21/01/2020

Pour un bilan carbone de la loi sur l'eau

Dans un rapport venant de paraître, le Haut conseil pour le climat souligne que l'évaluation des lois françaises du point de vue de leur impact carbone est aujourd'hui insuffisante et qu'elle doit être mise en place systématiquement. L'Etat ne peut engager la France par traité à baisser les émissions carbone (accord de Paris) et prendre en même temps des dispositions qui les augmentent, ou qui paralysent la capacité du pays à produire des énergies renouvelables bas-carbone dont il a besoin. Les citoyens et leurs associations doivent exiger de leurs parlementaires une évaluation climatique de la loi sur l'eau, dont certaines dispositions aboutissent à des aberrations complètes comme la destruction ou l'empêchement d'équipement de moulins et usines hydro-électriques. Parfois à la destruction pure et simple d'outils de production en place, comme sur la Sélune. Cette page doit se tourner s'il s'agit de tenir nos engagements climatiques: il y a urgence non à dissuader, mais bien à solliciter et accompagner les projets hydro-électriques, en priorité sur les ouvrages en place ne créant pas d'impact nouveau sur les rivières. Rappelons que plus de 20 000 moulins sont susceptibles d'être équipés, comme des centaines de barrages aujourd'hui dédiés à d'autres usages que l'énergie.


Résumé exécutif du rapport du Haut conseil pour le climat

"L’objectif principal de l’évaluation des lois en regard du climat est d’engager un cercle vertueux d’amélioration, et permettre une cohérence entre celles-ci et l’objectif de neutralité carbone que la France s’est fixé. Au sein du système d’évaluation français, des dispositions existent déjà pour mettre en place un tel cercle vertueux, mais qui doivent être renforcées et complétées. 

Quel que soit l’objet évalué, en regard du climat ou non, toute évaluation ne peut porter ses fruits que si elle respecte plusieurs critères de qualité, déjà largement identifiés : choix des méthodes qualitatives ou quantitatives appropriées, transparence sur les critères d’évaluation, indépendance de l’évaluation, diffusion des résultats. 

Le fait d’évaluer spécifiquement en regard du climat présente une particularité : pour mettre en œuvre ses obligations découlant de l’accord de Paris, la France s’est dotée d’un référentiel d’actions, la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), comprenant des objectifs et des indicateurs précis. L’évaluation en regard du climat d’une loi doit alors permettre de déterminer quelle est sa contribution, positive ou négative, au respect des trajectoires envisagées par cette stratégie et à l’atteinte de la neutralité carbone. Ces évaluations doivent être réalisées tout au long de la durée de vie d’une loi, depuis sa préparation jusqu’après son entrée en vigueur. 

Des exemples internationaux nous enseignent qu’il est possible de dresser les contours d’une organisation institutionnelle facilitant le cercle vertueux de l’évaluation : une sélection raisonnable des lois à évaluer en regard du climat, des études d’impact de qualité, et un dispositif d’évaluation après l’entrée en vigueur prévu dès la conception de la loi. La première étape consiste à identifier quelles lois nécessitent raisonnablement une évaluation en regard du climat. Une « gare de triage » peut être préconisée. Inspirée de ce qui existe au Royaume-Uni et aux États-Unis, elle intègre une consultation des parties prenantes dont l’avis est rendu public. 

Un tel mécanisme permet ainsi au porteur de loi de décider en connaissance de cause et en toute transparence de l’opportunité d’évaluer la loi qu’il porte vis-à-vis de la SNBC. Une telle évaluation, lorsqu’elle est pertinente, doit être de qualité et servir utilement la décision publique C’est l’un des rôles des études d’impact. Néanmoins, en matière d’évaluation environnementale, et qui plus est climatique, les études d’impact existantes n’ont pas atteint leur potentiel : elles ne couvrent qu’une faible part des textes adoptés (les propositions de loi, d’origine parlementaire, et les amendements ne sont pas concernés), ne sont que rarement mobilisées et restent souvent incomplètes. 

Leur contenu doit aussi être adapté a n de permettre d’évaluer la contribution des lois par rapport à la SNBC. Un contrôle de la qualité de l’étude d’impact sur le volet climatique, par une autorité indépendante, pourrait renforcer ce processus. À l’issue de l’approbation de la loi, l’étude d’impact pourrait être révisée si le processus législatif a introduit des modifications substantielles ; ou une étude d’impact complète pourrait être réalisée si elle manquait avant l’approbation de la loi. 

La proposition du gouvernement de mettre en place une évaluation des grandes lois d’orientation un an après leur entrée en vigueur va dans ce sens, et permet d'examiner la loi telle qu'elle a été amendée par le Parlement. Puisque les lois LOM, ELAN et EGALIM mentionnées dans la proposition du gouvernement n’ont pas fait l’objet d’une évaluation en regard du climat su ffisante, une évaluation un an après leur entrée en vigueur est l’occasion d’expérimenter une évaluation de leur contribution aux objectifs de la SNBC dans une étude d’impact détaillée telle que ce rapport le préconise. 

En matière d’évaluation ex post, une loi votée ayant fait l’objet d’une étude d’impact détaillée relative à la SNBC devrait prévoir systématiquement une évaluation dès son entrée en vigueur. Ce processus existe déjà en France mais est rarement utilisé. Il ne saurait cependant être conclusif qu’après plusieurs années, comme l’ont montré les exemples du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et de la Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. 

Un processus d’évaluation tout au long du cycle de vie des lois, depuis le choix d’évaluer ou non une loi jusqu’au bilan de son application, permet de guider la production des lois et de démontrer leur contribution à la neutralité carbone, ainsi qu’à piloter la SNBC. 

Le cercle vertueux entre évaluation et décision publique sera réellement bouclé si ces évaluations informent les décisions au plus haut niveau de l’État." 

Source : Haut conseil pour le climat (2019), Evaluer les lois en cohérence avec les ambitions 

19/01/2020

La cour d'appel de Nantes condamne une préfecture qui a tenté d'annuler un droit d'eau et détruire un plan d'eau

La préfecture d'Ile-et-Vilaine a tenté d'annuler le droit d'eau d'un moulin associé à un étang et d'obliger à la destruction du plan d'eau au nom de la continuité écologique. Elle vient d'être condamnée par la cour d'appel administrative de Nantes, rappelant d'une part que la présence ou l'absence d'un site sur la carte de Cassini ne sont pas les seuls moyens de prouver un fondé en tire, d'autre part que l'usage de la force motrice de l'eau au droit d'un moulin accolé à un étang n'implique pas la persistance du moulin ni l'existence d'un bief.  On voit que l'administration de l'eau et de la biodiversité poursuit ses erreurs appréciation voire ses abus de pouvoir pour intimider les propriétaires. Toutes les associations doivent désormais être aux côtés des maîtres d'ouvrage pour aller devant la justice dès lors qu'une préfecture veut soit détruire des ouvrages, soit empêcher leur usage. On marche sur la tête en France à harceler les moulins et étangs en dépensant du temps et de l'argent pour cette écologie de pacotille alors que tant d'urgences environnementales sont négligées. L'administration est-elle encore capable de revenir au bon sens et aux priorités du pays? 



La cour d'appel administrative de Nantes a examiné le cas d'un propriétaire ayant demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, de déclarer fondés en titre l'étang du Gué Charet et son barrage, situés sur le territoire des communes de Treffendel et Monterfil, et, en conséquence, dispensés de déclaration, et, d'autre part, d'annuler la décision du 28 octobre 2014 par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine a rendu un avis défavorable à sa demande de régularisation de cet étang et de son barrage et lui a demandé d'effacer le plan d'eau afin de rétablir la continuité écologique.

Le tribunal administratif de Rennes avait rejeté sa demande. Il est fréquent que la première instance soit ainsi défavorable aux particuliers et associations, mais cela ne présage pas toujours de la suite.

Les juges d'appel viennent ainsi de donner raison au propriétaire et de condamner le représentant du ministère de l'écologie, en annulant son arrêté.

Ils relèvent d'abord que "une prise d'eau est présumée établie en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux dès lors qu'est prouvée son existence matérielle avant cette date. La preuve de cette existence matérielle peut être apportée par tout moyen, notamment par sa localisation sur la carte de Cassini datant du XVIIIème siècle."

On observera ici une petite anomalie, c'est l'antériorité à l'instruction d'août 1790 obligeant à l'autorisation administrative des moulins, non à l'abolition des droits féodaux (août 1789), qui est requise dans le cas des fondés en titre.

Mais peu importe ici, puisque les documents attestent l'ancienneté du site :

"la preuve de l'existence matérielle du droit fondé en titre qu'il revendique peut être apportée par tout moyen. Il résulte de l'instruction, notamment de la carte géométrique de la province de Bretagne établie en 1771 par Jean-Baptiste Ogée, faisant apparaître deux étangs sur le cours d'eau non domanial du Serein entre " Tréfandel " et " Monterfil ", et d'un acte de baptême du 4 septembre 1774, tiré des registres paroissiaux de Treffendel, mentionnant la naissance de l'enfant " au Moulin du Gué Charet ", que l'étang existait avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 1789 ayant aboli les droits féodaux et que cette réserve d'eau, située en amont du moulin du Gué Charet à Treffendel et à proximité immédiate de celui-ci, participait à l'époque à son alimentation. S'il est vrai que la carte de Cassini, dont la feuille dite de Rennes a été établie de 1785 à 1787, fait apparaître sur le Serein, à proximité de l'actuel étang du Gué Charet, l'existence d'un moulin sans désignation de nom ou de lieu et sans faire figurer de retenue d'eau, alors qu'un moulin peut fonctionner au seul fil de l'eau, la seule absence de l'étang sur cette carte de Cassini ne suffit pas à valoir preuve de l'inexistence ou de la ruine de cet ouvrage à la même date. (...)Dès lors, l'étang du Gué Charet et son barrage doivent être regardés comme fondés en titre."

Le préfet est donc débouté pour avoir prétendu que la carte de Cassini seule attesterait ou d'un fondé en titre au droit du site. Le caractère inexact d'une telle prétention est assez bien connu: cela indique combien l'administration de l'eau ne répugne pas à des pressions indues sur des propriétaires qu'elle espère sans doute ignorants du droit.

Ce même préfet a ensuite tenté d'alléguer de l'état de ruine. Mais la cour d'appel rappelle : "ni la circonstance que ces ouvrages n'aient pas été utilisés en tant que tels au cours d'une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d'eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit."

En l'espèce, "il résulte de l'instruction que le moulin, entendu comme l'appareil actionné par la force motrice de l'eau destiné en l'espèce à moudre le blé, n'était pas l'un des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume du cours d'eau, tandis qu'aucun bief n'a jamais existé entre la retenue d'eau et la roue du moulin, cette dernière étant directement alimentée au fil de l'eau depuis la " vanne meunière " située sur la digue de l'étang."

Au final,  "il résulte de l'instruction que la force motrice de l'eau est toujours susceptible d'être utilisée par le détenteur de l'étang du Gué Charet et de son barrage et que, dès lors, le droit d'eau fondé en titre ne s'est pas éteint".

La continuité écologique sera-t-elle apaisée? Certainement pas si les administrations et syndicats de l'eau viennent encore voir les moulins et étangs avec l'idée de leur destruction par pression financière ou règlementaire. Nous attendons des actes montrant le respect des ouvrages autorisés par l'administration et proposant des solutions raisonnables de continuité écologique, pas des belles paroles sans effet. Nous rappelons aussi que les priorités de la France sont la dépollution de ses eaux, comme le rappelle la Commission européenne, l'accélération de la transition énergétique bas carbone, la préservation de la ressource en eau, le respect des milieux aquatiques et zones humides, y compris ceux des étangs anciens dont la recherche scientifique a amplement montré qu'ils sont des sites d'intérêt pour la biodiversité.

Référence : Cour d'appel de Nantes, arrêt n°18NT00067, 26 novembre 2019

15/01/2020

Un million de pages vues sur hydrauxois.org : merci

Depuis son premier article publié en août 2012, notre site internet vient de dépasser le million de pages vues. Pour une association bénévole, dédiée à un sujet assez spécialisé et avec un traitement plutôt exigeant de l'information, c'est une belle aventure !



Nous remercions nos lecteurs de leur fidélité. Nous rappelons que les articles paraissant sur hydrauxois.org sont entièrement libres de ré-usage ailleurs. La seule contrainte si la source est citée est de respecter la rédaction originale, sinon des éléments de textes (ou images sans droits réservés) peuvent être ré-employés et modifiés ailleurs à volonté. Notre souhait depuis le départ est de diffuser au maximum l'information, pas d'en faire commerce ni monopole. C'est la condition pour que les sujets ici débattus le soient plus largement dans la société, notamment que diverses opacités ou carences d'information du débat public sur les rivières soient dépassées. Nous avons souvent eu le plaisir de voir nos données et arguments repris ailleurs, et nous espérons que ce plaisir sera toujours renouvelé à l'avenir.

Au fil, du temps, plusieurs rubriques (mots-clés des articles) se sont étoffées, notamment :
- la rubrique "continuité écologique", forcément, puisque notre site est largement dédié à l'analyse critique de cette politique publique;
- la rubrique "science", où près de 200 articles de recherche ont été individuellement recensés, soit l'une des premières sources de vulgarisation sur les rivières en France;
-  les rubriques "droit"et "vade-mecum", qui donnent aux propriétaires, riverains et associations des moyens de défendre au plan juridique, légal, réglementaire les ouvrages et leurs milieux,
- la rubrique "énergie", qui informe des avancées de la transition bas-carbone dans le cas de l'hydro-électricité, en particulier celle des petites puissances (moulins) en production locale et autoconsommation,
- la rubrique "biodiversité", qui ne cesse de croître depuis deux ou trois ans avec d'autres thèmes écologiques, tant il est évident que les moulins, étangs, lacs, plans d'eau et canaux ont un rôle à jouer pour l'avenir du vivant aquatique et rivulaire.

N'hésitez pas à diffuser l'adresse de notre site à tous ceux qui sont intéressés par ces sujets. Et, si vous le désirez, à faire un don pour aider notre association, entièrement bénévole, dans divers combats visant à préserver les patrimoines des rivières. Merci encore, et restez connectés!

11/01/2020

Le conseil d'Etat condamne (encore) le ministère de l'écologie sur la ruine imaginaire d'un ouvrage de moulin fondé en titre

Et de trois pour la seule année 2019 ! En lecture du 31 décembre dernier, le conseil d'Etat vient de nouveau de condamner le ministère de l'écologie sur une affaire de moulin. Ici, les agents administratifs avaient commis une erreur d'appréciation en qualifiant indûment de ruine une chaussée ancienne en rivière certes dégradée, mais produisant encore une retenue de l'eau et dont des travaux limités permettent la restauration. Notre association rappelle qu'elle connaît des conflits avec la préfecture de l'Yonne sur des cas semblables et que le préfet nous a menacé de diffamation pour avoir dénoncé les erreurs de ses agents: or, ils ne sont pas censés ignorer et cacher aux administrés cette jurisprudence déjà bien connue sur les conditions très limitatives de la ruine d'ouvrage entraînant perte de droit d'eau. Plus largement, cette nouvelle victoire du droit au conseil d'Etat rappelle aux propriétaires, riverains et associations que face à une administration de l'eau et de la biodiversité visant soit à supprimer un droit d'eau, soit à compliquer à l'extrême son exploitation, il faut désormais aller directement en contentieux. Trop de temps et d'argent ont été perdus lorsque des administratifs veulent en tout et pour tout faire disparaître des moulins et interdire leur usage : cette attitude doit désormais les mener directement au tribunal. 


La ruine d'ouvrage n'est pas caractérisée en cas d'absence d'entretien, de déjointements,  de brèches, de simple dépose de vannes, etc. Il faut que les éléments essentiels à la retenue et diversion de l'eau aient tous disparu et ne soient pas reconstituables par des travaux de consolidation ou restauration partielle.

Dans le cas jugé par le conseil d'Etat à la fin de l'année 2019, des propriétaires ont saisi le préfet de la Haute-Loire d’une demande de reconnaissance du droit de prise d’eau fondé en titre attaché au Moulin du Rocher, installé sur L’Holme, sur le territoire de la commune de Saint-Martin-de-Fugères. Le préfet a refusé pour motif d'état de ruine.

Les conseillers rappellent d'abord la doctrine du droit d'eau établie depuis plusieurs décennies, ce que le ministère et les préfectures n'ignorent pas :
"La force motrice produite par l’écoulement d’eaux courantes ne peut faire l’objet que d’un droit d’usage et en aucun cas d’un droit de propriété. Il en résulte qu’un droit fondé en titre ne se perd que lorsque la force motrice du cours d’eau n’est plus susceptible d’être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d’affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau. Ni la circonstance que ces ouvrages n’aient pas été utilisés en tant que tels au cours d’une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d’eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit."
Et concernant la ruine :
"L’état de ruine, qui conduit en revanche à la perte du droit, est établi lorsque les éléments essentiels de l’ouvrage permettant l’utilisation de la force motrice du cours d’eau ont disparu ou qu’il n’en reste que de simples vestiges, de sorte qu’elle ne peut plus être utilisée sans leur reconstruction complète."
En l'espèce, les conseillers d'Etat confirment que la notion de ruine est d'interprétation restrictive :
"Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, et en particulier des constatations effectuées tant par la direction départementale des territoires de Haute-Loire en juin 2012 que par l’huissier de justice mandaté sur les lieux par les requérants en février 2017, que si le seuil de prise d’eau de l’installation sur L’Holme est dans un état très dégradé, les pierres qui le constituent persistent à assurer au moins en partie leur fonction de retenue de l’eau et que des travaux limités permettraient aisément de rétablir leur fonction de dérivation en vue de l’utilisation de la force motrice du cours d’eau, les canaux d’amenée et de fuite ainsi que le bâtiment étant en revanche toujours présents, eu égard à la configuration des lieux. Par suite, en jugeant que la persistance de seuls quelques blocs de pierre non agencés, s’agissant du seuil de prise d’eau, impliquait la reconstruction complète de l’ouvrage et caractérisait un état de ruine de l’installation permettant de justifier la perte du droit fondé en titre des requérants, la cour administrative d’appel a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis."
Ce nouvel arrêt du conseil d'Etat confirme deux autres prononcés en 2019, sur la commune de Berdoues et sur le moulin de Boeuf à Bellenod-sur-Seine.

Notre association est actuellement en conflit avec la préfecture de l'Yonne, où des agents administratifs parfaitement informés de cette jurisprudence (qui ne date pas de l'année 2019) ont malgré tout procédé à des menaces de suppression abusive de droit d'eau pour motif fantaisiste de "ruine", cela auprès de personnes isolées et fragilisées. Nous avons relevé ces pratiques inqualifiables dans un Etat de droit et informé les parlementaires. Le préfet a considéré utile de faire une contre-visite mais aussi de... menacer notre association d'un procès en diffamation! Nous l'invitons bien sûr à donner suite à ces menaces s'il estime en son for intérieur que la position préfectorale est fondée en droit, afin que le juge judiciaire puisse trancher. Mais aussi que les manoeuvres de l'administration dans le harcèlement permanent des propriétaires soient davantage médiatisées.

Propriétaires et associations doivent s'engager dans la culture démocratique du contentieux pour défendre des droits et affiner des jurisprudences 
Plusieurs conclusions doivent être tirées des décisions récentes du conseil d'Etat comme du comportement de l'administration de l'eau et de la biodiversité :
  • les contentieux se sont multipliés en France depuis 10 ans car la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie a ordonné à son administration d'engager le harcèlement des moulins et étangs en vue de leur destruction, comme en témoignent des consignes de hauts-fonctionnaires de la DEB et les attitudes observées sur le terrain depuis le PARCE 2009,
  • les principaux motifs de conflits sont la casse indue de droit d'eau fondé en titre ou réglementé au motif de ruine, la tentative d'imposition de contraintes aberrantes et disproportionnées pour user de ce droit d'eau et produire de l'hydro-électricité, la tentative d'imposition (non prévue dans la loi de continuité écologique) de mesure de destruction, le refus d'indemnisation (prévue dans la loi de continuité écologique) des passes à poissons et autres dispositifs à coûts exorbitants,
  • cette même administration subit depuis dix ans sur ce sujet des revers et des critiques venant des rapports parlementaires, des audits administratifs et des condamnations de justice,
  • un trop grand nombre de propriétaires et d'associations tolèrent encore des abus de pouvoir de cette administration, répugnent à recourir en justice, manquent d'information sur ce que dit réellement la loi, pensent qu'une politique de l'autruche ou du dos rond suffira à changer les mauvaises pratiques,
  • lorsqu'ils sont confrontés à une mauvaise foi manifeste se traduisant par des délais longs et des demandes disproportionnées, les propriétaires et riverains doivent aller directement en contentieux. Il est inutile de perdre du temps et de l'argent si l'administration en face de vous a comme seul objectif manifeste de vous ôter le droit d'eau, de vous interdire de l'exploiter, de vous imposer des charges exorbitantes et disproportionnées sans indemnisation. 
Il est nécessaire de défendre vos droits et il est indispensable de le faire ensemble. Lorsque la charge contentieuse sera trop forte, le ministère sera bien obligé de sanctionner les responsables qui ont produit un échec majeur sur la continuité écologique comme sur la transition énergétique, en diabolisant les ouvrages hydrauliques, en abusant du pouvoir administratif, en manipulant les données sur les causes réelles des dégradations écologiques des rivières et en méprisant les conditions élémentaires de la concertation démocratique. La politique systématique de destruction des moulins, étangs et barrages est un scandale d'Etat et doit être dénoncée comme telle.

Nous en étions convaincus dès 2012, nous le sommes plus encore en 2020 : rien ne changera sans reconnaissance explicite par le ministère de l'écologie de ses erreurs de méthode, de gouvernance et d'objectif. La justice est l'un des outils pour obtenir cette reconnaissance. Il appartient donc à chaque association d'organiser des recours en justice sur son département et, dans le cadre de la "continuité apaisée", d'engager directement contentieux chaque fois qu'une administration (ou un syndicat) revient avec des offres de destruction des ouvrages comme seule solution indemnisée.

La première condition d'un "apaisement" possible sur la question des rivières est de reconnaître la légitimité des ouvrages hydrauliques et de leurs usages, en particulier quand il s'agit de projet d'énergie bas-carbone, de bonne gestion écologique de l'eau et de ses milieux, de contribution au patrimoine culturel et historique des territoires. La deuxième condition est bien évidemment que les propriétaires gèrent leur bien en ayant à l'esprit leurs devoirs comme leurs droits, en s'informant des lois et des connaissances sur l'eau, ainsi qu'en intégrant leur valeur  de contribution aux biens communs.

Référence : Conseil d'Etat, arrêt n°425061, 31 décembre 2019

09/01/2020

Divergences et imprécisions d'experts sur les traits des espèces de poissons (Cano-Barbacil et al 2020)

L'écologie raisonne souvent à partir des traits biologiques, morphologiques et écologiques partagés par des espèces, afin de comprendre et prédire les comportements de communautés entières, leurs réponses à des impacts ou des restaurations. Mais ces traits sont-ils bien connus? Trois chercheurs analysent pour la première fois la validité des traits tels qu'ils sont aujourd'hui codés dans des bases de données d'expertise sur les poissons, dans une région européenne (zone ibérique). Ils montrent que les bases divergent entre elles. Par exemple, le comportement rhéophile ou limnophile des espèces est parfois mal caractérisé, alors qu'il est pourtant très employé. Ces imprécisions nuisent à la bio-évaluation et à la prédiction des résultats de travaux de restauration.  Ce n'est pas sans conséquence à l'heure où l'on prétend en France reprofiler des rivières en prédisant le succès d'objectifs. Aussi un semblable diagnostic par une recherche indépendante des administrations de l'eau et de la biodiversité serait-il bienvenu dans notre pays.



En écologie, on peut étudier les espèces mais aussi les traits ou caractéristiques partagées par plusieurs espèces. Ces approches sont utilisées en écologie théorique et appliquée pour quantifier et prédire les impacts des perturbations sur les communautés entières. Les analyses basées sur les traits envisagent de répondre à des questions macro-écologiques en réduisant la dépendance du contexte spécifique à une espèce, pour autoriser une généralisation entre les communautés et les écosystèmes.

Les traits identifiés dans la littérature écologique sont des caractéristiques reflétant l'adaptation d'une espèce à son environnement : soit des traits biologiques décrivant le cycle de vie, la physiologie et le comportement y compris la taille maximale du corps, la longévité, les stratégies d'alimentation et de reproduction; soit des traits écologiques liées aux préférences d'habitat, au débit, à la tolérance aux pollutions ou aux températures.

Mais pour répondre aux espoirs qu'y placent les chercheurs et gestionnaires, encore faut-il que les traits des espèces soient correctement décrits : qu'il y ait cohérence des bases de connaissance entre elles, et bien sûr cohérence entre ces bases et les traits réels des espèces, notamment la variabilité qui peut être forte.

Est-ce vérifié?

Trois chercheurs (Carlos Cano‐Barbacil, Johannes Radinger et Emili García‐Berthou) ont analysé le cas des poissons d'eau douce et des bases de connaissance en Espagne et Portugal. Ils concluent par la négative, en observant que les experts se fient à des données parfois contradictoires.

Voici le résumé de leur recherche :

"Les approches basées sur les traits sont couramment utilisées en écologie pour comprendre la relation entre la biodiversité et le fonctionnement de l'écosystème, le filtrage environnemental ou les réponses biotiques aux perturbations anthropiques. Cependant, on sait peu de choses sur la fiabilité des traits attribués et la cohérence des informations sur les traits parmi les différentes bases de données actuellement utilisées.

En utilisant 99 espèces de poissons continentaux ibériques, endémiques et exotiques, nous avons étudié un total de 27 traits biologiques et écologiques pour leur cohérence parmi 19 bases de données différentes et identifié des traits moins fiables, c'est-à-dire des traits avec un fort désaccord entre les bases de données. Plus précisément, nous avons utilisé des modèles linéaires généralisés et des statistiques de fiabilité inter-évaluateurs (α de Krippendorff) pour tester les différences de valeurs de trait entre les bases de données. Nous avons également identifié des traits et des espèces bien étudiés par rapport aux données manquantes.

Nos résultats montrent des divergences notables et une faible fiabilité pour plusieurs caractéristiques biologiques et écologiques telles que la préférence pour les microhabitats, le caractère omnivore, le caractère invertivore, la rhéophilie et la limnophilie. Les traits les moins fiables étaient principalement des classements en catégories (plutôt que des traits continus) et établis par un jugement d'expert, sans définition claire ni méthodologie commune. Il est intéressant de noter que les traits catégoriels tels que la rhéophilie ou la limnophilie, qui ont montré une fiabilité significativement plus faible, ont montré simultanément une disponibilité et une utilisation des données plus élevées que les traits à échelle continue.

De telles incertitudes dans l'attribution des caractères pourraient affecter la bio-évaluation et d'autres analyses écologiques. Les espèces dont l'aire de répartition est plus petite et celles qui ont été décrites plus récemment présentent une couverture et une disponibilité des données plus faibles dans les bases de données sur les traits.

Nous encourageons une normalisation plus poussée des protocoles de mesure des traits des poissons pour aider à améliorer l'application robuste des indices de bio-évaluation et des approches basées sur ces traits."


Cliquer pour agrandir. Ce graphique montre la relation entre (a) l'utilisation des traits (pourcentage des bases de données qui incluaient le trait) et (b) la disponibilité des données spécifiques aux traits (pourcentage d'espèces à valeurs de trait rapportées en moyenne dans les bases de données) avec la fiabilité des traits (α de Krippendorff). Les lignes verticales représentent la valeur médiane de l'utilisation des traits et la disponibilité des données spécifiques aux traits, les lignes continues horizontales représentent la valeur médiane de α de Krippendorff. Les formes des symboles indiquent si les traits sont relatifs à l'habitat, la morphologie, la reproduction ou l'alimentation. Les traits sous la barre horizontale sont donc ceux qui sont les moins fiables en description. Extrait de Cano-Barbacil et al 202 art cit.

Les chercheurs observent notamment :

"En général, les données sur la biodiversité sont souvent incomplètes ou souffrent de biais, centrées sur les plus visibles et souvent axées sur les espèces économiquement valables des régions tempérées accessibles (Hortal et al., 2015). Nos résultats ont révélé que les espèces diadromes ont une plus grande disponibilité des données sur les traits spécifiques que les espèces d'eau douce strictes. Cela pourrait être lié au fait que: (1) de nombreuses espèces diadromes étudiées dans cette étude, comme A. anguilla, ont une large distribution et sont donc mieux étudiées; et (2) la migration est un domaine prioritaire de l'écologie des poissons et a été largement étudiée au cours du siècle dernier (par exemple Schmidt, 1923). De plus, comme cela a été posé en hypothèse, les espèces qui ont été décrites plus récemment ont été caractérisées par une disponibilité des données plutôt faible dans les bases de données analysées."

Discussion
Comme le soulignent les trois chercheurs, "il s'agit de la première étude à évaluer la fiabilité statistique des traits d'espèce dans différentes bases de données". On peut donc penser que cet exercice n'a pas été réalisé à échelle européenne, et notamment en France.

Pourtant, la gestion publique des rivières en vue d'améliorer leur écologie dépend directement de la qualité de ces informations. Mal connaître des espèces, c'est faire des choix qui ne sont pas forcément optimaux, soit qu'ils n'obtiennent pas les résultats escomptés, soit qu'ils sous-estiment ou sur-estiment des impacts. Il faut souligner que ce travail s'intéresse à la cohérence interne des bases de données, mais n'examine pas de manière critique si ces bases intègrent bien toutes les connaissances empiriques. Nous avions par exemple recensé un travail récent qui analysait pour la première fois les individus de cinq espèces de poissons rhéophiles sur la vie entière, et qui montrait un registre comportemental très varié des individus, avec une diversité intraspécifique en mobilité supérieure à la diversité interspécifique (Harrison et al 2019). Comment de tels résultats sont-ils ensuite codés en base de données quand il faut spécifier des traits d'espèce?

Les poissons n'étant qu'une petite partie de la biodiversité des milieux aquatiques, mais étudiée de longue date en raison de l'activité halieutique ayant des enjeux d'usage, on peut juger ce travail assez alarmant sur le niveau d'information de nos choix publics en écologie de la restauration. Contrairement à la conservation (protéger des habitats d'intérêt), la restauration est une ingénierie écologique qui entreprend de modifier des milieux pour obtenir des résultats. Mais sa capacité prédictive est-elle fiable ? On gagnerait à le vérifier avec  modération et rigueur dans des expérimentations avant se lancer dans des politiques à grande échelle, comme c'est le cas aujourd'hui en France. La complexité du vivant et la rareté de nos connaissances incitent à une certaine humilité...

Référence : Cano-Barbacil C et al (2020), Reliability analysis of fish traits reveals discrepancies among databases, Freshwater Biology, DOI: 10.1111/fwb.13469