12/06/2015

En défense des seuils et barrages de France

Depuis 10 ans, l'Etat français s'est mis en tête d'en détruire le plus grand nombre de seuils et barrages des rivières de France, avec la complicité des Agences de l'eau. Non seulement les autorités et gestionnaires de l'eau ne parviennent pas à tenir leurs promesses de bon état des masses d'eau françaises, mais elles entendent détourner l'attention des amoureux des rivières sur des boucs émissaires bien commodes. Tous les moyens sont bons pour parvenir à cette fin : propagande peu scientifique sur le prétendu "impact majeur" des moulins et étangs sur la qualité chimique et écologique de l'eau, soutien bruyant ou acquiescement silencieux des lobbies des comités de bassin, classement massif, autoritaire et irréaliste des rivières à fin de continuité écologique, chantage à la subvention en faveur de l'effacement, harcèlement réglementaire des propriétaires… Pourtant, les petits barrages de moulins et étangs – que l'on appelle aussi seuils, chaussées, glacis, déversoirs, digues, écluses selon les endroits – offrent de nombreux intérêts. Présent pour la plupart sur leurs rivières depuis plusieurs siècles, ayant créé de longue date un profil d'équilibre local, ces ouvrages sont aussi appréciés des populations locales et riveraines qu'ils sont détestés des bureaucrates et des idéologues. Voici 25 arguments en faveur de leur préservation et de leur restauration, arguments que nous avons collectés au cours de nos nombreuses réunions publiques et visites de site. Et d'abord, pour les élus, personnalités et institutions, un appel à moratoire sur l'effacement des seuils.


Pour un moratoire sur la continuité écologique
Si vous êtes un élu, une personnalité ou une institution (association, etc.), vous pouvez désormais signer la demande de moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique. (Attention, ce n'est pas une pétition " de masse" ouverte à chaque citoyen individuellement, mais une demande devant être signée par les forces vives des territoires, en vue d'une remise officielle au Ministère de l'Ecologie en 2016). 


25 arguments sur l'intérêt des ouvrages hydrauliques
de nos rivières


Intérêts (et moindres impacts) morphologiques et hydrauliques

- Les seuils diversifient les écoulements et donc les habitats d'un tronçon, leurs retenues créent des mouilles profondes favorables à certaines espèces aquatiques et terrestres.

- Les seuils n'empêchent pas la rivière de disposer d'écoulements naturellement variés en dehors de la zone d'influence des remous liquides amont, donc ils n'impactent pas réellement la morphodiversité à échelle des bassins versants.

- Les seuils ont un impact le plus souvent négligeable sur le transport solide en charriage et suspension, la sédimentation amont et l'érosion aval ne modifiant pas substantiellement les dynamiques sédimentaires des bassins versants.

- Les seuils contribuent souvent à la régulation de crues modestes par divers mécanismes (effet retenue, diffusion latérale vers des champs d'expansion au niveau de la ligne d'eau amont, dissipation d'énergie au droit du ressaut hydraulique) et ils ralentissent la cinétique des crues/inondations.

Intérêts (et moindres impacts) biologiques

- En période d'étiage sévère, les seuils et leurs retenues sont parfois les dernières zones de refuge. En zone karstique, il arrive que les "fausses rivières" des biefs soient les seuls canaux en eau au cours de l'été.

- Les seuils peuvent ralentir sur certains bassins la progression d'espèces invasives ou indésirables vers les zones amont des bassins (écrevisses américaines, silure, perche-soleil, etc.).

- Bon nombre de seuils sont entièrement noyés lors des crues et deviennent franchissables aux espèces piscicoles. De même, il est fréquent que les bords de seuils en rive offrent des échancrures (jadis destinées à l'écoulement des débits réservés) en eau toute l'année et franchissables aux poissons ayant de réels besoins migrateurs.

- Même s'ils abritent localement des espèces préférant les habitats lentiques banalisés, les seuils et leurs retenues contribuent à la biodiversité totale du bassin versant en diversifiant la faune aquatique et en augmentant le nombre total d'espèces.

- Au XVIIIe siècle, et alors que plus de 80% des seuils actuels étaient déjà présents sur les rivières, les espèces migratrices se retrouvaient en tête de bassin versant (saumons, aloses, lamproies marines, etc.), suggérant que la petite hydraulique bien gérée est compatible avec les migrations piscicoles.

Intérêts (et moindres impacts) physico-chimiques et écologiques

- Bien que leur bilan d'oxygène total retenue + chute soit nul, les chutes des seuils créent une zone suroxygénée à l'aval, qui peut être bénéfique dans certaines périodes de stress intense.

- Les seuils ralentissent la progression des pollutions aiguës.

- Les seuils ont un effet tampon et stockent certaines pollutions diffuses, de sorte que le curage d'entretien de leur retenue équivaut à une dépollution locale.

- Sur certaines substances (cycle de l'azote), les seuils ont plutôt un effet épurateur pour les rivières.

- Les grilles des biefs en activité récupèrent les matières plastiques et autres charges polluantes qui, sans cela, se disséminent dans le milieu (jusqu'à l'estuaire).

- Les retenues des seuils offrent une plus grande surface exposée au soleil (ce qui contribue au réchauffement superficiel) mais une plus grande profondeur (ce qui contribue au refroidissement de fond), de sorte que leur bilan thermique n'est pas toujours défavorable (il dépend de la structure d'écoulement vers l'aval, par le fond ou par la surface, et du niveau de stratification thermique).

Intérêts économiques et sociaux

- Les seuils et leurs moulins sont souvent aménagés en chambre d'hôtes et gîtes ruraux, très recherchés par les amoureux des rivières, contribuant à l'attrait des vallées et des territoires.

- Les seuils forment par leur hauteur de chute un potentiel de production qui peut être mobilisé aisément dans le cadre de la transition énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique.

- Les seuils peuvent servir à divers professions (pisciculture, agriculture, hydroélectriciens, etc.) qui contribuent à faire vivre des territoires ruraux souvent désertés pour la plupart de leurs bassins d'emplois.

- Les seuils sont des zones appréciées des baigneurs, des promeneurs, des pêcheurs et de divers usagers qui tirent profit des services rendus par leurs singularités hydrauliques.

- Dans certaines zones isolées, les seuils servent de réserves d'eau pour les pompiers.

Intérêts paysagers, urbanistiques et touristiques

- Les seuils ont façonné les berges des milieux urbanisés où ils garantissent un certain niveau quasiment constant, les riverains étant attachés à ce paysage de plans d'eau successifs offert toute l'année.

- Les seuils évitent la quasi-disparition des lits au plus fort de la période estivale et les zones marécageuses induites par les variations du lit (zones appréciables en milieu naturel, mais combattues en milieu à forte densité humaine en raison des nuisances induites).

- Les seuils sont parfois la condition de stabilité des constructions en berge (fondations bois en permanence en eau) et des autres ouvrages d'art à proximité sur le tronçon.

Intérêts historiques et patrimoniaux

- Les seuils témoignent de deux millénaires d'usages de l'eau, rappelant que la petite hydraulique a soutenu l'essor de l'artisanat, de la petite industrie, de l'agriculture, et a contribué au premier chef à la dynamique d'occupation des territoires français.

- Les seuils sont une clé de lecture pédagogique pour tous les animateurs scolaires et culturels, en raison des nombreux usages qui les ont accompagnés à travers l'histoire et de leur importance dans la construction des paysages de vallée.

En conclusion
En Côte d'Or, en Bourgogne et dans toute la France, les associations de moulins reçoivent un nombre croissant d'adhésions de la part des propriétaires d'ouvrages hydrauliques, des riverains et des citoyens outrés par les absurdités et les gabegies de la politique française de l'eau, en particulier par la destruction planifiée de notre patrimoine hydraulique. Il n'y a aucune fatalité à s'enfermer dans cette impasse qui non seulement détériore la qualité de notre cadre de vie, mais qui en plus n'empêchera nullement la France d'être condamnée pour non-atteinte du bon état chimique et écologique de ses masses d'eau.

A savoir : rencontres du 27 juin 2015 pour affirmer notre reconquête des rivières
Le samedi 27 juin à Genay (Côte d'Or), nous exposerons lors de nos rencontres hydrauliques régionales quelques moyens que l'on peut mettre en oeuvre pour s'opposer concrètement à la destruction des ouvrages et aux futures mises en demeure de l'administration. Venez nombreux pour échanger et débattre. Invitation à retirer à hydrauxois(at)gmail.com

06/06/2015

Avis négatif sur le SDAGE Seine-Normandie

Le Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux du bassin de Seine-Normandie, porté par l'Agence de l'eau (AESN), est soumis à enquête publique jusqu'au 18 juin prochain. Nous invitons nos adhérents et sympathisants à donner leur opinion dans le questionnaire en ligne, et nous exprimons ci-dessous les réserves qui nous conduisent à refuser ce SDAGE. Les principales raisons en sont le déficit démocratique de la gouvernance, l'absence de représentants des moulins et des riverains dans les processus de décision, l'inefficacité de l'action publique pour l'état chimique et écologique des rivières du bassin, le manque de transparence et d'accès aux données réelles sur cet état, le caractère autoritaire et irréaliste des mesures de continuité écologique, l'inégalité persistante devant les charges publiques liées à l'amélioration de la qualité de l'eau. Ces points seront soumis au Préfet coordonnateur de bassin.

L'association Hydrauxois observe que :

- le 2e Collège du Comité de bassin ne comporte aucun représentant des moulins ni des riverains, les commissions techniques et géographiques de l'AESN n'ont pas procédé à des auditions systématiques des associations et fédérations rassemblant ces usagers, en conséquence le SDAGE dès sa conception ne respecte pas le principe d'une gestion équilibrée de l'eau et d'une participation démocratique aux décisions la concernant;

-  le bon ou très bon état écologique des rivières de Seine-Normandie ne concerne que 38% d'entre elles, très loin de l'objectif affiché et maintes fois répété de 68% pour 2015, laissant planer un sérieux doute sur l'efficience de la dépense publique en matière de gestion de l'eau du bassin;

- le bon état chimique ne concerne que 32% des masses d'eau, le déclassement en mauvais état venant dans la majorité des cas de la pollution diffuse des HAP, sans que ce déclassement chimique ne soit réellement analysé dans ses causes, ses conséquences (réglementaires et environnementales) ni les moyens réels d'y remédier pour respecter nos obligations de bon état chimique et écologique de 100% des masses d'eau à l'horizon 2027;

- les documents présentés en analyse au public n'offre aucun accès aux données brutes d'analyse de la soixantaine d'indices de qualité biologique, physico-chimique et chimique exigés par la mise en oeuvre de la directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000);

- les services techniques de l'AESN n'ont pas été en mesure de nous fournir un fichier de données démontrant que les mesures de qualité de la DCE 2000 sont réellement et intégralement effectuées sur l'ensemble des masses d'eau du bassin (les fichiers fournis n'offrant que des résultats partiels eu égard à nos obligations de suivi et rapportage de la qualité de l'eau), ce qui induit un soupçon légitime d'un défaut de connaissances scientifiques approfondies de l'état écologique et chimique réel de chaque bassin versant, donc d'un défaut de fondement objectif pour les décisions du SDAGE relatives à la priorisation et hiérarchisation des mesures de gestion de l'eau;

- dans le domaine de la restauration morphologique et de la continuité écologique, l'Agence de l'eau SN n'arrive de son propre aveu à suivre en moyenne qu'une centaine de travaux sur les seuils et barrages par an sur l'ensemble du bassin, admet elle-même que 750 ouvrages seulement seront suivis entre 2016 et 2021, cela alors que le nombre de seuils classés L2 sur le bassin est compris entre 5000 à 7000 ce qui impliquerait un rythme de gestion des dossiers dix fois plus important que celui admis comme réaliste par l'Agence de l'eau;

- le projet de schéma directeur du SDAGE SN acte de la difficulté de mise en oeuvre des opérations de restauration morphologique, en particulier de celles concernant les aménagements de seuils et barrages en lit mineur : coût économique important, complexité technique sous-estimée, manque d'acceptabilité sociale et de consensus politique, difficulté à caractériser le bénéfice environnemental des travaux liés à ce compartiment;

- le SDAGE ne tient aucun compte de son propre constat de difficulté sur la période 2004-2015 et son Orientation 19 du projet (Assurer la continuité écologique pour atteindre les objectifs environnementaux des masses d’eau) se contente de réitérer les mêmes objectifs sans apporter de solution nouvelle pour s'affranchir des limites mises en lumière dans le bilan;

- plus gravement encore, le SDAGE SN 2016-2021 ferme dans son Orientation 19 la porte à toute évolution de la réflexion sur l'aménagement des ouvrages et se contente d'enjoindre l'administration à persister dans une voie qui donne déjà lieu à des contentieux judiciaires, des protestations politiques, des difficultés économiques et troubles sociétaux sur les rivières;

- en particulier, le SDAGE ne modifie en rien la politique actuelle de l'Agence de l'eau SN qui consiste à financer la seule destruction des seuils et barrages, laissant aux propriétaires publics et privés la charge exorbitante de supporter le coût élevé des aménagements de continuité écologique, cela en contradiction avec le principe d'égalité des citoyens eu égard aux nombreuses aides publiques accordées à des usagers ayant des activités bien plus dégradantes pour la qualité de l'eau que la présence de seuils et barrages.

En conséquence de ce qui précède, l'Association Hydrauxois :

- donne un avis négatif au projet actuel de SDAGE 2016-2021 sur le bassin Seine-Normandie;

- demande au Préfet coordonnateur de bassin de différer l'adoption de ce SDAGE afin d'apporter une réponse adaptée aux manquements signalés dans la présente;

- examinera l'opportunité d'un recours en contentieux administratif si le SDAGE Seine-Normandie venait à être adopté sans que ces demandes soient satisfaites.

21/05/2015

Vidange du lac de Pont et décharge sédimentaire dans l'Armançon

Paysage lunaire de la retenue du barrage de Pont-et-Massène, où l'Armançon recreuse son lit primitif dans les sédiments accumulés au fond du lac. On note une forte turbidité de la rivière sur l'aval du barrage, jusqu'à la confluence avec la Brenne. L'association Hydrauxois avait demandé lors de l'enquête publique la pose d'une sonde pour estimer l'importance de cette décharge de matières fines en suspension... qu'en est-il?





14/05/2015

Mortalité des poissons en turbine, une analyse critique

Andreas Rick (ingénieur) nous a fait parvenir une intéressante étude critique sur la mortalité des anguilles en turbine telle qu'elle est aujourd'hui considérée par les services instructeurs de l'Onema. Son analyse met notamment en lumière la faible robustesse (voir non significativité) statistique de certains modèles de mortalité présentés comme références. Elle souligne aussi que ces études concernent des sites de puissances importantes, sans commune mesure avec les équipements modestes des moulins. Ce dernier point est un travers fréquent des travaux menés sur l'hydraulique en lien avec l'environnement, travaux qui ont souvent été réalisés sur des grands sites dont l'hydraulicité n'est pas représentative de la problématique des seuils, chaussées et glacis.

A lire : Rick A (2015), Mortalité des anguilles dans les turbines : les conclusions de l’Onema sont-elles robustes et applicables aux moulins ? (pdf)

09/05/2015

Rivières de Seine-Normandie: 50% des déclassements biologiques associés à l'indice diatomées (13% aux poissons)

Les diatomées sont des algues unicellulaires brunes, dont la taille varie de 5 à 500 µm. Ce sont elles qui forment, par agrégation d'autres éléments microbiens, les biofilms visqueux autour des pierres de fond de rivière. Les diatomées sont utilisées pour évaluer la qualité des cours d'eau à travers l'Indice biologique diatomées (IBD) et l'Indice de polluosensibilité spécifique (IPS).

Leur propriété de bio-indicateurs s'explique par un cycle de vie rapide (permettant de déceler des pollutions ponctuelles), une forte sensibilité aux nutriments (azote, phosphore) et aux matières organiques, une variabilité selon le pH et le taux d'oxygénation. Dans l'ensemble, les diatomées sont considérées comme des indicateurs d'eutrophisation selon la répartition des espèces que l'on retrouve dans l'échantillon d'analyse. La qualité de l'indice sera inversement proportionnelle à la surface agricole cultivée des sols versants, à l'absence de peuplement forestier, à l'altération de la bande riveraine.

A la lumière de ces informations, il est particulièrement intéressant d'observer que dans l'Etat des lieux 2013 du bassin Seine-Normandie – dernier exercice disponible et texte de référence pour le SDAGE en cours de discussion –, les diatomées représentent à elles seules 50% des cas de non-atteinte du bon état écologique des rivières au sein des seuls indicateurs biologiques. Rappelons que la méthode d'analyse de l'état écologique d'une rivière consiste d'abord à mesurer ses indices biologiques (diatomées, poissons, macrophytes, invertébrés, phytobenthos), et si ceux-ci sont dégradés, à vérifier les indices de pollution chimique ou d'altération physico-chimique.

Le même Etat des lieux indique que 37% des rivières déclassée pour cause biologique le sont à cause des invertébrés, et 13 % seulement des poissons. On en déduira (une fois de plus) que le dogme selon lequel les obstacles à la continuité longitudinale (seuils et barrages) sont une cause majeure de dégradation des rivières est mis à mal sur ce bassin. Comme il l'est au demeurant sur la plupart des rivières d'Europe au regard des premières analyses quantitatives à grande échelle dont nous disposons dans la littérature scientifique.

A lire en complément : Auto-épuration des rivières, quand l'Onema contredit l'Onema (pour répondre à l'argument assez aberrant selon lequel l'excès de pollution en rivière serait imputable… aux seuils et barrages)
Illustration : in AE/Artois-Picardie, DR
Source : Agence de l'eau Seine-Normandie, Etat des lieux 2013