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09/12/2017

"La science est politique : effacer des barrages pour quoi? Qui parle?" (Dufour et al 2017)

Des zones amont de seuils effacés où les arbres déclinent et témoignent de dysfonctionnements de la plaine alluviale, des petits barrages dont l'examen démontre qu'ils ne forment pas d'entraves à la mobilité sédimentaire… une équipe de chercheurs montre à travers quelques cas concrets que la politique française d'effacement de barrages et seuils est justifiée depuis 10 ans par le discours de certains acteurs techniques ou scientifiques au profit de certains objectifs, mais que cette politique ne saurait prétendre refléter tout ce que les sciences sociales et naturelles ont à dire des rivières, de leur milieux et de leurs ouvrages. En s'inspirant de la géographie physique critique, ces chercheurs appellent à prendre davantage d'acteurs humains ou non-humains en considération quand nous opérons des choix d'aménagement sur les bassins versants. Au passage, ils forment l'hypothèse de biais halieutiques dans la politique française de continuité, dont la provenance pourrait être le rôle institutionnel des pêcheurs et de l'Onema-CSP (aujourd'hui AFB). Une analyse convergente avec nos observations depuis 5 ans. L'approfondissement de ces questions paraît urgent à l'heure où les mêmes biais produisent les mêmes travers, et où les destructions d'ouvrages hydrauliques s'opèrent partout avec une insoutenable légèreté dans le diagnostic des sites et des bassins versants. Quand les bureaucraties en charge de l'eau et de la biodiversité vont-elles s'affranchir de certains dogmes rudimentaires de la continuité, et choisir une approche plus ouverte à la complexité des hydrosystèmes comme des sociosystèmes? 

"Au cours de la dernière décennie, l'effacement des barrages et des seuils a été promu pour améliorer la continuité au long de nombreuses rivières. Cependant, de telles politiques soulèvent de nombreuses questions socio-écologiques telles que l'acceptabilité sociale, l'intégration des différents usages de la rivière, et l'impact réel sur les écosystèmes de cette rivière" : tel le constat initial qui motive le travail des chercheurs.

Simon Dufour et ses collègues (Université de Rennes 2, Université de Côte d'Azur, CNRS) analysent la politique française de destruction des barrages sous l'angle de la géographie physique critique.

Cette approche consiste à partir des éléments biophysiques du bassin versant (d'où la géographie) et à problématiser l'action des scientifiques, des gestionnaires et autres intervenants à partir des données et des discours observés (d'où la dimension critique). Il s'agit notamment de comprendre comment le "non-humain" est évalué dans les choix que nous faisons. Trois ensembles d'actions sur quatre rivières sont d'abord examinés.

Exemple des variations de croissance des arbres en lit majeur, à l'amont de seuils effacés sur des rivière de l'Ouest de la France (Vire, Orne).  Certains de ces arbres et leurs habitats font aussi l'objet de protection européenne, comme les poissons au nom desquels on altère les écoulements en place. Ce qui pose la question des critères d'évaluation de nos actions, comme des jeux de pouvoirs institutionnels imposant certains critères et omettant d'autres. 


Vire et Orne, un effacement qui impacte la plaine alluviale - Un premier cas étudie la réponse de la végétation à la suppression de seuils sur les rivières Vire et Orne dans l'Ouest de la France. Quatre espèces d'arbres sont suivies : aulne glutineux (Alnus glutinosa), frêne (Fraxinus excelsior), tilleul à grandes feuilles (Tilia platyphyllos) et érable sycomore (Acer pseudoplatanus). L'analyse montre que 74% des arbres connaissent un impact notable sur le cycle de vie, 14% avant l'effacement mais 60% après l'effacement. Il apparaît notamment que le fonctionnement de la plaine alluviale est modifié à l'amont des seuils détruits.

Gapeau, un barrage transparent aux sédiments - Un deuxième cas étudie au plan géomorphologique le bassin du Gapeau, un petit côtier méditerranéen qui se jette dans la baie d'Hyères. Cette baie subit un déficit sédimentaire estimé à 2200-2700 m3 de matériaux par an, et cela pour plusieurs causes (montée du niveau de la mer, protection du littoral, transport sédimentaire depuis les terres). Une analyse bathymétrique est menée sur la retenue du barrage Sainte-Eulalie (3 m de haut), principal obstacle au transit des sédiments sur le bassin. Cette analyse sur 9 mois de période de transport révèle que l'ouvrage est transparent au sédiment, ayant perdu 80 m3 de matériaux de sa retenue. Donc, il ne représente pas un obstacle à la mobilité sédimentaire, dont le déficit tient plutôt au changement d'usage des sols sur les versants du bassin.

Durance, un transfert sédimentaire qui demanderait d'éroder les berges - Un troisième cas étudie la rivière alpine Durance, très aménagée à partir des années 1950, dont le débit a été réduit en 40 ans (de 180 m3/s à 40 m3/s) et où les gravières ont extrait du lit plus de 60 millions de m3 de matériaux. Une analyse litho-morphologique a été menée pour savoir si les sédiments des affluents de la Durance seraient susceptibles de recharger la partie aval de la rivière. Le résultat suggère que ces sédiments ont une taille trop petite pour remplir leur rôle sur l'aval de la Durance. La suppression de barrage ne suffirait pas à recharger en sédiments grossiers, il faudrait aussi garantir la reprise de l'érosion des berges (continuité latérale), ce qui pose des problèmes plus complexes de gestion des propriétés riveraines.

"La science est politique : effacer pour quoi? Qui parle?"
Les chercheurs sont donc amenés à constater que l'effacement de barrages est loin d'avoir uniquement des conséquences positives pour l'ensemble des milieux, ni de répondre aux objectifs que pose le gestionnaire. Dans le cas de la Vire et de l'Orne, certaines espèces d'arbres sont protégées au même titre que les poissons cibles de la restauration écologique. Et le dysfonctionnement hydrologique du lit majeur dont témoigne le problème de croissance de ces arbres  suite à l'effacement relève lui aussi de la question des "services rendus par le écosystèmes" que nos actions sont censées accroître.

Cela amène les chercheurs à s'interroger : "comment les différents acteurs non-humains sont représentés (ou pas) dans le débat et pondérés dans la décision".

A ce sujet, Simon Dufour et ses collègues émettent comme hypothèse de travail le rôle joué par les pêcheurs, puis par le CSP-Onema dans l'inspiration des politiques écologiques de rivières centrées sur les poissons, avec les biais qui en découlent : "Concernant l'implémentation de la politique des suppressions de barrage en France, nous n'avons pas directement traité l'existence et les causes potentielles de tels biais mais, en perspective, nous pouvons au moins mentionner que les pêcheurs ont exercé une grande influence sur les politique de l'eau dans les années 1960 (Bouleau 2009), et que l'institution nationale responsable de l'eau et des écosystèmes aquatiques (ie ONEMA, aujourd'hui appelé AFB pour Agence française pour la biodiversité) a été créée en 2006 à partir de l'institution nationale en charge des poissons (le Conseil supérieur de la pêche). Déterminer dans quelle mesure ceci est relié à l'apparente préférence donnée à ces certains habitats du chenal en pratique de restauration, et si il y a des communautés épistémiques qui influencent ces préférences, reste un sujet d'étude".

Au final, les chercheurs appellent à un double effort des sciences naturelles et sociales pour mieux appréhender les enjeux de la rivière et, ici, la question des ouvrages hydrauliques : "Pour les sciences sociales, il est nécessaire de prendre conscience que certains problèmes sociopolitiques liés à la suppression des barrages et des seuils sont liés à la nature de processus et schémas biophysiques, et nécessitent une plus grande attention à la diversité des contextes biophysiques, en particulier en les interactions amont-aval et chenal-plaine (…) cette compréhension nécessite l'inclusion de multiples parties prenantes (ayant potentiellement diverses relations de pouvoir) et implique donc un processus de prise de décision complexe (plus complexe que celui consistant à retirer un barrage sur un site unique). Pour les sciences naturelles, il est nécessaire de se concentrer davantage sur les questions sociologiques, politiques et culturelles et d'être plus conscient de la façon dont la production, la diffusion et l'utilisation des connaissances influencent les processus sociopolitiques".

Référence  : Dufour S et al (2017), On the political roles of freshwater science in studying dam and weir removal policies: A critical physical geography approach, Water Alternatives, 10, 3,  853-869

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24/11/2017

Saisine de l'Agence française pour la biodiversité sur le chantier de l'étang de Bussières

En régression régulière depuis deux siècles, les étangs sont reconnus comme des habitats d'intérêt faunistique et floristique, à ce titre protégés par la loi comme l'ensemble des zones humides. Amphibiens, insectes, oiseaux, mammifères, poissons, végétaux... nombreuses sont les espèces qui profitent de ces étangs. Elles ne se limitent pas à quelques espèces "symboles" et participent à la richesse spécifique des bassins versants du Morvan. Quand ils envisagent la destruction de tels sites, les projets de continuité écologique menacent de faire disparaître des assemblages d'espèces propres aux habitats lentiques et à leurs marges humides au profit d'autres adaptés aux milieux lotiques (eau courante rapide). Mais ce choix doit faire l'objet d'une analyse rigoureuse, car le bilan de biodiversité n'est pas forcément favorable, des espèces protégées peuvent être présentes dans l'étang et d'autres solutions que la destruction sont possibles s'il s'agit de rétablir certaines fonctionnalités ou de remédier à certains impacts. C'est aussi vrai pour les services écosystémiques, comme l'épuration de l'eau par les retenues. Hydrauxois a donc saisi l'AFB afin de recevoir les évaluations écologiques réalisées sur l'étang de Bussières et, si elles sont inexistantes, de solliciter leur réalisation. Cette requête s'ajoute à celle faite à la DDT 89 concernant les pièces administratives justifiant la vidange et la destruction des vannes de régulation de l'étang. Nous n'avons reçu aucune réponse à date. 

Un chantier est en cours sur l’étang de Bussières, sis sur la Romanée dans le département de l’Yonne. Ce chantier a des impacts majeurs.

L’étang a été vidé et sa vanne de régulation détruite. Aucune information n’est disponible sur le site.

Au regard des rares informations dont nous disposons, il semblerait que la destruction de cet étang soit envisagée par son maître d’ouvrage (Fédération de pêche de l’Yonne) au profit d’une restauration de continuité en long de la Romanée. Il ne s’agirait donc pas d’une opération de mise en assec, qui fait partie des mesures normales de gestion des étangs, ni de curage.

La Fédération de pêche de l’Yonne nous a dit par courrier n’avoir aucune étude environnementale le 20 octobre 2016. Nous nous en étonnons et nous nous inquiétons donc de la mise en œuvre de ce chantier au regard de son impact sur les milieux.

De nombreux habitats d’intérêt (voir planches) de l’étang de Bussières sont en l’état actuel déstabilisés et hors d’eau. Leur avenir paraît incertain.

Nous sollicitons par la présente de recevoir les travaux d’études de la biodiversité de cet étang que votre Agence a menés, ou le cas échéant qu’elle a demandés au pétitionnaire. En cas d’absence de tels travaux, nous sollicitons votre intervention rapide. Nous espérons un inventaire complet de la biodiversité de l’étang et de ses enjeux avant toute perturbation de ses habitats.


Faits : l’intérêt des étangs, quelques enjeux en Nord-Morvan et à Bussières

Les étangs sont des zones humides considérées comme d’intérêt faunistique et floristique. Plusieurs plans d’eau de la région de Bussières bénéficient déjà de protection pour le fait d’héberger des espèces remarquables (Marrault, Griottier blanc). Les travaux de Bourgogne Nature comme ceux de l’ONCFS ont, à de nombreuses reprises, souligné la valeur de ces plans d’eau à l’occasion de telle ou telle monographie.

La littérature d’expertise comme la littérature scientifique a montré que les étangs ont de nombreux intérêts en écologie, pour divers assemblages d’espèces végétales (hydrophytes, hélophytes, phanérophytes), et bien sûr animales : amphibiens (urodèles, anoures), insectes (en particulier diptères, coléoptères, hétéroptères, odonates), annélides et arachnides d’eaux lentes, les espèces aviaires (oiseaux de pleine eau, de roselières et joncs, de bordure, de zones humides temporaire en marge, en particulier anatidés, fauvettes, hérons et aigrettes, etc.), certains mammifères (loutre, campagnol amphibie, appréciant les queue d’étang et prairies humides attenantes, musaraigne aquatique, etc.). Comme le résume l’ONCFS, «les complexes d’étangs piscicoles constituent des réservoirs majeurs de biodiversité en Europe. (…) Suite à la régression généralisée des zones humides, les étangs sont souvent les derniers habitats de ces espèces, renforçant ainsi leur importance patrimoniale.» (ONCFS 214)

A propos des mammifères, nous attirons votre attention sur la loutre, espèce d’intérêt pour sa recolonisation sur le bassin versant du Cousin et sur le Nord Morvan, dont les travaux de recherche ont montré qu’elle utilise volontiers les étangs comme viviers et leur périphérie comme habitat, et qu’elle a des espèces d’eaux lentes dans son régime alimentaire d’opportunité (Lanszki et al 2001, 2006, Adámek et al 2003, Prigioni 2006, Ruiz-Olmo et al 2007, Ruiz-Olmo et al 2011, etc.). Nous vous rappelons que la ressource alimentaire est le facteur limitant de l’espèce (fiche INPN-MNHN 2013 : «Liée à la survie des individus et au succès reproducteur, la ressource alimentaire semble être l’un des principaux facteurs limitant pour l’espèce. Ainsi, la présence de proie en diversité et en quantité suffisante est primordiale. Carnivore hautement spécialisé, la loutre se nourrit essentiellement de poissons, mais aussi, dans des proportions variables, d’amphibiens, de crustacés, d’insectes, de mollusques». La biomasse des étangs (très supérieure à celle d’un cours d’eau lotique de faible largeur comme la Romanée) est donc un paramètre à intégrer dans tout plan de gestion de la loutre, d’autant que cette espèce fréquente couramment les zones lentiques.

De nombreuses espèces protégées ou menacées en Bourgogne sont aussi susceptibles de se trouver sur le site de l’étang de Bussières et sur ses annexes humides, ou de profiter de leur maintien, en particulier chez les amphibiens, insectes et oiseaux.

Enfin, les étangs jouent aussi un rôle dans l’auto-épuration des cours d’eau, là encore démontré par une abondante littérature sur la sédimentation et la bio-activité des milieux lentiques. L’épuration a aussi été mesurée pour les pesticides dans les étangs français (Garnier et al 2016), question à évaluer ici compte tenu de l’activité sylvicole en amont de la Romanée, provoquant des pollutions de la rivière.

C’est à ces divers titres que les étangs sont, comme les autres zones humides d’origine naturelle ou artificielle, l’objet de nombreux travaux de diagnostic, de suivi et de gestion. Et que l’étang de Bussières présente un intérêt manifeste de conservation.

La restauration de continuité écologique comme remplacement d’un habitat lentique pour un habitat lotique présentent un enjeu certain pour les espèces migratrices et pour diverses espèces rhéophiles de tête de bassin. Mais nous rappelons que cette restauration de continuité est possible par d’autres moyens que la destruction des plans d’eau (cas de contournement d’étangs en Morvan, dont le bassin du Cousin), et en tout état de cause, elle ne saurait justifier des pertes nettes de biodiversité ni des chantiers menés sans aucune précaution pour les milieux en place et pour l’étude de la biodiversité présente avant travaux.

Dans le cas de l’étang de Bussières, il se peut que vos travaux d’études, ou ceux du pétitionnaire, aient permis de conclure sur une base factuelle que telle ou telle option est préférable, et que des mesures de sauvegarde de la biodiversité étudiée aient été organisées. C’est la communication de ces travaux que nous sollicitons. En leur absence, une intervention rapide pour stopper le chantier et procéder aux analyses nécessaires.


Droit : une zone humide doit être préservée, un projet doit avoir un impact positif net sur la biodiversité, mettre en œuvre le principe de précaution et l’action préventive, l’AFB est tenue de vérifier le respect des lois

En tant que zones humides, les étangs sont protégés par la loi, en particulier par le premier alinéa de l’article L 211-1 du Code de l’environnement posant les règles de «gestion équilibrée et durable de la ressource en eau» .

La loi exige ainsi
« La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année »

Par ailleurs, en votant la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, les parlementaires ont souhaité renforcer la protection de la biodiversité. Ils ont ainsi modifié l’article L 110-1 du Code de l’environnement, obligeant notamment à tenir compte «des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées» :
« On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants.
II. - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :
1° Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ;
2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées »
Enfin, au terme de la loi de biodiversité, l’AFB est ainsi définie dans ses missions par l’article L 181-8 code de l’environnement
L'agence contribue, s'agissant des milieux terrestres, aquatiques et marins : 1° A la préservation, à la gestion et à la restauration de la biodiversité ; 2° Au développement des connaissances, ressources, usages et services écosystémiques attachés à la biodiversité ;3° A la gestion équilibrée et durable des eaux ;(…)Elle soutient et évalue les actions des personnes publiques et privées qui contribuent à la réalisation des objectifs qu'elle poursuit.
Notre requête équivaut donc à une saisine par une personne morale associative de l’AFB en vue d’une évaluation d’un projet potentiellement dommageable à la biodiversité et aux services écosystémiques de l’étang de Bussières.

Illustrations : planches jointes à la requête et montrant quelques exemples de la diversité des habitats de l'étang avant son chantier.

09/11/2017

L'Agence française pour la biodiversité poursuit-elle les biais halieutiques et militants de l'Onema?

A l'occasion de la COP 23 sur le climat qui se tient à Bonn, l'association Orée vient de publier une note sur les énergies renouvelables en lien avec la biodiversité. Le chapitre consacré à l'hydro-électricité est presqu'entièrement à charge, avec en particulier une note critique de l'Agence française pour la biodiversité (AFB). Nous la reproduisons ici avec des commentaires. L'AFB a intégré en son sein depuis le 1er janvier 2017 l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), qui était lui-même l'ancien Conseil supérieur de la pêche. Les compétences de ses personnels ont été longtemps centrées sur des enjeux halieutiques, en particulier des espèces rhéophiles de tête de bassin ou des migrateurs. Il serait dommageable pour la recevabilité de l'expertise publique et le dialogue avec les parties prenantes de la rivière que l'analyse de la biodiversité reste entachée des biais connus qui affectaient déjà l'Onema et le CSP.



Hydroélectricité et enjeux pour la biodiversité

Si sur le plan purement physique l’énergie hydroélectrique est bien une énergie renouvelable, grâce au « grand cycle » de l’eau, cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit dénuée d’impacts environnementaux, notamment au regard des enjeux de préservation de la biodiversité. La mobilisation de la « houille blanche » suppose en effet de modifier le fonctionnement naturel des cours d’eau, en déplaçant les volumes écoulés dans le temps ou dans l’espace, ou en aménageant des ouvrages traversiers pour tirer parti de l’énergie potentielle des écoulements.

Les incidences possibles de ces aménagements sont multiples :
- sur l’hydrologie et le transport solide, susceptibles de provoquer à l’aval des incisions et érosions, des abaissements de la nappe d’accompagnement, l’assèchement des zones humides riveraines ;
- sur la température de l’eau, par réchauffement notamment, soit par la réduction de la lame d’eau à l’aval, soit en raison du stockage de l’eau en amont, avec ce que cela entraine en termes de biologie des espèces animales (reproduction, disponibilité de l’oxygène dissous...) et végétales (eutrophisation favorisée), et plus largement sur la capacité d’autoépuration ;
- sur la qualité des habitats, en modifiant l’alternance des radiers, mouilles et zones refuges, essentielles à la vie piscicole et des invertébrés ;
- sur la capacité de déplacement des espèces migratrices, évidemment, par la création d’obstacles plus ou moins facilement franchissables qui peuvent altérer de façon très sensible le cycle de vie des « grands migrateurs » comme le saumon, l’anguille ou l’alose...

Ces impacts doivent donc être évalués avec attention, en s’appuyant sur les connaissances scientifiques mais aussi sur les retours d’expérience internationaux, en mettant en œuvre les principes de la séquence Éviter Réduire Compenser.

Cela milite également, dans la recherche d’une approche du «plus juste équilibre» entre enjeux énergétiques et enjeux de biodiversité, à valoriser au mieux les sites déjà aménagés qui sont aussi le plus souvent ceux dont le potentiel énergétique est le plus important et très certainement à renoncer à ceux dont l’intérêt énergétique est mineur, ou devenu mineur au fil du temps et à rester vigilant sur le développement de nouveaux projets.

L'association Hydrauxois observe que

- l'AFB pose implicitement une équivalence de principe entre une modification des milieux et une altération des milieux eu égard à un "fonctionnement naturel". Cette position que l'on peut qualifier de "conservationnisme strict" nous paraît peu tenable, puisque la totalité des milieux terrestres, aquatiques et littoraux en France comme en Europe sont modifiés depuis plusieurs millénaires par la présence humaine (sur les rivières en particulier, voir Walter et Merritts 2008Lespez et al 2015, Verstraeten et al 2017; sur le problème du fixisme en écologie voir Alexandre et al 2017 ; sur le problème épistémologique inhérent à l'idée d'un "état de référence" d'un milieu aquatique, voir Bouleau et Pont 2015 ; sur la nécessité de clarifier les enjeux de biodiversité, voir ce texte).

- l'AFB parle d'une baisse de qualité des habitats en présupposant une référence à l'habitat naturel antérieur (posé comme norme de naturalité), mais n'envisage pas un instant l'intérêt de la création d'un habitat aquatique artificiel et de la colonisation de cet habitat dans le temps par des espèces. Il existe pourtant une littérature abondante sur la valeur des lacs, étangs, zones humides dont la plupart sont issus de l'aménagement humain et dont un grand nombre sont aujourd'hui classés en Natura 2000 ou en Znieff (pour quelques exemples Wezel et al 2014 sur des étangs, Aspe et al 2014 sur des canaux, la Convention de Ramsar sur l'intérêt des zones humides  naturelles comme artificielles pour le vivant et les oiseaux en particulier, cet exemple de ZNIEFF parmi bien d'autres, où une habitat artificialisé sous l'Ancien régime héberge aujourd'hui de nombreuses espèces d'intérêt, etc.)

- l'AFB reprend l'argument faux – et désormais mensonger, car plusieurs fois dénoncé – d'une altération du rôle d'épuration par les retenues de seuils ou barrages alors qu'une littérature scientifique abondante montre qu'au contraire, les retenues contribuent à éliminer des nutriments (voir Carluer et al 2016, Maavara 2016, Cisowka et Hutchins 2016, la thèse de Passy 2012 pour une synthèse de la littérature sur plusieurs bassins) voire des pesticides (Gaillard 2016);

- l'AFB cite l'impact (tout à fait réel) des plus grands ouvrages sur les espèces migratrices de poissons, mais omet de mentionner que les retenues hébergent généralement une biomasse supérieure d'espèces de poissons adaptées aux eaux lentes ou stagnantes, de sorte que le bilan de biodiversité alpha, bêta et gamma devrait être strictement évalué au lieu de présumer que la circulation maximale de quelques espèces spécialisées de poissons résument tout l'intérêt du vivant aquatique (voir par exemple le cas des lacs de la Sélune dont la faune et la flore sont a priori plus riches que ne seraient celles d'une rivière renaturée et optimisée au bénéfice du saumon atlantique ; pour quelques exemples en littérature scientifique récente Newton et al 2017Branco et al 2017Macnaughton et al 2017 ; pour un point sur le faible impact des ouvrages, en particulier des petits ouvrages voir cette synthèse);

- l'AFB suggère finalement qu'il faudrait ne pas développer des sites à intérêt énergétique "mineur", avis qui ne correspond à aucune compétence énergétique connue dans cette agence, mais qui reprend la revendication ancienne des fédérations de pêche contre les moulins et étangs, ainsi que les choix politiques très contestés de la direction de l'eau du ministère de l'écologie. Cette conclusion est d'autant plus déplacée que, dans la logique même des énoncés qui la précèdent, ce sont les grands barrages d'intérêt "majeur" qui ont des grands impacts écologiques sur la circulation des sédiments ou celle des migrateurs, alors que les ouvrages plus modestes et "mineurs" sont franchissables voire transparents ;

- l'AFB ne mentionne pas divers intérêts reconnus aux ouvrages, notamment le soutien aux étiages sévères (cas de mortalité évités l'été 2017 par des lâchers de barrages, exemples sur l'Ain ou sur la Loire), la recharge de nappe en hiver et son maintien ultérieur, le ralentissement de colonisation des espèces invasives vers la tête de bassin (les barrages sont par exemple utilisés comme outils de régulation au Canada face aux invasions de lamproies ; ils semblent impliqués dans la préservation de l'introgression génétique des truites méditerranéennes par les souches atlantiques d'élevage dans la tête de bassin de Loire), l'oxygénation à l'aval des chutes, etc. L'AFB ne rappelle pas non plus que des discontinuités hydriques ou morphologiques sont la règle dans des milieux naturels (barrages d'embâcles ou de castors, cascades, chutes et rapides, pertes et assecs, etc.) de sorte que les singularités hydrauliques que représentent les ouvrages ne produisent pas forcément des phénomènes inconnus du vivant aquatique, et n'ayant en tout cas pas empêché son évolution avant l'influence humaine.

Pour les parties prenantes de la rivière, l'Agence française pour la biodiversité sera légitime si elle travaille réellement sur la biodiversité, dans une approche factuelle de ce concept et dans une vision pluraliste sur les différentes manières d'aborder l'écologie de la conservation aujourd'hui. Ce texte en est loin et véhicule plutôt divers biais déjà observés à l'époque de l'Onema. Les milieux aquatiques ne se résument pas à quelques poissons d'intérêt pour les pêcheurs, et la biodiversité des milieux anthropisés doit faire l'objet d'une analyse propre, sans préjugé sur la nécessité de revenir à un état antérieur de l'évolution biologique. Dans la mesure où l'AFB sera la principale agence de conseil technique aux pouvoirs publics sur les questions de biodiversité, nous attacherons une importance particulière à la rigueur, la transparence et la motivation de ses avis.

Référence : Association Orée (2017), Concilier énergie renouvelable et biodiversité (pdf), 26 pages.


Illustration : en haut, le barrage de Vouglans, dont les lâchers d'eau lors de la sécheresse et des épisodes de canicule 2017 ont permis d'améliorer l'état des milieux à l'aval. L'AFB doit admettre que les milieux aquatiques français sont une réalité hybride et modifiée par l'homme de longue date, dont la biodiversité acquise n'a pas moins de valeur que la biodiversité native et dont les fonctionnalités doivent être analysées, éventuellement optimisées, hors de la référence à une "naturalité" idéalisée ; en bas : une libellule (L. depressa) au bord d'un bief de moulin dans le Morvan. Aucun inventaire spécifique des espèces profitant des ouvrages hydrauliques, de leurs annexes et des zones humides qu'ils alimentent n'est aujourd'hui réalisé par l'AFB, qui travaille surtout sur les poissons, sur quelques espèces repères (écrevisses, loutres, moules perlières...) ou sur les indicateurs normalisés DCE. Il est impossible de porter des jugements sur la biodiversité ordinaire si l'on ne part pas d'inventaires à peu près rigoureux faune-flore-fonge des différents habitats de la rivière, naturels comme anthropisés, afin de vérifier si la "renaturation" de certains sites va augmenter la diversité totale, ou au contraire faire disparaître des espèces qui avaient trouvé de nouvelle niches à coloniser.

16/07/2017

Plus de 100 moulins déjà détruits en Normandie: la dérive intégriste de l'administration, des syndicats et des pêcheurs est inacceptable!

Alors que les casseurs d'ouvrages hydrauliques continuent leurs méfaits en toute indifférence aux protestations des parlementaires et aux révisions des lois, les collectifs riverains et propriétaires se mobilisent. Nous reproduisons ci-dessous le communiqué de 5 associations (Association de valorisation du patrimoine hydroélectrique de Normandie VPH Normandie – Association de sauvegarde des moulins hauts-normands SM 27-76)- Association pour la sauvegarde de la Dives - Association des moulins et riverains du Perche ornais AMRPO - Association des amis des moulins 61) et de la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins (FFAM). Le document complet avec ses annexes est téléchargeable à ce lien. Nous conseillons aux associations locales de publier des communiqués similaires et de les adresser aux députés élus en juin dernier, ainsi qu'aux sénateurs. Mais également d'engager des contentieux et des occupations de site sur les projets de destruction les plus problématiques. La casse des moulins, étangs et usines hydrauliques doit cesser, comme l'ont déjà demandé à de nombreuses reprises les élus de la République.

Ces dernières années en Normandie, et spécialement dans le département du Calvados, plus de 100 retenues de moulins ont été détruites. Des dizaines d’autres moulins sont contraints de maintenir leurs vannes ouvertes, vidant les plans d’eau traditionnels, asséchant les cours d’eau et empêchant la production d’énergie.

Le coût de destruction de ce patrimoine séculaire s’élève déjà à plus de 13 millions d’euros à fin 2015 en Basse-Normandie (chiffres communiqués par l’Agence de l’eau).

Parmi ces dizaines de moulins détruits, certains produisaient de l’énergie, autrement appelés «microcentrales hydroélectriques». Cinq d’entre elles ont déjà été détruites, 6 autres doivent l’être dans les mois à venir (cf Annexe 1). Trois ont été rachetées par les Fédérations de Pêche du Calvados et de la Manche avec des fonds provenant intégralement de l’Agence de l’eau. L’Agence de l’eau est ainsi devenue, via les Fédérations de Pêche, le premier acheteur de microcentrales hydroélectriques de la région normande aux fins... de les détruire. Les fonds qu’elle engage dans ces opérations proviennent d’une taxe prélevée sur chacune de nos factures de consommation d’eau.


Destruction d'un ouvrage de la Sienne.

Ces rachats et destructions de microcentrales hydroélectriques normandes coûteront in fine près de 10 millions d’euros supplémentaires. Elles produisaient l’équivalent de la consommation électrique annuelle de 4 000 à 5 000 foyers en énergie verte et renouvelable. Ces opérations sont menées alors même qu’a été votée au mois d’août 2015 la loi de transition énergétique qui promeut le développement de la petite hydroélectricité en France...

Cette politique de destruction est aujourd’hui totalement assumée et encouragée par les pouvoirs publics locaux dont principalement la direction territoriale de l’Agence de l’eau Seine-Normandie, l’ONEMA* (intégrée dorénavant à l’AFB*), les Fédérations de Pèches départementales avec le soutien des services de la Préfecture du Calvados notamment.

Cette chasse aux sorcières « anti-moulins » est justifiée par une volonté de restaurer le « libre-écoulement des eaux » afin notamment de favoriser la remontée des poissons migrateurs. Pourtant l’article L214-17 du Code de l’Environnement qui encadre les obligations de continuité écologique ne prévoit pas la destruction des retenues de moulins traditionnels comme moyen d’assurer la circulation des poissons migrateurs mais bien «leur équipement ».

Devant l’émoi que suscite cette débauche d’argent public visant à détruire un patrimoine séculaire et une production d’énergie renouvelable traditionnelle, une table ronde a récemment été organisée à l’Assemblée Nationale le 23 novembre 2016 dernier en présence de nombreux députés. A cette occasion, les 5 scientifiques français auditionnés ont mis en exergue l’absence complète d’études sérieuses permettant de justifier ces destructions et les dangers qu’elles représentent pour l’écologie de nos rivières. Ils ont courageusement dénoncé une mainmise de certains lobbies écologistes jusqu’au-boutistes.


Destruction d'un ouvrage de la Rouvre.

Voilà des années que nos différentes associations ont dénoncé cette politique et exigé sans succès de recevoir les études qui démontreraient les effets positifs de ces destructions. Surtout, nous avons fait connaitre à ces institutions les données historiques, techniques et scientifiques indiscutables prouvant les multiples effets bénéfiques de la présence des retenues des moulins sur nos rivières au delà même de leur aspect patrimonial. Et notamment que les retenues formées par les moulins :
- améliorent la qualité des eaux en les épurant notamment en nitrates et phosphores,
- préservent la ressource en eau,
- atténuent les phénomènes de crue et d’érosion des terres,
- participent à la préservation et au développement des milieux aquatiques,
- favorisent les usages dont le tourisme, le canotage, la pêche et le développement de la production d’énergie verte et renouvelable.

Cette politique, soi-disant « écologiste », menée au prix d‘un gaspillage d’argent public exorbitant issu de nos taxes, se révèle ainsi dramatiquement « anti-écologique » pour nos rivières et alors que chacun sait que le problème réside dans la pollution excessive de nos eaux et non dans la présence multiséculaire des moulins (7 à 9 siècles d’ancienneté pour l’immense majorité des moulins normands).

A la suite de la table ronde et des propos des 5 scientifiques auditionnés, nos parlementaires ont réagi face à la dérive administrative constatée, et ont sanctionné l’article L214-17 en votant l’article L214-18-1 qui dégage partiellement les moulins «équipés pour produire de l’électricité» ou qui le seront, des obligations de «continuité écologique». Nous saluons notamment les parlementaires de notre région dont : M. Poniatowski, M. Lenoir, M. Huet, M. Revet, M. Bas, M. Loncle, M. Le Maire qui y ont activement participé avec d’autres.

Les pouvoirs publics locaux n’ont malheureusement pas pour autant renoncé à cette politique. De très nombreux moulins et microcentrales sont en ce moment même voués à la destruction.


Barrage de moulin et barrage de castor. Un impact fonctionnellement équivalent lorsque le seuil est modeste et comporte des voies de passage. Mais les barrages de castor sont protégés par la loi, tandis que l'administration française, les gestionnaires de rivière et le lobby de la pêche s'acharnent à détruire les chaussées de moulin. 

Afin de permettre aux médias, aux élus, aux riverains, et plus largement aux citoyens de se faire leur propre opinion à ce sujet, ce communiqué comporte 9 annexes justifiant nos propos notamment sur le rôle bénéfique incontestable des retenues de moulins dans le cadre de la gestion de nos eaux et des milieux aquatiques (cf Annexe 6, annexe 7 et annexe 8) et l’inanité complète de cette politique.

Nos 6 associations demandent, au vu de ces données qui déterminent que la destruction des retenues de moulins est parfaitement contraire aux principaux enjeux légaux établis ainsi qu’à l’intérêt général que :
- les projets de destruction de moulins en cours soient suspendus
- les projets de destruction de 6 nouvelles microcentrales hydroélectriques soient abandonnés et
que ces installations soient remises en service pour produire de l’énergie verte et renouvelable
conformément à la loi de transition énergétique d’août 2105
- des études d’incidence complètes sur les principaux enjeux légaux établis soient
systématiquement menées avant d’autoriser la destruction d’une retenue de moulin, ce qui n’est pas le cas à ce jour.

Nous souhaitons qu’un débat régional puisse se tenir à ce sujet avec ceux qui encouragent ces destructions, afin que nos élus et nos concitoyens intéressés par cette question puissent se faire leur avis et nous l’espérons trancher en faveur de la conservation des moulins normands plutôt qu’à la poursuite de leur destruction.

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29/06/2017

Comment la Fédération de pêche 21 pousse à la destruction des ouvrages de l'Ource: révélations

La Fédération de pêche 21 a réalisé un état initial des peuplements de poissons sur l’Ource à Prusly en 2015. La pièce n’est malheureusement pas versée au dossier en ligne de l’enquête publique. Sa lecture permet de constater que la Fédération de pêche a échantillonné un seul site (amont barrage) alors que ce type de diagnostic hydrobiologique sur les ouvrages hydrauliques doit couvrir plusieurs faciès (amont et aval, bief, zones adjacentes hors influence). Malgré cette limitation, et alors que l’analyse a été faite dans une année de forte sécheresse sur le bassin de l’Ource (2015), le résultat montre la présence de 10 espèces de poissons sur le site, dont des espèces d’eau fraîche comme la truite ou le vairon. L’indice poisson rivière, mesurant la qualité piscicole selon les critères de l’Union européenne, est en classe de qualité "bonne". Les populations de poissons du bief, menacé de disparition par le projet du SMS, n’ont pas été analysées alors qu’un travail précédent de la même Fédération de pêche avait montré que la classe de qualité piscicole d’un bief peut être en niveau "excellent" (cas de Maisey-le-Duc très proche de Prusly). Les autres espèces animales et végétales sont ignorées alors qu’elles représentent 98% de la biodiversité aquatique. Nous en concluons que la Fédération de pêche 21 est peu fondée à donner un avis favorable à la destruction des ouvrages et à la mise à sec du bief au regard de ses propres travaux. Les méthodes de communication employées sont clairement de nature à déformer la qualité de l’information aux élus et aux citoyens, et l'organisme manque à son devoir de protection des milieux aquatiques en ne signalant pas l'intérêt des biefs, observé dans ses études antérieures. Nous ferons donc réclamation au Préfet et à l'Agence pour la biodiversité compte-tenu de l’agrément public dont jouit cette Fédération.



Dans un courrier à M. le Commissaire enquêteur en date du 20 juin 2017, la Fédération de pêche 21 affirme par la voix de son président que :

 "le projet présenté par le pétitionnaire correspond à une action ambitieuse de restauration de la continuité écologique avec l’effacement total des ouvrages structurants sur l’Ource."

Elle ajoute :

"En 2015, la fédération a réalisé un état initial sur l’Ource au droit du projet sur la base de mesures thermiques en continu, d’un diagnostic physique et d’un inventaire piscicole complet. Ce rapport concluait de la façon suivante 'L’Ource à Prusly, affluent rive droite de la Seine, indique une perturbation de l’état piscicole qui se manifeste par un manque de diversité spécifique ainsi que par des effectifs inférieurs au potentiel de ce cours d’eau. La présence d’une succession de barrages le long du cours de l’Ource n’est pas sans conséquence sur l’habitabilité piscicole. En effet, les ouvrages engendrent une stagnation des eaux et donc un réchauffement important des eaux en été, pénalisant les espèces d’eau fraîche comme la truite ou le chabot. Le projet d’arasement permettra donc de rétablir la franchissabilité piscicole, de redynamiser les écoulements ainsi que de diversifier les habitats afin de favoriser les espèces repères du biocénotype comme la truite, l’ombre et leurs espèces d’accompagnement'."

Cette prise de position de la Fédération de pêche 21 appelle quelques commentaires.

Non mise à disposition des documents au public
Nous observons qu'au moment de l'enquête publique, le document cité n'était pas mis à disposition du public, ni sur le site de la préfecture, ni sur le site de la fédération de pêche, ni sur le site du syndicat SMS. Nous avons dû en faire la demande par courrier électronique du 28 juin 2017. Ce document nous a finalement été envoyé.

Choix limitatif de site d'analyse à Prusly-sur-Ource
Concernant le site étudié, le document précise : "Station Prusly-sur-Ource Projet : l’Ource, affluent rive droite de la Seine à l’amont d’un barrage. La méthodologie repose sur le même principe que celle des stations précédentes."

Le plan indique que l'étude a été réalisée sur un seul point de mesure dans la retenue amont d'un barrage. Or, la littérature scientifique en hydrobiologie montre que ce n'est pas ainsi que l'on procède pour faire un état des lieux biologique au droit d'un ouvrage ou d'un tronçon (voir par exemple Le Pichon et al 2016 en France, Tummers et al 2016 au Royaume-Uni, Smith et al 2017 aux Etats-Unis sur un cas similaire d'état initial avant effacement).

En effet, on observe de fortes variations des populations (insectes, poissons, crustacés) selon que l'on prend des mesures à l'amont immédiat d'un ouvrage, à l'aval immédiat d'un ouvrage, dans une zone non directement impactée (quelques centaines de m à l'amont du remous / à l'aval de la chute), ou encore dans le bief de dérivation. Cette variation est très compréhensible : les stations autour d’un ouvrage ne présentent pas les mêmes habitats (vitesse, substrat, ripisylve, température), donc les populations vont se répartir différemment en fonction des besoins de leur cycle de vie et de leur optimum adaptatif.

A retenir : En faisant le choix d'un seul point de mesure à l'amont du barrage, la Fédération de pêche ne donne pas une image exacte de la diversité pisciaire au droit de l'Ource à Prusly. Ce travail ne permet donc pas d'estimer correctement l'enjeu local d'ichtyodiversité et, plus gravement, il donne une image tronquée des populations réellement présentes dans la rivière et dans le bief (non étudié). 

Ichtyodiversité réelle (10 espèces) à Prusly malgré le choix d'un seul site non représentatif de la diversité des faciès
Le rapport observe : "Sur l’ensemble de la station, 10 espèces ont été échantillonnées. Parmi celles‐ci, on retrouve la truite ainsi que ses espèces d’accompagnement (chabot, loche, lamproie de planer, vairon) mais également les espèces de la zone à ombre et à barbeau (blageon, chevaine, gardon, goujon)." Le schéma ci-dessous montre la réparation de abondances.

Le rapport signale : "Avec respectivement 514,8 ind/ha en densité numérique et 65,6 kg/ha en biomasse, l’échantillonnage de l’état initial de la station de Prusly-sur-Ource dénonce une faible productivité piscicole sur ce tronçon."

On doit faire observer à propos de la biomasse que :

  • il existe une forte variabilité interannuelle des démographies de poissons, donc le bilan d'une seule année ne permet pas de conclusion robuste,
  • le choix d'un seul site d'échantillonnage (au lieu de 4 à 6 normalement nécessaire dans le cas d’une analyse d’ouvrage hydraulique) ne permet pas de tirer des conclusions sur la biodiversité du tronçon,
  • l'année 2015 a été marquée par une canicule et une sécheresse soutenue sur les bassins Seine et Ource, cette situation étant connue comme défavorable aux poissons.

A retenir : Le travail de la Fédération de pêche sur une seule station d’échantillonnage, pas forcément la plus favorable et certainement pas représentative de la diversité des écoulements au droit de Prusly-sur-Ource, montre la présence de 10 espèces de poissons, dont certaines rhéophiles et migratrices. Cela permet de douter d’un problème de biodiversité pisciaire, d’autant que l’année de prélèvement (2015) a été marquée par une forte sécheresse pénalisante.

Usage peu légitime de la biotypologie théorique de Verneaux
La Fédération de pêche 21 continue de faire usage de la « biotypologie théorique » mise en oeuvre dans les années 1970 par l'hydrobiologiste français Jean Verneaux. Cette méthode consiste à comparer le peuplement actuel d'une station à son peuplement « théorique » tel qu'il a été estimé (par des données datant de 40 à 50 ans) sur une base statistique en fonction de la température, de la pente et de quelques autres propriétés physiques ou chimiques.



Cette méthode de biocénotypologie n'est plus considérée comme valide et est peu citée dans la littérature scientifique peer-reviewed en hydrobiologie. En effet, les calculs menés par Verneaux (1976, 1977) reposaient sur une base d’échantillonnage assez faible par rapport à ce qui se pratique aujourd’hui et le modèle statistique qu'il a proposé, quoique novateur à l'époque, ne décrit qu'une faible part de la variance réelle de répartition des espèces pisciaires dans les rivières. Par ailleurs, l’idée qu’il existerait des successions assez rigides de biocénoses avec des abondances très déterminées a été plutôt remise en cause par l’évolution de la recherche en écologie : on trouve bien sûr des espèces dominantes selon la position des stations dans le linéaire et d’autres facteurs mésologiques, mais il existe une assez forte variabilité spatiale et temporelle, ainsi qu’une dimension stochastique tenant à l’histoire de vie propre à chaque bassin versant. Dès la construction de l’indice de Verneaux 1976, 1977, on pouvait d’ailleurs observer que son modèle ne décrivait qu’un tiers environ des variations réelles d’espèces présentes, soit une valeur prédictive assez faible. L’idée (comme dans le graphique ci-dessus) que des populations « théoriques » calculées par modèle dans les conditions des années 1960 et 1970 aurait une valeur d’information pour nos choix dans les années 2010 n’est pas correcte.

C'est la raison pour laquelle la communauté de recherche française a mis au point au cours des années 2000 et 2010 un indice de qualité piscicole plus robuste : l'indice poisson rivière (IPR, cf Oberdorff et al 2002) devenu indice poisson rivière révisé (IPR+ cf Pont et al 2007, Marzin et al 2014). Voir point suivant sur l’IPR de l’Ource.

Enfin, le premier prédicteur de variation du modèle théorique de Verneaux était (de loin) la température. Donc à supposer que la Fédération de pêche prétende légitime l'usage de ce modèle ancien, elle ne remplit pas correctement son devoir d’information en omettant de préciser que les types théoriques de l’Ource dans les années 2010 ne seront probablement plus ceux des années 2050 et 2100, au regard des évolutions attendues du climat.

A retenir : la biotypologie théorique de Verneaux est un outil désormais daté dans l’histoire de l’hydrobiologie, car les hypothèses l’appuyant (schéma très précis à forte granularité d’abondances théoriques attendues en fonction de traits physiques de la rivière) n’ont pas été confirmées par la recherche. Les scientifiques français ont mis au point des nouveaux outils d’analyse de la qualité piscicole (IPR, IPR+) qui répondent aux pratiques actuelles de la recherche et aux normes de qualité écologique posées par la directive cadre européenne sur l’eau (DCE 2000). Nous déplorons qu’en 2017, des fédérations halieutiques à agrément public continuent de donner une image imprécise et peu pédagogique de ces évolutions des pratiques en ichtyologie. L’information qui en résulte est trompeuse car les rivières ne pourront pas revenir à ou tendre vers des "types théoriques" qui sont de simples modèles.

L'indice de qualité piscicole est de classe de qualité « bonne » à Prusly, même sur la zone d'influence du barrage
Quand la Fédération de pêche 21 utilise l'Indice poisson rivière (IPR) qui sert à définir la qualité piscicole des masses d'eau pour la directive cadre européenne, on constate que la classe de qualité est "bonne".

Or, ce résultat est obtenu dans la seule zone d'influence amont du barrage (sans analyse sur les stations adjacentes) et dans année défavorable (sécheresse 2015). Cela suggère que l'IPR de l'Ource à Prusly serait probablement dans la classe excellente avec un échantillonnage plus représentatif de la diversité des faciès réellement présents autour des barrages.

A retenir : la station de Prusly retenue par la Fédération de pêche 21, quoique la moins favorable en terme de diversité des faciès (amont barrage), est malgré tout en classe de qualité piscicole "bonne" au regard des normes européennes et de l’outil IPR. La diversité pisciaire des autres zones – aval barrage, bief, linéaire non impacté à proximité – n’est pas connue. Ce résultat montre qu’il existe un enjeu poisson assez faible au droit de l’ouvrage, et surtout un risque de perte de diversité car les espèces n’ont pas été étudiées sur l’ensemble des faciès qui vont disparaître à cause du chantier. 

Nécessité d’analyser la vie dans les biefs : exemple de la classe IPR « excellente » du bief de Maisey-le-Duc (2011)
La Fédération de pêche 21 a publié en 2011 un état des lieux du bassin de l’Ource. Dans ce précédent travail, il se trouve que la Fédération a analysé le peuplement d’un bief très comparable à celui de Prusly, en l’occurrence le bief de Maisey-le-Duc (voir données et carte ci-dessous.)



Or, on observe que:
  • le bief héberge 10 espèces de poissons, notamment une forte population de vairons, mais aussi des truites, chabots, loches franches et blageons,
  • la classe de qualité piscicole (IPR) du bief est "excellente", soit la meilleure classe possible.

A retenir : les travaux de la Fédération de pêche montrent que les biefs, comme ceux menacés par le chantier de Prusly-sur-Ource, hébergent de nombreuses espèces de poissons et peuvent être dans la meilleure classe de qualité écologique de l’Indice poisson rivière. Il n’est donc pas acceptable de mettre hors d’eau le bief de Prusly sans un examen préalable de sa biodiversité pisciaire et sans garantir qu’il n’y aura pas perte d’habitats et d'espèces (déjà pour les poissons, mais aussi pour tous les autres assemblages aquatiques et riverains). Il est regrettable que la Fédération, parfaitement informée des résultats antérieurs sur le bief de Masey en IPR excellent, n'ait pas éprouvé la nécessité d'étudier le bief de Prusly et de mettre en garde le SMS contre un chantier précipité.

Au delà des poissons : urgente nécessité d'une refonte des approches par l'Agence française pour la biodiversité
La richesse biologique des rivières et de leurs annexes hydrauliques comme les biefs ou étangs ne se limite pas aux poissons, qui ne représentent que 2% de cette diversité spécifique (Balian et al 2008). En France, il existe néanmoins une forte dominante de l’approche halieutique et ichtyologique datant du Conseil supérieur de la pêche (devenu en 2006 Office national de l’eau et des milieux aquatiques, puis intégré en 2017 dans l’Agence française pour la biodiversité).

Certains chercheurs ont déjà pu faire observer que cette spécialisation halieutique ne donne pas une image complète des milieux aquatiques et de leur évolution. Par exemple Lespez et al 2015 à propos des restaurations de rivière : « l'expertise halieutique domine la restauration écologique sur les autres aspects de la biodiversité (macro-invertébrés, macrophytes etc.) et l'expertise géomorphologique est souvent une part intégrée au projet sur les poissons. La situation s'explique principalement pour des raisons institutionnelles. La dimension scientifique du management des rivières est sous la responsabilité de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), une organisation largement dérivée du Conseil supérieur de la pêche (CSP) où les experts des espèces rhéophiles et lithophiles d'eaux vives, parmi eux des migrateurs, sont principalement représentés ». (Mêmes observations dans la thèse De Coninck 2015.)

Cette situation n’est pas durable et elle n’est pas saine pour nos choix publics sur la biodiversité : l'intervention sur les milieux aquatiques et riverains doit impérativement prendre en compte la végétation, le plancton, les invertébrés, les oiseaux, les mammifères, les amphibiens, etc. Il appartient de notre point de vue au service instructeur de l'Etat (Agence française pour la biodiversité) de mener désormais ces campagnes d'évaluation de la biodiversité, mais aussi de publier des guides méthodologiques complets permettant de mener ce travail sur l'ensemble des espèces dont le cycle de vie dépend des hydrosystèmes.

La politique des rivières et des zones humides ne doit plus être optimisée pour certaines catégories de poissons seulement, dans l’ignorance quasi-complète des autres espèces et biocénoses, y compris la biodiversité acquise dans les hydrosystèmes anthropisés.

En conséquence, le projet de Prusly-sur-Ource devrait être suspendu tant qu’il n’existe pas une analyse complète (y compris ichtyologique) de l’ensemble de l’hydrosystème à l’amont et à l’aval des barrages, ainsi que dans les annexes hydrauliques. Les problèmes écologiques et ichtyologiques ici soulevés ne préjugent pas par ailleurs de l'intérêt de l'hydrosystème aménagé pour le patrimoine, le paysage, l'agrément, le stockage d'eau ou l'énergie.