02/07/2019

Recours auprès de François de Rugy contre le plan de continuité écologique "apaisée"

Plusieurs associations (dont Hydrauxois) se sont rassemblées pour lancer la Coordination nationale Eaux et rivières humaines. Ce groupe entend notamment proposer au niveau national une défense unitaire de tous les ouvrages hydrauliques (moulins, étangs, retenues, barrages, canaux) et de tous leurs riverains. Eaux et rivières humaines vient d'écrire au ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, pour porter un recours gracieux contre certaines dispositions litigieuses de la note technique dite de "continuité apaisée" parue le 30 avril 2019.  Explications.  

Le travail mené par le Comité national de l'eau depuis 24 mois n'est pas représentatif des attentes des défenseurs des ouvrages hydrauliques, et ses conclusions sont très loin des évolutions nécessaires de l'action publique. La principale fédération de moulins (FFAM) a déjà signifié son refus de plusieurs dispositions du plan et de la note d'exécution de la continuité apaisée. Les représentants des étangs, des forestiers, des petits producteurs d'hydro-électricité, des défenseurs du patrimoine rural, technique et industriel n'ont pas été conviés à la conduite des échanges. Les associations indépendantes comme Hydrauxois pas davantage. D'autres secteurs de la société ont été sur-représentés dans ces travaux qui, conformément aux mauvais usages de l'administration centrale, ne sont pas représentatifs de la réalité et restent dans une logique  autoritaire verticale qui a mené à la faillite de la politique de continuité. Toutes les propositions visant à aller à la racine des problèmes et à réviser les choix publics ont été écartées. Et les récentes déclarations de François de Rugy (au Sénat comme à l'Assemblée nationale) suggèrent hélas une vision dramatiquement fausse des enjeux présents et futurs autour de la continuité.

Nous rappelons les conditions d'une "continuité apaisée" :
  • reconnaissance claire et sincère de l'existence légitime de tous les ouvrages autorisés en rivière,
  • arrêt immédiat de toute prime à la destruction de ces ouvrages,
  • financement public des dispositifs de franchissement autres que la bonne gestion des vannes et des ouvrages,
  • abandon de la doctrine inefficace, maximaliste et inadaptée de "renaturation" et de la "rivière sauvage", au profit d'une gestion adaptative des rivières avec leurs ouvrages et au service des biens communs menacés.
Toute tentative de biaiser encore ces attentes exprimées depuis 10 ans par le mouvement des riverains, correspondant à la lettre comme à l'esprit de la loi sur l'eau, est une perte de temps qui ne produira pas l'apaisement, mais l'exaspération.

Le recours porté par la Coordination nationale Eaux et rivières humaines concerne principalement quatre points :
  • l'organisation de nouvelles charges et l'inégalité devant les charges, avec insécurité juridique des "non prioritaires",
  • la persistance à promouvoir l'effacement d'ouvrage,
  • l'abus de pouvoir dans la discrimination des projets hydro-électriques,
  • la persistance à justifier la continuité par des gains d'habitats et non par des recherches de fonctionnalités, ainsi que pour des espèces sans besoin particulier de migration à longue distance.
Quelle que soit l'issue de ces échanges avec le ministère, nous vous rappelons par ailleurs que chaque association doit écrire au préfet de bassin et à l'agence de bassin pour être associer aux discussions sur la priorisation des rivières et des ouvrages. Cette démarche est indispensable pour exiger la concertation et, si elle n'est pas obtenue, pour engager de futurs recours contre les classements de priorité. Vous disposez à ce lien d'un modèle complet de courrier avec les adresses utiles.

En outre, deux autres recours (contentieux) en justice ont été déposés voici 3 mois par un collectif de 35 associations contre les programmes d'intervention des agences de l'eau Seine-Normandie et Loire-Bretagne, qui persistent à surfinancer les aides à la destruction des moulins, étangs barrages et canaux, en contradiction flagrante du prétendu "apaisement" public.

A tous les niveaux de l'action, les bureaucraties de l'eau doivent désormais cesser de faire de la destruction d'ouvrages légalement autorisés, écologiquement intégrés et socialement appréciés un élément des doctrines ou des planifications publiques.

Nous invitons toutes les associations désireuses de mener un vrai travail collectif sur leur grand bassin hydrographique et au niveau national à rejoindre la Coordination nationale Eaux et rivières humaines. Cela sans exclusive aucune et sans concurrence inutile par rapport à d'autres appartenances syndicales ou fédérales. Seule une action systématique et une tolérance zéro contre les abus de pouvoir permettront de protéger l'avenir des rivières françaises, de leurs ouvrages et de leurs usages.

La destruction et l'assèchement sur choix public des canaux, des biefs, des retenues, des lacs, des étangs, des plans d'eau, des mares, des zones humides, du patrimoine des moulins, des forges et des barrages représentent une catastrophe sans précédent et une dérive inadmissible des administrations en charge de l'eau.

Pour tous ceux qui en sont conscients, c'est désormais un devoir citoyen de s'engager et une obligation morale de défendre les patrimoines en péril, partout où notre parole collective devra porter.

Ci après, quelques arguments extraits du recours, pouvant aussi être utilisé dans des débats avec les services des préfectures.




Note technique NOR : TREL1904749N
Objet du recours

Page 4 : l’article L211-1 du Code de l’environnement ne doit pas être ignoré

La note litigieuse dispose :

« A l’échelle nationale, les objectifs de ces politiques ne sont pas incompatibles. A l’échelle locale, ils nécessitent de faire des choix dans le cadre d’un dialogue de qualité entre tous les acteurs. Le plan d’action cité ci-dessus présente des éléments de méthode et d’organisation pour que les discussions locales et nationales puissent se faire de manière apaisée, au service d’une mise en œuvre efficace de l’action publique, à la fois sur les plans techniques, administratifs, sociaux et économiques. »

Cette mention contredit l’article L211-1 CE qui prévoit une « gestion équilibrée et durable » de la ressource en eau, et rappelle les différents enjeux à prendre en compte en tout point du territoire.

Nous sollicitons en conséquence que les deux premières phrases de ce chapitre soient remplacées par : «Les discussions locales de mise en œuvre de la continuité écologique se feront dans le respect des enjeux établis à l’article L211-1 du code de l’environnement et des modalités de mise en œuvre prévues conformément à l’article L214-17 CE.»

Page 5 :   inégalité devant la loi et les nouvelles charges 

La note litigieuse vise à définir des ouvrages « prioritaires » au titre de la continuité écologique et précise :

« Les ouvrages sélectionnés seront prioritaires : - pour les moyens d’accompagnement et d’expertise coordonnée des services de l’État et ses établissements publics ; - pour les moyens financiers des agences de l’eau, même s’il demeurera toujours possible d’aider des opérations « volontaires » sur des ouvrages « non prioritaires » ; - pour la police administrative et les contrôles. »

Or, dans le même temps, aucune disposition n’est prévue pour définir au plan règlementaire le sort des ouvrages « non prioritaires ».  L’article L 214-17 CE prévoit un délai de 5 ans pour la mise en conformité, prorogé une fois de 5 ans. Donc le délai maximal de mise en œuvre se situe en 2021 ou 2022 selon les bassins.

En faisant le choix de concentrer sur cette courte période les instructions administratives et les aides financières sur certains ouvrages dits prioritaires :
- la note créé une pression supplémentaire sur certains ouvrages indéfinis,
- la note n’infirme ou ne confirme pas que les dispositions de l’art L214-17CE s’appliquent ou non aux ouvrages « non prioritaires »,
- la note instaure une inégalité manifeste des propriétaires d’ouvrages hydrauliques devant la loi et crée de nouvelles charges ou des différences sans base légale dans l’obligation de satisfaire des charges.

Nous sollicitons en conséquence l’annulation de cette disposition discriminante qui fait peser une charge spéciale particulière sur certains ouvrages indéfinis bien supérieure aux dispositions générales de l’article L214-17 CE et qui crée une inégalité de traitement dans la mise en œuvre de la loi commune à toutes les rivières classées.

Pages 6 et 7 : abus de pouvoir sur les futures instructions et autorisations de relance hydro-électrique des ouvrages autorisés 

La note technique litigieuse dispose :

« L’équipement pour la production hydroélectrique des seuils existants est en effet une priorité pour le développement de l’hydroélectricité, car il est considéré comme ayant un moindre impact sur les milieux que la création d’une centrale nouvelle. Toutefois, ce nouvel impact est délicat à justifier sur les seuils existants en liste 1 et ne peut être accepté que sous certaines conditions très particulières. Cela conduit à privilégier en premier lieu l’équipement des ouvrages existants situés en dehors des cours d’eau classés en liste 1 et à respecter des exigences plus fortes d’évitement, de réduction et, le cas échéant, de compensation, en cas de projet d’équipement sur un seuil en liste 1, sur lesquelles les porteurs de projets doivent être alertés. »

Les ouvrages sous statut de droit fondé en titre sont réputés réguliers et autorisés pour faire usage de la force hydraulique tant au titre du code de l’environnement qu’au titre du code de l’énergie. Les autres, ayant fait l’objet d’une autorisation administrative peuvent produire dans le cadre de ce règlement. La jurisprudence a notamment précisé que ni les listes 1 ni les listes 2 ne s’opposent à la construction d’un nouvel ouvrage, a fortiori à la relance d’un ouvrage existant a fortiori toujours autorisé.

Dans l'arrêt du Conseil d'Etat "moulin du Bœuf" du 11 avril 2019 (n° 414211), il est expressément  rappelé par le juge que l'intérêt d'un projet d'énergie renouvelable est d’intérêt général au sens de la loi sur l’eau et ne s'apprécie pas selon sa puissance : "Il résulte de ces dispositions que la valorisation de l’eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d’électricité d’origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource constitue l’un des objectifs de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau dont les autorités administratives chargées de la police de l’eau doivent assurer le respect. Il appartient ainsi à l’autorité administrative compétente, lorsqu’elle autorise au titre de cette police de l’eau des installations ou ouvrages de production d’énergie hydraulique, de concilier ces différents objectifs dont la préservation du patrimoine hydraulique et en particulier des moulins aménagés pour l’utilisation de la force hydraulique des cours d’eau, compte tenu du potentiel de production électrique propre à chaque installation ou ouvrage."

Dans la directive européenne énergies renouvelables n°2018/2011 du 11 décembre 2018, il est expressément dit par le législateur de l'Union que tous les projets doivent être soutenus en Europe y compris l'autoconsommation en petite puissance. Il est aussi précisé que les Etats doivent faire des demandes proportionnées : "Les petites installations peuvent largement contribuer à renforcer l'acceptation par le public et à assurer le déploiement de projets en matière d'énergie renouvelable, en particulier au niveau local. Les États membres peuvent imposer des frais non discriminatoires et proportionnés aux auto-consommateurs d'énergies renouvelables pour l'électricité renouvelable qu'ils ont eux-mêmes produite et qui reste dans leurs locaux, dans l'un ou plusieurs des cas suivants: (...)c) si l'électricité renouvelable produite par les auto-consommateurs est produite dans des installations d'une capacité électrique installée totale supérieure à 30 kW."

Nous sollicitons en conséquence l’annulation de ces dispositions illégales.

Page 12 : priorité donnée à l’effacement sur certains cas prioritaires et motivations indues par rapport aux enjeux légaux de la continuité 

La note technique litigieuse indique comme critère de priorité pour les tronçons prioritaires :

« les sections de cours d’eau où le gain écologique serait le plus fort avec le moins d’interventions possibles, notamment les secteurs sur lesquels l'effacement permet la reconquête et la diversification de linéaires significatifs de cours d'eau dégradés ou très dégradés (notamment en zone de plaine) »

« pour les cours d’eau à espèces exclusivement d’eau douce (holobiotiques) : il est important de recréer des habitats (dont frayères), par effacement par exemple, pour les espèces holobiotiques rhéophiles (grands cyprinidés)».

Cette préconisation :
- porte un soutien implicite a priori à « l’effacement » d’ouvrages autorisés alors que ni les lois françaises ni les directives européennes n’ont jamais prévu cette exigence ;
- pourrait s’appliquer à tous les moulins et étangs de France, ouvrant toutes grandes les portes de l’intuitu personae ;
- suggère le principe contesté que l’objectif de la continuité écologique serait la restauration d’habitats ou de profils antérieurs de la rivière, alors que le classement de continuité (objet du plan et de la note technique) évoque la circulation de poissons migrateurs et le transit de sédiments, non pas  une doctrine de « renaturation » de rivières ou de soutien d’effectifs de poissons holobiotiques.  La circulaire du 18 janvier 2013 sur la mise en œuvre du classement en liste 2 était claire : «L’objectif de la liste 2 est l’amélioration du fonctionnement écologique des cours d’eau. Il ne s’agit pas de rendre au cours d’eau son état naturel d’origine mais de rétablir des fonctions écologiques et hydrologiques à un niveau permettant notamment l’atteinte des objectifs de la DCE, en rétablissant une circulation optimale des poissons migrateurs et un transfert suffisant des sédiments.»

Nous sollicitons en conséquence l’annulation de ces dispositions illégales.

***

Rappel : nous nous retrouvons tous à la fin de ce mois pour organiser la promotion des ouvrages et la reconquête des rivières. En présence de nombreux experts, responsables d'associations, exposants. Inscrivez-vous vite !


30/06/2019

Eau, climat, vivant, paysage : s'engager pour les biens communs

Moulins, forges, étangs et autres ouvrages anciens ont souvent une conscience aigüe du patrimoine et du long terme. Ils ont accompagné les générations dans l'histoire, et leurs enjeux toujours différents. Aujourd'hui, ils doivent se projeter dans le 21e siècle et s'engager dans la protection des biens communs menacés ou perturbés que sont l'eau, le climat, le vivant, le paysage. 


L'eau est un bien jadis abondant mais qui, selon les lieux, devient de plus en plus rare du fait d'un usage intensif par les populations et des évolutions climatiques. Cette eau est aussi polluée par les rejets d'activités humaines.

Le climat se dérègle du fait des émissions excessives de gaz carbonés à effet de serre, et les chercheurs prédisent que les désagréments liés au réchauffement vont devenir de plus en plus importants, au point de dépasser les quelques avantages.

Le vivant affronte une baisse de sa biodiversité, comparée par certains experts au début d'une 6e extinction, en raison de la raréfaction des habitats, de la surexploitation des espèces ou de la pollution des milieux.

Le paysage, enfant des interactions sociétés-milieux, a été un peu partout défiguré par des artificialisations hâtives des sols et par des choix insensibles à l'intérêt d'une évolution lente des mondes vécus.

Ces différents enjeux sont des biens communs : ils n'appartiennent à personne, mais ils résultent de l'action de tous.

Ces biens communs sont en crise et notre époque ("l'Anthropocène") est marquée par une prise de conscience : nous ne pouvons plus agir dans l'ignorance et l'amnésie, nous ne pouvons plus sacrifier partout et toujours la durée au court-termisme et la coopération intelligente à la compétition de tous contre tous.

Les moulins, comme les forges, étangs et d'autres ouvrages hydrauliques hérités de l'histoire, ont un rôle à jouer face à la crise contemporaine des biens communs.

Une politique bien intentionnée mais mal conduite, dite de "continuité écologique" a fâché les ouvrages hydrauliques avec l'action publique en France. Cette politique proposait une doctrine de "renaturation" où l'ouvrage en rivière est simplement vu comme anomalie à faire disparaître. Mais l'expérience et l'évolution des connaissances montrent que cette vision était trop binaire, trop simpliste, aussi trop brutale pour créer l'union nécessaire. Elle a méconnu tout ce que les ouvrages peuvent apporter localement :
  • l'ouvrage hydraulique peut gérer l'eau, recharger la nappe en hiver, héberger du vivant en été, contribuer à réguler et ralentir des crues, freiner des pollutions aiguês et épurer des pollutions diffuses;
  • l'ouvrage hydraulique peut produire de l'énergie peu carbonée et réduire les émissions de gaz à effet de serre, il peut servir de refuge climatique en étiage, il peut aider à rafraîchir des communes;
  • l'ouvrage hydraulique possède aussi des habitats et son usage de l'eau peut être optimisé pour favoriser localement le vivant aquatique, tout en baissant ses impacts sur des espèces migratrices;
  • l'ouvrage hydraulique a bâti le paysage des fonds de vallée, il est intégré dans l'histoire et il contribue aux identités locales.

Moulins, forges, étangs et autres ouvrages ont ainsi la capacité de s'engager pour la défense des biens communs. Ils doivent en avoir la volonté.

Pour y parvenir, il ne faut évidemment pas traiter l'ouvrage hydraulique en anomalie à faire disparaître, mais en partenaire à mobiliser dans une perspective de gestion adaptative de l'eau, de la biodiversité, du climat et du paysage.

Beaucoup de propriétaires et riverains d'ouvrages anciens ont une conscience du long terme, le sentiment de n'être qu'une étape dans une longue chaîne de transmission des biens bâtis. Ils savent que défaire est aisé, mais faire est difficile. Les propriétaires et riverains doivent élargir cette conscience au-delà du patrimoine bâti, tout en continuant à le respecter, l'entretenir et le transmettre.

Il y a souvent eu, dans la séquence 1950-2000, une perte de la culture hydraulique, une perte de la vocation des ouvrages en rivière. Aussi une rupture des expériences vécues avec la nature, et la disparition d'un certain bon sens. Aussi un laisser-aller, où l'on attendait tout de l'Etat sans se prendre en main au niveau de chaque territoire. Mais cette période se referme rapidement. Le monde des moulins et étangs doit se projeter dans les défis de son siècle et il doit aider à les relever. C'est aussi à ce prix que nous formerons des politiques durables et partagées des rivières et de leurs ouvrages hydrauliques.

Illustration : le moulin de Rainville dans l'Orne, au coeur de la mobilisation dans ce département.

27/06/2019

Transition pour le Morvan 2035 : 100 petites centrales hydro-électriques

Le parc naturel régional du Morvan envisage dans sa charte 2020-2035 la relance de 100 petites centrales hydro-électriques, en priorité sur des sites anciens déjà en place, n'impactant pas davantage les milieux assez préservés du territoire. Nous saluons et partageons cette vision, qui est l'option de moindre impact écologique pour développer des ressources locales bas-carbone. Le surcroît d'attention porté aux milieux lentiques (lacs, étangs, mares) nous paraît aussi un angle important pour gérer la biodiversité du Morvan et ses services écosystémiques. 


Le parc naturel du Morvan est en train de se doter d'une nouvelle charte 2020-2035. Conformément à la loi, celle-ci a fait l'objet d'une évaluation environnementale par une autorité indépendante.

Parmi les remarques de l'Autorité environnementale, certaines concernaient les énergies renouvelables : "préciser la trajectoire (évolution des consommations et augmentation de la production) nécessaire pour atteindre l’objectif fixé par la charte d’un «territoire à énergie positive», de décomposer ces objectifs par secteur et par type d’énergie renouvelable et de spécifier les moyens associés à la mise en œuvre de la mesure 23"

Nous sommes heureux de constater que dans sa réponse à l'Autorité environnementale, le PNR du Morvan prévoit (p. 25) :

"Réhabilitation de 100 petites centrales hydroélectriques"

Cet objectif est tout à fait à portée sans créer de nouvel obstacle à la continuité en long ni artificialiser de nouveaux milieux, car le territoire du Morvan contient de nombreux moulins et étangs (ainsi que des barrages sans usage énergétique). Notre association, avec ses consoeurs de la Nièvre et de la Saône-et-Loire, participera à cet objectif en sensibilisant les adhérents propriétaires de moulins à l'importance de relancer l'énergie bas carbone des site anciens, tout en veillant à mettre en place des prises d'eau ichtyocompatibles. On peut aujourd'hui éliminer quasi-totalement la mortalité des poissons en dévalaison, surtout dans les petits sites. C'est évidement un enjeu.

Nous notons également avec satisfaction une reconnaissance de la valeur des milieux lentiques, qui ont été trop souvent les oubliés de la biodiversité, mais qui font l'objet d'un regain d'intérêt par la recherche écologique en France et en Europe (ci-après, reproduction de la p. 67 de l'avis de l'Ae).


"Les eaux dormantes : lacs, étangs et mares

Le Morvan est caractérisé par la présence d’un grand nombre d’étangs (plus de 3450 – source BD Topo IGN). Ils sont tous artificiels et, pour la plupart, créés sur le lit mineur des cours d’eau. Cette catégorie est très large pour ce qui est de la taille des plans d’eau concernés.

Les six grands lacs de barrage ont des surfaces allant de 75 ha à 520 ha. Les étangs sont très majoritairement des plans d’eau de petites tailles (87 % sont inférieurs à 1 ha, 97 % sont inférieurs à 5 ha). Les mares, au nombre de 3018 recensées dans la base du Conservatoire d'Espaces Naturels de Bourgogne, ont, en moyenne, une surface de 150 m2.
L’intérêt écologique des étangs, comme leur impact sur l’écosystème "eau courante", est variable en fonction de leur taille, mais surtout en fonction de la morphologie de la cuvette et de la gestion qui y est pratiquée.

Les masses d’eau contiennent assez peu d’espèces, souvent communes aux eaux courantes déjà vues. On notera la présence de la Renoncule blanche, une renoncule aquatique rarissime en Bourgogne, désormais protégée par l’intégration de sa station dans la RNR des tourbières du Morvan. Au fond de l’eau, rarement découvert, existe aussi l’Isoète des lacs, non revu depuis plusieurs années malgré des recherches.

En s’approchant des bords, toujours dans l’eau, le nombre d’espèces augmente. On trouve dans les ceintures de végétations les plus internes, s’exondant annuellement, des espèces comme le Millepertuis des marais, le Scirpe flottant ou le Flûteau nageant, dont une partie flotte en période de hautes eaux. C’est sur les berges basses, les plus rapidement émergées que le nombre d’espèces rares explose. On retrouve toutes les précédentes et s’ajoutent l’Élatine à six étamines, le Scirpe à nombreuses tiges, le Scirpe à inflorescence ovoïde, l’Illécèbre verticillé, la Littorelle des étangs ou la Boulette d’eau en fonction de la nature du substrat (sol minéral ou organique).

Plus haut, sur les berges émergées longuement, des végétations plus eutrophes s’installent avec le Bident soudé, le Bident radié, l’Ansérine rouge ou la Patience des marais. Mais cette succession d’habitats et d’espèces n’est pas la seule possible dans le Morvan. Si le plan d’eau est à niveau stable au cours de l’année, et encore plus s’il est en contexte tourbeux, les ceintures de végétation sont toutes autres. On trouvera alors en ceinture interne diverses cariçaies et tremblants tourbeux assurant la transition avec les milieux terrestres. Dans ces habitats très particuliers, on trouve la Laîche à deux étamines et la Laîche à fruit barbu, rarissimes tous deux.

Les plans d’eau constituent sans nul doute des reversoirs de nourriture intéressants pour la Loutre, mais leur contribution au maintien de la biodiversité est surtout importante pour les Odonates (la Cordulie arctique ou le Sympétrum noir sur tourbières et étangs tourbeux, la Cordulie à deux taches, le Sympétrum commun, la Grande aeshne sur les queues d’étangs).

Les amphibiens sont bien représentés dans le réseau très dense de mares. Les espèces sont assez communes. Cependant, le Triton crêté est bien représenté dans les mares en système bocager en limite ouest, nord et est du territoire. Il faut également noter qu’une des trois plus importantes populations de Triton marbré de Bourgogne se trouve dans le bassin d’Autun. Enfin, l’Écrevisse à pattes rouge est présente dans quelques étangs, issue de repeuplements."

25/06/2019

Identifier, protéger, gérer les habitats aquatiques et humides du moulin

Les moulins ont des habitats associés à leur fonctionnement: retenue, canaux et rigoles, zones humides annexes. Il y a aussi de nombreux micro-habitats comme par exemple des embâcles en décomposition, des caches racinaires en pied d'arbre, des roselières ou des cariçaies. Les moulins anciens en tête et milieu de bassin se sont parfois partiellement "renaturés" avec le temps, offrant des profils originaux. A l'heure de la crise de la biodiversité, il est important pour les propriétaires de se sensibiliser à l'existence de ces milieux et de réfléchir à leur bonne gestion. Il est aussi possible de profiter de la circulation de l'eau pour créer de nouveaux habitats, comme par exemple des mares en dérivation de bief ou en zone alimentée par la recharge de nappe. Pour qui y prend garde, toute une faune d'insectes, amphibiens, mollusques, crustacés, poissons, oiseaux, mammifères pourra profiter de la présence de l'eau et de la végétation souvent luxuriante de berge, avec d'autant plus de diversité qu'on laissera de la place pour des habitats variés, tantôt permanents tantôt intermittents. Si le moulin se définit d'abord par les besoins de gestion hydraulique, parfois au bénéfice de l'énergie exploitée sur le site, les nouveaux enjeux de la biodiversité peuvent le conduire à développer aussi une gestion écologique et morphologique des eaux qui traversent la propriété. Ainsi, le moulin s'inscrit dans la durée comme un patrimoine vivant... dans tous les sens du mot!

Identifier des espèces n'est pas toujours facile, mais cartographier des habitats est davantage à portée. Cela forme une première étape pour réfléchir à la gestion de son bien. La planche ci-dessous donne quelques exemples d'habitats d'un moulin en tête de bassin du Morvan.


Si votre moulin (ou étang) est situé en Bourgogne Franche-Comté et que vous êtes intéressé par un travail en réseau sur la gestion de la biodiversité au droit des ouvrages hydrauliques, contactez-nous. Avec nos consoeurs de la région, nous commençons à mettre en commun des observations, mutualiser des bonnes pratiques, définir des méthodes d'inventaire, améliorer l'engagement des moulins et étangs pour la protection du vivant.

A lire aussi
Et si votre moulin devenait un refuge LPO pour les oiseaux? 

23/06/2019

Des chercheurs appellent à revoir les méthodes de la gestion écologique des rivières

La gestion écologique des rivières au 20e siècle consistait le plus souvent à s'inspirer des fonctionnements et peuplements antérieurs pour essayer d'y revenir, en supposant possible le retour à l'état d'origine avant perturbation, et considérant comme suffisant cet objectif. Mais avec le changement climatique imposant des conditions nouvelles, parfois extrêmes, de débit et température, ce paradigme entre en crise, préviennent neuf chercheurs dans la revue scientifique internationale Nature. Nous devons aujourd'hui apprendre à gérer les rivières à l'âge Anthropocène pour éviter l'effondrement de leurs populations et la ruine de services écosystémiques rendus aux humains. Cette gestion adaptative peut inclure les instruments nés de l'exploitation de la rivière, comme les barrages permettent de réguler débits et réserves d'eau. Ce qui pose question : avec son objectif de disparition du maximum d'ouvrages et retenues au nom de la continuité en long et de la préférence aux habitats originels plutôt qu'anthropisés, la gestion publique française est-elle en retard d'une guerre en période de changement climatique? 


Mort en masse de poissons dans des canicules et sécheresses en Australie, Allemagne, Suisse, Espagne... l'actualité commence à donner quelques aperçus de ce que signifie le changement climatique pour la variation future des débits. Ce qui reste aujourd'hui exceptionnel pourrait devenir la norme en 2050. Et s'aggraver même ensuite, impliquant des changements majeurs dans les deux paramètres directeurs des écosystèmes de rivière: le débit et la température.

Jonathan D. Tonkin, N. LeRoy Poff et sept collègues publient dans la revue scientifique Nature une tribune alertant les gestionnaires de rivière sur les implications des prédictions climatiques.

Leur constat : l'idée qu'il faut simplement revenir à l'idée d'origine de la rivière n'est plus valable. "Que doivent faire les gestionnaires de rivière? Ils ne peuvent plus utiliser des outils anciens: des techniques de gestion conventionnelles visant à restaurer les écosystèmes dans leur état d'origine. Le développement humain en cours et le changement climatique font que ce n’est plus possible. Et les modèles fondés sur les corrélations passées ne permettent guère de prédire comment les espèces pourraient réagir dans le futur à des changements sans précédent. Une approche différente s'impose."

En lieu et place d'une tentative de restauration de profils et peuplement antérieurs de rivière, les chercheurs préconisent une gestion adaptative : "Afin de maintenir les réserves d'eau et d'éviter des effondrements dévastateurs de population, les rivières doivent être gérées de manière adaptative, ce qui améliore leur résilience et limite les risques. Les chercheurs doivent également mettre au point de meilleurs outils de prévision permettant de prévoir comment les espèces clés, les stades de la vie et les écosystèmes pourraient réagir aux changements environnementaux. Cela signifiera aller au-delà du simple suivi de l'état des écosystèmes pour modéliser les mécanismes biologiques qui sous-tendent leur survie."

Sont cités en exemple la gestion fine des débits pour assurer la germination (dépendante du débit) des peupliers indigènes (Populus spp.) des Etats-Unis en raison de leurs services rendu ou  l'assistance à traverser l'étape critique pour le stade juvénile du saumon coho (Oncorhynchus kisutch) que forment les sécheresses estivales.

Quatre étapes pour construire la gestion des rivières
Pour les scientifiques, une démarche en quatre étapes s'impose afin de parvenir à accompagner les changements hydro-climatiques.

"Recueillir des données sur les mécanismes. Nous appelons à une nouvelle campagne mondiale pour rassembler des données d'histoire naturelle sur les réponses de la biodiversité aux changements du débit des rivières. Les estimations de la fécondité et de la survie à différents stades de la vie nécessiteront une surveillance sur le terrain. D'autres informations, telles que les taux de mortalité induite par les débits, pourraient être recueillies par le biais d'expériences sur le terrain et en laboratoire. Les données provenant de différentes sources peuvent également être combinées, notamment les caractéristiques des espèces, l'abondance de la population à tous les stades de la vie et les données de télédétection sur l'état des écosystèmes à des échelles plus larges. Nous exhortons les agences locales, nationales et fédérales, ainsi que les chercheurs, les organisations non gouvernementales et d'autres organismes, à mettre à disposition les données existantes.

Décrire les processus clés dans les modèles. Les scientifiques doivent mieux articuler les relations entre la dynamique de la population et les schémas d'écoulement de l'eau dans des modèles basés sur des processus. Par exemple, les modèles doivent décrire le degré de reproduction ou de survie des plantes à différents stades de leur vie lors d'inondations ou de sécheresses, les conditions et le moment d'écoulement nécessaires au poisson pour se reproduire ou les taux de croissance des populations d'insectes après des inondations de tailles différentes. Les résultats doivent être clairement exprimés pour que les gestionnaires de rivière et les décideurs puissent les comprendre et les utiliser.

Se concentrer sur les goulots d'étranglement. Des interventions ciblées visant à éviter l'effondrement des populations lors d'écoulements extrêmes constitueront la pierre angulaire de la gestion des rivières pour leur résilience à l'avenir. En conséquence, les gestionnaires de barrages devraient se concentrer sur les étapes de la vie les plus vulnérables ou les plus sensibles, et pas seulement sur l'abondance de la population. Malheureusement, à mesure que les conditions extrêmes de débit se généraliseront, les scientifiques et les gestionnaires pourront observer les dépérissements et calibrer les modèles.

Préciser l'incertitude. Le niveau de confiance des gestionnaires dans les résultats des modèles influera sur leur volonté de faire face à divers niveaux de risque. Les prédictions devraient donc quantifier le niveau de confiance que l'on peut leur accorder. Les scientifiques doivent présenter clairement les incertitudes des prévisions. Les modèles doivent être testés par analyse rétrospective (prédire la taille passée ou présente de la population, par exemple), et les incertitudes du modèle doivent être retracées des données d'entrée jusqu'aux résultats. Les lacunes dans les connaissances qui compromettent le plus la précision doivent être identifiées. Les modèles doivent être régulièrement mis à jour, testés et améliorés à mesure que de nouvelles données arrivent."

Notre association ayant régulièrement déploré le manque de disponibilité de données et d'utilisation de modèles dans la gestion des rivières, nous ne pouvons que nous féliciter de cette mise en avant du problème dans une revue très influente. Une certaine prudence s'impose toutefois concernant la modélisation, comme les auteurs le rappellent en insistant sur les incertitudes : elle reste très complexe à mettre en oeuvre pour l'évolution du vivant, domaine où les contextes locaux, les perturbations aléatoires, les capacités adaptatives endogènes de chaque espèce et les interactions espèce-espèce espèce-milieu en quantités rapidement "explosives" jouent un rôle prépondérant.

Concernant les politiques menées en France, on peut faire les remarques suivantes :
  • la doctrine opposant "l'état de référence" passé d'un cours d'eau à son état présent n'a guère de sens en écologie si les prédictions des modèles climatiques sont correctes et si les conditions aux limites du vivant aquatique changent de manière importante;
  • une gestion adaptative suppose de disposer des outils de gestion, notamment tout ce qui régule le débit et la rétention d'eau dans les bassins. Casser aujourd'hui ces outils (en effaçant des barrages et vannes) au lieu de les adapter (par des dispositifs de montaison-dévalaison), c'est se priver  de leur potentialité et d'une liberté d'action future;
  • le souci de l'environnement, l'expérimentation dans les méthodes et l'agilité dans la gestion des rivières gagneraient à faire des propriétaires et gérants d'ouvrages hydrauliques des alliés de ces enjeux importants pour le vivant et pour la société, plutôt qu'à diviser sur des approches passées, voire dépassées.

Référence : Tonkin JD et al (2019), Prepare river ecosystems for an uncertain future,
Nature 570, 301-303 (2019)

Illustration: Jsayre64, Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0.

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