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16/01/2023

Bilan de la continuité en long des rivières sur le bassin Adour-Garonne

L’agence de l’eau Adour-Garonne (Eau Grand Sud Ouest) a commandité un audit sur le classement des rivières en continuité écologique depuis 10 ans. Un premier rapport de synthèse donne quelques faits et chiffres globaux du bassin ici reportés. Si le bassin Adour-Garonne est loin d’être le pire en matière de mise en œuvre de la continuité écologique, notamment pour ce qui est du dogme de l’effacement d’ouvrage, on y constate les mêmes problèmes qu’ailleurs : retard considérable sur la mise en conformité des ouvrages, dimension irréaliste du classement de 2012-2013, situation illégale de la grande majorité des sites à l’arrivée au terme du classement, pas de résultats très probants sur les migrateurs malgré les dizaines de millions d’euros déjà dépensés et les dommages causés sur les usages des ouvrages hydrauliques… Le gouvernement, le parlement, les agences de l’eau et les préfectures n’échapperont pas au besoin de redéfinir sérieusement cette politique de continuité écologique, qui est controversée pour de bonnes raisons. 


La loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 prévoyait des rivières où serait demandée au niveau des  ouvrages hydrauliques (seuils, barrages, écluses, gués, etc.) la capacité de circulation des poissons migrateurs et de transit des sédiments. Cette loi posait ainsi le principe dit de "continuité écologique" mais sans préciser le détail des rivières où il y avait de tels enjeux. 

Voici 10 ans, par une série d’arrêtés, les préfets de bassin hydrographique ont classé des rivières françaises au titre de cette continuité écologique en long.  Dans le cas des classements dits en liste 1, cela signifie qu’aucun obstacle au franchissement de poisson ou au transit de sédiment ne peut être construit (mais un ouvrage assurant ces deux fonctions peut l'être). Dans les classements dits en liste 2, cela signifie que tous les obstacles présents (seuils, chaussées, digues, vannes, barrages) devaient obligatoirement être aménagés dans un délai de 5 ans, prorogé une fois de 5 ans par la suite.

Ce classement a dans l’ensemble été aberranthttp://www.hydrauxois.org/2022/11/voici-dix-ans-le-classement-aberrant-de.html, comme nous l’avons récemment rappelé, en raison du nombre délirant de rivières et d’ouvrages concernés sur un délai légal aussi court, ainsi que du manque total de rigueur et de méthode dans la priorisation des enjeux écologiques par l’administration en charge du sujet. 

L’agence de l’eau Adour-Garonne a profité des dix ans du classement des rivières pour commanditer un rapport d’audit. Nous publions et commentons ici quelques données-clés de ce rapport. 

Linéaire de rivières classées
  • les tronçons de cours d’eau classés en liste 2 représentent 7 598 km soit 6,4% du réseau hydrographique
  • le linéaire de cours d’eau classé en liste 1 est de 34 693 km, soit 29,3% du réseau hydrographique, dont 6 815 km en double classement liste 1 et liste 2
Espèces concernées
  • le saumon et la truite de mer constituent des espèces cibles du classement avec respectivement 34 et 37% des linéaires de rivières
  • l’anguille constitue une espèce cible sur pratiquement 71% des cours d’eau classés
  • la lamproie marine est un enjeu sur pratiquement la moitié des rivières classées tandis qu’1/4 des cours d’eau sont concernés par l’enjeu grande alose.
  • sur l’ensemble des rivières, 1/5ème est concerné par un seul enjeu propre à la truite commune
Ouvrages concernés
  • environ 3 500 ouvrages concernés par le classement en liste 2, soit environ 17,5% du nombre total d’ouvrages recensés sur le bassin.
  • 16% des ouvrages sont dédiés à la production hydroélectrique.
  • 68% des ouvrages classés se situent dans des tronçons à enjeu biologique grand migrateur et 32% à enjeu d’espèces holobiotiques.
Aides agence de l’eau
  • 407 ouvrages ont reçu une aide de l’Agence de l’eau entre 2013 et 2020 (moins de 12% des ouvrages classés liste 2),
  • 63% des aides ont concerné des équipements d’ouvrages et 37% des effacements (effacements majoritaires sur les cours d’eau à enjeux holobiotiques),
  • 41% des aides ont été versées à des aménagements hydroélectriques,
  • montant total d’aide versé : 50.8 M€, 87% pour les équipements (259 ouvrages), 13% pour les effacements (148 ouvrages)
Concernant l’efficacité de cette politique, les auteurs redoublent de prudence pour dire que le bilan biologique doit être fait sur une longue période, qu’il doit intégrer les autres impacts environnementaux et la chronologie des interventions, etc. 

Les rares données globales (à échelle du bassin) produites dans le rapport ne suggèrent pas pour le moment un bilan très enthousiasmant. 


Ainsi l’évolution du saumon atlantique (ci-dessus) montre un schéma en dent de scie, sans que l’ouverture de nouveaux axes ou de nouveaux habitats par la continuité se traduise par une évolution démographique remarquable sur dix ans (malheureusement, on n’a pas de données des trente années précédentes, mais voir la publication de Legrand et al 2020 pour une analyse des migrateurs sur la France entière et en longue période).


Quant à la lamproie marine (ci-dessus), elle connaît un effondrement démographique sur la période récente, ce qui rappelle que la continuité est loin d’être le seule problème des espèces migratrices. 

En conclusion
  • Il est bon que les agences de l’eau fassent de tels bilans sur la politique très contestée de continuité écologique.
  • En Adour-Garonne comme ailleurs, la grande majorité des ouvrages ne sont pas en conformité à la continuité écologique alors que le délai légal est dépassé. Il est inacceptable de laisser pourrir la dimension juridique du sujet : soit la loi supprime la notion de délai (dépassé), soit le préfet de bassin publie un nouveau classement (plus réaliste, donc avec beaucoup moins de tronçons) des rivières en liste 2. 
  • En terme de révision des classements, on doit poser la question des cours d'eau classés uniquement pour la truite commune, espèce largement répandue et non menacée, car ce choix correspond éventuellement à des attentes halieutiques mais pas à une priorité écologique en niveau de menace d'extinction.
  • Le bilan doit intégrer des chiffres clairs sur l’évolution de toutes les espèces de poissons cibles, bassin par bassin et au global, car la hausse démographique de ces poissons est bien la promesse de cette politique et la justification des nuisances qu’elle crée par ailleurs.
  • L’agence de l’eau Adour-Garonne est loin d’être l’institution la plus problématique pour la mise en œuvre de la continuité écologique. Comme sa consœur Rhône-Méditerranée, et sans doute en raison d’une composante hydraulique et hydro-électrique dans la culture gestionnaire, cette agence a classé un nombre raisonnable de rivières en 2012-2013 au titre de la continuité écologique. Et elle n’a pas engagé des incitations politiques fortes en direction de la seule destruction. On ne peut en dire autant d’autres agences de l’eau, comme Loire-Bretagne ou Seine-Normandie, qui ont cumulé les deux défauts : irréalisme du classement continuité écologique, sectarisme dans sa mise en œuvre (voir les chiffres comparés disponibles dans le rapport CGEDD 2016)..
  • En 2023 comme auparavant, cette politique de continuité écologique est problématique : chère, mal acceptée par les riverains pour des raisons de patrimoine, de paysage ou d’usage, contradictoire avec le rôle des ouvrages pour l’énergie et le stockage d’eau, sans résultat très intéressant et sans démonstration que les résultats (in fine des variations de densités de poissons) représentent un intérêt général prioritaire.

20/12/2022

L'échec français de la continuité des rivières par destruction de seuils et barrages, une leçon pour l'Europe

Dans les années 2000 et surtout 2010, la France est le premier pays européen à avoir testé une politique systématique de destruction des ouvrages des cours d'eau par pressions financières et règlementaires en ce sens. Une controverse est née immédiatement autour d'ouvrages présentant un fort attachement riverain et certains usages comme les moulins, les étangs, les plans d'eau, les lacs de barrage ou les canaux. Le résultat du choix français de prime à la destruction des ouvrages hydrauliques est un échec social, écologique, juridique et politique, avec de fortes contestations et la délégitimation d'une politique publique de l'eau. Alors que l'Europe songe à engager une "restauration de la nature" fondée sur la même idéologie en ce qui concerne les rivières, nous constatons que ses décideurs ne sont pas informés des controverses et que les experts naturalistes conseillant la Commission ne manifestent guère d'intérêt pour les enjeux riverains ni pour l'examen concret des résultats dans les rivières aux ouvrages détruits. La négation des retours d'expérience ne produira que des confusions évitables. Avec la coordination Eaux et rivières humaines, nous proposons un dossier d'information en langue française et anglaise pour que les décideurs européens développent une pensée critique sur le sujet.








16/12/2022

La LPO ne laissera pas assécher l'étang du Pont de Kerlouan au nom de la continuité écologique

Le dogme de la continuité écologique des rivières conduit partout en France à assécher des étangs, des plans d'eau, des canaux et leurs marges humides, au nom du retour à une hypothétique "naturalité". Mais dans les faits, cela concerne des milieux en place depuis des décennies à des siècles, ayant été colonisés par le vivant et présentant parfois de l'intérêt pour la faune et la flore. En Bretagne, la tentative de destruction de l'étang du Pont de Kerlouan vient de rencontrer l'opposition de l'antenne locale de la LPO, qui souligne la présence de 112 espèces d'oiseaux dont 57 patrimoniales et 36 protégées. Le bureau d'études en charge de certifier l'intérêt du projet pour la biodiversité n'avait curieusement rien vu... Mais pour un site étudié par des amoureux des oiseaux, combien d'autres plus modestes ont été négligés et condamnés au terme d'une instruction bâclée et à charge?  



Les défenseurs du site soulignent ses multiples intérêts (source). 

Depuis quelques années, un projet d'imposition de la continuité écologique est porté sur le ruisseau du Quillimadec, à hauteur de l'étang du Pont sur la commune de Kerlouan, malgré l'avis négatif de nombreux riverains attachés au site (voir cet article de 2021 et la pétition des citoyens). 

Aujourd'hui, les protecteurs de l'étang et de ses marges humides viennent de trouver un allié de poids : la ligue de protection des oiseaux.

Nous publions ci-après un extrait de la lettre de la LPO à la Communauté Lesneven Côtes des Légendes, porteur du projet.

"Datant probablement du 19ème siècle, l'étang du Pont a été créé sur le cours d'eau du Quillimadec. Les ouvrages hydrauliques situés en aval de l'étang, liés à l'histoire du site et l'activité meunière, entravent aujourd'hui la libre circulation des poissons et des sédiments. Identifié comme cours d'eau à intérêt pour les grands migrateurs, l'enjeu actuel imposé par la DCE1 est de rétablir la continuité écologique du Quillimadec. Le bureau d'études SINBIO, missionné sur ce dossier a rendu son rapport et présenté 5 scénarios et ses variantes pour répondre à l'enjeu précité. La majorité des acteurs consultés se sont positionnés en faveur du scénario 1 présenté par le bureau d'études SINBIO, soit l'effacement de l'étang et le reméandrage du cours d'eau ; choix validé par les élus communautaires en octobre 2021 d'après la presse.

Il s'avère en effet que dans de nombreux cas d'étangs sur cours d'eau, ce choix technique est pertinent pour de multiples raisons que la LPO Bretagne partage. Cependant dans le cas de l'étang du Pont, il nous apparaît que les conséquences de ce scénario sur la biodiversité n'ont pas été correctement évaluées. Nous faisons en effet le constat que le dossier ne prend pas suffisamment en compte les implications du projet sur les milieux naturels impactés et sur l'ensemble des espèces présentes. Or, le site concentre de forts enjeux pour l'avifaune nicheuse et migratrice, qui semblent avoir été totalement oubliés.

Les études naturalistes réalisées par Bretagne Vivante ont ainsi démontré que le site de l'Étang du Pont est un « site original et attractif en l'état pour les oiseaux». Sur la période 2019-2020, 112 espèces d'oiseaux ont été recensées sur le site dont 57 patrimoniales ou indicatrices et 36 autres intégralement protégées.

Il est donc absolument nécessaire que le projet intègre à sa réflexion les enjeux liés à l'avifaune nicheuse, laquelle comporte notamment un cortège très spécifique d'oiseaux paludicoles, présentant des enjeux de conservation (espèces inféodées aux étendues de roselières, cariçaies, mégaphorbiaies), mais aussi les enjeux liés à l'avifaune migratrice et hivernante, très riche et originale sur le site, et qui exploite les surfaces de vasière et d'eaux peu profondes.

La restauration du lit naturel du cours d'eau, telle que prévue, bouleverserait les habitats naturels en place, et de fait, les cortèges faunistiques associés. Ce phénomène n'est pas décrit dans le dossier.

Par ailleurs, il est constaté que le projet d'effacement de l'étang s'accompagne de la création de mares, qui vise à recréer des niches écologiques intéressantes. Cependant, cette mesure condui­rait à un fractionnement des habitats naturels dont dépendent des espèces à enjeux de conserva­tion aujourd'hui présentes. Certaines de ces espèces à enjeux de conservation ne se reporteront pas sur les espaces humides plus petits et moins homogènes que sont les mares. Par ailleurs la pérennité de ces mares n'est pas garantie, elles seront très vite colonisées par le saule et natu­rellement comblées en quelques années. La création de mares ne compenserait donc pas les ha­bitats humides en place aujourd'hui, et conduirait à un appauvrissement et à une banalisation du milieu naturel.

On ne peut donc pas résumer le scénario 1 à « un gain de biodiversité », comme cela est présenté actuellement, car il convient de bien considérer la perte des habitats occasionnée pour de nom­breuses espèces protégées. La LPO Bretagne craint donc au contraire que ce projet, en l'état, soit facteur d'une baisse notable de biodiversité sur le site.

Il est en outre à noter que lors d'échanges que nous avons partagés avec des riverains, il semble­ rait que toutes les pistes n'aient pas été explorées à ce jour: la restauration du lit mineur, l'exis­tence d'une échelle à poissons à réhabiliter, la piste d'entretien de l'étang par pompage dans un puits à sédiments avant l'exutoire, etc..

C'est pourquoi, au regard des éléments énoncés en substance, la LPO Bretagne demande à relan­cer le débat avec l'ensemble des acteurs afin de trouver une issue technique qui n'oppose surtout pas la faune piscicole et l'équilibre de la rivière à l'avifaune. Elle alerte par ailleurs le porteur de projet et les autorités sur la nécessité de déposer une demande de dérogation espèces protégées dans l'hypothèse où le scénario 1 serait mis en œuvre et de présenter le cas échéant des mesures d'évitement, de réduction et/ou de compensation."

Commentaire
Le déni de l'intérêt des milieux aquatiques et humides créés par les ouvrages hydrauliques est un véritable scandale public, qui a déjà abouti à la disparition de milliers de sites dans la plus grande indifférence des services officiels de la biodiversité. 

Partout en France, on a détruit et asséché des retenues, de plans d'eau, des canaux, parfois vieux de plusieurs siècles, sans aucune étude sérieuse de leur biodiversité aquatique et terrestre. Tout cela au nom de deux dogmes qui dominent trop souvent les instructions : un milieu artificiel ne peut pas être intéressant par principe (position de nombreux agents instructeurs de l'OFB et de techniciens de syndicats de rivière); l'enjeu essentiel est censé être le retour à des rivières lotiques pour des poissons de milieux lotiques (position de diverses fédérations de pêche qui prétendent monopoliser la définition des milieux d'intérêt, en particulier en zone salmonicole). 

Nous avons maintes fois alerté les services de l'Etat, diffusé des dossiers montrant que des chercheurs soulignent la nécessité d'étudier la faune et la flore des habitats anthropiques avant d'intervenir. En vain dans la plupart des cas. Notre association est toujours en contentieux concernant la destruction de l'étang de Bussières, en Bourgogne, malgré l'intérêt de ses habitats et la présence d'espèces patrimoniales.

Désormais et fort heureusement, le conseil d'Etat a rétabli la nécessité de l'étude d'impact et de l'enquête publique avec d'imposer des solutions perturbant un site. Nous appelons évidemment tous les citoyens à recenser l'ensemble des services écosystémiques associés aux plans d'eu et canaux, ainsi qu'à inventorier leur faune et leur flore pour répondre au déni des services instructeurs et de certains lobbies.

13/12/2022

L’Europe va-t-elle voter en catimini la destruction en série des barrages, moulins, étangs, retenues, canaux et plans d’eau ?

La règlementation Restore Nature, inspirée à la commission européenne par les lobbies et experts militant pour le retour à la rivière sauvage, prévoit comme seule option sur les cours d’eau concernés la destruction des ouvrages hydrauliques. Ce choix radical a pourtant déjà mené à des conflits, contentieux et condamnations en France, pays qui a tenté d’en faire l’essentiel de sa politique publique des ouvrages en 2010, avant d’abandonner. Nous appelons les députés européens à mener leur travail politique d’analyse critique des positions bien trop radicales de la commission sur ce sujet, d’autant qu’elles viennent d’être aggravées et non améliorées par le rapporteur environnement du Parlement. L’eau et l’énergie sont des dimensions critiques pour les populations européennes , elles vont le devenir de plus en plus au cours de ce siècle. L'avenir des ouvrages hydrauliques se réfléchit à la lumière de ces enjeux. Quant à la négation de six millénaires de relations humaines aux rivières au nom d’une vision théorique de la nature déshumanisée, c’est un choix idéologique n’ayant certainement pas vocation à inspirer une politique publique à échelle du continent. Une réécriture plus démocratique, plus intelligente et plus inclusive du texte est indispensable.


La commission environnement du parlement européen vient de rendre un premier rapport préliminaire d’évolution de la règlementation «Restore Nature» (lien pdf).

Nous sommes au regret de constater que le rapporteur principal Cesar Luena (S&D, Espagne) n’a pour le moment tenu aucun compte de nos observations faites sur les défauts du texte de la commission concernant la restauration de rivière, et qu’il les a même aggravés.

Rappelons que cette règlementation européenne, dans son article 7, propose la seule «destruction d’obstacle» comme outil de restauration de rivière. Concrètement, détruire les barrages, seuils, chaussées, digues, assécher leurs milieux aquatiques attenants, faire disparaître leur patrimoine paysager et culturel, éliminer leurs usages sociaux. Ce choix est navrant par sa radicalité, car il correspond aux seules demandes des lobbies intégristes du retour à la rivière sauvage – lobbies soutenus par une fraction de la recherche en écologie de la conservation, qui est sur cette même ligne idéologique (mais qui ne résume évidemment et heureusement pas tout ce que les sciences peuvent dire des ouvrages hydrauliques). Il est possible de restaurer des fonctionnalités au droit d’un ouvrage en rivière par des mesures de gestion ou d’équipement, options qui doivent donc figurer dans le texte de la réglementation. La destruction doit être l'exception, pas la norme.

Par ailleurs, si le texte actuel rappelle que la mesure est censée concerner des sites «obsolètes» sans usage d’énergie ou de stockage d’eau, il oublie de nombreuses dimensions qui ont été soigneusement niées par les lobbies (et parfois les experts) : existence d’habitats anthropiques d’intérêt sur les  sites anciens , patrimoines locaux, régulation de crues et sécheresses, etc. L’ajout fait par Cesar Luena et deux co-rapporteurs tend même à aggraver le texte initialement proposé par la Commission, puisqu’il inclut désormais sans réserve d’usage des «barrières dont la suppression a un fort impact écologique». C’est notamment ici la demande du lobby naturaliste WWF, de Dam Removal et de quelques autres acteurs ne faisant pas mystère de leur souhait de détruire des barrages même s’ils produisent de l’hydro-électricité ou assurent des stocks d’eau. Un choix qui indigne le citoyens partout où il est proposé.

Nous allons bien évidemment appeler les parlementaires européens à revenir à la raison. Un dossier consacré à l’échec français en matière de continuité écologique commence à leur être diffusé (il sera bientôt disponible sur ce site). 

Ce texte européen  se veut un banc d’essai sur quelques dizaines de milliers de kilomètres de rivières à restaurer, avec une amplification après 2030. Il doit partir sur des bonnes bases :
  • L’Europe affrontera des besoins critiques en eau et en énergie, qui doivent avoir primauté normative non ambigüe sur les options de «ré-ensauvagement» des milieux aquatiques.
  • Les tentatives d’imposer aux populations locales des solutions uniques décidées par des technocraties lointaines échouent partout, elles se traduisent par des injustices territoriales et par une régression de la perception de l’écologie.
  • Les rivières européennes sont des réalités anthropisées depuis 6 millénaires, tandis que le réchauffement climatique est en train de changer les conditions de tous les systèmes aquatiques. Il est donc simpliste et même aberrant de faire encore croire aux citoyens qu’une «nature» se «restaure» dans un état antérieur sous prétexte que tel ouvrage est ou non présent.
  • L’obsession du retour à une nature pré-humaine peut aussi se traduire par la destruction d’habitats anthropiques d’intérêt, cette issue doit donc être clairement traitée par le droit en exigeant des inventaires préalables complets de biodiversité sur site, en interdisant des perturbations ne correspondant à aucun intérêt public réel, ou ayant des alternatives meilleures. 
  • Il est tout à fait possible de préférer des aménagements de tronçons de rivière en vue d’avoir une  haute «naturalité» (entendue comme faible impact humain), mais un tel choix doit relever des préférences locales au cas par cas, avec justification forte et adhésion réelle. Un tel choix constitue par ailleurs lui aussi et en dernier ressort un aménagement anthropique (la création d’un certain type de paysage fluvial désiré par des riverains). Opposer l’humain et la nature n’a pas ici de sens, ce sont toujours des relations nature-culture qui se décident et se déploient. 
  • La technocratie européenne doit écouter l'ensemble des parties prenantes concernées dans la construction de ses décisions, et non une sélection d'acteurs confortant des choix administratifs sectoriels. Elle doit aussi respecter le principe de subsidiarité et ne pas imposer aux Etats et aux communautés des choix prédéfinis là où il existe des alternatives.

08/12/2022

En cadeau pour l’hiver, France Nature Environnement obtient l’arrêt et la démolition d’une centrale hydro-électrique neuve

Le lobby naturaliste FNE a réussi son timing : à l’entrée de l’hiver, alors que la France souffre de pénurie et inflation énergétiques, le tribunal administratif de Grenoble vient de prononcer à sa requête l’illégalité d’une centrale hydro-électrique neuve et d’ordonner la démolition des ouvrages. Le motif en est que la baisse du débit dans le tronçon court-circuité serait assimilable à une rupture de continuité écologique pour une rivière classée liste 1 en réservoir biologique. Mais ce jugement de première instance fera probablement l’objet d’un appel. Les règlementations de biodiversité sont devenues l'un des premiers freins aux projets d’énergie renouvelable : les élus doivent donc exposer aux citoyens la manière dont ils vont assurer leur promesse d’une accélération de la transition énergétique, alors que les deux-tiers de l’énergie finale consommée en France sont encore d’origine fossile. Car notre association comme bien d’autres n’hésiteront pas à mener leurs propres contentieux contre l’Etat s’il se maintient en carence fautive sur la décarbonation, s’il méconnaît l’obligation légale de développer la petite-hydro-électricité et s’il met en danger la population par des choix affectant la garantie d’accès à l’énergie. 


Source de  l’image (photo) : Le Messager 

La régie de gaz et d’électricité de Sallanches a sollicité en 2018, une autorisation environnementale afin d’exploiter une centrale hydroélectrique sur la rivière la Sallanche. Ce projet consiste à créer en amont du Pont de la Flée, une prise d’eau reliée à la centrale située en contrebas par une conduite forcée enterrée. A l’issue de l’enquête publique, le préfet de la Haute-Savoie a, par arrêté du 26 décembre 2019, autorisé le projet et déclaré d’utilité publique l’établissement d’une servitude. France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes (FNE) en a demandé l’annulation. Le chantier vient tout juste d’être terminé et l’inauguration de la centrale était prévue pour le mois de janvier prochain.

La centrale hydroélectrique consiste en l’installation d’un seuil sur le cours d’eau de la Sallanche où 72 % du tronçon court-circuité (4 200 mètres) de la rivière est classé, par arrêté du préfet de la région Rhône-Alpes du 19 juillet 2013, en liste 1 ainsi qu’en réservoir biologique , en application du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin Rhône-Méditerranée 2022-2027.

L’étude d’impact initiale sollicitait l’attribution d’un débit réservé de 50 l/s, correspondant au 12.5% du module. Le débit réservé finalement autorisé a été porté à 80 l/s, soit 20% du module du cours d’eau. Dans son avis du 12 décembre 2018, sollicité pour prendre en compte le nouveau débit réservé de 80 l/s, l’Agence française pour la biodiversité (aujourd’hui Office français pour la biodiversité) conclut que cette modification était toujours à une réduction de 53% du débit de la réserve biologique. Cet avis précise en outre que les données hydrologiques, avancées par la pétitionnaire dans son étude d’impact, se basent sur l’influence de l’aménagement au niveau de la restitution de l’usine alors que l’influence d’une dérivation sur un réservoir biologique doit logiquement être évalué dès la prise d’eau et non pas seulement à l’extrémité avale du tronçon court-circuité.

Le tribunal conclut : «Ainsi, il résulte de l’instruction que le projet modifie substantiellement l’hydrologie du cours d’eau et l’arrêté attaqué méconnaît dès lors les dispositions précitées du 4°du I de l’article R. 214-109 du code de l’environnement.»

L’article R. 214-109 du code de l’environnement, dans sa version remise en vigueur à la suite de l’annulation de l’article 1er du décret n°2019-827 par le Conseil d’Etat, précise que : «Constitue un obstacle à la continuité écologique, au sens du 1° du I de l'article L. 214-17 (…), l'ouvrage entrant dans l'un des cas suivants : (…) 4° Il affecte substantiellement l'hydrologie des réservoirs biologiques».

Ce que l’on peut en dire en débat scientifique
Une centrale hydro-électrique en dérivation modifie forcément le débit donc l’hydrologie du tronçon court-circuité. Par conception, une partie du débit de la rivière passe vers la centrale et non vers le lit originel du cours d’eau. Cette baisse de débit affecte la vie aquatique, de manière différente selon les saisons et le débit total du cours d'eau, mais dans quelle mesure ? Pour l’estimer, il faudrait avoir des analyses systématiques du vivant dans les tronçons court-circuités, selon les typologies de centrales et de gestion des débits. Les études restent lacunaires et ont concerné pour l'essentiel de plus grands ouvrages sur de plus grandes rivières (des producteurs ont commencé leurs propres études et demandent régulièrement à l'OFB de lancer un programme de connaissance à ce sujet). La biomasse aquatique y est très probablement moindre (moins de surface et volume en eau), mais rien ne dit a priori que la biodiversité proprement dite est substantiellement affectée (les espèces n’ont pas de raison de disparaître dans un tronçon court-circuité s’il reste en eau en permanence). Par ailleurs, au vu de ce que prévoit les chercheurs sur le changement climatique, la faune et la flore aquatique pourraient connaitre un bouleversement thermique et hydrologique d’une vitesse quasi-inconnue depuis des millions d’années, si nous ne parvenons pas à baisser très rapidement les émissions de gaz à effet de serre. Donc la réflexion sur les impacts ne se limite pas aux effets locaux. Enfin, la notion de "réservoir biologique" est plus administrative que scientifique : il conviendrait d'exposer plus précisément en quoi la rivière Sallanche exprime cette propriété de réservoir (pour quelles espèces, présentant quel niveau de menace, etc.). Il a été régulièrement reproché au classement de 2012-2013 d'obéir à une logique halieutique (en particulier sur des cours d'eau à truites communes sans enjeu grand migrateur) davantage qu'écologique. 

Ce que l’on peut en dire en débat juridique
Si, comme on peut le penser, le maître d’ouvrage fait appel de la décision et porte au besoin le cas devant le conseil d’Etat, il reviendra à la jurisprudence d’apprécier ce que signifie une modification «substantielle» du débit d’un réservoir biologique et de dire si cette modification est constitutive ou non d’une rupture de continuité écologique. Le conseil d’Etat a déjà précisé que ces changements devaient s’apprécier au cas par cas (CE 11 décembre 2015 n° 367116). Mais cela implique une casuistique où le juge décide en dernier ressort de ce qui est, ou non, un motif grave de perturbation de fonctionnalités aquatiques.  Dans un cas similaire jugé par la cour de justice de l’Union européenne, les magistrats devaient évaluer si une centrale hydro-électrique pouvait dégrader une qualité de masse d’eau de très bonne à bonne, justement en raison des effets hydrologiques et hydromorphologiques de le centrale sur le tronçon court-circuité. En l’espèce, le juge avait conclu que le requérant pouvait à bon droit mettre en avant l’intérêt majeur de l’électricité décarbonée pour justifier une dégradation de classe de qualité. (CJUE, 4 mai 2016, 62014CJ0346). Enfin, il faut noter que la loi de 2019 fait obligation à l’Etat d’encourager la petite hydro-électricité face à l’urgence écologique et climatique.

Ce que l’on peut en dire en débat politique
Il y a désormais conflit ouvert entre une branche de l’écologie qui donne la primauté à la protection de la nature et de la biodiversité, une autre qui donne primauté à la lutte contre un changement climatique dangereux et au développement de circuit-court à moindre empreinte matérielle. Les questions de biodiversité sont parmi les premiers motifs des recours contre des projets renouvelables au motif qu’ils impactent des habitats et des espèces, donc la protection plus ou moins stricte de biodiversité devient parmi les premiers freins au déploiement du renouvelable, et à une partie de la lutte concrète contre le changement climatique. C’est un choix de la loi et des associations qui s'en réclament (ou en réclament une certaine interprétation). Mais le débat démocratique doit reconnaître cet état de fait (au lieu de le nier, l’euphémiser ou le glisser sous le tapis) pour en déduire une discussion politique sur l’ordre des priorités dans nos normes – nos lois et nos règlementations. 

L’hydro-électricité en France fait l’objet d’un blocage depuis 40 ans, inspiré par les lobbies naturalistes et pêcheurs comme par les administrations eau & biodiversité ayant des sympathies pour ces lobbies. Non seulement on tend à décourager la relance de sites anciens ne créant pourtant pas de nouveaux impacts, par des exigences n’ayant aucune sorte de réalisme économique et biologique, mais on menace de nombreux projets de création de site de contentieux, pour décourager leurs investisseurs. Quand on ne détruit pas sur argent public des ouvrages producteurs d’énergie bas carbone y compris des grands barrages EDF

Nos élus sont en train de voter une loi sur l’accélération de l’énergie renouvelable, et nous les avons avertis à maintes reprises de la nécessité d’assumer des choix politiques, au lieu d’esquiver les sujets et de laisser croire au prix d'une pensée magique que des options contradictoires donneraient des résultats efficaces. Si les élus ne veulent pas prendre leur responsabilité, libre à eux. Mais ils devront de toute façon l’assumer dans l’hypothèse où la France ne réussit pas sa transition énergétique et où les citoyens souffrent de leurs choix délétères en ce domaine.

Car les recours en justice ne viennent pas seulement de France Nature Environnement : que l’Etat manque à son obligation de décarbonation ou que l’Etat opère des choix qui privent le citoyen de la garantie d’accès à l’énergie, notre association et bien d’autres le convoqueront également devant la justice. Le législateur comme l’administration n’échapperont donc pas à l’obligation d’assumer leur responsabilité dans la définition des priorités écologiques. 

Référence : Tribunal administratif de Grenoble, N°2002004, décision du 6 décembre 2022

01/12/2022

Comment les grands barrages ont bloqué l’accès des deux-tiers des rivières européennes aux poissons migrateurs (Duarte et al 2021)

Si les barrages des moulins, forges et autres sites de l’hydraulique traditionnelle ont été partiellement franchissables aux poissons migrateurs en phase de montaison, il n’en va pas de même pour les grands barrages massivement construits au 20e siècle. Une publication de chercheurs analyse pour la première fois l’évolution spatiale et temporelle de la discontinuité fluviale par grands barrages sur le réseau hydrographique européen. Elle conclut qu’en l’espace de 60 ans, les deux-tiers de ce réseau ont été bloqués. Dans la mesure où les barrages voient leur importance plutôt renforcée en situation de réchauffement climatique et de transition énergétique, cela pose question sur les objectifs des politiques européennes de restauration et leur niveau de réalisme.


Les grands bassins européens analysés par Duarte et al 2021, art cit, classés selon leur exutoire maritime. 

Les rivières sont fragmentées de longue date par des barrages de toutes dimensions. Cela pose problème en particulier au comportement migratoire de certaines espèces de poissons diadromes (par exemple saumon, anguille), dont le cycle de vie passe d’une phase océanique à une phase continentale ou inversement, avec besoin de nager sur de grandes distances. Mais on manque de donnée concernant la dynamique spatiale et temporelle de la construction des barrages en lien à la connectivité, en particulier ceux de grandes dimensions qui bloquent totalement le franchissement des poissons. Dans quelle mesure la construction de ces grands barrages a-t-elle altéré la connectivité longitudinale des réseaux fluviaux européens? Comment le phénomène a-t-il évolué en Europe tout au long du XXe siècle? 

Gonçalo Duarte et ses collègues ont analysé l’histoire des barrages et leur  implantation spatiale dans le grands bassins fluviaux pour répondre à ces questions. Un grand barrage est défini comme un ouvrage mesurant plus de 15 m de sa fondation à sa crête, ou mesurant de 5 à 15 m mais stockant plus de 3 millions de m3 d'eau. Voici le résumé de leur travail :
« La connectivité longitudinale du fleuve est cruciale pour que les espèces de poissons diadromes se reproduisent et grandissent, sa fragmentation par de grands barrages pouvant empêcher ces espèces d'assurer leur cycle de vie. Ce travail vise à évaluer l'impact des grands barrages sur la connectivité longitudinale structurelle à l'échelle européenne, du point de vue des espèces de poissons diadromes, depuis le début du 20e siècle jusqu'au début du 21e siècle. 

Sur la base des emplacements des grands barrages et de l'année d'achèvement, une multitude de paramètres de dégradation des rivières ont été calculés à trois échelles spatiales, pour six régions océaniques européennes et douze périodes. Le nombre de bassins touchés par les grands barrages est globalement faible (0,4 %), mais pour les grands bassins fluviaux, qui couvrent 78 % de la superficie de l'Europe, 69,5 % de tous les bassins, 55,4 % des sous-bassins et 68,4 % de la longueur du fleuve sont altérés. La dégradation de la connectivité du réseau fluvial est devenue de plus en plus importante au cours de la seconde moitié du 20e siècle et est aujourd'hui spatialement répandue dans toute l'Europe. À l'exception de l'Atlantique Nord, toutes les régions océaniques ont plus de 50 % de la longueur des rivières touchées. Si l'on considère les grands bassins fluviaux, les régions de la Méditerranée (95,2 %) et de l'Atlantique Ouest (84,6 %) sont les plus touchées, tandis que les régions Mer Noire (92,1 %) et Caspienne (96,0 %) se distinguent comme celles dont la longueur fluviale est la plus compromise. 

En 60 ans, l'Europe est passée d'une altération réduite à plus des deux tiers de ses grands fleuves avec des problèmes structurels de connectivité dus aux grands barrages. Le nombre de ces barrières a considérablement augmenté dans la seconde moitié du 20e siècle, en particulier les barrages majeurs à distance décroissante de l'embouchure de la rivière. Actuellement, la connectivité longitudinale structurelle des réseaux fluviaux européens est gravement touchée. Cela concerne toutes les régions considérées, et celles du sud de l'Europe seront confrontées à des défis encore plus importants, étant donné qu'il s'agira d'un futur point chaud pour le développement de l'hydroélectricité et, de manière prévisible, d'une zone plus affectée par le changement climatique. »


Ces graphiques montrent l’évolution de la détérioration de la connectivité structurelle des fleuves européens décennie par décennie depuis la fin du 19e siècle jusqu'au début du 21e siècle. Graphique A, le nombre de grands barrages et la distance moyenne à l'embouchure du bassin pour les barrages principaux (# Mst Dams ; avg_dist_mouth_Mst) et les barrages présents dans les affluents (# Tb dams ; avg_dist_mouth_Tb) tout au long des intervalles de temps considérés. Graphique B, analyse à l'échelle du segment en utilisant trois métriques, le pourcentage de longueur de rivière affectée par un, deux à quatre et cinq barrages ou plus dans le chemin vers le segment de l'embouchure du bassin (%S_aff_length_1, %S_aff_length2-4 et %S_aff_length5+) et à échelle de sous-bassin utilisant deux métriques (%SB_Taff et %SB_Taff). Graphique C, pourcentage de longueur de rivière (%S_aff_length-1, colonnes) altérée et pourcentage de grands bassins altérés (B_aff_Lr, lignes pointillées) dans six régions océaniques. (La France est située pour partie dans le bassin Ouest Atlantique en rouge, pour partie dans le bassin Méditerranée en  orange.)

Discussion
Cette étude permet de situer le poids relatif de la fragmentation des cours d’eau entre la grande hydraulique du 20e siècle et la petite hydraulique qui l’a précédée. On observe que l'impact de la première est nettement plus important que ne le fut celui de la seconde. Ce travail est à mettre en parallèle avec une précédente publication des chercheurs qui, analysant l’histoire de la régression de certains espèces migratrices de poissons (en France), trouvaient que le phénomène s’accélérait surtout au 20e siècle (Merg et al 2020). Il est aussi à lire en complément de la recherche récente montrant que les rivières européennes sont probablement fragmentées par 1,2 million de barrières de toute dimension (Belletti et al 2020).

Gonçalo Duarte et ses collègues assument dans leur publication un angle plutôt naturaliste, qui place la question de la conservation des poissons migrateurs comme principal élément de réflexion sur l’avenir des barrages. Toutefois, leur travail et d’autres permettent d’interroger le réalisme et la désirabilité de cet horizon d’interprétation.

Ces recherches posent en effet question sur le sens que l’on donne aujourd’hui à la politique de restauration de continuité longitudinale en Europe. Les barrages de diverses dimensions sont utiles à la société et ne vont pas disparaître, d’autant que le réchauffement climatique risque de renforcer leur demande en stockage d’eau ou production d’énergie bas-carbone (Kareiva et Caranzza 2017). Même s’il est possible de rendre en partie franchissables des ouvrages, les poissons migrateurs ne pourront probablement pas retrouver l’expansion qu’ils avaient à l’époque où les ouvrages étaient de petite dimension, encore moins à celle du début du Holocène avec des rivières n’ayant que des barrières  naturelles de type barrages de castors, embâcles, chutes, cascades ou torrents. D'autant que les fleuves et rivières ont aujourd'hui bien d'autres impacts, allant de la pollution chimique à la sécheresse hydrologique en passant par l'altération sédimentaire ou l'introduction d'espèces exotiques. Il faut noter que le cycle océanique des poissons diadromes est également perturbé, même si le sujet est moins bien connu étant donné les difficultés d'observation. 

La politique de restauration de continuité longitudinale a des coûts non négligeables. Elle soulève des oppositions sociales, politiques et judicaires quand elle prétend démolir les ouvrages, leurs usages et leurs services écosystémiques. La France a été pionnière dans ce domaine de restauration du fait du fort soutien apporté par l'Etat, mais elle est aussi pionnière dans le retour critique sur l'expérience : les poissons migrateurs ne justifient pas tout du point de vue des populations riveraines ; et la protection de la part endémique de la biodiversité est aussi obligée de composer avec d'autres enjeux des politiques d'intérêt général. Il paraîtrait sage de définir une écologie de conservation des espèces menacées qui se limite à des axes où la continuité est moindrement impactée et plus facile à restaurer. Mais sans espoir à court terme de rendre à nouveau parfaitement transparent à la migration un très vaste linéaire hydrographique. D'autant que le rythme du changement climatique en Europe, plus rapide qu'attendu selon certains chercheurs, est susceptible de redéfinir substantiellement les conditions d'efficacité et faisabilité de la conservation écologique des espèces aquatiques. 

Référence : Duarte G et al (2021), Damn those damn dams: Fluvial longitudinal connectivity impairment for European diadromous fish throughout the 20th century, Science of The Total Environment, 761, 143293

A lire sur le même thème : 

17/11/2022

La renaturation fait l’apprentissage de la démocratie, réponse à Truites & compagnie

Par leur récente victoire au conseil d’Etat, notre association et ses consœurs ont rétabli la démocratie riveraine et la démocratie environnementale en soumettant à l’étude d’impact et à l’enquête publique tout chantier qui modifie un linéaire conséquent de milieux aquatiques. Un billet de Truites & compagnie déplore cette décision du conseil d’Etat, prétend qu’elle serait contraire à l’intérêt général et accuse notre association d'être mue par la simple quête d'un intérêt privé lié à l'hydro-électricité. Réponse et précisions à ce sujet.


L’article de Truites et compagnie est principalement axé sur l’idée que «l’intérêt général» et «les intérêts privés» s’opposent. En forçant le trait (mais à peine, car le billet est assez caricatural), il y a les gentils défenseurs de l’intérêt général qui veulent renaturer les rivières selon leur vision de l’écologie et sans qu’on les importune, les méchants défenseurs des intérêts privés qui osent leur mettre des bâtons dans les roues (car leur désir secret serait de se faire plein d’argent avec de l'hydro-électricité). 

L’intérêt général, ce n’est pas chacun qui le proclame
Depuis 1789, et comme l’observe un universitaire spécialiste du sujet (Truchet 2017), «l’intérêt général désigne toujours les besoins de la population, ou pour reprendre une expression de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, «la nécessité publique» : est d’intérêt général ce que ces besoins ou cette nécessité commandent ou permettent en un lieu donné et à un moment donné.» Il est donc pour le moins curieux de considérer comme contraire à l’intérêt général une avancée du droit qui permet à la population de donner son avis (ici, sur des chantiers en rivière). En fait, tout le sens de la démocratie environnementale depuis 30 ans est justement de conférer ce droit aux citoyens.

L’intérêt général s’exprime dans la loi, après que le législateur a entendu l’ensemble de la société. Eventuellement, si les citoyens sont en désaccord sur le sens de la loi, l’intérêt général se tranche par le juge. L’intérêt général n’est donc pas la décision arbitraire d’une faction administrative et gestionnaire qui estimerait être au-dessus des autres citoyens, ici dans sa vision et gestion de la nature. Ne pas comprendre cela, c’est avoir un problème profond de cohérence vis-à-vis de ce que sont la démocratie et l’état de droit. Ce n’est pas tenable longtemps pour une action publique.

L’auteur du billet de Truites & compagnie dit à ses pairs qu’il leur faut se pencher sur le droit. C’est en effet indispensable et il est bien dommage que le personnel d’instances publiques ou d’associations à agrément public ne dispose pas d’une solide formation en ce domaine. Se pencher sur le droit, c’est découvrir que les normes de l’action humaine ne sont pas réductibles à l’idéologie de tel ou tel citoyen ou de telle ou telle faction de citoyen. Le droit est donc une bonne école de découverte du pluralisme, de compréhension de la complexité et de respect de la diversité des vues en démocratie. 

Les chantiers de renaturation sont des chantiers comme les autres
Comme nous l’avions déjà exposé, le droit français et plus précisément le code de l’environnement définit les termes de la gestion durable et équilibrée de la rivière. Les chantiers dit de renaturation ou restauration de rivière sont des chantiers de gestion : ils doivent donc respecter ce que dit le droit à ce sujet. Or il suffit de lire le texte de la loi pour comprendre que les dimensions naturelles de l’eau (fonctionnalités, biodiversités, etc.) y sont équilibrées par des considérations sociales, sanitaires, sécuritaires, économiques. Demander un « blanc-seing » pour changer des linéaires importants de milieux aquatiques sans contrôle du citoyen et sans étude d’impact de ce que l’on fait, c’est évidemment arbitraire. 

Il faut aussi rappeler qu’un chantier est un chantier. N’importe quel manuel de génie écologique reconnaît que certains travaux, et en particulier les destructions d’ouvrages hydrauliques, ont des effets adverses et indésirables à contrôler. Citons notamment :
  • incision de lit,
  • affaissement de berge,
  • risque géotechnique par rétraction argile ou pourrissement de fondation bois, 
  • remobilisation de sédiments pollués, 
  • baisse du niveau de la nappe et effet sur les réseaux d’eau, 
  • changement du régime local des crues et des sécheresses, 
  • risque de destruction d’espèces protégées ayant colonisé l’habitat, 
  • risque de remontée d’espèces invasives. 
Cette liste ne concerne que des dimensions physiques, chimiques, biologiques, sans parler de l’appréciation des citoyens sur les usages et les paysages, ainsi que des droits de propriété protégés constitutionnellement. 

Et vous voulez que tout cela se passe d’étude d’impact et d’enquête publique ? C’est vraiment inquiétant si vous prétendez avoir un rôle de gestionnaire public… 

L’hydro-électricité sans caricature
Concernant l’hydro-électricité, le billet est franchement caricatural. Mais assez classique des éléments de langage du milieu pêcheur, qui fait croire aux élus que les personnes relançant des moulins à eau sont d’affreux capitalistes voulant amasser des fortunes immenses en tuant des poissons. Ce type de discours est un résidu assez archaïque des années 1980,  déconnecté de la réalité des sites et des pratiques. Il est à peu près inaudible à l’heure où tout le monde a désormais conscience des risques climatiques et où chaque kWh compte pour éviter les émissions carbone, tant en production (élimination du carbone) qu’en consommation (sobriété du carbone).

En tout état de cause, Hydrauxois n’est pas un syndicat de producteur d’hydro-électricité, c’est une association de riverains qui défend l'eau et le droit de l'eau (voir le PS plus bas). Cela inclut l’écologie et le climat mais aussi bien la culture, le paysage, la société, l’économie. Car justement, l’intérêt général ne peut pas être confisqué par une seule vision de l’eau, ses usages, ses imaginaires. 

L’hydro-électricité fait partie des énergies soutenues à échelle nationale, européenne et mondiale dans le cadre de la lutte contre le changement climatique et de l'urgence à ne pas dépasser les 2°C de hausse de température, si possible les 1,5°C. Elle est aussi promue comme option par le GIEC. C’est donc difficile de recevoir des leçons d’intérêt général de la part de gens qui s’opposent au développement de cette hydro-électricité, voire qui détruisent des ouvrages producteurs, même des ouvrages EDF détenus par l'Etat, donc les citoyens

La renaturation n’est pas une mission sacrée, elle est objet d’examen critique
A dire vrai, beaucoup de chantiers de restauration des milieux aquatiques sont intéressants et notre association y est favorable. Ce sont certains travaux qui ont focalisé une forte opposition, dont la nôtre, et il faut comprendre pourquoi. 

La restauration de continuité écologique en long est la plus contestée des politiques publiques de l’eau, car elle a de nombreux défauts quand elle se fonde sur la destruction des ouvrages hydrauliques (choix français ultra-majoritaire de la décennie 2010). Elle nuit en ce cas à des éléments de biens communs comme à des règles inscrites dans la loi sur la gestion durable et équilibrée de l’eau : protection des milieux aquatiques et humides en place, stockage de la ressource en eau, adaptation climatique, lutte contre la pollution, promotion de l’énergie renouvelable, protection du patrimoine culturel. C’est justement son défaut d’intérêt général qui a mené à sa réforme et, parfois, à sa condamnation par la justice. Cette destruction d'ouvrages et de milieux liés aux ouvrages est d'autant plus déplorable qu'il existe diverses options non destructrices pour assurer la continuité.

Plus largement, les politiques de renaturation ou restauration de rivière doivent être soumises à l’examen critique et à l’avis des citoyens. Les rivières sont un hybride de nature et de culture, il est impossible de prétendre les confisquer dans une vision purement naturaliste alors que c’est contraire à l’expérience humaine depuis toujours. L’écologique contre le social, cela ne marche pas. Il est symptomatique que l’auteur voit sa mission comme «offrir aux milieux les moyens d’être plus résilients face aux agressions de notre société».

Les humains vivent avec l’eau comme l’eau vit avec les humains, une séparation mentale à ce sujet est une sorte de contradiction insoluble (je défends l’eau contre les humains… alors que je suis humain et que mon action vise comme celle des autres humains à un certain état de l’eau). 

Même le choix de «renaturer» est lui aussi un choix humain de configuration de la rivière selon certains objectifs et certaines préférences. Mais ce choix se discute forcément, il ne peut pas être arbitraire. Au demeurant, les politiques de renaturation affirment en général qu’elles vont apporter d’autres choses que la seule nature (baisser des pollutions, réduire des crues, adapter au climat, élargir les services de la biodiversité, etc.) et il faut donc au minimum démontrer que leurs chantiers parviennent vraiment à de tels objectifs. 

Qui a gâché l’idée de continuité au nom de dogmes et d’intérêts particuliers ? 
La restauration de continuité écologique en long par démolition des sites et milieux en place échoue souvent à cette démonstration de son intérêt, elle a donc suscité une forte résistance citoyenne dont notre association est l'une des voix. Dans bien des cas, la continuité en long aura été l’alibi de publics particuliers pour des intérêts particuliers (par exemple, dépenser l'argent public rare de l'écologie pour maximiser des salmonidés à la demande des pêcheurs de salmonidés). Cela s’explique notamment par le fait que cette continuité a été reprise en France de la loi pêche 1984, c’est-à-dire par le petit bout de la lorgnette halieutique.

En fait, la continuité ou connectivité de milieux est plutôt une idée intéressante issue de la recherche écologique, mais elle a été largement gâchée par une approche dogmatique, une mise en œuvre brutale et centrée sur les buts de certains publics. 

Le principal enjeu de la continuité de l’eau est la continuité latérale, bien plus importante pour la biodiversité et pour la régulation de l’eau. Or elle a été ignorée dans la loi et reléguée au second plan parce que certains voulaient juste casser du moulin et de l’étang au nom de leurs dadas. Un autre enjeu est la continuité temporelle, les assecs sont un facteur de destruction massive de la biodiversité ainsi que de mise en péril de la santé et de la sécurité de nos sociétés. Mais cette continuité temporelle de l’eau n’a pas à être prisonnière, elle non plus, d’un dogme de «naturalité» : des solutions humaines et des habitats anthropiques peuvent aussi aider à conserver de l’eau, donc à avoir davantage de vivant aquatique et humide qu’en laissant les rivières et plans d’eau se vider. Opposer les solutions fondées sur la nature et sur la technique relève, là encore, d’un dogmatisme dont notre société n’a pas besoin. Et le vivant non plus.

En conclusion
Si certains se pensent comme des croisés de la nature en lutte contre la société, ils doivent donc mener un important travail de réflexion critique et de recul sur soi. Une telle posture mène à l’impasse. La nature (pour peu que ce terme ait un sens) est un objet de la discussion démocratique, elle n’est pas séparable de la société. Les citoyens sont égaux devant elle comme devant la loi.  C’est pourquoi les citoyens disposent du droit d’être informés et de donner leur avis sur toute évolution des milieux naturels, peu importe les motivations de cette évolution.  

Post scriptum
L'objet légal de l'association Hydrauxois est le suivant.
L’association a pour objet la protection de la nature, de l’environnement et des patrimoines de l’eau dans une perspective de développement durable, et donc notamment de :
Protéger et restaurer les espaces, ressources, milieux et habitats naturels, terrestres et marins, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres fondamentaux de la biosphère, l'eau, l'air, le sol, le sous-sol, les sites et paysages, le cadre de vie,
Promouvoir une utilisation de l'énergie sobre et efficace, un développement des énergies renouvelables compatible avec les intérêts environnementaux, sociaux, économiques et paysagers,
Prévenir les dommages écologiques et les risques naturels et technologiques et leurs impacts sanitaires, notamment dans le domaine des déchets et pollutions,
Exiger un urbanisme économe, harmonieux et équilibré dans l'aménagement du territoire et défendre la protection du littoral et de la montagne,
Susciter l'intérêt, la connaissance et la participation des citoyens à la protection des patrimoines naturels et bâtis, encourager l’information, la formation et l’éducation en ce sens,
Agir pour une meilleure transparence des décisions publiques, de favoriser l'information et la participation des organisations représentatives de la société civile et du public à l'élaboration des décisions ayant un impact sur l'environnement,
Veiller à la bonne application de la législation et de la réglementation ainsi qu'au bon emploi des fonds publics en matière d'environnement, cela dans tous les domaines liés à l'eau et aux usages de l’eau,
Agir en justice pour faire valoir la défense des intérêts qu'exprime son objet statutaire et ceux de ses membres.

Sur le même sujet

Quelle densité de truites à l'hectare définit un intérêt général (et autres questions sans réponses)

15/11/2022

Voici dix ans, le classement aberrant de continuité écologique des rivières françaises

La continuité en long des rivières avec destruction en rafale du patrimoine hydraulique des moulins, étangs et autres ouvrages est la plus contestée des politiques de l’eau. La première cause du problème a tout juste 10 ans : le classement totalement démesuré de 46 615 km de rivières et 20 665 ouvrages qui auraient dû être mis aux normes en 5 ans seulement. Comment la fonction publique a-t-elle pu concevoir un plan aussi dénué de réalisme ? On se le demande encore. Pourquoi ne révise-t-elle pas simplement à la baisse ce classement aberrant et largement arbitraire ? On se le demande autant. En attendant, la casse d’ouvrage au titre de ce classement a été interdite par la loi et vu que les agences de l’eau refusent toujours de couvrir les charges exorbitantes de mise en conformité – comme la loi le demande aussi –, tout est à peu près bloqué. Bienvenue en absurdie. 


La loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 prévoyait des rivières où serait demandée au niveau de leurs ouvrages hydrauliques (seuils, barrages, écluses) la capacité de circulation des poissons migrateurs et de transit des sédiments. Cette loi posait ainsi le principe dit de "continuité écologique" mais sans préciser le détail des rivières où il y avait de tels enjeux. C’était le rôle de l’administration. 

Voici 10 ans, par une série d’arrêtés, les préfets de bassin hydrographique ont donc classé des rivières françaises au titre de cette continuité écologique en long. 

Dans le cas des classements dits en liste 1, cela signifie qu’aucun obstacle au franchissement de poisson ou au transit de sédiment ne peut être construit (mais un ouvrage assurant ces deux fonctions peut l'être). 

Dans les classements dits en liste 2, cela signifie que tous les obstacles présents (seuils de moulins et étangs, barrages) devaient obligatoirement être aménagés dans un délai de 5 ans, prorogé une fois de 5 ans par la suite.

Les listes 2 sont les plus contraignantes : l’intervention y est censément obligatoire. 

Plus de 20 000 ouvrages sur plus de 46 000 km de rivières
Le tableau (CGEDD 2016) ci-dessous indique le linéaire de rivière concerné par ces listes 2: 46 615 km



Le tableau (CGEDD 2016) ci-dessous indique le nombre d’ouvrages hydrauliques concernés par le classement en liste 2: 20 665.




Ce classement a été catastrophique à plus d’un titre.

Total irréalisme. A titre de comparaison, l’Union européenne envisage une régulation de continuité qui porterait sur 25 000 km pour toute l’Union, à traiter à horizon 10 ans. Les fonctionnaires en charge du classement français n’ont pas eu le début d’une exigence de réalisme sur la portée d’un acte réglementaire opposable, qui impliquait de lourds travaux. Des syndicats de rivières se sont retrouvés avec 20, 50, 100 ouvrages à traiter en peu de temps. Les instructions ont été plus ou moins bâclées pour faire du chiffre, mais très vite les premiers contentieux ont mis en évidence les nombreux abus de pouvoir dans la pression alors exercée sur les propriétaires. Donc au bout de 10 ans, nous sommes loin d'avoir traité les 20 000 ouvrages concernés. 

Arbitraire manifeste. Le classement aurait pu concerner un linéaire modeste avec présence avérée d’espèces amphihalines menacées (anguilles, saumons etc.), en commençant par l'aval avant de traiter l'amont, puisque le problème principal est la montaison et non la dévalaison des poissons. Là, il a souvent été étendu à de simples rivières à truite de têtes de bassin, pour faire plaisir au public pêcheur, sans preuve claire que les truites souffraient des ouvrages concernés. De plus, quand il y avait un grand barrage public sur le linéaire de la rivière, le classement était opportunément interrompu à l’amont et à l’aval. Autant dire qu'on laissait de côté les grandes discontinuités en s'acharnant sur les petites, tout en se permettant le ton le plus sévère et le plus définitif sur l'impact supposé de modestes ouvrages présents depuis des siècles.

Coût exorbitant. Un obstacle de type buse ou gué ne coûte pas bien cher à enlever ou à modifier, quand même 1000 à 10000 €. Mais la plupart des obstacles sont des chaussées de moulin ou des barrages, le coût devient nettement plus élevé, typiquement entre 100 000 et 1 million € à chaque fois (le record pour les barrages de la Sélune, 50 millions €). La loi exige indemnisation pour les charges spéciales et exorbitantes, mais les préfectures et agences de l’eau ont refusé de financer à 100% les travaux hors des seules destructions (payées quant à elles rubis sur l’ongle par l’argent des citoyens). Autant dire que tout est bloqué ailleurs. Et que cette inégalité devant les charges publiques tombera un jour ou l'autre devant la justice, les fonctionnaires s'étant permis de décréter sans aucune base législative ce qu'ils avaient envie de payer.

Sous-information structurelle. Le classement des rivières et ouvrages a été fait sans modèle scientifique sur la circulation des poissons migrateurs à échelle de tout le réseau hydrographique et sur les points les plus impactants de cette circulation. Il a totalement ignoré les sciences sociales et humanités de l'eau indiquant que les rivières et leurs ouvrages n'étaient pas juste des questions naturelles, mais relevaient de nombreuses dimensions dans l'esprit et la pratique des citoyens. Il a également négligé tout un pan de la littérature scientifique en écologie qui indique d'une part que les rivières sont modifiées par les humains depuis des millénaires avec création de nouveaux habitats et nouveaux écosystèmes, d'autre part que les usages du lit majeur sont les premiers déterminants des qualités et quantités d'eau où le vivant se déploie. Un ouvrage détruit sans autre réflexion risque d'aggraver la situation (lits plus incisés, eau moins retenue, pollution plus diffusée, etc.)


Nous entrons cette année en situation de non-droit de la continuité écologique
Aujourd’hui, nous nous trouvons dans une situation de non-droit : la majorité des ouvrages en liste 2 n’ont pas trouvé de solutions financées, les préfets continuent de faire la sourde oreille quand on leur rappelle l’exigence d’indemnisation. Mais la loi donnait un délai de 5 ans prorogé une fois, donc cela signifie que les ouvrages non mis en conformité entrent dans l’illégalité. Plus exactement : les préfectures sont en situation de carence fautive dans l'exécution de ce que dit exactement la loi, en ne proposant pas aux maîtres d'ouvrage une solution légale et indemnisée. 

Une instruction administrative de 2019 a inventé la notion d’«ouvrage prioritaire» – de manière tout aussi arbitraire que le reste –, mais ce bricolage juridique est illégal et non opposable aux tiers. Le conseil d’Etat n’a pas donné suite à notre requête d’annulation de cette instruction pour cause de délai échu, nous allons donc demander directement l’annulation au ministre à peine de contentieux si refus sous 2 mois, puisque cette notion d’ouvrage prioritaire est sans base dans la loi (et même formellement contraire à la loi dans la manière dont elle été énoncée en 2019). 

La loi Climat et résilience de 2021 a quant à elle posé l’interdiction de la destruction de l’usage actuel et potentiel des ouvrages. La plupart des études déjà faites et qui étaient orientées vers cette destruction sont aussi frappées d’illégalité dans leurs prescriptions.

Enfin, sauf si vous découvrez notre site, vous savez que la politique de continuité écologique par destruction d’ouvrages est la plus contestée des politiques publiques du ministère de l’écologie, avec déjà diverses victoires en justice lors de contentieux, une ambiance déplorable entre les gestionnaires publics et les riverains des ouvrages, des oppositions sociales diffuses à la disparation des plans d'eau et canaux. A l'irréalisme s'ajoute l'impopularité.


Une solution simple… que l’administration refuse évidemment
Il existe une solution simple pour réparer les bêtises : réviser à la baisse le classement de continuité écologique.

Cette solution est aussi légale puisque la loi de 2006 le prévoit expressément : «Les listes visées aux 1° et 2° du I sont établies par arrêté de l'autorité administrative compétente, après étude de l'impact des classements sur les différents usages de l'eau visés à l'article L. 211-1. Elles sont mises à jour lors de la révision des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux pour tenir compte de l'évolution des connaissances et des enjeux propres aux différents usages.» (article L 214-17 code environnement, al. II).

De toute évidence, ce qui s’est passé depuis 10 ans a fait "évoluer les connaissances" en montrant les défauts innombrables de cette politique.

A date, l’administration fait la sourde oreille : pas responsable, pas coupable, pas concerné par l’acte réglementaire déraisonnable et problématique de 2012-2013,  elle laisse pourrir la situation. 

La direction eau & biodiversité du ministère de l’écologie se lave les mains de ses erreurs manifestes sans changer les têtes qui ont inspiré ces erreurs, pendant que sur le terrain les fonctionnaires de l'eau gèrent une situation plus ou moins absurde où il n’y a souvent ni base légale ni moyen financier des travaux envisagés. 

On attend une administration pragmatique, pas dogmatique
Dix ans, c’est aussi l’âge de notre association, qui est née de la contestation des premières tentatives de destructions d’ouvrages appréciés des citoyens. Dès le départ, nous avons perçu que le problème venait essentiellement d'une fraction de l’administration de l'eau, ses choix irréalistes, son idéologie hors-sol et son attitude agressive de destruction systématique contre l’avis des gens et contre l’intérêt général. Nous l’avons dit et expliqué, de manière argumentée. Et nous ne sommes logiquement pas très aimés pour avoir dit ainsi les choses clairement, dans un pays où l'Etat est censé avoir toujours raison. 

Dix ans plus tard, les événements nous ont donné raison : l’administration s’est mise en faute et a gâché une politique qui aurait pu être plus efficace et plus consensuelle, pourvu qu’elle soit moins dogmatique et moins démesurée. Pourvu aussi qu’elle n’essaie pas d'imposer partout des utopies de "renaturation" de rivière contre l’avis des riverains dans le cas des ouvrages hydrauliques et de leurs milieux. Les rivières anthropisées sont une réalité, de longue date, cette réalité ne s'élimine pas d'un claquement de doigt de bureaucratie. 

Nous sommes donc désolés de persister et signer dix ans plus tard, en espérant que l'on ne perde pas encore dix ans à de nouveaux contentieux pour arriver à des évidences déjà claires comme de l'eau de roche. 

Tant que l’administration ne reconnaîtra pas ses erreurs et ne fera pas évoluer sa doctrine des ouvrages hydrauliques en conformité à ce que disent les lois françaises, pas grand-chose ne bougera. Les options sont simples, et c'est l'administration qui a seule le pouvoir de les actionner pour corriger ses errements:
  • la direction eau et biodiversité du ministère doit émettre une circulaire reprécisant les lois et jurisprudences aux agents publics, 
  • les préfectures de bassin doivent réviser le classement de continuité à la baisse, 
  • les agences de l’eau doivent débloquer des fonds conséquents pour les seules solutions légales dans les rivières restant classées. 
Pour plus tard, il sera nécessaire de réviser complètement la loi sur l'eau de 2006 sur ce volet. Dans toutes les rivières, on doit proposer aux propriétaires d'ouvrages le même financement public pour toutes les options de continuité, sur base volontaire, sans faire de chantage financier, sans essayer d'imposer autoritairement des destructions. Pour les rivières à travaux obligatoires en raison d'espèces menacées, il faut s'inspirer de la science pour définir les axes à bon rapport bénéfice-coût, prévoir des financements élevés au vu du coût des travaux (mais sur un linéaire moindre). Et plus globalement, la politique publique a vocation à engager une valorisation écologique, hydrologique, énergétique et sociale des ouvrages hydrauliques et de leurs milieux.

10/11/2022

Quelles sont les minorités promouvant la destruction des plans d’eau, des canaux et des ouvrages en rivière?

Les riverains de France ne manifestent pas tous les week-ends pour dire combien ils ont horreur de vivre près d’un moulin ou d’un étang. C’est même le contraire, les enquêtes publiques sur les démolitions d’ouvrage en rivière ont des avis souvent très négatifs de la population. L’idée assez folle de détruire le maximum de ces héritages hydrauliques vient de publics précis. Non seulement ces publics sont fort minoritaires par rapport à la population, mais ils sont sur-représentés par l’administration au détriment des principaux concernés (propriétaires et riverains des rivières aménagées et des plans d’eau). Cette confiscation est connue et elle a été dénoncée par le CGEDD (audit administratif donc peu suspect de lobbying). Mais elle perdure sans aucun effort public pour changer. Une telle injustice démocratique ne peut que nourrir incompréhensions, conflits et contentieux, d’autant que le monde des ouvrages hydrauliques mesure désormais clairement combien il a été sciemment exclu par l’administration des débats le concernant. 


A la demande de notre association et de ses consoeurs, le conseil d'Etat vient de censurer le ministère de l'écologie et de rétablir l'enquête publique ainsi que l'étude d'impact pour les chantiers de destruction de moulins, d'étangs, de plans d'eau, de canaux au nom de la restauration de continuité dite "écologique". C'est une victoire pour la démocratie environnementale et riveraine. Mais c'est aussi l'occasion de rappeler que si le ministère de l'écologie avait tenté un incroyable coup de force en imposant ces chantiers sans consultation, la raison en est le faible soutien citoyen à cette politique.

Quand vous discutez avec vos proches des problèmes écologiques de notre temps, vous n’entendez sans doute pas souvent des phrases comme «je suis malade à l’idée qu’il existe ce moulin sur ma rivière» ou «c’est scandaleux de vivre non loin de cet étang». Non, les gens vous parlent plutôt de leurs soucis climatiques ou de leur crainte des pollutions ou du dernier bétonnage en date au nom d'un projet public. Et si par hasard ils parlent d’un moulin ou d’un étang, ce n’est pas vraiment de manière négative. Sauf exception.

Quelles sont ces exceptions, c’est-à-dire les gens qui émettent des avis systématiquement négatifs sur les moulins, étangs et autres éléments du paysage de bassins versants, au point de souhaiter leur disparition? 

Publics des pêcheurs sportifs de salmonidés
Ce point est classique : le pêcheurs sportifs de truites, saumons et autres salmonidés ont toujours été en pointe contre les barrages en rivière. Jadis, au début du 20e siècle, c’était contre les grands barrages dont l’impact est assez indéniable. Aujourd’hui c’est pour la destruction des petits seuils de moulins et étangs en rivières salmonicoles (fleuves côtiers et tête de bassin). Tous les pêcheurs sont loin d’être sur cette ligne, car beaucoup reconnaissent l’intérêt d’avoir des retenues pour les poissons. Mais les fédérations de la pêche, en lien direct avec l’Etat du fait de leur agrément public, mettent en avant des personnels en phase avec la direction eau et biodiversité du ministère de l’écologie. Le résultat est que de nombreuses fédérations départementales de pêche ont été en pointe du lobbying auprès des élus pour casser les ouvrages, voire ont exécuté ces destructions. Mais la pêche aux truites et aux saumons – qui en soi n’est pas très écologique – ne représente évidemment qu’une infime partie de la population.

Public des ONG naturalistes pro « nature sauvage »
Le monde de l’environnementalisme et de ses associations est vaste, car les sujets qui motivent les citoyens sont vastes aussi : pollution, climat, biodiversité, paysage, artificialisation du cadre de vie, etc. Dans le cas particulier de la biodiversité, une fraction des ONG de l’environnement est engagée pour la défense de la faune et de la flore sauvages avec une vision assez radicale d’élimination du maximum de présence humaine dans la nature. La destruction de barrage a été pour certains une cause iconique – on se souvient que c’était le thème du best-seller du Gang de la clé à molette d’Edward Abbey, roman ayant influencé l’association Earth First et l’aile radicale du naturalisme, mais aussi que le refus des barrages a été l'acte fondateur en France de Loire vivante dans les années 1970-1980. D’où une pression pour la «rivière sauvage» venant de ces milieux. Là encore, ces militants naturalistes radicaux peuvent avoir un agrément public et des moyens afférents pour certaines de leur structures, mais ils ne représentent pas pour autant un grand nombre de citoyens quand on en vient à l’idée que la rivière idéale devrait avoir fait disparaître tous ses aménagements humains et tous ses patrimoines hérités.

Public des chercheurs et experts en biologie et écologie de la conservation
Il peut paraître surprenant de citer des scientifiques, alors que la science est réputée objective, neutre, détachée des engagements et des subjectivités. Mais nous observons que ce n’est pas le cas, et au demeurant certains chercheurs aussi l’observent (Lévêque 2013, Dufour et al 2017). Des disciplines comme la biologie de la conservation ou l’écologie de la conservation ont développé des paradigmes où l’humain est analysé comme «impact» sur une naturalité pré-humaine, concluant immanquablement que l’ouvrage hydraulique en rivière représente une déviation de la naturalité et que sa destruction produirait un état alternatif plus désirable. Des chercheurs ou des experts peuvent s’engager en faveur de cette issue  dans des prises de position publiques – ne serait-ce que pour avoir des objets et budgets d’étude sur la manière dont évolue la rivière après destruction. La recherche appliquée étant liée à des enjeux politiques et des choix sociaux, la frontière entre connaissance et engagement y est plus poreuse qu’ailleurs. Ce n’est pas un problème au demeurant (la recherche est libre), mais du point de vue démocratique, combien de personnes sont dans cette recherche? Là encore très peu par rapport à la population. Et au sein même de la science comme démocratisation de la connaissance, pourquoi les sciences de l’eau mobilisées en vue applicative donnent-elles la prime à certaines disciplines scientifiques et pas d’autres?



Le problème démocratique de l’aménagement de rivière : des minorités sur-représentées, d’autres bâillonnées et la majorité ignorée
Que ces publics expriment une préférence pour la démolition du patrimoine hydraulique et pour des retours à des rivières de style «sauvage» avec éviction des usages et paysages humains, cela ne pose pas de problème en démocratie. Après tout, chacun est libre de ses opinions et préférences. Chacun est aussi libre en science de ses méthodes d’enquête menant à telles ou telles conclusions selon le choix des observables et des objectifs.

En revanche, ces publics sont très minoritaires. Les pêcheurs de saumons, les naturalistes militant pour la rivière sauvage et les biologistes ou écologues de la conservation ne forment pas un collège nombreux ni surtout représentatif de l’ensemble de la population. 

Là où le problème commence, c’est avec le personnel de l’administration, censément neutre du point de vue idéologique, devant exécuter les lois et concerter avec l’ensemble de la population. Nous parlons ici de la direction ministérielle (eau et biodiversité), des agences de l’eau, de l’office français de la biodiversité, des services DREAL et DDT-M des préfectures. 

Il est manifeste et démontrable que ces services administratifs ont accordé  un poids prépondérant à certains acteurs sociaux  mais pas à d’autres. Que ces services ont eux-mêmes porté une idéologie en manquant à leur devoir de neutralité, de représentativité des citoyens, de respect du texte et de l’esprit des lois.  Dans le cas des ouvrages hydrauliques, cela frise la caricature, au point que le conseil d’Etat a censuré plusieurs fois le ministère de l’écologie sur une politique environnementale, ce qui est assez rare (en général, le gouvernement est censuré sur un défaut d’exécution d’une politique environnementale, pas sur des abus de pouvoir et d’interprétation dans cette politique).

Un exemple simple : dans son rapport 2016, le CGEDD (audit administratif peu suspect de connivence) avait pointé qu’il est anomal que les riverains, les moulins, les étangs, les plans d’eau, les protecteurs du patrimoine historique ne disposent pas d’une place permanente dans toutes les instances administratives où l’on discute de leur cas. Cela des commissions locales de l’eau sur chaque rivière au comité national de l’eau à Paris en passant par les comités de bassins des agences de l’eau et les travaux départementaux des missions préfectorales sur l’eau. Rien n'a changé, en 2020 un décret a encore consacré la reconduction des exclusions de ces publics. Ou encore le tout récent plan national pour l’eau souhaité par le ministère de l’écologie, mais auquel les propriétaires et gestionnaires d’ouvrages hydrauliques n’ont évidemment pas été conviés en phase de concertation et de co-conception.

L'eau est un bien commun, mais tout le monde n'a pas le droit de dire ce qu'il veut pour l'avenir de ce bien commun...


La démocratie environnementale bafouée par des technocraties autoritaires
Connaissez-vous une seule politique publique qui n’est pas construite avec les principaux concernés par cette politique publique? Eh bien la continuité dite écologique et la «renaturation» de bassin ont été bâties ainsi. Pour être plus précis, on a entendu les représentants des 2500 ouvrages producteurs d’hydro-électricité (grands et moyens barrages souvent) mais on a complètement ignoré les 100 000 propriétaires et 10 millions de riverains des ouvrages hydrauliques de toute nature sur les rivières, sans parler du million de plans d’eau hors du lit mineur, invisibles dans les instances administratives, et même dans les nomenclatures administratives. Le même problème existe en Europe, comme le démontre la construction intellectuelle assez aberrante du projet de régulation Restore Nature, ou de la directive cadre sur l'eau.

La démocratie environnementale suppose que tous les citoyens participent à la discussion et la délibération sur les sujets relatifs à leur environnement. Elle suppose aussi une bonne qualité de l‘information sur l’environnement, donc une pluralité des recherches scientifiques en amont. Cette démocratie environnementale a été bafouée dans le cas des ouvrages hydrauliques. Elle est confisquée par quelques minorités sur-représentées au détriment de la diversité des opinions et des visions, des intérêts et des valeurs, de hypothèses et des méthodes. 

Tant que l’appareil administratif et politique n’admet pas cette anomalie et ne la corrige pas en rétablissant une approche concertée et équilibrée sur l’avenir des rivières, de leurs ouvrages, de leurs usages et de leurs paysages, les conflits et les contentieux ne pourront que perdurer.