06/11/2022

Le combat pour le droit des rivières, des zones humides et des ouvrages hydrauliques

Longtemps, le monde des propriétaires et riverains d’ouvrages hydrauliques n’a pas été très à l’aise avec le droit, en particulier le recours en justice. Si une préfecture menait une politique, celle-ci était forcément légale et légitime dans ses décisions – un jugement résigné que démentent pourtant de nombreuses condamnations de l’Etat et de ses administrations par les cours de justice. Non seulement il est nécessaire de saisir le juge pour défendre le droit des rivières, des zones humides et des ouvrages hydrauliques, mais il faut aussi envisager le droit comme un outil d’affirmation de notre vision sur ces sujets, une vision que nous pensons partagée par la majorité des citoyens. Nous exposons ici quatre engagements pour devenir acteurs du droit, et non sa cible passive. 


Partout en France, des personnes, des associations et des collectifs défendent les aménagements de la rivière et leurs usages, qu’ils s’agissent de moulins, d’étangs, de plans d’eau, de patrimoines historiques. Partout en France  aussi, des syndicats défendent des usages liés à ces ouvrages, comme la production d’énergie, l’irrigation ou la pisciculture. 

Mais contre quoi se défendent-ils ? Contre des évolutions du droit qui ont permis à des administrations publiques de remettre en cause ces réalités, ces cadres de vie, ces sources de revenus, de propager une certaine vision idéologique de l’eau qui n’est pas la vision de ces citoyens, parfois de détruire et assécher ces patrimoines et ces milieux. Dans une société démocratique moderne, l’action est encadrée par le droit : si une administration se permet de valider la destruction d’une retenue et d'un bief de moulin, l’assèchement d’un étang, la disparition d’un plan d’eau, la remise en question d'un béal d'irrigation, c’est qu’il a existé un arrière-plan juridique laissant penser à cette administration que son action est légale et légitime.

Les questions de droit interviennent dans quatre occasions différentes : lorsque l’on doit lutter contre une injustice ou une infraction, lorsque l’on veut clarifier le sens de la loi, lorsque l’on veut préciser la hiérarchie de normes contradictoires, lorsque l’on veut produire de nouvelles normes. 

Combat contre l’injustice, l’abus de pouvoir, l’infraction aux lois
Cette circonstance est celle qui a de plus en plus mobilisé le monde des moulins, étangs, plans d’eau depuis dix ans : il est manifeste qu’une fraction de l’administration «eau et biodiversité» avait comme objectif d’aller très au-delà des textes de lois dans le domaine des ouvrages hydrauliques. En l’occurrence, elle avait l’objectif de détruire ces ouvrages et leurs milieux, alors que jamais les lois n’avaient envisagé cette issue. Une objectif aussi de «renaturation», terme absent du droit et passablement flou, sinon arbitraire, dans ses définitions. Cette position était d’autant plus inacceptable qu’une administration non élue n’a pas la légitimité populaire du suffrage pour asseoir son pouvoir : elle est là pour exécuter les lois, non pour les interpréter à sa guise. Par ailleurs, des chantiers non conformes à la loi ou à la réglementation sont en infraction pure et simple, ce que tout citoyen doit dénoncer dans un état de droit. Le premier combat pour le droit, c’est de saisir le tribunal lorsque l’on constate des erreurs d’appréciation, des abus de pouvoir, des ignorances de la loi. Il faut certes souvent 5 à 7 ans pour voir son cas passer au conseil d’Etat. Mais en cas de victoire – et nous en avons eu quelques-unes –, obligation est faite à l’administration (ou autre acteur concerné) de cesser ses dérives.

Combat pour améliorer l’interprétation du droit
Les lois françaises et les directives européennes (le droit positif, codifié) donnent des indications générales sur les normes. Mais ces normes sont sujettes à interprétation quand elles rencontrent des cas concrets. C’est le travail des juges et ce travail produit ce que l’on appelle la jurisprudence, c’est-à-dire la manière dont il faut interpréter l’énoncé des lois et des codes, à travers les décisions de justice. Les jurisprudences comme les lois évoluent, notamment par le fait que des justiciables présentent de nouveaux cas aux juges (ou que de nouvelles circonstances changent l’idée que l’on avait de la réalité). Prenons un exemple concret : une zone humide telle qu’elle est définie dans l’article L 211-1 du code de l’environnement peut aussi bien définir un habitat humide d’origine anthropique (artificielle) que naturelle. La distinction n’a d’ailleurs pas de sens puisque l’intérêt réside dans des propriétés et fonctionnalités de milieux humides, pas dans leur origine par le fait de l’homme ou non. Mais dans la mise en application des lois par les administrations, on constate actuellement l’indifférence aux zones humides artificielles, voire leurs destructions et assèchements. Porter plainte en ce cas, c’est essayer d’obtenir des cours de justice une jurisprudence qui va obliger à préciser le sens du code de l’environnement, donc empêcher certains chantiers délétères.

Combat pour définir des priorités dans le droit
Le droit est cumulatif : les Etats modernes ont une complexité croissante car ils accumulent des lois et des jurisprudences, en ajoutent davantage qu’ils n’en retranchent. Cette complexité est accrue par la construction européenne, qui crée une couche de droit communautaire s’imposant aux droits nationaux (avec plus ou moins de liberté de mise en œuvre). Or ce droit protéiforme finit par accoucher de contradictions internes, entre des dispositions anciennes et nouvelles, ou même entre des politiques divergentes (car les administrations publiques en silo ne communiquent pas assez entre elles avant de proposer des législations). Un exemple: faut-il donner priorité à l’ouvrage hydraulique comme outil de rétention d’eau et production d’énergie (ce qui fait partie des objectifs de la loi) ou donner priorité à la protection de poissons migrateurs qui peuvent être impactés par des ouvrages hydrauliques (cela fait aussi partie des objectifs) ? Quand des contradictions se font jour, ce qui se traduit en général par des conflits locaux et sociaux, le droit est ce qui permet de trancher en formalisant la hiérarchie de ses normes et en retrouvant une cohérence. 

Combat pour créer des normes dans les textes législatifs
Le droit incorpore sans cesse de nouvelles idées, de nouveaux concepts, in fine de nouvelles réalités. Par exemple, la «continuité écologique» était absente du droit français avant 2006, elle y a été introduite. Comment ? Par un travail en amont de documentation et de réflexion sur des choses à intégrer dans les lois, en lien notamment avec la connaissance scientifique et technique, aussi par un travail d’information et d’influence sur ceux qui produisent concrètement le droit (par exemple les hauts fonctionnaires dans la construction de projets de loi, les parlementaires dans l’examen de ces projets ou dans leurs propres propositions de loi). Le droit de l’environnement en France et en Europe a souvent été construit sur la base d’une séparation voire opposition de la nature et de la société (ce que l’on nomme une «ontologie naturaliste»). Il y aurait la nature d’un côté (vue comme normalement sans humain), la société de l’autre (vue comme impact potentiel), et le droit de la nature serait plus ou moins une répression de libertés ou d’actions sociales. Mais on pourrait penser le droit de l’environnement autrement car en fait, on observe dans la réalité des «faits hybrides» qui émergent de la rencontre entre nature et société. Des chercheurs et des penseurs observent déjà cette réalité de l’hybridation nature-culture, sans que celle-ci soit présente dans le droit (ni dans la réflexion des hauts fonctionnaires, des parlementaires qui font le droit). Voilà typiquement des idées normatives à porter pour le mouvement des ouvrages hydrauliques – ouvrages qui se trouvent être de tels objets «hybrides», mais qui n’ont pas d’existence juridique pensée sous cet angle. En ce moment même, nous essayons de sensibiliser le législateur européen à cette vision plus complexe et plus riche des rivières, autrement que comme réalité naturelle dont l’humain serait dissociable. 

Conclusion : le droit est une construction humaine 
La droit est une construction humaine, ce n’est pas l’expression d’une vérité divine ou naturelle. Du même coup, le droit est aussi pris dans les divergences et les antagonismes des humains sur ce qui est souhaitable, désirable, préférable. Nous parlons de «combat» pour souligner ce trait : ne rien faire, c’est laisser d’autres définir ce que vous êtes dans le droit. Ou ce que vous n’êtes pas, en vous rendant invisibles au droit. Les associations, les ONG et les autres organisations de la société civile comprennent cela : elles existent pour la reconnaissance de leurs objets vécus, reconnaissance dans le droit et par le droit. C’est ce qui a manqué aux ouvrages hydrauliques, à leurs milieux, à leurs espèces inféodées, à leurs usages, à leurs patrimoines immatériels et plus généralement aux formes hybrides de l’eau. C’est ce sur quoi nous devons mener ensemble un travail à long terme. 

PS : la modération du droit, notamment positif, serait sans doute préférable à sa prolifération. En effet, changer le droit pour y introduire sans cesse des idées nouvelles au lieu de laisser davantage de place à l’expérience et à l’observation peut introduire des erreurs et des coûts évitables. De ce point de vue, les pays dits de «common law» accordent moins de place au droit écrit dans la loi et davantage au droit prononcé par le juge. La jurisprudence y est vue comme adaptation au cas par cas, souple, de normes restant rares. Mais la France et l’Europe ont une activité normative plus importante que les pays de common law, ce qui veut dire qu’elles énoncent beaucoup de normes dans  la loi et la codification de la loi. En tant qu’acteurs sociaux, nous ne choisissons pas le «terrain de jeu». A partir du moment où les appareils publics sont dans cette disposition d’esprit normative, nous devons intervenir sur ces normes, pointer celles qui nous paraissent problématiques afin de les réformer et proposer celles qui nous paraissent préférables afin de les faire advenir dans le droit. 

05/11/2022

Les agences de l’eau aiment finalement les obstacles à l’écoulement

Le média des agences de l’eau publie un éloge du castor comme ingénieur des rivières permettant d’atteindre le bon état des eaux et de s’adapter au réchauffement climatique. Problème : ce castor fait exactement ce que les agences de l’eau dénoncent comme le diable depuis vingt  ans, à savoir des obstacles à l’écoulement (barrages), des plans d’eau larges et à écoulement lent.


Quelle fut notre surprise de voir Sauvons l’eau!, le média en ligne des agences de l’eau, flatter cette semaine le retour des castors sur les rivières et l’utilisation de ce rongeur aquatique pour restaurer la qualité des cours d'eau. 

Rappelons ce qui se passe quand une colonie de castors s’installe sur une rivière
  • Des barrages sont construits sur les territoires de chaque castor, formant une succession d’obstacles à l’écoulement
  • Ces barrages forment en amont des plans d’eau qui sont semi-lotiques en hiver et lentiques en été
  • Ces plans d’eau élargissent le lit naturel de la rivière
  • En été, ces plans d’eau tendent évidemment à être plus chauds et à évaporer davantage
  • Ces plans d’eau ont un fond souvent limoneux, qui sédimentent davantage, ce qui explique pourquoi ils épurent certains intrants indésirables
  • Les plans d’eau rehaussent la nappe et aident parfois à des débordements en lit majeur, ce qui est jugé bon pour la ressource en eau
Or, toutes ces propriétés des barrages et retenues de castors sont partagées avec les barrages et  retenues des humains, surtout quand on parle des chausses anciennes de moulins, ayant souvent une dimension du même ordre que les barrages de castor. Au demeurant des chercheurs l’ont admis en comparant les effets fonctionnels (voir Hart el 2002).

Mais voilà, les bureaucraties publiques ont quelques difficultés à concilier le bon sens et la cohérence intellectuelle avec les diktats politiques de leur ministère de tutelle. Dans un cas, ces propriétés de petits barrages et plans d'eau sont réputées excellentes pour la rivière, ses fonctionnalités et la diversité de ses écoulements; dans l’autre cas, elles sont réputées de terribles altérations hydromorphologiques qui nuisent au bon état des eaux.

La conclusion est simple : nous sommes en présence non d’un raisonnement de bonne foi, mais d’un préjugé naturaliste  qui va dire blanc ou noir sur le même sujet et pour les mêmes observables selon que l’on est en présence d’un fait «naturel» ou d’un fait «artificiel». Ce qui a particulièrement peu de sens dans le cas du castor qui, comme l’humain, est un ingénieur de milieux créant des artifices (barrages) pour modifier la rivière. 

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03/11/2022

Biefs et canaux, les grands oubliés du débat sur la continuité des rivières

Le débat sur la continuité écologique des rivières s'est focalisé sur l'ouvrage hydraulique barrant le lit mineur, que ce soit une chaussée, un seuil ou un barrage. Eventuellement sur sa retenue en amont. Mais on a oublié que dans de nombreux cas, cet ouvrage dérive un canal appelé bief ou béal. Il sert à la production d'énergie dans le cas des moulins, à l'irrigation dans le cas de l'agriculture traditionnelle, parfois à des agréments urbains lorsque le canal traverse la ville. Dans les campagnes, il n'est pas rare que le bief soit de bonne longueur et représente à lui seul un milieu aquatique avec des marges humides. Mais les services instructeurs de la biodiversité montrent souvent une indifférence complète à cette réalité. Le motif de ce mépris: tout ce qui est "artificiel" n'aurait aucun intérêt, le seul objectif est la rivière "naturelle". Une erreur dont il faut sortir, y compris pour conseiller les propriétaires et riverains de canaux et biefs sur la bonne gestion écologique et hydraulique de ce milieu.



Le mot bief (langue d'oïl) ou béal (langue d'oc) désigne un canal dérivé d'un ouvrage hydraulique sur la rivière. Le plus souvent, ce canal dessert un moulin, qui produisait (ou produit encore) de l'énergie à partir d'une chute. Ce peut être aussi une usine hydro-électrique. La fonction du bief est alors de créer une chute, de hauteur à peu près équivalente au dénivellé entre la prise d'eau du bief en amont et la restitution d'eau du bief en aval. Parfois, le canal sert à l'irrigation et dérive dans des parcelles agricoles qui se partagent un droit d'usage de l'eau (béalières du Midi, par exemple). Il arrive aussi que les ouvrages hydrauliques servent à des canaux urbains, jadis pour des usages usiniers et des évacuations de déchets, désormais surtout avec des fonctions d'agrément, de fraîcheur en été parfois d'arrosage des jardins.

La longueur des biefs est très variable. Certains ouvrages dérivent un canal d'une dizaine de mètres seulement, juste pour permettre la chambre d'eau ou le radier de roue d'un moulin. Mais parfois le canal peut faire plusieurs kilomètres. A notre connaissance, il n'existe aucune statistique disponible sur le linéaire total des biefs et canaux en France.

Les canaux et biefs sont les grands oubliés des discussions sur les ouvrages hydrauliques, la continuité écologique et la restauration de rivières. Les analyses se focalisent sur l'ouvrage barrant le lit mineur de la rivière (seuil, chaussée , barrage), sur la retenue / plan d'eau d'eau dans le lit mineur de la rivière, mais le bief lui-même est rarement considéré. Dans les travaux de bureaux d'études procédant à la restauration de continuité écologique, le bief est mentionné mais il est très souvent laissé de côté et ne fait l'objet d'aucune investigation poussée. 
  • On n'étudie pas sa longueur, sa profondeur, ses berges, ses sédiments, sa faune ni sa flore, son hydraulicité. 
  • On ne regarde pas s'il est associé à des zones humides (ni s'il faut le considérer comme zone humide ou cours d'eau lui-même).
  • On ne mesure pas son fonctionnement en crue et en sécheresse.
  • On n'analyse pas sa connexion aux nappes d'accompagnement.
  • On ne s'intéresse pas à ses usages sociaux.
Nous connaissons l'origine de cette indifférence : l'idéologie actuelle de la "restauration de rivière" ou "renaturation" considère que tout milieu d'origine artificiel est sans intérêt. Inutile de l'étudier, inutile de le conserver, ce n'est pas grave si les travaux font disparaître 100 mètres ou 1000 mètres de milieux aquatiques et humides liés à un bief, ainsi que les fonctions hydrologiques de ce canal.


Exemple d'un système complexe de biefs dans une rivière de zone rurale (Ource, Côte d'Or). On voit que le linéaire en eau des biefs est supérieur à celui de la rivière, et que ces biefs forment des annexes de cette rivière dans le lit majeur (souvent les dernières avec les fossés, quand on a drainé les zones humides lors des siècles passés).

Il va sans dire que nous considérons cette vision comme délétère pour la ressource en eau comme pour les milieux aquatiques. En particulier quand on parle de biefs de moulin ou de canaux d'irrigation qui ont plusieurs siècles d'âge et qui ont souvent donné lieu à des processus de renaturation partielle spontanée, donc qui se rapprochent fortement de ces milieux dits naturels que l'on juge seuls dignes d'intérêt. Ce cas est assez fréquent dans les campagnes. 

Il nous est arrivé de voir des biefs charmants et complexes de plus d'un kilomètre mis à sec sans la moindre étude au nom du dogme de l'intérêt unique du lit mineur de la rivière. Ce sont les ravages de l'idéologie. Car quand nous disions à nos interlocuteurs que la moindre des choses était d'étudier ce milieu avant de le détruire, photos  à l'appui sur des habitats et peuplements d'intérêt, nous rencontrions un silence buté et un déni de réalité. Tout ce qui disjonctait le dogme "un milieu naturel c'est bien; un milieu artificiel c'est mal" ne parvenait pas à se frayer un chemin dans l'esprit des gestionnaires de rivières concernées. Ce n'était pas marqué dans le manuel, donc ce ne pouvait être vrai. Ce n'était pas non plus l'idéologie dominante de l'Office français de la biodiversité, dont le seul intérêt était centré sur les lits mineurs et leur restauration en cours d'eau lotique, le reste étant négligé (et donc sans examen dans l'instruction des dossiers). Un vrai problème puisqu'en cas de contentieux, le juge administratif (qui n'est pas un spécialiste) a tendance à suivre ce que dit l'OFB sans se poser trop de questions. Il faut alors faire des contre-expertises, mais elles coûtent cher si elles sont réalisées par des entreprises spécialisées, alors que le rôle d'un établissement public devrait être un inventaire objectif et complet des réalités.

Le problème est qu'à détruire les ouvrages en lit mineur, on réduisait la rivière à ce seul lit, on asséchait les biefs formant les annexes latérales, on perdait sur surfaces parfois considérables de milieux aquatiques et humides, ainsi que des annexes appréciables en diversion de crue, alimentation en eau du lit majeur, approvisionnement de la nappe et des aquifères.  


Biefs et canaux urbains, souvent dérivés d'anciens ouvrages usiniers.

Cette position de déni des biefs et canaux est d'autant moins soutenable qu'une littérature scientifique convergente dit que les milieux aquatiques d'origine artificielle peuvent aussi avoir de l'intérêt pour la biodiversité (même de simples fossés, a fortiori des biefs anciens). C'est aussi vrai des fonctionnalités, comme l'aide à la prévention des crues par diversion latérale, des sécheresses par diffusion de l'eau dans les berges et les sols (télécharger notre dossier de synthèse sur quelques-uns de ces travaux). Sans parler des dimensions sociales d'agrément et de l'aide à l'adaptation climatique, par exemple quand les canaux urbains réduisent les chaleurs pénibles des canicules.

Il est donc nécessaire que l'instruction administrative des ouvrages hydrauliques intègre pleinement la réalité des canaux et des biefs, en visant leur étude, leur préservation et leur bonne gestion. Les milieux anthropiques ne doivent plus être délaissés; ils sont issus de plusieurs siècles voire millénaires d'évolution des lits, ce qui rend peu sensé de les opposer à une nature antérieure qui serait idéalement vierge de présence humaine. Ces canaux et biefs ont un potentiel très intéressant pour l'environnement et la société, mais l'indifférence à leur encontre nous prive actuellement d'une valorisation intelligente.

01/11/2022

Le conseil d’Etat censure à nouveau le ministère de l’écologie et restaure la démocratie riveraine

Nouvelle victoire en justice pour l’association Hydrauxois et ses co-plaignantes : le décret scélérat du 30 juin 2020 est annulé. Ce décret créait un régime d’exception pour les chantiers dits de «renaturation», empêchant toute  étude d’impact environnemental pour vérifier les effets réels des travaux  et toute enquête publique pour donner la voix aux riverains concernés. Un mépris incroyable pour les droits des citoyens, pour les attentes sociales, pour les patrimoines historiques, pour les milieux en place. Ce coup de force voulu par la direction eau & biodiversité du ministère de l’écologie est annulé par le conseil d’Etat, rappelant que les travaux modifiant les écoulements ont des impacts sur la sécurité publique et les inondations, ce seul moyen juridique suffisant à établir l’illégalité du décret, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres problèmes créés par lui. Le ministère de l’écologie doit changer de logiciel sur les rivières et plans d’eau : nous refusons une idéologie aveugle et dogmatique d’un soi-disant retour à la nature d’antan, nous exigeons des projets prenant en compte toutes les dimensions de l’eau, démontrant qu’ils ont un intérêt social et écologique, répondant à une adhésion citoyenne.



Le 30 juin 2020, le gouvernement promulguait un décret n° 2020-828 définissant les travaux de «restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques» relevant de la rubrique 3.3.5.0. de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1 du code de l’environnement. L’effet concret de ce décret était de supprimer l'autorisation administrative avec étude d’impact environnemental et enquête publique pour ces travaux, quand bien même ils modifiaient plus de 100 m de cours d’eau ou de plans d’eau installés sur cours d’eau. 

L’association Hydrauxois et ses co-plaignants (Fédération des moulins de France FDMF, Fédération des moulins FFAM, Association des riverains de France, France Hydro Electricité, Union des étangs de France) ont déposé une requête en annulation de cet article du décret. Le conseil d’Etat vient de leur donner raison. 

Le conseil d’Etat se contente d’étudier un seul des moyens avancés, le non-respect de l’article L 214-3 du code de l’environnement, en citant expressément le problème que peuvent poser des arasements de digues et barrages : 
« Il résulte des dispositions de l’article L. 214-3 du code de l’environnement (…) que les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles notamment de présenter des risques pour la santé et la sécurité publiques, ou d’accroître notablement le risque d’inondation, doivent être soumis à autorisation. Si, ainsi que le soutient le ministre de la transition écologique, la création, dans la nomenclature des installations, ouvrages, travaux et activités ayant une incidence sur l’eau ou le fonctionnement des écosystèmes aquatiques, de la rubrique 3.3.5.0 regroupant les travaux ayant uniquement pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques et la soumission de ces travaux à un régime de déclaration a été prévue pour répondre à l’objectif de simplifier la procédure pour des projets favorables à la protection de ces milieux, au renouvellement de la biodiversité et au rétablissement de la continuité écologique dans les bassins hydrographiques, il ressort des pièces du dossier que certains de ces travaux, notamment quand ils ont pour objet l’arasement des digues et des barrages, mentionné au 1° de l’article 1er de l’arrêté du 30 juin 2020, auquel renvoient les dispositions litigieuses du décret attaqué, sont susceptibles, par nature, de présenter des dangers pour la sécurité publique ou d’accroître le risque d’inondation. Par suite, en soumettant à déclaration tous les travaux ayant pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques, indépendamment des risques et dangers qu’ils sont susceptibles de présenter, les dispositions du h) de l’article 3 du décret attaqué méconnaissent l’article L. 214-3 du code de l’environnement. »

Normalement, l’annulation d’un acte administratif implique que cet acte est réputé n’être jamais intervenu. Mais si les conséquences de cette rétroactivité sont complexes à gérer, le juge peut transiger. En l’occurrence, sauf pour les projets ayant donné lieu à contentieux avant le prononcé de cet arrêt du conseil d’Etat, celui-ci prendra effet à compter du 1er mars 2013.
« Eu égard aux conséquences manifestement excessives de l’annulation rétroactive des dispositions du h) de l’article 3 du décret attaqué, ainsi que de l’arrêté du 30 juin 2020, en raison notamment de l’intérêt général qui s’attache au maintien des travaux qui ont fait l’objet d’une déclaration en application de ces dispositions ou dont la demande de déclaration est en cours d’instruction, il y a lieu de différer l’effet de leur annulation au 1er mars 2023 et de préciser que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, les effets des dispositions litigieuses doivent être regardés comme définitifs. »

Les dérives scandaleuses de la direction eau & biodiversité du ministère de l'écologie à nouveau condamnées par la justice
Cette nouvelle victoire censure les manœuvres honteuses de la direction eau & biodiversité du ministère de l’écologie. Le décret du 30 juin 2020 prétendait en effet :
  • Eliminer la démocrate riveraine en affirmant qu’un projet supposément «écologique» était au-dessus des règles ordinaires et permettait de modifier les cadres de vie riverains comme les milieux en place, sans aucune concertation ni analyse sérieuse.
  • Détruire à marche forcée le patrimoine historique et hydraulique, mais aussi les habitats anthropiques, les fonctionnalités écologiques et le potentiel hydro-électrique attachés aux ouvrages en place souvent de très longue date.
  • Torpiller le processus de continuité écologique dite "apaisée" (sic) puisque, promulgué en pleine concertation au comité national de l’eau, ce décret avait montré la mauvaise foi des hauts fonctionnaires du ministère et leur indifférence complète aux arguments des associations de moulins, étangs, plans d’eau, riverains, ou des syndicats d’hydro-électricité.
Le résultat de cette tentative de passage en force est évidemment désastreux pour ses auteurs : 
  • Le ministère de l’écologie se trouve à nouveau censuré, nouvelle preuve de son abus de pouvoir récurrent sur ce sujet des ouvrages hydrauliques, de leurs usages et de leurs milieux. 
  • Les agents publics sous la tutelle de ce ministère se trouvent à nouveau fragilisés, car leur direction administrative montre de la confusion et de la précipitation, sans être capable de prendre la mesure de diverses contradictions entre l’idéologie de la «renaturation» et le droit.
Il est temps de sortir du désastre lié à une vision aveugle de la «restauration de milieux» s’estimant systématiquement au-dessus des lois depuis 10 à 15 ans :
  • Tous les manuels de génie écologique rappellent que les travaux sur les écoulements, même ayant pour finalité un gain écologique supposé, ont des effets notables sur les milieux et les cadres de vie dont certains négatifs (changement de régime crue-sécheresse, fragilisation des fondations bois et rétraction agrile, fragilisation des berges, incision du lit, baisse de la nappe d'accompagnement, etc.). Un chantier est un chantier, qu'il s'inspire de l'écologie ne garantit absolument pas l'absence d'erreurs, de troubles ou de dommages.
  • De nombreux travaux scientifiques montrent que les habitats anthropiques attachés à des ouvrages ont des fonctionnalités écologiques, des services écosystémiques, des biodiversités faune-flore, donc il faut évidemment étudier l’ensemble avant d’intervenir.
  • La doctrine juridique française de l'eau n'est pas le retour à la nature sauvage, comme semblent le penser certains personnels publics un peu égarés entre leurs convictions personnelles et le droit s'imposant à leur fonction, mais la gestion équilibrée et durable prenant en compte différentes aspirations et différentes dimensions de l'eau
  • Ce chantiers sont essentiellement financés sur argent public et au nom d’un intérêt général, c’est aux riverains de donner leur avis en étant correctement informés.
Le ministère de l’écologie doit ainsi prendre la mesure du désastre de sa politique de restauration écologique des rivières, qui a focalisé les oppositions depuis 10 ans dès lors qu’elle était dans une indifférence complète à la dimension historique, paysagère, usagère et sociale de nos rapports à l’eau. Nous appelons à nouveau, de la manière la plus pressante, Christophe Béchu et Agnès Pannier-Runacher à supprimer les directives, circulaires, décrets et arrêtés qui sont devenus caducs suite à l’évolution des lois et suite aux décisions des cours de justice, pour les remplacer par une nouvelle directive aux agents eau & biodiversité qui soit conforme au droit. Le pourrissement de la situation et le désordre complet des instructions administratives ne sont plus une option

Pour action, que peuvent faire les citoyens?
Concrètement, deux cas de figure intéressent cette décision du conseil d'Etat:
  • Si vous êtes déjà engagés sur un contentieux de destructions d’ouvrages ou de modification d’un lit de rivière réalisé au nom de la restauration écologique et sans avoir respecté les anciennes dispositions (donc un chantier entre le 1er septembre 2020 et le 31 octobre 2022), vous pouvez vous prévaloir de l’abus de pouvoir qui consistait à supprimer l'autorisation administrative, l’étude d’impact et l’enquête publique.
  • Si vous avez sur votre bassin versant un projet en cours d’étude qui vise à modifier plus de 100 m de cours d’eau (ou plan d'eau sur cours d'eau), vous devez immédiatement saisir le maître d’ouvrage du projet (souvent un syndicat de rivière, parfois un parc naturel, une intercommunalité ou une fédération de pêche) ainsi que le préfet pour exiger le respect des procédures antérieures au décret du 30 juin 2020.
Nous proposerons prochainement une lettre-type à adresser aux syndicats de rivière et aux préfets, pour tous les collectifs citoyens et toutes les associations aujourd’hui en lutte contre les casseurs d’ouvrages hydrauliques, les destructeurs de patrimoines sociaux, les liquidateurs de potentiel hydro-électrique, les assécheurs de milieux aquatiques et humides. Le combat pour la démocratie riveraine continue: nous le gagnerons ensemble !

Référence : Conseil d’Etat, arrêt n° 443683, 443684, 448250, 31 octobre 2022

Merci de votre soutien, d'autres procédures sont engagées!
L’association Hydrauxois remercie ses adhérents, qui lui permettent de mener ces combats juridiques pour rétablir la démocratie riveraine et défendre une vision moins dogmatique sur les patrimoines de l’eau. Nous invitons tous nos lecteurs à nous rejoindre et nous soutenir (adhésion à ce liendon paypal à ce lien) car nous demandons aussi à la justice l’annulation des six SDAGE 2022, reflets de cette idéologie autoritaire et dévoyée de la «renaturation» sans concertation, et nous avons d'autres contentieux sur des chantiers locaux  délétères de destruction de patrimoines, paysages et milieux d’intérêt. Nous menons ce travail en justice pour essayer de traiter à la racine les problèmes normatifs liés à ces dérives de la politique de l'eau, et aider ainsi les citoyens qui, localement, sont souvent désemparés, sans habitude de se défendre au tribunal, parfois sans moyens de le faire. 

31/10/2022

Lettre ouverte aux parlementaires sur la nécessité de la relance hydro-électrique en France

L'association Hydrauxois envoie une lettre ouverte aux députés et aux sénateurs à propos de la place de l'énergie hydraulique dans la future loi d'accélération des énergies renouvelables, et au-delà dans l'énergie du 21e siècle pour notre pays. Les sénateurs diront cette semaine si, oui ou non, ils passent outre le blocage du gouvernement sur les amendements en faveur du déploiement  de l'hydro-électricité. Et engagent ainsi pleinement les rivières françaises dans l'effort de décarbonation de notre énergie. 


Mesdames et messieurs les parlementaires,

L’énergie de l’eau est la plus ancienne des énergies renouvelables, qui s’est développée au fil des deux derniers millénaires, s’est adaptée aux évolutions de l’économie et de la société, et s’est insérée dans le paysage de nos bassins versants. Elle est un pilier indispensable de la transition bas carbone qui vise à libérer la France et l’Europe du fossile d’ici 2050.

Et pourtant, dans un incroyable contre-sens historique, le gouvernement et son administration entravent cette énergie quand ils ne la font pas purement et simplement disparaître de nos territoires et de leurs cours d’eau.

L’été dernier, la France a achevé de détruire les barrages EDF de la Sélune, qui produisaient une énergie bas-carbone depuis près de 100 ans, et formaient deux lacs d’eau potable et de loisir. On dépense 50 millions d’euros d’argent public pour démolir notre patrimoine commun. Contre l’avis des riverains et des élus locaux. Derrière ces grands barrages publics, des milliers de moulins et petites usines hydro-électriques ont aussi été rasés sur les rivières françaises, et continuent de l’être aujourd’hui même.

Détruire ces ouvrages utiles en pleine pénurie d’eau et d’énergie, c’est un scandale public. Les riverains en sont outrés.

L’espoir derrière ces destructions est certes généreux, et nous en partageons le motif : mieux protéger des poissons grands migrateurs. Sauf qu’il existe des méthodes non destructrices et efficaces qui parviennent à ce résultat. Que ces poissons étaient encore là quand les moulins parsemaient nos rivières en plus grand nombre. Et que là où des ouvrages ont été détruits, hélas, les sécheresses, les pollutions, les faibles niveaux d’eau ne permettent pas le retour en nombre de ces migrateurs. Opposer l’ouvrage hydraulique au poisson migrateur, opposer la biodiversité au climat, ce n’est pas la bonne solution. Il faut concilier ces enjeux, et avancer. 

En réalité, la France est le seul pays qui s’est flatté dès les années 2000 de copier les Etats-Unis et d’engager cette politique radicale de destructions de barrages hydro-électriques. Mais comment un pays qui a recours massivement aux énergies fossiles les plus sales pourrait-il être notre modèle en ce domaine ? Quel sens peut avoir l’importation de l’éloge américain  du «retour à la vie sauvage» pour nos autres Européens, qui vivons avec nos rivières depuis des millénaires, dans une culture un peu moins simpliste que l‘opposition du sauvage et de la société ? Qui peut tout simplement croire qu’utiliser l’argent du contribuable à détruire des moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques en 2022 est une bonne politique publique face aux incroyables défis écologiques, sociaux et économiques qui sont devant nous ? 

L’hydro-électricité est non seulement très bas-carbone, mais elle a le plus fort score de popularité des énergies, avec 90% d’image positive dans le sondage SER réalisé pour alimenter la réflexion des élections présidentielles. Or aujourd’hui, quand l’administration de l’eau ne détruit pas, elle assomme de coûts et de procédures qui rendent impossible une chose simple comme la relance d’une roue ou d’une turbine au droit d’un moulin ou d’une petite usine déjà autorisés. Songez que certains de nos adhérents ont dû se battre 5, 6, 7 ans en justice pour que le conseil d’Etat condamne finalement les entraves de l’administration et les autorise à produire de manière propre et durable! Connaissez-vous un autre exemple de répression de citoyens qui s’engagent pour le climat, y investissent leur argent et leurs efforts?

Le plus irritant pour ces citoyens que nous représentons, c’est que le parlement a déjà été saisi de ces problèmes ces dernières années, qu’il a déjà légiféré pour remettre de l’ordre dans ces pratiques. Cela de manière transpartisane car, comme les Français, les parlementaires de tous bords sont largement convaincus de l’intérêt de l’hydro-électricité.

Ainsi dans la loi auto-consommation de 2019 , le parlement a demandé de mobiliser la petite hydro-électricité face à l’urgence climatique et écologique ; dans la loi climat et résilience de 2021, le parlement a décidé d’interdire la destruction de l’usage actuel et potentiel des ouvrages hydrauliques, face aux risques des sécheresses comme face aux nécessités de la transition énergétique.

Mais rien n’y fait. 

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Aujourd’hui nous sommes engagés dans les conséquences graves d’une guerre sur le sol européen. Nous affrontons des pénuries et des inflations, douloureuses pour les ménages et les entreprises. Le gouvernement présente de manière judicieuse un projet d’accélération des énergies renouvelables : l’hydro-électricité en est encore la grande oubliée (pas la seule), alors qu’elle est parmi les plus entravées. 

Ce n’est pas normal. Il faut donc aller plus loin pour faire comprendre le message.
  • Nous vous demandons de reconnaître l’hydro-électricité comme d’intérêt public majeur, quelle que soit la puissance mobilisée par les porteurs de projets, en conformité avec la décision du conseil constitutionnel de 2022 ayant défini le patrimoine hydraulique et l’énergie hydro-électrique comme d’intérêt général.
  • Nous vous demandons de mobiliser par la loi les agences de l’eau et établissements publics de bassin pour associer la continuité écologique à la relance énergétique, donc gagner sur les deux tableaux, biodiversité et climat.
  • Nous vous demandons de simplifier la relance des dizaines de milliers d’ouvrages de moulins et petites usines déjà autorisés, déjà en place, qui ne créent aucun impact nouveau, qui n’artificialisent pas et qui doivent être encouragés à participer à l’effort commun de production bas-carbone.

Par avance et au nom de tous nos adhérents, nous vous remercions de votre intérêt et de votre engagement pour cet enjeu d’intérêt général !