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03/12/2019

Comment les humains accélèrent l'érosion et le transfert des sédiments depuis 4000 ans (Jenny et al 2019)

Une équipe de chercheurs internationaux de l'Inra et l'Institut Max Planck ont analysé les changements dans l'érosion des sols à travers des dépôts de sédiments lacustres dans plus de 600 lacs à travers le monde. Ils ont montré que l'accumulation des sédiments a ponctuellement augmenté de manière significative voici déjà 4000 ans. A cette même période, le couvert forestier a diminué. Les changements des taux d'accumulation de sédiments au niveau régional sont corrélés aux développements socio-économiques et à l'implantation des populations humaines dans l'histoire, altérant peu à peu les écosystèmes terrestres et aquatiques. Cela pose question sur les effets des évolutions encore plus rapides des usages des sols de nombreux bassins versants depuis un siècle, suggérant que les hydrosystèmes tels que nous les observons sont en phase de réponse dynamique à ces impacts. 


(Extrait de Jenny et al 2019, art cit)

Au cours du Holocène (période naissant à la fin de la dernière glaciation), les modifications anthropiques des bassins versants, comme le défrichement et le brûlis de la végétation, l'expansion agricole et urbaine, ont entraîné des fluctuations rapides des taux d'érosion des sols. On estime que cela a pu accélérer l'érosion de 10 à 100 fois dans certaines régions. Mais il est encore difficile de savoir à quel moment une partie importante de la surface de la Terre est passée des taux d’érosion des sols par cause climatique à des taux dominés par des causes anthropiques.

Jean-Philippe Jenny (Centre alpin de recherche sur les réseaux trophiques et les écosystèmes limniques) et 11 collègues viennent de publier dans la revue PNAS une compilation remarquable d'analyse de sédiments lacustres à travers le monde pour comprendre cette dynamique à long terme des transferts de sédiments (illustration ci-dessus : les sites étudiés).

Voici le résumé de leur recherche :

"L'érosion accélérée des sols est devenue une caractéristique omniprésente dans les paysages du monde entier et il est reconnu qu'elle a des implications importantes pour la productivité des terres, la qualité de l'eau en aval et les cycles biogéochimiques. Cependant, la rareté des synthèses globales prenant en compte les processus à long terme a limité notre compréhension de la période, de l'amplitude et de l'étendue de l'érosion des sols sur des échelles de temps millénaires. Dès lors, nous ne sommes pas en mesure de prédire les réactions de l'érosion des sols aux changements du climat et de la couverture des sols à long terme. 

Ici, nous reconstruisons les taux de sédimentation pour 632 lacs sur la base de chronologies contraintes par 3 980 datations au carbone 14 calibrées afin d'évaluer les changements relatifs des taux d'érosion des bassins versants au cours des 12 000 dernières années. La dynamique estimée de l'érosion du sol a ensuite été complétée par des reconstitutions de la couverture terrestre déduites de 43 669 échantillons de pollen et par des séries chronologiques sur le climat issues du modèle de système terrestre de l'Institut Max Planck. 

Nos résultats montrent qu’une partie importante de la surface de la Terre a déjà bifurqué vers un taux d’érosion des sols provoqué par l’homme voici 4 000 ans. En particulier, les taux inférés d’érosion des sols ont augmenté dans 35% des bassins versants, et la plupart de ces sites ont montré une diminution de la proportion de pollen arboricole, ce qui serait attendu avec un défrichement. Une analyse plus approfondie a révélé que le changement de couverture terrestre était le principal facteur d'érosion présumée des sols dans 70% des bassins versants étudiés. Cette étude suggère que l'érosion des sols altère les écosystèmes terrestres et aquatiques depuis des millénaires, entraînant des pertes de carbone (C) qui auraient pu induire des rétroactions sur le système climatique".

En conclusion de la recherche, les auteurs précisent :

"Ces résultats suggèrent que l'abondance des arbres dans les bassins versants était le principal facteur expliquant les variations temporelles de l'érosion des sols, la déforestation anthropique expliquant l'accélération de l'érosion au cours des derniers millénaires. Nos résultats mettent en évidence l’importance de la grande échelle (en termes de distribution des données lacustres au niveau mondial, mais pas en termes de superficie totale contributive) et des processus à long terme sur l’érosion des sols déduits des taux d'accumulation sédimentaire, et la manière dont les activités humaines ont commencé à agir sur ces processus beaucoup plus tôt que d’autres signatures de l’Anthropocène à l’échelle mondiale, par exemple, l’appropriation humaine du cycle de l’azote depuis 1860. Cette analyse à l'échelle mondiale des archives paléolimnologiques ajoute aux preuves croissantes que les humains augmentent simultanément le transport fluvial de sédiments par l'érosion des sols et réduisent ce flux vers la zone côtière grâce à la rétention des sédiments dans les réservoirs."

Discussion
Beaucoup d'auteurs proposent de nommer notre époque Anthropocène, en raison de l'influence humaine prépondérante sur la planète, et de dater le début de cette époque à la révolution industrielle. Mais d'autres travaux dessinent un portrait plus graduel de cette influence humaine, avec de notables changements perceptibles dès la croissance démographique ayant accompagné la sédentarisation néolithique. Au point que l'Anthropocène pourrait peut-être se confondre avec l'ensemble du Holocène...

Dans une conférence donnée à notre association, Jean-Paul Bravard avait exposé combien la dynamique géo- et hydromorphologique des bassins versants doit s'interpréter sur le temps long, car des impacts croisés à plusieurs échelles spatiales et temporelles s'observent dans ces bassins. Ces travaux en sont une illustration, et ils rejoignent d'autres recherches ayant analysé sur le long terme la morphologie de bassins versants (par exemple Lespez 2015, Verstraeten et al 2017, Brown et al 2018).

Une chose paraît sûre : quand la politique publique de l'eau en France parle de la "circulation des sédiments", elle renvoie à une réalité qui est très modifiée par l'humain, pas seulement à travers l'obstacle à la circulation de ces sédiments (qui focalise l'attention et l'action), mais déjà à travers les sources de ces sédiments dans les bassins versants. Au regard des évolutions agricoles et urbaines accélérées depuis 100 ans, il paraît difficile de mener une gestion sédimentaire de bassin sans analyser les dynamiques des usages des sols et de leurs effets.

Référence : Jenny JP et al (2019), Human and climate global-scale imprint on sediment transfer during the Holocene, PNAS, 116,46,22972-2297.

21/08/2019

Une rivière de tête de bassin en déficit d'espèces lentiques (Seddon et al 2019)

Une étude anglaise a recherché ce que pouvait être les "conditions de référence écologiques" d'une petite rivière de tête de bassin au 19e siècle, par des carottages sédimentaires et des études des anciens invertébrés. Elle trouve une plus grande diversité d'espèces voici 150 ans, mais surtout davantage d'espèces lentiques, habituées des eaux calmes ou stagnantes. La cause en serait des tracés jadis plus sinueux, moins incisés, avec des zones humides annexes avant drainage et calibrage. Il y aurait donc ici un déséquilibre en défaveur d'espèces lentiques aujourd'hui... soit le contraire de ce qui est souvent entendu dans les choix de rivière de tête de bassin, où certains se plaignent  des zones calmes de retenues et de canaux "pas naturels". En fait, la discontinuité latérale confirme dans cette étude son impact souvent plus marqué sur la biodiversité aquatique locale que la discontinuité longitudinale. Mais de toute façon, l'état d'une rivière au 19e siècle peut-il être une "référence" et un objectif alors que cet état était déjà modifié et que le vivant a évolué de manière continue pendant 3 millénaires? Cette "référence" supposée devrait-elle concerner tout le lit de la source à l'exutoire, ou doit-on accepter que les actions humaines changent des stations et des tronçons, donc que co-existent divers habitats à divers degrés d'anthropisation? On a besoin de débats sur ces questions, car les citoyens doivent trouver du sens à l'action publique et à ses coûts. 

A quoi ressemblaient les rivières et leurs populations biologiques dans le passé, quand il y avait moins d'interventions humaines? Peut-on faire de ce passé la "référence" d'un état à retrouver dans le futur? Avec ces questions à l'esprit, Emma Seddon et ses collègues ont analysé la rivière Hull, cours d'eau septentrional du Royaume-Uni situé en zone sédimentaire (calcaire). La rivière prend sa source près de la ville de Driffield, sa zone amont comprenant plusieurs petits affluents, dont Eastburn Beck, principal site d'étude de cette recherche. Les sols entourant Eastburn Beck sont principalement composées de terres agricoles arables et pastorales depuis les années 1850. Le système est considérée comme typique des rivières de bassin sédimentaire au Royaume-Uni, avec des concentrations élevées en nutriments et en oxygène, des eaux claires, des niveaux variables en fonction des saisons (débits élevés en hiver et étiages en automne).

Cette carte montre le tracé de la rivière Hull et son évolution entre le parcours ancien (pointillés), au milieu du XIXe siècle, et le parcours actuel (trait plein). Le recalibrage vers un tracé rectiligne (rectification) est l'évolution la plus manifeste.


Extrait de Seddon et al 2019, art cit.

Voici le résumé de la recherche des universitaires anglais :

"La définition des conditions de référence est un élément crucial pour quantifier l'étendue de la modification anthropique et pour identifier les objectifs de restauration dans les écosystèmes de rivière. Bien que les approches paléo-écologiques soient largement appliquées dans les lacs pour établir des conditions de référence, leur utilisation dans les écosystèmes lotiques reste limitée. 

Dans cette étude, nous examinons les scores de biodiversité et de biosurveillance macro-invertébrés contemporains, historiques (1930 et 1972) et paléo-écologiques à Eastburn Beck, un affluent en amont de la rivière Hull (Royaume-Uni), afin de déterminer si les approches paléo-écologiques peuvent être utilisées pour caractériser les conditions de référence d'un système lotique. Les échantillons paléo-écologiques comprenaient une plus grande diversité gamma (18 taxons) que les échantillons contemporains (8 taxons), des échantillons prélevés en 1972 (11 taxons) et en 1930 (8 taxons). Les échantillons paléo-écologiques comprenaient davantage de communautés différentes de Gastropodes, Trichoptères et Coléoptères (GTC) sur le plan taxonomique par rapport à des échantillons contemporains et historiques (1930 et 1972). Les résultats des indices de biosurveillance utilisant la communauté GTC ont indiqué que le paléochenal avait (a) une qualité biologique similaire pour les invertébrés, (b) un régime d'écoulement moins énergétique et (c) une augmentation des dépôts de sédiments fins par rapport au chenal contemporain. 

Les résultats montrent clairement que les données paléo-écologiques peuvent fournir une méthode appropriée pour caractériser les conditions de référence des habitats lotiques. Cependant, il est important de reconnaître que les données fauniques provenant des gisements de paléochenaux fournissent un 'instantané' à court terme des conditions dans le fleuve immédiatement avant son isolement hydrologique. Les activités de restauration des rivières devraient donc s’appuyer sur de multiples sources de données, y compris des informations paléo-écologiques lorsque cela est possible, pour caractériser une gamme de conditions de référence reflétant la nature hautement dynamique des écosystèmes lotiques."

Les échantillons paléo-écologiques de restes d'invertébrés pré-fossiles ont été obtenus via la collecte de quatre carottes de sédiments provenant de paléo-chenaux identifiés sur les cartes d'arpentage de 1849, chenaux qui étaient alors toujours présents dans la plaine d'inondation adjacente du ruisseau.

Ce graphique montre les "boites à moustaches" de la répartition de la richesse en Gastropodes, Trichoptères et Coléoptères à différentes époques (à noter qu'on ne peut pas garantir à plus de 95% une perte brute de richesse taxonomique).


Extrait de Seddon et al 2019, art cit.

Sur l'évolution de la composition, les chercheurs notent plus précisément :

"À l'échelle gamma (paysage), la diversité des macro-invertébrés était nettement plus élevée dans les échantillons paléo-écologiques fluviaux que dans les échantillons contemporains. Les différences de diversité gamma ont probablement été provoquées par d'importantes modifications de l'habitat dans les eaux d'amont de la rivière Hull au 19e siècle, résultant du recalibrage du lit de la rivière et donc de l'isolement du paléochenal. Les eaux amont précédemment sinueuses ont été remblayées et canalisées pendant les années 1850, créant un chenal de lit de gravier en grande partie uniforme, droit et surincisé (à 2 m sous la plaine inondable) pendant la majeure partie de son cours (Environment Agency  2003). La modification de l'habitat dans les sources des cours d'eau du Royaume-Uni s'est traduite par des conditions d'écoulement plus homogènes (débit rapide), la déconnexion du principal chenal de la plaine inondable, la perte de la plupart des habitats de retenue et une réduction de la complexité de l'habitat (Collins et al 2011).

Du fait de la simplification de l'habitat, la communauté macro-invertébrée contemporaine était presque exclusivement composée de taxa rhéophes, adaptés aux grandes vitesses d'écoulement, alors que la communauté paléo-écologique contenait un mélange de taxons adaptés aux faibles vitesses à faible énergie (limnophile) et forte énergie d'écoulement (rhéophiles). En outre, l'examen de la carte topographique de 1849 indiquait que les zones humides riveraines, qui existaient auparavant, ont été perdues du fait de la réduction de la connectivité hydrologique entre la rivière et la plaine inondable, conséquence directe de la gestion du chenal et du drainage des terres."

Discussion 
Cette étude permet d'observer qu'a contrario de la tendance française à considérer systématiquement les espèces d'eaux vives (lotiques) comme la référence des rivières de têtes de bassin, c'est aussi bien le déficit d'espèce d'eaux calmes ou stagnantes (lentiques) qui peut caractériser l'évolution biologique sur 150 ans, quand elle est analysée sérieusement. Ce déficit provient de la discontinuité latérale ayant entraîné la disparition des annexes hydrauliques du lit principal, les débordements du lit majeur lors des crues et les zones humides. Nous sommes donc loin en ce cas des priorités de programmes et de financements assez simplistes qui ont insisté pour l'essentiel depuis 10 ans sur la nécessité de restaurer des cours lotiques en traitant la continuité longitudinale en priorité. A dire vrai, la cause de cette déviation des politiques françaises de morphologie de rivière a un suspect bien connu : le lobby des pêcheurs de salmonidés (truite, ombre, saumon) qui s'intéressent presque exclusivement aux conditions optimales de certaines espèces de poissons, et qui exigent des choix prioritaires sur celles-ci. Parfois au détriment d'autres habitats (retenues, biefs, zones humide latérales) qui se sont installés sur la rivière au fil de l'histoire, offrant des fonctionnalités plus adaptées aux espèces lentiques. Il conviendrait aussi d'examiner en détail sur quelle "référence" un indice de qualité comme l'I2M2 a été étalonné.

Mais à dire vrai, et sur le fond de cette étude, on ne se satisfera pas pour autant de la démarche d'Emma Seddon et ses collègues. Car la question venant immédiatement à l'esprit en lisant leur travail est : pourquoi considérer que l'état de l'eau et du vivant au 19e siècle serait une "référence" pour l'action humaine au 21e siècle?

Des chercheurs ont montré que sur des cours d'eau à faible énergie, les profils des berges et des lits ont en réalité changé de manière continue pendant au moins 3000 ans, et que le style méandriforme de la fin du Moyen Âe est déjà le résultat d'action anthropique et d'évolution naturelle post-glaciaire (Lespez et al 2015, Brown et al 2018). Cette dimension perpétuellement dynamique du vivent, dont on ne voit pas pourquoi elle s'arrêterait au cours de ce siècle et dans ceux à venir, pose donc de manière plus radicale et fondamentale la question de la rigueur scientifique de l'idée d'un état de référence (Bouleau et Pont 2014, 2015), mais aussi la question des préjugés davantage politiques que scientifiques concourant à élaborer des politiques publiques et des bilans de ces politiques publiques (par exemple Depoilly et Dufour 2015, Dufour et al 2017), bilan dont la rigueur est loin d'être au rendez-vous (Morandi et al 2014).

Autre question posée : pourquoi une rivière devrait-elle être reproduite à l'identique d'un modèle du 19e siècle sur tout son cours, alors que l'on peut très bien avoir des stations et tronçons préservés d'actions récentes et/ou renaturés (s'il y a  demande sociale ou services rendus), d'autres qui sont anthropisés à divers degrés, l'ensemble présentant a priori une diversité intéressante de peuplements, de fonctions, de styles fluviaux et de paysages?

Ces questions ne sont pas posées aujourd'hui dans la politique des rivières, où l'on préfère répéter des mantras assez simplistes venant de décideurs et financeurs publics. On les posera pourtant encore et toujours, car les riverains doivent comprendre et valider le sens des options qui leur sont proposées, en particulier quand les options impliquent des coûts et des contraintes.

Référence : Seddon E et al (2019), The use of palaeoecological and contemporary macroinvertebrate community data to characterize riverine reference conditions, River Res Applic. doi.org/10.1002/rra.3490

A lire sur ce thème
Les effets complexes d'un étang sur la qualité de l'eau et les invertébrés en tête de bassin (Four et al 2019) 
Restauration morphologique de rivières anglaises : résultats décevants sur les invertébrés (England et Wilkes 2018)
Effets des petits ouvrages sur les habitats et les invertébrés (Mbaka et Mwaniki 2015)
Davantage de richesse taxonomique chez les invertébrés aquatiques depuis 30 ans (Van Looy et al 2016)
Les résultats inconsistants des restaurations de continuité écologique imposent des suivis et analyses coûts-bénéfices (Mahlum et al 2017) 

26/07/2019

La négation des réalités écologiques de terrain continue et s'aggrave dans le suivi des chantiers d'effacement d'ouvrages

Les experts publics (Irstea, OFB, agences de l'eau) viennent de proposer un guide de suivi des chantiers de restauration hydromorphologique. Ce guide est d'abord un aveu: depuis 10 ans, les agences de l'eau dépensent plusieurs centaines de millions € chaque année sur ce compartiment de la morphologie des rivières sans pouvoir apporter la moindre garantie scientifique de résultat, et cela alors que les retours critiques sur ces résultats très inégaux ont déjà 15 ans dans la recherche internationale. Les apprentis-sorciers ont trompé les décideurs et les citoyens en prétendant aux vertus garanties de leurs chantiers. Ce guide est ensuite biaisé en ce qui concerne le suivi avant-après des destructions d'ouvrages hydrauliques (continuité en long): les auteurs préconisent de nier purement et simplement la biodiversité et les fonctionnalités de tous les espaces aquatiques et humides qui sont dérivés de l'ouvrage (biefs et annexes). C'est donc kafkaïen : on propose une mesure qui, par elle-même, ne pourra qu'aboutir à un soi-disant résultat "positif", cela sans aucune certitude qu'il n'y a pas eu en fait une perte nette de milieux et d'espèces d'intérêt. C'est moins de la science qu'une idéologie de certification des choix publics.  En tout cas, on est toujours très loin de la continuité "apaisée". Mais les citoyens s'informent désormais et ils ne se laisseront pas duper par de telles méthodes, construites par une expertise fermée aux publics concernés. 


Des experts des agences de l'eau, de l'Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture) et de l'AFB (désormais OFB pour Office français de la biodiversité) viennent de publier un "Guide pour l'élaboration de suivis d'opérations de restauration hydromorphologique en cours d'eau".

Les chantiers concernés par le guide sont de sept types : reméandrage ; suppression d’ouvrage en travers ; contournement de plan d’eau (hors dispositif de franchissement piscicole type passe à poissons, rustique ou non) ; remise dans le talweg ; reconstitution du matelas alluvial ; suppression des contraintes latérales ; modification de la géométrie du lit (changemments locaux de faciès et profils) sans modification de l’emprise foncière.

Les auteurs observent en introduction que la littérature scientifique donne des conclusions ambivalentes :

"la littérature scientifique, notamment par le biais d’études de cas ou de méta-analyses, se penche sur la question des trajectoires suivies, d’une part par l’hydromorphologie, d’autre part par les communautés biologiques, suite à une opération de restauration. Ces travaux révèlent une grande variabilité dans ces trajectoires. Ainsi, les travaux menés dans le cadre du programme Reform, de Kail et al. montrent que la restauration a en moyenne des effets positifs sur les communautés biologiques, mais que les réponses sont très variables d’un site à l’autre. Les travaux menés par Roni et al. indiquent quant à eux qu’il est difficile de conclure sur l’efficacité des techniques, malgré les 345 études analysées." 

Deux remarques à ce sujets :
  • les auteurs sont encore loin de recenser tous les retours d'expérience en hydromorphologie, dont beaucoup sont fort critiques sur l'absence de résultats et l'absence de sérieux dans le suivi, malgré l'importance des sommes investies (voir quelques exemples ici),
  • les auteurs admettent que le suivi scientifique est défaillant en France... alors même que de nombreux chantiers sont engagés depuis 10 ans (10 à 20% des dépenses des agences de l'eau, soit des centaines de millions € par an) et que l'on prétendait au décideur public que l'Onema réalisait déjà des suivis attestant la qualité des choix opérés (comme nous l'avions montré, ces suivis étaient tout à fait défaillants car dénués de rigueur, cf références en bas d'article).
Précisons les choses : nous n'affirmons nullement que toutes les issues des chantiers sont négatives ou sans intérêt, simplement qu'il n'y a pour le moment pas de garantie. Or, on parle là de dépense d'argent public et, dans certains cas, de contraintes lourdes pour les riverains avec des options écologiques ayant des désavantages sur d'autres dimensions de la rivière et de ses usages.

Les résultats des "restaurations" mettront en fait des années voire des décennies à s'établir, certains seront bons mais d'autres médiocres, certains auront même des effets négatifs (comme favoriser des invasives, des assecs etc.). Nous demandons donc que soit reconnu le caractère encore très expérimental de tels chantiers, et qu'ils soient limités à des tronçons pour analyse avant-après au lieu que d'être généralisés comme des outils soi-disant routiniers et maîtrisés de la gestion de rivière. Ce qu'ils ne sont pas. L'argent public manque pour soutenir l'objectif n°1 de dépollution chimique des eaux et des rives (imposé par la directive cadre européenne de l'eau à peine d'amende), mais aussi pour financer une politique sérieuse de réserves de vie sauvage susceptibles d'héberger la biodiversité en crise (la cour des comptes européennes a critiqué la gestion des Natura 2000 et des outils de la directive HFF par la France). L'administration de l'eau ne peut pas continuer à dépenser ainsi sans discernement et sans méthode.

Effacements d'ouvrages : le déni organisé des milieux en place !
Par ailleurs et plus gravement, dans le suivi des effacements d'ouvrage en travers au nom de la continuité en long, les auteurs persistent à proposer de mauvaises méthodes. Ils considèrent en effet qu'il suffit d'échantillonner en amont et en aval de la retenue effacée, tout en veillant particulièrement à la "recolonisation des espèces rhéophiles au détriment des limnophiles" :


Figure extraite du guide citée en référence.

Or :

  • c'est une tautologie de dire que recréer un habitat lotique sera favorable aux espèces lotiques (mais défavorable aux espèces lentiques), la collectivité paie pour la sauvegarde de la biodiversité, pas pour des changements de détail de peuplements locaux (le score à mettre en avant pour valider ou non la dépense serait celui de la diversité bêta des stations, pas de la spécialisation lotique),
  • cette méthode de mesure ignore l'un des intérêts des ouvrages, en particulier de moulins, à savoir la création d'habitats dérivés (biefs et annexes).

Ce schéma expose le problème :



Nous sommes donc obligés de constater que l'écologie de la restauration en France persiste dans le déni de valeur des écosystèmes artificiels, selon une idéologie que nous avons déjà dénoncée et qui conduit selon nous à de mauvais choix dans le cas de la continuité en long. Les experts publics produisent des métriques qui servent d'abord à valider des choix publics, mais pas à établir une connaissance complète et objective des milieux en place qui sont perturbés par des chantiers.

Nous ne parviendrons pas à une continuité "apaisée" et à des échanges sereins entre parties prenantes sans sincérité intellectuelle. Elle fait défaut dans cette démarche pour ce qui concerne les destructions d'ouvrages et de leurs milieux associés.

Référence : Rolan-Meynard M. et al (2019), Guide pour l’élaboration de suivis d’opérations de restauration hydromorphologique en cours d’eau, Agence française pour la biodiversité, Collection Guides et protocoles, 190 pages

A lire en complément
Idée reçue #08 : "Les opérations de restauration écologique et morphologique de rivière ont toujours de très bons résultats"
Recueil d'expériences de l'Onema: un bon aperçu du manque de rigueur en effacement des ouvrages hydrauliques 
Comment dépasser les mauvaises pratiques actuelles en destruction des étangs et plans d'eau 

Exemples d'habitats de moulin négligés par la méthode OFB-Irstea-Agences de l'eau (milieux risquant la mise à sec si l'ouvrage est arasé ou dérasé)

25/06/2019

Identifier, protéger, gérer les habitats aquatiques et humides du moulin

Les moulins ont des habitats associés à leur fonctionnement: retenue, canaux et rigoles, zones humides annexes. Il y a aussi de nombreux micro-habitats comme par exemple des embâcles en décomposition, des caches racinaires en pied d'arbre, des roselières ou des cariçaies. Les moulins anciens en tête et milieu de bassin se sont parfois partiellement "renaturés" avec le temps, offrant des profils originaux. A l'heure de la crise de la biodiversité, il est important pour les propriétaires de se sensibiliser à l'existence de ces milieux et de réfléchir à leur bonne gestion. Il est aussi possible de profiter de la circulation de l'eau pour créer de nouveaux habitats, comme par exemple des mares en dérivation de bief ou en zone alimentée par la recharge de nappe. Pour qui y prend garde, toute une faune d'insectes, amphibiens, mollusques, crustacés, poissons, oiseaux, mammifères pourra profiter de la présence de l'eau et de la végétation souvent luxuriante de berge, avec d'autant plus de diversité qu'on laissera de la place pour des habitats variés, tantôt permanents tantôt intermittents. Si le moulin se définit d'abord par les besoins de gestion hydraulique, parfois au bénéfice de l'énergie exploitée sur le site, les nouveaux enjeux de la biodiversité peuvent le conduire à développer aussi une gestion écologique et morphologique des eaux qui traversent la propriété. Ainsi, le moulin s'inscrit dans la durée comme un patrimoine vivant... dans tous les sens du mot!

Identifier des espèces n'est pas toujours facile, mais cartographier des habitats est davantage à portée. Cela forme une première étape pour réfléchir à la gestion de son bien. La planche ci-dessous donne quelques exemples d'habitats d'un moulin en tête de bassin du Morvan.


Si votre moulin (ou étang) est situé en Bourgogne Franche-Comté et que vous êtes intéressé par un travail en réseau sur la gestion de la biodiversité au droit des ouvrages hydrauliques, contactez-nous. Avec nos consoeurs de la région, nous commençons à mettre en commun des observations, mutualiser des bonnes pratiques, définir des méthodes d'inventaire, améliorer l'engagement des moulins et étangs pour la protection du vivant.

A lire aussi
Et si votre moulin devenait un refuge LPO pour les oiseaux? 

30/03/2019

Les discontinuités des rivières, un phénomène antérieur à l'être humain

Continues, les rivières? Pas tant que cela. Dans un monde imaginaire où la nature serait laissée à elle-même sans intervention humaine, beaucoup de rivières seraient en réalité des courses d'obstacles : barrages d'embâcles et de castors, chutes, cascades et seuils de pierres, pertes et assecs à l'étiage... les discontinuités sont partout. En particulier dans les têtes de bassin versant, là où les fortes pentes forment parfois des linéaires infranchissables pour remonter le courant et où des rivières peu larges à débit peu prononcé s'obstruent plus facilement que dans les larges écoulements des plaines alluviales. Aussi faut-il se garder d'idéaliser une nature de carte postale, comme le font certains gestionnaires. Et se ré-interroger sur la nécessité de traiter les discontinuités artificielles ajoutées par l'être humain. Car toutes ces singularités hydrologiques font des gagnants et des perdants pour le vivant, ce que seul un examen local de la biodiversité révélera.



Lorsqu'ils ont créé le concept de "continuum fluvial" en 1980,  Robin L Vannote et ses collègues n'avaient pas spécialement pour idée que toute rivière présente un transit parfaitement libre pour les sédiments et les espèces. Leur réflexion consistait à observer que les cours d'eau connaissent une variation continue de l'énergie cinétique du courant et de l'énergie biochimique des nutriments / proies entre la source et l'embouchure.

Mais dans la réalité, une rivière peut présenter des discontinuités locales, qui sont particulièrement marquées dans les têtes de bassin versant. Elles peuvent être de nature géologique, rhéologique, hydrologique. Et forment autant de singularités. En voici quelques exemples.

Cascades et cataractes - Pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres de haut, elles sont formées lorsque le lit rencontre une paroi verticale ou à forte pente.

Chutes et sauts - Hautes de quelques mètres, ces discontinuités sont créées par amas de gros blocs rocheux entravant le lit

Seuils - Des blocs et grosses pierres en travers créent des petits sauts d'écoulement de quelques dizaines de centimètres, suffisant à décourager les espèces de poissons sans capacité de saut.

Rapides et torrents - Les accélérations de l'écoulement sur plusieurs dizaines à centaines de mètres en raison d'une forte pente locale peuvent créer une barrière de franchissement pour les espèces faiblement nageuses.

Pertes et assecs - Dans les régions calcaires, mais parfois ailleurs aussi, les rivières deviennent intermittentes en été ou dans les périodes de sécheresse.

Barrages de castors - Ces rongeurs aquatiques, qui ont une espèce américaine et une espèce européenne, construisent des retenues dans les eaux peu profondes des petites et moyennes rivières.

Barrages d'embâcles - L'état naturel d'une berge et d'un milieu adjacent à la rivière est généralement boisé (ripisylve), ce qui entraîne régulièrement des chutes de troncs et branches formant barrages.

Hautes de quelques dizaines de centimètres à près de 1000 mètres, dégradables en quelques mois à quelques millions d'années, les discontinuités font donc partie des répertoires naturels de la morphologie des rivières. Elles peuvent provoquer des naissances d'espèces (spéciation) en bloquant les échanges génétiques entre des populations. Elles induisent des singularités, des changements, des transitions qui sont autant d'opportunités pour le vivant. Au fil des millénaires, les sociétés humaines ont créé de nouvelles discontinuités : chaussées de moulins, digues d'étangs, écluses de canaux, puis tardivement des grands barrages. Dans une perspective d'écologie intégrative où la rivière est le produit d'une histoire naturelle dont l'intervention humaine est une étape, et non une anomalie, il faut la regarder comme un milieu portant les traces de tous ses héritages.

14/03/2019

L'agence de l'eau Loire-Bretagne reconnaît les échecs de la continuité écologique... mais fonce dans le mur en ne changeant rien!

Le programme d'intervention 2019-2024 de l'agence de l'eau Loire-Bretagne va faire l'objet d'un recours contentieux en annulation de la part des associations de moulins et riverains, comme celui de Seine-Normandie. Le motif en est que ces agences continuent de payer la casse des barrages et moulins avec l'argent des contribuables, malgré le bilan lamentable de cette politique décriée. Dans le cadre de la procédure, nous nous sommes procurés le compte-rendu préparatoire de ce programme d'intervention en Loire-Bretagne : il faut rappeler que les moulins et riverains sont exclus des débats, n'étant pas représentés en comités de bassin et ne recevant pas les projets de résolution pour une concertation en amont. Dans ce document, l'agence de Loire-Bretagne reconnaît explicitement tous les problèmes de la restauration hydromorphologique (premier poste budgétaire, avant celui des pollutions agricoles ou celui des pollutions domestiques), et en particulier les problèmes de la continuité : manque de prévisibilité des résultats, coûts financiers importants, opposition majoritaire des premiers concernés (riverains et maîtres d'ouvrage), effets négatifs sur les propriétés. Et quelle est la réponse de la bureaucratie de l'eau? On continue de plus belle pour 5 ans! Mais cette gouvernance aberrante et autoritaire est en faillite partout en France : les citoyens ne supportent plus ces gabegies et ces harcèlements des administrations publiques pour des projets inutiles, voire néfastes. 


Depuis 10 ans, la politique de destruction des barrages imposée par l'administration produit des conflits et des divisions au bord des rivières. L'Etat est dans le déni massif de cette réalité, préférant financer des lobbies pour prétendre que sa politique répond à une demande sociale forte et à un intérêt écologique majeur, ce qui est faux (source).

Voici quelques exemples des "freins relatifs aux mesures de restauration hydromorphologique des cours d'eau" relevés dans le document de l'agence de l'eau Loire-Bretagne.

Pifométrie : impossibilité de prévoir les effets des mesures
L’hydroécologie est, de manière générale, un domaine complexe. Le lien entre certaines interventions sur le seul milieu physique, qui souvent n’est pas le seul à être altéré, et la réponse biologique, qui généralement répond à une multiplicité de facteurs anthropiques et naturels, est difficile à mettre en évidence, a fortiori à prévoir.
Les référentiels scientifiques et techniques en termes de typologie de travaux de restauration hydromorphologique sont encore relativement récents et les retours d’expérience existent, mais sont encore insuffisants pour bien prévoir leur efficacité et, surtout pouvoir adapter les modes d’intervention aux contextes locaux pour mieux garantir cette efficacité.

Apprentis sorciers : pas de réel retour sur la pertinence écologique vu le temps de réponse
Les temps de réponse de l’hydrosystème fluvial aux actions de restauration sont variables, très aléatoires dans le temps et dans l’espace, en fonction du type de cours d’eau et de la taille du bassin versant, et ceci indépendamment de l’efficacité intrinsèque de la restauration. Ceci rend difficile l’appréciation de la pertinence – au sens de l’amélioration effective de l’état écologique - des programmes de mesures mis en œuvre.

Tant pis pour le climat : incompatibilité avec la politique publique bas carbone (hydro-électricité)
Des convergences sont à rechercher avec d’autres directives européennes (directive inondation, directive énergies renouvelables, etc.), ce qui peut avoir des incidences sur la réalisation des projets de restauration. Ces incidences peuvent être négatives (réduction du niveau d’ambition, allongement des délais), ou positives (projet à plusieurs objectifs).
Le cas de la Directive énergies renouvelables, dont un des objectifs est le développement de l'hydroélectricité est un exemple significatif des difficultés à faire converger de manière cohérente les politiques publiques, celles-ci étant le plus souvent abordées de manière sectorielle. En effet, les installations hydroélectriques peuvent sur certains territoires avoir un impact majeur sur les milieux aquatiques rendant d'autant plus complexe la mise en œuvre efficace de mesures de restauration de l'hydromorphologie. Par exemple, le relèvement des débits réservés ou la mise en œuvre de régimes hydrologiques plus naturels en aval des grands barrages, s'accompagnent le plus souvent d'une moindre efficacité énergétique.

Gabegies et matraquage économique : coûts financiers excessifs, désengagement des acteurs
Les coûts peuvent conduire à revoir le niveau de l’objectif poursuivi ou à répartir l’effort sur plusieurs plans de gestion et ce d'autant plus que ces dépenses représentent des engagements difficiles dans le contexte économique actuel malgré les aides accessibles.
Par ailleurs, certains acteurs se désengagent progressivement des co-financements des projets de restauration et le 11e programme de l’agence de l’eau Loire-Bretagne est élaboré dans un contexte général de baisse des moyens financiers et humains.

Déni démocratique : forte opposition des riverains à la destruction des ouvrages et des paysages
La faible acceptation de ces interventions et la multitude de propriétaires concernés rendent le travail de concertation long et complexe à la fois pour des opérations ponctuelles et pour les opérations de restauration ne relevant pas d'une obligation réglementaire des propriétaires.
Les interventions de restauration le long des berges touchent à la propriété foncière et sont, dans la plupart des cas, d’abord perçues par les propriétaires privés ou exploitants des parcelles concernées comme allant à l'encontre de leurs intérêts (restauration de la mobilité latérale et donc érosion des parcelles riveraines, augmentation de l'inondabilité sur des secteurs où les lits ont été recalibrés...). Par ailleurs, les riverains sont majoritairement attachés aux ouvrages en lit mineur (moulins, vannages, etc.) et au paysage fluvial pour leurs usages socio-économiques, d'agrément et leur valeur patrimoniale. Les projets de restauration hydromorphologique rencontrent dès lors souvent une opposition de riverains, laquelle s'est structurée et renforcée ces dernières années, ce qui n'avait pas été perçu lors de la définition des précédents programmes de mesures.

Nous rappelons que la politique de continuité écologique, avant tout héritière de demandes halieutiques (non écologiques en soi) centrées sur quelques poissons appréciés de certains pêcheurs, a de nombreux impacts négatifs quand elle est orientée sur la disparition des sites comme c'est le cas aujourd'hui :

  • elle détruit le potentiel hydro-électrique bas carbone donc contrevient aux engagements énergétiques et climatiques de la France,
  • elle détruit des retenues, lacs, étangs, canaux et zones humides favorables au vivant,
  • elle détruit le patrimoine historique et paysager des rivières françaises façonnées depuis 1000 ans par les moulins et étangs,
  • elle laisse des rivières à sec ou à très faible tirant d'eau en été, ce qui va s'aggraver avec le changement climatique,
  • elle représente un coût public considérable qui doit être redirigé d'urgence vers la lutte contre les pollutions diffuses, la mise aux normes des assainissements et des gestions d'eaux pluviales, l'accompagnement vers une agriculture durable,
  • elle est sous-informée scientifiquement et conçue de manière simpliste, car elle a été envisagée pour optimiser la rivière au bénéfice de quelques espèces de poissons sans intégrer la complexité du vivant, l'évolution spatiale et temporelle de la biodiversité, la dynamique hydroclimatique et la diversité des représentations sociales.
La destruction des ouvrages hydrauliques doit être combattue en dehors des cas rares de sécurité et salubrité prévus par la loi, ou bien lorsqu'il y a consensus local des riverains et propriétaires pour engager un autre projet paysager. Seuls des aménagements non destructeurs (vannes, passes à poissons) sont utiles et d'intérêt général, là où il existe un besoin réel sur des espèces rares et menacées dans leur cycle de vie. Avec, bien sûr, le devoir de bonne gestion des ouvrages.

Source : Comité de bassin Loire Bretagne, Séance plénière du 28 novembre 2018.

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24/08/2018

La continuité sédimentaire passe-t-elle par l’arasement systématique des seuils? Une analyse critique

"La continuité amont-aval est un principe bien trop simplifié dans sa mise en œuvre actuelle ; elle devrait faire l’objet de réflexions plus approfondies alors que les projets de déséquipement des rivières sont massifs" : tel est le constat de Jean-Paul Bravard. Ce chercheur compte parmi les scientifiques internationalement reconnus qui ont construit depuis plusieurs décennies les outils de la gestion intégrée des bassins versants. Extraits de son analyse critique de la question sédimentaire au sein de la continuité, où l'auteur produit plusieurs propositions pour refonder les choix publics de continuité sur des priorités scientifiquement mieux établies. 


Un suivi sédimentaire et morphologique local après effacement de barrage, le retenue de Pierre Glissotte dans le Morvan (exemple extrait de Gilet et al 2018). 

Préconisations pour une gestion apaisée de la complexité

4.5.1. Classer les bassins hydrographiques et les cours d’eau actuels par rapport aux flux de sédiments grossiers
Les mesures prises en faveur de la continuité sédimentaires devraient prioritairement classer les rivières en fonction des critères suivants basés sur les principes des bilans sédimentaires:

  • Localisation des entrées sédimentaires dans le système fluvial et estimation des volumes concernés
  • Mesure des transits pour des débits de référence
  • Tendance du bilan depuis un siècle,
  • Perspectives pour les décennies à venir,
  • Exemples de seuils retenant réellement des sédiments utiles à l’aval,
  • Rôle éventuellement positif des seuils de moulins pour maintenir les matériaux dans le linéaire fluvial (à l’exception des barrages)
  • Eventuelle prise en considération des effets du changement climatique sur l’hydrologie et la mobilisation des sédiments du lit.

4.5.2. Promouvoir une recherche scientifique critique
Si la recherche se développe dans le champ des sciences humaines sur les aspects territoriaux et sociaux de l’acceptation de l’arasement de seuils (Barraud et Germaine, 2017), en revanche la recherche pratiquée dans le champ du milieu physique reste encore trop limitée. Une des raisons est que les sources de financement sont réduites et que les chercheurs, sauf exceptions notables, sont contraints de se tourner vers d’autres sujets.

Il conviendrait de multiplier :

  • La recherche sur les liens existant entre les arasements envisagés et l’espace latéral (berges et plaine alluviale) ou « espace de bon fonctionnement ». Cette intégration des perspectives (le chenal et la plaine alluviale/lit majeur) est nécessaire avant toute décision réfléchie.
  • Des recherches fondamentales, c’est-à-dire non finalisées, seules capables de faire avancer des questions dans une perspective scientifique. La question des bilans sédimentaires à plusieurs échelles est la plus importante. Celle des héritages du passé qui pèsent aujourd’hui sur les choix : L. Lespez et al. (2015) interrogent la naturalité des rivières normandes. Les défrichements et les seuils anciens ont favorisé les débordements, donc la sédimentation sur la plaine. ils ont contribué à la chenalisation pendant des siècles. Il ne s’agit pas d’étudier la dégradation cumulative des écosystèmes mais celle de systèmes complexes dans lesquels les héritages sédimentaires interagissent avec les processus (le système déstocke depuis un siècle). La restauration naturelle de rivières à faible énergie est à peu près inaccessible ; il n’est pas possible, faute de disposer d’une énergie suffisante d’espérer « travailler avec la rivière ».
  • L’analyse scientifique de retours d’expérience devrait être menée dans les règles après des arasements de seuils. La procédure en vigueur est souvent minimale quand elle est demandée. Les suivis doivent avoir une durée suffisante et concerner des éléments diversifiés.

4.5.3. Préconisations en matière de conciliation de politiques en apparence contradictoires
Un des aspects fondamentaux du succès de la gestion à venir sera la capacité des gestionnaires à réussir à donner de la cohérence à des politiques qui, dans l’espace des fonds de vallées, paraissent contradictoires et mènent parfois à des conflits. Le « forcing » fait sur la continuité pose la question de la compatibilité de cette dernière avec d’autres démarches :

  • La ralentissement dynamique des crues - La suppression des obstacles transversaux abaisse la ligne d’eau pour le débit moyen et réduit plus ou moins le débit des eaux inondantes à la surface du lit majeur (OCE, 2013). Or des recherches ont été effectuées depuis le milieu du XIXe siècle pour démontrer le bienfait des obstacles dans ce domaine (des seuils, indépendamment des barrages réservoirs ou barrages à pertuis). Des ingénieurs d’état ont encouragé la construction de seuils dans le bassin de la Loire et les Cévennes après la crue de 1856 pour favoriser des débordements dans les hauts bassins et contribuer à réduire les crues. Plus récemment, cette politique a été recommandée par le CEMAGREF à partir de 1992: il s’agit des pratiques du « ralentissement dynamique des crues », les débordements organisés réduisant la vitesse et le volume d’une onde de crue (Oberlin, 1994 ; Desbos, 1997 ; Oberlin & Poulard, 2002 ; CEMAGREF, 2004 ; Degoutte, 2009 ; Poulard et al., 2009). Le ralentissement dynamique s’est d’ailleurs trouvé en contradiction avec la politique du MEDD qui dans les années 1990 a financé la lutte contre les inondations au moyen du nettoyage des chenaux; les encombrements n’étaient-ils pas une forme de version naturaliste du ralentissement dynamique ? Nettoyer les embâcles d’une rivière, c’est aussi supprimer des habitats potentiels (et naturels...), c’est une démarche d’ingénieur.
  • La production énergétique à partir de ressources renouvelables – Afin de réduire les émissions à effet de serre et la dépendance de la Communauté européenne à l’égard des importations d’énergie, la CE a publié la Directive n° 2009/28/CE du 23 avril 2009 ; celle-ci encourage la production d’hydroélectricité, l’eau étant une ressource renouvelable. Les énergies de ce type devraient en principe représenter 20% de la consommation de la Communauté d’ici à 2020. Différentes formules de production sont possibles et l’accroissement de l’efficacité énergétique des ouvrages existants est recommandé. La politique de continuité écologique et les pressions qui s’exercent en sa faveur s’accommodent mal de la transformation de moulins en microcentrales, même si les techniques adoptées sont censées réduire ou supprimer les dommages occasionnés aux espèces (vis d’Archimède, turbines à larges pales et vitesse lente).
  • Plans d’eau et écologie - Les plans d’eau aménagés, notamment les étangs retenus par des seuils ou des chaussées, sont considérés de manière négative dans le cadre du rétablissement de la continuité. Leur réhabilitation passe par leur étude en temps qu’écosystèmes lentiques complexes ou « limnosystèmes » (Touchart et Bartout, 2018). De nature géographique, le limnosystème valorise des biocénoses à gradient vertical du cycle biosynthèse- biodégradation ; les biocénoses des étangs contrastent avec les biocénoses des milieux lotiques à gradient longitudinal. Eléments de nature lentique, les étangs (tout comme les lacs) sont considérés comme étrangers au système fluvial stricto sensu et à la continuité érigée en principe théorique. Que faire par exemple du Lac Léman dans le continuum rhodanien ? Les étangs sont cependant une composante pleine et entière des hydrosystèmes, dotée de vertus propres en matière écologique et porteuse de biodiversité. Touchart et Bartout montrent qu’ils interagissent avec les écosystèmes lotiques d’amont et d’aval ; et en tant qu’isolats favorisant l’endémisme, ils interagissent avec l’ensemble du réseau hydrographique. Les étangs sont aussi un type d’anthroposystème riche, diversifié et porteur d’une histoire (l’archétype en est le système des étangs de la Dombes dont on imagine mal la remise en question).
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20/08/2018

Combler les lacunes des connaissances dans la restauration de rivière (Zingraff-Hamed 2018)

Dans une thèse doctorale venant d'être soutenue et ayant donné lieu à 5 publications scientifiques revues par les pairs,  Aude Zingraff-Hamed étudie la restauration de rivière, en particulier ses dimensions sociales, le suivi de ses résultats écologiques et ses particularités en milieu urbain. Dans l'introduction de cette thèse, la doctorante revient sur les lacunes de nos connaissances dans la restauration de rivière, telles qu'elles sont aujourd'hui reconnues par la communauté des chercheurs. La recherche menée pour la thèse montre notamment que des objectifs sociaux, économiques et écologiques peuvent entrer en conflit. Cela pose diverses questions. Pourquoi a-t-on choisi de planifier et financer en France, à hauteur de centaines de millions € par an, des interventions systématiques en rivière alors même que la connaissance scientifique sur les effets de ces interventions est encore reconnue comme en construction ? Pourquoi joue-t-on aux apprentis sorciers sur des mesures qui changent substantiellement, parfois sur des vallées entières, les écoulements en place, les paysages, les berges et les usages au lieu de procéder d'abord à des expérimentations pour confirmer certaines hypothèses de travail et vérifier l'absence d'effets secondaires indésirables? Extraits. 




Extrait de l'introduction : lacunes des connaissances en matière de restauration de rivière

"Une première lacune est la caractérisation et la définition des projets qui devraient être davantage axées sur, et adaptées aux, pratiques. Les projets de restauration sont nombreux et variés mais ont été regroupé dans un désir d’unité de la communauté scientifique sous le même terme de restauration de rivière (river restoration) (SER 2004). Cependant, de nombreuses sous-catégories existent, comme par exemple réhabilitation, renaturation, et revitalisation. De nombreuses définitions de ces actions ont été formulées se recoupant et étant utilisées différemment selon le contexte linguistique et culturel des projets (Morandi 2014). La confusion résultante a engendré des biais qui mettent en danger la comparaison des projets et les processus d’apprentissage par les expériences passées. La communauté scientifique et les praticiens ont formulé un besoin accru pour une caractérisation et une définition des différents types de projets basés sur des exemples pratiques et intégrants une approche socio-écologique (Jenkinson et al. 2006; Bernhardt et al. 2007a). Quelles sont les différents types de restauration de rivière ? La recherche doctorale s’intéressera dans un premier temps à la définition et caractérisation des différents types de projets de restauration se basant sur un inventaire des pratiques.

Une seconde lacune concerne les bases de données existantes qui sont incomplètes. L’écologie de la restauration est une science expérimentale qui évolue grâce au partage d’expérience. C’est pourquoi, un grand effort a été fourni afin de recenser les projets de restauration (Bernhardt et al. 2005; Jenkinson et al. 2006; Nakamura et al. 2006; Bernhardt et al. 2007b; Brooks & Lake 2007; Kondolf et al. 2007; Feld et al. 2011; Morandi & Piégay 2011; Aradóttir et al. 2013; Barriau 2013; Pander & Geist 2013; Morandi et al. 2014; Kail et al. 2016; Muhar et al. 2016; Speed et al. 2016). Cependant, Jenkinson et Barnas (2006) ont souligné que les bases de données ne recensent qu’une petite proportion de l’effort global. Malgré de nombreux fonds européens dédiés à la création de bases de données publiques (par exemple REFORM ou RiverWiki) et de grands moyens humains déployés, les bases de données restent incomplètes et ces inventaires sont marqués par une grande différence entre les pays européens. Cette recherche doctorale participera à combler ce manque.

Une troisième lacune est le manque de connaissance sur les restaurations de rivières urbaines. Alors qu’aux États-Unis, les restaurations en milieu urbain attirent les efforts et moyens (Bernhardt et al. 2005; Hassett et al. 2007), ils sont particulièrement faiblement représentés au sein des bases de données européennes. La recherche en laboratoire urbain est particulièrement importante parce que la population mondiale croît rapidement et les aires urbaines à forte densité vont absorber une majeure partir de cette croissance (U.N 2014). Alors qu’en 1952, la plus grande ville était New York (U.S.A) avec à peine huit millions d’habitants, en 2001, dix-sept étaient plus peuplées qu’elle et elles étaient quarante-quatre en 2010. En 2030, 85% de la population d’Europe et d’Amérique du Nord vivra en milieu urbain (U.N 2014). Cette croissance démographique couplée à celle des aires urbaines n’est pas sans répercussion sur les espaces naturels. L’urbanisation a d’ores déjà engendré des dégradations écologiques majeures, et les rivières urbaines sont davantage touchées par l’impact anthropique que leur tronçons ruraux (EEA 2012; Yuan et al. 2017). Leurs dysfonctionnements sont caractéristiques et ont été nommées urban river syndrom (Walsh et al. 2005). De plus, malgré un intérêt croissant des populations citadines pour les rivières urbaines (Bethemont & Pelletier 1990; Brown 1999; Booth et al. 2004; Bonin 2007; Akers 2009; Castonguay & Samson 2010; Costa et al. 2010; Romain 2010a; Romain 2010b; Kehoe 2011; Brun & Simoens 2012; PUB 2012; Mahida 2013; Chou 2016; Smith et al. 2016; Wantzen et al. 2016), celles-ci sont particulièrement difficiles à restaurer (Bernhardt et al. 2005; Bernhardt et al. 2007a). La recherche sur les rivières urbaines reste peu développée (Moran 2007; Francis 2012), mais à cause de ses particularités, les résultats de recherches menées en milieu rural sont difficilement extrapolables au milieu urbain. Ainsi une recherche spécifique devrait constituer un apport intéressant pour la science. Quelle sont les particularités des restaurations en milieux urbain ? Cette étude doctorale va établir la différence de pratiques en fonction du contexte géographique, soit urbain ou rural, comparant des projets réalisés dans un même contexte législatif et culturel.

Une quatrième lacune traitée dans cette étude est qu’alors que les rivières sont reconnues comme un système socio-écologique, peu de considération a été accordée à l’identification des forces motrices sociétales des projets de restauration. La dégradation écologique des écosystèmes et la perte relative en services écosystémiques ont été définies comme les principales forces motrices des projets de restauration (Galatowitsch 2012). Cependant, l’effet de forces indirectes telles que morale, idéologique, politique, démographique et économique n’a été que supposé (Clewell & Aronson 2006; Baker et al. 2014) et peu d’attention a été accordé à leur identification et à l’estimation de leur influence sur les pratiques de la restauration (Eden & Tunstall 2006; Grêt-Regamey et al. 2016; Parr et al. 2016). Quelles sont les forces motrices sociétales de la restauration ? Cette étude s’intéresse à l’impact les forces motrices législative, politique, culturelle et idéologique sur les pratiques de la restauration.

Une cinquième lacune concerne l’évaluation du succès des projets. Elle est une condition nécessaire pour comprendre les expériences passées et apprendre d’elles. La revue littéraire expose les six limitations majeures des procédures d’évaluation actuelles : 1) les données sont manquantes ou partielles car peu de projets réalisent un suivi (Bernhardt et al. 2005; Pander & Geist 2013; Morandi et al. 2014); 2) L’utilisation d’une référence historique est utopique (SER 2004; Moss 2008; Dufour & Piégay 2009; Josefsson & Baaner 2011; Belletti et al. 2015; Bouleau & Pont 2015), et les sites de références sur le même cours d’eau sont souvent inexistants (Morandi et al. 2014; Bouleau & Pont 2015); 3) Les indicateurs biologiques ont un pouvoir limité pour expliquer les causes de succès et d’échec (Niemi & McDonald 2004; Friberg et al. 2011; Smucker & Detenbeck 2014); 4) Les indicateurs utilisés ne sont pas représentatifs des objectifs de la restauration (Pickett et al. 1997; Meyer et al. 2005; Walsh et al. 2005; Morandi et al. 2014) et les indicateurs sociaux sont manquants (Rogers & Biggs 1999; Chiari et al. 2008; Jaehnig et al. 2011; Pander & Geist 2013; Morandi et al. 2014); 5) Lorsqu’une évaluation est réalisée, elle est faite sur le court terme (Pander & Geist 2013; Morandi et al. 2014), mais les espèces nécessitent de plus longues périodes pour se rétablir (Haase et al. 2013; Morandi et al. 2014; Kail et al. 2015); et 6) Les zones rivulaires ne font pas partie de la zone de suivi (Januschke et al. 2011; Morandi et al. 2014). Les praticiens nécessitent une méthode qui dépasse ces limites et évalue les conflits potentiels. La modélisation des habitats utilisant la méthode CASiMiR et présentée dans cette étude. Elle est un outil prometteur pour combler les lacunes existantes.

Enfin, l’évaluation écologique des projets de restauration n’est pas réaliste si elle ne considère pas les aspects sociaux (Wortley et al. 2013) et plus particulièrement les interactions décrites par le concept de système socio-écologique (Berkes & Folke 1998; Berkes et al. 2003; Ostrom 2009; Hinkel et al. 2014). L’interaction des hommes avec l’écosystème fluvial a conduit à la dégradation des habitats. Ainsi, la pression des usages devrait être intégrée à l’évaluation des projets afin d’identifier les conflits et de formuler des solutions. Cette étude doctorale va aborder le cas de deux usages, soit les usages récréatifs et productifs, c’est-à-dire la production d’énergie hydro-électrique. Elle traite des deux questions suivantes : Est-ce que les usages récréatifs limitent le succès écologique des projets de restauration ? Est-ce que la diminution de l’exploitation de la ressource pour produire de l’énergie accroît les résultats de la restauration morphologique des rivières ?"

Référence : Zingraff-Hamed A. (2018), Urban River Restoration : a socio-ecological approach, Technische Universität München - Université de Tours

06/08/2018

Restauration morphologique de rivières anglaises : résultats décevants sur les invertébrés (England et Wilkes 2018)

Deux chercheurs anglais montrent qu'une restauration morphologique de rivière, incluant des arasements de déversoirs, des changements de substrats et des créations de microhabitats, n'a pas produit les résultats attendus sur la diversité structurelle et fonctionnelle des invertébrés. Le cas n'est pas isolé car la communauté scientifique débat depuis deux décennies déjà des réussites et échecs de la restauration des milieux aquatiques. Dommage que les pouvoirs publics français en aient fait une politique massive, précipitée et parfois arrogante, au lieu de travailler à des expérimentations locales pour distinguer les bonnes des mauvaises pratiques. Et préciser leur coût pour les citoyens en proportion de l'évolution des services rendus par les écosystèmes. 

Comment se comportent les rivières après restauration morphologique, sur le compartiment des macro-invertébrés (insectes, nématodes, crustacés…)? La question se pose à la communauté scientifique, à mesure qu'ont été développées des expérimentations visant à modifier les propriétés physiques (écoulements, sédiments, habitats) et non seulement chimiques (pollutions) des rivières.

Judy England et Martin Anthony Wilkes ont répondu à cette question par l'analyse de deux petits cours d'eau du bassin de la Lee, au nord de Londres. "Les chantiers sélectionnés pour l’étude sont situés sur des rivières de basse altitude et de basse énergie (altitude 75 m; pente 0,003), en substrat calcaire. Ces projets de restauration des cours d’eau ont été choisis parce qu’ils incorporaient des mesures de restauration morphologique couramment appliquées dans les systèmes fluviaux tempérés, l’élimination des retenues, le rétrécissement des chenaux trop élargis et l’introduction de gravier." Il est intéressant de noter que sur les deux rivières (Rib et Mimram), les opérations comprenaient des arasements de déversoirs et réduction de retenues (mesure très répandue en France pour ses vertus attendues sur les milieux).

Les chercheurs ont comparé sur une rivière un site de contrôle (naturel), un site de retenue abaissée et un site de morphologie sédimentaire optimisée ; sur l'autre un site de contrôle avec deux voies différentes pour modifier le substrat de fond. Dans chaque tronçon analysé, 10 échantillonnages de macro-invertébrés ont été réalisés sur la Rib, avant la restauration, puis 2 et 3 ans après ; 5 sur la Mimram, avant restauration, puis 1 et 2 ans après.

Ont été étudiés : la diversité spécifique (indice de Simpson D), la densité (individus par m2), la richesse taxonomique, et 5 indices de fonctionnalités fondés sur des traits (FRic, FDiv, FDis, FEve, FEnt).

Bien que le habitats se soient améliorés dans le sens prévu par les porteurs de projet, la réponse du vivant à ce changement est moins claire : les résultats ne sont pas à hauteur des hypothèses faites d'une pleine restauration de la diversité fonctionnelle et structurelle.

Le schéma ci-dessous montre les évolutions de la complexité structurelle (diversité de Simpson, abscisses) et de l'intégrité fonctionnelle (ordonnées), avant la restauration (à gauche, a et c) et après la restauration (à droite, b et d), rivière Rib en haut et Mimram en bas. Les cercles indiquent le contrôle, les carrés et triangles les différentes restaurations.



England et Wilkes 2018, art cit, droit de courte citation

Voici la conclusion des chercheurs :

"Cette étude a démontré que, après les mesures de restauration morphologique, le «rétablissement», tel que défini par les indices d'assemblage, était largement incomplet et incohérent en terme taxonomique / fonctionnel. Ainsi, notre hypothèse n'est pas étayée par le fait que FDiv, FDis, FEve et FEnt [traits de fonctionnalité] augmenteraient, reflétant l'établissement d'une plus grande qualité et complexité de l'habitat. Ces résultats sont cohérents avec d'autres études qui indiquent une réponse variable des invertébrés benthiques aux mesures de restauration morphologique (par exemple, Friberg et al 2014; Jähnig et Lorenz 2008; Leps et al 2016; Palmer et al 2010). et que les indices de diversité traditionnels peuvent ne pas constituer une mesure appropriée de la qualité hydromorphologique (Feld et al 2014). Verdonschot et al (2016) ont constaté que le manque général d'effet de la restauration sur la composition et la diversité des microhabitats pourrait être un facteur clé expliquant le manque de réponse dans les comparaisons globales des paramètres sélectionnés de macro-vertébrés examinés. Ils ont également conclu que plusieurs des relations de traits fonctionnels qu’ils ont trouvées n’ont pas été détectées à l’aide des paramètres taxonomiques. Cela souligne l'importance de considérer les indices fonctionnels en plus des indices structurels, et est soutenu par nos résultats.

Cette étude a révélé une tendance générale à la ressemblance  au fil du temps entre les occurrences de taxas entre zones traitées et contrôles, mais à la fin de la période d'étude, les communautés des premières traitement n'étaient qu'à 60% similaires aux groupes témoins. Cela indique également que le «rétablissement», défini en termes d’identité  de structure d’espèce et d'assemblage, était en grande partie incomplet, ce qui pourrait refléter le délai relativement court de la surveillance et le retard dans le rétablissement écologique (Jones and Schmitz 2009; Winking et al 2014). Bien que l'âge de la restauration soit un facteur crucial à prendre en compte lors du suivi des résultats de la restauration des communautés riveraines (Bash et Ryan 2002), ce n'est peut-être pas la raison ultime du manque de succès (Leps et al 2016)  et les effets de la restauration peuvent disparaître (Kail et al 2015). La perte d'effets de la restauration est souvent associée à une restauration non durable qui ne fonctionne pas selon des processus naturels (Beechie et al 2010); à l'influence combinée de la qualité hydromorphologique locale et régionale (Leps et al 2016) ou à la non prise en compte des processus de bassin versant (Gurnell et al 2016b)."

Discussion
Le travail d'England et Wilkes vient après de nombreux autres qui soulignent les résultats ambivalents et difficiles à prédire des restaurations écologiques de rivière (cf références ci-dessous en exemple). Il avait été montré en France que plus le suivi scientifique des opérations est rigoureux, moins les gains écologiques sont évidents (Morandi et al 2014). Manière de dire que l'autosatisfaction souvent affichée par le gestionnaire public est un trompe-l'oeil pour le citoyen, qui est fondé à demander des analyses plus complètes. La plupart des travaux d'hydro-écologie quantitative menés en France et en Europe montrent que les premiers prédicteurs de la dégradation biologique (invertébrés ou autres) sont les usages des sols du bassin versant (au premier chef l'agriculture), et qu'une action locale aura de bonnes chances de rester sans effet majeur faute d'une prise en compte des autres échelles (tronçons, bassins). L'apport quantitatif en eau, l'état des berges et les flux entrants (polluants, sédiments fins) vont contraindre l'effet éventuellement bénéfique de diversifications locales d'habitats. Il ne faut donc pas attendre de miracles de la seule restauration physique locale et, surtout, il faut réfléchir à la priorisation des investissements écologiques.

La difficulté à garantir l'efficacité des chantiers de restauration hydromorphologique n'est pas en soi un scandale : il est normal d'expérimenter dans un domaine où l'on a quelques hypothèses théoriques mais encore peu de retours empiriques, surtout face à la diversité des hydrosystèmes et à la complexité des impacts pesant sur eux, à diverses échelles spatiales et temporelles. Le but est de comprendre ce qui donne ou non des résultats, ainsi que de mesurer l'évolution des services rendus par les écosystèmes. Le problème vient quand, ignorant ce caractère expérimental et la prudence qu'il impose, une politique publique entend systématiser des travaux financés par l'impôt et imposés aux riverains. C'est hélas le cas en France de certains compartiments de l'ingénierie hydromorphologique, comme la destruction contestée des petits ouvrages de rivière au nom de la connectivité en long.

Référence : England J., MA Wilkes (2018), Does river restoration work? Taxonomic and functional trajectories at two restoration schemes, Science of The Total Environment,
618, 961-970.

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Effets des petits ouvrages sur les habitats et les invertébrés (Mbaka et Mwaniki 2015) 
Restauration morphologique des rivières: pas d'effet clair sur les invertébrés, même après 25 ans (Leps et al 2016)
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01/08/2018

Le Doubs à sec, une discontinuité écologique radicale...

Depuis quelques jours, le Doubs est à sec entre Pontarlier et Morteau. On évoque des élargissements de failles qui, dans ces zones karstiques, engouffrent l'eau vers le sous-sol. Ces failles étaient jadis gérées, quand les moulins et usines à eau avaient besoin de conserver de l'eau en étiage, comme le rappelle un riverain connaisseur de la rivière. Les assecs du Doubs ne sont pas une nouveauté : on en trouve mentionnés dans les années 1980, et plus récemment dans les années 2000. Cette discontinuité hydrique, qui entraîne la mortalité de milliers de poissons, risque de s'aggraver avec les effets thermiques et hydrologiques du changement climatique. Les gestionnaires de rivière doivent intégrer les évolutions à long terme comme les contraintes locales dans leurs choix actuels d'aménagement et dans la définition de leurs priorités. 


Film de France 3 sur l'assec de 2018.

On trouve dans les Annales scientifiques de l'Université de Besançon: Géologie (1980, p. 16) la mention : "en étiage, le Doubs est à sec depuis la sortie de Pontarlier jusqu'à Ville du Pont ; seul un tronçon situé entre la confluence du Drugeon et le pont d'Arçon coule encore".

Plus récemment, en 2009, le Doubs était à sec en début d'automne au niveau de Villiers-le-Lac, et l'on pouvait franchir la frontière franco-suisse à pied (ci-dessous, extrait du journal L'Impartial du 7 octobre 2009).



25/04/2018

Des rivières naturelles aux rivières anthropisées en Europe: poids de l'histoire et choix des possibles pour l'avenir (Brown et al 2018)

Dix chercheurs viennent de publier une synthèse sur l'évolution des rivières européennes de plaine depuis six millénaires. Ils soulignent l'ancienneté de leur modification structurale et fonctionnelle par l'homme. Les styles fluviaux actuels n'ont rien à voir avec ceux de jadis. Certaines hypothèses de "renaturation" comme la reproduction de méandres ne font en réalité que restaurer une dynamique déjà modifiée, perçue (à tort) comme "naturelle". Face au risque d'une écologie de carte postale et alors que plusieurs milliards d'euros sont dépensés chaque année en Europe pour des travaux de restauration, le gestionnaire public doit se référer davantage à des approches multidiscipliniares faisant appel à l'écologie, l'archéologie, l'histoire et la géographie. Les chercheurs mettent en garde contre des travaux "copiés-collés" de court terme, qui ne vont pas forcément donner beaucoup de résultats. Parmi les pistes leur paraissant prioritaires en terme de biodiversité, de services écosystémiques et de stratégie de "ré-ensauvagement": reconnecter le lit mineur à sa plaine d'inondation, retrouver des boisements en rive et des barrages d'embâcles en rivière, ré-introduire des espèces ingénieurs comme le castor. Voilà qui ne correspond pas tellement au modèle si souvent valorisé en France du cours d'eau dans ses sages méandres et son impeccable continuité...

Antony G. Brown et ses huit collègues européens analysent l'évolution des rivières depuis les conditions peu modifiées du Holocoène (voici 10 000 ans) jusqu'à l'époque récente, marquée par la "grande accélération" de la modification des milieux à l'âge "Anthropocène". Une trajectoire qui débute avec des chenaux anarchiques de l'Holocène récent, avant la déforestation importante dans leurs bassins versants, se poursuit avec les lits et plaines inondables en période de changement maximal du paysage dans la plus grande partie de l'Europe (soit entre 3000 et 500 ans avant le présent, du Bronze européen tardif à la période médiévale) jusqu'aux changements intensifs de la période récente (XVIIIe-XXe siècles), avec des barrages, des lits rectifiés et endigués, des bassins versants occupés et exploités par une population de plus en plusnombreuse.

Les données sur l'état passé des rivières sont accessibles par les caractéristiques physiques et biologiques de leurs dépôts. Diverses stratégies sont mobilisées pour comprendre cet état passé :  stratigraphies de plaines inondables datées par radiocarbone et par luminescence optiquement stimulée (OSL), méthodes biomoléculaires des ADN sédimentaires (sedaDNA), mais aussi par exemple analyse de noms de rivières et de lieux pour étudier leurs conditions voici un millénaire.

Une première caractéristique des rivières européennes de basse altitude avant une influence humaine significative fut leur caractère boisé : "Les diagrammes de pollen et de macrofossiles de l'Europe tempérée nous apprennent que ces plaines inondables de l'Holocène précoce et moyen étaient densément boisées de bouleaux, de saules, de peupliers et plus tard d'aulnes et de chênes (Huntley et Birks 1983, Dinnin et Brayshay 1999; Lechner 2009, Ejarque et al 2015)." On retrouve encore aujourd'hui dans quelques rares zones peu favorables à l'agriculture ce type de boisement riverain. "Le recrutement de gros bois dans les eaux d'amont peut bloquer les vallées et provoquer l'aggradation du fond de la vallée (Montgomery et Abbe 2006). De même, les rapports faible largeur / bois favorisent la formation de barrages d'embâcles, qui forcent la dissection de la plaine d'inondation par des canaux de débordement et augmentent les niveaux d'eau en amont des obstacles. Les taux de sédimentation et de transport de matière organique en amont sont fortement influencés par la dynamique des barrages d'embâcles (Assini et Petiti 1995, Sear et al 2010)."



Extrait de Brown et al 2018, art cit, droit de courte citation.

Une deuxième caractéristique est le style instable du lit : cours d'eaux en anastomoses ou anabranches, avec de nombreuses chenaux, formant et déformant connexions entre ces bras, ce que permet la faible incision (enfoncement) du lit par rapport à la plaine alluviale. Ces bras dessinent un réseau complexe et changeant rapidement de place. Le Narew (Narou), rivière de l'ouest de la Biélorussie et du nord-est de la Pologne, affluent de la Vistule, donne un exemple aujourd'hui préservé de telle rivière (cf illustration ci-dessus).

Cette configuration du lit en multicanaux fut le style fluvial dominant dans les zones de plaines. Le passage au chenal unique a été le fait d'une évolution multimillénaire allant de l'âge du Bronze au Moyen Âge. Il y a eu disparition progressive des forêts pour créer des espaces agricoles de pâture ou de culture (en deux phases majeures, 2500-2000 BP puis 1500-1000 BP), drainage des bras secondaires, augmentation du taux d'envasement des bancs par des sables cohésifs, des limons et des argiles, apparition de terrasses et de levées sur les berges, incision du lit progressivement unique dans le sol érodable, apparition de méandres (forme tardive et non originelle du style fluvial).

"Vers 2200 ans BP, notent les chercheurs, les alluvions induites par l'homme avaient modifié la morphologie et l'écologie des plaines inondables et des chenaux dans toute l'Europe tempérée, et les plaines inondables étaient largement utilisées pour l'agriculture (Brown 1997a, Stobbe 1996). Vers 1700 BP (fin de l'époque romaine), les zones humides les plus naturelles de la plaine inondable ont été drainées, sinon elles le furent vers 1200 BP (première période médiévale). Une seconde transformation a été la création de systèmes de puissance basés sur les plaines inondables par les 900-600 BP (du XIe au XIVe siècles), qui ont été construits, contrôlés et entretenus par des professionnels spécialisés (arpenteurs ou levadiers) pour les moulins et l'ingénierie hydraulique (Rouillard 1996). Sous le système féodal européen, les plaines d'inondation et les canaux étaient immensément importants et réglementés. Cela comprenait des règlements sur la protection des berges, l'entretien des chenaux, les pêches, l'évacuation des eaux usées, le fauchage des plaines inondables et les inondations contrôlées connues sous le nom de 'warping' dans certaines parties de l'Angleterre (Lewin 2013)".

Antony G. Brown et ses collègues soulignent que les moulins ont participé à cette reconfiguration des lits. On note une densité assez forte de 1 à 3 moulins par km linéaire dans les régions les plus peuplées. Certains, comme ceux étudiés sur les rivières Culm et Erft, ont d'abord utilisé d'anciens bras secondaires naturels pour les transformer en biefs.

Alors que les humains s'affairaient au bord des rivières, ils faisaient aussi disparaître d'autres constructeurs des hydrosystèmes : les castors. "Au cours de la période médiévale, les autres principaux ingénieurs des voies d'eau européennes et des zones humides - le castor eurasien - ont été chassés à la quasi-extinction (Wells et al 2000). Les territoires ont été réduits à une fraction de leur extension maximale du Quaternaire (Coles 2006) et dans de nombreux pays, les populations ont été éradiquées au XVIe siècle, avec une survie isolée dans quelques forêts protégées des périphéries de l'Europe comme la Scandinavie, Pologne de l'Est et Russie (Halley et Rosell 2003). Un tel impact, parallèlement aux changements de canaux induits par l'homme, a vraisemblablement contribué aux structures monocanaux enserrées de berges qui prévalent dans la plupart des rivières européennes à ce jour".

Cette évolution a concerné les petites rivières comme les plus grandes : "La contraction des formes multicanaux à des configurations à canal unique est non seulement commune aux petits cours d'eau, mais aussi aux rivières de taille moyenne; des exemples incluent la Tamise moyenne et inférieure (Sidell et al 2000, Booth et al 2007), la Severn et ses affluents au Royaume-Uni (Brown et al 1997), la Seine, la Moselle et l'Isère en France (Mordant et Mordant 1992), la Weser, Werra et Ilme et de nombreuses autres plaines inondables en Allemagne (Hagedorn et Rother 1992, Girel 1994, Stobbe 1996, Zolitschka et al 2003). Elle s'applique également aux sections du bassin des plus grands fleuves européens tels que la Vistule (Starkel et al 1996; Maruszczek 1997) et le Danube, l'un des meilleurs exemples se trouvant près de Bratislava dans le bassin de Linz (Pišŭt 2002). Un facteur supplémentaire avec ces rivières était les améliorations nécessaires pour permettre un plus grand trafic fluvial après l'adoption des bateaux à vapeur (Hohensinner et al 2011). La réduction de la complexité produite par les canaux secondaires et la prévention de l'avulsion étaient l'objectif principal de tous les schémas de canalisation des grands fleuves européens de la fin du XVIIIe au début du XXe siècle (Petts et al 1989)".

L'hydronymie (noms relatifs à l'eau) peut apporter une contribution à l'étude de l'évolution de ces rivières et zones humides associées. Par exemple, en français, des noms comme Loire, Loir, Loiret et Ligoure contiennent l'élément liger, version latinisée du gaulois liga qui réfère directement au limon et à l'alluvion. La même remarque vaut pour des noms comme Brian, Briance, Brienon ou Briou, dérivés de la boue. D'autres hydronymes comme Bèbre, Beuvron, Bibiche, Bièvre révèlent la présence ancienne du castor (bebros).

Enfin, les chercheurs soulignent que le bilan carbone de l'évolution des systèmes fluviaux est complexe à tirer : les zones inondables du lit majeur sont tantôt des puits tantôt des sources selon leur ancienneté et leur régime hydrologique.

Conclusion : "Il ressort clairement de cette étude qu'il est impossible de ramener les cours d'eau des plaines inondables de l'Europe tempérée à quelque chose qui se rapproche d'un état naturel originel ou d'un état hypothétique d'équilibre naturel par rapport à un point donné du passé." Il convient dès lors d'"éviter l'approche copier-coller utilisée dans les études à court terme qui conduisent trop souvent à des spécifications tronquées et / ou à des échecs pour des projets de restauration (Palmer et al 2009). Il est souhaitable d'étendre nos connaissances sur les états fluviaux alternatifs et leur résilience, en incluant des dynamiques à long terme et des trajectoires évolutives (Brierley et Fryirs 2016, Dearing et al 2015, Brown et al 2013, Lespez et al 2015)."

Les études géomorphologiques en Europe ont identifié un certain nombre de variantes de restauration dont plusieurs peuvent être adaptées à des modèles multicanaux et maximiser la biomasse du chenal comme des rives, apportant ainsi une contribution majeure à la biodiversité régionale. Laisser le castor faire ce travail pourrait être la solution la plus simple et la plus rentable.

Discussion
Dans leur travail, les chercheurs soulignent qu'à l'échelle européenne, la dépense publique totale pour améliorer les rivières pourrait s'élever à 7-9 milliards € par an. Une part non négligeable de ce budget est désormais consacrée à la restauration morphologique plutôt qu'à la lutte contre la pollution chimique de l'eau et des sédiments. Il est donc important pour l'écologie des bassins versants comme pour le bon usage de l'argent public de faire des choix avisés.

Contrairement à ce qui a souvent été avancé par des gestionnaires en France (agence française pour la biodiversité, agences de l'eau, syndicats et parcs), la réflexion savante est loin de produire des conclusions homogènes et robustes sur la priorité et l'utilité des choix d'aménagement de rivières en vue de les "renaturer" ou les "restaurer". C'est une démarche encore largement expérimentale, où il vaut mieux se garder de postures dogmatiques et montrer une grande rigueur dans les analyses avant-après de sites pilotes. Par ailleurs, contrairement aux options retenues par la commission européenne dans la directive cadre sur l'eau 2000, la mise en avant d'un "état de référence" d'un cours d'eau paraît de plus en plus problématique eu égard au caractère dynamique et profondément transformé de la plupart des rivières européennes, comme à la possibilité ouverte aujourd'hui de faire évoluer ces rivières vers différents états possibles. Autant certaines mesures de baisse des polluants sont "sans regret" quand ces substances représentent des risques avérés pour la santé et pour l'environnement, autant les objectifs de biodiversité et de morphologie sont plus complexes à évaluer et font référence à des dynamiques inscrites dans le temps long. La prudence s'impose donc au regard des millions de kilomètres linéaires de rivière en Europe, représentant un coût considérable d'aménagement pour des services écosystémiques pas toujours évidents à caractériser à l'issue des chantiers.

Enfin, la problématique de continuité longitudinale mobilise en France une bonne part des efforts et financements de la restauration morphologique, y compris dans des zones n'ayant pas d'enjeux biologiques grands migrateurs. Le bien-fondé de ce choix, qui conforte le modèle du chenal unique et fait souvent disparaître des annexes hydrauliques non dépourvues d'intérêt pour le vivant, reste à démontrer dans la plupart des cas. Et ce ne sont pas des "copiés-collés" comme ceux évoqués par A.G. Brown et ses collègues qui y parviendront.

Référence : Brown AG et al (2018), Natural vs anthropogenic streams in Europe: History, ecology and implications for restoration, river-rewilding and riverine ecosystem services, Earth, 180, 185-205

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