09/11/2012

La qualité de la Seine et de ses affluents en Côte d'Or

Comment se portent la Seine et ses affluents de Haute Côte d'Or ? Pour répondre à cette question, le Syndicat intercommunal des cours d'eau du Châtillonnais (Sicec) et la Fédération départementale de pêche et de protection des milieux aquatiques de Côte d'Or (FDAAPPMA 21) viennent de publier les résultats d'une vaste étude menée en 2011. Ce document a pour objet l'analyse de la qualité des eaux superficielles en vue de mettre en valeur les milieux aquatiques et de protéger les espèces piscicoles.

Le travail était d'autant plus nécessaire que l'on ne disposait pas jusqu'à présent de données systématiques sur la Seine et ses affluents cote-doriens : « les informations récentes obtenues dans le cadre des suivis DCE [directive cadre sur l'eau] sont insuffisantes pour dresser un état des lieux complets de la situation piscicole du réseau hydrographique […] Quant aux affluents, ils n'ont jamais fait l'objet d'investigation exhaustive de leur peuplement ». Il s'agit donc d'un « état zéro », en quelque sorte.

Une tête de bassin à socle marneux et calcaire
La Seine a un lit de 85 km en Côte d'Or, département où elle prend sa source (Source-Seine, canton de Venarey-les-Laumes). Ce parcours représente 11% de la longueur totale du fleuve (777 km). Le bassin versant cote-dorien de la Seine totalise 632 km, sur un socle géologique qui est essentiellement composé de marnes et calcaires. Ce terrain très perméable peut provoquer des infiltrations dans les failles et dolines, voire des assecs (zones où la rivière suit son lit souterrain avec de ressurgir en surface).

La Seine est assez rapidement renforcée par des affluents en Côte d'Or. Après 25 km de cours, elle reçoit les eaux du Revinson (long lui-même de 17 km et alimenté par la Coquille, 10 km). A 37 km de sa source, la Seine est rejointe par le Brevon (long de 32 km). L'étude du Sicec et de la Fédération départementale de pêche a concerné au total 21 stations réparties sur 8 masses d'eau : le cours de la Seine elle-même, le Brevon, le Revinson, la Coquille, les affluents de la Coquille, le réseau des ruisseaux formant des affluents directs de la Seine en Côte d'Or.

Quatre dimensions pour un diagnostic
Pour établir son diagnostic, l'étude a examiné à titre principal quatre caractéristiques des cours d'eau de Haute Côte d'Or :

- la qualité physique (Indice d'attractivité morphodynamique, IAM, ou simple description vitesse de courant, hauteur d'eau, rapport substrat/support, température) ;

- la qualité physico-chimique et la présence de certains polluants ;

- les peuplements macrobenthiques (Indice biologique global normalisé, IBGN ; protocole MAG20, pdf, diverses sous-indices de mesures structurelles et hydro-écologiques comme EPTC, RQE, Cb2, etc.), désignant des genres de crustacés, mollusques ou ici insectes (Chloroperlidae, Perlidae, Perlodidae) connus pour être des marqueurs de qualité de l'eau ;

- les peuplements piscicoles enfin, analysés par pêche électrique (méthode Delury) compte tenu de la faible profondeur des tronçons concernés. L'espèce la plus caractéristique et la plus exigeante pour sa reproduction est la truite fario. Certaines espèces d'accompagnement (chabot, vairon, loche franche) donnent également des indications de qualité.
Une qualité physique et physico-chimique dégradée
La qualité physique (morphodynamique) du bassin de Haute Seine laisse à désirer : 80% des stations sont en état mauvais ou très mauvais. Les causes en sont les suivantes : sévérité des étiages, diversité moyenne des substrats, colmatage du fond par des matières fines, piétinement bovin et affaissement des berges, absence de ripisylve (arbres de rive) impliquant la hausse des températures et l'absence de caches racinaires, les obstacles à l'écoulement et étangs artificiels favorisant eux aussi le colmatage ou la hausse des températures.

La qualité physico-chimique n'est pas toujours plus enviable. La totalité du linéaire présente des concentrations trop fortes en ammoniaques et phosphates (NH^4+, PO4^3-). Les nitrates (NO^3-) ont un niveau conforme à la DCE sur la plupart des sites, mais ils sont néanmoins en quantité trois à dix fois supérieure au niveau optimal pour la vie aquatique. Les concentrations de ces substances chimiques augmentent lors des étiages, augmentant le stress sur la vie aquatique. Les matières organiques se prêtent par ailleurs à l'oxydation, et consomment en conséquence l'oxygène dissout présent dans les cours d'eau. Dans certains cas (Revinson), le taux d'oxygénation approche de sa valeur-limite pour les espèces qui en dépendent (la « biocénose aérobie »), même si le bassin reste dans un état global correct de ce point de vue.

Le rapport souligne que « la pollution par les matières organiques, provenant essentiellement de l'épuration défectueuse des communes et de l'activité agricole (épandage d'engrais et de fumier / lisier, rejets de stabulation, piétinement et déjection des bovins au niveau des berges et dans le lit des cours d'eaux), est le problème majeur de l'altération de la qualité physico-chimique des eaux du bassin de Seine ».

Les HAP s'ajoutent aux pollutions agricoles et domestiques
Mais les rejets de matières organiques par les réseaux domestiques et les activités agricoles ne sont pas les seules en cause. La Seine et le Brevon présentent une « forte altération » par les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des molécules carbone-hydrogène provenant essentiellement de la combustion du charbon et du pétrole (carburant, fioul). Ces composés étant hydrophobes (insolubles dans l'eau), ils pénètrent préférentiellement les sédiments et les matières en suspension. Comme le rappellent le rapport, « ils vont affecter en tout premier lieu les espèces benthiques (macro-invertébrés et poissons) entraînant la disparition des espèces les plus polluosensibles. Possédant un fort pouvoir de bio-accumulation, les HAP vont transiter dans tous les maillons de la chaîne alimentaire des cours d'eau et s'accumuler dans les tissus des espèces situées au sommet de la pyramide trophique ».

Cette pollution indirecte par les combustibles fossiles rappelle au passage tout l'intérêt qu'il y a de développer des sources d'énergie non carbonées, parmi lesquelles figure l'énergie hydraulique. Les effets des fossiles ne se limitent pas à la concentration atmosphérique et au forçage radiatif des gaz à effet de serre, ils concernent également l'eau et la vie aquatique, qu'il s'agisse de l'acidification des océans ou de la pollution des rivières.

La conséquence logique de la présence des HAP, phosphates, nitrates et ammoniaques est que les peuplements macrobenthiques les plus sensibles à la pollution (groupes 8 et 9) ont quasiment tous disparu du bassin de la Seine cote-dorienne. Mais ce constat doit être nuancé car, au regard de critères retenus par la directive-cadre sur l'eau, les autres peuplements sont dans un très bon état, voire un état de référence dans les parties amont des rivières. L'altération reste donc relative.

Des peuplements macrobenthiques
et piscicoles perturbés
S'agissant des peuplements piscicoles, les situations sont contrastées. Dans l'ensemble, en dehors des zones les moins touchées par l'influence humaine, la population de truite fario est plutôt déficitaire par rapport à ce que l'on peut attendre d'un hydrosystème équivalent en très bon état écologique : le déficit va de 20 à 100 %, avec une moyenne de 50% sur l'ensemble des stations. Il existe des fluctuations fortes sur certaines rivières comme le Brevon, avec des zones proches de l'optimum et d'autres à présence nulle. Le chabot et la loche franche sont également déficitaires dans l'ensemble du réseau étudié, le vairon ayant une présence plus équilibrée. L'ombre a été réintroduit par la fédération de pêche, le blageon (cyprinidé rhéophile) a fait sa réapparition.

Au total, on a relevé 8 espèces dans la Seine (contre 5 signalées voici l'inventaire de 1992), autant dans le Brevon, 7 espèces dans le Revinson, 5 espèces dans les affluents du Revinson. Les ruisseaux affluents de la Seine ont une biodiversité très variable, de 2 à 8 espèces.

Au final, très peu de stations peuvent justifier d'un très bon écologique au regard des peuplements macrobenthiques et piscicoles. L'étude ne permet d'attribuer avec précision (c'est-à-dire avec une mesure relative de chaque facteur) les causes de cette situation. Néanmoins, les auteurs concluent, pour l'ensemble du réseau hydrographique : « La qualité globale de l'eau demeure le facteur limitant essentiel du réseau hydrographique. L'analyse des eaux de surface montre le caractère vulnérable des secteurs karstiques avec une importante contamination aux nitrates liées aux activités agricoles des plateaux, engendrant d'importantes prolifération alguales. Toute action restauratrice engagée verra ses effets pénalisés plus ou moins rapidement par ce facteur prépondérant ». S'y ajoutent « assèchement des zones humides, captages, drainages ».

Les obstacles à l'écoulement – qui intéressent au premier chef notre association dédiée à la promotion du patrimoine et de l'énergie hydrauliques – figurent également parmi les facteurs limitant la biodiversité piscicole : l'étude souligne que cette cause est dominante sur le linéaire de la Seine (obstacle infranchissables en montaison) et sur certains secteurs du Brevon (étangs à eaux réchauffées, faible circulation, potentialisant une pollution locale par l'assainissement défectueux). Enfin, l'absence de ripisylve peut être un facteur dominant sur certains tronçons (Revinson) car elle signifie un défaut de cache et un réchauffement estival important.

En conclusion
D'abord, il convient de souligner la grande qualité du rapport publié par le Sicec et la FDAAPPMA 21. La méthodologie est décrite et référencée, les annexes donnent toutes les mesures réalisées, la synthèse est claire. Il manque éventuellement des résumés pour un plus large public, pas toujours familier avec le vocabulaire de l'hydro-écologie, de l'hydromorphologie et de l'hydrobiologie. Il conviendrait aussi de mieux préciser comment sont fixés les peuplements de référence (permettant de dire que telle espèce est sous-représentée sur un tronçon) : en l'absence de données historiques, puisqu'il s'agit d'un « état-zéro », on ne sait pas comment est évalué le niveau de truite, loche ou chabot « normal » d'un cours d'eau. Mais la qualité de l'étude est bienvenue à l'heure où les réformes de continuité écologique entendent imposer des priorités d'action sont parfois contestées. La cohérence du prochain classement des rivières avec l'étude menée en Haute Seine sera examinée – notamment le choix de classer en liste 1 (ce qui suppose un « très bon état écologique ») et la désignation des espèces cibles.

Ensuite, et pour en venir à ces priorités d'action, la conclusion de l'étude ne permet nullement de désigner les obstacles à l'écoulement comme la cause principale d'altération de la biodiversité. L'absence de profondeur historique interdit à ce stade de corréler les dégradations observées à des facteurs dégradants, mais les polluants agricoles, domestiques et HAP sont néanmoins désignés comme le premier facteur limitant de toute restauration écologique. Comme on l'a signalé lors des débats des derniers mois sur les aménagements écologiques de l'Armançon, la circulation des poissons sera d'abord la circulation des poisons si les causes premières d'altération chimique de l'eau ne sont pas traitées en priorité. Et la France est, hélas, très en retard de ce point de vue. Il n'empêche que le franchissement d'obstacles, le bon transport solide assurant des substrats diversifiés et les régulations de température sur certains plans d'eau sont des facteurs localement pénalisant, et appelant une action commune avec les propriétaires d'ouvrages hydrauliques en vue de définir les meilleures solutions.

Enfin, pour passionnante et nécessaire qu'elle soit, cette étude ne dévoile qu'une dimension de la Seine et de ses affluents. Une rivière n'est pas seulement un phénomène naturel (domaine aquatique), mais elle est aussi et toujours un phénomène culturel, social et désormais technique (domaine hydraulique). Les temples des Lingons en l'hommage de Sequana (déesse des eaux de la Seine) comme les forges gauloises installées au fil des ruisseaux proches des sources de la Seine rappellent que l'histoire des hommes et celles de leurs rivières se sont mêlées très précocement sur les terres bourguignonnes. C'est donc un patrimoine complexe allant de l'état physique, chimique et biologique de l'eau jusqu'à l'histoire et l'avenir de ses usages humains qu'il s'agit aujourd'hui de penser, et d'aménager, pour léguer aux générations futures des rivières de qualité.

Référence : Sicec, FDAAPPMA 21, Etude des peuplements piscicoles et macrobenthiques de la Seine et de ses affluents au regard de la qualité physique et chimique de l'hydrosystème. Défnition d'un état initial (2011), 2012.
Images : toutes les images de cet article (hormis la dernière) sont extraites du rapport. Tous droits réservés Sicec/FDAAPPMA21.

31/10/2012

Assises de l'énergie en Côte d'Or : un bilan très positif

Le 25 octobre 2012 se sont tenues les Assises de l'énergie en Côte d'Or, au Palais des Congrès de Dijon, à l'initiative du Siceco soutenu par l'Ademe. Deux représentants d'Hydrauxois y ont assisté, parmi 250 autres personnes, essentiellement des élus locaux. L'après-midi fut très riche en exposés et débats. En voici une synthèse, orientée bien sûr sur l'hydraulique.

Un constat fut partagé par tous les intervenants : la transition énergétique n'est plus une option, mais une nécessité pour de multiples raisons (le coût croissant du fossile impliquant un déficit de balance commerciale et une précarité des ménages, le risque du réchauffement climatique). Cette transition prendra deux formes : d'abord des économies d'énergie (de l'ébriété à la sobriété), dans le domaine notamment du transport et du chauffage ; ensuite une production d'énergie diversifiée accordant une part croissante aux sources renouvelables.

Bourgogne : 2 à 3 MW de micro-hydraulique d'ici 2020
En Bourgogne comme ailleurs, ces sources d'énergie renouvelable sont multiples : l'éolien, la biomasse (bois, déchets, biocarburants, biogaz), le solaire, la géothermie et bien sûr l'hydraulique. Le Schéma régional Climat, air et énergie (SRCAE) a été présenté : cet outil directeur à échelle de la région permet de dessiner les énergies à développer à horizon 2020 (23% de renouvelable dans le mix énergétique), puis 2050 (division par 4 des émissions carbone, donc de la part fossile du mix).

Pour la petite hydraulique telle que nous la promouvons en Auxois-Morvan, le SRCAE prévoit 2 à 3 MW supplémentaires de puissance d'ici 2020 (2,5 MW et 5 GWh en hypothèse moyenne), auxquels s'ajoutent l'amélioration des installations existantes (54 à 57,5 MW, gain de 4 GWh). Sachant que les équipements ont une puissance modeste, cela représente plusieurs centaines de moulins ou anciennes à usines à développer rapidement. D'autant plus rapidement que la complexité règlementaire des projets hydro-électriques imposent plusieurs années entre la décision de produire et le premier kWh produit. Plusieurs élus ont d'ailleurs signalé lors des débats que cet objectif hydro-électrique demandait une conciliation urgente avec la continuité écologique telle qu'elle est actuellement défendue par les Agences de l'eau et par les représentants de la DDT et de l'Onema. L'association Hydrauxois s'est ouvert du problème à M. François Bellouard, directeur études et projets de la DREAL Bourgogne, et a sollicité une réunion de travail à ce sujet.

Le cadre de la transition énergétique ne se limitera pas au SRCAE. Le Conseil général de Côte d'Or (sous la responsabilité de M. Jean-Noël Thomas et avec l'agence Auxilia) prépare actuellement un Plan Climat Energie Territorial (PCET) à l'échelle du département, tandis que le Siceco, sous l'impulsion de son directeur général Jean-Michel Jeannin et avec l'agence Energies Demain, publiera en 2013 également un Schéma énergétique départemental. L'association Hydrauxois travaille dès à présent à une contribution sur la place de la micro-hydraulique dans ces dispositifs départementaux, car le potentiel de cette énergie est difficile à appréhender avec les outils classiques de modélisation énergétique.

Les collectivités locales aux avant-postes
Au plan national, et non plus local, ces réformes en cours se déroulent à l'horizon de deux lois très importantes : l'une sur la décentralisation, l'autre sur la transition énergétique. Un grand débat sur l'énergie aura lieu entre décembre et avril prochains. Ces lois vont repréciser le rôle des collectivités locales dans la transition énergétique : les collectivités maîtrisent aujourd'hui les réseaux (dont elles sont propriétaires sur leurs territoires), mais elles devraient acquérir un rôle croissant sur les postes de production d'énergie et de maîtrise d'énergie. Le cas du parc éolien et des chaufferies bois du Pays de Saint-Seine (Catherine Louis) a permis d'illustrer cette évolution, de même que les exemples de montages en sociétés d'économie mixte présentés par Sergie (86) ou le Syndicat intercommunal d'énergie, d'équipement et d'environnement de la Nièvre (SIEEEN, 58).

Le bilan de ces premières Assises de l'énergie est donc très positif. Les acteurs locaux ont une claire conscience de la nécessité de développer toutes les énergies renouvelables du territoire, et aucun n'envisage de se priver de la contribution hydraulique dès lors que celle-ci assure sa compatibilité avec la continuité écologique.

Une cohérence nécessaire du discours public
Il reste néanmoins un problème de cohérence à résoudre, car les Agences de l'eau et l'Onema tiennent aujourd'hui un discours de terrain poussant à l'effacement des obstacles à l'écoulement plutôt qu'à la modernisation énergétique-écologique des moulins et des anciennes usines. 

Ce choix n'est évidemment pas viable au regard de la transition énergétique, puisque l'effacement de l'obstacle équivaut à la disparition du potentiel d'énergie hydraulique. Et ce dernier n'est pas négligeable. Pour la seule ville de Semur-en-Auxois, que notre association a bien étudiée en raison des circonstances de sa naissance, l'équipement du barrage communal et des seuils privés présents sur l'Armançon pourrait par exemple représenter près de 300 kW de puissance cumulée, soit (en tenant compte du facteur de charge hydraulique) l'équivalent de la consommation électrique totale de plus de 120 foyers. 

On voit donc, concrètement, ce que peut apporter la micro-hydraulique à la transition énergétiques de nos territoires.

26/10/2012

Armançon : un bilan écologique et hydrologique

Le schéma d'aménagement et des gestion des eaux (SAGE), porté par le syndicat de rivière Sirtava, a dressé un Rapport environnemental (2010) du bassin de l'Armançon, dont la version définitive a été publiée cette année après consultation administrative et enquête publique (voir le Rapport d'enquête).

Ce rapport est l'occasion de rappeler les faits essentiels sur l'état de l'Armançon, principal cours d'eau de l'Auxois, notamment sur la qualité physique, chimique et biologique de son eau. Nous focaliserons ici plus volontiers sur l'Armançon cote-dorien, sachant que la rivière coule aussi dans l'Yonne et l'Aube.

Un bassin versant allongé
Le bassin versant de l'Armançon occupe au total 3100 km2, en forme de bande orientée Sud-Est / Nord-Ouest. L'ensemble des cours d'eau y occupe 1255 km de linéaire. La partie amont en Auxois est très dense en rus et ruisseau, formant un « chevelu » de cours d'eau alimentant l'Armançon et ses grands affluents. Les masses d'eau souterraines en Auxois, appelées aquifères, se développent dans un socle géologique à dominante marnes et calcaires, avec des affleurements plus compacts et plus imperméables du socle cristallin du Morvan.

Du point de vue hydromorphologique, le bassin versant de l'Armançon présente « un certain équilibre sédimentaire », comme l'avait établi la mission Hydratec 2007. Les érosions de berges fournissent une charge alluviale assez importante (transport de particules fines, sables, graviers, voire galets), avec des faciès d'écoulement variés. Il existe donc ce que l'on nomme des « espaces de mobilité fonctionnelle » où les rivières conservent un équilibre physique.

Pour la végétation (ripisylve, nom donné aux arbres en bordures de rivière), on observe que 46% du linéaire des cours d'eau sont dépourvus de végétation, 36% possède une végétation discontinue et 18% des formations boisées épaisses. Il existe deux principales espèces végétales invasives : la renouée du Japon et le faux acacia, contre lesquels on ne connaît pas de moyen de lutte eficace à ce jour.

Concernant les poissons, le Rapport note que « le bassin de l'Armançon est globalement caractérisé par une richesse piscicole en lien avec la diversité de ses habitats (ruisseaux, rivières, lacs, canal). 32 espèces ont été recensées ». L'Armançon est une rivière cyprinicole (dominante de « blancs », 2e catégorie de pêche), mais ses petits affluents sont généralement salmonicoles (truites et ombres, 1re catégorie). Il existe trois espèces invasives reconnues chez les Crustacés : les écrevisse américaines, écrevisses de Floride et écrevisses de Louisiane. Elles sont surtout présentes en amont (Auxois) et menacent l'espèce patrimoniale (écrevisse à pieds blancs) par concurrence de territoires ou charge pathogène. (Le Rapport ne mentionne pas le cas des silures, sur lequel des témoignages négatifs ont été rapportés, y compris en bassin Amont).

Les pollutions d'origine anthropique
Le territoire est à dominante rurale : 67 % d'occupation agricole, 30% de forêts et seulement 2% de sols artificialisés (villes, zones d'activité). On compte 105.138 habitants dont 38% en Côte d'Or.

Premier problème : la pollution domestique, avec 56% des raccordements collectifs en bon fonctionnement, mais 44% en état insatisfaisant pour l'ensemble du bassin. S'y ajoutent les assainissements autonomes, en état plus néfaste encore puisque 90% sont non conformes et 75% de la charge polluante y est rejetée après usage. Conséquence : rejet de matières organiques et oxydables (DBO, DCO, NH4), de nitrates, de matières azotées et phosphorées.

La pollution agricole représente un autre enjeu pour la qualité biologique et chimique de l'eau. Le territoire est rural, dominé par l'élevage en Auxois et par la culture céréalière vers l'aval. Cela représente une forte ponction d'eau en irrigation (215.000m3/an) et abreuvage (515.000m3/an). Le Rapport environnemental note que la qualité physico-chimique est « passable » sur le bassin, avec trois « altérations déclassantes » : les nitrates, en tête de bassin et à l'aval ; les produits phytosanitaires sur presque tout le bassin ; les matières azotées et phopshorées, également rejetées sur l'ensemble des eaux superficielles. Il en résulte que « la qualité des peuplements piscicoles connaît une nette dégradation d'amont en aval ».

A cette pollution agricole et domestique s'ajoute enfin la pollution industrielle, qui est localisée à quelques sites (par exemple Montbard pour l'Auxois) : rejets de métaux, hydrocarbures et pesticides, formant autant de « substances toxiques prioritaires ». Il existe aussi une « pollution artisanale » car les très petites entreprises déversent ce que l'on appelle des « déchets toxiques en quantité dispersée » : solvants, encres, colles, vernis, huiles, liquide de refroidissement, batteries etc.

La question des seuils et barrages
La question des « obstacles à l'écoulement » est bien sûr abordée dans le Rapport environnemental. Elle concerne les ouvrages hydrauliques placés sur le lit mineur (seuils et glacis de moulins, barrages) ou sur les berges (enrochements, digues). La mission Hydratec 2007 avait évalué à 140 le nombre de seuils présents sur le linéaire de l'Armançon, sans données pour les affluents (Brenne, Armance, Créanton, Cernant, Brionne, Prée et les nombreux ruisseaux).

Les obstacles dits longitudinaux sont ceux qui modifient l'écoulement de l'amont à l'aval. Avec deux effets : un blocage partiel du transport solide, accumulant les sédiments à l'amont et provoquant un déficit à l'aval ; l'entrave à la circulation des poissons, principalement à la montaison (remontée vers l'amont).

Les obstacles dits latéraux (en bord de rivière) empêchent quant à eux la formation spontanée de zones humides présentant des alternances saisonnières (marnage). Ces zones humides sont propices à la biodiversité. Les obstacles latéraux peuvent également empêcher la connexion de milieux différents.

Le dernier effet jugé néfaste pour les obstacles à l'écoulement est l'affaiblissement des capacités d'auto-épuration des cours d'eau, en raison de l'accumulation et stagnation dans les retenues amont des biefs.

En conclusion : quelques orientations nécessaires
L'association Hydrauxois défend le patrimoine et l'énergie hydraulique sur nos rivières, mais elle est évidement concernée par l'environnement aquatique. Et tous les amoureux de l'eau le sont, quelle que soit la dimension de l'eau qu'ils préfèrent. Le Rapport environnemental du SAGE nous paraît appeler les remarques suivantes.

• Ce Rapport manque de précision dans le domaine biologique et écologique, par rapport à d'autres travaux sur des rivières de la région. Nous parlerons prochainement d'un travail mené en Haute Seine, qui est très approfondi de ce point de vue. Ainsi, sur l'Armançon, il existe peu d'informations sur la macrofaune benthique, sur l'avifaune, globalement peu de détails sur le peuplement piscicole par rivières et tronçon de rivière dans le cas de l'Armançon.

• Il en va de même pour les questions de pollution chimique. Les différents effluents à problème sont certes énumérés, mais on ne dispose pas de profondeur historique pour mesurer l'évolution de la qualité des eaux et de la quantité des rejets. Par ailleurs, on ne dispose pas non plus des critères de qualité posés par la directive-cadre européenne sur l'eau, de sorte que l'on évalue mal l'état réel des rivières. Rappelons qu'en 2011, une analyse approfondie sur les micropolluants, menée par le service observation et statistique du Commissariat au développement durable sur 91% des rivières, a révélé la présence de 413 micropolluants (sur 950 étudiés) dont un certain nombre affecte la santé et l'environnement, même à faible dose (source, pdf).

•Les données rassemblées indiquent que par rapport aux pollutions persistantes, au premier rang desquelles la pollution agricole par rejet d'effluents culture-élevage et la pollution domestique par défaut d'assainissement, les obstacles à l'écoulement ne représentent pas un problème prioritaire. Malgré leur présence multiséculaire dans la plupart des cas, l'état sédimentaire est jugé à l'équilibre sur le bassin versant, et la biodiversité piscicole reste de bonne tenue sur le bassin.

• Certains résultats sur les obstacles à l'écoulement demandent approfondissement. Par exemple, les relevés sédimentaires opérés par le Sirtava sur la retenue du barrage de Semur ne montraient pas de niveaux de pollution anormaux. Or le barrage étant sans usage depuis plusieurs décennies (non vanné), et situé non loin d'une ancienne décharge municipale, cela pose question sur l'auto-épuration jugée défaillante à l'amont immédiat d'un obstacle. Ce point serait à vérifier empiriquement, en procédant à des mesures de sols et sédiments plus approfondies. Il en va de même pour l'érosion de la biodiversité piscicole de l'amont vers l'aval, observée dans le Rapport : ce devrait être l'inverse, puisque l'effet des obstacles est de plus en plus marqué vers l'amont (non-franchissements successifs en montaison, la dévalaison n'étant pas entravée).

• Tout cela ne signifie pas que l'inaction est de mise pour les seuils ou barrages, mais nous serons vigilants sur la hiérarchie des actions en terme de qualité de l'eau. Les investissements des collectivités, du syndicat de rivière comme de l'Agence de l'eau n'étant pas extensibles à l'infini, il faut mettre comme priorité la qualité chimique et biologique des eaux, par lutte contre les pollutions directes. Et en ce qui concerne les restaurations de continuité écologique, il convient de cibler d'abord les « points noirs »... et de le faire avec une certaine honnêteté intellectuelle. Un grand barrage VNF de 20 mètres de hauteur est un obstacle autrement paralysant pour la circulation du poisson qu'un glacis de moulin médiéval. Néanmoins, si le syndicat de rivière, l'Onema et l'Agence de l'eau apportent leur contribution technique et financière, il sera tout à fait possible d'améliorer la continuité morphologique et biologique en construisant des passes à poissons et en modernisant les vannages. Voire en arasant ou dérasant certains obstacles, une fois vérifié que l'opération est compatible avec l'intérêt patrimonial et qu'elle ne prive pas l'Auxois d'une ressource énergétique facilement exploitable.

22/10/2012

Un guide remarquable pour la restauration énergétique des moulins

Bien des moulins sont intéressés par la restauration de leurs ouvrages hydrauliques et la mise en place d'une production d'énergie. Mais les questions sont nombreuses, et le sujet complexe. Ai-je le droit de produire de l'électricité ? Que disent les règlementations ? Dois-je m'orienter vers l'autoconsommation ou la revente au réseau ? Quelles sont les options techniques (roues hydrauliques, vis hydrodynamiques, turbines, générateurs synchrones et asynchrones, etc.) ? Et les contraintes environnementales, architecturales ou autres ?

On trouve plusieurs publications en ligne de l'Ademe ou de France Hydro Electricité. Mais elles sont rarement adressées aux moulins et centrales de très petite puissance (moins de 100 kW). Les travaux suisses de l'Office fédéral de l'énergie, programme PACER, donnent quant à eux des explications détaillées sur les principes techniques de la petite hydro-électricité, mais ils sont de niveau ingénieur.

Un travail remarquable permet pourtant au propriétaire de moulin de comprendre les enjeux. Il s'agit d'un mémoire de maîtrise soutenu par Michel Heschung (ingénieur ENSTIM), et intitulé Guide pour la réhabilitation des moulins hydrauliques en vue de la production d'électricité. Conçue de manière très opérationnelle, rédigée dans un style clair et abordable, cette publication fait un point complet sur chaque aspect d'un projet hydro-électrique. Sa lecture est donc très vivement conseillée à tout propriétaire caressant l'idée de remettre en service la production hydraulique de son moulin. Mais aussi à tous les curieux en quête d'une introduction de grande qualité à ces questions.

Téléchargement (pdf, 3,7 Mo)

A noter : Pour ceux qui préfèrent une version papier, le Guide de M. Heschung a été édité en livre par la FFAM. Il coûte 32 euros port compris, ou 26 euros sur stand de la Fédération lors de ses manifestations régionales.  

18/10/2012

Les leçons de Gomméville

Gomméville est une petite commune de 150 habitants, située en Haute Côte d'Or, à la frontière de l'Aube. A 15 km de Châtillon, la ville est traversée par la Seine. Dans le cadre de la continuité écologique des cours d'eau, le cas de Gomméville est étudié depuis 2005 par l'Agence de l'eau Seine-Normandie et le syndicat de rivière – aujourd'hui le Sicec (Syndicat des cours d'eau du Châtillonnais), qui gère le contrat de rivière Sequana sur le bassin hydrographique de Seine-Amont.

Une roue Fonfrède pour la microcentrale
Le maire de Gomméville, Jean-Paul Rommel, a fait état assez tôt de sa volonté de produire de l'énergie hydro-électrique afin de procurer des revenus à sa ville. En octobre 2008, la commune a racheté à cette fin le moulin de la famille Verniquet. « Quand on dispose d’un tel patrimoine, on se doit de le faire vivre », expliquait l'élu au Bien Public. La DDT a étudié le projet de microcentrale de la commune et donné son accord réglementaire, sans obligation particulière de franchissement piscicole (passe à poissons). Ce franchissement ne deviendra en effet obligatoire qu'à la publication du classement des rivières.

La Commune a fait appel à un bureau d'études pour la faisabilité de son projet. Si la hauteur de chute est modeste, le débit de la Seine au droit du moulin est soutenu : un module moyen de l'ordre de 10m3/s. Le maire a fait un choix d'équipement compatible avec la dévalaison des poissons (nage de l'amont vers l'aval) : le bureau a donc travaillé sur des hypothèses de vis hydrodymanique (vis d'Archimède) ou de roue à aubes, parfois appelée « aqualienne ». C'est une roue Fonfrède qui a été retenue pour la production.

Ce système a plusieurs avantages : rotation lente et « ichtyocompatible » (n'affectant pas le poisson), tolérance aux feuilles et petits débris, donc moindre maintenance (pas de dégrilleur au canal d'amenée), peu de génie civil (appuis pour l'arbre et reprofilage du bief), bonne tenue du rendement lorsque le débit varie (même si ce rendement est probablement moindre au débit d'équipement que ne le serait celui d'une turbine de type Kaplan).

Quatre vannes de décharge, deux passes à poissons
Dans la mesure où l'installation de Gomméville était reconnue comme « règlementaire » par la DDT, le syndicat Sicec est intervenu en « mesure complémentaire ». Le maire Jean-Paul Rommel souhaitait de toute façon que l'installation de la microcentrale communale ne soit pas nuisible du point de vue écologique. Il a d'ailleurs accepté que le débit minimal biologique réservé soit relevé à 20% : 2 m3/s au lieu de 1 m3/s. Ce débit réservé désigne la quantité d'eau qui doit en permanence être librement disponible au franchissement des poissons. Le Sicec l'a calculé en fonction du débit d'étiage le plus sévère observé tous les 5 ans (QMNA5, débit d'étiage mensuel moyen à retour quinquennal).

Le syndicat de rivière a donc assisté la commune de Gomméville dans les aménagements écologiques. : passerelle de sécurité, réfection de quatre vannes de décharge améliorant le transit sédimentaire et installation de deux passes à poissons pour le franchissement piscicole. Les deux passes ont été rendues nécessaires par la géométrie du site : le seuil est loin en amont de la prise d'eau turbinable. Selon le volume du débit (plus ou moins 12 m3/s comme valeur-seuil), l'obstacle de franchissement est situé au niveau du seuil ou au niveau du moulin. La passe installée au moulin aura un dispositif de suivi, non permanent cependant (campagne de piégeage). Ce sont des passes à bassins successifs, les espèces cibles de la Seine étant ici les Salmonidés, et non les anguilles.

Le coût total des aménagements écologiques de Gomméville est d'environ 280 k€. La commune prend en charge 30% de ce coût. Le reste a été financé par le Sicec et par l'Agence de l'eau (qui a abondé le projet à hauteur d'une des deux passes). Quant au coût de la microcentrale hydraulique, la commune en assumera aussi une partie, avec par ailleurs le soutien de l'Ademe, du Conseil général et des fonds européen de développement rural.

Quels enseignements de l'exemple de Gomméville ?
A l'heure où la continuité écologique déchaîne les passions entre les « pour » et les « contre », et où certaines communes sont insatisfaites des propositions de leur syndicat de rivière (cas de Semur), la petite commune de Gomméville apporte des enseignements intéressants.

D'abord, Gomméville montre que la volonté des élus permet de promouvoir la micro-hydroélectricité comme source d'activité et de revenus pour des territoires ruraux qui, par ailleurs, en manquent cruellement.

Ensuite, un travail de fond entre les communes, leurs syndicats de rivière, l'Onema et l'Agence de l'eau permet de dégager des solutions où la continuité écologique, le patrimoine historique et la production énergétique sont conciliés au lieu d'être opposés. Ce qui a été possible à Gomméville est possible ailleurs : la condition en est une vraie vision d'avenir pour le propriétaire du site, et une vraie écoute de la part des syndicats et administrations de l'eau.

Le Sicec, que nous avons contacté, spécifie que les aménagements à fin de continuité écologique restent une exception par rapport au choix de l'effacement (destruction de l'ouvrage). La raison en est que du point de vue de la continuité écologique, les dispositifs de franchissement piscicole et de transit sédimentaire sont à la fois moins efficaces et plus coûteux. Le syndicat de Haute Seine, comme les autres en France, tend donc à favoriser la solution qui lui semble économiquement et écologiquement optimale. Et il y est bien sûr fermement invité par l'Agence de l'eau, qui répartit une bonne part des budgets du ministère de l'Ecologie sur le bassin hydrographique Seine-Normandie.

Ce raisonnement est cohérent, mais à certaines conditions qui, hélas, ne sont pas aujourd'hui explicitées dans le débat public ni dans le discours des administrations de l'eau. Si l'on ne prend en compte que la continuité écologique, alors la solution optimale sera par définition une « renaturation » du site, c'est-à-dire un effacement de toute influence anthropique. Mais voilà, la question de fond demeure derrière cette prétention à « l'optimalité » : en quoi la vision publique de l'eau doit-elle envisager les rivières sous l'angle exclusif de cette continuité écologique ? Le patrimoine historique des rivières et leur potentiel énergétique ne font-ils pas partie eux aussi des biens communs que la puissance publique doit protéger et non détruire ? Si la concertation démocratique est réellement organisée, n'est-ce pas aux habitants et riverains de choisir la solution de continuité écologique qui leur paraît meilleure ?

Ni la directive cadre européenne sur l'eau ni les lois françaises depuis 2006 n'imposent en soi l'effacement des ouvrages hydrauliques : dans l'application des nouvelles normes de qualité de rivière, le choix des solutions reste toujours un choix démocratique.