04/02/2017

Réponse de la végétation riveraine à la suppression d'ouvrages hydrauliques (Depoilly et Dufour 2015)

Une étude de long terme faite sur la végétation riveraine de deux fleuves côtiers bas-normands (Orne, Vire) montre que les arbres situés à l'amont de deux ouvrages de moulins effacés en 1997 ont connu une baisse significative de croissance, en particulier les aulnes. Pour les chercheurs à l'origine de ce travail, les écosystèmes aquatiques, les écosystèmes riverains, le bâti historique et les pratiques sociales doivent être davantage intégrés dans la programmation multidisciplinaire de la restauration de continuité écologique. 

Doriane Depoilly et Simon Dufour, chercheurs en unité mixte CNRS et Université de Rennes, se sont attachés à mettre en évidence l’influence éventuelle de la suppression d’ouvrages hydrauliques sur la ripisylve des cours d’eau du nord-ouest de la France, grâce à une approche dendrochronologique. L’étude a été réalisée sur 2 sites localisés dans les bassins versants de l’Orne et de la Vire (fleuves côtiers bas-normands), le moulin du Viard (Calvados) et le moulin de Rondelles (Manche). Ces ouvrages, d’une hauteur de 2 et 3 m, ont été supprimés en 1997.

Quelle est la réponse de la croissance des arbres de la ripisylve en fonction des espèces et de la localisation des individus par rapport à l’ouvrage?

L'approche dendrochronologique repose sur le fait que les cernes de croissance des espèces ligneuses montrent une variabilité interannuelle de leur largeur, qui est directement liée aux paramètres environnementaux impactant cette croissance ligneuse: climat, apport en eau, ouverture ou fermeture du milieu. Cette approche est aussi utilisée pour reconstituer l'évolution des climats passés.

Une chronique climatique et hydrologique a été analysées sur une période de 34 ans (1980-2013): moyenne des précipitations mensuelles, moyenne des températures minimales et maximales mensuelles. Des placettes d’échantillonnage ont été localisées en amont de l’ancien barrage, à 20, 350 et 538 mètres pour le moulin des Rondelles et à 114, 412 et 560 mètres pour le moulin du Viard.

Résultat : "la mesure rétrospective des cernes de croissance des arbres de la ripisylve sur une période de trente ans met majoritairement en évidence une baisse significative de la croissance ligneuse suite à la suppression des ouvrages".


Les ruptures de croissance sur la période analysée, avant et après la suppression d'ouvrage, Depoilly et Dufour 2015, art cit, droit de courte citation.

Dans le détail, 30 échantillons sur 36 enregistrent une différence statistiquement significative. La suppression a ainsi entraîné un changement de croissance (positif ou négatif) pour près de 83 % des individus avec 66 % de diminution, 17 % de stagnation et 17 % d’augmentation. Concernant les ruptures significatives, la majorité sont à la baisse (77 à 80 % selon le test). Temporellement, les ruptures statistiquement significatives après 1997 sont majoritaires (60 % des arbres). Tous les arbres ne réagissent pas de la même manière: sur un des deux sites, la suppression du barrage affecte négativement la croissance des aulnes mais positivement celle des frênes et des tilleuls (baisse du caractère hygrophile des ripisylves).

Comme l'écrivent le chercheurs, "les résultats de cette étude illustrent en partie la complexité des enjeux politiques et opérationnels qui s’articulent autour de la stratégie de restauration de la continuité écologiques des cours d’eau par suppression des ouvrages de type seuils ou petits barrages. En effet, cette stratégie soulève la question de notre capacité à combiner les effets de telles opérations sur des plans multiples, relevant des dimensions écologistes et socio-culturelles. La mobilisation de critères multiples, si elle assure une intégration plus complète des différents enjeux, ne résout pas les éventuelles oppositions. Ainsi, en ce qui concerne la dimension écologique, la restauration de la continuité se concentre sur le chenal, dont elle vise à améliorer les conditions biotopiques et, dans de nombreux cas, elle n’intègre pas les écosystèmes de plaine alluviale, dont la réponse elle-même peut être variable. (…) nos résultats semblent montrer que le risque d’une perte partielle du caractère humide des habitats riverains en place existe, même si l’ampleur du phénomène reste à analyser plus finement. Si le bilan écologique est difficile à établir pour une seule composante du système, il devient vite évident que le bilan global, intégrant plusieurs systèmes (écosystèmes et sociosystèmes), à différentes échelles spatiales, est encore plus délicat à dresser (Stanley et Doyle, 2003 ; Jørgensen et Renöfält, 2012)."

Dicussion
Les auteurs observent : "Il ne s’agit pas ici de remettre en cause le bien-fondé de la politique de restauration de la continuité, ni de conclure à l’impossibilité d’une prise de décision devant la multiplicité des conséquences, mais bien de souligner la nécessité d’une approche des actions de restauration qui, sans renier ses ambitions, serait probablement plus intégrée, plus en lien avec la diversité des situations et, dans tous les cas, plus explicite dans ces objectifs et ses conséquences." Et ils ajoutent : "Ecosystèmes aquatiques, écosystèmes riverains, bâti historique, pratiques sociales... autant d’éléments à intégrer par des processus qui réclament conjointement des connaissances scientifiques multi-thématiques et des dispositifs politiques efficients".

On ne peut que partager cet appel raisonnable à une approche multidisciplinaire et intégrative de la restauration de rivière, particulièrement de la restauration de continuité écologique. La défragmentation a été portée en France par des objectifs très orientés sur l'expertise hydrobiologique, en particulier la franchissabilité des obstacles par les migrateurs et la réhabilitation d'habitats lotiques pour des rhéophiles. On a oublié un peu rapidement que les habitats artificiels lentiques (biefs, canaux, retenues, étangs, etc.) forme des hydrosystèmes à part entière, connectés aux habitats riverains, avec un bilan de biodiversité et de fonctionnalité ne pouvant se limiter à l'optimisation pour certains assemblages pisciaires ou pour certains traits fonctionnels de ces assemblages.

Référence: Depoilly D et Dufour S (2015), Influence de la suppression des petits barrages sur la végétation riveraine des cours d'eau du nord-ouest de la France, Norois, 237, 51-64

01/02/2017

Journée des zones humides

Biefs, canaux, rigoles des déversoirs et déchargeoirs, retenues, étangs... les ouvrages en rivière créent des plans d'eau et des annexes hydrauliques qui forment autant de singularités. Ils alimentent souvent des espaces humides attenants, par des rehausses de nappe, des débordements ou des fuites. A leurs abords, la végétation prospère. Au fil des saisons, on y observe toute une faune d'oiseaux, insectes, amphibiens, mammifères... En sécheresse ou en crue, des poissons y trouvent refuge. Chaque ouvrage est différent, chaque ouvrage mérite un examen attentif. L'inventaire de cette biodiversité reste à faire, car elle est aujourd'hui négligée – voire niée – par les gestionnaires de l'eau. Nous invitons les propriétaires de ces ouvrages à se coordonner, à relever et photographier la faune et la flore de leur bien, à nous communiquer leurs observations. 

30/01/2017

Non à la destruction des moulins de Chartres

Chartres Métropole s'apprête à détruire plusieurs ouvrages hydrauliques sur les communes de Chartres, Le Coudray, Luisant, cours d'eau de l'Eure. Mobilisez-vous d'ici vendredi pour dire non lors de l'enquête publique.

Le dossier de l'enquête publique peut être téléchargé à cette adresse. Vous avez jusqu'à vendredi prochain pour écrire au commissaire enquêteur (enquetes.publiques@agglo-ville.chartres.fr), ou vous rendre en mairie (Mairie de Chartres, Guichet unique, 32-34 Boulevard Chasles). Ci-dessous quelques-uns des arguments que nous envoyons pour notre part à l'enquête.


Pollution eau et sédiments
Il est reconnu dans le dossier que la qualité chimique et physico-chimique de l'eau est moyenne, donc insatisfaisante pour la directive cadre européenne (DCE 2000) :  "De manière globale, la qualité de l’Eure est moyenne que ce soit pour les paramètres physico-chimiques de carbone organique dissous, phosphore total et nitrates par exemple, qu’au regard de la qualité biologique (macro-invertébrés, diatomées ou poissons). Malgré tout, les résultats montrent une dégradation du milieu au niveau chimie sur les paramètres ammonium et orthophosphates notamment. Cela se traduit par une eutrophisation de l’eau, c’est-à-dire une asphyxie du cours d’eau résultant de la prolifération d'algues qui consomment tout l'oxygène nécessaire à la vie aquatique."

En conséquence :
- le dossier aurait dû proposer une analyse chimique des sédiments des retenues remobilisés par les travaux, afin de vérifier s'il est nécessaire de les placer en décharge spéciale, et non les laisser repartir en l'état vers l'aval,
- le chantier consiste à rétablir la continuité piscicole et sédimentaire dans une eau reconnue comme dégradée, donc les effets biologiques seront moindres et la dépense d'argent public ne correspond pas aux priorités de la DCE.

Foncier et chantier
Le dossier stipule que trois ouvrages ont fait l'objet d'une abrogation de règlement et/ou droit d'eau par arrêtés en 2016, et que leurs propriétaires ont signé des conventions avec Chartres Métropole. Toutefois, le dossier ne précise pas que les autres propriétaires directement impactés par les chantiers sur chaque rive, et par l'évolution du niveau d'eau sur leur propriété riveraine, ont été consultés, ont obtenu des garanties sur l'avenir de leur bien riverain et ont donné un accord au chantier.

Patrimoine historique et paysager
L'article L 211-1 code de l'environnement dispose : III.-La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme.

L'article L 214-17 code de l'environnement dispose : IV.-Les mesures résultant de l'application du présent article sont mises en œuvre dans le respect des objectifs de protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme.

Il y a donc obligation de :
- vérifier si les ouvrages et leur retenue sont dans le périmètre de sites inscrits ou font l'objet d'une protection dans les documents d'urbanisme
- consulter le cas échéant l'architecte des bâtiments de France et publier son avis.

Le dossier ne spécifie aucune démarche en ce sens et ne comporte aucune information sur le patrimoine historique, culturel, paysager attaché aux ouvrages.

Risque géotechnique
Aucune information n'est donnée sur l'évolution des berges, des ouvrages d'art et des fondations des bâtis qui sont actuellement en permanence en eau grâce aux retenues que l'on s'apprête à faire disparaître. Aucune responsabilité n'est précisée en cas de dommages. Beaucoup de fondations anciennes sont réalisées en bois et résistent mal à la mise hors d'eau. Le principe de précaution exige d'apporter toutes garanties avant de commettre l'irréparable.

Zone Natura 2000
Le dossier précise: "La zone est concernée par une zone Natura 2000, au niveau du moulin Lecomte. La zone n°35 se situe en amont de la zone d’étude. Il s’agit de la Prairie de Luisant. Cette zone est remarquable pour l’habitat « mégaphorbiaie » qui la compose. Le site du moulin Lecomte se situe dans la partie « peupleraie » de la zone."

Or, les travaux ont des conséquences potentiellement néfastes sur l'écoulement superficiel et souterrain (abaissement de nappe), comme sur le milieu : abattage des arbres sur l’îlot, abattage des arbres sur le bief, abattage de 70 peupliers, défrichement de la végétation de l’ilot, comblement de la totalité du canal,réalisation de travaux de VRD (enrobé bitumineux, parking, trottoir, réseaux, etc.), future sortie camion à proximité du lavoir, etc.

Le dossier ne comporte pas d'étude d'impact complète sur la zone.

Enjeux biologiques
Le dossier ne comporte aucun inventaire biologique complet faune-flore-fonge des espèces inféodées à l'hydrosystème existant. En l'état, on ne connaît pas la biodiversité présente et on ne peut notamment pas garantir l'absence de "perte nette de biodiversité" liée aux travaux (article L. 110-1 code de l'environnement).

Pour les poissons en particulier, premier objectif de la mise en conformité L 214-17 code de l'environnement, le dossier ne comporte pas un inventaire complet amont, aval et zones intermédiaires des retenues. Il est donc impossible de savoir si les espèces cibles parviennent ou non à franchir les bras en l'état, si les ouvrages augmentent ou diminuent la richesse spécifique totale, de même qu'il est impossible de chiffrer des objectifs de gains liés à la dépense publique des chantiers.

Plusieurs ouvrages sont décrits comme partiellement franchissables (Barre des prés, Tan, Lecomte). Cette franchissabilité partielle est conforme à l'article L 214-17 code de l'environnement qui n'impose pas une obligation de franchissabilité totale (toutes espèces et toutes saisons), donc d'une part la solution radicale d'effacement n'est pas proportionnée à l'enjeu sur les sites concernés, d'autre part la dépense d'argent public sur un bien privé ne relève pas de l'intérêt général.

Pour l'ensemble de ces raisons, et sous réserve que le maître d'ouvrage réponde aux points ci-dessus énumérés, un arrêté préfectoral autorisant les travaux en l'état serait susceptible de faire l'objet d'une requête contentieuse en annulation.

Illustration: le pont des Minimes, le moulin de Ponceau et les bords de l'Eure, Chartres, Eure-et-Loir (France). Photographie prise par Giraud Patrick, CC VY 2.5.

28/01/2017

La biodiversité locale est-elle réellement en déclin? (Vellend et al 2017)

Depuis quelques années, un débat émerge et divise la communauté des chercheurs en écologie: trouve-t-on une tendance réelle dans la biodiversité à échelle locale? La question peut paraître décalée voire saugrenue pour l'opinion actuelle, habituée à s'entendre dire que nous sommes au bord de la sixième grande extinction du vivant. Pourtant, plusieurs travaux concluent que la tendance moyenne de la biodiversité locale est nulle sur les données exploitables en longues séries temporelles, avec autant de hausses que de baisses. En fait, l'Anthropocène peut être animé de tendances aux effets contraires: une perte nette d'espèces au plan global (par extinction) mais une accélération interne de la diffusion des espèces non éteintes (par invasion, translocation, acclimatation, recolonisation). Point sur les toutes dernières évolutions de ce débat, et sur quelques implications dans la manière dont nous nous représentons socialement la biodiversité. 

Il existe aujourd'hui une perte globale de biodiversité, marquée par l'extinction d'espèces. L'ampleur et le rythme de cette perte sont sujets à discussion (voir cet article), en particulier parce que l'écologie scientifique manque de données d'observations – phénomène plus marqué dans des pays pauvres ou émergents, là où la disparition d'espèces est suspectée d'être la plus soutenue aujourd'hui, comme elle l'a été aux siècles passés dans les sociétés aujourd'hui industrialisées.

Depuis quelques années, un débat agite cependant la communauté des écologues : la baisse globale de biodiversité s'accompagne-t-elle d'une baisse locale de cette même biodiversité? Les deux phénomènes ne sont pas forcément liés, puisque les espèces sont mobiles. Prenons un exemple aquatique : la construction d'un grand barrage va entraîner la perte locale d'espèces (inadaptée à la fragmentation ou au nouvel habitat), éventuellement une extinction d'espèce rare et locale, mais le réservoir du barrage et ses abords seront colonisés par des nouvelles espèces, venant naturellement ou introduites artificiellement. Au final, si l'on s'en tient à la biodiversité du site définie par la richesse des espèces qu'il est capable d'héberger de manière permanente ou temporaire, seul un bilan local des espèces apparues / disparues permet de dire si la biodiversité a une tendance nulle, croissante ou décroissante à l'échelle spatiale d'intérêt.

Un article paru dans les PNAS (Vellend et al 2013) et un autre dans Science (Dornelas et al 2014) se sont intéressés à cette question.

Le premier travail, méta-analyse de 16.000 inventaires sur les plantes, trouve une tendance nulle en biodiversité locale.

Extrait de Vellend et al 2013, art cit, droit de courte citation. Tendance temporelle en biodiversité locale sur les communautés de plantes, centrée sur zéro.

Le second travail analyse 100 séries temporelles de qualité sur 35613 espèces animales et végétales. Il conclut lui aussi à une tendance nulle de la biodiversité alpha (richesse en espèces), mais dans une tendance significative en biodiversité bêta (changement de composition locale des espèces au fil du temps, en moyenne 10% par décennie sur l'échantillon).


Extrait de Dornelas et al 2014, art cit, droit de courte citation. A gauche, tendance nulle de la biodiversité locale alpha sur un siècle d'études. A droite, tendance significative de l'indice de Jaccard, montrant un remplacement des espèces concernées.

Le débat rebondit en 2016 lorsqu'Andrew Gonzalez et 9 collègues (dont Michel Loreau en France) publient dans Ecology une réfutation de ces résultats (Gonzalez et el 2016). Ces scientifiques considèrent trois points: les échantillons choisis sont géographiquement biaisés; les séries temporelles sont souvent trop courtes pour permettre de conclure sur des tendances significatives; le matériau d'analyse mêle des études sur des perturbations (disturbance) et d'autre sur des récupérations (recovery) après impact.

Mark Vellend, Maria Dornelas et 12 collègues viennent de répondre dans Ecology à ces objections, en ré-affirmant la valeur de leurs découvertes initiales et en pointant ce qu'ils estiment être des erreurs ou des présupposés non réalistes d'interprétation dans les critiques de Gonzalez et de ses co-auteurs. Pour eux, les données d'entrée sont certes perfectibles, mais c'est là un problème général de l'écologie (manque de mesures fiables de long terme) qui ne remet pas en cause ce que l'on peut observer sur les quelques données existantes, à savoir une tendance globalement nulle dans la biodiversité locale.

Discussion
Le débat, devenu passablement technique, continuera certainement dans les mois et années à venir. Il est probable qu'il ne manquera pas de déborder la sphère savante. Comme souvent dans les sciences de l'environnement, les échanges intellectuels influencent les représentations sociales comme les choix des gestionnaires et décideurs.

Il existe, même dans la littérature scientifique et technique, des divergences de présupposés. Pour l'écologie conservationniste, la nature s'apprécie par les assemblages d'espèces endémiques en milieux très peu perturbés par l'homme. C'est à partir de cette référence qu'il faudrait agir, soit en interdisant ou limitant la présence humaine (aires de conservation) soit en ré-aménageant les milieux par effacement des impacts humains (travaux de restauration ou renaturation). Par exemple, le célèbre biologiste (et inventeur du mot biodiversité) Edward O. Wilson vient de proposer de "ré-ensauvager" la moitié de la surface terrestre (Half Earth 2016). Pour l'écologie fonctionnaliste, le caractère dynamique du vivant comme l'ancienneté des influences humaines et leur prévisible persistance, voire accélération (changement climatique), suggèrent qu'il est vain de vouloir viser une certaine référence stable de composition des espèces. Il faut plutôt préserver (ou restaurer) la capacité des milieux à accueillir et produire de la diversité biologique, en agissant sur certains niveaux d'organisation et de résilience (par exemple la connectivité physique ou la régulation thermique). Il s'agit aussi de protéger des services rendus par les écosystèmes (par exemple la pollinisation ou l'épuration).

Des questions éthiques se superposent à ces paradigmes d'interprétation scientifique du vivant – et parfois s'y mêlent, car tous les chercheurs ne sont pas exempts de jugements de valeur, particulièrement en écologie appliquée de la conservation (discipline marquée par un certain engagement dès sa naissance dans les années 1970-1980) . Selon les tenants du biocentrisme ou de l'écocentrisme, le vivant a une valeur en soi et il faut viser l'évitement de toute perte d'espèces ou d'habitats, quand bien même les intérêts humains s'en trouvent affaiblis. Selon les tenant de l'anthropocentrisme, le vivant est toujours apprécié à travers certaines valeurs données par l'homme (utilité, beauté, connaissance) et ce sont en dernier ressort des choix sociaux qui dicteront les objectifs des politiques de biodiversité.

Préalablement à ces vastes débats intéressant tous les citoyens et non les seuls spécialistes, il faudrait déjà s'accorder sur les faits d'observation et sur une base solide d'information partagée. Pour les rivières et plans d'eau qui concernent  notre action associative, cette question des tendances réelles de la biodiversité locale rejoint une préoccupation majeure: la nécessité de réaliser des inventaires biologiques complets des hydrosystèmes naturels et artificiels, à échelle des stations, rivières et bassins versants, intégrant la dynamique temporelle (voir cet article). Des choix français en politique de l'eau ont été inspirés par la conservation de certaines espèces pisciaires menacées, spécialisées (migrateurs, rhéophiles) et/ou d'intérêt halieutique (salmonidés), sans que le bilan biologique élargi  (ni, au demeurant, les évolutions hydroclimatiques à échelle du siècle) informe le gestionnaire dans son intervention. Au regard de la pluralité des approches savantes sur la biodiversité comme des attentes sociales vis-à-vis d'elle, une réflexion plus approfondie et plus ouverte est certainement nécessaire.

Référence : Vellend M et al (2017), Estimates of local biodiversity change over time stand up to scrutiny, Ecology, DOI: 10.1002/ecy.1660

26/01/2017

Livre blanc du syndicat des énergies renouvelables et hydro-électricité

Placer toute l'hydroélectricité sous la tutelle de la direction de l'énergie et du climat, et non de celle de l'eau et la biodiversité pour les petites puissances ; rendre les prescriptions environnementales compatibles avec nos objectifs ambitieux de transition énergétique : ces deux mesures parmi d'autres seront défendues par le Syndicat des énergies renouvelables auprès des candidats à l'élection présidentielle. Un autre enjeu important est à défendre pour les moulins, étangs et riverains : simplifier grandement les procédures d'autoconsommation avec injection du surplus, afin que chacun puisse produire facilement.  

Le Syndicat des énergies renouvelables (SER) vient de publier son Livre blanc. Le mardi 31 janvier, à l’occasion de son colloque annuel, le  SER invitera les principaux candidats à l’élection présidentielle à présenter leur vision du rôle des énergies renouvelables dans le mix énergétique français. Il leur proposera de se positionner sur les orientations stratégiques détaillées dans ce Livre blanc.

Deux propositions à soutenir: une tutelle administrative de l'énergie (et non plus de l'eau), une révision en profondeur de la continuité écologique
Nous publions ci-dessous quelques extraits du chapitre consacré à l'hydro-électricité. Parmi les points que nous appelons à soutenir tout particulièrement dans les prochains mois, tant auprès des candidats à la présidentielle que de ceux à la députation:

  • placer toute l'hydro-électricité (petite ou grande) sous le tutelle de la direction de l'énergie et du climat.  La direction de l'eau et de la biodiversité est aujourd'hui en charge de la petite hydro-électricité, mais elle n'est pas dans son domaine premier de compétence et, pour l'essentiel, cette direction travaille à freiner le développement de cette énergie renouvelable au lieu de le favoriser, ce qui rend la politique publique illisible;
  • réviser en profondeur la réforme de continuité écologique, qu'il s'agisse de son périmètre, de ses méthodes, de sa gouvernance, de son suivi, de ses analyses coût-bénéfice et de son financement. La continuité est un angle légitime de gestion des rivières mais sa mise en oeuvre administrative s'est révélée coûteuse, complexe et conflictuelle, ainsi que contraire à l'objectif de développement de l'hydro-électricité (soit par destruction pure et simple du potentiel énergétique, soit par exigence d'aménagements à financement public défaillant, dont le surcoût imposé et la perte de productible annulent tout espoir de rentabilité pour beaucoup d'exploitants). Au-delà des amendements d'urgence déjà votés, c'est une remise à plat complète de cette continuité qui s'impose, pour en faire un instrument consensuel, durable et réaliste de la politique des rivières et plans d'eau. 

Une proposition à construire: faciliter l'autoconsommation pour des dizaine de milliers de sites potentiels
Notre regret concernant ce Livre blanc: l'absence de proposition sur l'autoconsommation avec injection du surplus. Des premières mesures ont été prises dans la loi de transition énergétique et son ordonnance d'application, mais elles sont encore insuffisantes pour l'objectif : que les foyers soient réellement incités à produire avec l'énergie locale dont ils disposent.

Chaque rivière française de taille petite ou moyenne possède des ouvrages de moulins susceptibles de relancer facilement la production qui était la leur jusqu'au XXe siècle (voir cette synthèse). L'obstacle n'est pas technologique: roue, vis, turbine, hydroliennes permettent de produire à toute hauteur et tout débit, avec des génératrices adaptées. Mais la puissance de ces sites, de quelques kW à dizaines de kW, n'est pas toujours suffisante pour motiver le montage d'un dossier complet d'injection, dans le cadre d'une activité considérée aujourd'hui comme industrielle, avec ce que cela implique en complexité (création de société commerciale, souscription d'un contrat de 20 ans, instruction détaillée par le service administratif, etc.). Nous sommes devant un paradoxe: alors qu'il est techniquement simple de produire sur un site (l'équivalent de plusieurs dizaines à centaines de m2 de panneaux solaires), c'est administrativement et fiscalement compliqué.

La relance des moulins se heurte ainsi à des obstacles qu'il appartient de surmonter: régime fiscal clair pour les particuliers, contrat d'injection du surplus (à prix de marché, sans aucune subvention), intégration des effacements et des protections de découplage dans les compteurs intelligents, soutien public (indispensable) aux dispositifs écologiques d'accompagnement, dont la continuité, Turpe dimensionnée à la taille très modeste du productible, dossier environnemental simplifié.

La double modernisation écologique et énergétique des moulins est un enjeu qui intéresse tous les territoires, chaque département comptant des centaines à des milliers de sites. Mais elle ne peut réellement progresser que par un contrat simple et universel incitant les gens à produire leur électricité et à injecter ce qu'ils ne consomment pas sur le réseau local. L'aide publique peut être nulle pour l'énergie (le maître d'ouvrage assume totalement son équipement, il ne bénéficie pas d'un tarif spécial de rachat pour le surplus d'électricité produite), mais elle doit en revanche être totale pour l'écologie: la collectivité doit financer les équipements qu'elle exige quand ces équipements relèvent de la poursuite d'un bien commun, et non pas de l'intérêt particulier du maître d'ouvrage (qui se voit au contraire imposer une nouvelle servitude d'entretien et surveillance des dispositifs écologiques mis en place).

Extraits du Livre blanc du SER (hydro-électricité)
Avec plus de 25 000 MW de puissance installée, l’énergie hydraulique délivre chaque année 70 TWh d’électricité, soit 65 % de l’électricité produite par les énergies renouvelables, constituant ainsi la 1ère filière de production d’énergie électrique renouvelable en France. L’activité génère plus de 20 000 emplois à l’échelle nationale (étude BIPE 2012 pour le SER).

1. Améliorer la gouvernance liée à l’hydroélectricité au niveau de l’État pour mieux articuler les politiques publiques qui lui sont applicables
Les projets hydroélectriques, qu’ils soient soumis à une autorisation au titre de la loi sur l’eau (< 4,5 MW) ou au régime des concessions (> 4,5 MW) ne bénéficient pas de la même tutelle alors que les problématiques économiques,  fiscales ou environnementales sont de même nature. L’hydro-électricité fait appel à de très nombreuses problématiques techniques, industrielles et scientifiques. Ces enjeux de natures diverses et d’un niveau technique élevé rendent complexes, voire contradictoires, un certain nombre de dispositions applicables à la  filière.

Le SER propose que l’ensemble de la  filière relève, au sein du ministère de l’Energie, de la direction en charge de l’énergie, qui doit pouvoir compter sur une expertise de haut niveau. Cette nouvelle organisation doit permettre de renforcer la cohérence entre les politiques publiques liées d’une part au développement des énergies renouvelables et d’autre part à la préservation de l’environnement.

2. Concilier politique environnementale et énergétique
La nécessité de prendre en compte les enjeux environnementaux a permis d’engager l’hydroélectricité dans le sens de l’amélioration et de la préservation du bon état écologique des eaux. La  filière s’est désormais largement approprié cette préoccupation, comme en témoigne sa mobilisation pro-active en faveur d’une hydroélectricité de haute qualité environnementale. 

Néanmoins, l’ampleur, la précision et la généralisation des prescriptions environnementales n’ont cessé de croître au détriment de la production d’électricité renouvelable, générant un empilement de normes de différentes natures et de prérequis disproportionnés. C’est ainsi que la contribution de la  filière au développement durable, aux objectifs de qualité de l’eau et de respect de la biodiversité, s’est traduite dans les faits par l’obligation de mise en œuvre de prescriptions environnementales très lourdes (franchissement piscicole notamment) sans bilan coût-efficacité et par une baisse importante du potentiel de développement de nouveaux aménagements ainsi que du productible des aménagements existants. 

La profession plaide donc en faveur d’une meilleure transparence sur les objectifs et les résultats de la politique environnementale, afin d’aboutir à un cadre règlementaire et législatif plus équilibré. La révision de la Directive cadre sur l’eau (DCE) doit être l’opportunité pour l’Europe comme pour la France de concilier plus efficacement les politiques environnementale et énergétique. La législation française sur l’eau et sa mise en œuvre doivent être fondées sur la conciliation des usages de l’eau, adossées à une analyse scientifique et contradictoire des enjeux et à l’évaluation du ratio coûts / bénéfices, ainsi que le prévoit la DCE.

A noter également : nouveau scénario négaWatt

Le nouveau scénario négaWatt 2017-2050, avec objectif 100% renouvelables, a été rendu public le 25 janvier 2017. Ce scénario prévoit une production hydraulique constante, mais avec des pertes de productible dues à des aménagements de biodiversité et à une baisse tendancielle estimée à 15% de débit disponible. En d'autres termes, pour tenir cet enjeu de production hydro constante avec 15% de débit (donc puissance) en moins, il faut en réalité augmenter la puissance actuellement installée. Donc restaurer énergétiquement des milliers de sites déjà en place mais ne produisant plus (le potentiel des moulins seuls, hors barrages, serait de l'ordre de 1000 MW). A noter que pour négaWatt, le stockage se fait par la voie du biogaz (méthanation) et non pas par des STEP (ou par l'hydrogène couplé à l'hydro-électrique, comme cela commence à apparaître). En fait, il faudra sans doute équiper davantage les moulins et usines à eau si l'on ne parvient pas à tous les objectifs de réduction de la consommation énergétique prévus dans ce scénario négaWatt. Pour rappel, ces objectifs (baisse de 63% de l'énergie primaire et de 50% de la consommation finale) sont jugés très ambitieux par les énergéticiens vu ce qu'ils demanderaient en investissement constant sur 3 décennies dans les infrastructures logement, transport et chauffage, alors que la puissance publique ne parvient déjà pas à impulser et financer des objectifs intermédiaires beaucoup plus modestes.