06/09/2022

Les producteurs d'hydro-électricité lancent l'alerte depuis 10 ans sur les erreurs publiques aggravant la pénurie énergétique

Le président de la république s'est dit déterminé à "simplifier les choses drastiquement" pour le développement des projets d'énergie renouvelable et a demandé au gouvernement de préparer une loi en ce sens, qui sera débattue en octobre prochain au parlement. Les propriétaires de moulins et d'usines hydrauliques, les porteurs de projets hydro-électriques tirent la sonnette d'alarme depuis 10 ans sur le blocage croissant des initiatives par des règlementations complètement décalées des réalités. Non seulement certaines administrations entravent les projets énergétiques par des exigences intenables, mais elles engagent l'argent public dans la destruction des outils de production hydro-électrique et de stockage de l'eau. La loi à venir est l'occasion d'en finir avec l'idéologie désastreuse qui a présidé à la mise en oeuvre de la "continuité écologique" en France. Le parlement doit poser clairement les priorités du pays. Nous informerons les députés et sénateurs de ces réalités et des causes des blocages afin que les normes changent. 


Destruction sur argent public de barrage producteur, photo Thomas Savalle, droits réservés.

La Russie vient d'annoncer qu'elle coupait ses approvisionnements en gaz de l'Europe, étape supplémentaire d'une crise de l'énergie qui a commencé voici plus d'un an.

Cette crise est beaucoup débattue sous l'angle des consommateurs particuliers, leur chauffage et leur électricité. Mais le plus grave problème que va affronter l'Europe est d'ordre économique : la pénurie d'énergie et la hausse de ses prix affaiblissent les entreprises et les collectivités qui voient des coûts s'envoler ou des activités devenir impossibles. Certaines usines ont déjà annoncé le fermeture des lignes de production cet hiver et le chômage technique. Des villes ont dû fermer des piscines publiques trop énergivores. Ce n'est que le début...

La réponse des dirigeants est double : inciter à la sobriété du côté de la demande d'énergie, augmenter l'offre du côté de la production d'énergie. Il n'y a guère d'autres choix. Mais si la chasse au gaspillage est vertueuse, une sobriété systémique, contrainte et permanente signifierait une récession économique, alors que l'Europe a déjà été affaiblie par la crise de la pandémie.

Une des conséquences de cette crise est la prise de conscience accrue du rôle critique de l'énergie dans l'économie et dans la société. Nous avons fermé des capacités fossiles, nous avons fermé ou gelé des capacités nucléaires, nous n'avons pas assez développé de capacités renouvelables. La France et l'Europe se disent donc décidées à accélérer l'offre énergétique, en particulier renouvelable, afin d'améliorer la résilience énergétique du continent et de lutter en même temps contre des émissions carbone.

Emmanuel Macron en guerre contre les blocages de projets... vraiment ?
Dans sa conférence de presse sur la crise énergétique tenue le 5 septembre 2022, la président de la république a fait cette déclaration : "Il nous faut continuer à avancer à marche forcée, d’abord pour produire davantage et produire davantage via des sources alternatives d’énergie et tout particulièrement d’électricité en France et en Europe. C’est pourquoi j’ai demandé au gouvernement de parachever des textes législatifs pour permettre d’accélérer la production d’énergies renouvelables et de nucléaire. Nos projets sont trop lents.  (...) On doit aller beaucoup plus vite dans la production des énergies renouvelables et simplifier les choses drastiquement. Nous sommes en guerre. C’est un fait. L’énergie fait partie des instruments de guerre utilisés par la Russie et donc nous devons absolument nous mettre en situation de produire plus vite des sources alternatives d’électricité".

Les propriétaires de moulins et d'usines hydrauliques, les porteurs de projets hydro-électriques voient très bien les causes de la lenteur des projets dont parle le président de la république, quand ce ne ne sont pas les causes de leur interdiction et même de la destruction scandaleuse des barrages producteurs.

Depuis des années, nous alertons les décideurs sur des règlementations hors-sol qui aboutissent à geler l'hydro-électricité, à dépenser l'argent public et privé dans la destruction des infrastructures permettant la production d'énergie comme le stockage de l'eau, à exiger des mesures compensatoires qui n'ont aucune sorte de faisabilité et de réalisme. Nous alertons aussi sur le fait que, vu les changements hydrologiques et climatiques en cours, la France doit urgemment augmenter et non baisser ses capacités de stockage d'eau. 

Les parlementaires vont examiner en octobre une loi d'accélération des énergies renouvelables. Nous allons de nouveau informer les députés et les sénateurs de la réalité des blocages législatifs, réglementaires et administratifs sur l'énergie de l'eau. Nous invitons déjà chacun de nos lecteurs à les contacter en ce sens, à titre particulier ou associatif. L'été 2022 a eu son symbole : en pleine crise cumulée de la sécheresse et de l'énergie, sur ordre des administrations publiques, on achevait de détruire deux barrages EDF producteurs sur la Sélune, et en même temps deux lacs de réserve d'eau potable. Derrière ce symbole sur de grands barrages, des milliers d'autres sites plus modestes ont aussi disparu. C'est le symbole de ce que nous ne voulons plus voir. Les parlementaires doivent le comprendre et modifier la loi pour que la réforme ratée de "continuité écologique" ne mène plus jamais à de telles régressions environnementales, sociales et économiques.

30/08/2022

Aidez-nous à convaincre le parlement européen de protéger les ouvrages hydrauliques

Des experts militants et lobbies favorables à la destruction systématique des ouvrages hydrauliques ont poussé la direction environnement de la commission européenne à déposer un projet de règlementation appelant notamment au "libre écoulement" des rivières, par quoi il faut entendre en réalité la suppression des plans d'eau, retenues, étangs, lacs et canaux. C'est une folie en pleine crise de l'eau, de l'énergie et du climat, mais les parlementaires risquent de se laisser abuser par les bonnes intentions affichées du texte. Hydrauxois et la coordination Eaux & Rivières humaines passent à l'offensive cette semaine avec une campagne d'information des parlementaires et fonctionnaires européens sur les problèmes, échecs et contradictions de la continuité écologique, ainsi que la nécessaire reconnaissance des écosystèmes anthropiques de retenues et canaux. Mais nous avons besoin de votre aide pour cette campagne, qui dépasse les simples capacités de notre bénévolat!


Les riverains attachés aux ouvrages hydrauliques de moulins, forges, étangs, plans d'eau connaissent désormais la chanson : des bureaucraties lointaines prennent des décisions sans jamais les consulter, et quand ces décisions arrivent sur le terrain, c'est le malentendu et le conflit.

Cette dérive est en train de se reproduire en ce moment même. La commission européenne (DG de l'environnement) a déposé au parlement un projet de "restauration de la nature". Sous ce label anodin, et potentiellement populaire, se cache dans le cas particulier des cours d'eau l'idéologie de la destruction des ouvrages hydrauliques au nom du retour à la rivière sauvage. Les mêmes lobbies et experts militants que nous voyons à l'oeuvre en France agissent au niveau des administrations de l'Union européenne. A défaut de pouvoir convaincre les citoyens du bien-fondé de leurs vues sur le terrain, ils essaient d'imposer des normes surplombantes auprès des pouvoirs centraux. Et de fait, les règlementations européennes s'imposent aux droits nationaux.

Rappelons que la destruction des ouvrages hydrauliques a de nombreux effets pervers : perte de ressource en eau, disparition d'outils de régulation des crues et sécheresses, suppression de capacités hydro-électriques, bilan carbone déplorable, réduction de l'auto-épuration du cours d'eau, disparition d'écosystèmes anthropiques et de services écosystémiques, conflictualité sociale, négation du patrimoine historique, culturel, paysager et industriel.

Concernant les ouvrages ayant un réel impact sur des poissons migrateurs menacés, il existe des solutions ayant démontré une efficacité correcte : gestion de vannes, passes à poisson, rivière de contournement. Il est inutile et contre-productif de tout détruire pour aider les saumons ou les anguilles. 

Face à cette manoeuvre de coulisses, Hydrauxois et la coordination Eaux & Rivières humaines lancent une campagne d'information. Celle-ci a pour but d'expliquer aux parlementaires et fonctionnaires de l'Union européenne :
- les valeurs multiples y compris écologiques des ouvrages hydrauliques,
- les critiques nombreuses menées par des scientifiques contre la représentation d'une "nature" qui serait indépendante de l'humain voire opposée à lui,
- la nécessité de reconnaître les biodiversités et fonctionnalités attachées aux écosystèmes créés par les humains,
- le bilan très controversé de la "continuité écologique" en France, laboratoire de l'échec d'une écologie théorique hors-sol et non construite avec les riverains,
- la nécessité d'imposer la prime normative à la ressource en eau et en énergie en cas de conflit de norme avec des chantiers de restaurations de milieux, eu égard aux crises existentielles que nous affrontons.

Cette tâche appelle un chargé de campagne, étant donné le volume des envois, suivis et animations. Elle dépasse la capacité de notre bénévolat.

Nous vous demandons donc deux types de soutien :
- un don même modeste à Hydrauxois, qui sera financeur principal de l'opération (don par Paypal ci-contre ou par chèque à l'adresse de l'association),
- la communication de tout nom et adresse électronique de décideurs européens de votre connaissance que nous pourrions contacter.

Nos adversaires sont puissants et subventionnés. Mais nous sommes résolus. Nous ne laisserons plus les autres décider à notre place de l'avenir de nos cadres de vie et des enjeux de l'eau. Les ouvrages hydrauliques seront indispensables face aux défis du 21e siècle comme ils le sont depuis des millénaires pour les sociétés humaines : aidez-nous à en convaincre l'Europe ! 

Merci d'avance de votre aide et de la diffusion de ce message.

Premier texte envoyé aux décideurs européens (version FR/EN) : à télécharger (pdf) 



Prise de position sur la proposition européenne de « restauration de la nature » COM(2022) 304 final 

Canaux, moulins, étangs, lacs ne sont pas les ennemis mais les alliés de l’écologie
Un autre regard sur les ouvrages hydrauliques est nécessaire

L’Union européenne envisage une directive de restauration de la nature. Nous nous félicitons des avancées du Pacte vert dont ce projet de régulation est une partie. 

Ce projet de directive comporte notamment des aspects normatifs sur la gestion des ouvrages en rivière. Ces ouvrages sont de diverses natures : gué, seuil de moulin, digue d’étang, aménagements de patrimoine historique, barrages à usages nombreux (énergie, irrigation, eau potable, loisir). Le projet oppose à ces ouvrages l’idéal d’un « écoulement libre ». 

Le texte en l’état pose divers problèmes au regard des connaissances scientifiques et des expériences de gestion des ouvrages hydrauliques. Nous demandons aux parlementaires européens d’en prendre conscience et de faire évoluer les propositions de la Commission.

La nature et l’humain ne sont pas séparés
Le texte préparé par la direction générale de l’environnement de la Commission sépare et oppose d’un point de vue normatif la nature et la société. Tout ce qui est vu comme intervention humaine sur la nature est analysé comme un impact. L’état de référence de la nature est vu comme une nature sans humain, ce qui devient un objectif normatif. Ce point de vue a donné lieu à de nombreuses et croissantes critiques dans la littérature scientifique. Les milieux aquatiques européens sont façonnés de longue date par les activités humaines, de sorte que leur nature actuelle est « hybride », une co-construction naturelle et humaine (Lespez et al 2015, Verstraeten  et al 2017, Brown et al 2018). La notion d’un état de référence est de ce fait problématique, en particulier à l’heure où le changement climatique modifie ce qui était l’état historique antérieur, considéré comme référence naturelle des bassins versants (Bouleau et Pont 2015). L’ontologie naturaliste séparant nature et humain méconnaît la diversité des appropriations et interprétations de l’environnement (Linton et Krueger 2020, Lévêque 2020, Collard et al 2021).

A retenir : davantage que « restaurer la nature », il s’agit aujourd’hui d’améliorer la manière dont les humains et les non-humains co-existent dans des milieux en évolution permanente. La question que l'on doit se poser  est : "quelles natures voulons-nous?" selon des critères écologiques, sociaux, économiques, esthétiques et éthiques.

Les ouvrages en rivière créent aussi des écosystèmes
Un ouvrage hydraulique n’est pas réductible à un « impact » : il crée aussi un nouveau milieu. L’ouvrage est associé à des retenues, canaux, annexes aquatiques ou humides.  Ces milieux ont été appelés dans la littérature scientifique des nouveaux écosystèmes (Hobbs et al 2006, Backstrom et al 2018) ou des écosystèmes culturels anthropiques (Evans et Davies 2018). Il a été récemment suggéré que les petits ouvrages en rivières sont à interpréter comme des écotones, des milieux de transition à gradients environnementaux (Donati et al 2022). On a également souligné que les milieux créés par ces ouvrages (retenues, canaux, zones humides), au nombre de 500 000 pour un pays comme la France, sont aujourd’hui absents du cadre gestionnaire de la directive cadre européenne sur l’eau, souvent orphelins d’études et de gestion (Touchart et Bartout 2020). Dans certains cas, une rivière avec ouvrage entre dans un état écologique alternatif stable : elle ne dispose pas de son ancienne dynamique naturelle, mais réorganise les flux énergétiques, sédimentaires et les communautés biotiques dans une nouvelle configuration (Skalak et al 2017). Des milieux d’origine artificielle ont des effets bénéfiques sur certains aspects de la biodiversité aquatique, que ce soit des canaux (Guivier et al 2019), des réservoirs locaux (Fait et al 2020), des étangs (Wezel et al 2014), des biefs de moulin (Sousa et al 2019), des petits plans d’eau et autres milieux hydrauliques humains (Chester et Robson 2013, Davies et al 2008, Hill et al 2018, Bolpagni et al 2019, Vilenica 2020, Koschorreck 2020, Zamora-Marín et al. 2021).

A retenir : un ouvrage hydraulique n’est pas une pollution ou une disparition de milieux aquatiques et humides, il est créateur de tels milieux et héberge aussi de la biodiversité, parfois supérieure à celle du milieu antérieur. Le changement hydroclimatique accentue le rôle de refuge et ressource que peuvent avoir ces ouvrages, y compris pour une biodiversité terrestre environnante.

Les ouvrages en rivière rendent de nombreux services écosystémiques et sociaux
En analysant un ouvrage hydraulique en rivière comme étant uniquement un impact dont l’idéal serait la suppression, on méconnaît de nombreux travaux scientifiques ayant montré que ces ouvrages peuvent avoir des intérêts économiques et sociaux, mais aussi écologiques. Une recherche a montré que les petits plans d’eau  peuvent remplir jusqu’à 39 services écosystémiques (Janssen et al 2020). 
A titre d’exemples :
• Les ouvrages, même modestes, peuvent apporter une contribution significative à la transition énergétique bas carbone par l’équipement hydro-électrique (Punys et al 2019, Quaranta et el 2022)
• Les ouvrages contribuent à dépolluer les cours d’eau des intrants azote et phosphore (Passy 2012, Cisowska et Hutchins 2016), parfois des pesticides (Gaillard et al 2016, Four et al 2019)
• Les ouvrages et leurs annexes de types canaux, fossés, maintiennent une ligne d’eau en étiage, alimentent les nappes, retiennent l’eau d’hiver, alors que leur suppression a l’effet inverse, incise le lit, accélère l’écoulement (Aspe et al 2014, Maaß et Schüttrumpf 2019, Podgórski et Szatten 2020). Le barrage peut être aussi vu et géré à l’avenir comme refuge face au changement climatique (Beatty et al 2017).
• Les ouvrages sont insérés dans un patrimoine culturel, sociétal et historique qui est un mode de co-existence attentive aux milieux naturels (Lejon et al 2009, Sneddon et al 2017, Dabrowski et al 2022).
• La suppression des ouvrages dans les pays où elle a été fortement soutenue soulève des controverses sociales et produit parfois des résultats discutables (Barraud et Garmaine coord 2017, Bravard et Lévêque 2020).

A retenir : l’ensemble des bénéfices des ouvrages en rivières doivent être analysés avant intervention, avec près de 40 services écosystémiques potentiels pour la société. 

Des évolutions du droit sont nécessaires
A la lumière de ces travaux scientifiques qui confortent l’expérience de terrain des propriétaires, riverains et gestionnaires d’ouvrages hydrauliques, nous sollicitons que plusieurs points soient inscrits dans le projet de loi de restauration de la nature :
• La reconnaissance des écosystèmes anthropiques et culturels par le droit européen, avec nécessité de les étudier et les protéger eux aussi.
• L’obligation de procéder à une analyse complète et sincère des services écosystémiques, non limitée à la biodiversité endémique mais incluant toutes les dimensions socio-écologiques.
• La nécessité de mettre en regard les enjeux de biodiversité avec les enjeux de l’énergie, de l’eau et du climat, la lutte contre le changement climatique (prévention, adaptation) devant avoir priorité normative en cas de conflit de normes.
• L’urgence d’additionner et non opposer les solutions fondées sur la nature et les solutions fondées sur la culture / la technique pour garantir la gestion de l’eau comme ressource, alors que nous faisons face à des épisodes critiques de sécheresse ou de crue.

(Références scientifiques complètes dans le pdf)

28/08/2022

Les plans d'eau d'origine humaine appréciés par les libellules et demoiselles (Kolar et al 2021)

Une recherche menée en république tchèque sur des étangs piscicoles et plans d'eau de carrière montre que ceux-ci abritent près de la moitié de la diversité totale des odonates locales, y compris des espèces en liste rouge nationale. Les chercheurs rappellent que l'origine artificielle d'un milieu aquatique ne l'empêche pas de former un habitat et de contribuer à la gestion de la biodiversité. Ils appellent à préserver la mosaïque locale de ces plans d'eau, voire à l'enrichir de nouveaux sites. On attend toujours que le gestionnaire public de l'eau en France intègre les nombreux travaux de recherche qui attestent des services rendus par les plans d'eau, retenues et autres milieux aquatiques d'origine humaine. 


Lester sponsa femelle, photo par Charles J. Sharp CC BY-SA 4.0

Dans de nombreuses régions du monde, les habitats naturels ont été altérés par les activités humaines, avec déclins des communautés d'espèces locales, dont les insectes. Le milieu des eaux douces stagnantes est particulièrement vulnérable car ces habitats sont affectés par l’aménagement des terres, l’eutrophisation, la pollution agricole, industrielle et domestique, les changements climatiques et l’assèchement tendanciel, ainsi que la  propagation des espèces invasives. Mais les activités humaines créent également de nouveaux habitats qui peuvent fournir un filet de sécurité contre les perturbations en cours. 

Ces habitats artificiels pouvant compenser les tendances négatives pour les petites eaux stagnantes comprennent notamment les plans d'eau créés après l’exploitation minière et les étangs piscicoles, les seconds étant souvent plus anciens. "Certains de ces habitats artificiels peuvent accueillir diverses communautés et espèces rares, y compris, par exemple, des amphibiens ou les insectes terrestres et aquatiques. Les habitats artificiels peuvent également accueillir des communautés différentes par rapport aux sites naturels", rappellent Vojtech Kolar et ses collègues.

Ces chercheurs tchèques ont analysé des plans d'au d'origine humaine à différents stades de leur développement, depuis des étangs anciens jusqu'à des plans d'eau de carrière créés plus récemment. Voici la synthèse de leur résultat : 

"Les habitats d'eau douce créés par l'homme constituent une partie importante du paysage européen, en particulier dans les zones où les habitats naturels sont pour la plupart absents ou dégradés. Pour évaluer le rôle des différentes eaux stagnantes artificielles dans les paysages anthropiques, nous avons étudié les communautés d'odonates adultes dans un groupe de 20 plans d'eau, y compris des étangs piscicoles et des plans d'eau de carrière aux stades de succession précoce et en cours. 

Nous avons trouvé 35 espèces d'odonates (c'est-à-dire 47% de la faune de la République tchèque), mais leur présence différait significativement entre les trois types d'habitats. La plus grande diversité d'espèces, due principalement à la présence de généralistes, a été trouvée dans les étangs piscicoles. Les plans d'eau de carrière à un stade précoce de succession abritaient les communautés les moins diversifiées dominées par des espèces pionnières et vagabondes. Les espèces spécialisées sont présentes dans les deux types d'habitat de carrière, en particulier ceux qui sont en phase de succession continue, plus que dans les étangs piscicoles. Bien que l'indice biotique de la libellule ne diffère pas entre les trois types de localités, les quatre espèces de la liste rouge nationale enregistrées au cours de l'étude ne sont présentes que dans les carrière. Les principaux facteurs environnementaux des communautés locales d'odonates comprenaient la couverture du rivage par la végétation émergente, la profondeur de l'eau et le substrat du fond ; ces deux dernières caractéristiques correspondaient largement à la distinction entre plans d'eau de carrière et étangs piscicoles. 

Nous concluons que les plans d'eau de carrière et les étangs piscicoles jouent un rôle important dans le maintien de la biodiversité d'eau douce qui nécessite une mosaïque d'habitats à différents stades de succession."

Les chercheurs concluent : "Nos résultats mettent en évidence le potentiel des habitats artificiels tels que les plans d'eau de carrière et les étangs piscicoles pour soutenir diverses communautés de libellules et de  demoiselles, et assurer une valeur biotique  élevée  à l’échelle locale. Nous montrons que diverses  communautés d’odonates ont besoin d’une mosaïque d’habitats allant d’étangs peu profonds, éventuellement temporaires, à des plans d'eau permanents avec des eaux plus profondes, avec différents types de substrats, allant de plans d’eau complètement ouverts sans végétation à des étangs envahis par une végétation riveraine hétérogène. Comme chacun de ces types de masse d'eau peut abriter une communauté différente, il est important de créer de nouveaux plans d'eau et de restaurer certains anciens pour accroître la biodiversité locale et maximiser le potentiel de conservation de ces habitats d’eau douce".

Discussion
La recherche en écologie montre que des habitats aquatiques et humides d'origine humaine ont eux aussi une capacité à héberger de la biodiversité et à pallier l'altération de milieux d'eau douce par certaines activités à effets très négatifs sur le vivant. Ce constat répété dans de nombreuses études sur ces milieux artificiels est très éloigné des obsessions qui animent la politique des rivières en France, comme la prime à la destruction des habitats de retenues, plans d'eau, étangs ou lacs. Il est nécessaire que les gestionnaires publics intègrent ces connaissances et développent une vision plus positive sur les plans d'eau, par des conseils de bonne gestion aux propriétaires assorti d'un travail prioritaire sur les excès de pollutions et de prélèvements de l'eau.

Référence : Kolar V et al (2021), The influence of successional stage on local odonate communities in man-made standing waters, Ecological Engineering, 173, 106440 

23/08/2022

Saisine des ministres de l'écologie et de l'énergie sur la politique française des ouvrages hydrauliques

La coordination Eaux & Rivières humaines (CNERH) saisit les ministres de la transition écologique et de la transition énergétique sur la question des ouvrages hydrauliques. Alors que le pays affronte une crise de l'eau et de l'énergie, diverses administrations placées sous la tutelle de Mme Pannier-Runacher et de M. Béchu continuent d'encourager la destruction des seuils et barrages, l'assèchement des plans d'eaux et canaux, mais aussi de décourager les porteurs de projets hydro-électriques par des demandes dénuées de tout réalisme. Cette grave dérive de nombreux services "eau et biodiversité" de l'Etat et d'établissements publics est d'autant moins tolérable qu'elle est contraire aux lois et jurisprudences, créant dans ce domaine des ouvrages hydrauliques une dégradation de la confiance citoyenne dans la parole publique. 




Madame la ministre,
Monsieur le ministre,

Notre coordination rassemble des acteurs des territoires (associations, syndicats, collectifs, entreprises) impliqués dans l’animation, la valorisation et la gestion des ouvrages hydrauliques et des écosystèmes anthropiques : petits barrages, seuils en rivière créant des étangs, plans d’eau, canaux et zones humides pour divers usages de l’eau comme la petite hydro-électricité, l’irrigation, la pêche, le tourisme mais aussi les réserves incendies et l’adaptation au changement climatique. 

Malgré son importance dans la vie des territoires depuis des siècles et aujourd’hui encore – il y a par exemple au moins 50 000 moulins à eau et 200 000 étangs –, ce monde de la « petite hydraulique » ne dispose d’aucune représentation permanente au comité national de l’eau ni aux comités de bassins des agences de l’eau. Et les commissions locales de l’eau n’intègrent que très imparfaitement les acteurs territoriaux. Aussi nous nous adressons à vous directement, puisque les instances publiques de concertation et de délibération manquent à leur devoir de représentativité. 

Pour dire l’essentiel en peu de mots : malgré la crise de l’eau et la crise de l’énergie que traverse notre pays, malgré l’évolution des lois et des jurisprudences ces trois dernières années, nous constatons toujours une inertie voire une action à contre-emploi des administrations en charge de l’eau, de la biodiversité et de l’énergie placées sous vos tutelles. Ces administrations incitent partout à détruire les ouvrages qui stockent l’eau et peuvent contribuer à la transition bas-carbone, sont réticentes à aider les propriétaires dans la bonne gestion écologique et hydrologique de ces ouvrages, ralentissent l’équipement énergétique par des instructions hostiles, exigent des procédures et travaux de continuité écologique inaccessibles à l’immense majorité des propriétaires faute de financement public proportionné.

Ce problème s’est cristallisé ces dernières années autour du sujet de la « continuité écologique » : les administrations concernées (DDT-M, OFB, agences de l’eau) ont déployé depuis 2012-2013 un discours de « diabolisation » des ouvrages hydrauliques, en appelant à les détruire et à assécher leurs milieux. Au lieu d’équiper des ouvrages en circulation des poissons et sédiments tout en conservant des plans d’eau et biefs face aux sécheresses comme aux inondations – des dizaines de milliards de m3 d’eau renouvelable repartent à la mer chaque année –, on a poussé à détruire. Sur certaines rivières de l’Ouest, du Nord et du Centre de la France, tous les moulins et étangs de bassins ont été rasés. Le résultat est évidemment catastrophique dans les années sèches comme celle que nous subissons. 

Au-delà du cas particulier de continuité écologique, il existe un problème plus profond de philosophie de l’action publique de  l’eau dans ce domaine des ouvrages hydrauliques. 

En effet, alors que dans tous les autres domaines économiques et sociaux on cherche une écologie constructive et adaptative par évolution des pratiques et des équipements, les moulins, les étangs, les plans d’eau se voient opposé un véritable déni de reconnaissance de la part de représentants de l’Etat et d’établissements publics. Les administrations en charge de leur instruction estiment le plus souvent que ces ouvrages ne devraient pas exister. Loin de vouloir valoriser leurs atouts en période de transition énergétique, climatique, hydrique et écologique, ces administrations veulent soit détruire les ouvrages pour créer une « rivière libre et sauvage » ou une « renaturation », soit rester dans une indifférence hostile à leur encontre tout en essayant d’imposer des procédures et des travaux dénués de toute faisabilité et acceptabilité. Il est impossible de construire ensemble un avenir de nos bassins versants tant que de tels préjugés prévaudront dans l’instruction des ouvrages hydrauliques. Au demeurant, nos membres vont encore requérir en justice l’annulation des 6 SDAGE venant d’être adoptés, outre d’autres contentieux ouverts et en cours d’instruction.

L’attitude des administrations en charge des ouvrages hydrauliques est d’autant plus inaudible pour les usagers et riverains qu’elle ne correspond pas du tout à l’évolution des lois et de la jurisprudence. 

En effet, pour ce qui regarde les lois :
  • La loi sur l’eau de 2006 sur la continuité écologique demande des ouvrages gérés, équipés, entretenus (et non détruits) ainsi qu’une indemnisation des travaux lorsqu’ils deviennent une charge exorbitante pour un particulier, un petite exploitant ou une petite collectivité,
  • La loi montagne de 2016 a précisé que la continuité écologique ne doit pas faire obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique comme part de l’identité culturelle et paysagère des territoires,
  • La loi énergie et climat de 2019 a posé que le petite hydro-électricité devait être mobilisée face à l’urgence climatique et écologique,
  • La loi climat et résilience de 2021 a interdit la destruction de l’usage actuel et potentiel des ouvrages dans la mise en œuvre de la continuité écologique.
Et concerne la jurisprudence :
  • Le conseil d’Etat a annulé en 2021 la définition ministérielle de l’obstacle à l‘écoulement (décret de 2019), confirmant sa jurisprudence antérieure selon laquelle un ouvrage peut être compatible avec la continuité écologique et n’a pas à être détruit ou interdit au nom de ce motif,
  • Le conseil constitutionnel a souligné en 2022 lors d’une QPC que le patrimoine hydraulique et l’hydro-électricité sont d’intérêt général ainsi que conformes à la charte de l’environnement.
Madame la ministre,
Monsieur le ministre,

Sur cette question des ouvrages hydrauliques et de leurs milieux en eau, la cohérence de la parole publique et la confiance des citoyens ont hélas régressé. Plus gravement, les citoyens observent chaque jour des choix publics contraires à la protection de la ressource en eau, à la transition énergétique, à la préservation de milieux aquatiques et humides.

Pour sortir de cette impasse, nous sollicitions de votre bienveillance et de votre lucidité une circulaire de mise en application de lois et jurisprudences par les services administratifs eau et biodiversité, incluant notamment :
  • L’arrêt immédiat des destructions des ouvrages, l’interdiction des chantiers remettant en cause le stockage local d’eau douce en surface, aquifère, nappe.
  • La nécessité pour les agences de l’eau, syndicats et régions de financer (au même taux que les destructions jadis) des aménagements au titre de la continuité écologique : vannes, rampes rustiques, passes à poissons, rivières de contournement.
  • Le co-financement public-privé de plans d’eau et zones humides alimentés par l’eau gravitaire excédentaire au lieu de bassines énergivores alimentées par pompage de nappes phréatiques,
  • L’incitation forte à équiper toutes les chutes exploitables en production électrique bas-carbone. 
  • La simplification et accélération des procédures d’instruction des dossiers « aménagements » au lieu de dissuader les porteurs de projets, comme cela se fait depuis quinze ans.
  • La reconnaissance par les services administratifs des écosystèmes anthropiques d’ouvrages hydrauliques comme solutions fondées sur l’usage équilibré et durable de la nature.
  • L’intégration permanente de la petite hydraulique au comité national de l’eau, aux comités de bassin et aux commissions locales de l’eau.
Nous sommes bien entendu à votre entière disposition pour évoquer ces sujets dans le détail et chercher des solutions constructives pour l’avenir de nos ouvrages hydrauliques au service des territoires et de la transition.

21/08/2022

L'Oudon, bassin martyr de la continuité écologique destructrice

Sur cet affluent de la Mayenne, près d'une centaine d'ouvrages de moulins, étangs, plans d'eau et rehausses ont été détruits au nom de la continuité écologique. Cela sur argent public bien sûr. Résultat dans les années de sécheresse comme 2022 : des filets d'eau chaude et polluée – là où il reste même de l'eau –, un stress et une mortalité massive pour la faune et la flore. L'association Bien Vivre en Anjou dénonce la "bêtise humaine" à l'oeuvre dans le dogme de la continuité écologique, qui aggrave les effets de la sécheresse tout en nuisant aux milieux et aux riverains. 


L'Oudon est une rivière qui coule dans les départements de la Mayenne et de Maine-et-Loire, de 103 km de long, affluent le plus important de la rive droite de la Mayenne. L'Oudon a elle-même tout un réseau de petits rûs affluents. Comme tant d'autres rivières françaises, elle a été soumise depuis 10 ans à la furie destructrice de la "continuité écologique", au prétexte officiel d'améliorer la santé des milieux aquatiques. Sur ce bassin, déjà 90 ouvrages de rehausses, plans d'eau, moulins et étangs ont été supprimés par le syndicat du bassin de l'Oudon (SBO), alors que 6 seulement ont été aménagés de manière non destructrice pour le franchissement des poissons. Une prime massive à la casse des ouvrages, qui coûte la bagatelle de 350 000 € d'argent public par an depuis 2018. 

La sécheresse de 2022, venant après plusieurs autres, apporte le bilan catastrophique de cette politique. Le journal Le Courrier de l'Ouest / Ouest-France le relate : rivière asséchée ou réduite à des filets d'eau chaude et polluée, mortalité massive de poissons, insectes, mollusques. Et riverains en colère.


L'association locale Bien vivre en Anjou dénonce des "décisions prises dans les bureaux du ministère de la Transition écologique puis imposées partout en France par des techniciens hors sol", en soulignant : "Ils ont décidé, au nom de la 'continuité écologique' la suppression des barrages des moulins, la suppression des clapets, qui permettaient, si besoin, de retenir une partie de l'eau sans la laisser filer à la mer et s'y perdre. Avaient-ils seulement conscience que l'on ne rattrape pas l'eau qui part?"

Sa porte-parole Anne Danjou, élue et aussi membre du SBO, tient le syndicat pour responsable de ce "désastre écologique". Elle montre l'exemple de l'effacement d'un ouvrage de moulin sur l'Argos, affluent de la Verzée et de l'Oudon. L'ouvrage datait de 1430 et assurait un plan d'eau régulier. La casse au nom de la continuité écologique n'a laissé qu'une flaque d'eau entre deux seuls résiduels où la faune se meurt. "L'influence de la retenue d'eau préservait la vie de la biodiversité sur plusieurs centaines de mètres de rivière. Effacer un clapet ce n'est pas seulement virer une plaque en métal. C'est faire des études en amont, s'assurer de la présence durable d'eau, calibrer la rivière, prévoir un radier, c'est surtout retirer le seuil du clapet et sa ferraille. Rien de tout cela n'a été fait".


La destruction massive des ouvrages hydrauliques au nom de la continuité écologique est un scandale d'Etat et un échec majeur de la politique de l'eau depuis 15 ans. Elle est contraire à toutes les orientations dont nous avons besoin : préservation de la ressource en eau, régulation des crues et des sécheresses, créations de zones humides, production d'énergie renouvelable, relocalisation d'activités. Il est urgent que l'Etat acte le désastre de cette politique décriée de suppression des seuils et barrages, déjà condamnée à de multiples reprises au parlement et par les cours de justice

Le gouvernement doit intimer l'administration de l'eau d'interdire ces gabegies et destructions, pour retrouver une politique des rivières et des ouvrages conforme à l'intérêt général

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