15/09/2022

Barrages, gestion des barrages et sécheresses: précision sur un communiqué de FNE

Dans un communiqué, France Nature Environnement prétend que les suppressions de barrages améliorent la situation en cas de sécheresse. Ce lobby copie-colle un argument selon lequel une étude espagnole aurait montré que les barrages aggravent les sécheresses. Nous détaillons ce que dit exactement cette étude, qui en réalité pointe la question non des barrages eux-mêmes, mais des règles de gestion et partage de l'eau des barrages entre l'amont et l'aval. La même étude signale que les rivières non régulées sont vulnérables à l'aggravation tendancielle des sécheresses, ce qui contredit les assertions de France Nature Environnement – mais confirme la triste expérience des riverains dont les cours d'eau ont été saccagés au nom de la "continuité écologique" et ont subi de plein fouet la gravité de la sécheresse. 


France Nature Environnement a produit un communiqué pour dire que les barrages et plans d'eau ne sont surtout pas une solution aux sécheresses. Et combien il est utile de les détruire sous le vocable flou de la "renaturation". Nous passerons ici sur l'assertion fantaisiste du lobby selon laquelle les riverains de Mayenne, cités dans le communiqué, ont vécu avec joie au bord des rivières où les ouvrages hydrauliques avaient été détruits : la presse régionale a au contraire multiplié pendant l'été les rapports sur les plaintes au bord de ces rivières sans eau lorsque les plans d'eau ont été détruits au nom de la "continuité écologique", alors que le problème a été moins aigu dans celles où ces ouvrages avaient été préservés (voir ici, ici, ici, etc.).  Que des bureaucraties publiques manient une certaine langue de bois pour nier ou euphémiser les conséquences négatives de leurs actions, c'est un peu usuel. Qu'elles trouvent des citoyens complices dans cette négation de la réalité, c'est bien triste.

Ce communiqué comporte l'assertion suivante :
"À l’échelle plus large du bassin, il est également à noter que plusieurs études ont démontré que la présence de plusieurs barrages sur un même cours d’eau pouvait aggraver la sécheresse. En Espagne, pays fortement impacté cette année par les assecs, l’analyse a montré, au regard des sécheresses entre 1945 et 2005, que les épisodes les plus sévères et les plus longs avaient lieu sur les bassins les plus régulés par la présence de barrages."

Il importe de clarifier ce point, surtout que des experts très engagés dans la justification de la politique des agences de l'eau ont aussi fait des affirmations semblables et un peu rapides (voir ce lien). 

Cette assertion sans référence concerne le travail suivant : Lorenzo-Lacruz, J., Vicente-Serrano, S. M., González-Hidalgo, J. C., López-Moreno, J. I., & Cortesi, N. (2013). Hydrological drought response to meteorological drought in the Iberian Peninsula. Climate Research, 58(2), 117-131.

Notons que ce travail est avant tout une caractérisation de le réponse des sécheresses hydrologiques aux sécheresses météorologiques, pas une étude spécifique sur le rôle des barrages. Ceux-ci sont simplement mentionnés dans le cadre des rivières "régulées".

Voilà exactement ce que dit cette étude concernant la question des barrages et de la régulation de l'eau :
"Une tendance récente au développement de différentes approches pour évaluer les sécheresses fluviales se dessine, englobant l'étude des bassins fluviaux perturbés et régulés, qui correspondent à la plupart des grands bassins des pays en développement comme des pays développés. Par exemple, Timilsena et al. (2007) ont évalué des scénarios de sécheresse du bassin du fleuve Colorado (États-Unis), y compris des sous-bassins hydrologiques perturbés. Wu et al. (2008) ont suivi une approche similaire, en utilisant une approche par niveau de seuil et la théorie des parcours pour analyser les sécheresses d'écoulement dans le bassin du fleuve Missouri au Nebrasaka (États-Unis), malgré les nombreux barrages et réservoirs construits pour l'irrigation et d'autres utilisations à l'intérieur du bassin. Wen et al. (2011) ont également évalué les impacts de la régulation et du détournement des eaux sur la nature des sécheresses hydrologiques dans la rivière Murrumbidgee (Australie). Ainsi, inclure les rivières régulées dans l'évaluation des sécheresses hydrologiques devrait être une tâche obligatoire puisque la régulation et la gestion de l'eau peuvent renforcer les sécheresses d'écoulement en aval des barrages. Cela a été démontré dans différents bassins de la péninsule ibérique.
 
Par exemple, Lopez-Moreno et al. (2009) ont évalué les effets d'un grand barrage transfrontalier entre l'Espagne et le Portugal sur les sécheresses hydrologiques dans le bassin du Tage (péninsule ibérique ; IP), montrant comment la nature des sécheresses avait subi de graves changements en aval du barrage d'Alacantara. Ces changements sont associés à une augmentation de la durée et de l'ampleur des épisodes de sécheresse comme conséquence de la gestion du barrage, avec des implications pour la disponibilité des ressources en eau en aval affectant la partie portugaise du bassin. En amont du bassin du Tage, Lorenzo-Lacruz et al. (2010) ont également montré comment l'exploitation de barrages à des fins d'irrigation et de transfert d'eau a modifié le régime naturel de la rivière et augmenté la durée et l'ampleur des étiages en aval, avec des implications sur la disponibilité et la qualité de l'eau à moyen terme. cours de la rivière. Cela a été une grande source de conflits entre les écologistes, les organisations agricoles du bassin et les gestionnaires de l'eau. Ainsi, indépendamment de l'origine des sécheresses fluviales (climatique ou induite par la gestion de l'eau), elles provoquent des impacts négatifs et soulignent la nécessité d'analyser en profondeur les impacts de la gestion de l'eau sur les sécheresses hydrologiques. Les résultats des études citées ci-dessus sont encore plus intéressants que ceux centrés sur les bassins « naturels » puisque des recommandations opérationnelles de gestion de l'eau peuvent en découler. Toutes les études citées ont indiqué que la gestion de l'eau associée à l'exploitation des réservoirs est responsable de l'agrégation temporelle et de l'aggravation des sécheresses hydrologiques en aval des barrages.

Les objectifs de notre étude étaient centrés sur la caractérisation des sécheresses hydrologiques dans la Péninsule ibérique, indépendamment du niveau de régulation des cours d'eau, avec un périmètre limité à l'évaluation des changements observés dans la durée et l'ampleur des sécheresses fluviales. Cependant, étant donné que dans la réalité, les fleuves ibériques sont pour la plupart régulés et affectés par diverses activités humaines, l'inclusion de systèmes régulés est nécessaire pour englober la variabilité et les impacts induits par les barrages sur les changements dans les sécheresses de débit. Ainsi, l'analyse permet de définir des régions hydrologiques indépendantes avec des caractéristiques de sécheresse distinctes (il est à noter que les sécheresses les plus sévères et les plus durables ont été observées dans les bassins à haut degré de régulation)."

Notons d'abord que la corrélation entre niveau de sécheresse et niveau de régulation des rivières n'est pas surprenante, ni concluante en soi : c'est bien dans les zones tendues où l'eau manque le plus que l'on cherche des parades. Les parapluies sont aussi plus nombreux en zone pluvieuse, mais ils ne provoquent pas pour autant la pluie...

Surtout, le point des auteurs n'est pas que les barrages aggravent la sécheresse, mais que la mauvaise gestion de l'eau des barrages peut les aggraver, essentiellement à l'aval. Ce point, largement documenté et à l'origine de conflits nombreux d'usages, signifie que si l'eau est stockée et utilisée à l'excès en amont, notamment pour des usages d'agriculture intensive (ou de tourisme massif), elle peut manquer à l'aval. Mais c'est un problème de gestion du barrage (et des usages de l'eau), pas du barrage lui-même. Il existe aussi de nombreux autres cas où des conventions de gestion permettent le partage bénéfique de l'eau des réservoirs sur l'ensemble du bassin, y compris avec des soucis écologiques d'éviter les assecs complets de rivières (préservation du débit environnemental, zone refuge comme noté par l'étude de Beatty et al 2017). Plusieurs régions auraient d'ailleurs une chute brutale de leur fréquentation touristique si le débit estival des rivières n'était pas soutenu par les réservoirs amont. 

Au demeurant, le même travail souligne que les bassins non régulés par des barrages et réservoirs sont aussi vulnérables aux sécheresses:
"Dans les bassins non régulés, la durée et l'ampleur croissantes de la sécheresse affectent le maintien des débits écologiques et menacent le maintien des écosystèmes riverains et fluviaux. L'absence de réservoirs pour lisser les impacts de la sécheresse sur les débits natureks augmente la vulnérabilité de ces bassins à la survenue de sécheresses."
C'est donc un contensens de dire simplement que le travail de Lorenzo-Lacruz et al. conclut que les barrages aggravent la sécheresse : d'une part ce n'est pas l'objet spécifique de leur étude, comme ils le reconnaissent ; d'autre part c'est le problème de la gestion de ces barrages (de l'eau en général) qui est mentionné dans l'étude ; enfin l'absence de barrages crée aussi de la vulnérabilité. 

Un autre point à rappeler est que l'écologie consiste à tenir compte des contextes : les régions semi-arides (à pluviométrie structurellement déficitaire par rapport à l'évapotranspiration) n'ont pas les mêmes enjeux que les régions tempérées. Une recherche pionnière menée aux Etats-Unis, couplant modèles hydrologiques, modèles climatiques et modèles d’usage de sols montre que dans les zones tempérées et à condition d’éviter l’agriculture intensive la plus consommatrice d’eau estivale, les barrages vont jouer un rôle positif pour limiter les effets des sécheresses hydrologiques et agricoles liées au réchauffement climatique. Cela ne se vérifie cependant pas dans les zones les plus arides et celles qui ont une utilisation excessive de l’eau agricole d’été (voir recension de Wan et al 2018... qui avait déjà été déformée par FNE dans une autre de ses communications). Une telle simulation n’existe pas à échelle de l’Europe. 

Conclusion : qu'un lobby (et parfois aussi bien un chercheur, un expert) ait une préférence pour la nature sauvage quitte à créer des pénuries pour la société, c'est tout à fait entendable en démocratie. Chacun a ses opinions et préférences. Cela ne doit cependant pas mener à travestir le sens exact et le contenu complet des résultats scientifiques. Les exemples de rôle bénéfique des barrages dans la gestion des crues et sécheresses sont innombrables dans le monde, sans parler de leurs nombreux usages sociaux et économiques. Les exemples de conflits d'usages de l'eau ou de mauvaises gestions de barrages sont nombreux aussi. Il convient donc de travailler à réduire ces conflits et à améliorer cette gestion pour le bénéfice du plus grand nombre et de l'environnement. C'est la définition de l'intérêt général et d'une écologie pragmatique, nous semble-t-il. 

A retenir
  • Les barrages ne créent ou n'aggravent pas en eux-mêmes des sécheresses météorologiques ou hydrologiques
  • Une mauvaise gestion de l'eau des barrages peut aggraver des sécheresses hydrologiques, en particulier en aval
  • Des barrages ayant des règles de gestion de l'eau conformes aux enjeux d'intérêt général définis sur chaque bassin versant sont des outils d'atténuation des effets des sécheresses (comme des crues)
  • Des rivières sans outil de gestion sont vulnérables aux aléas climatiques et hydrologiques, qui vont s'aggraver avec le changement climatique
  • La réponse des bassins versants à l'usage des barrages et aux évolutions hydro-climatiques n'est pas la même en zone aride ou tempérée
  • Les barrages ne sont qu'une des options à mobiliser avec d'autres pour stocker l'eau dans tous les bassins versants, ce qui passe aussi par d'autres pratiques sur les sols, les zones humides, les cultures (points sur lesquels nous pouvons avoir des accords avec FNE)
  • Les lobbies de la destruction des barrages en place sont les lobbies de l'aggravation de la pénurie de l'eau et de l'énergie, à ce titre ne sauraient inspirer la norme publique

12/09/2022

Ensemble, dénonçons les casseurs d'ouvrages qui aggravent les pénuries d'eau et d'énergie

Entre la pénurie d'eau de l'été et la pénurie d'énergie de l'hiver, le ras-le-bol s'amplifie contre la politique de destruction des seuils et barrages sur les rivières françaises. D'autant que la loi a déjà condamné cette politique, mais certaines administrations font comme si la loi ne les concernait pas et continuent de mener une action dénuée de toute légitimité démocratique. Les fédérations de moulins, de riverains, d'étangs, de protection du patrimoine et Hydrauxois ont engagé une démarche commune : saisine du ministre en charge de l'administration eau & biodiversité pour qu'elle respecte les choix du législateur, saisine des parlementaires pour enquêter sur le bilan de la continuité écologique, saisine de la justice pour faire annuler les dispositions des SDAGE 2022-2027 qui persistent dans la gabegie, la destruction de la ressource en eau, la suppression du potentiel hydro-électrique, la disparition des écosystèmes liés aux ouvrages. Vous aussi qui nous lisez, particuliers, associations ou collectifs de terrain, diffusez ces éléments partout. 


Nous demandons à nos lecteurs de 
  • télécharger les pièces ci-dessous
  • les diffuser aux élus locaux, leur député, leur sénateur, avec un ajout personnel sur un cas local si besoin
  • les communiquer à la presse locale (ou nationale si contact), avec là encore des exemples précis si besoin
A télécharger

10/09/2022

Le Conseil national de transition écologique trompe les citoyens et préfère la pénurie

En France, tout le monde dit qu'il faut agir... mais chacun veut mettre des freins à l'action des voisins! Sans surprise, les lobbies hostiles à l'hydro-électricité et à l'exploitation des sources naturelles non fossiles d'énergie sont aussi hostiles au projet de loi d'accélération de l'énergie renouvelable. Le Conseil national de la transition écologique vient de publier un avis réservé sur ce projet de loi, comportant une assertion trompeuse pour les décideurs en ce qui regarde l'hydro-électricité. Nous montrons ici pourquoi cette assertion est fausse. La recherche constate bel et bien que les freins règlementaires sont devenus la première cause de moindre développement récent de l'hydro-électricité. Soit exactement le problème que veut trancher la loi. Les Français doivent prendre conscience de l'attitude délétère de ceux qui, disant "non" à tout, encouragent aujourd'hui et demain la pénurie alors même que les factures explosent, que des entreprises ferment, que le réchauffement climatique déchaîne les événements extrêmes, que la France est en retard sur la transition bas-carbone et que l'Europe est affaiblie par son manque d'indépendance énergétique.


Le Conseil national de la transition écologique vient d'émettre un avis sur le projet de loi d'accélération de l'énergie renouvelable, qui sera discuté à compter d'octobre au parlement.

Cet avis comporte cette assertion :
"le potentiel de développement en hydroélectricité est limité ; l’enjeu porte sur l’optimisation des grands ouvrages existants permettant le stockage et la production de pointe, dans le respect des objectifs de bon état et continuité des cours d’eau"
Cette assertion est fausse. Son origine est connue, elle n'est pas scientifique mais politique : il s'agit d'un élément de langage de groupes pêcheurs et/ou naturalistes militants qui ont bloqué par leur actions et dès les années 1980 le programme hydraulique de la France et de plusieurs pays européens, puis incité dans les années 2000 le législateur et l'administration à engager une politique scandaleuse et délétère de destruction des ouvrages hydrauliques. Certains de ces groupes font partie du CNTE, mais nous regrettons l'absence de vigilance des autres membres de ce conseil, qui laissent passer de telles manipulations sans exiger des preuves.

La recherche montre que le potentiel hydro-électrique français et européen n'est pas exploité complètement, et que la petite hydro-électricité l'est assez peu
En réalité, le potentiel de développement de la petite hydro-électricité a été étudié par deux publications scientifiques récentes, celles de Punys et al 2019 et celle de Quaranta et al 2022.

La première publication conclut que l'on peut relancer au moins 24878 sites hydro-életriques déjà présents en France, soit une production de l'ordre de 4 TWh pour ces seuls sites. Mais ce chiffre représente un tiers de la catégorie "seuils" et "barrages" du Référentiel français des obstacles à l'écoulement (une liste administrative de tous les ouvrages présents dans les rivières françaises). Punys et al observent que le régulations environnementales sont devenues la première cause de ralentissement de l'hydro-électricité : "Au cours des dix dernières années, le potentiel des nouvelles petites centrales hydro-électriques  a été considérablement affecté, la tendance à la baisse découlant de la législation environnementale qui protège des zones désignées, telles que Natura 2000, les zones affectées par la directive-cadre sur l'eau (DCE), etc.". Ce constat rend donc parfaitement légitime le souhait de la loi d'accélération de l'énergie renouvelable quant aux simplifications liées à ces contraintes règlementaires.

La seconde publication, utilisant une méthodologie différente, conclut que la seule petite hydro-électricité européenne (moins de 10 MW) a un potentiel de 79 à 1710 TWh. La fourchette extrêmement importante démontre que le principal critère est le choix politique, car le potentiel physique des rivières a encore une large possibilité d'exploitation. Les auteurs le disent explicitement : "Les contraintes environnementales affectent le potentiel hydroélectrique au fil de l’eau à grande échelle, de 79 TWh/an à 1 710 TWh/an. Cette grande variation indique que le potentiel de la petite hydroélectricité dépend strictement des objectifs de protection de l'environnement fixés dans l'autorisation des centrales". Là encore, le constat des chercheurs appuie le diagnostic fait par le gouvernement comme par de nombreux producteurs sur le terrain : ce sont les questions règlementaires qui créent l'essentiel des freins, en raison de normes contradictoires, complexes, pour beaucoup dénuées de réalisme énergétique et économique.

Le potentiel de développement de l'hydro-électicité totale incluant la grande hydraulique a été étudié par Gernaat et al 2019 avec un modèle à haute résolution incluant les autres usages de l'eau. A un coût maximum de 100 euros le MWh et en incluant les protections environnementales, le potentiel hydro-électrique européen restant à développer est de 240 TWh. Il augmente de 40% si l'on baisse les contraintes règlementaires environnementales. Les estimations du potentiel physique total sans limitation réglementaire ni économique sont rappelées dans cette publication : de 2200 TWh (Zhou et al 2015) à 4000 TWh (Pokhrel et al 2008) en Europe. Pour rappel, la puissance hydro-électrique aujourd'hui installée en Europe (225 GW) produit de l'ordre de 650 TWh par an, ce qui signifie qu'elle est très en deçà du potentiel physique total, et que la marge de progression reste importante. 

Ainsi, il est faux de dire que la France ne peut pas mobiliser davantage l'énergie de l'eau, non seulement parce que l'ensemble des seuils / barrages déjà construits reste très faiblement équipé (moins de 15% de taux d'équipement en roues, vis ou turbine des bâtis en place), mais aussi parce que de nouveaux sites peuvent être exploités.

Une posture qui date du contre-choc pétrolier et de la désindustrialisation française
L'élément de langage selon lequel le potentiel hydro-électrique est déjà totalement exploité a été développé dans le cadre du contre-choc pétrolier des années 1980 et 1990, à une époque où l'on se préoccupait beaucoup moins du climat et où l'énergie fossile était à très bas prix. C'est aussi à cette époque que l'on a cru à la désindustrialisation de la France et à la dématérialisation de l'économie, alors que nous mesurons aujourd'hui le manque de vision de ces discours. 

Il est impossible de produire de l'énergie à partir de sources naturelles et de renforcer la souveraineté industrielle de l'Europe sans accepter une certaine artificialisation des milieux. Que celle-ci se fasse avec de bonnes pratiques et moins d'impacts écologiques que dans les années 1960 est possible et souhaitable. Mais le refus maximaliste de tout impact est une posture irresponsable, et dénué de sens. Ses conséquences sont qu'à force de dire "non" à tout, nous continuons à consommer beaucoup trop de fossile, ce qui a bel et bien un "impact" majeur sur l'ensemble de la planète, qu'il s'agisse des écosystèmes ou des sociétés. 

Le Conseil national de la transition écologique a donc donné un avis trompeur au gouvernement, au parlement et aux citoyens. Nous allons en informer les parlementaires chargés de voter la loi, car cette manoeuvre indique parfaitement le problème que le législateur doit régler : un certain nombre de lobbies veulent aujourd'hui empêcher l'accélération de l'énergie renouvelable. 

Dans le cas des rivières, c'est même plus grave : ces lobbies ont réussi à convaincre les administrations de l'eau de détruire les ouvrages hydrauliques qui forment le potentiel énergétique, et qui assurent aussi des stockages d'eau face aux crues et sécheresses. L'engagement honteux et ruineux de la France dans cette voie doit cesser. Nous espérons que les parlementaires en auront pleinement conscience.  

Rappel de nos demandes
  • Arrêt immédiat de la destruction des ouvrages hydrauliques
  • Equipement énergétique prioritaire des sites déjà existants et ne créant pas d'impacts nouveaux
  • Révision des classements de continuité écologique pour définir les sites à enjeux réellement prioritaires (présence d'espèce migratrice menacée)
  • Prise en charge publique de tous les chantiers de continuité écologique
  • Suppression des procédures autres que déclaratives pour les sites d'ores et déjà autorisés à produire (fondés en titre et sur titre)
  • Simplification administrative des créations de sites
  • Accélération procédurale de la justice en cas de contentieux après concertation
A lire en complément

08/09/2022

Des chercheurs proposent de protéger et ré-investir le patrimoine des moulins à eau (Angelakis et al 2022)

Une équipe pluridisciplinaire de chercheurs grecs, allemands, espagnols et iraniens vient de publier dans la revue Water une très intéressante monographie sur l'histoire des moulins à eau et sur les opportunités de les restaurer dans une logique de développement durable de l'Europe. Les chercheurs appellent à protéger et ré-inventer cet héritage productif plutôt que le remettre en question et le détruire, comme l'interprétation maximaliste de certaines règlementations européennes a été tentée de le faire dans la décennie passée.


Les moulins à eau sont inventés au premier siècle avant notre ère, et la technologie connaît une diffusion rapide car elle permet de convertir une énergie naturelle en force mécanique dédiée à de nombreux usages différents – la mouture des céréales panifiables parmi bien d'autres. Andreas N. Angelakis et ses collègues viennent de publier une étude qui synthétise nos connaissances sur cette histoire, mais qui se penche aussi sur l'avenir des moulins à eau, à une époque où l'Europe envisage un développement durable fondé sur l'exploitation de ressources renouvelables.

Voici le résumé de leur travail :

"De nos jours, la réutilisation du patrimoine agricole/industriel bâti est une pratique courante dans le monde entier. Ces structures représentent d'excellents symboles du long passé agricole/industriel. Ces technologies agricoles/hydroélectriques servent également de monuments d'identités socioculturelles, en particulier dans les zones rurales et dans les petites exploitations. 

Un exemple d'une application réussie des technologies agricoles pour les petites exploitations est le moulin à eau. En exploitant l'énergie de l'eau, ils ont été utilisés pour la production traditionnelle de farine et d'autres produits (par exemple, l'huile d'olive) et les travaux nécessitant de l'énergie, avec un rôle majeur dans l'évolution du paysage traditionnel/culturel. Les moulins à eau ont été utilisés pour entraîner un processus mécanique de fraisage, de martelage, de laminage et font partie du patrimoine agricole, culturel et industriel. Pendant environ deux millénaires, la roue hydraulique du moulin vertical a constitué la première source d'énergie mécanique dans de nombreuses régions du monde. Les moulins à eau ont été le premier appareil à convertir les ressources naturelles d'énergie en énergie mécanique afin de faire fonctionner une certaine forme de machinerie. 

La préservation/gestion des moulins à eau est difficile en raison de leur abandon à long terme et du manque d'informations/de connaissances sur leur valeur. Les autres obstacles rencontrés lors de leur modernisation et/ou de leur préservation sont le manque d'incitations économiques suffisantes et des autorisations/législations complexes. 

La durabilité et la régénération des moulins à eau à travers les siècles sont passées en revue pour l'histoire et l'archéologie agricole/industrielle. L'histoire des moulins à eau à l'époque préhistorique et historique, y compris l'ancienne Perse / Iran, la Chine ancienne, l'Inde ancienne, le monde islamique, la Crète vénitienne, l'Europe médiévale, l'Amérique et enfin l'époque actuelle, est discutée. 

Le résultat de cet examen permet de comprendre l'importance de la conservation, de l'optimisation et du développement des moulins à eau. Il aidera à en savoir plus et à réaliser un développement durable/régénérateur pour les petites exploitations en ce qui concerne les crises de l'eau et de l'énergie, actuelles et futures."

Les auteurs soulignent dans la conclusion que dans toute l'Europe, la remise en question des moulins à eau au nom d'une approche naturaliste exigeant le retour à une rivière sans "obstacle" (continuité écologique, libre écoulement) a entraîné une vive réaction de leurs usagers et riverains. Cette image venue d'Allemagne (land de Hesse, 400 moulins menacés) rappelle que le cas n'est pas limité à la France. 

Protestation allemande contre des politiques hostiles aux ouvrages hydrauliques. ("l'hydroélectricité doit rester - stop à la politique environnementale unilatérale! - l'hydroélectricité a besoin d'un avenir en Hesse")

Discussion
Malgré leur rôle important dans l'évolution des bassins versants depuis 2 millénaires, les moulins à eau sont à bien des égards un objet orphelin d'étude scientifique sérieuse. Nous saluons donc ce regain d'intérêt des chercheurs et nous appelons à l'amplifier. 

Certains acteurs sociaux aiment bien se référer à "la science" pour appuyer leur position. Ils oublient cependant que "la science" ne se résume pas à une discipline (par exemple l'écologie de conservation, souvent mise en avant ces temps-ci), et qu'il existe de multiples manières d'envisager la rivière, ses héritages, ses usages. Il nous semble intenable que les bureaucraties publiques de l'Union européenne ou de ses Etats-membres persistent à travailler en silo, avec des expertises déconnectées les unes des autres, des propositions normatives issues de connaissances parcellaires et répondant à des aspirations sociales elles aussi fragmentées. 

L'échec de la politique de destruction des ouvrages hydrauliques reflète avant tout la sous-information des décideurs lorsqu'ils discutent de normes, avant cela le problème de financement équilibré et diversifié des recherches publiques. Une autre étude récente vient ainsi de montrer que les sciences sociales et humanités de l'eau sont incroyablement sous-représentées dans les travaux scientifiques (Wei et Wu 2022). Il n'est pas étonnant qu'une recherche trop biaisée sur ses objets et trop pauvre sur ses angles finisse par inspirer des politiques insatisfaisantes.


Les illustrations sont extraites de l'article, droits réservés.

06/09/2022

Les producteurs d'hydro-électricité lancent l'alerte depuis 10 ans sur les erreurs publiques aggravant la pénurie énergétique

Le président de la république s'est dit déterminé à "simplifier les choses drastiquement" pour le développement des projets d'énergie renouvelable et a demandé au gouvernement de préparer une loi en ce sens, qui sera débattue en octobre prochain au parlement. Les propriétaires de moulins et d'usines hydrauliques, les porteurs de projets hydro-électriques tirent la sonnette d'alarme depuis 10 ans sur le blocage croissant des initiatives par des règlementations complètement décalées des réalités. Non seulement certaines administrations entravent les projets énergétiques par des exigences intenables, mais elles engagent l'argent public dans la destruction des outils de production hydro-électrique et de stockage de l'eau. La loi à venir est l'occasion d'en finir avec l'idéologie désastreuse qui a présidé à la mise en oeuvre de la "continuité écologique" en France. Le parlement doit poser clairement les priorités du pays. Nous informerons les députés et sénateurs de ces réalités et des causes des blocages afin que les normes changent. 


Destruction sur argent public de barrage producteur, photo Thomas Savalle, droits réservés.

La Russie vient d'annoncer qu'elle coupait ses approvisionnements en gaz de l'Europe, étape supplémentaire d'une crise de l'énergie qui a commencé voici plus d'un an.

Cette crise est beaucoup débattue sous l'angle des consommateurs particuliers, leur chauffage et leur électricité. Mais le plus grave problème que va affronter l'Europe est d'ordre économique : la pénurie d'énergie et la hausse de ses prix affaiblissent les entreprises et les collectivités qui voient des coûts s'envoler ou des activités devenir impossibles. Certaines usines ont déjà annoncé le fermeture des lignes de production cet hiver et le chômage technique. Des villes ont dû fermer des piscines publiques trop énergivores. Ce n'est que le début...

La réponse des dirigeants est double : inciter à la sobriété du côté de la demande d'énergie, augmenter l'offre du côté de la production d'énergie. Il n'y a guère d'autres choix. Mais si la chasse au gaspillage est vertueuse, une sobriété systémique, contrainte et permanente signifierait une récession économique, alors que l'Europe a déjà été affaiblie par la crise de la pandémie.

Une des conséquences de cette crise est la prise de conscience accrue du rôle critique de l'énergie dans l'économie et dans la société. Nous avons fermé des capacités fossiles, nous avons fermé ou gelé des capacités nucléaires, nous n'avons pas assez développé de capacités renouvelables. La France et l'Europe se disent donc décidées à accélérer l'offre énergétique, en particulier renouvelable, afin d'améliorer la résilience énergétique du continent et de lutter en même temps contre des émissions carbone.

Emmanuel Macron en guerre contre les blocages de projets... vraiment ?
Dans sa conférence de presse sur la crise énergétique tenue le 5 septembre 2022, la président de la république a fait cette déclaration : "Il nous faut continuer à avancer à marche forcée, d’abord pour produire davantage et produire davantage via des sources alternatives d’énergie et tout particulièrement d’électricité en France et en Europe. C’est pourquoi j’ai demandé au gouvernement de parachever des textes législatifs pour permettre d’accélérer la production d’énergies renouvelables et de nucléaire. Nos projets sont trop lents.  (...) On doit aller beaucoup plus vite dans la production des énergies renouvelables et simplifier les choses drastiquement. Nous sommes en guerre. C’est un fait. L’énergie fait partie des instruments de guerre utilisés par la Russie et donc nous devons absolument nous mettre en situation de produire plus vite des sources alternatives d’électricité".

Les propriétaires de moulins et d'usines hydrauliques, les porteurs de projets hydro-électriques voient très bien les causes de la lenteur des projets dont parle le président de la république, quand ce ne ne sont pas les causes de leur interdiction et même de la destruction scandaleuse des barrages producteurs.

Depuis des années, nous alertons les décideurs sur des règlementations hors-sol qui aboutissent à geler l'hydro-électricité, à dépenser l'argent public et privé dans la destruction des infrastructures permettant la production d'énergie comme le stockage de l'eau, à exiger des mesures compensatoires qui n'ont aucune sorte de faisabilité et de réalisme. Nous alertons aussi sur le fait que, vu les changements hydrologiques et climatiques en cours, la France doit urgemment augmenter et non baisser ses capacités de stockage d'eau. 

Les parlementaires vont examiner en octobre une loi d'accélération des énergies renouvelables. Nous allons de nouveau informer les députés et les sénateurs de la réalité des blocages législatifs, réglementaires et administratifs sur l'énergie de l'eau. Nous invitons déjà chacun de nos lecteurs à les contacter en ce sens, à titre particulier ou associatif. L'été 2022 a eu son symbole : en pleine crise cumulée de la sécheresse et de l'énergie, sur ordre des administrations publiques, on achevait de détruire deux barrages EDF producteurs sur la Sélune, et en même temps deux lacs de réserve d'eau potable. Derrière ce symbole sur de grands barrages, des milliers d'autres sites plus modestes ont aussi disparu. C'est le symbole de ce que nous ne voulons plus voir. Les parlementaires doivent le comprendre et modifier la loi pour que la réforme ratée de "continuité écologique" ne mène plus jamais à de telles régressions environnementales, sociales et économiques.