13/12/2015

Proposition de préambule à une charte des moulins

Le gouvernement affirme à qui veut l'entendre – et d'abord aux parlementaires inquiets des dérives de la politique de l'eau dans le domaine des ouvrages hydrauliques – qu'il discute d'une "charte" avec les représentants des moulins (FDMF et FFAM). A notre connaissance, c'est une discussion à sens unique, avec une volonté par la Direction de l'eau et de la biodiversité d'imposer un texte conçu pour plaire aux lobbies FNE et FNPF, certainement pas pour apaiser la situation. Nous conseillons vivement aux Fédérations concernées de communiquer publiquement sur ces questions, la transparence étant le meilleur remède à l'arbitraire. Il convient d'informer les élus et les citoyens de ce que la DEB refuse, afin de clarifier les points de blocage. Pour sa part, Hydrauxois propose ici une première version d'un préambule à une charte des moulins. Ce texte nous semble équilibré et raisonnable, n'excluant aucune option y compris l'effacement, mais posant diverses conditions de prudence et de connaissance préalables à la mise en oeuvre locale des réformes de continuité écologique. Commentaires et débats bienvenus.

Les ouvrages hydrauliques en rivière se sont développés depuis l'époque romaine, avec une accélération à partir du Moyen Âge. Parmi eux, les moulins ont connu leur plus grande extension aux XVIIIe et XIXe siècles. On compte aujourd'hui selon le Référentiel de l'Onema environ 60.000 seuils, chaussées et barrages de moulins sur les rivières françaises. Le recensement n'étant pas achevé, le chiffre définitif sera plus élevé.

Présents des têtes de bassin jusqu'aux littoraux, les moulins forment le troisième patrimoine bâti de France. Ils ont joué un rôle historique structurant dans le développement des territoires et dans l'implantation des populations au bord des rivières. Les écoulements et les peuplements des cours d'eau ont été modifiés de longue date par leur présence. Il en va de même pour les paysages des vallées et des plaines alluviales.

Les moulins sont nés d'une vocation énergétique et économique : transformer la puissance de l'eau en usage mécanique en vue de produire ou transformer des biens. Ils ont ensuite participé à l'aventure de l'électricité. Une partie minoritaire des moulins conserve aujourd'hui cet usage, parfois sous forme de productions locales (farines, huiles, etc.), le plus souvent sous forme de petites centrales hydro-électriques à fin de consommation familiale ou d'injection sur le réseau. Mais souvent, même sans usage au sens énergétique, industriel ou commercial, les ouvrages hydrauliques nécessaires à la production (barrage, bief, chambre d'eau et coursier de roue) sont entretenus et conservés, préservant ainsi le potentiel d'équipement. L'existence de ces ouvrages et le respect des conditions hydrauliques qu'ils induisent sont des conditions de reconnaissance du droit d'eau et de validité du règlement d'eau des moulins.

Les moulins qui n'ont plus d'usage énergétique peuvent avoir noué d'autres vocations, par exemple éducatives (écomusées, animation patrimoniale) et touristiques (chambres d'hôtes, gites ruraux, restaurants). Il n'est pas rare que l'eau de la retenue et du bief servent des usages locaux : valorisation paysagère des villes, réserve incendie, pompage pour arrosage, irrigation ou abreuvement, zones récréatives (baignades, pêches), etc. Beaucoup de propriétaires qui ont acheté ou ont hérité d'un moulin expriment un attachement à la dimension patrimoniale du bien : le moulin en tant que tel n'est jamais une simple maison au bord de l'eau, mais un édifice défini par sa destination à user de l'eau. Les attributs hydrauliques représentent son identité de moulin, et une part non négligeable de sa valeur foncière.

Enfin, il arrive aussi que des ouvrages en rivière aient été purement et simplement abandonnés, souvent après de multiples démembrements fonciers. Dans ce cas, ils ont perdu leur fonctionnalité (biefs voire retenues comblés) et ils ne sont plus en condition de respecter leurs obligations réglementaires (contrôle du niveau de l'eau).


Les seuils et barrages en lit mineur représentent des obstacles à l'écoulement naturel de l'eau. Ils ont en conséquence plusieurs impacts sur la rivière : changement de la ligne d'eau et du transit sédimentaire, limitation partielle ou totale de la circulation des poissons vers l'amont, évolution thermique locale, modification du cycle carbone, azote et phosphore, etc. Certains effets sont positifs sur les milieux, d'autres sont négatifs.

Les effets physiques, chimiques, biologiques et écologiques d'un ouvrage en lit mineur sont généralement proportionnés à sa dimension : modestes pour la petite hydraulique, conséquents pour la grande hydraulique. Ces effets évoluent dans le temps. Certains impacts se cumulent quand le linéaire de la rivière est fragmenté par de nombreux moulins. La recherche scientifique sur les impacts spécifiques de la petite hydraulique (bien moins étudiée que la grande) est encore largement en cours de construction.

Il convient aujourd'hui de concilier la valorisation du patrimoine historique et culturel des moulins, le respect de leurs divers usages locaux, l'exploitation de leur potentiel énergétique et les programmes de restauration écologique des rivières. Ces derniers demandent des améliorations fonctionnelles de certains ouvrages, pour permettre une meilleure circulation des poissons et des sédiments, voire dans les cas les plus ambitieux des restaurations d'habitats.

Plusieurs options sont ouvertes pour diminuer les impacts écologiques négatifs des moulins : si les plus modestes n'appellent pas d'action particulière, d'autres peuvent demander une pleine fonctionnalité et une gestion attentive des vannes, voire la mise en place de dispositifs spécifiques de franchissement pour les poissons migrateurs. Il appartient en premier lieu au gestionnaire d'évaluer les besoins d'aménagement au terme d'une analyse scientifique menée à l'échelle de la rivière en son bassin versant. Cette analyse doit intégrer les paramètres de qualité biologique, physique, morphologique et chimique, la probabilité d'atteindre ou de s'écarter du bon état au sens de la DCE 2000, ainsi que l'analyse précise des enjeux migrateurs et des protections d'espèces menacées. Ce n'est qu'au terme de ce travail, et s'il aboutit à la conclusion d'un intérêt environnemental avéré, qu'une concertation en vue des aménagements définis comme nécessaires doit être menée avec le propriétaire d'ouvrage hydraulique, mais aussi avec les riverains et usagers impactés par le niveau d'eau de la retenue.

La destruction d'un site (arasement ou dérasement) peut être envisagée, en particulier pour les ouvrages abandonnés. Mais cette solution par nature radicale et non réversible, ne figurant pas comme telle dans les prescriptions du législateur en matière de continuité écologique, doit obéir à des conditions très strictes : bénéfice écologique démontré, absence d'intérêt patrimonial, consentement éclairé du maître d'ouvrage et des riverains, droits des tiers préservés, évaluation de l'équilibre avant / après dans tous les domaines appelant précaution (fragilisation du bâti, crues et inondation, pollution des sédiments de la retenue, espèces invasives, anticipation du changement climatique, etc.). Le non-respect de l'ensemble de ces conditions doit impliquer le choix d'aménagement non destructif.

La continuité écologique vise l'intérêt général (qualité de l'eau et des milieux comme bien commun). Les coûts des travaux en rivière, particulièrement des optimisations écologiques d'ouvrages de moulins, représentent des charges dépassant largement les capacités économiques des particuliers, des exploitants modestes ou des petites collectivités. La législation a exclu que les aménagements de continuité écologique imposent une charge spéciale et exorbitante au maître d'ouvrage sans versement d'indemnités. Le succès de la restauration écologique comme objectif d'intérêt général implique en conséquence la forte mobilisation des financeurs publics (Agence de l'eau, département, région, Europe), qui devront assumer l'essentiel des coûts. Cela signifie que les opérations de restauration de continuité devront être limitées aux aménagements de sites où des bénéfices écologiques tangibles sont démontrés et justifient pleinement les dépenses engagées.

12/12/2015

Le cas du Cérou entre Monestié et Milhars: chronique d’une mort programmée des ouvrages

Nous avons reçu du collectif de défense des moulins du Cérou (Tarn) un compte-rendu de la mise en oeuvre de la continuité écologique sur leur rivière. Avec leur accord, nous le publions. C'est un cas d'école de ce qui se fait aujourd'hui en France : absence de concertation, tentative d'imposition d'un lobby engagé (Fédération départementale de pêche) comme maître d'ouvrage, pseudo-obligation de payer une étude, prime manifeste à l'effacement, manoeuvres d'intimidation et d'isolement des maîtres d'ouvrage. Ces attitudes agressives et méprisantes nourrissent l'animosité des propriétaires et riverains face au gestionnaire. A quoi jouent ces apprentis sorciers? Qui veut ainsi détériorer durablement les rapports au bord des rivières?

Décembre 2013 : La DDT convoque les propriétaires des moulins du Cérou à une réunion d’information où sont exposées les obligations qui leur incombent dans le cadre de la mise aux normes pour la  restauration de la continuité écologique du Cérou afin d’assurer la libre circulation des poissons et assurer le transport suffisant des sédiments. Pour cela, une action coordonnée doit être mise en place pour restaurer la continuité du Cérou classé en liste 2 au titre  de l’article L.214-17 du Code de l’environnement.

Année 2014 : Il ne se passe rien en direction des propriétaires des moulins : aucune concertation, aucune réunion, aucune information collective. Des rencontres individuelles ont été réalisées où les propriétaires sont sollicités seuls et sans témoins.

22 janvier 2015 : Les propriétaires sont à nouveau convoqués à une réunion où on leur annonce que tout est prêt. La Fédération de pêche a été choisie comme coordonnateur du programme de restauration de la continuité écologique. Un animateur a été recruté par cette Fédération. Un bureau d’étude a été choisi pour un coût global de 187 812€ TTC pour 12 ouvrages soit 15 651€ par seuil. Un calendrier est imposé : les propriétaires doivent signer avant fin mars 2015.


Ce document est assorti d’avertissements (voir ci-dessus) : si les meuniers n’adhèrent pas, ils seront passibles plus tard de poursuites (procédures administratives et judiciaires). Il faut ajouter ce que contient le contrat d’engagement destiné à être signé par les propriétaires :

1. "Bien que la solution d’équiper l’ouvrage soit mentionnée, une alternative est possible pour restaurer la continuité écologique au droit de l’obstacle : l’effacement du seuil."

2. "La continuité piscicole doit être assurée sur l’ensemble du tronçon pour l’anguille européenne (…) et la vandoise."

3. La stratégie doit aboutir au "meilleur gain écologique possible", ce qui signifie qu’à partir du moment "où les ouvrages ne présentent plus d’usage économique actuel, avéré, l’effacement de l’obstacle serait la solution à privilégier"

4. Il sera demandé aux propriétaires de choisir un seul scénario (équipement ou effacement) "de manière définitive".

5. Un comité de pilotage est mis en place pour le suivi de l’étude dans lequel il n’y a aucun représentant des moulins ni des riverains.

6. "La fédération [de pêche] ne pourra, en aucun cas, être tenue pour responsable avec l’ensemble des partenaires concernés (...) des pertes potentielles de productivité des ouvrages hydroélectriques qui pourraient être induites selon la nature des aménagements proposés".

7. Les propriétaires s’engagent :
- à autoriser le passage sur leur propriété et à assurer l’accès sur leur chaussée ainsi qu’à ses abords aux personnes chargées de l’étude,
- à participer financièrement à hauteur du montant restant à sa charge payable à la Fédération de pêche.

8. L’Agence de l’eau Adour Garonne explique aussi qu’il est possible, si le propriétaire n’a vraiment aucun moyen financier pour rendre conforme son ouvrage, de le céder avec les droits d’eau pour l’euro symbolique à une collectivité qui se chargera ensuite de sa mise en conformité (à savoir le détruire).

Un collectif des moulins du Cérou a été créé, avec un représentant qui a demandé à plusieurs reprises un rendez-vous avec le DDT. Une date a été fixée : la rencontre devait réunir 2 représentants de la DDT, deux représentants de l’Onema et deux représentant de l’Agence de l’eau Adour-Garonne et… un seul représentant du Cérou ! Aucune justification n’a pu être obtenue sur ces dispositions.

Nos commentaires

  • La tactique est toujours la même : on isole  les propriétaires, on tente de leur imposer des décisions toutes faites, on veut limiter leur place dans les comités de suivi et de pilotage, on évite d'intégrer les autres parties prenantes (riverains, défenseurs du patrimoine, représentant des hydro-électriciens, etc.), on travaille en milieu fermé partageant la même idéologie. 
  • Près de 200.000 euros pour étudier 12 ouvrages, cela donne une bonne idée de la gabegie d'argent public en cours sur nos rivières. Les propriétaires n'ont aucune obligation de participer financièrement à cette dérive ruineuse, d'autant que le projet ne cache pas son souhait de détruire les propriétés étudiées.
  • Au terme de la loi, c'est-à-dire de l'article L214-17 CE, c'est à l'autorité administrative qu'il revient de motiver des mesures de "gestion", "entretien" et "équipement" (et non effacement, arasement ou dérasement!) au droit des ouvrages en rivières classées liste 2, ainsi que de justifier leur proportionnalité aux impacts concernés et le caractère non "exorbitant" de la charge induite pour le propriétaire. Que la DDT et l'Onema fassent leur travail de service public au lieu de déléguer à des pêcheurs, des bureaux d'études ou autres intervenants qui ne représentent en rien l'Etat. Aucune mesure de police administrative non motivée et exorbitante ne sera acceptable, chacune fera l'objet d'un contentieux si nécessaire. (Voir ce vade-mecum
  • La Fédération nationale de la pêche en France et ses instances départementales (FDAAPPMA) ont pris des positions extrémistes et intolérables sur la question des ouvrages hydrauliques (contrairement aux associations locales de pêche, qui sont souvent plus mesurées et avec qui nombre de moulins entretiennent des rapports corrects). Il n'est pas justifié de confier à des FDAAPPMA les études concernant des moulins (en particulier quand on sait que cette combine de délégation de maîtrise d'ouvrage vise parfois à éviter certaines contraintes des enquêtes publiques ou des DIG). Nous appelons donc les associations de propriétaires et de riverains à opposer une fin de non-recevoir à toute étude menée par des pêcheurs et à le signaler au Préfet. Quand les représentants officiels de ces pêcheurs cesseront de proférer des absurdités sur les seuils et de fabriquer dans l'ombre des politiques antidémocratiques avec leurs correspondants de la Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie, il sera éventuellement temps de travailler avec eux. 
  • Sur le Cérou comme ailleurs, il vaudra mieux se cotiser pour des frais d'avocat et aller au contentieux en 2018 si nécessaire. De toute façon, ceux d'en face n'ont que deux idées, soit détruire les ouvrages soit imposer des aménagements ruineux et des servitudes intenables. Dans leur excès, ils ne se rendent pas compte que les propriétaires n'ont aucun intérêt à se montrer coopératifs puisqu'on ne leur propose de toute façon aucune issue acceptable. Cette politique écologique du pire est la pire des politiques écologiques, mais les bureaucraties ne le comprennent apparemment pas, elles pensent qu'il suffit d'appuyer sur un bouton pour effacer un seuil. Ne sont acceptables que les études où l'on s'engage à ne pas détruire le seuil et à financer publiquement son aménagement, qui vise un intérêt général, crée une servitude et n'apporte aucun bénéfice au propriétaire privé.
  • A noter que l'inégalité des citoyens devant les charges publiques triomphe : d'une Agence l'autre, voire d'un bassin l'autre dans la même Agence, certains propriétaires bénéficient des études sans rien débourser et d'autres sont supposés payer (des sommes variables) ; certains ont des passes à poissons financées et d'autres non ; on décrète de manière plus ou moins pifométrique quelles sont les espèces d'intérêt et quelle est la gravité de l'obstacle, etc. C'est le règne de l'opacité et de l'arbitraire. 
  • Deux dernières précisions sur la rivière : les sédiments du Cérou sont pollués par un siècle de rejet de la houillère locale et des industries chimiques adjacentes. Récemment, une pollution aux dérivés d'hydrocarbures, naphtalène et cyanure a empoisonné le cours d'eau et provoqué une forte mortalité piscicole. On ne s'attend évidemment pas à un peuplement à l'équilibre dans de telles conditions, et on s'étonne que l'urgence soit de harceler des moulins pluricentenaires. Par ailleurs, une étude a été menée en 2010 par la Fédé de pêche 81 et le Syndicat du Cérou sur trois passes à poissons de la rivière, avec un système de capture dans la passe pour analyser sa fonctionnalité. On peut lire dans la conclusion de ce travail : "Les résultats obtenus à Garenne démonter d’une circulation effective des poissons d’eau vive sur la rivière Cérou. De plus, la capture d’une anguille dans cette passe, nous a permis de confirmer la présence de cette espèce sur la rivière Cérou. La capture d’un seul individu sur les trois sites peut s’expliquer par le fait que les anguilles sont capables de franchir les chaussées ou de les contourner." Une seule anguille dans les passes, une forte probabilité que ces anguilles circulent tranquillement sur les nombreux passages qu"offrent les seuils anciens… et il faudrait dépenser 200.000 euros d'argent public en études, puis trois à dix fois plus en travaux, pour entretenir cette imposture? Basta!
Associations, collectifs : n'hésitez pas à nous envoyer vos témoignages (avec documents d'appui si possible). C'est en partageant et rendant publics ces cas de terrain que nous pourrons faire comprendre les harcèlements en vue des effacements dont sont victimes les propriétaires et riverains, et mieux nous défendre collectivement face à cette dérive.

Elus, personnalités, associations et institutions (dont les AAPPMA!) : la mise en oeuvre de la continuité écologique est en train de détériorer profondément les rapports des parties prenantes au bord de la rivière, et de dépenser l'argent public pour des choix aussi irréversibles que contestables. Plus d'un millier de grandes signatures appellent déjà à un moratoire sur la mise en oeuvre du classement des rivières, afin de revenir à l'apaisement et de prendre le temps d'une concertation visant à définir des solutions économiquement raisonnables et écologiquement bénéfiques. Votre engagement est nécessaire! Formulaire de lecture et signature du moratoire.  

11/12/2015

Idée reçue #10 : "Etangs et retenues réchauffent toujours les rivières et nuisent gravement aux milieux"

"Votre barrage réchauffe l'eau". Cette idée, que l'on entend le plus souvent dans la bouche des pêcheurs de truite mécontents de ne pas avoir des conditions halieutiques idéales pour leur loisir, vient tout juste d'être reprise dans la communication du Ministère de l'Ecologie. Il est exact que certaines retenues réchauffent l'eau de la rivière. Mais parfois, c'est l'inverse qui se produit. En fait, les transferts thermiques eau-air-sol sont particulièrement complexes et, en la matière, seules des études de terrain peuvent faire un bilan thermique des seuils et barrages. Accuser les seuls ouvrages de réchauffer l'eau méconnaît bien d'autres facteurs à l'oeuvre : le changement climatique bien sûr, la baisse quantitative de la ressource, la suppression des ripisylves. Et à l'heure où le premier facteur de réchauffement attendu est la hausse de concentration atmosphérique des gaz à effet de serre, la mobilisation des ouvrages existants dans la transition énergétique bas-carbone paraît une nécessité plus urgente que leur effacement.

Voici ce que dit notamment le Ministère sur son site (mise à jour du 7 décembre 2015) à propos du réchauffement et de l'évaporation des eaux dans les retenues : "La restauration hydromorphologique des cours d’eau, à travers des effacements d’ouvrages notamment, permet de lutter contre le changement climatique en supprimant les effets aggravants des seuils et retenues sur le réchauffement et l’évaporation des eaux. Les retenues génèrent une évaporation forte d’eau en période estivale car une eau stagnante peu profonde se réchauffe beaucoup plus vite et plus fortement qu’une eau courante. Sur une longue durée d’ensoleillement, plus la surface d’eau exposée est importante plus les pertes par évaporation seront significatives. Ce phénomène est aggravé par le comblement progressif, parfois quasi-total, des retenues, par des sédiments, notamment dans le cas de seuil ancien qui ne sont plus gérés. Le volume d’eau est en effet alors diminué et étalé sur une très faible profondeur, accélérant son réchauffement."

Une remarque en passant : le Ministère préfère les adjectifs aux chiffres ("forte", "beaucoup lus vite", "importante", "très faible"). C'est assez classique en communication d'influence, il s'agit d'impressionner le public par des mots grandiloquents, en évitant de donner des ordres de grandeur, de préciser des mesures exactes ou d'apporter une intelligence plus globale du phénomène décrit.

Par exemple, les premières questions qui viennent à l'esprit en lisant le texte ci-dessus sont:
  • quel réchauffement observé des eaux (par rapport au réchauffement total attendu comme à l'amplitude thermique naturelle hiver-été, jour-nuit)? 
  • quel volume d'eau évaporé (par rapport à l'évaporation totale d'un cours d'eau)? 

On ne saura pas. Le Ministère n'explique pas les phénomènes, il instruit désormais un procès à charge. Il serait nettement préférable que ce même Ministère demande à la recherche académique de produire des analyses systématiques sur le régime thermique des rivières en fonction de leur fragmentation (et de la typologie de cette fragmentation)… mais en dehors de quelques études de cas rassemblées de manière un peu impressionniste dans le dernier rapport de l'Onema sur les poissons à l'heure du réchauffement climatique (voir infra), on ne dispose pas à notre connaissance de tels travaux en France. Pourtant, bien que l'enjeu soit important à tout point de vue pour l'avenir des milieux aquatiques, ce n'est pas simple de modéliser la température d'une rivière.

Commençons par quelques étonnants phénomènes locaux : les barrages présents sur la Dordogne diminuent jusqu'à 4°C la température de la rivière à l'aval (Lascaux et Cazeneuve 2008, cité in Baptist et al Onema 2014, p. 112). Sur l'Yonne amont, la retenue de Pannecière refroidit l'eau à l'aval, au point que les truites – espèce aimant pourtant l'eau froide – en sont perturbées (Lascaux et al. 2001, ibid). Voilà qui est curieux : les retenues, que l'on accuse d'un effet de réchauffement, auraient-elles finalement un pouvoir rafraichissant?

La réponse n'est pas univoque : elle s'explique par les échanges d'énergie au sein de la masse d'eau et avec son environnement. Rappelons que les transferts de chaleur se font par radiation (rayonnement entrant ou sortant qui apporte ou dissipe de l'énergie), par convection (différentiel de température et de densité des corps fluides), par conduction (diffusion de mélange) et par advection (échange de flux quand le système est ouvert) à quoi s'ajoutent le changement d'état de l'eau (enthalpie de vaporisation ou transfert de chaleur latente) et la friction (interne à l'écoulement du fluide, ainsi qu'avec le sol et les parois du chenal).

La température d'un cours d'eau est déterminée par de multiples facteurs qui vont influencer le poids relatif de ces modes de transfert thermique. Le schéma ci-dessous, extrait de Dallas 2008, en donne quelques-uns (les principaux, mais pas tous).


Un modèle énergétique de la rivière doit donc intégrer tout ce qui est susceptible de faire varier les  transferts thermiques. Il existe différentes familles de modèles, déterministes ou probabilistes (voir des revues chez Benyahya et al 2007, Caissie 2006), et ceux-ci doivent être paramétrés pour interpréter chaque système à étudier. La chose est loin d'être aisée. Par exemple, l'extension de la surface du miroir d'eau tend à augmenter le rayonnement solaire entrant dans le volume de la retenue, et donc son réchauffement. La même extension de surface tend à aussi à augmenter l'évaporation et le rayonnement infrarouge sortant, qui sont deux modes de refroidissement.

L'importance relative de ces phénomènes énergétiques et thermiques change d'une saison à l'autre. On voit par exemple dans le schéma ci-dessous (cliquer pour agrandir) les processus dominants de transfert thermique non advectifs (c'est-à-dire ne venant pas d'affluents ou de la nappe dans la zone hyporhéique de fond) selon chaque mois d'une année (extrait de Webb et al 2008), sur une petite rivière anglaise. On observe en particulier qu'en été, les rayonnements ondes courtes (solaire entrant) et l'évaporation (changement de phase, chaleur latente) jouent des rôles accrus et symétriques (en gain et perte de chaleur pour la masse d'eau concernée).


On observe de surcroît que ce comportement thermique change au fil des mois et des années, avec une variabilité inter-annuelle parfois notable. Le schéma ci-dessous (même source Wood et al 2008) en donnent un exemple (cliquer pour agrandir). L'analyse concerne 25 ans de suivi d'une rivière, avec comparaison de la température de l'eau à l'aval d'une retenue et plus loin dans une zone naturelle sans impact, en janvier et en juillet. On s'aperçoit pour le mois d'été que l'effet peut même changer de signe d'une année sur l'autre (et qu'il est globalement négatif, c'est-à-dire un rafraîchissement).


Les conditions locales (hydrologiques, géologiques, topologiques et même biologiques) viennent notamment compliquer les choses. Par exemple la surface de l'eau, si elle est peuplée de macrophytes flottants (nénuphars, potamots) comme c'est le cas de certaines retenues, laissera moins pénétrer le rayonnement solaire.

La hauteur de lame d'eau est déterminante dans le phénomène appelé stratification thermique : si l'eau est assez profonde (et plus encore si elle est turbide), le fond restera frais quand la surface se réchauffera (en été), phénomène dû pour une part à un différentiel de densité entre eau chaude et froide et pour une autre part à la moindre pénétration du rayonnement solaire (qui réchauffe la couche où il transfère son énergie). Une stratification inverse s'observera en hiver. Cela explique les phénomènes de la Dordogne ou de l'Yonne évoqués plus haut : des barrages laissent passer une eau de fond qui est nettement plus fraîche (en été) que celle de surface, cette dernière tendant à s'homogénéiser avec la température de l'air ambiant.

Le même mécanisme peut s'appliquer à des ouvrages plus modestes de moulins ou étangs. Si l'eau passe en surverse du seuil (on parle d'un écoulement épilimnique), elle sera plus chaude en été. Si elle passe par une vanne guillotine ouverte au fond (ou une buse ou un moine, écoulement hypolimnique), elle sera plus fraîche… à condition cependant qu'il y ait une profondeur suffisante. En tout état de cause, accuser sans nuance ni explication les seuils et retenues de réchauffer l'eau n'a pas trop d'intérêt : tout va dépendre de la configuration locale des différents facteurs qui établissent le régime thermique de l'eau. Et il existe des cas (bien sûr plutôt rares et concernant des grands barrages vers les têtes de bassin) où le problème peut devenir un refroidissement excessif, comme indiqué.

On le voit, les choses ne sont jamais aussi simple que ne l'affirment les adversaires des ouvrages hydrauliques. A ces considérations sur les échanges thermiques, il faut ajouter d'autres arguments:
  • les sécheresses et canicules sont des phénomènes courants aux échelles locales (même en dehors de l'influence anthropique récente sur le climat) et si la présence des retenues et étangs devait provoquer des fortes mortalités piscicoles, celles-ci seraient observées fréquemment et sur la plupart de rivières, ce qui n'est pas le cas à notre connaissance; 
  • même quand on constate un réchauffement sur des petits ouvrages, cela n'implique pas une moindre diversité spécifique à l'aval, dans les eaux réchauffées, le contraire s'observant aussi bien (par exemple les résultats de Lessard et Hayes 2003 sur 10 rivières);
  • dans les plaines alluviales et rivières à faible pente, les espèces de poissons sont souvent thermophiles et ubiquistes, elles supportent des températures élevées et l'impact halieutique reste modeste;
  • il existe une hétérogénéité thermique à toutes les échelles d'espace, y compris par exemple des différences parfois importantes (jusqu'au 7°C, Webb et al 2008 op cit)  entre le cours principal et des annexes latérales, de sorte que les zones refuge des poissons dans les périodes chaudes de la journée doivent s'apprécier localement;
  • il est observé couramment (y compris par des mesures malencontreuses d'ouverture de vanne à fin supposée écologique, cf cet article) que des poissons de toutes espèces trouvent refuge dans des biefs à eau assez profonde (en particulier sur des rivières karstiques lorsque des canaux de dérivation ont des fonds artificiellement imperméabilisés et préservent leur hauteur d'eau);
  • il a été montré que la présence ou absence de ripisylve (végétation de berge) peut faire varier de plus de 3°C la température moyenne d'un tronçon (Clim-arbres 2012) de sorte que la baisse de température par revégétalisation des berges serait une mesure non destructive plus intéressante pour la biodiversité et la thermie que la suppression de seuils ;
  • l'eau potable, l'irrigation, l'industrie consomme de l'eau de surface qui n'est pas toujours restituée près du point de pompage (contrairement à l'hydro-électricité dans 90% des cas), donc le réchauffement futur de l'eau dépend aussi de la manière dont nous serons capable de respecter les volumes estivaux, quand il y a davantage de besoins pour les milieux et pour certains usages ;
  • l'adaptation aux conséquences du changement climatique est un pis-aller par rapport à l'urgence de la prévention de ses causes. Si l'on brûle tout le charbon et tous les hydrocarbures non-conventionnels des sous-sols de la planète, la question des retenues sera assez secondaire pour nos sociétés et nos milieux... Il en résulte que l'équipement hydro-électrique des ouvrages reste dans cette première partie de XXIe siècle une stratégie bas-carbone à envisager en priorité, en particulier en zone non-tropicale (là où le bilan carbone et climatique est excellent);
  • au lieu de vouloir effacer les ouvrages, il existe divers moyens d'en contrôler ou corriger les effets thermiques non désirés, voire de leur faire jouer un rôle régulateur (options de décharge épi-, méso- ou hypolimnique). Ce devrait être la première proposition du gestionnaire, mais hélas celui-ci s'est enfermé dans un programme d'effacement de soi-disant "urgence" sur des rivières classées, ce qui interdit un dialogue constructif et des expérimentations là où elles sont possibles.  
Remettons donc les idées à l'endroit : il est exact que toutes choses égales par ailleurs, une zone large, peu profonde et à faible vitesse de retenue ou d'étang aura tendance à se réchauffer plus vite qu'une zone d'eau courante, ce qui peut avoir un effet significatif en été. Mais cette situation est loin de refléter tous les cas au bord des rivières, et il arrive que les retenues aient des effets opposés de rafraîchissement de l'eau à l'aval. La profondeur de la retenue, la turbidité de son eau, la végétation de ses berges et de sa surface, le mode d'écoulement vers l'aval sont des critères importants. Le régime thermique des rivières est un phénomène complexe, et la réponse biologique à la température l'est également. Dans certaines zones, le réchauffement de l'eau affecte peu les milieux aquatiques et ne modifie qu'à la marge la composition des assemblages biologiques ; dans d'autres, il est localement pénalisant pour des espèces adaptées aux eaux fraîches. En situation de réchauffement climatique – dont la première cause est l'émission carbone et dont l'hydro-électricité est une forme de prévention –, il est possible de procéder à des aménagements d'ouvrages favorables au milieu (par exemple curage de retenue et écoulement hypolimnique qui va refroidir). D'autres solutions non destructives, comme la revégétalisation des berges nues, permettent aussi de diminuer sensiblement la température estivale du réseau hydrique tout en améliorant les biodiversités locales. A cela s'ajoute que les eaux plus profondes des biefs et retenues peuvent servir de refuges dans certaines conditions. Le choix d'effacement des ouvrages n'est certainement pas la réponse la plus intelligente ni la plus prudente au problème du réchauffement des eaux.  

10/12/2015

Continuité écologique: 30 raisons de dénoncer une politique précipitée, brutale et inefficace

Le Ministère de l'Ecologie prétend répondre aux "idées fausses" sur la continuité écologique: il ne dissimule même plus sa volonté obsessionnelle d'effacer le maximum d'ouvrages sur les rivières françaises, exprimant un souverain mépris pour des propriétaires et riverains supposés incapables de concevoir ce qui est le mieux pour leur cadre de vie. Ces publications du Ministère manifestent le point de non-retour des concepteurs de cette politique, désormais enfermés dans le déni de réalité, la répétition du dogme et l'indifférence aux remontées de terrain. Voici les 30 "idées vraies" qui expriment le doute, le malaise ou la colère des riverains.

La politique des ouvrages hydrauliques décidée par le Ministère de l'Ecologie et ses représentants aux Agences de l'eau :
  • s'impose sans réelle concertation (on discute, mais pour ne rien changer aux décisions déjà prises)
  • ne fait pas l'objet de consultations locales avec vote
  • n'a jamais été demandée par l'Europe
  • n'a jamais été conçue par la loi française (LEMA 2006, Grenelle 2009) comme imposant les destructions aujourd'hui prioritaires
  • est le fait d'arbitrages administratifs opaques, sans sanction démocratique
  • crée une complexité réglementaire illisible et paralysante
  • fait l'objet de contentieux judiciaires systématiques (contre le Parce 2009, contre les classements 2012-2013, contre le décret du 01/07/2014, contre les abus locaux de pouvoir)
  • représente une dépense conséquente d'argent public
  • impose des coûts exorbitants aux propriétaires privés 
  • menace la survie des plus petites exploitations
  • ne répond pas aux attentes économiques des territoires (besoins non satisfaits en assainissement, aide à l'agriculture durable, etc.)
  • ne fait pas l'objet d'analyses coût-efficacité ou coût-bénéfice
  • dégrade la plupart des services rendus par les écosystèmes
  • élimine le potentiel hydro-électrique bas-carbone
  • supprime le droit d'eau des moulins
  • diminue la valeur foncière des biens
  • fragilise le bâti placé hors d'eau
  • altère le paysage et les usages appréciés des riverains
  • détruit le patrimoine historique et culturel
  • homogénéise les habitats et écoulements du tronçon (moins d'alternance lentique / lotique)
  • ne permet pas d'atteindre les objectifs de qualité écologique DCE
  • ne permet pas d'atteindre les objectifs de qualité chimique DCE
  • fait l'objet de débats (et non d'unanimité) chez les chercheurs
  • érode à l'amont et suralluvionne à l'aval
  • change la cinétique des crues et les zones d'inondation
  • détruit généralement la ripisylve aux racines exondées
  • ne laisse plus qu'un filet d'eau à l'étiage sur les petits cours d'eau
  • risque de remobiliser des sédiments pollués
  • risque de favoriser des espèces invasives
  • empêche la fonction d'auto-épuration nitrate/phosphate des retenues
  • ignore la nature dynamique et non réversible de l'évolution des cours d'eau
  • ne sert pas à grand chose tant que les causes principales d'altération (usages des sols, pollution) sont à peine traitées
  • dégrade les rapports entre riverains, syndicats de rivière et services déconcentrés de l'Etat
Face à la liste impressionnante des dérives, problèmes, incertitudes, incohérences et risques posés par cette politique, il n'est pas très étonnant que la demande de moratoire sur la mise en oeuvre actuelle de continuité écologique soit désormais soutenue au plan national pour l'ensemble des parties prenantes (moulins, riverains, étangs et forêts, pisciculteurs et hydro-électriciens, agriculteurs, défenseurs du patrimoine et du paysage), mais aussi déjà par plus de 200 institutions locales et de 600 élus. Le rythme ne faiblit pas : nous appelons tous nos lecteurs à continuer et intensifier cette belle mobilisation collective pour le retour du bon sens au bord des rivières.

En particulier, un nombre croissant de parlementaires comprennent que les choix modérés et raisonnables faits lors du vote de la loi sur l'eau et de la loi de Grenelle ont été transformés par dérive administrative en une machine infernale et ingérable, comme seules nos bureaucraties déconnectées du réel savent en produire. Cette nouvelle écologie coercitive, punitive et destructive crée une fracture sur tous les territoires sans être capable d'apporter la moindre garantie de résultats concernant les réelles obligations européennes de la France en matière de qualité de l'eau.

Alors que notre pays est en pleine crise sociale et économique, alors que les territoires ruraux sont exsangues, alors que nos concitoyens ne supportent plus l'indifférence des élites lointaines à leurs attentes réelles, les dépenses absurdes de la continuité écologique visant des résultats douteux sur le bien-être des poissons ou des invertébrés ne paraissent pas seulement une erreur, mais sont perçues par beaucoup comme une injure. Si le Ministère de l'Ecologie n'est plus capable d'entendre cette exaspération et de comprendre où se situe l'intérêt général, il se prépare des lendemains douloureux.

Textes en diffusion et adaptation entièrement libres — indispensables pour comprendre les réalités et faire comprendre leurs falsifications :
Idée reçue #01 : "Le propriétaire n'est pas obligé d'effacer son barrage, il est entièrement libre de son choix"
Idée reçue #02 : "Les seuils et barrages ont un rôle majeur dans la dégradation des rivières et des milieux aquatiques"
Idée reçue #03 : "Jadis, les moulins en activité respectaient la rivière, mais aujourd'hui ce n'est plus le cas"
Idée reçue #04 : "Les ouvrages hydrauliques nuisent à l'auto-épuration de la rivière"

09/12/2015

Anne-Catherine Loisier : "Nous assistons à une destruction du patrimoine des territoires ruraux"

La sénatrice de Côte d'Or Anne-Catherine Loisier, dont nous avons déjà salué et rapporté les prises de position, continue d'exiger du gouvernement une clarification sur sa politique de continuité écologique. Nous publions ci-dessous son adresse à Ségolène Royal, qui montre une remarquable connaissance du dossier, tant sur le terrain que sur le plan réglementaire. Voir source et extrait ci-dessous.

"La restauration des continuités écologiques s’impose sur le terrain, sans concertation, dans un contexte budgétaire difficile, pour tous les propriétaires d’ouvrages, situés sur les cours d’eau classés en liste 2, qu’ils soient publics ou privés. 

Certes, la continuité écologique est essentielle à la circulation des poissons migrateurs, et au transport de sédiments mais très concrètement, ce sont de lourdes conséquences financières qui pèsent sur les propriétaires d’ouvrages, contraints de mobiliser des moyens pour les aménager ou à défaut, de les abandonner. Les 8 années écoulées depuis l’adoption de la loi LEMA 2006 ont démontré une application aveugle et précipitée de la loi. 

Nous assistons à une destruction du patrimoine des territoires ruraux. Sans parler de la perte de potentiel hydroélectrique pour les barrages ou installations de ce type, qui contribuent aux objectifs de transition énergétique ! On délaisse aussi la fonction de réserve d’eau des biefs pour les usages locaux et aucunes garanties ne sont apportées en ce qui concerne les risques pour les personnes, les habitations et les écosystèmes en aval. 

D’autant plus que certaines études scientifiques démontrent que la continuité écologique n’a, en réalité, qu’un poids très faible sur les obligations de bon état chimique et écologique imposées par la directive-cadre européenne sur l’eau. A l’heure actuelle, les rivières souffrent de beaucoup de pressions : changement climatique, prélèvements excessifs d’eau, pollutions. Il est réducteur d'imputer toute la responsabilité du mauvais état de nos cours d'eau aux moulins, présents pour la plupart depuis plus de deux siècles ! Quelle est l'efficacité réelle de la continuité écologique sur la qualité des milieux? La dépense d’argent public doit être faite en fonction de ses bénéfices environnementaux réels. 

Pourquoi ne pas tenir compte des spécificités locales et des usages antérieurs ? Entre la solution de l’arasement complet de l’ouvrage et l’obligation d’équipement, il existe d’autres options respectueuses de l'intérêt collectif, pour annuler ou réduire à minima les impacts sur la continuité écologique, tels que l’abaissement de seuil, l’ouverture de vanne… C’est d’ailleurs, ce qui avait été recommandé dans le rapport du Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable en 2013 : la gestion concertée des vannages et l’élaboration de grilles multicritères pour servir de base d'évaluation de l'intérêt des ouvrages. 

Ces propriétaires font face à un tel empilage des contraintes réglementaires. Les politiques de l’eau auraient elles aussi besoin d’un choc de simplification ! 

Déjà, en décembre 2014, je vous alertais, sur les difficultés rencontrées à ce sujet sur mon territoire, à l’instar de beaucoup de collègues qui se sont mobilisés sur la question. 

En Côte-d’Or, j'ai signalé la situation du moulin de Saint-Marc-sur-Seine, et des projets d’aménagement des ouvrages de Bézouotte, d’Is-sur-Tille et de Rochefort-sur-Brevon. Ces projets suscitent le désaccord des élus, qui craignent les répercussions d’un effacement d’un ouvrage ou de la modification d’un cours d’eau, notamment sur les fondations lors de la rétractation des argiles. 

Aujourd’hui, l’actuel projet d’aménagement sur l’ouvrage hydraulique de la Bèze à Bézouotte, présente un risque de catastrophe réel, reconnu par le Préfet lui-même !
Le SIBA (Syndicat intercommunal du bassin versant de la Bèze et de l’Albane) a fait état de désordres survenus dans deux habitations (fissures), liés à la rétractation des argiles. Ces mouvements de terrains sont augmentés par la sécheresse et par la baisse du niveau des eaux. Des faits et un lien de cause à effet confirmés par le rapport d’expertise du BRGM (bureau de recherches géologiques et minières, établi en juin 2015. Un rapport qui ajoute que «si le niveau baisse encore, comme il est prévu au cours de la procédure d’effacement des ouvrages, le phénomène engagé qu’elle que soit son origine aura tendance à se poursuivre.» Le BRGM met donc en garde contre : «une aggravation des désordres par perte progressive de la faible rigidité structurale des bâtis.»

Qui assumera les conséquences d'un effondrement et du préjudice immobilier pour les propriétaires ? Qui va payer les dégâts ?! Encore une fois, tournons-nous vers des choix d’aménagement qui tire les leçons du passé, qui soit acceptés par les communautés locales, et qui soit financièrement raisonnable!"



Réponse peu convaincante... de la secrétaire d'Etat chargée du droit des femmes
C'est Mme Boistard, secrétaire d'Etat chargée du droit des femmes aux Affaires sociales, qui a répondu à la place de Mme Royal. Pour assurer que la concertation suivait son cours. On ne peut pas dire que le Ministère de l'Ecologie prend la mesure de l'exaspération que suscite sa politique dogmatique et erratique sur le terrain.

La secrétaire d'Etat affirme notamment : "les cours d'eau classés en liste 1 sont à protéger de tout aménagement supplémentaire, ceux classés en liste 2 doivent donner lieu à de véritables programmes de restauration de la continuité écologique centrés sur certains secteurs, afin de respecter les objectifs de bon état des eaux de la directive-cadre sur l'eau et les engagements de la France en faveur de la biodiversité."

Il est inexact d'affirmer que le programme de continuité écologique permettra d'atteindre le bon état écologique et chimique imposé par la DCE 2000 (voir cette idée reçue). Non seulement aucune étude scientifique française ne l'a jamais prouvé (en modélisation ou en analyse après travaux des rivières supposément "restaurées"), mais des chercheurs allemands ont montré que la restauration morphologique n'aboutit presque jamais au bon état DCE (soit que la masse d'eau est dégradée par d'autres facteurs, soit que l'effet des travaux sur le milieu est modeste ou nul, soit encore que le temps de relaxation du milieu est très long par rapport aux délais de la DCE 2000).

Quant à la biodiversité, de quoi parle-t-on? Les rivières fragmentées ont en moyenne une richesse spécifique équivalente ou supérieure à celle des rivières non fragmentées. Les espèces rhéophiles – qui sont les plus visées par la restauration – vivent en tête de bassin (eaux fraîches et forte pente) où elles co-existent depuis des siècles avec les moulins : ces espèces auraient disparu depuis longtemps si la pression de la fragmentation était importante. En réalité, la plupart des rivières de tête de bassin présentent déjà des linéaires non impactés à écoulement naturel, qui offrent des habitats pour ces espèces. Quant aux migrateurs, leur déclin n'est pas dû aux moulins et petits ouvrages, mais d'abord à la grande hydraulique, à la surpêche et à la pollution. Que l'Etat (comme actionnaire ou propriétaire) aménage déjà tous les ouvrages EDF et VNF, on verra ensuite pour les modestes seuils dont l'impact est négligeable...

Autre affirmation de Mme Boistard : "Mme Royal privilégie une démarche participative avec l'élaboration d'une charte nationale." C'est exact et que se passe-t-il ? Les propositions faites par les fédérations de moulins sont jetées à la corbeille par la DEB, FNE et FNPF lors des réunions de "pseudo-concertation", le Ministère voulant imposer un texte creux et bidon qui évite tous les problèmes de fond et qui ne donne aucun levier pour résister aux effacements forcés ou aux travaux pharaoniques.

Le classement des cours d'eau n'a pas été un choix ciblé, motivé et raisonnable sur des rivières d'intérêt patrimonial ou sur des axes migrateurs progressifs – auquel cas on n'aurait que quelques rivières classées par département, afin de se donner tout le temps et tous les moyens d'agir correctement –, mais un outil de destruction massive des seuils et barrages dont certains idéologues du Ministère de l'Ecologie et leur amis FNE-FNPF ont fait une priorité. Cette imposture doit cesser. Vite.

Illustration : la Seine amont après un effacement, au droit d'un site dont l'indice piscicole de qualité DCE était pourtant bon ou excellent selon les années de mesure. Où est l'intérêt pour le milieu? Où sont les services rendus par les écosystèmes aux riverains?

Autres exemples de dépenses somptuaires en Côte d'Or et Bourgogne
Doit-on détruire des ouvrages hydrauliques pour le chabot? Chroniques de l'extrémisme ordinaire en gestion des rivières
Effacement des ouvrages d'Essarois: 400.000 euros pour quels résultats?

08/12/2015

A bout d'argument? De la misère intellectuelle en milieu ministériel

Un amusant dialogue à distance s'installe entre notre site et celui du Ministère de l'Ecologie, qui s'est mis en tête depuis cette semaine de dénoncer ce qu'il appelle des "idées fausses" (après que nous avons pour notre part entrepris de démonter les "idées reçues"). Le Ministère tente notamment de nous expliquer que les seuils et barrages ont des effets graves sur les poissons. Pour appuyer ses dires, rien moins qu'un extrait sans contexte d'un bulletin de société savante de Lozère de 1861. Eh oui, on en est là…

Une des "idées fausses" prêtée par le Ministère au public est ainsi formulée : "Les poissons abondaient dans les rivières à l’époque où des dizaines de milliers de moulins fonctionnaient. Ces derniers n’ont donc pas d’impact sur la faune piscicole ! Il faut prendre des mesures ailleurs !"

(Remarquez au passage que le propriétaire de moulin ou le riverain, un peu idiot, s'exprime toujours sous forme exclamative et définitive).

Le procédé rhétorique est assez classique : le Ministère produit une idée extrême que personne (ou peu de gens) ne soutient réellement, et s'empresse d'annoncer triomphalement que l'idée est "fausse". En effet, les moulins peuvent tout à fait avoir des impacts sur la faune piscicole (positifs, négatifs) et l'on ne voit pas pourquoi ils n'en auraient pas. Ce que les propriétaires de moulins contestent et à très juste titre, c'est que l'impact piscicole des seuils et barrages serait important, en particulier quand il est comparé aux impacts des évolutions récentes de la société industrielle.

Le Ministère fait d'abord un pas dans la bonne direction en admettant : "Il apparaît sensé d’affirmer qu’au Moyen Age, bien avant les révolutions industrielle et agricole, lorsque la population était trois fois moins dense qu’aujourd’hui il y avait plus de poissons dans les rivières. Il semble aussi évident d’affirmer que les moulins ne sont pas les responsables uniques de la disparition de certaines espèces et de la diminution des effectifs ; dans le cas des grands migrateurs, la surpêche en mer et les grands barrages verrous ayant condamné l’accès aux meilleures frayères, ont une responsabilité indéniable dans cet effondrement."

Mais sans doute effrayé par l'audace de cet aveu, qui pourrait semer le doute sur le bien-fondé des destructions d'ouvrages formant le nouveau dogme de la Direction de l'eau et de la biodiversité, le site ministériel ré-affirme bien vite : "La relation directe entre le processus de disparition de la faune piscicole et les ouvrages en rivière, notamment transversaux est un fait, prouvé depuis longtemps."

Pour défendre ce point, le Ministère de l'Ecologie produit une reproduction du bulletin de 1861 de la Société d’agriculture, d’industrie, de science et d’art du département de la Lozère.


Ledit bulletin affirme que les salmonidés sont contrariés par des barrages trop élevés qu'ils ne peuvent franchir. Cela n'a rien de très renversant – de même qu'en remontant vers les têtes de bassins, les salmonidés trouvent de plus en plus de chutes naturelles qu'ils ne peuvent pas davantage franchir. Nous avions par exemple exposé comment le saumon a peu à peu disparu des têtes de bassin du Morvan au cours du XIXe siècle, en raison des rehausses d'ouvrages hydrauliques et nouveaux ouvrages plus élevés. Les travaux ichtyologiques cités dans cette analyse prenaient justement soin de souligner que le saumon n'avait pas disparu à cause des petits ouvrages de moulins, présents de longue date sur les rivières, mais des grands travaux modernes d'aménagement hydraulique, de la surpêche puis de la pollution.

Le principal problème dans cette prose ministérielle : aucun chiffre, aucune donnée scientifique. Nous ne remettons pas en question le grand intérêt de ce qui se disait dans les sociétés savantes de Lozère en 1861, mais nous restons sur notre faim. Il est simplement dit à la fin du texte ministériel, de manière assez cryptique pour les non-initiés : "l’étude de (Van Looy et al, 2014) a conclu : "les structures des communautés de poissons et d’invertébrés sont significativement modifiées par la présence d’obstacles à l’écoulement (seuils et barrages) à l’échelle du bassin.""

Les lecteurs d'Hydrauxois, qui ont été les premiers informés de cette étude dans le grand public, savent très bien ce qu'elle dit : les barrages (toutes catégories confondues, même les grands) représentent 12% seulement de la variance de l'indicateur de qualité piscicole sur le linéaire étudié par les chercheurs. Donc l'impact est faible (88% de la variation de qualité piscicole s'explique autrement), d'autant que la même étude trouve une corrélation positive et significative (0.19) avec la richesse spécifique (la diversité des espèces est plus importante dans les rivières plus fragmentées). Voilà des chiffres, pas des généralités. Ils ne nous convainquent certainement pas du bien-fondé de la politique de destruction systématique du patrimoine hydraulique par le choix radical de l'effacement.

Le Ministère affirme : "Les témoignages humains sur l’abondance de poissons conservent une dimension subjective importante. Ils ne reposent pas toujours sur des données scientifiques ni sur des protocoles d’évaluation qui permettent d’établir des comparaisons." Eh bien que le Ministère arrête donc de citer des bulletins de sociétés savantes locales du XIXe siècle, des convictions personnelles de scribes égarés au Bureau des milieux aquatiques ou encore des conclusions généralistes et non-informatives d'études : qu'il donne plutôt les chiffres exacts ressortant des travaux scientifiques récents et qu'il informe le public des débats en cours dans la communauté des chercheurs. Car ces données contredisent l'idée que la restauration de la continuité longitudinale aura un effet majeur sur la faune piscicole, en particulier quand on parle des ouvrages modestes des moulins formant les trois-quarts des obstacles à l'écoulement.

Nos rivières ont besoin de vraies concertations fondées sur de bonnes informations. Sur la défensive, désormais arcbouté sur la sauvegarde de ses planifications absurdes et autoritaires de continuité écologique, le Ministère de l'Ecologie ne semble plus capable de produire autre chose que du catéchisme et dogmatisme.

A lire et diffuser en réponse au Ministère
Idée reçue #02 : "Les seuils et barrages ont un rôle majeur dans la dégradation des rivières et des milieux aquatiques"
Idée reçue #03: "Jadis, les moulins en activité respectaient la rivière, mais aujourd'hui ce n'est plus le cas"

07/12/2015

Idée reçue #09 : "Seuils, digues et barrages nuisent aux services rendus par les écosystèmes, qui demandent des rivières libres"

Les "services rendus par les écosystèmes" font partie des outils conceptuels parfois invoqués par l'administration ou le gestionnaire pour justifier la politique dite de continuité écologique et de restauration morphologique des rivières. La rivière plus "libre" et plus "sauvage" serait celle qui rend le plus de services à notre société. Or, c'est un complet contre-sens : on parle bien de service rendu "par" les écosystèmes (et non "aux" écosystèmes). Cette notion demande que les masses d'eau servent effectivement aux besoins humains, et non pas qu'elles soient laissées à elles-mêmes dans une logique conservationniste. On s'aperçoit que les ouvrages hydrauliques sont des éléments indispensables pour exploiter ces services rendus par les écosystèmes, et que les politiques de renaturation des rivières nuisent à ces objectifs. Le développement des territoires demande un bon équilibre entre tronçons de rivière à écoulement naturel (déjà présents en général) et tronçons avec ouvrages servant à des multiples usages.

En 2001, les Nations Unies ont lancé l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (Millennium Ecosystem Assessment ou MEA), processus qui s'est traduit en 2005 par un rapport de synthèse sur Les écosystèmes et le bien-être humain (MEA 2005). De là est né l'approche des "services rendus par les écosystèmes", parfois appelés "services écosystémiques" ou "services environnementaux" (avec diverses nuances et de nombreux débats, voir par exemple des synthèses chez Bonin et Antona 2012, Méral 2012).


Analyse des services rendus par les écosystèmes aquatiques continentaux: les ouvrages sont associés à la plupart d'entre eux
Dans une synthèse exploratoire de 2009, visant à transférer dans la programmation publique française cette approche, le Ministère de l'Ecologie a recensé 43 types de services rendus par les écosystèmes dans 3 grandes catégories (approvisionnement, régulation, social), au lieu des 4 initialement définies par le MEA, cf MEDDE 2009, voir aussi Maresca et al 2011). Nous reprenons la liste de ces services comme représentatifs d'une grille d'évaluation applicable aux ouvrages hydrauliques.

Service d'approvisionnement
  • Support de cultures alimentaires 
  • Support de cultures énergétiques 
  • Support pour l’aquaculture
  • Production d’animaux pour la pêche professionnelle
  • Production de végétaux et de champignons pour la cueillette
  • Éléments minéraux pour l’extraction (granulats)
  • Support pour la production de fibres et autres matériaux
  • Support pour la production de bois
  • Fourniture d’eau à usage domestique 
  • Production eau embouteillée (minérale et de source)
  • Fourniture d’eau à usage agricole
  • Fourniture d’eau à usage industriel (dont la production d’énergie)
  • Réservoir du vivant 
  • Transport fluvial maritime

Commentaires : 
  • les seuils, barrages, écluses et digues sont directement impliqués dans les services rendus au titre de l'aquaculture, de l'irrigation, des réservoirs d'eau potable, de la production d'énergie, du transport maritime et fluvial – toutes activités qui demandent une régulation de l'eau et généralement une modification de son profil en long ou en travers ;
  • les mesures de restauration morphologique impactent négativement la plupart des activités mentionnées dans cette rubrique, par exemple le surcoût dû à l'interdiction d'abreuvement direct du bétail en rivière, l'interdiction d'extraction des granulats, et bien sûr l'effacement des ouvrages qui va à l'encontre de tous les usages ou potentialités d'usage dans les activités précédemment citées. 
Service de régulation
  • Prévention des crues et des inondations
  • Atténuation de l’effet des sécheresses
  • Prévention des désordres géomorphologiques des cours d’eau
  • Purification de l’eau
  • Régulation de l’érosion et des coulées de boues
  • Limitation des avalanches
  • Maintien de la qualité des sols
  • Recyclage de la matière organique
  • Régulation de la dynamique des pathogènes et parasites 
  • Régulation de la dynamique des espèces nuisibles et envahissantes 
  • Maintien de la pollinisation
  • Purification et maintien de la qualité de l’air
  • Régulation du climat local
  • Régulation du climat planétaire
  • Biodiversité et fonctionnement des écosystèmes, maintien réciproque
Commentaires : 
  • les seuils, barrages, écluses et digues sont impliqués dans la prévention ou l'atténuation des crus et inondations, la régulation des espèces nuisibles et envahissantes ;
  • les retenues participent à l'atténuation de l'effet des sécheresses, une partie d'entre elles étant conçues pour le soutien d'étiage ;
  • les eaux plutôt stagnantes ont un rôle positif pour l'élimination des intrants agricoles (N, P) et les retenues servent souvent de stockage sédimentaire de polluants qui, sans elle, se diffuseraient dans les milieux et les espèces, donc il faut le mettre au crédit dans la rubrique purification de l'eau ;
  • les seuils et barrages montrent une corrélation nulle voire légèrement positive sur l'indicateur de richesse spécifique en rivière (biodiversité), même si localement ils peuvent avoir des pressions négatives sur certaines espèces ; 
  • le seul point de cette liste jugé comme globalement négatif est celui du fonctionnement des écosystèmes au sens où les obstacles modifient le transit sédimentaire et le franchissement piscicole.
Services à caractère social
  • Qualité du paysage (esthétique) 
  • Qualité de l’environnement olfactif
  • Qualité de l’environnement sonore
  • Valeur intrinsèque et patrimoniale de la biodiversité (espèces protégées, etc.)
  • Communautés humaines spécifiques Source d’inspiration artistique
  • Production d’animaux pour la chasse
  • Production d’animaux pour la pêche
  • Support de sports de nature (eau douce, randonnée, aérien)
  • Support pour le tourisme et les loisirs de nature
  • Support pour le thermalisme et la thalassothérapie
  • Support de travaux de recherche
  • Support pour le développement des savoirs éducatifs

Commentaires : 
  • certains points de cette liste sont assez subjectifs, par définition les usages sociaux et présentations collectives des milieux aquatiques sont très divers; 
  • cette catégorie de services contredit directement la position de l'administration française (exprimée dans les circulaires relatives à la continuité écologique de 2010 et 2013) sur les ouvrages "sans usage" (par quoi il faut entendre sans usage agricole, énergétique, hydrologique), puisqu'il existe des usages esthétiques, culturels, récréatifs, paysagers, ayant des valeurs marchandes et non-marchandes (on parle aussi de bénéfice tangibles et non tangibles dans l'analyse multi-critère, le bénéfice non tangible étant celui qui n'a pas d'équivalent prix sur un marché de référence);
  • les paysages de retenues et le patrimoine hydraulique sont dans l'ensemble appréciés des riverains et touristes, d'autant qu'ils n'empêchent pas l'existence de linéaires plus naturels (diversification des profils du bassin, et donc des usages potentiels) ;
  • la production d'animaux pour la pêche a un bilan ambivalent (cela dépend des espèces pêchées – blancs, carpes, truites, saumons, etc. – sachant que tous les pêcheurs ne sont pas orientés sur les migrateurs, espèces par ailleurs protégées et dont la pêche de loisir reste problématique);
  • un grand nombre de moulins sont exploités pour le tourisme comme chambres d'hôtes ou gîtes ruraux, et les grands lacs de retenues sont des zones très prisées du point de vue récréatif pour toutes les régions sans accès à la mer ;
  • les moulins et usines hydro-électriques sont également l'objet de visites aux journées du patrimoine, de l'énergie, de la science, etc. et font l'objet de travaux de recherche pour diverses disciplines, d'où leur rôle culturel, éducatif et cognitif.

Les services rendus par les écosystèmes sont conforme à l'esprit de la loi sur l'eau demandant une "gestion équilibrée et durable" de la ressource
La notion de "services rendus par les écosystèmes" est conforme à ce que le législateur a posé dans le Code de l'environnement concernant la "gestion équilibrée et durable de la ressource en eau" (L211-1 CE). Le Code pose bien sûr la nécessité de garantir "la préservation des écosystèmes aquatiques", "la protection des eaux et la lutte contre toute pollution", "la restauration de la qualité de ces eaux". Mais il demande aussi bien :
  • "la valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable";
  • "la promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau";
  • en prenant comptes des exigences "de l'agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l'industrie, de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées".
Quand le gestionnaire doit faire des choix en rivière, il est censé avoir à l'esprit l'ensemble de ces éléments. Malheureusement, on s'aperçoit que certains personnels des Agences de l'eau, de l'Onema, des syndicats de rivière se représentent parfois leur mission principale comme la protection et la conservation de la nature face aux activités humaines. Mais ce n'est pas leur rôle, et on ne peut que conseiller à ceux qui ressentent cette aspiration (fort légitime par ailleurs) de rejoindre des associations naturalistes, conservationnistes et écologistes.

Entendons-nous bien : la notion de services rendus par les écosystèmes ne signifie pas que nous devons par n'importe quel moyen exploiter, encadrer, modifier les rivières et autres masses d'eau. Les travaux récents en morphologie fluviale montrent qu'il est possible d'utiliser la dynamique spontanée des cours d'eau pour obtenir certains effets utiles à la société. Par exemple, plutôt que des endiguements systématiques de berges ou des constructions d'ouvrages écrêteurs, on préfère désormais modéliser des zones d'expansion de crue en lit majeur (quand le foncier s'y prête, ce qui n'est pas toujours le cas). De même, les travaux en hydrobiologie ou en écotoxicologie nous montrent des effets négatifs de certaines activités humaines, et il est intéressant de trouver les moyens les plus efficaces et les plus consensuels pour limiter nos impacts. En revanche, on parle de bien de services rendus par les écosystèmes et non pas de services rendus aux écosystèmes. C'est donc en dernier ressort le bien-être de la société humaine qui va définir l'ordre de priorité des actions et l'intérêt général.

Dans le cas particulier des barrages (leur construction ou leur démantèlement), il existe beaucoup de discussions entre chercheurs et experts, mais peu de consensus sur des méthodologie éprouvées pour l'évaluation coût-bénéfice des options alternatives (voir par exemple dans la littérature récente Palmer et al 2014, Auerbach et al 2014, Le Roy Poff et al 2015, Wohl et al 2015).

Quand la communication publique détourne le résultat de travaux scientifiques
Notons enfin que la communication de l'action publique se permet, en ce domaine comme en bien d'autres, des approximations qui confinent parfois aux manipulations. Par exemple, le rapport Levraut 2013 sur l'évaluation des politiques de l'eau cité l'étude de Rey-Benayas 2009 (parue dans Science), elle-même invoquée par divers textes en France (par exemple plaquette Onema 2009, Plan d'action sur la restauration de la continuité écologique diagnostic 2012, etc.).

Or, voici le graphique de synthèse de ce travail de recherche, assortie d’une légende en commentaires (cliquer pour agrandir).

On observe donc qu’en milieu tempéré et aquatique — ce qui intéresse la politique de l’eau en France — l’effet de la restauration écologique est à peu près nul (histogrammes de gauche, différence entre milieu restauré et milieu intact / milieu restauré et milieu dégradé non restauré) et que les services rendus par les écosystèmes ne sont pas statistiquement significatifs (histogramme de droite) — c’est-à-dire que la méta-analyse de Rey-Benayas et al 2009 ne parvient pas à trouver autre chose que du bruit sans signification. Ce n'est pas la manière dont les choses sont présentées au public. Mais c'est une tromperie par rapport aux résultats réels de ces chercheurs.

Autre exemple de dérive : les supposées études d'impact qui accompagnent les choix publics de continuité, par exemple les analyses du bureau Poyry 2011-2012 sur les effets du classement des rivières (voir par exemple en Seine-Normandie 2011). C'est un exemple caricatural de document ad hoc à peu près dénué de valeur : pas de quantification complète des seuils, digues, barrages concernés sur les linéaires classés, pas d'analyse réaliste des coûts de restauration, étude bâclée de la valeur patrimoniale et culturelle,  flou généralisé sur les avantages supposés (pour la pêche, le loisir, etc.). Qu'un bureau d'études mette en péril la crédibilité de sa signature pour plaire au financeur public qui lui commandite de tels travaux, c'est son problème ; que de tels documents prétendent alimenter de manière fiable et impartiale le débat public sur les choix en rivières, c'est inacceptable.

Au demeurant, la conséquence de ces estimations fantaisistes ne tarde pas : quand la politique de continuité se met réellement en oeuvre sur le terrain, les gens protestent de son coût élevé et de ses choix agressifs pour des services rendus aux populations à peu près inexistants. Les Agences de l'eau sont obligées de reconnaître dans leur diagnostic des SDAGE 2016-2021 que la mise en oeuvre de la continuité écologique se heurte à de fortes oppositions et incompréhensions. Cela n'a rien d'étonnant : les avantages et usages des ouvrages ont été gommés ou écartés, les bénéfices intangibles ont été ignorés, les coûts et la complexité technique des travaux ont été sous-estimés, les populations locales (et non pas les lobbies de bureaux) n'ont pas été consultées pour produire des grilles réalistes d'évaluation des services rendus, etc. Ces choix technocratiques hors-sol n'ont pas de légitimité démocratique, mais également pas de réalisme économique dans la phase de programmation. 

Remettre les idées à l'endroit
Rappelons donc quelques vérités élémentaires à l'encontre des idées reçues : les mesures de continuité écologique et de restauration morphologique  ne s'inscrivent pas spécialement dans la logique des services rendus par les écosystèmes aquatiques, et certaines de ces mesures vont même directement à l'encontre de ces services. Les seuils, barrages, digues et écluses ont toujours été des éléments constitutifs des usages humains de l'eau, et cela dans un grand nombre de domaines différents (agriculture, énergie, eau potable, tourisme, transport, etc.). Une approche manifestement excessive dite de "renaturation des rivières" est devenue le soubassement implicite de la politique publique dans le domaine de la continuité, au mépris de la prise en compte d'une "gestion équilibrée et durable de la ressource en eau" telle que souhaitée par le législateur. Cette dérive doit être dénoncé et combattue comme contraire à l'intérêt général, car elle tend à imposer de manière arbitraire une hiérarchie des normes et une priorisation des usages de la rivière qui n'ont jamais été démocratiquement débattus ni validés. Cela n'empêche pas de développer, de manière progressive, raisonnable, concertée et publiquement financée, des programmes visant à des gains de transparence sédimentaire et piscicole sur les ouvrages de certains bassins versants. Ainsi qu'à utiliser de manière générale nos connaissances en morphologie et écologie de la rivière pour une co-existence plus intelligente, plus modeste et plus respectueuse avec les milieux naturels.

Illustrations. En haut : en été, les populations locales et les touristes envahissent ce seuil d'ancien moulin transformé en usine hydro-électrique sur la Seine amont (Aube). Ce type de service rendu, difficile à caractériser par une approche top-down, n'est généralement pas quantifié dans les analyses informant l'action publique. En bas : graphique extrait de Rey-Benayas et al 2009, ref. cit.

A lire en complément
Entre vocation hydraulique et renaturation écologique, les syndicats de rivière en pleine schizophrénie

06/12/2015

Faut-il 50 ans pour exécuter le classement des rivières? L'exemple de la DDT 63

Un document de la DDT 63 illustre certains problèmes de la continuité écologique: interprétation hasardeuse ou tendancieuse du droit (demande de justification de la légalité de l'ouvrage, proposition d'effacement d'un ouvrage autorisé), refus de prescrire des solutions de gestion, d'entretien et d'équipement alors que la loi y oblige l'administration, nombre d'ouvrages traités (10 par an) dix fois trop faible pour tenir le délai légal de cinq ans imposé par les classements des rivières, soit 2017-2018. 

Un document intéressant de la DDT 63 (Puy-de-Dôme) a été mis en ligne sur un site de partage public. Il s'agit d'une présentation de l'état d'avancement du traitement du classement des rivières et de la mise aux normes des ouvrages dans le Puy-de-Dôme, à l'occasion d'une journée dédiée à la continuité écologique.

On apprend qu'une première phase de décompte des ouvrages en liste 2 aboutit à "525 ouvrages recensés comme infranchissables, ou franchissables avec difficulté". Plus de 500 ouvrages sur un seul département... on mesure à ce chiffre l'ampleur du classement des rivières. Il ne concerne pas quelques sites sur des axes importants de certains bassins versants, mais impacte bel et bien l'ensemble du patrimoine hydraulique de nos territoires.

La DDT 63 a envoyé aux propriétaires un courrier "leur demandant de faire part de leur décision sur la solution d’aménagement envisagée". Nous rappelons que les propriétaires n'ont pas à s'exécuter devant ce genre d'injonction : le texte de la loi est clair (voir ici son analyse détaillée), c'est à l'administration qu'il revient de prescrire (donc motiver) des solutions de gestion, équipement et entretien (voir cet article). Il est particulièrement important que les maîtres d'ouvrage, leurs associations et leurs fédérations homogénéisent la réponse aux DDT-M sur ce point.

On observe que parmi les "solutions", la DDT inclut "effacement": il convient sur ce point de demander au Préfet au nom de quel texte légal ou réglementaire cette destruction est ainsi suggérée par son administration. Sur un ouvrage autorisé (et tous les fondés en titre le sont au terme du L214-6 al. II CE), la consistance légale (hauteur, débit) doit être respectée et il ne revient certainement pas à un service de l'Etat de proposer sans base légale ni réglementaire une destruction pure et simple de la propriété privée. Si cette proposition d'effacement faisait partie des courriers envoyés aux propriétaires, il y aurait probablement matière à recours en abus de pouvoir contre les services de la Préfecture (voir de manière générale cet article sur le cadre juridique des effacements, ainsi que ces précisions sur les sédiments et sur les espèces invasives).

On observe également dans la présentation DDT 63 que l'Etat demande indistinctement aux propriétaires de justifier le droit d'eau. Situation hélas classique, mais tout ouvrage en rivière est présumé autorisé et l'Etat ne saurait faire peser une suspicion collective d'illégalité non motivée (voir cet article). En fait, à l'occasion du passage des services de Ponts et Chaussées aux DDE-DDA dans les années 1960, on sait que nombre d'archives ont été perdues ou détruites, et que l'administration a fait preuve d'une longue négligence dans la gestion des moulins en raison du déclin de leur activité économique première. Dans le cadre d'une modernisation de l'action publique qui équivaut parfois à la casse pure et simple des services publics, cette administration aimerait aujourd'hui faire disparaître les droits d'eau et règlements d'eau dont elle a déjà mal assuré le contrôle au cours de quatre dernières décennies. Les propriétaires n'ont évidemment pas à céder à ces menaces, d'autant que l'immense majorité des ouvrages sont apparus entre le Xe et le XVIIIe siècles, et sont donc de droits fondés en en titre (quand bien même leur règlement aurait été égaré).


Quel est le bilan de l'action de la DDT 63? On lit dans le document que 196 courriers spécifiques ont été envoyés pour le L214-17 CE, les autres ouvrages du département étant déjà classés et avertis au titre du L432-6 CE. Ce dernier article du Code de l'environnement (aujourd'hui abrogé) est l'ancêtre du L214-17 CE. Il permettait d'imposer sur une rivière particulière la continuité piscicole (on parlait de "cours d'eau passes à poissons"), à condition que le Préfet ait pris un arrêté précisant les motifs du classement (et que les services de l'eau de la Préfecture motivent le classement à tout propriétaire qui en fait la demande, point ayant déjà entrainé condamnation de l'Etat pour avoir refusé de produire les éléments de cette motivation).

Suite à la salve des lettres de la DDT 63, il n'y a que 72 réponses. En 2015, 17 sites ont été visités, 10 mises en demeure sont prévues. En 2014, 10 ouvrages ont été aménagés, 10 autres sont prévus en 2015. Il faut supposer que ce sont les cas les plus simples qui sont traités les premiers – ouvrages déjà sérieusement dégradés, exploitant industriel voulant se mettre aux normes, collectivité ayant les moyens de le faire ou voulant au contraire effacer l'ouvrage pour limiter ses charges, propriétaire naïf cédant aux pressions. Ce qui ne préjuge pas d'une suite facile vu le nombre d'ouvrages de ce département.

Vu les chiffres, la conclusion est claire : à ce rythme-là, il faudrait 50 ans pour mettre aux normes les seuils et barrages du Puy-de-Dôme, alors que le délai légal est en 2017 (pour le bassin Loire-Bretagne) ou 2018 (pour le bassin Adour-Garonne). Nous n'avons aucune chance de tenir le délai légal de 5 après le classement des cours d'eau, parce que les services instructeurs de l'Etat n'ont pas la capacité de traiter plus de dossiers. Ils l'auront encore moins quand les propriétaires exigeront le respect du droit et la motivation complète de l'aménagement sur chaque ouvrage, au lieu des approximations voire des abus qui ont eu cours dans les premières années du classement.

Ces chiffres sont convergents avec ceux des différentes Agences de l'eau, dont les plus importantes en terme de linéaire classé admettent ne pouvoir traiter qu'une centaine de dossiers par an, soit de l'ordre de la dizaine par département. Dans les bassins qui ont eu la sagesse de classer très peu de rivières en liste 2 (comme Rhône-Méditerrannée-Corse), le rythme est éventuellement tenable dans le délai de 5 ans, avec de légers retards. Mais dans les autres, nous sommes d'ores et déjà dans le rouge : les autorités et gestionnaires n'ont manifestement pas la capacité de mobiliser les moyens au service des règlementations qu'ils ont eux-mêmes promulguées.

Le risque de cet énorme retard dans la mise en oeuvre de la continuité écologique est évident : entrer dans une zone de non-droit et aboutir à l'engorgement des tribunaux administratifs par les contentieux. Ces contentieux seront aussi bien le fait des propriétaires de moulins et riverains, qui ne supportent plus le chantage à l'effacement et le matraquage des coûts exorbitants, que le fait de FNE, FNPF ou autres lobbies de la destruction, ces derniers ne manquant pas de faire pression sur l'Etat pour qu'il exécute le classement et casse le maximum de barrages. Pour calmer tout le monde, il convient donc de prononcer un moratoire à l'exécution du classement des rivière. Et d'inviter dans une concertation élargie tous ceux que la question concerne, et non plus seulement quelques privilégiés de l'administration s'estimant les représentants autoproclamés de la rivière, de son peuplement piscicole et de ses usages.

Le classement tel qu'il a été conçu n'est pas applicable. On doit en revoir la conception (la motivation scientifique réelle de classer chaque masse d'eau), la priorisation (la probabilité d'atteindre un bon état DCE si la morphologie est traitée) comme l'exécution (le financement de travaux qui représentent des sommes exorbitantes, l'analyse coût-efficacité de cet investissement public). Ce ne sera ni le premier ni le dernier "grand chantier" de l'Etat qui doit admettre sa mauvaise planification. Mais comme ce chantier-là a la prétention inouï d'inciter à la destruction systématique du patrimoine hydraulique français, les propriétaires, usagers, riverains, protecteurs de notre héritage historique et de notre paysage de vallée seront désormais mobilisés jusqu'à l'obtention d'une issue claire et acceptable par toutes les parties prenantes. 

04/12/2015

Continuité écologique: le Ministère ne comprend pas (mais on continuera de lui expliquer…)

Le Ministère de l'Ecologie publie sur son site Internet quelques pages censées exposer les bonnes raisons pour rétablir la continuité écologique et dissiper les malentendus. Mais le texte composé de généralités ne répond en rien aux demandes précises et aux objections nombreuses que nous formulons vis-à-vis de la politique actuelle du gouvernement en ce domaine. Plus inquiétant encore, au lieu de défendre l'intérêt général au nom d'une vision équilibrée de la rivière et de ses usages, ce texte continue de verser sans réserve dans l'idéal maximaliste et irréaliste d'une renaturation des cours d'eau par restauration massive des habitats. Mise au point. 

Sur le site du Ministère de l'Ecologie, un nouveau texte sur la continuité écologique vient d'être publié. Il affirme : "depuis la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006, la restauration de la continuité écologique des cours d’eau suscite beaucoup d’interrogations, de scepticismes voire d’oppositions, parfois très tranchées et très diffusées. Beaucoup d’idées fausses circulent d’ailleurs sur la nécessité de maintenir tous les seuils en rivière, sur l’absence de priorité de leur aménagement voire sur les perturbations négatives que déclencherait leur suppression."

Nous sommes bien d'accord, beaucoup d'idées fausses circulent et nous leur avons même consacré une rubrique à part entière de ce site, visant à la déconstruction des "idées reçues". Hélas, ces dernières ont été en partie diffusées… par le Ministère ou par des établissements administratifs!



Les absences de rigueur, motivation et suivi dans la politique de continuité
Le texte paru sur le site du Ministère reprend des généralités, déjà mille fois lues, sur la continuité écologique. Il n'y a pas grand chose à en dire : la question est mal posée. En effet, ces berceuses en forme de rappels théoriques du fonctionnement de la rivière ne répondent pas aux problèmes que nous soulevons, à savoir l'absence de :
  • mesure de tous les paramètres de qualité (biologique, physico-chimique, chimique, morphologique) DCE sur chaque masse d'eau;
  • modélisation des impacts en rivières à partir des bassins versants et de l'ensemble des données DCE; 
  • profondeur historique dans l'étude des peuplements piscicoles et de leur variabilité naturelle / forcée;
  • mesure de l'impact relatif du compartiment morphologique sur les paramètres biologiques / chimiques de qualité; 
  • analyse d'effet des ouvrages selon leurs profils et dimensions (distinction petite et grande hydraulique, formes des seuils, exutoires latéraux, pente du déversoir, etc.); 
  • intégration du changement climatique dans les évolutions hydrologiques et écologiques à venir;
  • suivi scientifique des effets dans la durée des restaurations morphologiques;
  • analyse coût-efficacité et coût-bénéfice de ces restaurations;
  • estimation de probabilité d'atteindre les critères DCE et d'objectifs chiffrés des restaurations;
  • évaluation réaliste du bilan des services rendus par les écosystèmes suite aux restaurations;
  • débat démocratique sur ce qu'il est légitime ou non de sacrifier pour un certain état du peuplement biologique de la rivière ;
  • concertation avec les premiers concernés par la continuité écologique (maîtres d'ouvrage);
  • solutions autres que la destruction de propriété ou l'imposition d'aménagements exorbitants.



Sortir des généralités et trivialités 
La liste ci-dessus en oublie sans doute, mais cela fait déjà beaucoup d'absences que nous déplorons, et ce ne sont pas les trois pages généralistes de le prose ministérielle qui comblent ces manques.

Nous l'avons écrit maintes fois : personne ne conteste que les ouvrages hydrauliques modifient d'une manière ou d'une autre les rivières, cela relève de la physique, de la chimie, de la biologie et de l'écologie élémentaires. Ce qui est contesté en revanche, c'est l'évaluation de la gravité relative des impacts de cette modification et de la proportionnalité des mesures correctrices demandées (la proportionnalité s'entendant comme la comparaison entre le bénéfice environnemental attendu et l'ensemble des coûts économiques, sociaux, patrimoniaux, à condition que les bénéfices comme les coûts soient correctement objectivés).

Exemple : les poissons rhéophiles (aimant le courant vif) sont pénalisés par les seuils. Certes, mais cela ne répond à rien, c'est un simple constat trivial qu'un milieu lentique de retenue ne leur plaît pas. On se demande donc : dans quelle proportion ? Avec quels effets démographiques ou risques d'extinction ? Avec quel niveau d'équilibre sur la durée ? Avec quelles signatures génétiques et quelle gravité sur les fonctions adaptatives de la population locale ?  Avec quel niveau de pression en comparaison du reste des impacts (pêche, pollution, berge, ripisylve, réchauffement, espèces invasives concurrentes, pathogènes, etc.) ? Avec quels effets sociaux et économiques (en terme de services rendus par ces populations piscicoles) ? Et qu'en pensent les riverains et usagers en tout état de cause ?

Qu'il y ait moins de chevaines ou de barbeaux ou de truites (ou de n'importe quelle espèce au-delà de notre exemple) dans une partie d'un tronçon de rivière n'est pas une information suffisante pour fonder une politique prétendant modifier brutalement le profil actuel de cette rivière et supprimer des pans entiers du patrimoine. Une personne qui ne comprend pas cela n'a pas sa place dans un Ministère, où l'on fait des arbitrages politiques en vue de l'intérêt général et non pas de la recherche, de l'observation ou de la militance écologiques. Chacun dans son rôle, mais il y a manifestement confusion des genres dans certains bureaux de la Direction de l'eau et de la biodiversité.


Le Ministère continue à angler sur la "renaturation"
Nous observons par ailleurs un point. Le site du Ministère de l'Ecologie écrit dans la justification de la continuité : "Comme les différents habitats de la rivière servent également aux autres espèces de faune et de flore qui constituent soit un maillon de la chaîne alimentaire (diatomées, invertébrés, etc.), pour les poissons notamment, soit un support pour une phase du cycle de vie d’espèces non aquatiques une fois adultes (larves de libellule par exemple), la préservation et la restauration de cette diversité d’habitats est indispensable à la préservation ou la restauration de la biodiversité aquatique, principalement, mais aussi de toute la biodiversité dépendante du fonctionnement naturel des cours d’eau. (…) La diversité des milieux aquatiques est principalement liée au fonctionnement hydrologique qui les façonne. Toute perturbation du régime hydrologique naturel d’un cours d’eau aura indubitablement des conséquences sur les milieux, la faune, la flore et les sociétés humaines."

Or, dans l'introduction de la Circulaire du 18 janvier 2013 sur le classement des rivières, le directeur de l'eau et de la biodiversité du même Ministère (Laurent Roy à l'époque) écrivait : "L’objectif de la liste 2 est l’amélioration du fonctionnement écologique des cours d’eau. Il ne s’agit pas de rendre au cours d’eau son état naturel d’origine mais de rétablir des fonctions écologiques et hydrologiques à un niveau permettant notamment l’atteinte des objectifs de la DCE".

Le glissement peut paraître subtil, mais il est patent. Le Ministère évoque tantôt un besoin fonctionnel lié à un objectif DCE (aménagement d'ouvrage uniquement si nécessaire) tantôt une volonté plus ou moins explicite de renaturer la rivière et de restaurer des habitats (ce qui va impliquer la destruction des ouvrages, dont la retenue et la chute ne sont pas spécialement "naturelles"). Le Ministère ne comprend manifestement pas que cette posture de "renaturation" conduisant à la suppression du maximum d'obstacles est précisément ce qui a rendu sa politique impopulaire et inapplicable, car extrémiste,  déséquilibrée, ruineuse, indifférente à tout ce qui dépasse la "naturalité" de la rivière mais qui forme depuis des millénaires l'essentiel de l'expérience humaine sur ses rives.

Alors on fait quoi ?
Classer les rivières selon un enjeu écologique incluant l'hydromorphologie: nous sommes d'accord sur le principe, à condition que chaque classement soit scientifiquement établi, démocratiquement concerté et raisonnablement mis en oeuvre (trois conditions manquantes dans la plupart des cas aujourd'hui).

Désigner des rivières dans un très bon état écologique où il est interdit de créer de nouveaux ouvrages (équivalent liste 1): nous sommes à nouveau d'accord sur le principe, mais aux mêmes conditions, à quoi s'ajoute que la morphologie ne doit pas être la seule concernée dans ces rivières (interdiction de nouveaux ouvrages, certes, mais interdiction d'extension de la pêche professionnelle ou de loisir, interdiction de nouvelles activités polluantes sur le bassin versant, etc.).

Désigner des rivières où les obstacles à l'écoulement pénalisent fortement des migrations d'espèces par ailleurs menacées, et où des plans de franchissabilité piscicole sont à déployer (équivalent liste 2): nous sommes encore d'accord, mais à l'ensemble des conditions précédemment établies (notamment l'interdiction de toute prédation sur les espèces menacées), auxquelles s'ajoute la nécessité d'un financement public vu le coût élevé des travaux en rivière et charges sur les propriétés riveraines concernées.

Ces positions sont logiques, raisonnables, équilibrées. Elle peuvent probablement recueillir un large consensus. Aller au-delà relève d'un extrémisme militant et minoritaire, et d'un défaut de réalisme condamnant la réforme à l'échec.

Elus, personnalités, associations : merci de vous engager dans l'appel à moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique, déjà soutenu par plus de 1000 grandes signatures dont 600 élus. La destruction du patrimoine hydraulique et la gabegie d'argent public doivent cesser et céder la place à la concertation. Nos rivières ont besoin de vous !

Illustrations : un seuil de moulin sur la Brenne (Côte d'Or) et son hydrosystème. Le Ministère de l'Ecologie persiste à désigner comme "dégradé" tout habitat qui ne serait pas "naturel". Ce n'est pas tenable, cela fait plusieurs millénaires que le profil et le peuplement des cours d'eau sont modifiés par la présence humaine. La morphodiversité créée par les seuils est une donnée déjà ancienne des rivières françaises, ses impacts sont très variables, certains de ses effets sont positifs en l'état des autres pressions sur les bassins versants, la modification des peuplements reste souvent modeste et sans gravité particulière. En témoigne d'ailleurs le très grand  nombre de rivières à seuils et barrages ayant été classées en liste 1 en raison de leur intérêt écologique ou ayant un Indice Poisson Rivière (IPR) de bonne voire excellente qualité. Il faut cesser les généralités et les préjugés, surtout dans une prose ministérielle où l'on attend une défense de l'intérêt général et des services rendus par les écosystèmes, pas un jusquau-boutisme de restauration écologique indifférent aux usages comme aux avis des populations.