10/07/2021
Une retenue d'étang tend à éliminer les pesticides et à livrer une eau moins polluée à l'aval (Le Cor et al 2021)
14/06/2021
Les plans d'eau d'origine humaine, un outil de conservation de la biodiversité (Zamora-Marin et al 2021)
12/01/2021
Controverse sur les étangs du Limousin, la réponse des scientifiques
09/09/2020
Ne diabolisons pas les retenues d'eau par des discours simplistes
A la suite de l'article polémique de Christian Amblard dans le Monde contre les retenues d'eau, que nous avions recensé, nous avons reçu une tribune de Patrick Hurand, ingénieur général des Ponts, des eaux et des forêts retraité (X-Gref), ancien directeur de l'ingénierie à la Compagnie d'aménagement des Coteaux de Gascogne. Patrick Hurand a consacré des années de carrière à l'analyse hydrogéologique des bassins, à la gestion de leurs étiages et à la conception de schémas de préservation de la ressource en eau. Il déplore l'émergence d'une vision simpliste, binaire et souvent caricaturale sur les retenues d'eau, en appelant à un débat informé et fondé sur des données dans chaque bassin. Nous publions cette tribune, qui sera également diffusée aux décideurs publics de bassin en charge de l'adaptation au changement climatique.
Face à la sécheresse, les retenues d'eau artificielles, une solution à très court terme?....ça se discute!
Avec la canicule et la sécheresse, les médias se sont intéressés à la politique de création de retenues demandée avec insistance par la profession agricole. Le «débat» a été lancé à la matinale de France Inter, le 3 août 2020, par l'interview d'Emma Haziza, docteur de l'école des Mines de Paris, hydrologue et présidente fondatrice de Mayane, «centre de recherche-action visant à apporter des solutions stratégiques pour la résilience des territoires face au risque inondation». Il a été suivi par un article paru dans le Monde daté du 8 août 2020 sous le titre «Face à la sécheresse, les retenues d'eau artificielles, une solution à très court terme». La teneur du discours est la même: «tout le monde connaît les impacts négatifs de la création de retenues sur l'environnement. Mais, sans même parler de ça, nous, scientifiques, nous contestons formellement l'efficacité de ce type de solution qui n'augmentent pas la ressource en eau disponible». La «démonstration» s'appuie sur deux types d'arguments:
- les retenues génèrent d'énormes pertes par évaporation;
- elles diminuent la réalimentation des nappes.
La conclusion se veut universelle et applicable à tout type de projet. Elle a le «mérite» de la simplicité et peut facilement servir «d'éléments de langage» aux politiques qui sont déjà sur la même longueur d'ondes. Le présent article n'a pas la prétention d'être aussi facilement compréhensible. Il va rentrer dans le détail, s'intéresser aux aspects techniques ce qui est souvent considérer comme ennuyeux et inintéressant par un média grand public. Mais il va s'efforcer de répondre, exemple à l'appui, à ces 2 arguments. Les problèmes de ressources en eau se résolvent au cas par cas en essayant de trouver les meilleures solutions. Tout au plus, avec l'expérience, peut on dégager une typologie des cas rencontrés qui permet d'orienter la recherche dans la bonne direction. Mais une chose est sûre: il n'y a pas de vérité universelle et à tout slogan du type « les barrages sont nocifs pour l'environnement» ou «pas une goutte d'eau à la mer», on peut toujours trouver des contre-exemples:
- Parmi les plus belles rivières à truites du monde, on trouve les «tails water» américaines, comme la Missouri, la Madison ou la Big Horn dans le Montana, toutes situées à l'aval de gros barrages hydroélectriques,dans des zones où en l'absence de barrages il n'y aurait aucun salmonidé. En France, la Dordogne à l'aval d'Argentat, donc à l'aval de toute la chaîne des barrages hydroélectriques de la Dordogne est une magnifique rivière à truites et à ombres.
- Le slogan lancé par Hassan II «pas une goutte d'eau à la mer», s'il a permis à ses débuts de lancer la politique de création de barrages, indispensable au pays, a conduit à réaliser les projets selon les seuls critères des barragistes (on équipe les bons sites) sans se soucier de la position des sites par rapport aux besoins. Compte tenu du niveau d'équipement actuel, il a atteint ses limites.
La nature est trop belle, trop diverse pour que ces slogans puissent s'appliquer à la diversité des cas qu'on peut rencontrer. Pour donner un avis pertinent, il faut hélas se donner du mal et travailler.
Le lac de Puydarrieux (Natura 2000) fait partie de l'hydrosystème du canal de la Neste qui permet de mobiliser 220 millions m3 d'eau par an au service des territoires de Gascogne. Photo Patrice Bon, CC BY-SA 4.0.
Une retenue fait-elle perdre beaucoup d'eau par évaporation ?
Une des premières choses qu'apprend l'hydrologue débutant c'est que:
P= R+I+ETR
où P désigne la pluie, R le ruissellement, I l'infiltration et ETR l'évapotranspiration réelle.
R+I constituent la ressource en eau RE (celle qui est renouvelable ie qui peut faire l'objet d'une exploitation durable). Toute l'hydrologie est ainsi basée sur l'équation:
RE = P-ETR.
Lorsqu'on fait une retenue, on crée une perte de ressource par évaporation. Mais comme la surface noyée par une retenue était très rarement occupée préalablement par un parking, il y avait avant la création de la retenue une évapotranspiration. La perte de ressource en eau imputable au projet correspond à la différence Evaporation – Evapotranspiration et non à l'évaporation. Comment chiffrer cette différence?
On peut faire référence, comme dans l'article du Monde, à des études américaines faisant état de pertes de 40 à 60% du volume de la retenue. Aucune raison de mettre en doute les résultats d'une telle étude. En revanche, on peut regretter qu'il ne soit pas précisé où ces résultats ont été obtenus. Supposons que les études aient été menées en Arizona ou au Nevada. On comprendra aisément que l'évaporation est beaucoup plus forte qu'en France et que surtout, l'évapotranspiration de quelques cactus n'a rien à voir avec celle d'une forêt française. Recherchons donc des données en France.
Si on a facilement accès aux données d'évapotranspiration, les données d'évaporation sont moins fréquentes. Une recherche sur Internet a permis de trouver un intéressant travail de thèse intitulé «L'évaporation dans le bilan hydrologique des retenues du centre de la France (Brenne et Limousin)» réalisé par Mohammad Aldomany dans le cadre de l'université d'Orléans. Une campagne de mesure sur l'un des étangs lui ont permis de comparer les résultats expérimentaux aux formules mathématiques les plus usuelles permettant de calculer l'évaporation, permettant ainsi de déterminer la meilleure formule de calcul de l'évaporation. Les ordres de grandeur sont voisins. L'auteur conclut que l'évaporation est sensiblement égale à l'évaporation d'une chênaie et que suivant les sites, l'impact de la retenue peut être positif ou négatif, mais toujours faible. Pascal Bartout, maître de conférence à l'université d'Orléans, a quant à lui montrer qu'en Sologne l'évapotranspiration estivale des joncs ou des gazons est de 1,35 à 1,5 fois supérieur à l'évaporation des étangs. En conclusion, sous nos climats, les retenues n'ont en général pas d'impact négatif sur les ressources en eau. On peut donc s'étonner que des scientifiques osent prétendre le contraire. On est en droit d'attendre de la communauté scientifique qu'elle apporte des éléments objectifs et incontestables de nature à éclairer et à apaiser le débat sur la politique de création de retenues. Il est décevant de la voir souffler sur les braises en utilisant sa crédibilité scientifique pour tenir des propos militants.
Prise d'alimentation de la rivière Gers sur le canal de la Neste, Macao10, CC BY-SA 4.0,
Le stockage dans les retenues se fait-il au détriment de la recharge des nappes ?
Cette affirmation est fausse dans la majorité des cas qu'on peut rencontrer en France. Deux types de cas doivent être clairement distingués.
1) Rivières coulant sur des terrains imperméables (celles des Coteaux de Gascogne comme le Gers, la Baïse...) ou sur une nappe alluviale (Adour). On stocke de l'eau qui serait, dans sa quasi intégralité, partie à la mer .
Pour les rivières de Gascogne dont les nappes d'accompagnement sont quasi inexistantes, c'est évident. Dans le cas de l'Adour, dont la nappe est importante, le problème doit être regardé de plus près. La recharge de la nappe par le fleuve se fait uniquement en période de crue principalement par submersion du lit majeur. Le reste du temps s'est plutôt la nappe qui réalimente le fleuve. L'infiltration dépend de la hauteur de submersion dans le lit majeur. Prenons deux cas concret:
- le barrage d'Escaunets sur le Louet, affluent rive gauche de l'Adour, intercepte un bassin versant de 20km2, le bassin versant de l'Adour au droit de cette confluence est de l'ordre de 900km2. L'impact de la retenue en période de remplissage sur les débits de l'Adour est donc de l'ordre de 2%.
- Le barrage de l'Arrêt Darré, situé sur un petit affluent rive gauche de l'Arros, intercepte un bassin versant d'une cinquantaine de km2. Le Bassin versant de l'Adour à la confluence avec l'Arros est quant à lui de 2200 km2. L'impact cumulé des 2 retenues sur les débits l'Adour est donc aussi de l'ordre de 3%.
Résumons: l'impact du remplissage des retenues sur la recharge de la nappe ne concerne que la fraction du remplissage qui s'effectue pendant les périodes de crues. Il est de l'ordre de 3% sur les débits donc à peine plus de 2% sur les niveaux. On parle donc d'un impact de quelques centimètres. A titre de comparaison l'exploitation des gravières dans la lit de l'Adour dans les années 70-80 a provoqué par érosion régressive un enfoncement du lit du fleuve pouvant atteindre par endroit plusieurs mètres, limitant par la même occasion considérablement les submersions du lit majeur.
Il est raisonnable de conclure que l'impact du remplissage des retenues sur la recharge de nappe est négligeable . L'eau qu'on a stockée serait donc partie à la mer. Dans ce cas là, le problème de l'évaporation ne se pose même pas puisque l'eau était perdue de toute façon.
Ce résultat n'est peut être pas transposable à tous les cas de figure. Par expérience, on peut dire qu'il est très représentatif de la problématique qu'on va rencontrer sur de nombreux bassins versants. En tout cas, puisqu'il suffit d'un contre-exemple pour montrer qu'une loi est fausse, il est largement suffisant pour infirmer les conclusions présentées dans l'article du Monde.
2) Rivières coulant au-dessus d'une nappe phréatique, qu'elles alimentent quasiment en permanence par leurs pertes. On peut citer:
- la Conie qui alimente ou draine la nappe de la Beauce,
- la Tardoire et son affluent le Bandiat en Charente qui après avoir pris naissance sur la frange Ouest du Massif Central se perdent dans le karst de la Rochefoucault pour ne rejoindre la Charente qu'en période de crue,
- le bassin du Tensift dans la région de Marrakech. Les affluents rive gauche (N'Fis, Ourika, Rdat, Ghighaya...) y drainent les eaux du Haut Atlas (qui culmine à plus de 4000m) avant de s'infiltrer dans la nappe du Haouz. Les données issues du Plan Directeur d'Aménagement Intégré des Ressources en Eau du Tensift permettent de bien quantifier les phénomènes. Le débit moyen des rivières à l'entrée de la nappe du Haouz est de 15m3/s ce qui représente un apport annuel de 450hm3. La nappe du Haouz, quant à elle, a une recharge annuelle 470hm3 décomposés en apport pluviométrique pour 80hm3, apports extérieurs 20hm3, infiltration des oueds 130hm3, retours d'irrigation 240hm3. Comme les retours d'irrigation correspondent à des irrigations gravitaires par submersion, elles-mêmes alimentées par prélèvement sur les cours amont des oueds cités, ce sont 370hm3 sur les 450 qui s'infiltrent dans la nappe soit plus de 80% du flux. Avec des prélèvements qui dépassent largement les 500hm3, la nappe du Haouz est surexploitée et son niveau baisse d'année après année.
On se retrouve dans une situation inverse de la précédente puisque l'eau de ces rivières s'infiltre quasiment tout le temps sauf en période de crues. Il convient donc de faire très attention avant de s'engager dans des projets de stockage dans de tels cas pour 2 raisons (qui n'ont rien à voir avec les pertes par évaporation):
- efficacité du projet: si les 4/5èmes de l'eau stockée se serait de toute façon infiltrée, le volume «utile» de la retenue est en gros égal à 1/5ème de sa capacité; le prix de revient du m3 utile est donc égal à 5 fois celui du m3 stocké: ça peut commencer à faire cher.
- problème de répartition de l'eau: dans le cas du Haouz, si on fait des retenues on va augmenter les prélèvements amont (tout ceux qui étaient alimentés par des séguias prélevant au fil de l'eau sur la partie pérenne des cours d'eau cités plus haut) par effet mécanique de la régularisation des débits. La réalimentation de la nappe va être considérablement impactée d'où nécessité de baisser drastiquement les prélèvements en nappe ou, cas le plus probable, voir s'aggraver la surexploitation de la nappe.
En France, il n'y a pas, à ma connaissance, de projets de ce type dans les cartons. En tout cas, ça fait 40 ans que le projet «Tardoire» a été abandonné. Au Maroc, en revanche, sous la double pression du manque d'eau et de l'idée solidement ancrée que tout projet qui limite les pertes à la mer est bon à prendre, il n'est pas impossible qu'un jour ou l'autre se réalise un nouveau projet sur un des affluents du Tensift.
*
Le changement climatique va bouleverser les conditions de vie des générations futures. Limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C passe par une prise de conscience collective dont nous ne prenons malheureusement le chemin : chacun devra faire des efforts et pas seulement les autres. Même si on réussit à le limiter, il faudra vivre avec ce réchauffement et donc s'adapter. Les projections les plus optimistes prévoient que dans un siècle les conditions climatiques du Sud de la France correspondront à celles du sud de l'Espagne. Est-il raisonnable de penser que l'agriculture française pourra maintenir son niveau de production sans qu'on compense la baisse des ressources en eau estivales par des stockages des eaux excédentaires hivernales? Ou alors faut-il accepter que dans un contexte de croissance de la population mondiale et donc de la demande alimentaire on s'en remette à d'autres pays pour couvrir une partie de nos besoins? Allons-nous délocaliser une partie de production agricole au Brésil comme nous l'avons fait pour notre production industrielle avec la Chine ? Pour relever ces défis, on aura besoin de gens compétents et motivés car la tâche sera rude. Il faudra trouver des solutions aux problèmes posés et non des boucs émissaires. Pour se faire on aura besoins d'experts qualifiés et compétents. Mais on aura aussi besoin qu'ils puissent travailler sereinement dans un contexte social apaisé. Ceci suppose que les médias jouent leur rôle d'information sans esprit partisan. Quand on voit aujourd'hui un journal comme le Monde, qui fut naguère un journal d'information, se transformer en journal d'opinion., cela n'incite guère à l'optimisme.
Moins on a d'eau, plus les solutions efficaces sont difficiles à trouver et plus il faut être vigilant sur les impacts. Cela passe par une compréhension fine des hydrosystèmes concernés et une quantification précise des impacts des solutions proposées. Aujourd'hui on a tendance à considérer les données hydrologiques et climatiques du passé comme représentatives de l'avenir. Avec le changement climatique, il faudra prendre en compte cette instabilité des données. Tout cela ne pourra être obtenu qu'au prix d'expertises pointues, projet par projet. Bien loin des avis globaux et simplificateurs! N'oublions pas cette phrase du philosophe Francis Bacon : «On ne commande à la nature qu'en lui obéissant».
08/09/2020
Les lacs et plans d'eau peu profonds rendent jusqu'à 39 services écosystémiques à la société (Janssen et al 2020)
Une nouvelle recherche passant en revue la littérature scientifique montre que les plans d'eau peu profonds (lacs, étangs) peuvent rendre jusqu'à 39 services écosystémiques différents aux riverains, incluant la protection de biodiversité, l'épuration de l'eau, la régulation des débits ou les loisirs. Ces services écosystémiques varient selon les différents états stables que peuvent prendre ces plans d'eau dans leur cycle de vie, en particulier leur niveau trophique (charge en nutriments). Même des milieux eutrophes conservent des intérêts environnementaux. La France accuse un terrible retard dans l'étude de ces milieux lentiques, dont beaucoup sont aujourd'hui menacés d'abandon voire de destruction. La raison principale en est le biais des gestionnaires et autorités en charge de l'écologie aquatique, qui refusent aujourd'hui de prendre sérieusement en compte les nouveaux écosystèmes créés par l'humain et de mesurer quantitativement les services écosytémiques rendus à la société. Au risque d'induire les politiques publiques en erreur.
"Les lacs et étangs d'eau douce sont d'une grande importance pour l'homme en fournissant de l'eau potable et en soutenant de nombreux services écosystémiques dans le monde, y compris certains essentiels comme l'approvisionnement en poissons, crustacés et plantes comestibles pour des centaines de millions de personnes", comme le rappellent Annette B.G.Janssen et 4 collègues en introduction de leur recherche. Dans le classement international des services rendus par les écosystèmes, on reconnaît quatre grandes familles:
- les services de soutien impliquent des fonctions écosystémiques clés, telles que la production primaire, le cycle et la rétention des nutriments, ainsi que la séquestration du carbone,
- les services d'approvisionnement sont des produits de la nature directement obtenus à partir d'écosystèmes, notamment l'alimentation humaine, l'alimentation animale, l'eau potable, l'énergie,
- les services de régulation sont des avantages liés à des processus biophysiques tels que la régulation du climat, la maîtrise des crues et sécheresses, la lutte antiparasitaire,
- les services culturels sont des avantages non matériels (par exemple, des valeurs spirituelles, esthétiques, culturelles) qui facilitent des activités telles que les loisirs, la cohésion sociale, le bénéfice psychologique aux riverains.
Annette B.G.Janssen et ses collègues ont passé en revue la littérature scientifique pour analyser les services rendus par les lacs et plans d'eau selon leur typologie.
Selon des changements anthropiques ou naturels tels que l'apport excessif de nutriments et le changement climatique, les lacs peu profonds peuvent changer de nature et passer d'un état stable à l'autre. Les auteurs exposent : "Un changement d'état est défini comme un changement persistant dans la structure et la fonction d'un système, où les changements dans les producteurs primaires dominants sont les plus apparents (Scheffer et al 2003; Scheffer et Van Nes 2007). Dans les états oligotrophes et mésotrophes, les lacs peu profonds sont généralement dominés par diverses espèces de macrophytes submergées, tandis que dans les états plus eutrophes, les macrophytes flottantes, les macrophytes émergentes ou le phytoplancton peuvent prévaloir (Hilt et al 2018; Kuiper et al 2017; Scheffer et al 2003). En raison de la rétroaction écologique provoquant une résistance aux facteurs externes, ces états sont souvent stables pendant des périodes allant de plusieurs années à plusieurs décennies (Scheffer et Van Nes 2007)."
Les différents états d'un plan d'eau, extrait de Janssen et al 2020, art cit.
Comment les services écosystémiques varient selon les différents états stables que peuvent adopter des plans d'eau peu profonds?
Voici la synthèse de leur recherche :
"Les lacs peu profonds peuvent basculer entre des états stables en raison de facteurs anthropiques ou naturels. Quatre états stables communs diffèrent dans les groupes dominants de producteurs primaires: les macrophytes submergés, flottants ou émergents, et le phytoplancton. Les changements dans la dominante des producteurs primaires affectent les principaux services de soutien, d'approvisionnement, de régulation et d'écosystème culturel fournis par les lacs. Cependant, les liens entre les états des lacs et les services sont souvent négligés ou inconnus dans leur gestion, ce qui entraîne des conflits et des coûts supplémentaires.
Ici, nous identifions les principaux services écosystémiques des lacs peu profonds et leurs liens avec les objectifs de développement durable (ODD), comparons la fourniture de services entre les quatre états de l'écosystème et discutons des compromis potentiels.
Nous avons identifié 39 services écosystémiques potentiellement fournis par les lacs peu profonds. Les macrophytes submergés facilitent la plupart des services de soutien (86%) et culturels (63%), les macrophytes émergents facilitent la plupart des services de régulation (60%), et les macrophytes émergents et flottants facilitent la plupart des services d'approvisionnement (63%). La domination du phytoplancton soutient moins de services écosystémiques et contribue le plus à la fourniture de services (42%).
Les services écosystémiques des lacs peu profonds que nous avons identifiés pourraient être liés à 10 objectifs du développement durable (ODD) différents, notamment la faim zéro (ODD 2), l'eau propre et l'assainissement (ODD 6), les villes et communautés durables (ODD 11) et l'action climatique (ODD13).
Nous avons mis en évidence plusieurs compromis (1) entre les services écosystémiques, (2) au sein des services écosystémiques et (3) entre les services écosystémiques à travers les écosystèmes. Ces compromis peuvent avoir des conséquences écologiques et économiques importantes qui peuvent être évitées par une identification précoce dans la gestion de la qualité de l'eau.
En conclusion, les états stables communs dans les lacs peu profonds fournissent un ensemble différent et diversifié de services écosystémiques avec de nombreux liens à la majorité des ODD. La conservation et la restauration des états des écosystèmes devraient tenir compte des compromis potentiels entre les services écosystémiques et la préservation de la valeur naturelle des lacs peu profonds."
Référence : Janssen ABG et al (2020), Shifting states, shifting services: Linking regime shifts to changes in ecosystem services of shallow lakes, Freshwater Biology, DOI: 10.1111/fwb.13582
A lire sur ce thème
Comment dépasser les mauvaises pratiques actuelles en destruction des étangs et plans d'eau
Idée reçue: "Seuils, digues et barrages nuisent aux services rendus par les écosystèmes, qui demandent des rivières libres"
30/08/2020
Les experts inventent les retenues d'eau qui ne retiennent pas l'eau
Dans le journal Le Monde (29 août 2020), Christian Amblard (directeur de recherche honoraire au CNRS, vice-président Groupe scientifique de réflexion et d’information pour un développement durable) se livre à une charge violente contre les retenues d'eau.
Il affirme :
"Les barrages sur un cours d’eau assèchent les secteurs situés à leur aval et détruisent ainsi tous les écosystèmes, notamment les agroécosystèmes. Ils brisent la continuité écologique et constituent un obstacle pour beaucoup d’espèces comme les poissons migrateurs. Ils détruisent aussi, en les noyant, les zones humides situées en amont qui jouent un rôle très utile d’éponge, en stockant l’eau en période humide et en la restituant en période sèche.
Alors que les réserves souterraines ne sont pas sujettes à l’évaporation, les retenues d’eau superficielles subissent une très forte évaporation en période de grosses chaleurs et conduisent ainsi à une perte importante de la ressource en eau. Des études récentes (publiées notamment, en 2018, par Katja Friedrich, de l’université du Colorado Boulder, et par Florence Habets et Jérôme Molenat, de Sorbonne Université) montrent que les pertes par évaporation sur les lacs de l’Ouest américain varient de 20 à 60 % des flux entrants. C’est donc une hérésie totale de faire passer en surface les ressources en eaux souterraines, qui assurent une humidification généralisée des sols, pour en perdre une part considérable par évaporation."
Il faut certainement être membre du CNRS pour découvrir qu'une retenue d'eau ne retient pas l'eau, après 5000 ans d'usage des barrages et des digues par les sociétés humaines.
La publication citée de Katja Friedrich et al 2018 est un constat que les services états-uniens de gestion ne disposent pas de mesures correctes des évaporations des grands réservoirs. En rien cette publication n'est une condamnation des retenues, elle vise à optimiser leur gestion en situation de changement climatique : "Une meilleure compréhension, estimation et prévision des taux d'évaporation aidera à gérer cette perte d'eau plus efficacement, en particulier lorsque l'eau est rare", disent les auteurs. Une raison évidente est que si une retenue a accumulé 1 million de m3 en hiver et en évapore 50% en été, cela signifie qu'il reste 500.000 m3 pour des usages humains et pour le vivant. Outre que l'eau évaporée se recondense dans le cycle de l'eau. Que la retenue ne soit pas optimale ne signifie pas qu'elle soit inutile. Mais cela semble échapper à Christian Amblard. Ou alors cela ne lui échappe pas, mais il préfère ne pas l'expliquer aux lecteurs.
La publication citée de Florence Habets et al 2018 est consacrée à la difficulté de connaître et modéliser l'impact réel d'une succession de petits réservoirs sur un bassin versant. Les auteurs soulignent les diverses incertitudes, du fait de la rareté des travaux et de la diversité des indicateurs d'impacts. Concernant les données empiriques (les seules qui vaillent), il est dit dans cet article: "les impacts cumulatifs des petits réservoirs sur l'hydrologie sont le plus souvent estimés à partir du débit annuel, des débits minima et des crues. Il existe un consensus général sur le fait que des ensembles de petits réservoirs entraînent une réduction des pics de crue (Frickel, 1972; Galea et al., 2005; Nathan et Lowe, 2012; Thompson, 2012; Ayalew et al., 2017) allant jusqu'à 45%, d'autant plus que certains réservoirs sont construits comme bassins de rétention des eaux pluviales (Fennessey et al., 2001; Del Giudice et al., 2014). Cependant, une inondation excessive ou une rupture de barrage peut entraîner de grandes inondations (Ayalew et al., 2017), qui peuvent entraîner des victimes, y compris des morts (Tingey-Holyoak, 2014). Ces défaillances peuvent être plus fréquentes pour les petits barrages que pour les grands barrages en raison du manque de politiques adaptées, ce qui peut conduire à un manque d'entretien et à une tendance à stocker l'excès d'eau pour garantir la production (Pisaniello, 2010; Camnasio et Becciu, 2011; Tingey-Holyoak, 2014). On signale également fréquemment que les faibles débits diminuent lorsqu'un ensemble de petits réservoirs est présent dans un bassin (Neal et al., 2000; O'Connor, 2001; Hughes et Mantel, 2010; Nathan et Lowe, 2012; Thompson, 2012) avec une large dispersion (0,3 à 60%), bien que l'eau stockée peut parfois être utilisé pour maintenir un débit minimal (Thomas et al., 2011). La majorité des études se sont concentrées sur le débit annuel des cours d'eau, faisant état d'une diminution du débit annuel moyen allant de 0,2% (Hughes et Mantel, 2010) à 36% (Meigh, 1995). En moyenne, dans environ 30 références, la diminution du débit annuel moyen atteint 13,4% ± 8%".
Cette référence n'informe donc pas sur le volume et l'usage qui est fait de l'eau retenue, sur les échanges au fil de l'an avec les nappes et les sols, etc. Au demeurant, ce travail fait partie d'une expertise conjointe Irstea-Inra dont la principale conclusion était le manque de données robustes disponibles sur cette question. Quand un scientifique n'a pas de données fiables, il ne conclut pas autre chose que la nécessité d'acquérir des connaissances. Il est assez effarant de voir des scientifiques qui exigent des orientations publiques fortes sur des bases faibles. Mais dans le domaine de l'eau, nous sommes habitués à être effarés...
D'autres travaux existent que ceux cités par Christian Amblard (et d'ailleurs Florence Habets, qui prend elle aussi volontiers la parole de manière critique sur ce thème), nous en rappelons quelques-uns ci-dessous. Comme ces travaux sont ignorés, on est obligé de supposer que Christian Amblard s'exprime comme un militant davantage que comme un chercheur dans Le Monde. C'est tout à fait son droit, mais il importe de prévenir les citoyens que les expertises sur l'eau ne sont pas neutres et reflètent souvent l'idéologie de leurs auteurs.
Si les citoyens préfèrent détruire les retenues pour se retrouver avec des rivières à sec ou réduites à des filets d'eau en été, libre à eux. Mais qu'on leur présente les enjeux tels qu'ils sont. Ces enjeux sont par exemple les suivants :
- quelle eau veut-on sauvegarder, où et pour quels usages?
- quelles solutions ont montré la capacité à disposer d'eau localement?
- comment stocke-t-on une part plus importante des excès d'eau de l'automne au printemps, au lieu de les laisser filer à la mer?
- quelles connaissances a-t-on sur ce qui retient l'eau dans les sols, les nappes, la végétation riveraine, que ce soit par des moyens techniques ou naturels, les uns n'étant pas exclusifs des autres?
- quelle rivière veut-on pour ce siècle, "renaturée" quitte à avoir des assecs réguliers car la nature le veut ou préservant des retenues et plans d'eau qui existent souvent depuis le Moyen Age, voire plus tôt?
Une zone humide naturelle évapore davantage qu'un étang, contrairement aux idées reçues (Al Domany et al 2020)
Cette étude de quatre chercheurs de l'université d'Orléans sur un site à étang artificiel et zone humide naturelle du Limousin montre que le bilan hydrique d'un étang en terme d'évaporation est meilleur que celui de la zone humide. Les scientifiques soulignent que leur observation va à l'encontre des discours tenus par certains gestionnaires publics de l'eau, qui militent aujourd'hui pour la destruction des retenues et canaux au nom de la continuité écologique, de la renaturation ou du changement climatique. "En termes de politique française de l’eau et d’aménagement du territoire limousin, la préconisation d’effacer les étangs en arguant de leurs effets supposément négatifs dont la diminution de la ressource en eau mérite donc d’être fortement nuancée et de s’appuyer sur plus de données scientifiques rigoureuses."
Al Domany M et al (2020), Une zone humide perd-elle autant, moins ou davantage d’eau par évapotranspiration qu’un étang par évaporation ? Etude expérimentale en Limousin, Annales de géographie, 731, 83-112
Les moulins aident à retenir l'eau dans les bassins versants (Podgórski et Szatten 2020)
Deux chercheurs polonais ayant étudié l'effet morphologique, sédimentaire et hydrologique de moulins présents depuis 7 siècles sur une rivière notent que leur abandon s'est traduit par une perte de la capacité de rétention locale d'eau dans les nappes et de la rétention globale d'eau de surface dans le bassin versant. "Le déclassement des moulins à eau a entraîné un certain nombre de changements importants dans les ressources en eau. Les plus importants d'entre eux sont: la perte de capacité de rétention d'eau dans le bassin versant de la Struga Rychnowska et la baisse du niveau des eaux souterraines à proximité immédiate des anciens réservoirs d'eau. Actuellement, un intérêt renouvelé pour les anciens emplacements des moulins à eau existe, afin de restaurer la rétention d'eau et de les utiliser à des fins de petites centrales hydroélectriques modernes"
Podgórski Z et Szatten D (2020), Changes in the dynamics and nature of sedimentation in mill ponds as an indicator of environmental changes in a selected lake catchment (Chełmińskie Lake District, Poland), Water, 12, 1, 268
Donati F et al (2019), Do rivers upstream weirs have lotics or lentics characteristics?, Geographia Technica, 14, 2, 1-9
Supprimer les ouvrages des moulins à eau incise les rivières et assèche leurs lits majeurs (Maaß et Schüttrumpf 2019)
Deux chercheurs de l'université d'Aix-la-Chapelle montrent que l'implantation millénaire des moulins à eau a modifié progressivement la morphologie des lits mineurs et majeurs des rivières de plaine d'Europe occidentale. Dans ce type de cours d'eau, la suppression des ouvrages de moulin (chaussées, écluses, déversoirs) conduit à des incisions de lit mineur, à des moindres débordements en lit majeur d'inondation (donc des assèchements), à des transferts de sédiments plus fins (plutôt jugés néfastes en colmatage de fond). "Les lits majeurs autour des zones de retenue de l'eau sont plus souvent inondées pendant la période d'activité des moulins que ceux précédant leur construction en raison des niveaux d'eau plus élevés de la retenue au déversoir, ce qui entraîne une sédimentation relativement élevée dans les plaines inondables. Après l'élimination des moulins, les niveaux d'eau ne sont plus surélevés. Dans les chenaux, le débit ralenti en amont des seuils des moulins entraîne le dépôt de sédiments dans la zone de retenue. La période entre la construction et la destruction des moulins a été si longue que les taux d’inondation du lit majeur et, par conséquent, la sédimentation de ce lit majeur ont diminué en raison de l’augmentation de la hauteur des rives."
Maaß AL, H. Schüttrumpf (2019), Elevated floodplains and net channel incision as a result of the construction and removal of water mills, Geografiska Annaler: Series A, Physical Geography, DOI: 10.1080/04353676.2019.1574209
"La science est politique : effacer des barrages pour quoi? Qui parle?" (Dufour et al 2017)
Des chercheurs montrent les arbres déclinent dns zones amont de seuils effacés avec divers dysfonctionnements de la plaine alluviale, que des petits barrages dont l'examen démontre qu'ils ne forment pas d'entraves à la mobilité sédimentaire… ce qui les amènent à interroger le discours de justification de ces opérations. "Au cours de la dernière décennie, l'effacement des barrages et des seuils a été promu pour améliorer la continuité au long de nombreuses rivières. Cependant, de telles politiques soulèvent de nombreuses questions socio-écologiques telles que l'acceptabilité sociale, l'intégration des différents usages de la rivière, et l'impact réel sur les écosystèmes de cette rivière"
Dufour S et al (2017), On the political roles of freshwater science in studying dam and weir removal policies: A critical physical geography approach, Water Alternatives, 10, 3, 853-869
Les barrages comme refuges? Intégrer le changement climatique dans les choix sur les ouvrages hydrauliques (Beatty et al 2017)
Une dizaine de biologistes publie une perspective dans Biological Conservation soulignant que les réservoirs des grands barrages ont aussi des intérêts écologiques : ils servent de refuges face aux sécheresses, bloquent des espèces invasives, forment des écosystèmes lacustres ayant leur propre diversité. L'avenir à long terme du vivant après leur effacement n'est pas garanti si l'écosystème originel de la rivière a été très modifié. Et la valeur de l'eau stockée dans les retenues a par ailleurs toute chance de devenir plus forte en situation de réchauffement. "Dans des cours d'eau menacés de sécheresse où les refuges naturels seront perdus, l'implication des projections climatiques sur la valeur des barrages et les impacts de leur suppression doit être prise en compte par les chercheurs et les décideurs".
Beatty S et al (2017), Rethinking refuges: Implications of climate change for dam busting, Biological Conservation, 209, 188–195
Réponse négative de la végétation riveraine à la suppression d'ouvrages hydrauliques (Depoilly et Dufour 2015)
Une étude de long terme faite sur la végétation riveraine de deux fleuves côtiers bas-normands (Orne, Vire) montre que les arbres situés à l'amont de deux ouvrages de moulins effacés en 1997 ont connu une baisse significative de croissance, en particulier les aulnes. Pour les chercheurs, les écosystèmes aquatiques, les écosystèmes riverains, le bâti historique et les pratiques sociales doivent être davantage intégrés dans la programmation multidisciplinaire de la restauration de continuité écologique. "Les résultats de cette étude illustrent en partie la complexité des enjeux politiques et opérationnels qui s’articulent autour de la stratégie de restauration de la continuité écologiques des cours d’eau par suppression des ouvrages de type seuils ou petits barrages. En effet, cette stratégie soulève la question de notre capacité à combiner les effets de telles opérations sur des plans multiples, relevant des dimensions écologistes et socio-culturelles."
Depoilly D et Dufour S (2015), Influence de la suppression des petits barrages sur la végétation riveraine des cours d'eau du nord-ouest de la France, Norois, 237, 51-64
Par ailleurs, de très nombreux travaux scientifiques montrent que les plans d'eau hébergent de la biodiversité et rendent des services écosystémiques. Vous pouvez lire et surtout diffuser ce dossier de 100 références scientifiques produit par la coordination Eaux & rivières humaines. La négation des nouveaux écosystèmes créés au fil de l'histoire par les sociétés humaines relève souvent d'une vision intégriste de la "nature sauvage" comme seule référence possible de la réflexion écologique. Ces vues radicales et marginales n'a pas vocation à devenir la doctrine d'intérêt général de nos politiques publiques.