédiments en pente douce qui facilitait le passage de sédiments de fond de lit plus fins sur la crête du déversoir."
Les chercheurs concluent : "sur 74 déversoirs présents le long du cours de 43 km de la rivière Bocq, seuls 34 d'entre eux représentent encore un obstacle potentiel à la continuité de la charge de fond. Nos résultats indiquent que ces 34 barrières potentielles ne perturbent pas complètement le transfert de la charge de lit. À tout le moins, ils l'empêchent partiellement en raison d'un ralentissement du transport de la charge de lit et d'un piégeage sélectif des éléments les plus grossiers. Par conséquent, l'évaluation de l'effet cumulatif des déversoirs sur la connectivité des rivières à plus grande échelle est une tâche complexe."
Discussion
Les résultats d'Alexandre Peeters et des co-auteurs ne sont pas une surprise pour les riverains des moulins et autres petits ouvrages hydrauliques des rivières. L'examen visuel de ces ouvrages montre que les variations sédimentaires sont très localisées et que les lits aval de la rivière ne sont pas dénués de charge de fond à diverses granulométries. En période de crue, ces ouvrages sont en général noyés et contournés par le flux liquide portant cette charge solide. Leurs réservoirs, de volume modeste, ne sont que partiellement remplis. L'ensemble de ces caractéristiques ne suggère en rien une altération grave des fonctionnalités physiques de la rivière. Par ailleurs outre le diagnostic de site, ce sont les pratiques sur les bassins versants qui changent aussi la charge et la nature des sédiments venant à la rivière. Des reprises forestières ou au contraire des artificialisations (constructions, cultures) vont modifier le flux des sédiments, à diverses échelles de temps, ce qui suppose une étude dynamique et historique du bassin versant (voir le texte de Jean-Paul Bravard, spécialiste de cette question).
Les conclusions de cette recherche sont évidemment très éloignées de la tentative de diabolisation des petits ouvrages hydrauliques par l'administration française et par certains lobbies. On a dit aux élus et aux riverains que ces ouvrages avaient des impacts graves sans jamais mesurer (sauf exception) la réalité sédimentaire et sans relativiser sa portée. Encore moins en s'interrogeant sur les finalités de l'action publique, les métriques superficielles et jargons autoréférents d'une certaine écologie d'Etat remplaçant le débat démocratique sur ce que les riverains attendent finalement d'un cours d'eau. Sortons au plus vite de ces errements, qui mènent à dépenser de l'argent public sur des enjeux écologiques mineurs ou inexistants, mais aussi à détruire un patrimoine d'intérêt pour beaucoup.
Référence : Peeters A et al (2020), Can coarse bedload pass through weirs?, Geomorphology, 359, 107131
08/05/2020
Les moulins aident à retenir l'eau dans les bassins versants (Podgórski et Szatten 2020)
Zbigniew Podgórski et Dawid Szatten ont analysé l'héritage sédimentaire et morphologique de ces siècles écoulés, pour comprendre l'influence des moulins et de leurs retenues.
Voici le résumé de leur recherche :
"L'article présente les changements d'un réseau hydrographique résultant de la construction et du fonctionnement de neuf moulins à eau situés dans le bassin versant de la Struga Rychnowska (Pologne). Deux retenues (Bierzgieł et Oleszek) ont été choisies pour une étude détaillée - à la fois avec des origines de bassin et des paramètres morphologiques similaires, mais avec des morphométries, des voies d'acheminement et de rejet d'eau du moulin et des temps de rétention de l'eau différents. Nous avons tenté de reconstruire le cours du processus de sédimentation des dépôts dans les bassins des retenues de moulin sur la base de sources historiques, de documents cartographiques archivés, de travaux sur le terrain et d'analyses en laboratoire (sédimentologie, palynologie et datation au 14 C).
Les études ont permis de déterminer l'ampleur de l'impact anthropique sur l'environnement à partir de l'exemple d'un petit bassin versant, à la fois lorsque les retenues étaient en service et après. Le déclassement des moulins à eau a entraîné un certain nombre de changements importants dans les ressources en eau. Les plus importants d'entre eux sont: la perte de capacité de rétention d'eau dans le bassin versant de la Struga Rychnowska et la baisse du niveau des eaux souterraines à proximité immédiate des anciens réservoirs d'eau. Actuellement, un intérêt renouvelé pour les anciens emplacements des moulins à eau existe, afin de restaurer la rétention d'eau et de les utiliser à des fins de petites centrales hydroélectriques modernes."
La conclusion du travail en précise quelques enseignements :
"Sur la base des résultats des études menées sur les changements de la dynamique et de la nature de la sédimentation dans les retenues de moulin de la Struga Rychnowska (district du lac Chełmno, Pologne), les conclusions suivantes ont été tirées:
1. Les documents d'archives (depuis 1796) et les documents cartographiques modernes - sources historiques contenant des données sur le fonctionnement des moulins à eau - nous ont permis de déterminer les changements dans l'activité économique dans le bassin versant étudié. Ainsi, il a révélé que les modèles d'utilisation des terres agricoles et forestières dans le bassin versant de la Struga Rychnowska étaient insignifiants. L'agriculture domine toujours sur le plateau de la moraine, tandis que la superficie forestière a augmenté dans la zone de sable. Tous les moulins à eau ont été fermés.
2. Les sédiments accumulés dans les retenues de moulin (opérant dans la zone de recherche depuis le 14e siècle) documentent les changements dans le bassin versant pendant le fonctionnement des moulins et après leur fermeture, à condition que les réservoirs conservent la fonction de rétention d'eau. De précieuses sources d'information sur les sédiments déposés sont leurs caractéristiques: composition granulométrique, teneur en carbonate, etc.
3. Les analyses palinologiques et au 14C sont utiles pour étudier la genèse des retenues de moulin. Il a été constaté, entre autres, que les retenues des moulins étaient placés dans des dépressions naturelles du terrain, généralement situées au-dessus des marches se produisant dans les rétrécissements du canal sous-glaciaire, dans lequel coule actuellement la Struga Rychnowska. Dans de tels cas, la formation de retenues était une restitution d'un réservoir d'eau naturel (par exemple, le réservoir d'Oleszek). Cela a été confirmé par l'âge des sédiments les plus jeunes déterminé par la méthode au 14C (530 +/- 45 cal BP – 1420 AD), qui ont été déposés dans le réservoir d'eau naturel en voie de disparition sur le site d'Oleszek. Il s'ensuit que ces sédiments se sont formés environ 300 ans plus tôt, avant que les eaux de la Struga Rychnowska ne soient endiguées à cet endroit pour les besoins du moulin à eau.
4. Des temps de rétention d'eau différents indiquent des conditions de fonctionnement des retenues différentes, bien que leurs emplacements soient dans la même zone de captage.
5. Le rythme et l'avancement du processus de remplissage du bassin avec des sédiments de fond ont été affectés par: le volume de la masse d'eau alimentant les retenues et sa proportion par rapport à la capacité totale du réservoir; les paramètres morphométriques des réservoirs, en particulier la profondeur et la longueur du bassin; l'emplacement par rapport à d'autres éléments du réseau hydrographique directement connectés au moulin à eau (par exemple, canal de dérivation); les fluctuations du niveau d'eau dans la retenue".
Discussion
Les ouvrages hydrauliques humains modifient les rivières et créent des milieux à part entière, qui disposent de leur propre dynamique. Des chercheurs ont pu parler d'états écologiques alternatifs pour désigner le fait qu'une rivière aménagée possède une nouvelle hydrologie, une nouvelle morphologie et une nouvelle biologie. Le cas des moulins et des étangs est particulièrement intéressant, puisque nombre d'entre eux sont encore présents sur les cours d'eau européens — les plus anciens depuis 1000 ans, la plupart depuis 150 à 500 ans. Les bassins versants ont donc ré-ajusté en permanence leur fonctionnement à cette nouvelle donne.
L'information que nous retenons de ce travail de recherche en Pologne concerne la rétention de l'eau. C'est un sujet essentiel pour l'adaptation de l'Europe au changement hydroclimatique. C'est aussi un sujet débattu dans la communauté des experts, avec peu de données, souvent contradictoires et parfois des préjugés (par exemple Al Domany et al 2020). Ce sujet de la préservation de l'eau étant assez critique pour le cadre de vie local, la société et le vivant, les riverains ne sont pas disposés à accepter des politiques publiques fondées sur des approximations. L'observation faite par Zbigniew Podgórski et Dawid Szatten d'une meilleure rétention d'eau et recharge de nappe quand les moulins sont actifs et leur retenue remplie correspond à ce que l'on observe un peu partout.
Dans la mesure où des petits bassins versants peuvent compter des dizaines de retenues et de bras de dérivation, la question doit être étudiée par des mesures de terrain, pas des principes généraux de manuels. Il est assez évident que l'idéal actuel de continuité écologique en long, défendue par le gestionnaire français, consiste à obtenir des lits à écoulement plus rapides. C'est contradictoire avec l'idée qu'il faut essayer de retenir et diffuser l'eau dans les saisons pluvieuses afin de préparer le cap de l'étiage ou les périodes de sécheresse. C'est d'autant plus problématique que d'autres recherches récentes, allemandes cette fois, avaient montré un phénomène d'incision des lits et de moindres débordements quand on détruit des ouvrages de moulins (voir Maaß et Schüttrumpf 2019). Nous avons déjà relayé les plaintes de riverains consternés par l'effet des destructions d'ouvrages (Vicoin) ou d'ouvertures forcées de vannes (Sèvre nantaise)
Il est donc souhaitable de stopper immédiatement la préconisations d'effacement des ouvrages (qui reste encore prioritaire en 2020 dans les programmations des financeurs publics) et de préférer au contraire un principe de conservation, avec analyse au cas par cas des effets hydrologiques. Les associations de moulins, étangs et riverains veilleront à ce qu'aucun chantier mettant en péril les capacités locales de rétention d'eau ne soit effectué sans mesure et, si besoin, sans compensation au moins équivalente. La loi française engage à la préservation de la ressource en eau, son ignorance peut être un motif de contentieux.
Enfin, il est indigne que la France soit dotée depuis 2006 d'une politique active sur les ouvrages hydrauliques anciens sans la moindre programmation scientifique de leur étude dans les bassins versants, hors le cas quelque peu obsessionnel, et en tout cas assez limité en périmètre d'étude, des seuls poissons migrateurs. Nous dépensons beaucoup d'argent en bureaux d'études privés, à la méthodologie répétitive se bornant à constater que le milieu n'est pas "naturel" ou que l'ouvrage n'est pas franchissable à telle espèce, mais très peu de fonds en recherche académique sur les moulins, étangs, canaux et autres ouvrages anciens. Il est bon de cesser ces programmes administratifs sous-informés et déjà d'acquérir des connaissances robustes, dans une logique multidiscipliniare qui ne se résume au paradigme assez pauvre et aporétique d'une restauration de la rivière du passé.
Référence : Podgórski Z et Szatten D (2020), Changes in the dynamics and nature of sedimentation in mill ponds as an indicator of environmental changes in a selected lake catchment (Chełmińskie Lake District, Poland), Water, 12, 1, 268
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09/12/2019
Les retenues des moulins sont-elles lentiques, lotiques ou mixtes? (Donati et al 2019)
Francesco Donati, Laurent Touchart et Pascal Bartout (Université d’Orléans, Département de Géographie) ont analysé le comportement thermique de quatre retenues de seuils de moulin.
Voici comment les auteurs exposent la motivation de leurs travaux :
"Les cours d'eau de France métropolitaine sont potentiellement exposés à la dégradation causée par les ouvrages hydrauliques, du fait de leur diffusion sur les rivières du pays. Parmi ces structures, on trouve des seuils, omniprésents au sein du réseau hydrographique français. Dans un cours d'eau, la présence d'un seuil entraîne une modification de ses conditions hydrauliques, dont l'effet le plus remarquable est la formation d'une zone de vitesse d'écoulement lent en amont (Csiki & Rhoads, 2010). Cette réduction de vitesse pourrait être de nature à provoquer une sorte d'effet barrage, favorisant la formation de zones d'écoulement lentique (Malavoi & Salgues, 2011) et la substitution des caractéristiques lotiques du cours d'eau par des caractéristiques lentiques (Souchon & Nicolas, 2011), mais les études pour le confirmer ou l'invalider manquent pour les contextes français.
Les cours d'eau en amont sont-ils convertis en plans d'eau stagnants ou conservent-ils leurs caractéristiques actuelles? A travers des études de cas françaises, utilisant le paramètre de température de l'eau, qui est la principale cause de stratification de la densité de l'eau, l'objectif de cette étude est d'essayer de répondre à cette question pour mieux comprendre les effets des déversoirs sur les milieux aquatiques."
Pour répondre à cette problématique, les chercheurs ont étudié deux rivières de types hydro-climatiques différent : trois retenues de moulin sur les Mauves, affluents de la Loire qui coulent sur 45 km dans le département du Loiret, à l'ouest de l'agglomération d'Orléans ; une retenue de moulin sur la rivière Zinsel du Nord, affluent de la Moder qui coule sur 43 km entre les départements de la Moselle (57) et du Bas-Rhin (67), dans le nord-est de la France.
Comment différencier une eau lentique et lotique? Par la stratification thermique de la colonne d'eau.
"Pour comprendre si les cours d'eau en amont des seuils conservent leurs caractéristiques lotiques ou s'ils ont des caractéristiques lentiques, la méthodologie déployée est basée sur l'étude des propriétés thermiques de l'eau. En effet, le principal discriminant entre les eaux courantes et les eaux stagnantes est la stratification thermique de la colonne d'eau (Wilhem 1960; Touchart 2002). Bien qu'elle présente des moments d'uniformité, la normalité d'une eau stagnante est sa stratification selon un gradient vertical de densité de température, tandis que la normalité d'une eau courante est l'homogénéité physico-chimique de la colonne d'eau, car la turbulence empêche la distinction des couches d'eau et leur superposition (Touchart 2007, a)."
Les chercheurs ont donc mesuré la température en haut et en bas de la colonne d'eau dans les retenues, de février à décembre, pour un total de 35.529 données brutes analysables.
Les résultats indiquent d'abord que le delta de température (hétérothermie) n'est présent qu'une petite partie de l'année sur les sites (plus souvent en été), avec des signatures différentes, le plus souvent faible (moins de 0,5°C) hors un site (moulin Nivelle sur les Mauves, en haut).
"Les résultats montrent que la présence d'un seuil n'est pas synonyme de substitution des caractéristiques lotiques d'un cours d'eau. En effet, dans une seule des zones d'étude parmi les quatre analysées, celle du moulin de Nivelle, une signature thermique similaire à celle de certains plans d'eau a été observée, et même alors exclusivement pendant les mois centraux de l'été. Pendant la partie la plus chaude de l'année, dans les autres zones d'étude, l'homogénéité physique de la colonne d'eau a également été "perturbée", mais la nature épisodique de ces moments d'hétérogénéité conduit à les classer comme stratification thermique normale observable dans les cours d'eau. L'apparition de caractéristiques lentiques ne semble pas dépendre de facteurs climatiques, mais plutôt de facteurs locaux. En effet, elles n'ont été observées que lorsque certaines conditions environnementales étaient réunies sur le tronçon, notamment une bonne exposition au soleil et un débit particulièrement lent."
Discussion
La politique publique des ouvrages hydrauliques en France a été construite au fil des décennies sur des trajectoires institutionnelles empruntant diverses motivations. L'une d'elle est que la substitution d'un style lotique par un style lentique contreviendrait à certaines propriétés supposées d'intérêt du tronçon (au gré des arguments avancés, parfois de manière disparate et souvent de manière non mesurée: ses fonctionnalités, sa naturalité, sa diversité, son auto-épuration, etc.). Le travail mené par Francesco Donati et ses collègues suggère que dans le cas des chaussées de moulin, cette hypothèse n'est pas forcément vérifiée quand on adopte une approche limnologique, car le caractère lentique des retenues doit être préalablement défini et ensuite caractérisé au droit des sites, pas présumé.
Nous ne pouvons que nous féliciter de l'émergence de ces travaux de plus en plus précis sur les ouvrages anciens des cours d'eau, qui sont de véritables orphelins de la recherche académique. Les politiques publiques sont construites sur des savoirs partiels, et parfois biaisés par le choix des phénomènes que l'on va mesurer et ceux que l'on va ignorer. Notre association demande que des programmes de recherche soient dédiés à l'examen de la biodiversité et de la fonctionnalité des hydrosystèmes anthropisées, en particulier les plus anciens et les plus nombreux, ceux des retenues et des biefs de moulins, des étangs, des lacs de barrage. Le sujet est d'autant plus critique que des choix sont faits pour détruire ces milieux sur argent public au nom de la "continuité écologique". Les acteurs institutionnels (ministère de l'écologie, agence de la biodiversité, conseils scientifiques des agences de l'eau) sont pour le moment dans une attitude de déni d'intérêt et d'ignorance volontaire vis-à-vis de cette question. Pourtant, les avancées de la recherche suggèrent que nous connaissons mal ces milieux sur lesquels nous intervenons.
Référence : Donati F et al (2019), Do rivers upstream weirs have lotics or lentics characteristics?, Geographia Technica, 14, 2, 1-9