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02/10/2022

Le projet de règlement Restore Nature montre que nous sommes loin d'une démocratie de la nature

La coordination Eaux & rivières humaines débat en ce moment avec les parlementaires européens du projet de règlementation Restore Nature, qui doit être discuté et voté en début d'année prochaine. Le texte proposé par la commission européenne est très problématique en l'état, avec la destruction d'obstacle comme seule ambition pour les rivières. Mais plus problématique encore, le processus de décision est vicié : des technocraties choisissent les expertises et les intérêts qu'elles ont envie d'entendre pour fabriquer des normes conçues en haut et imposées en bas. Cela n'a pas marché au niveau français, cela ne sera pas mieux au niveau européen. Avant de restaurer la nature, démocratisons-la pour savoir ce que les citoyens en attendent. Et partons du terrain, pas des bureaux lointains.


Hier des experts disaient qu'il fallait exploiter la nature. Aujourd'hui, des experts disent qu'il faut restaurer la nature. Dans l'un et l'autre cas, on dépense beaucoup d'argent public, parfois pour détruire des aménagements que l'on venait à peine de finir de payer. Dans l'un et l'autre cas, le citoyen passif est censé accepter le verdict de l'expertise. Le cas n'est pas nouveau. L'histoire sociale et l'histoire environnementale ont multiplié depuis deux décennies les travaux montrant que les pouvoirs publics ont décidé de projets ou de règles sans consulter les populations concernées, avec de nombreuses résistances riveraines. Et souvent avec des effets délétères non anticipés des politiques publiques. 

Notre association et la coordination Eaux & Rivières humaines constatent le phénomène dans la discussion actuelle sur la règlementation Restore Nature.

L'Union européenne veut obliger les Etats-membres à adopter des programmes nationaux de restauration écologique. L'enjeu est évidemment intéressant, mais le diable se cache comme toujours dans les détails. Ainsi, l'actuel article 7 de cette règlementation (concernant les rivières) n'envisage que la "destruction d'obstacle" comme politique publique.

D'abord, ce choix est proprement navrant par son manque de vision : la restauration des milieux aquatiques et humides a de nombreuses directions, les plus pertinentes en écologie concernent plutôt les interventions sur les connexions entre lit mineur et lit majeur. La perte la plus notable de biodiversités et de fonctionnalités des siècles écoulés vient de ce que le lit majeur a été artificialisé, drainé, asséché, en même temps que les rivières étaient enfermées dans un chenal vu comme un tuyau d'évacuation de l'eau à la plus grande vitesse possible. D'ailleurs, l'obsession actuelle du "libre écoulement" s'inscrit dans cette trajectoire qui a toujours voulu que l'eau file au plus vite à l'aval, par crainte des inondations et pour évacuer des pollutions. 

Ensuite, le choix de placer l'effacement comme seule option est simpliste et autoritaire. Nous l'avons exposé au rapporteur du parlement sur ce projet, et nous en ferons un casus belli. L'expérience française complètement ratée en matière de continuité longitudinale montre que ces diktats ne fonctionnent pas. Ils sous-estiment les rôles des ouvrages hydrauliques ainsi que l'attachement des riverains à leur persistance, leur paysage ou leur usage. Ils vantent le retour à une nature de carte postale alors que les rivières sont modifiées depuis des millénaires et qu'en éliminer ici un seuil ou là un barrage relève de l'opération cosmétique, masquant aux citoyens la réalité des transformations lourdes de l'Anthropocène, et notamment celles aux effets les plus délétères. Ils ignorent le fait que le changement climatique d'origine anthropique devient le premier moteur de l'évolution hydrologique et thermique, avec des conséquences autrement plus graves à anticiper sur 2050 et 2100, au lieu d'avoir pour horizon intellectuel de revenir à une nature (déjà modifiée) de 1800 ou de 1500.

Enfin, ce choix a résulté des décisions de la direction environnement de la commission européenne. Ce n'est pas le parlement européen qui a conçu le projet avec des auditions, débats, délibérations – cela de manière publique et mené par les représentants élus des citoyens –, mais la technocratie qui a choisi les idées qu'elle avait envie de retenir et celles qu'elle avait envie d'écarter au terme d'une consultation ne l'engageant pas. Les parlementaires européens se retrouvent avec quelques mois seulement pour placer une discussion sur un texte touffu et technique de dizaines de pages de justification. Ce n'est pas une méthode saine pour prendre des décisions éclairées et réellement représentatives des attentes citoyennes.

La politique publique de restauration de la nature montre que nous manquons déjà d'une politique publique de démocratisation de la nature. Car c'est bien le fond de la question. 

Quelle(s) natures(s) voulons nous? Quels sont nos choix éthiques, esthétiques, techniques, sociaux, économiques, écologiques sur la manière dont peut ou doit évoluer la nature, c'est-à-dire en fait les milieux de vie partagés entre des humains et des non-humains? Le rôle des experts qui conseillent les décideurs devraient être de poser la nécessité de ces questions et d'éclairer le débat depuis les multiples aspirations sur la nature. Ce n'est pas le cas, et c'est bien dommage. Les citoyens éduqués et informés n'ont plus envie de dogmes, de catéchismes et de grands projets imposés, mais de participation à la construction de leurs cadres de vie. 

Rappel : nous sommes les seuls à défendre aujourd'hui auprès de l'Europe la voix des communautés riveraines concernées par l'avenir des petits ouvrages hydrauliques. Cette mission-là excède le seul bénévolat et nous avons besoin de votre soutien financier (adhésion, don Paypal ci-contre)  pour informer correctement les décideurs. Merci.

26/10/2021

Les poissons ne voient pas la différence après la destruction d'un déversoir (Muha et al 2021)

Des chercheurs ont étudié par l'ADN environnemental la composition des populations de poissons en amont et en aval d'un déversoir sur une rivière anglaise, avant et après l'effacement de l'ouvrage. Leur conclusion : pas de différence significative. Au moins cette mesure a-t-elle été faite avec un protocole rigoureux : dans bien des cas, on se contente de détruire en affirmant que cela procure des gains importants, mais sans démontrer l'importance ni la persistance de ces gains. Sans préciser non plus aux yeux de quels citoyens au juste cette dépense publique représente réellement des gains... Fort heureusement, la France a décidé de cesser cette politique délétère de destructions d'ouvrages en rivière qui rendent par ailleurs des services, qui sont appréciés des riverains, et qui ne posent manifestement pas de grands problèmes aux poissons quand ils sont de dimensions modestes.  


Une équipe de chercheurs a analysé la présence de poissons dans une rivière où un obstacle avait été effacé, en utilisant la technique de l'ADN environnemental. Cette dernière permet de déceler  dans l'eau des traces d'ADN de toutes les espèces présentes à l'amont du point de mesure. Elle est moins invasive et agressive que la pêche électrique, tout en étant moins soumise aux aléas des endroits choisis pour la mesure.

Le point intéressant est que les chercheurs n'ont en l'occurrence relevé aucune différence avant ou après l'effacement du seuil en rivière.

Voici la résumé de leur travail :

"Les barrières artificielles dans les cours d'eau sont une cause majeure de fragmentation de l'habitat qui réduisent la connectivité des populations et le flux génétique en limitant les déplacements des poissons. Pour atténuer leurs impacts, les barrières obsolètes sont de plus en plus supprimées dans le monde entier, mais peu de projets de suppression sont suivis. Nous avons utilisé une puissante approche Avant-Après-Aval-Amont (AAAA) utilisant le metabarcoding de l'ADN environnemental (ADNe) pour examiner les effets sur la composition de la communauté de poissons de la suppression d'un déversoir dans la rivière Lugg (Angleterre), qui avait été suggéré comme ayant un effet néfaste sur la migration des salmonidés. Nous n'avons trouvé aucun changement dans la diversité ou l'abondance relative des communautés de poissons après le retrait, au-dessus ou au-dessous du seuil, mais nous avons détecté un effet important de la saison d'échantillonnage, probablement lié aux cycles de vie de l'espèce. L'ADNe a détecté neuf espèces de poissons qui ont également été identifiées par échantillonnage par pêche électrique et une espèce supplémentaire (Anguilla anguilla) qui n'a pas été détectée par les enquêtes traditionnelles. Nos résultats suggèrent que la surveillance des projets d'élimination des barrières devrait être effectuée pour s'assurer que tous les avantages écologiques sont correctement documentés et que le méta-barcoding par ADNe est une technique sensible à cette surveillance des effets de l'élimination des obstacles."


Abondance relative des espèce de poissons de la rivière Lugg, identifiée à l'aide du méta-barcoding à ADN environnemental, en amont et en aval de l'emplacement du déversoir, avant et après sa destruction. A, B et C correspondent à des réplicats de terrain. Image extraite de Muha et al 2021, art cit.

Voici leurs observations en conclusion :

"Les barrières sont connues pour interférer avec les migrations des poissons (McLaughlin et al., 2013; Jones et al., 2020b) et réduire la connectivité de la population et le flux génique (Meldgaard et al., 2003, Wofford et al., 2005), menaçant la persistance de populations à long terme (Valenzuela-Aguayo et al., 2020). Les obstacles de faible chute (<5 m) sont particulièrement répandues(Jones et al., 2019), étant les plus abondantes (Belletti et al., 2020) et les plus faciles à enlever. Cependant, l'élimination des obstacles doit tenir compte des coûts-avantages, car les barrages et les déversoirs fournissent une variété de services économiques, tels que l'hydroélectricité, l'approvisionnement en eau et les possibilités de loisirs (Whitelaw et MacMullan, 2002), qui doivent être considérés par rapport à leurs impacts écologiques (Poff et Hart, 2002). Nous n'avons pas observé de changement dans la richesse taxonomique à court terme après le retrait du seuil, peut-être en raison de la lenteur de la recolonisation des poissons mais très probablement parce que le seuil ne causait pas de perturbations importantes pour la communauté de poissons, suggérant un bénéfice potentiellement faible (pour les poissons) de l'effaecment."

Discussion
La politique de destruction des ouvrages en rivière à des fins de restauration de continuité et de naturalité est l'une des plus controversées dans le domaine de l'ingénierie écologique. En effet, les ouvrages sont souvent l'objet d'un attachement des populations locales pour leurs dimensions paysagères, patrimoniales ou récréatives. De surcroît, ces ouvrages jouent aussi des rôles de régulation de l'eau ou de production énergétique qui sont potentiellement précieux en période de changement climatique et de transition bas-carbone. Le projet de retrouver une rivière plus "naturelle" ou plus "sauvage", s'il peut être soutenu par une partie des citoyens, des experts ou des chercheurs, ne fait pas pour autant l'objet d'un consensus car cette vision de la rivière (de la nature plus généralement) ré-ensauvagée n'est pas partagée par tout le corps social. Elle relève davantage d'un choix politique sur le type de rivière et d'usage de la rivière que l'on désire. 

Pour ces raisons, et compte-tenu également du coût économique significatif de ces chantiers payés sur argent public, la destruction des ouvrages hydrauliques ne pourrait se justifier que par des arguments convaincants sur l'enjeu écologique attaché à l'opération. Or, dans bien des cas, les petits ouvrages de type seuils, déversoirs, gués, chaussées ont peu d'effet biologique et sédimentaire en raison de leur dimension permettant la circulation des charges solides et le passage des espèces à différentes périodes de l'année. Cette recherche de Teja P. Muha et des ses collègues montre le manque de résultat du chantier dans ces cas.  

Références : Muha TP et al (2021), Using eDNA metabarcoding to monitor changes in fish community composition after barrier removal, Front. Ecol. Evol., doi : 10.3389/fevo.2021.629217

12/09/2021

Sur l'Ahr, fallait-il protéger en priorité le saumon ou la population?

Les inondations de l'été 2021 ont été meurtrières en Europe centrale, avec plus de 200 victimes. Et des dizaines de milliards d'euros de dégâts. Sur le bassin versant de la rivière Ahr (Allemagne), qui a été l'un des plus touchés, le risque de crue était parfaitement documenté depuis des siècles. Mais alors que le réchauffement climatique crée des conditions pour des épisodes de crues plus intenses, les décideurs ont jugé depuis 20 ans qu'une des priorités d'aménagement du bassin était... la restauration écologique en faveur du saumon. Pourquoi l'argent public est-il ainsi détourné des enjeux essentiels de régulation des crues et des sécheresses en vue de protéger les populations, mais aussi de prévention du réchauffement climatique? Va-t-on continuer à disperser l'argent des citoyens dans des nostalgies de nature sauvage alors que des enjeux existentiels autrement plus graves sont devant nous? 


Entre le 12 et le 15 juillet 2021, de fortes précipitations associées au système dépressionnaire «Bernd» ont entraîné de graves inondations en Europe, en particulier dans les États allemands de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et Rhénanie-Palatinat, au Luxembourg et le long de la Meuse et certains de ses affluents, en Belgique et aux Pays-Bas.

Au moment des pluies, les sols étaient en partie déjà saturés suite à un printemps et un été plutôt humides. Certaines sections de vallée sont très étroites avec des pentes abruptes conduisant à des effets d'entonnoir en cas de crues extrêmes. 

Les inondations ont fait au moins 184 morts en Allemagne et 38 en Belgique et des dommages considérables aux infrastructures, y compris les maisons, les autoroutes, les voies ferrées et les ponts. Les fermetures de routes ont laissé certains endroits inaccessibles pendant des jours, coupant certains villages des voies d'évacuation et des interventions d'urgence. Les zones les plus touchées se trouvaient autour des rivières Ahr, Erft et Meuse.

Des scientifiques d'Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Suisse, France, États-Unis et Royaume-Uni ont collaboré pour évaluer dans quelle mesure le changement climatique induit par l'homme a modifié la probabilité et l'intensité de si fortes précipitations provoquant de graves inondations (consortium World Weather Attribution). Ils concluent notamment : 
"le changement climatique a augmenté l'intensité de l'événement pluviométrique maximal d'une journée pendant la saison estivale d'environ 3 à 19 % par rapport à un climat mondial 1,2 °C plus froid qu'aujourd'hui. L'augmentation est similaire pour l'événement de 2 jours. La probabilité qu'un tel événement se produise aujourd'hui par rapport à un climat plus frais de 1,2 °C a augmenté d'un facteur compris entre 1,2 et 9 pour un événement d'une journée. L'augmentation est à nouveau similaire pour un événement de 2 jours. Dans un climat plus chaud de 2 °C qu'à l'époque préindustrielle, les modèles suggèrent que l'intensité d'un événement d'une journée augmenterait encore de 0,8 à 6 % et la probabilité d'un facteur de 1,2 à 1,4. L'augmentation est à nouveau similaire pour l'événement de 2 jours."
Au début d’août, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a également pointé dans son nouveau rapport un réchauffement de la planète plus rapide qu’on ne le pensait, avec des effets significatifs à venir sur le cycle de l'eau

Toutefois, si le changement climatique augmente les conditions de fréquence et d'intensité de ces événements extrêmes, il est loin d'être le seul coupable. 

Le climat n'est pas le seul responsable des bilans des crues
D'abord, de tels événements peuvent toujours survenir par hasard, et les crues de la période prémoderne occasionnaient déjà de nombreuses victimes. Ensuite, les choix que l'on fait dans l'aménagement des rivières et des bassins versants ont une influence majeure sur les écoulements locaux et les risques humains. Les observations rapportées sur la page Wikipedia des inondations sont ainsi intéressantes à examiner.

Dans la vallée de l'Ahr (district d'Ahrweiler), il y a eu déjà de graves inondations en 1601, 1804 et 1910, certaines avec des pics de crue plus élevés. En réponse à la crue de 1910, des bassins de rétention des crues à grande échelle d'une capacité de 11,5 millions de m3 ont été prévus dans le cours supérieur de l'Ahr, sur le Trierbach, dans le Wirftbachtal et sur l'Adenauer Bach. En raison d'un manque d'argent, les plans n'ont pas été mis en œuvre et à la place, on a construit le circuit automobile Nürburgring. 


La vulnérabilité du bassin versant a été exacerbée par le fait que les cours d'eau ont été redressés lors du remembrement des terres dans les années 1970 et que des canaux de drainage ont été créés dans les vignobles, à travers lesquels les précipitations sur les pentes sont déversées verticalement, de sorte que le niveau d'eau dans la vallée augmente rapidement. De plus, la roche d'ardoise typique de la région est presque imperméable à l'eau et donc de fortes pluies s'écoulent facilement. Les ruisseaux latéraux sont également très raides et donnent à l'eau une vitesse élevée, de sorte que le niveau d'eau dans la vallée monte rapidement. D'autres facteurs pouvant aggraver la situation lors de fortes précipitations sont l'imperméabilisation des terres, la déforestation, les sols asséchés et les mesures de protection contre les inondations manquantes ou mal dimensionnées, entre autres sur les ruisseaux de basse montagne qui sont jusqu'à présent rarement apparus comme un risque.

Selon les géographes Thomas Roggenkamp et Jürgen Herget, la carte des risques d'inondation pour la vallée de l'Ahr est basée sur les valeurs mesurées collectées depuis 1947 seulement. Bien que les incertitudes des statistiques des valeurs extrêmes soient connues lorsque la taille de l'échantillon est petite, les graves inondations des siècles passés n'ont pas été prises en compte dans l'évaluation de l'évaluation des risques. Selon leur évaluation, la crue de juillet 2021 est une répétition de la crue de juillet 1804. Malgré des débits comparables (quantités d'eau en mètres cubes par seconde), la crue de juillet 2021 a atteint des niveaux d'eau plus élevés que ceux de 1804. La raison est qu'aujourd'hui, le développement plus dense du lit majeur d'inondation a réduit la surface traversée par l'eau et les niveaux ont augmenté localement de manière disproportionnée. 

Depuis 20 ans on a investi... pour le saumon
Le gouvernement fédéral et le Land de Rhénanie-Palatinat avaient encouragé des mesures de renaturation dans la vallée de l'Ahr. Selon Wolfgang Büchs, il s'agissait de mesures judicieuses, mais les bassins de rétention des crues et autres systèmes de rétention des pluies - également dans les vallées latérales - sont les seules mesures efficaces contre les événements pluvieux extrêmes.

Savoir si les mesures en question furent "judicieuses" se discute et devra être examiné avec la plus grande attention dans le bilan définitif de ces inondations de l'Ahr. 

En effet, la rivière Ahr fait l'objet depuis plus de 20 ans de plans pour la réintroduction du saumon du Rhin dans ses habitats d'origine. Plusieurs barrages ont été effacés ou aménagés sur argent public (Bad Bodendorfer, Heimersheimer, Bad Neuenahrer...). Bien entendu, au regard de la gravité de la crue de 2021, ces aménagements n'ont eu qu'une influence mineure. Mais c'est la question inverse qu'il faut poser: pour éviter des dizaines de morts et de milliers de destructions dans le bassin versant de l'Ahr, quels étaient les aménagements à envisager en priorité depuis 20 ans, et avant déjà? S'il est reconnu que le bassin est à haut risque historique et s'il a été envisagé voici un siècle déjà des retenues pour tamponner les crues, pourquoi ce genre de projet n'a-t-il pas été au centre de la réflexion des décideurs? Si les choix du lit majeur sont plus impactants que ceux du lit mineur, pourquoi ne traite-t-on pas les choses dans l'ordre? Si l'on juge "normal" que les rivières reprennent leur droit en crue, cela signifie-t-il que l'on assume comme "normales" les pertes humaines et destructions de biens? La même question valant pour les sécheresses, autre spectre du changement climatique : au nom de la nature rendue à sa naturalité, les populations doivent-elles accepter demain des lits secs tous les étés? 

Les gestionnaires de l'écologie des rivières et plans d'eau ont aujourd'hui des discours contradictoires et des actions confuses. D'un côté, ils reconnaissent que les conditions naturelles sont changées par le réchauffement climatique – plus généralement par la démographie et l'économie humaines – ; d'un autre côté, ils proposent simplement de restaurer des portions de conditions naturelles antérieures, comme si de rien n'était. D'un côté, le climat est reconnu par les rapports GIEC comme une menace existentielle de premier ordre pour les sociétés humaines et pour le vivant ; d'un autre côté, on refuse d'en faire le critère prioritaire quand on gère les rivières pour l'énergie, les crues, les sécheresses et autres éléments liés au climat. 

Ces contradictions et confusions doivent cesser. La France aussi connaîtra des crues terribles et des sécheresses sévères. La France aussi doit faire sa part pour sortir au plus vite de l'énergie fossile sur son territoire et dans ses importations. C'est en ayant à l'esprit ces événements extrêmes et ces priorités publiques que l'on doit aménager désormais nos rivières. 

11/08/2021

Manque de suivi et de résultat en restauration écologique des cours d'eau (dos Reis Oliveira et al 2020)

Une équipe de chercheurs néerlandais observe que la restauration écologique des cours d'eau bénéficie de financement en hausse, mais que la rigueur fait défaut lorsqu'il s'agit d'évaluer les résultats dans le temps. Du même coup, il est difficile de hiérarchiser les bonnes pratiques et de vérifier si l'investissement produit les résultats attendus. Ce problème avait déjà été observé aux Etats-Unis, en France et dans d'autres pays. Si une partie du questionnement concerne les méthodes, l'autre interroge les finalités : que voulons-nous au juste restaurer, et est-ce possible?


Depuis deux décennies, on a assisté à une forte augmentation du financement, des actions et de la recherche pour la restauration des cours d'eau. Pourtant, les retours d'expérience sont ambivalents et les taux de réussite sont restés assez faibles. Les pratiques de restauration ne prennent toujours pas suffisamment en compte les échelles appropriées, allant des habitats dans les cours d'eau à des bassins versants entiers, ni la complexité des écosystèmes (facteurs hydrologiques, morphologiques, chimiques et biologiques). Par conséquent, les raisons précises de l'échec des efforts de restauration restent encore peu concluantes. Un groupe de 6 chercheurs a mené aux Pays-Bas une analyse de ce problème à travers le bilan des pratiques de restauration.

Voici le résumé de leur article :

"Les efforts de restauration des cours d'eau se sont accrus, mais le taux de réussite est encore assez faible. Les raisons sous-jacentes de ces efforts de restauration infructueux restent peu concluantes et nécessitent une clarification urgente. Par conséquent, le but de la présente étude était d'évaluer plus de 40 ans de restauration des cours d'eau pour alimenter les perspectives futures. À cette fin, nous avons évalué l'influence des objectifs politiques sur les efforts de restauration des cours d'eau, les objectifs de restauration biophysique, les mesures de restauration appliquées, y compris l'échelle d'application et les efforts de surveillance. Les informations ont été obtenues à partir de cinq enquêtes sur la restauration des cours d'eau menées par les autorités régionales de l'eau aux Pays-Bas au cours des 40 dernières années et à partir d'une analyse des publications scientifiques internationales sur la restauration des cours d'eau couvrant la même période. 

Notre étude a montré qu'il y avait une augmentation considérable des efforts de restauration des cours d'eau, particulièrement motivés par la législation environnementale. Cependant, un contrôle adéquat de l'efficacité des mesures faisait souvent défaut. De plus, un décalage entre les objectifs de restauration et les mesures de restauration a été observé. Les mesures restent majoritairement focalisées sur les techniques hydromorphologiques, alors que les objectifs biologiques restent sous-exposés et doivent donc être mieux ciblés. En outre, les pratiques de restauration se produisent principalement à petite échelle, malgré la pertinence largement reconnue de s'attaquer à de multiples facteurs de stress agissant à grande échelle pour le rétablissement de l'écosystème des cours d'eau. 

Afin d'augmenter le taux de réussite des projets de restauration, il est recommandé d'améliorer la conception des programmes de suivi d'accompagnement, permettant d'évaluer, sur des périodes plus longues, si les mesures prises ont conduit aux résultats souhaités. Deuxièmement, nous conseillons de diagnostiquer les stresseurs dominants et de planifier des mesures de restauration à l'échelle appropriée de ces stresseurs, généralement l'échelle du bassin versant."

Les auteurs précisent notamment dans leur article :

"Alors que dans le passé de nombreux projets visaient à améliorer l'ensemble de l'écosystème fluvial, ils se sont en fait concentrés uniquement sur des conditions morphologiques (amélioration de l'habitat) ou hydrologiques (débit) spécifiques, comme on l'observait déjà il y a deux décennies (Verdonschot et Nijboer, 2002 ; Palmer et al., 2010, 2014). Ceci pouvait et peut encore s'expliquer par une confiance ferme dans l'affirmation selon laquelle « si l'hétérogénéité de l'habitat augmente, la diversité biologique augmente également » (Field of Dreams Hypothesis ; Palmer et al., 1997). Néanmoins, une approche totalement intégrative, s'attaquant à tous les facteurs de stress, mais prenant également en compte des aspects biologiques importants, tels que la colonisation (Westveer et al., 2018), la dispersion (Engström et al., 2009), la distance aux populations sources (Brederveld et al. ., 2011 ; Stoll et al., 2013), la réintroduction d'espèces (Jourdan et al., 2018) et le contrôle des espèces envahissantes (Scott et Helfman, 2001), sont encore rares. De plus, les pratiques de restauration des cours d'eau doivent également être conscientes des risques écologiques qui peuvent survenir après la restauration, tels que les pièges écologiques lorsque les espèces deviennent plus menacées par les nouvelles conditions de l'habitat après la restauration par rapport aux conditions initiales (Robertson et al., 2013; Hale et al., 2015), offrant des opportunités pour les espèces envahissantes (Matsuzaki et al., 2012 ; Franssen et al., 2015 ; Merritt et Poff, 2010), introduisant des conditions hydrologiques non naturelles (Vehanen et al., 2010 ; Jeffres et Moyle, 2012) et augmentant la toxicité des sédiments pour les amphibiens (Snodgrass et al., 2008).

En outre, de nombreux projets de restauration des cours d'eau envisagent encore des mesures et des solutions à petite échelle et négligent le fait que les écosystèmes des cours d'eau sont fortement régis par les processus à l'échelle du bassin versant (Allan, 2004 ; Palmer, 2010 ; Ward, 1998 ; Wiens, 2002 ; Sundermann et Stoll, 2011 ; Kuglerová et al., 2014, Tonkin et al., 2018). Plusieurs auteurs ont déjà montré que la restauration à grande échelle est cruciale pour le rétablissement écologique (Schiff et al., 2011 ; Verdonschot et al., 2012 ; Kail et Hering, 2009 ; Stranko et al., 2012 ; Gabriele et al., 2013). D'autre part, ce n'est pas la petite échelle d'un projet de restauration en soi qui limite le succès de la restauration, mais plutôt l'inadéquation spatiale entre les facteurs de stress et la restauration, en combinaison avec un manque de diagnostic préalable spécifique du facteur de stress limitant réel."

Discussion
Cette recherche néerlandaise confirme des travaux menés en France voici quelques années, qui avaient également observé un déficit de rigueur et de méthode dans les pratiques de restauration de cours d'eau (voir Morandi et al 2014). 

Cette discussion sur la restauration écologique de milieux gagnerait à élargir le champ de sa réflexion. Actuellement, et comme cet article de recherche le rappelle après d'autres, on analyse les performances de certaines actions et, lorsque les performances ne sont pas présentes, on présume que d'autres impacts doivent être traités. La représentation sous-jacente est qu'il existe un état de la nature sans impact, qu'on peut le recréer (ou y tendre) par élimination progressive et simultanée de ces impacts. 

Mais il se trouve que derrière le mot "impact", on désigne essentiellement la présence humaine dans les bassins versants et les usages humains de ces bassins versants, que ce soit les usages de l'eau ou du sol. D'une part, se pose la question des limites de l'élimination des effets de la présence humaine, du coût pour atteindre ces limites et du consentement social à cela. D'autre part, et plus fondamentalement, se pose la question des ontologies de la nature (Linton et Krueger 2020) : y a-t-il un sens à se représenter une nature sans humain comme le modèle (de biodiversité ou de fonctionnalité) alors que dans la réalité, la nature co-évolue avec les humains (la division nature-humain n'a guère de fondement) et ne devrait pas cesser de le faire à horizon prévisible? 

Référence : dos Reis Oliveira et al (2020), Over forty years of lowland stream restoration: Lessons learned?, Journal of Environmental Management, 264, 110417

13/10/2019

La restauration écologique active d'un milieu a souvent le même effet qu'une simple récupération passive (Jones et al 2018)

La restauration écologique de milieux est devenue très populaire au fil des dernières décennies et le gestionnaire public qui l'engage nous garantit que ses résultats sont formidables. Mais est-ce exact? Les retours d'expérience commencent seulement à être analysés à grande échelle depuis une dizaine d'années par les scientifiques. Dans une méta-analyse de 400 travaux, des chercheurs montrent qu'en général, une restauration active d'un milieu perturbé n'obtient pas beaucoup plus de résultats qu'une simple récupération passive en cessant l'impact et en laissant les sites évoluer. Et en tout état de cause, notamment pour les milieux aquatiques, le résultat de la restauration active comme de la récupération passive n'est pas le retour aux objectifs fixés avant les travaux, notamment un état proche d'une situation antérieure non perturbée. A l'heure où en France les agences de l'eau envisagent de ne plus financer les traitements des pollutions pour se concentrer davantage sur des travaux de restauration, cela pose de sérieuses questions sur le bon emploi de l'argent public et sur l'engagement des gestionnaires à obtenir des résultats tangibles qui augmentent les services rendus par les écosystèmes à la société. A supposer que l'on soit encore capable de se poser des questions – voire de se remettre en question – dans les technocraties, bien sûr...

La restauration écologique est devenue une politique publique depuis une trentaine d'années, et les scientifiques essaient d'évaluer ses résultats. Une dizaine de chercheurs de divers pays (dont Daniel Montoya, INRA-CNRS, en France) ont réalisé une méta-analyse de 400 études portant sur 5142 variables de réponse - les variables mesurées par les chercheurs dans les études - afin de documenter le rétablissement de l'écosystème à la suite de perturbations anthropiques à grande échelle (agriculture, eutrophisation, perturbation hydrologique, exploitation forestière, extraction minière, déversements d'hydrocarbures). Ces études résultantes ont catalogué la récupération après perturbations selon une combinaison d’actions pour mettre fin à la perturbation (notion de "récupération passive") ou pour augmenter le taux de récupération des écosystèmes endommagés (notion de "restauration active"). Les principaux objectifs de ce travail étaient de calculer l’étendue et le taux de rétablissement des écosystèmes endommagés, et de comparer cela selon les écosystèmes, les perturbations, les types d’organismes, le degré de rétablissement selon le choix de restauration active versus récupération passive des écosystèmes.

Voici le résumé de leur recherche :

"Étant donné que peu d’écosystèmes sur la Terre n’ont pas été affectés par les humains, leur restauration est très prometteuse pour enrayer la crise de la biodiversité et garantir que les services écosystémiques sont fournis à l’humanité. Néanmoins, peu d'études ont documenté le rétablissement d'écosystèmes à l'échelle mondiale ou les taux de rétablissement des écosystèmes. Encore moins ont pris en compte l'avantage supplémentaire de la restauration active des écosystèmes par rapport au choix de leur permettre de se rétablir sans intervention humaine après la cessation d'une perturbation. 

Notre méta-analyse de 400 études réalisées à travers le monde et documentant la récupération à la suite de perturbations à grande échelle, telles que les marées noires, l'agriculture et l'exploitation forestière, suggère que, même si les écosystèmes progressent progressivement vers la récupération, ils se rétablissent rarement complètement. Ce résultat renforce la conservation des écosystèmes intacts en tant que stratégie clé pour la protection de la biodiversité. Les taux de récupération ont ralenti avec le temps depuis la fin de la perturbation, ce qui suggère que les phases finales de la récupération sont les plus difficiles à atteindre. 

La restauration active n'a pas abouti à un rétablissement plus rapide ni plus complet que la simple cessation des perturbations auxquelles les écosystèmes sont confrontés. Nos résultats sur le bénéfice supplémentaire de la restauration doivent être interprétés avec prudence, car peu d'études ont directement comparé différentes actions de restauration au même endroit après la même perturbation. Le manque de valeur ajoutée claire de la restauration active après une perturbation suggère que la récupération passive devrait être considérée comme une première option; si la reprise est lente, alors les actions de restauration active devraient être mieux adaptées pour surmonter les obstacles spécifiques à l'amélioration, et atteindre les objectifs de la restauration. Nous appelons à un investissement plus stratégique de ressources de restauration limitées dans les efforts de collaboration innovants entre scientifiques, communautés locales et praticiens pour développer des techniques de restauration viables sur les plans écologique, économique et social."

En particulier, la restauration des rivières, des lacs, des zones humides est loin de parvenir à produire l'état espéré, qui est généralement présenté par le gestionnaire comme l'état "naturel" ou "originel" du site restauré :



(Cliquer pour agrandir)
La ligne pointillé grise indique les valeurs cibles des restaurations, plus les lignes rouges (récupérations passives) ou bleues (restaurations actives) sont éloignées de cette ligne grise, moins la restauration est efficace. On observe que les milieux aquatiques ont peu de réponses. Extrait de Jones et al 2018, art cit.

Conclusion des chercheurs, il vaut mieux définir plus précisément ce que l'on veut restaurer, privilégier la récupération passive des milieux et en cas de restauration active, adapter aux conditions locales : "Premièrement, les objectifs de projets de restauration spécifiques doivent être clairement définis afin que des méthodes appropriées puissent être sélectionnées et que leur efficacité pour atteindre les résultats souhaités soit évaluée. Deuxièmement, la récupération passive devrait être considéré comme une option potentiellement rentable pour le rétablissement de l'écosystème. Troisièmement, si les taux de récupération passive sont insuffisants pour atteindre les objectifs du projet, des stratégies de restauration active doivent alors être adaptées aux conditions écologiques et socio-économiques locales; ces stratégies devraient idéalement être comparées à une approche de restauration passive pour aider à informer les efforts futurs."

Discussion
L'écologie de la restauration est devenue une industrie multimilliardaire dans le monde, tant en raison des politiques publiques de l'environnement qu'en raison des compensations écologiques de plus en plus souvent exigées des projets artificialisant des milieux. Elle s'inscrit dans le répertoire désormais normal de protection de la biodiversité et des services rendus à la société par les écosystèmes.

Mais cette discipline est loin du consensus sur son objet et ses méthodes, comme le prétendent indûment certains discours publics (en France par exemple, le discours du ministère de l'écologie ou des agences de l'eau, qui ont fait de la restauration un angle important de leur action, cf Morandi et al 2016). Nous avions documenté quelques exemples de retours scientifiques d'expérience en restauration de rivières et milieux aquatiques, dont la tonalité est souvent critique. Le gestionnaire dit que tout va bien et que le résultat de son action est formidable... mais le chercheur n'est pas toujours de cet avis quand un suivi sérieux et robuste de la restauration est effectué (Morandi et al 2014). Il y aussi des biais de partialité et de subjectivité dans la définition des périmètres et objectifs des restaurations : sur le cas des restaurations de continuité en long par exemple, des institutions comme l'OFB-AFB (ex Onema) ont pu définir dans les années 2000 des critères très restreints et spécialisés - revenir à faciès lotique local en lit mineur, augmenter la présence de certains poissons d'intérêt halieutique - qui intéressent souvent certains usagers (pêcheurs d'eau vive) mais qui ne répondent pas vraiment à l'enjeu plus global des structures et fonctions de l'écosystème concerné par l'action (voir cette analyse sur les effacements d'ouvrages, cette analyse sur le suivi des étangs et plans d'eau).

Ces critiques ne signifient pas que toutes les restaurations sont sans effet : il y a de très beaux chantiers qui ont des résultats partiels déjà intéressants (par exemple, la réhabilitation des bras morts du Rhône qui avait disparu du fait de l'endiguement, Provansal et al 2012, Lamouroux et al 2015). Mais en règle générale, ces chantiers mobilisent des financements conséquents et des surfaces importantes sur la base d'un état originel pré-restauration très dégradé. Or, le gros de la dépense publique des agences de l'eau en restauration de milieux aquatiques est plutôt dispersé dans de très nombreux contrats avec des syndicats locaux, qui vont à leur tour fragmenter le budget et multiplier des petits chantiers d'opportunité, souvent sans moyens de suivi rigoureux et sans effet autre que sur un ou deux compartiments dans un périmètre très limité. Comme les agences de l'eau sont censées se concentrer de plus en plus sur la restauration et de moins en moins sur les pollutions (voir ce rapport CGEDD-OGF 2018), cela pose clairement et urgemment la question de la rationalité des choix publics en écologie et de la transparence sur ce qu'ils garantissent aux citoyens comme résultats.

Enfin, on rappellera que ces débats sur l'efficacité de l'écologie de la restauration sont accompagnés d'autres échanges scientifiques encore plus fondamentaux sur ses finalités : tous les chercheurs ne sont pas d'accord sur la nature exacte de ce qu'il conviendrait de restaurer ni sur la valeur que l'on doit donner à des écosystèmes différents et nouveaux, nés de l'influence humaine sur les milieux naturels pré-humains (voir Hobbs et al 2006Backstrom 2018, Evans et Davis 2018, Mooij et al 2019). Ces débats fort intéressants sont complètement absents des échanges démocratiques en France: du fait de leur situation très particulière d'écosystèmes anthropisés témoins de l'histoire longue des bassins versants, il revient au mouvement des moulins, canaux, étangs, lacs et plans d'eau de porter ces questionnements dans le débat.

Référence : Jones HP et al (2018), Restoration and repair of Earth's damaged ecosystems, Proc. R. Soc. B, 285, 20172577

26/07/2019

La négation des réalités écologiques de terrain continue et s'aggrave dans le suivi des chantiers d'effacement d'ouvrages

Les experts publics (Irstea, OFB, agences de l'eau) viennent de proposer un guide de suivi des chantiers de restauration hydromorphologique. Ce guide est d'abord un aveu: depuis 10 ans, les agences de l'eau dépensent plusieurs centaines de millions € chaque année sur ce compartiment de la morphologie des rivières sans pouvoir apporter la moindre garantie scientifique de résultat, et cela alors que les retours critiques sur ces résultats très inégaux ont déjà 15 ans dans la recherche internationale. Les apprentis-sorciers ont trompé les décideurs et les citoyens en prétendant aux vertus garanties de leurs chantiers. Ce guide est ensuite biaisé en ce qui concerne le suivi avant-après des destructions d'ouvrages hydrauliques (continuité en long): les auteurs préconisent de nier purement et simplement la biodiversité et les fonctionnalités de tous les espaces aquatiques et humides qui sont dérivés de l'ouvrage (biefs et annexes). C'est donc kafkaïen : on propose une mesure qui, par elle-même, ne pourra qu'aboutir à un soi-disant résultat "positif", cela sans aucune certitude qu'il n'y a pas eu en fait une perte nette de milieux et d'espèces d'intérêt. C'est moins de la science qu'une idéologie de certification des choix publics.  En tout cas, on est toujours très loin de la continuité "apaisée". Mais les citoyens s'informent désormais et ils ne se laisseront pas duper par de telles méthodes, construites par une expertise fermée aux publics concernés. 


Des experts des agences de l'eau, de l'Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture) et de l'AFB (désormais OFB pour Office français de la biodiversité) viennent de publier un "Guide pour l'élaboration de suivis d'opérations de restauration hydromorphologique en cours d'eau".

Les chantiers concernés par le guide sont de sept types : reméandrage ; suppression d’ouvrage en travers ; contournement de plan d’eau (hors dispositif de franchissement piscicole type passe à poissons, rustique ou non) ; remise dans le talweg ; reconstitution du matelas alluvial ; suppression des contraintes latérales ; modification de la géométrie du lit (changemments locaux de faciès et profils) sans modification de l’emprise foncière.

Les auteurs observent en introduction que la littérature scientifique donne des conclusions ambivalentes :

"la littérature scientifique, notamment par le biais d’études de cas ou de méta-analyses, se penche sur la question des trajectoires suivies, d’une part par l’hydromorphologie, d’autre part par les communautés biologiques, suite à une opération de restauration. Ces travaux révèlent une grande variabilité dans ces trajectoires. Ainsi, les travaux menés dans le cadre du programme Reform, de Kail et al. montrent que la restauration a en moyenne des effets positifs sur les communautés biologiques, mais que les réponses sont très variables d’un site à l’autre. Les travaux menés par Roni et al. indiquent quant à eux qu’il est difficile de conclure sur l’efficacité des techniques, malgré les 345 études analysées." 

Deux remarques à ce sujets :
  • les auteurs sont encore loin de recenser tous les retours d'expérience en hydromorphologie, dont beaucoup sont fort critiques sur l'absence de résultats et l'absence de sérieux dans le suivi, malgré l'importance des sommes investies (voir quelques exemples ici),
  • les auteurs admettent que le suivi scientifique est défaillant en France... alors même que de nombreux chantiers sont engagés depuis 10 ans (10 à 20% des dépenses des agences de l'eau, soit des centaines de millions € par an) et que l'on prétendait au décideur public que l'Onema réalisait déjà des suivis attestant la qualité des choix opérés (comme nous l'avions montré, ces suivis étaient tout à fait défaillants car dénués de rigueur, cf références en bas d'article).
Précisons les choses : nous n'affirmons nullement que toutes les issues des chantiers sont négatives ou sans intérêt, simplement qu'il n'y a pour le moment pas de garantie. Or, on parle là de dépense d'argent public et, dans certains cas, de contraintes lourdes pour les riverains avec des options écologiques ayant des désavantages sur d'autres dimensions de la rivière et de ses usages.

Les résultats des "restaurations" mettront en fait des années voire des décennies à s'établir, certains seront bons mais d'autres médiocres, certains auront même des effets négatifs (comme favoriser des invasives, des assecs etc.). Nous demandons donc que soit reconnu le caractère encore très expérimental de tels chantiers, et qu'ils soient limités à des tronçons pour analyse avant-après au lieu que d'être généralisés comme des outils soi-disant routiniers et maîtrisés de la gestion de rivière. Ce qu'ils ne sont pas. L'argent public manque pour soutenir l'objectif n°1 de dépollution chimique des eaux et des rives (imposé par la directive cadre européenne de l'eau à peine d'amende), mais aussi pour financer une politique sérieuse de réserves de vie sauvage susceptibles d'héberger la biodiversité en crise (la cour des comptes européennes a critiqué la gestion des Natura 2000 et des outils de la directive HFF par la France). L'administration de l'eau ne peut pas continuer à dépenser ainsi sans discernement et sans méthode.

Effacements d'ouvrages : le déni organisé des milieux en place !
Par ailleurs et plus gravement, dans le suivi des effacements d'ouvrage en travers au nom de la continuité en long, les auteurs persistent à proposer de mauvaises méthodes. Ils considèrent en effet qu'il suffit d'échantillonner en amont et en aval de la retenue effacée, tout en veillant particulièrement à la "recolonisation des espèces rhéophiles au détriment des limnophiles" :


Figure extraite du guide citée en référence.

Or :

  • c'est une tautologie de dire que recréer un habitat lotique sera favorable aux espèces lotiques (mais défavorable aux espèces lentiques), la collectivité paie pour la sauvegarde de la biodiversité, pas pour des changements de détail de peuplements locaux (le score à mettre en avant pour valider ou non la dépense serait celui de la diversité bêta des stations, pas de la spécialisation lotique),
  • cette méthode de mesure ignore l'un des intérêts des ouvrages, en particulier de moulins, à savoir la création d'habitats dérivés (biefs et annexes).

Ce schéma expose le problème :



Nous sommes donc obligés de constater que l'écologie de la restauration en France persiste dans le déni de valeur des écosystèmes artificiels, selon une idéologie que nous avons déjà dénoncée et qui conduit selon nous à de mauvais choix dans le cas de la continuité en long. Les experts publics produisent des métriques qui servent d'abord à valider des choix publics, mais pas à établir une connaissance complète et objective des milieux en place qui sont perturbés par des chantiers.

Nous ne parviendrons pas à une continuité "apaisée" et à des échanges sereins entre parties prenantes sans sincérité intellectuelle. Elle fait défaut dans cette démarche pour ce qui concerne les destructions d'ouvrages et de leurs milieux associés.

Référence : Rolan-Meynard M. et al (2019), Guide pour l’élaboration de suivis d’opérations de restauration hydromorphologique en cours d’eau, Agence française pour la biodiversité, Collection Guides et protocoles, 190 pages

A lire en complément
Idée reçue #08 : "Les opérations de restauration écologique et morphologique de rivière ont toujours de très bons résultats"
Recueil d'expériences de l'Onema: un bon aperçu du manque de rigueur en effacement des ouvrages hydrauliques 
Comment dépasser les mauvaises pratiques actuelles en destruction des étangs et plans d'eau 

Exemples d'habitats de moulin négligés par la méthode OFB-Irstea-Agences de l'eau (milieux risquant la mise à sec si l'ouvrage est arasé ou dérasé)

12/06/2019

La réalité des écosystèmes culturels questionne la cohérence de l'écologie de la restauration (Evans et Davis 2018)

Deux chercheurs en science de l'environnement s'interrogent sur les liens entre la restauration écologique et les "écosystèmes culturels", définis comme les modifications de milieux par l'activité humaine au cours des siècles et millénaires passés. Comme un nombre croissant de collègues, ils expriment le besoin de sortir l'écologie de la référence à un état naturel non modifié par l'homme, qui fait de moins en moins sens au regard des observations et connaissances sur l'ancienneté de la fabrique humaine de la nature telle que nous la voyons aujourd'hui. L'écologie doit-elle dépasser l'amnésie et l'utopie d'une nature atemporelle qui pourrait rester toujours identique à elle-même? Comment la société peut-elle participer à la construction des états de nature qu'elle désire?   


Le contrôle de l'eau dans l'hydraulique maya, site de Palenque, rivière Otulum.

La société pour la restauration écologique (SER, Etats-Unis), groupe de praticiens et théoriciens, a proposé en 2016 un "Standard international pour la pratique de la restauration écologique". Celui-ci donne lieu à d'intéressants débats entre experts, où l'on s'aperçoit que la restauration écologique ne coule pas de sources dans ses méthodes, ses paradigmes et ses finalités.

Nicole M. Evans et Mark A. Davis (université de l'Illinois) observent ainsi que le Standard proposé prend en compte la notion d'écosystème culturel, défini comme "les écosystèmes qui se sont développés sous l'influence conjointe des processus naturels et des organisations imposées par l'homme pour fournir une structure, une composition et une fonctionnalité plus utiles pour l'exploitation humaine".

Mais selon cette définition, font remarquer Evans et Davis, "il semble que tous les écosystèmes sont culturels, de manière plus ou moins prononcée". La SER a tenté d'anticiper la critique en parlant de systèmes qui resteraient dans une fourchette de "variation naturelle". Le Standard de la SER parle aussi des écosystèmes culturels pré-industriels qui "montrent des états très similaires à ceux survenant dans des aires non modifiées". Mais, notent Evans et Davis, "alors que la majeure part de la littérature scientifique démontre que les peuples indigènes de l'âge préindustriel étaient des forces majeures sur leurs écosystèmes (Martinez 2003; Krech 2000; Anderson 2005), le Standard dépeint leurs paysages comme des états non modifiés. Un rapide examen de plusieurs exemples montre pourquoi cette généralisation est une représentation grossière et une simplification excessive des peuples du passé et de leurs impacts".

Parmi les exemples, les auteurs rappellent l'exploitation très large de la forêt amazonienne à l'époque pré-colombienne, l'influence cumulée de l'agriculture européenne depuis l'Antiquité, les changements majeurs ayant accompagné l'arrivée de l'homme en Australie et dans la zone océanique.

Les universitaires mettent en avant plusieurs "implications conceptuelles" de leurs critiques:
"Les états naturels [de référence] ne doivent pas être la base pour déterminer si une activité remplit les conditions requises de restauration écologique, car cela pourrait empêcher la restauration nécessaire dans de nombreux endroits dans le monde"

"Lors du choix des références, l’idée d'une référence "originelle" intacte devrait être remplacée par des manières plus nuancées de considérer des impacts bons, mauvais et neutres de l'homme sur des écosystèmes, non basées sur une division de temporalité pré- et post-industrielle"

"Un point de départ pour marier la restauration culturelle et la restauration naturelle est d'intégrer des considérations sociales, culturelles et politiques à côté des considérations écologiques"

Discussion
La question de la "naturalité" ou de l'"état de référence" des systèmes naturels est un problème en écologie de la restauration. Evans et Davis le pointent ici à travers les usages historiques traditionnels de la nature ou les effets de la colonisation, mais leurs objections sont généralisables : nous ne sommes jamais passés d'un état de nature originelle à un état de nature modifiée par une transition brutale aux causes identifiables et réversibles, mais par un long travail de transformation de l'environnement par toutes les grandes civilisations passées et présentes. La modernité accélère bien sûr le phénomène depuis deux siècles, par la croissance démographique et par les moyens technologiques inédits (d'où la proposition de nommer notre époque géologique "Anthopocène"). Mais si nous pouvons, par conscience environnementale nouvelle, choisir de moins modifier certains milieux (par exemple moins exploiter les forêts, moins barrer les rivières, moins artificialiser les sols, moins émettre de carbone, moins produire de polluants persistants, etc.), nous ne pouvons pas pour autant effacer les usages passés ni cesser complètement d'influer sur la nature au vu des besoins ou des préférences socio-économiques des humains. L'évolution étant non réversible, avec une complexité combinatoire des influences entre facteurs biotiques et abiotiques, nous ne pouvons pas davantage revenir à un état bien défini de conditions passées (que ces conditions soient biologiques, thermiques, hydrologiques ou autres).

Si les écosystèmes sont en réalité des co-créations culturelles, techniques et naturelles, ou des phénomènes fondamentalement hybrides comportant une part de volonté humaine dans leur condition d'existence, que voulons-nous pour leur avenir? Pourrions-nous, par exemple, créer volontairement des configurations nouvelles d'habitats et de biodiversités? Avons-nous, sur les états de la nature, la même liberté que sur les états de la culture? Que devons-nous faire d'habitats anciens ou récents qui ont fini par héberger des faunes et des flores propres, parfois endémiques, parfois exotiques, mais ayant en tout état de cause leurs diversités spécifique, génétique, fonctionnelle?

Ces questions sont d'actualité puisque l'écologie de la restauration est devenue une politique publique, impliquant des dépenses et des contraintes, donc des débats démocratiques sur les finalités et les justifications de l'action. Malheureusement, les connaissances sur l'écologie restent peu diffusées, les réflexions à son sujet moins encore : la discussion est trop souvent réduite à des effets d'annonce, les choix alternatifs ne sont pas exposés ni pensés avec clarté, certaines options sont (indument) présentées par effet d'autorité comme le seul discours légitime au plan scientifique ou épistémologique. Une situation qui doit changer, car elle est défavorable à des choix avisés et informés sur l'avenir commun des sociétés et des milieux. En France, cela passe par une réforme en profondeur de la gouvernance publique de ces questions, aujourd'hui défaillante à produire de l'information, de la participation et de la délibération de qualité.

Référence : Evans NM et Davis MA (2018), What about cultural ecosystems? Opportunities for cultural considerations in the International Standards for the Practice of Ecological Restoration, Restoration Ecology, 26, 4, 612–617.

A lire sur ce thème
Les nouveaux écosystèmes et la construction sociale de la nature (Backstrom et al 2018) 
Restauration de la nature et état de référence: qui décide au juste des objectifs, et comment? (Dufour 2018)
Quelques millénaires de dynamique sédimentaire en héritage (Verstraeten et al 2017) 
Rivières hybrides: quand les gestionnaires ignorent trois millénaires d'influence humaine en Normandie (Lespez et al 2015) 
Une rivière peut-elle avoir un état de référence? Critique des fondements de la DCE 2000 (Bouleau et Pont 2014, 2015) 

12/02/2019

Faut-il reconstruire des barrages mimant ceux des castors ? (Lautz et al 2019)

Les Etats-Unis avaient été pionniers de la politique de destruction des grands barrages dans le dernier tiers du XXe siècle. Une nouvelle pratique s'y répand aujourd'hui : la multiplication de petits seuils artificiels mimant les effets des barrages de castor, là où les grands rongeurs semi-aquatiques ont été décimés. Car ces ralentissements de l'eau ont des effets recherchés, comme la lutte contre l'incision, le débordement en lit majeur, la diversification des habitats ou encore la recharge de la nappe phréatique au long de l'année. Des chercheurs appellent toutefois à mesurer les impacts avant de généraliser, d'autres techniques de restauration de rivières ayant révélé des échecs ces dernières décennies. Le débat sur l'intérêt des petits ouvrages est néanmoins relancé, car divers effets positifs des barrages de castors existent aussi bien pour des seuils et chaussées en rivière issus de l'histoire humaine, que certains réputent pourtant en France dénués de tout intérêt écologique...



Les castors sont des ingénieurs de l'écosystème. Lorsqu'ils construisent leurs barrages pour retenir l'eau, on observe des effets à l'échelle du bassin sur l'hydrologie, la dynamique des sédiments, la composition et la diversité des communautés animales aussi bien que végétales.

Comme l'observent Laura Lautz et ses collègues, "il n’est peut-être pas surprenant que des ingénieurs travaillant à la restauration de cours d’eau imitent maintenant les activités des castors, dans l’espoir de produire des effets similaires sur l’écosystème."

Les "barrages de type castor" (Beaver Dam Analogues, BDA) sont ainsi des "barrages construits par l'humain, conçus pour imiter les barrages de castors naturels dans le but de ralentir le débit de l'eau, d'augmenter les dépôts de sédiments et d'améliorer les habitats des rivières et des berges (Pilliod et al 2018)."

Des milliers de ces "BDA" ont déjà été déployés dans les montagnes de l'Ouest des États-Unis et leur popularité ne cesse de croître là-bas.

Pour les chercheurs, "le BDA en tant qu'outil de restauration de cours d'eau représente un changement de paradigme, passant de méthodes de conception statiques à long terme, telles que la conception de canaux naturels (NCD), à des approches de conception dynamiques à court terme."

Les BDA, conçus pour être provisoires, ne sont toutefois pas des analogues exacts des barrages construits par les castors. Ils sont souvent implantés pour en mimer les effets là où les castors ont disparu, où le lit s'est incisé et la nappe abaissée.

"Les BDA ne créent pas de conditions géomorphorlogiques statiques et sont conçus pour durer quelques années. Les BDA ont pour but de modifier les schémas d'érosion et les niveaux des cours d'eau et des nappes phréatiques, permettant ainsi au canal d'évoluer vers des formes de canaux plus naturelles (par exemple, des prairies et des chenaux de rivière tressés) (Pollock et al 2014). Les BDA ne sont pas non plus explicitement équivalents aux barrages de castor naturels, mis à part leur forme physique. En effet, ils sont généralement installés pour restaurer une étendue dégradée en raison de l'extinction locale du castor dans le paysage. La perte de castors entraîne généralement une érosion du chenal (en raison de la vitesse élevée de celui-ci), une diminution de la disponibilité de l'eau en fin d'été (en raison de la nappe phréatique abaissée) et une productivité réduite de la végétation riveraine (en raison de l'humidité limitée du sol; Bouwes et al 2016). Au moment de l'installation des BDA, les canaux sont souvent tellement incisés que les castors ne sont pas censés le réoccuper sans BDA, même s'ils sont introduits pour le repeuplement."

Les chercheurs appellent toutefois les gestionnaires à modérer les ardeurs : il est désormais reconnu que des erreurs ont été faites en restauration écologique de rivières "naturelles" ces dernières décennies, avec des choix précipités sans retours d'expérience très solides :

"Dans de nombreux cas, des études montrent que les rivières impactées passent à un nouvel état après restauration, mais qu'elles ne se dirigent pas nécessairement vers un statut de référence (par exemple, Daniluk, Lautz, Gordon et Endreny 2013). En outre, le simple concept de rivière de référence peut ne pas constituer une conceptualisation réaliste dans les régions fortement touchées par l'agriculture et l'urbanisation (McMillan et Vidon 2014). Malheureusement, beaucoup de ces résultats ont été publiés après que la conception de flot naturel soit devenu synonyme de restauration de cours d'eau. Même s'il existe des cas où les approches de restauration des cours d'eau ont porté leurs fruits, la popularité et l'utilisation systématique de ces travaux dans de nombreuses régions se poursuivent malgré le manque de preuves de leur efficacité."

Sans nier l'intérêt potentiel de cette technique, Laura Lautz et ses collègues suggèrent donc une certaine prudence et une analyse plus systématique des effets des recréations de petits barrages de type castor.

Discussion
La disparition de castors suite à leur chasse excessive par les humains a entraîné des effets bien documentés par la recherche scientifique : érosion, incision, moindre disponibilité d'eau à l'étiage, baisse de la productivité biologique en berge.

A l'heure où l'administration française s'est mis en tête de supprimer le maximum d'ouvrages hydrauliques, mêmes modestes, pour restaurer des cours d'eau rapides comme paradigme de la "nature retrouvée" (et pour la satisfaction de certains usagers pêcheurs de salmonidés), il est intéressant de voir que les idées évoluent en hydro-écologie. Peut-être faudrait-il éviter de se précipiter avec des politiques à coûts élevés et retours d'expérience encore peu rigoureux, comme Laura Lautz et ses collègues le demandent outre-Atlantique? La restauration de cours d'eau est loin d'être une science exacte, et les modes du moment peuvent révéler des effets pervers inattendus. On aimerait que les gestionnaires publics aient cette prudence à l'esprit avant de perturber des systèmes d'hydraulique ancienne présent depuis des siècles, formant parfois des écosystèmes originaux, et qu'il sera bien difficile de reconstruire si le bilan de leur disparition se révèle moins bon que prévu.

Quant au retour du castor européen dans les rivières, déjà bien entamé en France, il est évidement le bienvenu. Ce retour ne manquera pas de montrer que les discontinuités hydrologiques et morphologiques sont aussi nombreuses là où des hydrosystèmes reprennent leurs propres dynamiques.

Référence : Lautz L et al (2019), Restoring stream ecosystem function with beaver dam analogues: Let's not make the same mistake twice, Hydrological Processes, 33, 1, 174-177

Illustration : un barrage artificiel de type castor, sur le ruisseau de Red Canyon, dans le Wyoming. Extrait de Lautz et al 2019, art cit, tous droits réservés.

10/11/2018

20 ans après la destruction du barrage de Maisons-Rouges, où en sont les grands migrateurs de la Vienne et de la Creuse?

La destruction du barrage de Maisons-Rouges sur la Vienne a libéré tous les obstacles entre la mer et les stations de comptage de Châtellerault (Vienne) et de Descartes (Creuse). Les quatorze années (Vienne) et onze années (Creuse) de suivi des migrateurs montrent des résultats inégaux, faibles pour le saumon et catastrophiques pour l'alose, avec une tendance déclinante pour la majorité des espèces sur les données et la période  disponibles. Ce qui pose diverses questions : d'où viennent au juste ces tendances? Correspondent-elles aux anticipations de gestionnaire? Que nous savons-nous réellement des déterminants d'abondance des populations piscicoles? Combien veut-on dépenser au juste sur les 100.000 obstacles que comptent les rivières françaises, pour quels services rendus à la société?

Malgré une forte opposition locale, le barrage de Maisons Rouges sur la Vienne, non loin de la confluence avec la Creuse, a été détruit en 1998 dans le cadre du Plan Loire Grands Migrateurs. A l'époque, le coût était de 12 millions de francs (2,6 millions € actuels). Les promoteurs de cette destruction (notamment les fédérations de pêche d'Indre-et-Loire et de la Vienne, le Conseil supérieur de la pêche, l'Union nationale des pécheurs, TOS (association Truite, ombre, saumon), Loire vivante) ont mis en avant le potentiel de recolonisation de la Vienne et de la Creuse par le saumon, alors disparu, l'alose, la lamproie marine, l'anguille.

La station de comptage du barrage de Châtellerault est située sur la Vienne à 270 km de l’estuaire de la Loire, en service depuis 2004. Ce barrage est devenu suite à l’arasement de Maisons-Rouges, le premier ouvrage depuis la mer pour les poissons migrateurs.

L'image ci-dessous montre le comptage de quatre espèces migratrices depuis 2004 sur la Vienne à Châtellerault.


On observe notamment :

  • les très faibles quantités de saumons (moins de 10 individus en général),
  • le déclin catastrophique des aloses,
  • la faible et inégale remontée des lamproies et des anguilles.

La station de comptage du barrage de Descartes se situe sur la Creuse à 260 km de l’estuaire de la Loire, en service depuis 2007. C’est le premier obstacle à la mer sur la Creuse, depuis la fin de Maisons-Rouges.

L'image ci-dessous montre le comptage de trois espèces migratrices depuis 2007 sur la Creuse à Descartes.


On observe notamment

  • les faibles quantités de saumons (autour de 100),
  • le déclin catastrophique des aloses,
  • les quantités inégales, souvent faibles et tendanciellement déclinantes de lamproies marines.

Ces données montrent donc un effet faible pour le saumon, un échec pour l'alose, un succès relatif pour l'anguille et les lamproies, avec des tendances sur 15 ans qui sont déclinantes pour la majorité des espèces. On constate qu'il existe une forte variabilité inter-annuelle, qui n'est plus explicable par la discontinuité en long depuis l'effacement de Maisons-Rouges.

Plusieurs questions se posent pour les gestionnaires :

  • quels étaient les chiffres anticipés dans les années 1990 pour les grands migrateurs de la Vienne et de la Creuse, et ces chiffres sont-ils atteints ?
  • quel a été le coût total des aménagements engagés sur ces axes, depuis les premiers plans migrateurs du milieu des années 1970?
  • pourquoi a-t-on des résultats très inégaux, et mauvais pour certaines espèces?
  • avant de continuer à dépenser des sommes importantes et d'induire des nuisances sociales sur les effacements d'ouvrages hydrauliques, n'est-il pas opportun d'avoir de bonnes explications et des capacités prédictives solides sur les variations des populations de poissons?
  • les services rendus à la société par les grands migrateurs justifient-ils une politique de restauration tous azimuts pour ces espèces spécialisées? 
On aimerait avoir une discussions transparente de ces points, au lieu de l'actuelle autosatisfaction du gestionnaire public martelant la supposée nécessité d'une course en avant sans réel retour critique sur sa politique de restauration de rivière

A lire sur le même thème

20/08/2018

Combler les lacunes des connaissances dans la restauration de rivière (Zingraff-Hamed 2018)

Dans une thèse doctorale venant d'être soutenue et ayant donné lieu à 5 publications scientifiques revues par les pairs,  Aude Zingraff-Hamed étudie la restauration de rivière, en particulier ses dimensions sociales, le suivi de ses résultats écologiques et ses particularités en milieu urbain. Dans l'introduction de cette thèse, la doctorante revient sur les lacunes de nos connaissances dans la restauration de rivière, telles qu'elles sont aujourd'hui reconnues par la communauté des chercheurs. La recherche menée pour la thèse montre notamment que des objectifs sociaux, économiques et écologiques peuvent entrer en conflit. Cela pose diverses questions. Pourquoi a-t-on choisi de planifier et financer en France, à hauteur de centaines de millions € par an, des interventions systématiques en rivière alors même que la connaissance scientifique sur les effets de ces interventions est encore reconnue comme en construction ? Pourquoi joue-t-on aux apprentis sorciers sur des mesures qui changent substantiellement, parfois sur des vallées entières, les écoulements en place, les paysages, les berges et les usages au lieu de procéder d'abord à des expérimentations pour confirmer certaines hypothèses de travail et vérifier l'absence d'effets secondaires indésirables? Extraits. 




Extrait de l'introduction : lacunes des connaissances en matière de restauration de rivière

"Une première lacune est la caractérisation et la définition des projets qui devraient être davantage axées sur, et adaptées aux, pratiques. Les projets de restauration sont nombreux et variés mais ont été regroupé dans un désir d’unité de la communauté scientifique sous le même terme de restauration de rivière (river restoration) (SER 2004). Cependant, de nombreuses sous-catégories existent, comme par exemple réhabilitation, renaturation, et revitalisation. De nombreuses définitions de ces actions ont été formulées se recoupant et étant utilisées différemment selon le contexte linguistique et culturel des projets (Morandi 2014). La confusion résultante a engendré des biais qui mettent en danger la comparaison des projets et les processus d’apprentissage par les expériences passées. La communauté scientifique et les praticiens ont formulé un besoin accru pour une caractérisation et une définition des différents types de projets basés sur des exemples pratiques et intégrants une approche socio-écologique (Jenkinson et al. 2006; Bernhardt et al. 2007a). Quelles sont les différents types de restauration de rivière ? La recherche doctorale s’intéressera dans un premier temps à la définition et caractérisation des différents types de projets de restauration se basant sur un inventaire des pratiques.

Une seconde lacune concerne les bases de données existantes qui sont incomplètes. L’écologie de la restauration est une science expérimentale qui évolue grâce au partage d’expérience. C’est pourquoi, un grand effort a été fourni afin de recenser les projets de restauration (Bernhardt et al. 2005; Jenkinson et al. 2006; Nakamura et al. 2006; Bernhardt et al. 2007b; Brooks & Lake 2007; Kondolf et al. 2007; Feld et al. 2011; Morandi & Piégay 2011; Aradóttir et al. 2013; Barriau 2013; Pander & Geist 2013; Morandi et al. 2014; Kail et al. 2016; Muhar et al. 2016; Speed et al. 2016). Cependant, Jenkinson et Barnas (2006) ont souligné que les bases de données ne recensent qu’une petite proportion de l’effort global. Malgré de nombreux fonds européens dédiés à la création de bases de données publiques (par exemple REFORM ou RiverWiki) et de grands moyens humains déployés, les bases de données restent incomplètes et ces inventaires sont marqués par une grande différence entre les pays européens. Cette recherche doctorale participera à combler ce manque.

Une troisième lacune est le manque de connaissance sur les restaurations de rivières urbaines. Alors qu’aux États-Unis, les restaurations en milieu urbain attirent les efforts et moyens (Bernhardt et al. 2005; Hassett et al. 2007), ils sont particulièrement faiblement représentés au sein des bases de données européennes. La recherche en laboratoire urbain est particulièrement importante parce que la population mondiale croît rapidement et les aires urbaines à forte densité vont absorber une majeure partir de cette croissance (U.N 2014). Alors qu’en 1952, la plus grande ville était New York (U.S.A) avec à peine huit millions d’habitants, en 2001, dix-sept étaient plus peuplées qu’elle et elles étaient quarante-quatre en 2010. En 2030, 85% de la population d’Europe et d’Amérique du Nord vivra en milieu urbain (U.N 2014). Cette croissance démographique couplée à celle des aires urbaines n’est pas sans répercussion sur les espaces naturels. L’urbanisation a d’ores déjà engendré des dégradations écologiques majeures, et les rivières urbaines sont davantage touchées par l’impact anthropique que leur tronçons ruraux (EEA 2012; Yuan et al. 2017). Leurs dysfonctionnements sont caractéristiques et ont été nommées urban river syndrom (Walsh et al. 2005). De plus, malgré un intérêt croissant des populations citadines pour les rivières urbaines (Bethemont & Pelletier 1990; Brown 1999; Booth et al. 2004; Bonin 2007; Akers 2009; Castonguay & Samson 2010; Costa et al. 2010; Romain 2010a; Romain 2010b; Kehoe 2011; Brun & Simoens 2012; PUB 2012; Mahida 2013; Chou 2016; Smith et al. 2016; Wantzen et al. 2016), celles-ci sont particulièrement difficiles à restaurer (Bernhardt et al. 2005; Bernhardt et al. 2007a). La recherche sur les rivières urbaines reste peu développée (Moran 2007; Francis 2012), mais à cause de ses particularités, les résultats de recherches menées en milieu rural sont difficilement extrapolables au milieu urbain. Ainsi une recherche spécifique devrait constituer un apport intéressant pour la science. Quelle sont les particularités des restaurations en milieux urbain ? Cette étude doctorale va établir la différence de pratiques en fonction du contexte géographique, soit urbain ou rural, comparant des projets réalisés dans un même contexte législatif et culturel.

Une quatrième lacune traitée dans cette étude est qu’alors que les rivières sont reconnues comme un système socio-écologique, peu de considération a été accordée à l’identification des forces motrices sociétales des projets de restauration. La dégradation écologique des écosystèmes et la perte relative en services écosystémiques ont été définies comme les principales forces motrices des projets de restauration (Galatowitsch 2012). Cependant, l’effet de forces indirectes telles que morale, idéologique, politique, démographique et économique n’a été que supposé (Clewell & Aronson 2006; Baker et al. 2014) et peu d’attention a été accordé à leur identification et à l’estimation de leur influence sur les pratiques de la restauration (Eden & Tunstall 2006; Grêt-Regamey et al. 2016; Parr et al. 2016). Quelles sont les forces motrices sociétales de la restauration ? Cette étude s’intéresse à l’impact les forces motrices législative, politique, culturelle et idéologique sur les pratiques de la restauration.

Une cinquième lacune concerne l’évaluation du succès des projets. Elle est une condition nécessaire pour comprendre les expériences passées et apprendre d’elles. La revue littéraire expose les six limitations majeures des procédures d’évaluation actuelles : 1) les données sont manquantes ou partielles car peu de projets réalisent un suivi (Bernhardt et al. 2005; Pander & Geist 2013; Morandi et al. 2014); 2) L’utilisation d’une référence historique est utopique (SER 2004; Moss 2008; Dufour & Piégay 2009; Josefsson & Baaner 2011; Belletti et al. 2015; Bouleau & Pont 2015), et les sites de références sur le même cours d’eau sont souvent inexistants (Morandi et al. 2014; Bouleau & Pont 2015); 3) Les indicateurs biologiques ont un pouvoir limité pour expliquer les causes de succès et d’échec (Niemi & McDonald 2004; Friberg et al. 2011; Smucker & Detenbeck 2014); 4) Les indicateurs utilisés ne sont pas représentatifs des objectifs de la restauration (Pickett et al. 1997; Meyer et al. 2005; Walsh et al. 2005; Morandi et al. 2014) et les indicateurs sociaux sont manquants (Rogers & Biggs 1999; Chiari et al. 2008; Jaehnig et al. 2011; Pander & Geist 2013; Morandi et al. 2014); 5) Lorsqu’une évaluation est réalisée, elle est faite sur le court terme (Pander & Geist 2013; Morandi et al. 2014), mais les espèces nécessitent de plus longues périodes pour se rétablir (Haase et al. 2013; Morandi et al. 2014; Kail et al. 2015); et 6) Les zones rivulaires ne font pas partie de la zone de suivi (Januschke et al. 2011; Morandi et al. 2014). Les praticiens nécessitent une méthode qui dépasse ces limites et évalue les conflits potentiels. La modélisation des habitats utilisant la méthode CASiMiR et présentée dans cette étude. Elle est un outil prometteur pour combler les lacunes existantes.

Enfin, l’évaluation écologique des projets de restauration n’est pas réaliste si elle ne considère pas les aspects sociaux (Wortley et al. 2013) et plus particulièrement les interactions décrites par le concept de système socio-écologique (Berkes & Folke 1998; Berkes et al. 2003; Ostrom 2009; Hinkel et al. 2014). L’interaction des hommes avec l’écosystème fluvial a conduit à la dégradation des habitats. Ainsi, la pression des usages devrait être intégrée à l’évaluation des projets afin d’identifier les conflits et de formuler des solutions. Cette étude doctorale va aborder le cas de deux usages, soit les usages récréatifs et productifs, c’est-à-dire la production d’énergie hydro-électrique. Elle traite des deux questions suivantes : Est-ce que les usages récréatifs limitent le succès écologique des projets de restauration ? Est-ce que la diminution de l’exploitation de la ressource pour produire de l’énergie accroît les résultats de la restauration morphologique des rivières ?"

Référence : Zingraff-Hamed A. (2018), Urban River Restoration : a socio-ecological approach, Technische Universität München - Université de Tours

06/08/2018

Restauration morphologique de rivières anglaises : résultats décevants sur les invertébrés (England et Wilkes 2018)

Deux chercheurs anglais montrent qu'une restauration morphologique de rivière, incluant des arasements de déversoirs, des changements de substrats et des créations de microhabitats, n'a pas produit les résultats attendus sur la diversité structurelle et fonctionnelle des invertébrés. Le cas n'est pas isolé car la communauté scientifique débat depuis deux décennies déjà des réussites et échecs de la restauration des milieux aquatiques. Dommage que les pouvoirs publics français en aient fait une politique massive, précipitée et parfois arrogante, au lieu de travailler à des expérimentations locales pour distinguer les bonnes des mauvaises pratiques. Et préciser leur coût pour les citoyens en proportion de l'évolution des services rendus par les écosystèmes. 

Comment se comportent les rivières après restauration morphologique, sur le compartiment des macro-invertébrés (insectes, nématodes, crustacés…)? La question se pose à la communauté scientifique, à mesure qu'ont été développées des expérimentations visant à modifier les propriétés physiques (écoulements, sédiments, habitats) et non seulement chimiques (pollutions) des rivières.

Judy England et Martin Anthony Wilkes ont répondu à cette question par l'analyse de deux petits cours d'eau du bassin de la Lee, au nord de Londres. "Les chantiers sélectionnés pour l’étude sont situés sur des rivières de basse altitude et de basse énergie (altitude 75 m; pente 0,003), en substrat calcaire. Ces projets de restauration des cours d’eau ont été choisis parce qu’ils incorporaient des mesures de restauration morphologique couramment appliquées dans les systèmes fluviaux tempérés, l’élimination des retenues, le rétrécissement des chenaux trop élargis et l’introduction de gravier." Il est intéressant de noter que sur les deux rivières (Rib et Mimram), les opérations comprenaient des arasements de déversoirs et réduction de retenues (mesure très répandue en France pour ses vertus attendues sur les milieux).

Les chercheurs ont comparé sur une rivière un site de contrôle (naturel), un site de retenue abaissée et un site de morphologie sédimentaire optimisée ; sur l'autre un site de contrôle avec deux voies différentes pour modifier le substrat de fond. Dans chaque tronçon analysé, 10 échantillonnages de macro-invertébrés ont été réalisés sur la Rib, avant la restauration, puis 2 et 3 ans après ; 5 sur la Mimram, avant restauration, puis 1 et 2 ans après.

Ont été étudiés : la diversité spécifique (indice de Simpson D), la densité (individus par m2), la richesse taxonomique, et 5 indices de fonctionnalités fondés sur des traits (FRic, FDiv, FDis, FEve, FEnt).

Bien que le habitats se soient améliorés dans le sens prévu par les porteurs de projet, la réponse du vivant à ce changement est moins claire : les résultats ne sont pas à hauteur des hypothèses faites d'une pleine restauration de la diversité fonctionnelle et structurelle.

Le schéma ci-dessous montre les évolutions de la complexité structurelle (diversité de Simpson, abscisses) et de l'intégrité fonctionnelle (ordonnées), avant la restauration (à gauche, a et c) et après la restauration (à droite, b et d), rivière Rib en haut et Mimram en bas. Les cercles indiquent le contrôle, les carrés et triangles les différentes restaurations.



England et Wilkes 2018, art cit, droit de courte citation

Voici la conclusion des chercheurs :

"Cette étude a démontré que, après les mesures de restauration morphologique, le «rétablissement», tel que défini par les indices d'assemblage, était largement incomplet et incohérent en terme taxonomique / fonctionnel. Ainsi, notre hypothèse n'est pas étayée par le fait que FDiv, FDis, FEve et FEnt [traits de fonctionnalité] augmenteraient, reflétant l'établissement d'une plus grande qualité et complexité de l'habitat. Ces résultats sont cohérents avec d'autres études qui indiquent une réponse variable des invertébrés benthiques aux mesures de restauration morphologique (par exemple, Friberg et al 2014; Jähnig et Lorenz 2008; Leps et al 2016; Palmer et al 2010). et que les indices de diversité traditionnels peuvent ne pas constituer une mesure appropriée de la qualité hydromorphologique (Feld et al 2014). Verdonschot et al (2016) ont constaté que le manque général d'effet de la restauration sur la composition et la diversité des microhabitats pourrait être un facteur clé expliquant le manque de réponse dans les comparaisons globales des paramètres sélectionnés de macro-vertébrés examinés. Ils ont également conclu que plusieurs des relations de traits fonctionnels qu’ils ont trouvées n’ont pas été détectées à l’aide des paramètres taxonomiques. Cela souligne l'importance de considérer les indices fonctionnels en plus des indices structurels, et est soutenu par nos résultats.

Cette étude a révélé une tendance générale à la ressemblance  au fil du temps entre les occurrences de taxas entre zones traitées et contrôles, mais à la fin de la période d'étude, les communautés des premières traitement n'étaient qu'à 60% similaires aux groupes témoins. Cela indique également que le «rétablissement», défini en termes d’identité  de structure d’espèce et d'assemblage, était en grande partie incomplet, ce qui pourrait refléter le délai relativement court de la surveillance et le retard dans le rétablissement écologique (Jones and Schmitz 2009; Winking et al 2014). Bien que l'âge de la restauration soit un facteur crucial à prendre en compte lors du suivi des résultats de la restauration des communautés riveraines (Bash et Ryan 2002), ce n'est peut-être pas la raison ultime du manque de succès (Leps et al 2016)  et les effets de la restauration peuvent disparaître (Kail et al 2015). La perte d'effets de la restauration est souvent associée à une restauration non durable qui ne fonctionne pas selon des processus naturels (Beechie et al 2010); à l'influence combinée de la qualité hydromorphologique locale et régionale (Leps et al 2016) ou à la non prise en compte des processus de bassin versant (Gurnell et al 2016b)."

Discussion
Le travail d'England et Wilkes vient après de nombreux autres qui soulignent les résultats ambivalents et difficiles à prédire des restaurations écologiques de rivière (cf références ci-dessous en exemple). Il avait été montré en France que plus le suivi scientifique des opérations est rigoureux, moins les gains écologiques sont évidents (Morandi et al 2014). Manière de dire que l'autosatisfaction souvent affichée par le gestionnaire public est un trompe-l'oeil pour le citoyen, qui est fondé à demander des analyses plus complètes. La plupart des travaux d'hydro-écologie quantitative menés en France et en Europe montrent que les premiers prédicteurs de la dégradation biologique (invertébrés ou autres) sont les usages des sols du bassin versant (au premier chef l'agriculture), et qu'une action locale aura de bonnes chances de rester sans effet majeur faute d'une prise en compte des autres échelles (tronçons, bassins). L'apport quantitatif en eau, l'état des berges et les flux entrants (polluants, sédiments fins) vont contraindre l'effet éventuellement bénéfique de diversifications locales d'habitats. Il ne faut donc pas attendre de miracles de la seule restauration physique locale et, surtout, il faut réfléchir à la priorisation des investissements écologiques.

La difficulté à garantir l'efficacité des chantiers de restauration hydromorphologique n'est pas en soi un scandale : il est normal d'expérimenter dans un domaine où l'on a quelques hypothèses théoriques mais encore peu de retours empiriques, surtout face à la diversité des hydrosystèmes et à la complexité des impacts pesant sur eux, à diverses échelles spatiales et temporelles. Le but est de comprendre ce qui donne ou non des résultats, ainsi que de mesurer l'évolution des services rendus par les écosystèmes. Le problème vient quand, ignorant ce caractère expérimental et la prudence qu'il impose, une politique publique entend systématiser des travaux financés par l'impôt et imposés aux riverains. C'est hélas le cas en France de certains compartiments de l'ingénierie hydromorphologique, comme la destruction contestée des petits ouvrages de rivière au nom de la connectivité en long.

Référence : England J., MA Wilkes (2018), Does river restoration work? Taxonomic and functional trajectories at two restoration schemes, Science of The Total Environment,
618, 961-970.

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