25/01/2018

Barrages de castors et d'humains: quels effets sur les rivières? (Ecke et al 2017)

Après avoir été quasiment éliminés par l'homme du Moyen Âge au XIXe siècle, les castors sont de retour sur les rivières eurasiennes et nord-américaines, parfois même au-delà de leur aire connue de répartition ancienne. Ces grands constructeurs de barrages modifient les écosystèmes où ils s'installent, notamment par la création de zones lentiques (stagnantes) en milieu lotique (courant). Une équipe suédoise a procédé à une méta-analyse des effets connus des castors sur les écosystèmes. La comparaison avec les barrages artificiels créés par l'homme montre une assez nette convergence pour les effets biologiques (insectes, poissons) et biochimiques. L'analyse des effets des barrages de castors sur les salmonidés et migrateurs suggère qu'il n'y a pas d'impact réel, même si nombre d'études en ont fait l'hypothèse.


Les castors sont ingénieurs des écosystèmes reconnus pour leur capacité à construire des barrages et à créer des retenues. Ils colonisent des sites à travers l'Holarctique (hémisphère Nord) après une extirpation quasi-généralisée à partir du Moyen Âge en Europe et au XIXe siècle ailleurs. Les castors recolonisent aujourd'hui les eaux, y compris des zones en dehors de leur aire de répartition historique.

Frauke Ecke et dix collègues des universités suédoises d'Uppsala et Umea ont souhaité analyser les conséquences possibles de ce retour du castor, dont ils observent qu'il "a le potentiel d'altérer profondément l'hydrologie, l'hydrochimie et l'écologie aquatique dans les zones nouvellement colonisées et recolonisées".

Pour approfondir la connaissance des effets des barrages de castors sur les milieux aquatiques, les chercheurs ont extrait 1366 tailles d'effets de 89 études sur les retenues en cours d'eau et lacs. Les effets ont été évalués pour 16 facteurs liés à l'hydrogéomorphologie, à la biogéochimie, au fonctionnement de l'écosystème et à la biodiversité.

Principales conclusions de ce travail: "Les barrages de castors ont affecté les concentrations de carbone organique dans l'eau, le mercure dans l'eau et le biote, les conditions sédimentaires et les propriétés hydrologiques. Aucun effet négatif global n'est causé par les barrages ou les étangs de castors sur les salmonidés. L'âge du barrage est un déterminant important de la magnitude de l'effet. Alors que les jeunes retenues sont une source de phosphore, il y a une tendance à la rétention du phosphore dans les systèmes plus anciens. Les jeunes retenues sont une source de méthylmercure dans l'eau, mais les anciennes ne le sont pas."

Les chercheurs ont également évalué les similitudes et les différences entre les effets environnementaux des barrages construits par les castors et ceux construits par l'homme (767 tailles d'effet provenant de 75 études). Les dimensions des barrages ne sont malheureusement pas précisées (alors la catégorie "barrage" peut désigner des systèmes de dimensions très différentes, donc d'effets très variables).



Comparaison des effets des barrages artificiels (triangles) et de castors (cercles) sur différents paramètres, intervalle de confiance à 95% (cliquer pour agrandir) : poissons et invertébrés (diversité, abondance), mercure dans l'eau et le biote, fonctionnement de l'écosystème (CHl-a, biomasse fongique, turnover carbone, décomposition foliaire). On observe des effets souvent similaires, notamment des diversités et abondances de poissons et invertébrés plus fortes à l'aval qu'à l'amont. Source: art cit, droit de courte citation.

Voici leurs commentaires : "Les bassins artificiels ont montré une rétention de phosphore, tandis que les étangs de castors ont généralement libéré ce phosphore (…). Les bassins artificiels et les digues de castor présentaient des concentrations de Hg plus élevées dans l'eau et le biote dans les sites en aval que dans les sites en amont (…). L'effet moyen sur le mercure dans le biote était plus de deux fois plus élevé dans les systèmes artificiels que dans les systèmes à castors. Les valeurs pour le fonctionnement de l'écosystème [matière organique] étaient plus élevées dans les bassins de retenue artificiels et de castors que dans les sites en amont. Les valeurs étaient également plus élevées dans les bassins de retenue que dans les sites en aval, mais seulement pour les systèmes de castors. En se concentrant sur Chl-a seule [chlorophylle a], qui était le seul indicateur fonctionnel avec des tailles d'échantillon adéquates dans les deux types de systèmes, on a observé une augmentation nette des concentrations dans les systèmes artificiels, mais pas des systèmes de castors en aval (…). Les effets de la construction des barrages sur les macro-invertébrés différaient entre les types de systèmes, les systèmes artificiels ayant généralement une plus grande diversité et / ou abondance dans les sites en amont que les sites en aval. Pour le poisson, il n'y avait pas de différences globales entre les systèmes artificiels et les systèmes de castors."

Discussion
Les systèmes naturels sont loin d'être toujours continus : ils présentent aussi des discontinuités thermiques, géologiques, rhéologiques plus ou moins marquées. Les barrages de castors sont un exemple classique de discontinuités d'origine animale : elles devaient être beaucoup plus répandues dans les rivières avant l'expansion humaine et l'élimination progressive des rongeurs semi-aquatiques pour leur fourrure, leur chair ou la concurrence dans l'occupation du même espace.

Concernant les poissons migrateurs en particulier, les chercheurs observent : "Il a été suggéré que les poissons migrateurs, en particulier les salmonidés, sont les plus affectés négativement par la construction de barrages artificiels (revue in Quiñones et al 2015). Pour les systèmes de castors, cependant, il a été démontré que la plupart des effets négatifs rapportés (78% de toutes les études) sur les poissons migrateurs en raison de la construction de barrages sont uniquement spéculatifs (Kemp et al 2012). Contrairement aux barrages artificiels activement gérés, les barrages de castors sont a) régulièrement inondés et l'eau excédentaire contourne les barrages en traversant la zone riveraine pendant les périodes de fortes précipitations, b) perturbés (partiellement ou même complètement) par de fortes inondations (Hillman 1998, Butler et Malanson 2005), c) maintenu à des degrés divers (examiné dans Gurnell 1998) ou d) potentiellement perforé par des loutres (Reid et al 1988). Par conséquent, comme le soutient notre étude, nous ne prévoyons pas que des effets significatifs sur les espèces de poissons migrateurs soient causés par les barrages de castors."

On observera que certaines causes de moindre impact (notamment le fait que les barrages de castors sont inondés, contournés et surversés en crue) sont valables pour beaucoup de petits ouvrages de moulins, comme les chaussées anciennes. Cela converge avec le constat que les anguilles et saumons n'ont réellement déserté les têtes de bassin versant qu'avec l'apparition des grands barrages de navigation et irrigation ainsi qu'avec les rehausses de certaines usines hydrauliques à compter du milieu du XIXe siècle (voir les saumons dans le bassin de la Loire ou les anguilles dans la zone ibérique, voir aussi cependant cette discussion sur Lenders et al 2016).

Le retour des castors sur les rivières européennes ne manquera donc pas de modifier leur profil d'écoulement et de sédimentation, ainsi que les peuplements locaux. L'espèce étant désormais protégée, et les prédateurs naturels (loup, lynx, ours) en forte régression (par rapport aux siècles et millénaires antérieurs), la recolonisation sera peut-être rapide au cours des prochaines décennies. Au début des années 2010, on notait sa présence dans 52 départements de la métropole et dans 60% des cours d'eau prospectés (source).

Référence : Ecke F et al (2017), Meta-analysis of environmental effects of beaver in relation to artificial dams, Environ Res Lett, 12, 113002

Image (haut)
 : barrage de Castor fiber, par Athanasius Soter (travail personnel, domaine public)

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7 commentaires:

  1. Les propriétaires de moulin ont du soucis à se faire si le castor revient en force. Il a tendance à couper pas mal d'arbres à bois tendre de la ripisylve (jusqu'à 40 cm de diamètre) pour se nourrir de l'écorce de leurs jeunes poussent. À chaque crue ça promet de belles embacles dans les vannages.
    Même s'il fait quelques barrages sur les petits cours d'eau, il vit plus généralement en terriers... L'impact de ces petits barrages, ne sera rien par rapport au volume de bois qu'il est capable de couper pour se nourrir.

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    1. Oui, c'est en tête de bassin qu'on observe le plus de barrage (rivières de 0,5-6 m de largeur, cf Hartman et Tornlov 2006), même s'il arrive de trouver des constructions sur des rivières plus larges. C'est aussi en tête de bassin que la rupture lotique-lentique est la plus nette en changement d'habitats et de propriété chimique ou thermique de l'eau.

      La hausse des embâcles concerne toute la rivière, les moulins mais aussi les gués, buses, ponts (l'embâcle finit en général par se fixer quelque part). Ce sera un point à gérer entre les maîtres d'ouvrage privés et le porteur de la compétence GEMAPI.

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  2. Les prédateurs naturels en forte régression...par rapport à quoi, à quand. Des chiffres!Publiez des inventaires faune. Vos arguments sont ils basés sur des inventaires sérieux d'organismes compétents? . Où, en France, le loup est en régression? Il y a trente ans il avait disparu et aujourd'hui il y a des quotas de tirs.

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    1. Il faut bien sûr lire en forte régression de long terme (par rapport au Moyen Âge en Europe), ce n'est pas un jugement sur les données récentes à échelle de temps de quelques années.

      Ce point est ici périphérique par rapport au contenu de l'article commenté. Et vous êtes sur un blog associatif, pas sur une plateforme scientifique où chaque assertion est accompagnée d'une référence.

      Quant à l'avenir de ces prédateurs, nous verrons bien ce qu'il en est. Pour le loup que vous citez, le plan loup 2018-2023 donne pour objectif 500 spécimens comme population viable d'équilibre en France métropolitaine (contre 250 à 300 aujourd'hui). On est de toute façon très loin des niveaux historiques (par exemple, estimation de la contraction des populations de loups italiens d'un facteur 100 à 1000 au cours des derniers millénaires, Lucchini 2004) et ce n'est pas demain que toutes les têtes de bassin auront des populations de loups (ou lynx, ou ours) comparables au périodes pré-modernes en France.

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    2. Nous avons donc ajouté dans l'article "(par rapport aux siècles et millénaires antérieurs)" afin de préciser ce point.

      Concernant les "inventaires faune" dont vous parlez par ailleurs, il faut bien sûr se diriger vers le groupe très dynamique de Bourgogne Nature et ses nombreuses publications:
      http://www.bourgogne-nature.fr/fr/

      Plus généralement sur les sites IUCN, MNHN, ou pour certains taxons de l'eau Naïades.

      Mais ce n'est évidement pas notre objet associatif de "publier" ces inventaires, ni de les organiser (même si nous serions désireux que les sociétés naturalistes se penchent davantage sur l'inventaire de certains milieux spécifiques d'intérêt pour notre association, et pour la biodiversité en général).

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  3. Cette étude a pris en consideration des cours d'eau suédois ou à une échelle plus large?

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    1. L'étude est en libre accès au lien indiqué en bas.

      C'est une méta-analyse de la littérature existante avec des données quantifiées en lien aux barrages de castor. Soit 164 articles pour 11 pays et 3 continents avec des données spécifiques sur les barrages. Les deux espèces C fiber et C canadensis sont considérées, les auteurs jugeant que leurs différences physiques et comportementales sont peu significatives par rapport aux effets écologiques étudiés (d'après Parker et al 2012 dans leur bibliographie).

      Le fait qu'il existe seulement 164 études avec données exploitables (pas sur tous les critères bio., morpho., chimique analysés) rappelle d'ailleurs qu'en écologie, on fait souvent des conclusions provisoires sur la base de connaissances disponibles, qui sont encore loin d'être complètes vu l'immensité de l'objet d'étude, la complexité des causes de variations locales du vivant... et l'assez faible financement au sein de la recherche publique.

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