28/10/2022

Après la destruction des ouvrages du Thouet, la nature fait mal les choses

Sur le Thouet, on a détruit des ouvrages hydrauliques mais la rivière ne fait pas ensuite ce qu'on attendait d'elle. Donc on remet près de 370 000 € de dépenses publiques au pot afin que les pelleteuses expliquent à la nature comment elle doit se comporter. Le tout avec des commentaires très autosatisfaits des responsables et techniciens du syndicat, mais sans aucun engagement clair pour les gains apportés à la société et aux riverains. 



Les pelleteuses s'activent à nouveau sur la rivière Thouet, au niveau de la commune de Saint-Martin-de-Sanzay (Deux-Sèvres). S'agit-il d'une nouvelle destruction de chaussée de moulin ou de barrage de plan d'eau? Non, cette fois il s'agit de gérer les conséquences de ces travaux de démolition déjà effectués voici quelques années. 

Problème : le profil de la rivière après la destruction des ouvrages et la disparition de leurs remous hydrauliques ne plaît pas à nos représentants officiels de la nature. Alors on reconvoque le BTP et ses pelleteuses pour créer le profil souhaité. "L'idée, c'est d'accompagner ce qu'aurait fait la nature sur plusieurs siècles", explique à la Nouvelle République le technicien de rivière. C'est formidable : on dit d'abord qu'il faut "renaturer", puis on constate que la "nature" ne fait pas ce qu'on espère, donc on change à nouveau le lit fluvial avec des engins mécaniques. 

Coût de ces travaux : une bagatelle de 368 800 €, payés par le contribuable. Une somme s'ajoutant aux destructions des ouvrages, de leurs usages et de leurs plans d'eau.

L'argument entendu dans la décennie 2010 selon lequel un effacement d'ouvrage coûte moins cher qu'un aménagement de continuité avec respect de l'ouvrage est donc mensonger : faire disparaître l'ouvrage implique des interventions lourdes en amont et aval pour éviter les effets d'incision, maîtriser les nouveaux écoulements pour éviter des dommages aux tiers, parfois rehausser en urgence car l'eau manque l'été, etc. 

Par ailleurs ces travaux sont le plus souvent faits sur la base d'hypothèses théoriques d'évolution des écoulements et des sédiments, sans modélisation dynamique du bassin versant, alors que ces paramètres dépendant d'autres choses que les ouvrages (l'évolution du climat, des usages des sols, des pompages de l'eau, etc.).

Quelques questions non posées par les journalistes :
  • comment ces anciens et nouveaux travaux vont réagir aux sécheresses et aux crues de la "nature" qui est, faut-il le rappeler, un tout petit peu transformée par le changement hydroclimatique?
  • les services écosystémiques du Thouet avec et sans ouvrage ont-ils été estimés de manière objective (sans oublier des services dans un cas et sans les exagérer dans d'autres) ?
  • le suivi de biodiversité va-t-il concerner le lit mineur et majeur, toutes les espèces et non pas seulement quelques poissons et insectes d'eaux courantes?
  • les citoyens ont-ils donné leur avis sur la rivière qu'ils souhaitaient, en étant correctement informés des différents enjeux, en se voyant proposer des alternatives, sans a priori?
  • l'agence de l'eau respectait-elle l'avis des citoyens ou exerçait-elle un chantage financier en prévenant qu'elle ne paierait le taux maximum de subvention qu'en faveur de certains travaux et pas d'autres? 
  • quels sont les critères objectifs de succès que ces gestionnaires de l'eau s'engagent à suivre dans le temps, en prenant leur responsabilité face aux citoyens si les critères ne sont pas remplis?
  • ces critères de succès correspondent-ils à un intérêt général conforme à la gestion équilibrée et durable de l'eau telle que définie par la loi, ou plutôt à une passion naturaliste sans base juridique claire?

27/10/2022

Vers une analyse critique et une appropriation démocratique de la restauration de rivière

La restauration de rivière est devenue un fétiche des politiques de l’eau – et une véritable industrie drainant les subventions publiques comme le marché des compensations écologiques. Un ouvrage vient de paraître qui analyse les dimensions sociales, économiques et politiques de cette restauration. Celle-ci s’est présentée depuis 25 ans sous un angle naturaliste, avec fort peu de distance critique, comme si le fait d’invoquer des thèmes génériques et généreux (la nature, la biodiversité) suffisait à ne pas discuter plus avant des choix faits, de leurs motivations, de leurs objectifs, de leurs conséquences, de leurs alternatives. Mais la rivière est un fait historique et social autant qu’un fait naturel. Il n’y a aucune légitimité intellectuelle et politique à n'envisager les trajectoires de cette rivière que sous l'angle exclusif d'une nature séparée des aspirations humaines.


Marylise Cottet, Bertrand Morandi et Hervé Piégay viennent de diriger un livre sur les perspectives sociales, économiques et politiques de la restauration de rivières. Cet ouvrage s’adresse aux experts et aux chercheurs, mais aussi aux praticiens de la restauration et aux acteurs impliqués dans les enjeux de cette politique publique.

Cet ouvrage est bienvenu car la rivière a été saisie dans la seconde partie du 20e siècle par ce que l’on peut appeler une «hégémonie naturaliste» : la quasi-totalité des publications à son sujet concernait les champs de la physique, la chimie, la biologie, l’hydrologie, l’écologie, c’est-à-dire une approche de la rivière comme fait naturel (voir notre recension de Wei et Wu 2022). Ces sciences sont évidemment fort utiles, leurs travaux enrichissants pour la connaissance et pour le débat démocratique. Mais il y a un absent de taille dans la pièce : les humains, dont les attitudes, les préférences et en dernier ressort les actions ont modifié le visage des rivières depuis des millénaires. Car la rivière est aussi un fait historique, un fait social, un fait économique. Sans une approche inter- ou trans-disciplinaire, il est impossible de comprendre les dimensions multiples de la rivière, impossible d’avoir une information correcte pour alimenter des politiques publiques. Sans un dépassement de l’opposition nature-culture, il est aussi difficile d’interpréter ce qui se passe au bord de l'eau, puisque les humains transforment leurs milieux par leurs choix autant que l'évolution des milieux incite les humains à changer leurs préférences.

L’ouvrage note que si les sciences sociales et humanités de l’eau sont peu mobilisées sur les restaurations de rivière, la tendance est néanmoins à la hausse des recherches : 10% des publications dans la décennie 2010 contre 5% dans la décennie 2000 et 2% dans la décennie 1990. C’est une bonne nouvelle de notre point de vue, mais cela signifie aussi que, vu le décalage entre la réflexion et l’action, les politiques actuelles de restauration de rivières ont été théorisées, conçues et portées dans le cadre d’une hégémonie quasi totale des sciences naturelles. On ne verra les impacts des travaux des sciences sociales et humanités de l’eau que dans l’avenir, lorsque l’élargissement du champ de vision sur la rivière au-delà du cadre naturaliste permettra de prendre un peu de distance critique, d’évaluer des effets négatifs, indésirables ou imprévus, de comprendre comment certaines décisions ont été fabriquées.

De quoi parlent les sciences sociales et humanités de l’eau ? Les auteurs discernent trois grands enjeux d’investigation en passant en revue la littérature récente :
  • Les relations entre les humains et les rivières, sous l’angle des représentations, des aspirations, des éthiques et des pratiques
  • Les enjeux politiques et de gouvernance des choix publics d’intervention sur les rivières, avec les questions du rôle des experts, des jeux d’acteurs avançant chacun leur vision et de la co-construction des projets par les riverains concernés
  • L’approche économique de la restauration fluviale, avec la question de l’estimation des coûts et bénéfices, en particulier de l’objectivation de bénéfices non-marchands et non-monétaires
Ces points sont exposés de manière synthétique dans le chapitre introductif, puis déclinés dans une quinzaine de monographies. L’une d’elles est dédiée aux controverses autour des démolitions de petits barrages aux Etats-Unis et en France (travaux de Marie-Anne Germaine, Ludovic Drapier, Laurent Lespez et Beth Styler-Barry).

Diversité des vues sur la restauration écologique
Si la restauration écologique est déjà devenue une politique publique, elle n’est pas pour autant une ambition toujours clairement définie. On «restaure» quoi? En vue de quoi? Selon quelle vision «écologique»? Les choses ne sont pas si claires qu’elles le paraissent dans la communication de ces politiques. Nous traduisons ci-après différentes définitions d'experts de la restauration de rivière rappelées par les auteurs, y compris à la fin celle choisie par les trois chercheurs ayant dirigé le livre.

CNRC 1992, p. 18 : «La restauration est définie comme le retour d’un écosystème à une approximation de son état d’avant la perturbation. Lors de la restauration, les dommages écologiques causés à la ressource sont réparés. La structure et les fonctions de l’écosystème sont recréées.»
 
Stanford et coll., 1996, p. 393 : «L’objectif de la restauration des rivières devrait être de minimiser les contraintes d’origine humaine, permettant ainsi la réexpression naturelle de la capacité de production. Dans certains, sinon la plupart, des cours d’eau à intensément régulés, les contraintes d’origine humaine peuvent avoir progressé au point que la pleine réexpression de la capacité n’est ni souhaitée ni possible. Néanmoins, cela implique que les principes écologiques de base appliqués aux rivières dans un contexte naturel et culturel peuvent conduire à la restauration de la biodiversité et de la bioproduction dans l’espace et dans le temps. Mais les contraintes doivent être supprimées, et non atténuées.»
 
Downs et Thorpe 2000, p. 249- 250 : «Il est maintenant largement reconnu que la restauration des rivières au sens de Cairns (1991) – 'Le retour structurel et fonctionnel complet à un état d’avant la perturbation' – est rarement réalisable.  « La 'restauration des rivières' pratique est, en fait, un exercice historiquement influencé d’amélioration de l’environnement par la modification morphologique. Il est probablement plus exact de parler de réhabilitation de la rivière.» 

McIver et Starr 2001, p. 15, citant le site Web de SER : «La restauration écologique peut être définie comme ‘ le processus d’aide au rétablissement et à la gestion de l’intégrité écologique’, y compris une ‘gamme critique de variabilité de la biodiversité, des processus et structures écologiques, du contexte régional et historique, et des pratiques culturelles durables’.»

Wohl et coll., 2005, p. 2. : «Nous définissons la restauration écologique des rivières comme l’aide au rétablissement de l’intégrité écologique dans un système de bassin versant dégradé en restaurant  les processus nécessaires pour soutenir l’écosystème naturel dans un bassin versant. Parce que les contraintes techniques et sociales empêchent souvent la restauration ‘complète’ de la structure et de la fonction de l’écosystème, la réhabilitation est parfois distinguée de la restauration.»

Palmer et Allan 2006, p. 41-42 : «La restauration des rivières signifie réparer les cours d’eau qui ne peuvent plus remplir des fonctions écologiques et sociales essentielles telles que l’atténuation des inondations, la fourniture d’eau potable, l’élimination des niveaux excessifs de nutriments et de sédiments avant qu’ils n’étouffent les zones côtières, et le soutien des pêches et de la faune. Des rivières et des ruisseaux sains améliorent également la valeur des propriétés et constituent un hub pour les loisirs.»

Chou 2016, p. 2 : «La restauration des rivières signifie différentes choses pour différentes personnes. En termes d’échelle et de portée, il peut s’agir d’un retour structurel et fonctionnel complet à l’état pré-perturbateur, d’un rétablissement des conditions partiellement fonctionnelles et/ou structurelles des cours d’eau (c’est-à-dire la réhabilitation), d’un rétablissement de l’état naturel d’un écosystème fluvial sans vraiment viser l’état vierge d’avant perturbation (c’est-à-dire la renaturation), ou d’un aménagement de l’état actuel des cours d’eau et de leurs environs dans le but d’améliorer leur environnement,  les caractéristiques sociales, économiques ou esthétiques (c’est-à-dire l’amélioration).»

Cottet, Morandi et Piégay 2021 : «En adhérant à l’affirmation de Chou (2016, p. 2) selon laquelle ‘la restauration des rivières signifie différentes choses pour différentes personnes’, nous adoptons une définition relativement large de la restauration dans ce livre. Nous ne faisons pas de distinction entre certains concepts couramment utilisés tels que la restauration, la réhabilitation, la renaturation ou les actions de revitalisation. Nous considérons comme restauration toute intervention humaine couvrant une qualité considérée comme dégradée ou perdue. Cette qualité peut être perçue en termes de biodiversité, de dynamique hydromorphologique, de paramètres physico-chimiques, de beauté du paysage ou même de possibilité d’usage récréatif.»

Ces citations permettent de comprendre plusieurs choses :
  • Les définitions de la restauration de rivière sont variables, certaines veulent recréer totalement un écosystème sans impact humain quand d’autres se contentent d’énumérer des pistes d’amélioration ou des services écosystémiques (logiques de naturalité ou de fonctionnalité).
  • Il n’y a pas vraiment de consensus sur la possibilité réelle de «restaurer» des écosystèmes anciens ou antérieurs, et même un scepticisme apparent chez beaucoup sur la possibilité de le faire.
  • L’exercice n’est pas exempt chez certains d’une indifférence au facteur humain et d’une circularité autoréférentielle (il faut restaurer la nature parce que la nature a été modifiée, sans qu’on sache en quoi c’est forcément un problème ni si les humains ayant modifié la nature pour certaines raisons sont d’accord avec l’implication des objectifs de restauration).
  • Quand l’exercice se réfère à une préférence humaine, il devrait exposer comment cette préférence se crée et se manifeste (si elle est le simple avis d’experts, si elle exprime réellement l’avis des citoyens, ou de fractions des citoyens et dans ce cas lesquelles, si elle répond à une évolution du milieu perçue comme négative et pourquoi, etc.)
Pour notre part, et comme nous l’avions exposé dans un article précédent, nous doutons qu’il existe une  «restauration» à proprement parler. Nous observons que les humains instaurent des états de la rivière, aujourd’hui comme hier. Même quand ils le font en se réclamant de l’écologie et d’une certaine référence naturelle, cela reste un choix humain parmi les possibles. Cela reste aussi de manière très prosaïque des chantiers modifiant l'état existant de milieux, suivis d’observations, de contrôles et de règles d’usage. Donc cela reste le lot commun de ce que font les humains depuis toujours. Il est ainsi «artificiel» ou «culturel» d’entretenir une condition ou une trajectoire de naturalité au nom d'une préférence pour cette naturalité. La référence à la «restauration» ou à la «nature» paraît  davantage un choix lexical, symbolique et sémantique de légitimation, parce que ce vocabulaire répond à certaines aspirations de l’époque, en tout cas dans certains milieux sociaux. 

En France, des choix radicaux ont été faits sur la continuité écologique
Subsidiairement et de manière plus politique, cet état des lieux confirme de notre point de vue le caractère radical des choix des agents publics de l’eau en France (agence de l’eau, DDT-M, OFB, syndicats) toutes les fois où ils ont fait pression financière et règlementaire pour exiger la destruction complète de site (moulin, étang, plan d’eau), à savoir la forme la plus aboutie de la «renaturation». Cela de manière peu démocratique puisque les instances de décision réelle sur les programmes d'intervention en rivière sont opaques, fermées, ignorées de l'immense majorité des riverains.

Etant nous-mêmes des acteurs engagés sur ces sujets, nous utiliserons donc ces données pour exposer aux juges et aux élus combien ces agents ont  procédé à une interprétation orientée, située à un extrême parmi la diversité réelle des options de la recherche appliquée. Et cela sans fondement dans la loi française, qui n’a jamais validé ces formes extrêmes de renaturation comme relevant d’une quelconque obligation ni d’une gestion équilibrée de l’eau. (C’est même le contraire : le droit français agrège des strates anciennes et nouvelles dont la cohérence ne permet pas d’exclure le facteur humain comme guide des choix publics.)

Une des informations du livre est d’ailleurs ce constat de fait : «Au-delà des rapports de force latents, de nombreuses publications analysent également les projets de restauration sous l'angle des conflits ouverts, ou du moins des oppositions qu'ils suscitent. Ces oppositions sont particulièrement fortes concernant certaines mesures de restauration. Les projets de restauration de continuité, notamment de suppression de barrages, qui entraînent généralement des bouleversements majeurs des paysages et des usages, apparaissent comme les plus controversés.»

Il y a donc bien un problème avec la continuité écologique destructrice. Parce qu’il y a des humains qui n’y voient aucune forme de justice ni de bienfait. Parce qu’il y a des non-humains (ouvrages, paysages, héritages, nouvelles biodiversités) suffisamment attracteurs pour susciter leur protection et la promotion d’une configuration alternative des eaux, des sédiments, des espèces, des modes d’existence. 

Une politique publique n’a pas pour vocation de créer des problèmes, mais de proposer des solutions : l’avenir de la continuité est donc en suspens. Le combat que nous menons avec les personnes, associations, collectifs, syndicats, élus dont la voix était ignorée ou marginalisée commence à porter ses fruits. 

Pour aller plus loin, il faudra penser et proposer une nouvelle direction de la restauration de rivière, dépassant par le haut les limites de son approche naturaliste, reposant sur un cadre démocratique plus élargi.  Il est de ce point de vue assez navrant que la direction générale environnement de la commission européenne ne soit pas informée de ces controverses dont les chercheurs observent qu’elles sont fréquentes, et ne propose que la «suppression d’obstacle» comme option de restauration de rivière dans le projet actuel de règlementation Restore Nature. Manifestement, les bureaucraties du sommet sont toujours coupées des réalités sociales à la base. Et elles semblent choisir pour les conseiller des experts peu informés (ou alors eux-mêmes biaisés par un engagement naturaliste assez situé). 

Il est important que le mouvement des ouvrages hydrauliques oppose non seulement la légitimité de son existence aux projets de destruction de cette existence, mais aussi ces travaux réalisés par des universitaires et scientifiques sur les controverses en cours concernant l’avenir des rivières.

Référence : Cottet M., Morandi B., Piégay H. (2021), What are the political, social, and economic issues in river restoration? Genealogy and current research issues, in Morandi, B.,Cottet, M., Piégay, H., River restoration: Political, social, and economic perspectives, John Wiley & Sons, chapter 1, 1-47.

25/10/2022

Les têtes de bassin versant ont aussi des eaux et sédiments pollués (Slaby et al 2022)

Alors que la directive cadre européenne sur l'eau a été adoptée en l'an 2000, le réseau de surveillance des pesticides et autres substances toxiques dans les rivières ou plans d'eau reste très lacunaire. Un groupe de chercheurs français montre que ces eaux et sédiments d'un étang ancien de tête de bassin sont contaminés par 26 substances différentes, pesticides ou produits de décomposition des pesticides. Les poissons montrent cependant une faible accumulation, hors l'herbicide prosulfocarbe. Mais les effets cumulés et croisés des expositions sur l'ensemble de la faune aquatique ou amphibie restent largement sous-documentés. Il est vrai que démolir et assécher cet étang ancien au nom de la continuité dite "écologique" pourrait éviter de se poser trop de questions... 

Résumé graphique de l'étude de Slaby et al 2022, art cit.


Le site étudié par Sylvain Slaby et ses collègues est un étang pisicicole ancien (15e siècle) situé dans la région Grand Est. Il est placé en amont d'un cours d'eau dans un petit bassin versant (81 ha), dominé par les terres arables (42 %) et les pâturages (49 %). Les cultures pratiquées dans ce bassin versant sont courantes dans la région (blé, orge, tournesol, colza, maïs ensilage).

Voici le résumé de leur étude :

"Plus de 20 ans après l'adoption de la directive-cadre sur l'eau, des lacunes importantes subsistent concernant l'état sanitaire des petites rivières et des masses d'eau en tête de bassin. Ces petits cours d'eau alimentent en eau un grand nombre de zones humides qui abritent une riche biodiversité. Plusieurs de ces plans d'eau sont des étangs dont la production est destinée à la consommation humaine ou au repeuplement d'autres milieux aquatiques. Cependant, ces écosystèmes sont exposés à des contaminants, notamment des pesticides et leurs produits de transformation. Ce travail vise à fournir des informations sur la distribution, la diversité et les concentrations des contaminants agricoles dans les compartiments abiotiques et biotiques d'un étang piscicole situé en tête de bassins versants. Au total, 20 pesticides et 20 produits de transformation ont été analysés par HPLC-ESI-MS/MS dans de l'eau et des sédiments prélevés mensuellement tout au long d'un cycle de production piscicole, et chez trois espèces de poissons au début et à la fin du cycle.

Les concentrations moyennes les plus élevées ont été trouvées pour le métazachlor-OXA (519,48 ± 56,52 ng.L-1) dans l'eau et le benzamide (4,23 ± 0,17 ng.g-1 en poids sec) dans les sédiments. Jusqu'à 20 contaminants ont été détectés par échantillon d'eau et 26 par échantillon de sédiments. Les produits de transformation de l'atrazine (interdit en Europe depuis 2003 mais encore largement utilisé dans d'autres parties du monde), du flufenacet, de l'imidaclopride (interdit en France depuis 2018), du métazachlore et du métolachlore étaient plus concentrés que leurs composés parents. Moins de contaminants ont été détectés chez les poissons, principalement du prosulfocarbe accumulé dans les organismes au cours du cycle.

Nos travaux apportent des données innovantes sur la contamination des petites masses d'eau situées en tête de bassin. Les produits de transformation avec la fréquence d'occurrence et les concentrations les plus élevées devraient être priorisés pour des études de surveillance environnementale supplémentaires, et des seuils de toxicité spécifiques devraient être définis. Peu de contaminants ont été trouvés dans les poissons, mais les résultats remettent en question l'utilisation à grande échelle du prosulfocarbe."

Discussion
La pollution des milieux aquatiques a pris une dimension massive à compter de la seconde partie du 20e siècle, tout comme des travaux lourds de recalibrage des cours d'eau permis par des engins mécaniques à énergie fossile. Même les têtes de bassin versant sont concernées, alors que certains prétendent que ces milieux seraient plus ou moins épargnés. Le réseau de surveillance mis en place à la suite de la DCE 2000 est très loin d'analyser l'ensemble des bassins, pas plus que l'ensemble des contaminants de l'eau et des sédiments. L'histoire retiendra qu'au début du 21e siècle, les administrations françaises de l'eau et de la biodiversité se sont livrées à une destruction acharnée des moulins et des étangs d'Ancien Régime pendant que les causes manifestes de dégradation de l'eau et de la biodiversité étaient minorées ou acceptées comme des fatalités. Mais peut-être que l'un va avec l'autre : procéder à des destructions spectaculaires et photogéniques pour ne pas avoir à engager des réformes difficiles de nos modes de production et de consommation? 

22/10/2022

Comprendre les rivières comme artefacts culturels

Nous publions une traduction du manifeste de l’archéologue Matt Edgeworth, auteur d’un livre paru voici une dizaine d’années déjà sur la réalité archéologique des modifications des flux d’eau par les sociétés humaines. Loin d’être analysable comme une anomalie industrielle récente,  la relation transformative de l’humanité à l’eau a commencé dès la préhistoire. L’ignorer, c’est entretenir une représentation fausse des fleuves et rivières, une incompréhension du devenir hybride de l’eau, entre puissance sauvage et appropriation sociale.  Ce texte est d’une actualité manifeste à l’heure où les politiques publiques en France et en Europe s’entichent d’un naturalisme amnésique, réducteur voire naïf, faisant comme si le destin culturel et naturel de l’eau n’était pas enchevêtré depuis des millénaires. Et appelé à le rester dans le flux incessant des eaux, des sédiments et des destinées humaines. Une écologie de l’Anthropocène ne pourra pas être une nostalgie d’un paradis perdu, ni sur le plan scientifique, ni sur le plan imaginaire.


Un détail de la série de 15 cartes de la plaine inondable du Mississippi inférieur par le géologue Harold Fisk (Fisk 1944, United States Army Corps of Engineers), montrant les cours actuels et anciens de la rivière. 

Manifeste pour l’archéologie du flot*

par Matt Edgeworth

La matière peut être dans l'un des trois états principaux suivants : solide, liquide ou gazeux. Dans l'étude archéologique des paysages, la matière solide est prioritaire. Procurez-vous presque n'importe quel livre sur l'archéologie du paysage britannique et vous trouverez des matériaux solides mis en évidence, avec des matériaux fluides  liquides et gazeux laissés dans l'ombre. Les fleuves et les rivières sont la matière noire de l'archéologie du paysage (mais pas moins vibrante pour autant). Traversant le cœur des paysages, changeant de formes et d'états au fur et à mesure, ils sont rarement soumis au type d'analyse culturelle appliquée aux matériaux solides. L'eau qui coule a tendance à être considérée comme faisant partie d'un arrière-plan naturel sur lequel l'activité culturelle passée apparaît, à côté duquel se trouvent des sites, auquel une signification culturelle est appliquée ou dans lequel des éléments culturels sont placés, plutôt que comme ayant une dimension culturelle en soi. Or l'activité humaine, sous forme de modification des cours d'eau, est inextricablement liée au cycle dit «naturel» de l'eau. En tant qu'enchevêtrements dynamiques de forces naturelles et culturelles, les rivières ont le potentiel de remodeler le paysage et notre compréhension de celui-ci. Ce manifeste présente six raisons interdépendantes d'amener cette matière noire des paysages dans le domaine de l'étude archéologique.

1. Les rivières sont des artefacts culturels
Les rivières, en particulier dans les pays densément peuplés comme la Grande-Bretagne, sont parmi les caractéristiques du paysage les plus culturellement modifiées. Mais en utilisant le terme artefact, je ne veux pas seulement dire que les rivières et leur débit ont été façonnés artificiellement. Je veux dire aussi que, étant manipulés et contrôlés dans une certaine mesure, leur flux est utilisé pour façonner d'autres choses. À travers les moulins à eau, le flux a été déployé dans le passé pour façonner de nombreux matériaux et les transformer également en artefacts. Plus récemment, l'électricité produite par les centrales hydroélectriques sur les rivières a été transformée en d'innombrables utilisations pour façonner tous les aspects du monde industrialisé moderne. Le débit des rivières a même été utilisé en temps de guerre comme une arme. Les rivières modifiées et manipulées ont également changé la forme des deltas, des plaines inondables et d'autres reliefs à grande échelle.

2. Les rivières sont partiellement sauvages
Aussi façonnées, contrôlées et gérées soient-elles, les rivières ont aussi un aspect sauvage qui n'est pas entièrement prévisible, peuvent agir de manière inattendue et surprenante, et ont la capacité d'échapper au moins temporairement aux formes culturellement appliquées. Cette nature sauvage signifie que toute tentative de contrôler le flux ne sera pas simplement l'application d'une force culturelle sur une substance inerte et passive, car l'eau qui coule est un type de matière particulièrement vibrant, qui peut agir ou répondre de manière parfois imprévue et surprenante, nécessitant des contre-mesures. Cela fait de toute implication humaine avec les rivières davantage une lutte, un entrelacement, une confluence, un maillage, un assemblage ou un enchevêtrement. Quelle que soit la métaphore utilisée, c'est cette fusion dynamique de matériaux et d'agents naturels et culturels, se formant et déformant à travers le temps, qui rend l'étude archéologique des rivières si intéressante.

3. L'activité humaine et l'activité fluviale sont imbriquées
Auparavant, on supposait que l'activité fluviale et la formation des plaines inondables étaient principalement des processus naturels, donc non soumis à une analyse archéologique (culturelle). Mais il s'avère que bon nombre des modèles hydrologiques standard de l'érosion et de la sédimentation des rivières sont basés sur des études de cours d'eau qui - loin d'être naturels comme on le pensait - avaient en réalité fait l'objet de modifications humaines importantes dans le passé. Les preuves d'une intervention humaine extensive dans la morphologie des rivières et des plaines inondables sont claires pour le monde moderne, pas si évidentes pour les périodes antérieures. Pourtant, on le trouve, par exemple, dans l'Europe médiévale et le long des oueds du Proche-Orient ancien, comme des digues monumentales et des plaines inondables surélevées du fleuve Jaune en Chine. Pour leur part, les rivières se sont frayées un chemin dans le tissu même de l'existence humaine - traversant le centre des villes, sous les ponts, le long des parcs et des jardins, dans les écluses, les ponceaux et les tours de refroidissement. Les rivières coulent aussi à travers les rêves, les chansons, les dessins, les projets, les poèmes, les souvenirs et les mythes. Ils font partie de l'histoire humaine.

4. Comprendre les rivières implique de comprendre les activités humaines passées (et vice versa)
Il est maintenant temps d'en finir avec ces vieilles leçons de géographie physique et ces diagrammes omniprésents qui présentent le cycle hydrologique (évaporation → condensation → précipitations → débit → évaporation → etc.) comme des processus entièrement naturels, en quelque sorte séparés de l'activité humaine. En intervenant dans les schémas d'écoulement des rivières - soit directement (par la construction de barrages, la dérivation, le dragage, l'endiguement, le drainage, l'irrigation, etc.) ou indirectement (par la déforestation, les pratiques agricoles, etc.) - les humains ont fait partie du cycle de l'eau pendant des milliers d'années, affectant les flux de sédiments et les formations paysagères. Les rivières et les ruisseaux ont longtemps été des cyborgs (Haraway 1985) ou des hybrides (Latour 1993) – des assemblages dynamiques de matériaux, de flux et de forces, humains et non humains – tout en faisant partie d’autres cyborgs et hybrides. Les interventions humaines dans les cours d'eau sont aujourd'hui d'un ordre de grandeur beaucoup plus important, il est vrai, mais celles-ci restent sur des trajectoires historiques d'enchevêtrement homme-fleuve originaires d'un passé plus ou moins lointain. On pourrait se demander comment comprendre les fleuves et comment mettre en place des stratégies efficaces pour traiter les fleuves si ces trajectoires historiques ne sont pas prises en compte ?

5. Les rivières sont dangereuses, il est donc bon de penser avec elles
Comme lorsqu'un fleuve en crue détruit ou franchit ses rives artificielles et se creuse un nouveau chemin, l'écoulement menace toujours de rompre l'ordre culturel des choses. C'est précisément cet aspect dangereux et sauvage des rivières qui fait qu'elles sont bonnes à penser. Le flux a sa propre logique, qui fonctionne dans les tourbillons, les courants, les lignes de courant, les vortex et les turbulences, circulant autour et au-dessus de la logique des matériaux solides. Elle nous encourage à briser les polarités de pensée, telles que les oppositions rigides entre nature et culture, et à ne pas trop respecter les frontières entre différentes disciplines. Adopter une approche multidisciplinaire, s'appuyer à la fois sur les sciences naturelles et les études culturelles, passer d'une échelle d'analyse à l'autre, rechercher toujours des façons différentes de voir les choses, serait tout à fait conforme à l'archéologie des flots. Le flux lui-même nous met au défi d'adopter des formes d'investigation plus fluides et dynamiques. Penser en termes de flux conduit à mettre davantage l'accent sur les continuités – moins sur les discontinuités. Le simple fait d'introduire le flux dans le champ d'étude a le potentiel de changer radicalement notre façon de penser les choses.

6. L'eau qui coule fournit des modèles pour comprendre d'autres types d'écoulements paysagers
L'eau et la boue ne sont pas les seuls types de matériaux qui traversent les paysages archéologiques. Les personnes, les biens, l'argent, les véhicules, les troupeaux d'animaux et de nombreuses autres entités présentent des modèles de comportement fluides, laissant des traces dans les archives archéologiques. Les rivières et les ruisseaux ne sont pas non plus les seuls éléments matériels à canaliser l'écoulement. Sentiers, chemins creux, voies de procession, escaliers, halls de gare, panneaux de signalisation, berges de rue, câbles à fibres optiques, tourniquets de terrains de football, tracés de rues dans une ville et ainsi de suite – tous les flux de matériaux de chenal  d'un type ou d’un autre, l'un de ces flux étant le déplacement des archéologues eux-mêmes. Même les animaux peints dans les grottes de Lascaux attirent un flux vers eux, lorsqu'ils sont considérés à la lumière de la perspective d'un spectateur incarné se déplaçant à travers les grottes, au lieu de les étudier d'un point de vue fixe.
Que se passe-t-il si nous appliquons des modèles de flux à des preuves archéologiques qui n'étaient auparavant comprises que comme des matériaux solides ?

Références citées
Fisk, HN (1944) Enquête géologique de la vallée alluviale du fleuve Mississippi inférieur, rapport pour le US Army Corps of Engineers, Vicksburg, MS.
Haraway, D. (1985) « Un manifeste pour les cyborgs : science, technologie et féminisme socialiste dans les années 1980 », Socialist Review 80 : 65-108.
Latour, B. (1993) Nous n'avons jamais été modernes (Cambridge MA, Harvard University Press).

(*) NDT :  L’anglais « flow » est difficile à traduire ici. Le même terme signifie le débit et l’écoulement, mais ces mots ne sont pas toujours évocateurs en français. Le mot flux aurait pu être choisi, mais il a une dimension physique un peu détachée de la matérialité de l’eau (nous l’utilisons dans le corps du manifeste quand il est mieux approprié dans une phrase). Nous avons donc opté pour « flot » dans le titre, qui est aussi phonétiquement évocateur du « flow » anglais.

Remarques
Cet article est composé d'extraits d'un livre intitulé Fluid Pasts: Archaeology of Flow  de Matt Edgeworth, publié en septembre 2011 par Bristol Classical Press (Bloomsbury Academic). Le livre a commencé sa vie sous la forme d'un article intitulé «Rivers as Artifacts» écrit pour Archaeolog en 2008. Le «manifeste» a d'abord été présenté sous forme d'article lors de la session «Manifestos for Materials», TAG, Université de Bristol, 2010.

20/10/2022

La Vire, ses destructions d’ouvrages, ses sécheresses aggravées, ses migrateurs à la peine

Sur le fleuve côtier Vire comme dans de nombreuses rivières de l’Ouest de la France, les administrations et lobbies de la casse des ouvrages hydrauliques s’en sont donnés à cœur joie depuis 10 ans. On a dérasé, effacé, arasé du moulin en série, on a asséché de la retenue et du bief pareillement. Les pêcheurs en pointe du mouvement promettaient l’abondance retrouvée du poisson migrateur. Le Canard enchaîné ironise cette semaine sur le résultat en 2022 : une agglomération de Saint-Lô obligée de reposer en urgence un barrage sur la Vire pour son alimentation en eau menacée par les niveaux trop bas, et des poissons migrateurs pas en forme du tout. Nous apportons ici quelques données complémentaires sur l’évolution du saumon et de la grande alose de la Vire depuis 20 ans.  Et appelons une nouvelle fois les administrations comme les élus à changer immédiatement de politique. 


Hier on efface des ouvrages, aujourd'hui on en reconstruit en urgence. On proclame l'accélération de la transition bas-carbone mais on détruit des centrales hydro-électriques en 2022. Tout cela sur ordre du préfet, aux frais du contribuable et dans le département dont Mme Borne est l'élue... Quand va cesser le désastre de la continuité écologique destructrice?


Le Canard Enchaîné a mis de nouveau les pieds dans la mare boueuse de la continuité écologique, en évoquant la rivière Vire, en Normandie. Ce fleuve côtier est depuis 40 ans l’objet de l’acharnement de l’Office français de la biodiversité (ancien Conseil supérieur de la pêche) et du lobby des pêcheurs sportifs en vue d’en faire un des sites pilotes de la remontée des poissons migrateurs. 

Comme on le sait, ces officines affirment que les ouvrages de moulins ou de petites centrales hydro-électriques sont la première cause de disparition des grands migrateurs. Dans un premier temps, avec le plan Retour aux sources des années 1980, des passes à poissons ont été construites. Puis à compter de la fin des années 2000, la préfecture a satisfait les lobbies en exigeant également une gestion de vannes ouvertes en période de chômage des ouvrages. Enfin à partir de 2013, nous avons vu la mise en œuvre de la politique systématique de destruction des seuils sur le cours de la Vire.  Ce plan se poursuit encore en 2022, avec la démolition d'un site de production hydro-électrique. Alors même que la loi de 2021 a interdit la destruction de l’usage actuel ou potentiel des ouvrages hydrauliques, en particulier les moulins.

Un premier motif de rire (jaune) du Canard enchaîné est qu’à l’occasion de la sécheresse 2022, le gestionnaire a été obligé de construire en urgence un ouvrage de rehausse du lit là même où l’on faisait disparaitre les seuils anciens. Le niveau trop bas de la rivière menaçait l’alimentation en eau potable de Saint-Lô. Peut-être que les anciens riverains avaient compris ce phénomène mieux que la préfecture et ses clientèles ? En tout cas, comme les climatologues prédisent que de telles sécheresses ne peuvent que revenir plus fréquemment et intensément à horizon des décennies à venir, il vaudrait mieux que le gestionnaire public apporte une réponse convaincante au problème, au lieu de faire en urgence des chantiers chaque été pour compenser ce qu’il détruit. 

Les saumons et aloses ne suivent pas les attentes
Mais après tout, l’objectif de cette politique n’est pas l’humain (variable manifestement jugée négligeable par ses promoteurs), c'est le poisson migrateur. Que nous disent les chiffres à la station de comptage de Claies de Vire, où l’on enregistre chaque année la remontée de ces poissons ?

Le graphique ci-dessous montre l’évolution des remontées de saumon atlantique et de grande alose à Claies de Vire.



Que constate-t-on ?
  • Il existe une variation interannuelle forte
  • Les années à bas effectifs ne changent guère sur 20 ans, voire sont pires à la fin des mesures qu’au début
  • Le début de la destruction des seuils a été marqué par une hausse des effectifs (2013-2016) suivi par un effondrement ensuite pour les aloses et une baisse sensible pour les saumons (2017-2021)
  • En tout état de cause, on parle de la variation locale d’effectifs en restant dans le même ordre de grandeur de présence des espèces
  • Rien n’indique pour le moment un bon bilan coût-bénéfice des sommes conséquentes d’argent public dépensées et des coûts d'opportunité à ne pas avoir employé les ouvrages à des choses plus utiles (retenue d'eau, production d'énergie)
Les chiffres de 2022 ne sont pas donnés mais au dernier comptage de fin septembre, ils étaient assez catastrophiques (57 saumons, 749 aloses). Et la sécheresse 2022 n'a pas dû être très favorable à la colonisation ni à la reproduction. 

La promesse faite par le lobby des pêcheurs était pourtant simple : une fois supprimé l’ouvrage (obstacle à la montaison) et la retenue de l’ouvrage (dégradation de l’habitat), on doit voir une recolonisation du linéaire, un accès aux affluents, une hausse visible, durable et régulière des effectifs.

A date, ce n’est pas le cas. Alors on va chercher d’autres causes : les pollutions, les sécheresses, le réchauffement, la perturbation du cycle de vie en mer des poissons migrateurs, etc. Il aurait peut-être fallu y réfléchir avant. En attendant, on a détruit le patrimoine hydraulique, le paysage de vallée, le potentiel hydro-électrique bas-carbone sur la base d’une fausse promesse selon laquelle la destruction d’ouvrage serait la solution miracle pour les migrateurs.

Arrêtez le délire, vite
Nous demandons aux préfectures et aux élus de cesser ces politiques inefficaces et conflictuelles de destruction des sites des rivières, accordant un poids disproportionné à certains lobbies, nuisant à l’intérêt général et à la gestion équilibrée de l’eau, détournant une part notable de l'argent public de la biodiversité sur des espèces très ciblées au détriment d'autres enjeux. 

Nous leur demandons aussi de faire évoluer leur vision de la rivière. Que la politique publique vise à améliorer la condition des poissons migrateurs, c’est une chose normale et louable. On peut le faire sans détruire. Qu’elle nuise aux usages et patrimoines bénéfiques de la rivière à cette fin, ce n’est pas acceptable.

Par ailleurs, dans aucune politique publique de protection de la biodiversité on ne défend l’idée hors-sol que les milieux du 21e siècle pourraient retrouver les mêmes peuplements que sous l’Ancien Régime, l’Antiquité ou d’autres moments du passé. On vise à éviter l’extinction d’espèces, ce qui est évidemment légitime et nécessaire, mais pas à revenir aux effectifs de ces espèces dans le passé. Ce qui vaut pour l’ours ou le loup vaut pour le saumon ou l’alose : le projet de détruire et réprimer l’occupation humaine des bassins versants en vue uniquement de maximiser des poissons migrateurs sur chaque tronçon de rivière est un projet aberrant. C’est aussi un projet mono-orienté qui peut être nuisible à d’autres formes de biodiversité s’il menace la rétention d’eau et aggrave les rivières à sec sans zone refuge : on l'a observé un peu partout à l’occasion des sécheresses récentes. 

Il faut en prendre conscience et réviser la politique des cours d’eau, en s’attaquant à ce qui inquiète bien davantage les populations, et de nombreux chercheurs : la pollution de l’eau, le risque de sécheresse et de crue, le changement climatique. Or pour toutes ces politiques, l’ouvrage hydraulique est un allié à mobiliser, pas une réalité à faire disparaître. 

A lire sur le même thème :

Quelques travaux scientifiques :