24/02/2023

Eau, biodiversité et adaptation climatique selon l'IGEDD

L'inspection générale de l'environnement et du développement durable a produit un rapport sur l'adaptation au changement climatique, qui vient d'être rendu public par le ministère de l'écologie. Nous publions son extrait sur le domaine de l'eau, précédé de quelques observations critiques. 

Le changement climatique devient perceptible et a des effets sur nos conditions de vie. L'eau est un domaine critique, puisque cette ressource est indispensable à la société, à l'économie, au vivant.

Le rapport de l'IGEDD synthétise les vues dominantes des expertises actuelles. Toutefois, sans être en désaccord sur le fond, nous soulignons trois points essentiels : 
  • Tout enjeu et toute priorisation des enjeux doivent être démocratiquement validées. Ce n'est pas le chercheur ou l'expert qui définit l'importance relative des sujets (climat, biodiversité, usages etc.), mais le citoyen préalablement informé par des expertises collégiales incluant tous les angles pertinents et toutes les connaissances légitimes. L'eau est une question sociale et politique, pas simplement une question naturelle.
  • Les assemblées élus (de la commune à l'Europe) sont les lieux de la discussion et de la décision démocratiques, ce qui suppose des élus motivés à examiner le fond des sujets et à refléter les attentes des citoyens les ayant élus. Ce rappel est nécessaire puisque nous voyons dans le fonctionnement de nos institutions un poids excessif d'administrations non élues et d'idéologies administratives non validées par les citoyens et leurs élus – en particulier dans le domaine de l'eau et de certains choix publics contestés. 
  • Tout programme public doit faire impérativement (et non facultativement) l'objet d'analyse coût-bénéfice sérieuse, ce qui est parfois difficile dans le domaine environnemental. C'est le seul moyen de conjurer le risque des effets de modes et de conformisme où l'on procède à des lourds investissements publics sans prendre soin au préalable de tester, observer et quantifier les résultats concrets. Par exemple ici, les solutions fondées sur la nature sont un sujet très en vogue mais où la recherche critique sur certains échecs de restauration de la nature doit inciter à être vigilant sur la réalité des résultats obtenus, particulièrement en stockage d'eau afin de prévenir tant les sécheresses que les inondations. Certaines solutions sont efficaces, d'autres non : la dépense d'argent public vise l'efficacité avant de viser la naturalité. 



Extrait du rapport :
Chapitre 4
L’adaptation des politiques de l’eau et de la biodiversité : à partir d’un noyau commun, de nouveaux types d’action émergent

4.1 Les impacts du changement climatique sur le cycle de l’eau sont bien mieux documentés que les impacts sur la biodiversité

Les conséquences du changement climatique sont souvent ressenties en premier lieu dans le domaine de l’eau : sécheresses à répétition entraînant restrictions et conflits d’usages, baisse du débit des rivières avec des impacts sur les espèces et les habitats, montée du niveau de la mer, intrusions salines, précipitations exceptionnelles et inondations, etc.

C’est en conséquence dans ce domaine que les impacts du changement climatique sont les mieux documentés. Pour la France, l’étude Explore 2070 a fourni en 2012 des scénarios concernant l’évolution des débits de cours d’eau et des nappes phréatiques au milieu du siècle, sur la base des travaux du GIEC. Ses conclusions annonçaient une baisse significative de la recharge des nappes, une baisse du débit moyen annuel des cours d’eau et des débits d’étiages plus sévères, plus longs et plus précoces, de 30 à 60 %. L’étude Explore 2070 est en cours d’actualisation ; les résultats d’Explore 2 sont attendus en 2023.

L’impact du changement climatique sur la biodiversité est moins identifié ; pourtant, le premier rapport conjoint de l’IPBES et du GIEC « Biodiversité et changement climatique – résultats scientifiques » montre que le changement climatique, qui n’était qu’une pression parmi d’autres à l’origine de l’effondrement de la biodiversité, pourrait rapidement contribuer à accélérer cet effondrement, si rien n’est fait. En particulier, ce rapport estime que la proportion d’espèces menacées d’extinction du fait du climat se situe à 5% avec un réchauffement de 2°C, mais passe à 16% avec un réchauffement de 4,3°C.

Le 6éme rapport du GIEC indique qu’approximativement la moitié des espèces étudiées ont commencé à migrer vers les pôles ou vers des altitudes supérieures et constate qu’on observe déjà les premières extinctions d’espèces dues au changement climatique.

4.2 Les solutions retenues pour l’adaptation sont assez convergentes mais il reste difficile d’évaluer leur niveau de mise en œuvre effective

4.2.1 La poursuite des politiques de protection et de restauration et le développement des solutions fondées sur la nature sont retenus dans tous les plans étudiés

On trouve dans la plupart des pays étudiés des études d’impact du changement climatique et des feuilles de route dans le domaine de l’eau, au niveau national et dans les grands districts hydrographiques. Ces feuilles de route intègrent les impacts du changement climatique, à l’image en France des Assises nationales de l’eau de 2019 dédiées à l’adaptation, et des stratégies d’adaptation au changement climatique réalisées dans chaque grand bassin hydrographique.

Les horizons temporels pris en compte dans ces exercices sont de trois ordres :
  • Dans les pays européens, les feuilles de route par district hydrographique (bassin) respectent les temporalités de la directive cadre sur l’eau et de la directive inondations, soit des cycles de 6 ans. Les plans actuels visent l’horizon 2027, parfois (cas espagnol) se prolongent sur un ou deux cycles au-delà (2033 et 2039) pour la prise en compte des effets du réchauffement climatique,
  • certains plans nationaux ont des horizons de moyen/long terme, comme le « 25 year environment plan » britannique adopté en 2019, ou le programme Delta aux Pays Bas qui fixe des objectifs à l’horizon 2050,
  • enfin, certains plans ont des horizons encore plus lointains, notamment pour la prévention des inondations en lien avec l’élévation du niveau de la mer, par exemple le programme Estuaire de la Tamise 2100. Ces programmes s’inscrivent alors clairement dans une logique construite d’adaptation au changement climatique malgré les incertitudes, avec l’étude de plusieurs scénarios, et la notion de « chemins d’adaptation » conduisant à prendre progressivement des « décisions sans regret ». Ils prévoient des points de rendez-vous au vu de l’évolution des connaissances sur les impacts climatiques pour les décisions les plus structurelles.
Ces feuilles de route et programmes sur l’eau, qui se limitaient souvent initialement aux inondations (programme Delta aux Pays Bas) ou à la qualité des eaux environnementales (schémas directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) en France), s’élargissent de plus en plus à l’ensemble du cycle de l’eau (eau potable, assainissement, et protection de la ressource en eau) et à la résilience des écosystèmes aquatiques et humides. Cette évolution globale conduit à compléter les programmes classiques d’infrastructures de génie civil dites « grises » (digues, réseaux de collecte des eaux de pluie et installations de traitement, etc.) par des projets de type « solutions fondées sur la nature (SFN) » comme les zones d’expansion de crues (programmes « room for the river » en Allemagne et aux Pays- Bas), la restauration de zones humides, la désimperméabilisation et la gestion à la source des eaux de pluie en ville, dont le rapport coût-bénéfice est souvent intéressant même s’il gagnerait à être mieux quantifié.

La mission constate que cette évolution conduisant à développer les solutions fondées sur la nature est citée comme un objectif dans tous les plans étudiés, au moins au niveau des principes. Il reste cependant encore difficile de juger de l’ampleur de l’application pratique, tant les SFN couvrent un champ vaste et sont parfois comprises différemment, même si une définition harmonisée émerge progressivement des travaux de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et de l’Assemblée des Nations-Unies pour l’environnement (ANUE).

Ce développement des SFN, qui est encouragé dans tous les pays comme en France par l’échange de bonnes pratiques et un certain nombre d’expérimentations pilotes, constitue une première étape vers la gestion intégrée de la biodiversité et du changement climatique que le GIEC et l’IPBES appellent de leurs vœux dans leur rapport conjoint.

Mais la notion de gestion intégrée de la biodiversité et du changement climatique ne signifie pas seulement la promotion des solutions fondées sur la nature : c’est aussi l’absolue nécessité de considérer les impacts de certaines solutions d’atténuation qui sont négatives pour la biodiversité. La biodiversité est l’un des champs où les risques de mal-adaptation sont les plus importants s’agissant notamment des bio-énergies, de l’hydroélectricité, de certaines politiques de boisement, du développement de l’irrigation et des retenues d’eau.

De manière générale, les plans et feuilles de route étudiées par la mission soulignent que l’accélération des politiques déjà engagées en matière d’eau et de biodiversité, ainsi que des politiques de protection des espaces et des espèces, apparait comme la réponse la plus pertinente.

L’accent est davantage mis, dans les plans étudiés, sur la nécessité d’accélérer les politiques de protection et de restauration des habitats, de leurs fonctionnalités, des continuités, des zones refuges, que sur le travail concernant directement les espèces, hormis quelques expériences de déplacement/réintroduction d’espèces très menacées (Japon, Royaume-Uni). Le rôle majeur du rétablissement des continuités (trame verte et bleue), pour favoriser la migration des espèces et la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, est souligné partout.

4.2.2 Au-delà de ce noyau commun d’accélération et de renforcement des politiques engagées, la rapidité du changement climatique nécessite de nouvelles actions

Quelques points plus spécifiquement liés au changement climatique doivent néanmoins être ajoutés ou renforcés dans les plans d’adaptation par rapport aux politiques existantes :

Dans le domaine de l’eau, la récurrence des sécheresses, leurs conséquences importantes, notamment sur l’agriculture, et la diminution progressive de la ressource disponible rend encore plus urgente l’accélération des politiques d’économies d’eau et de partage entre les usages - sujets peu traités par les directives européennes. L’examen des plans du parangonnage ne fait pas apparaître d’approche différente sur ces sujets de ce qui est fait en France : nécessité de fixer des objectifs chiffrés et répartis d’économies d’eau, gestion intégrée par bassin versant prenant en compte les besoins des milieux, priorisation annoncée des usages en termes d’intention mais encore peu développée dans le droit en vigueur. La liste des leviers mobilisables est connue et citée dans tous les plans (lutte contre les fuites dans les réseaux, réutilisation d’eaux usées, irrigation goutte-à-goutte etc.). Les plans citent parfois aussi les outils de tarification incitative qui sont expérimentés dans certains territoires. Une attention particulière est logiquement apportée au secteur agricole : avec des solutions à court terme qui peuvent reposer sur le développement de capacités de stockage et des solutions de moyen et long terme qui passent par une transformation des modèles de production.

En matière de prévention des inondations, la définition des aléas de référence doit intégrer les impacts du changement climatique : cela commence à se faire sur la montée du niveau de la mer et le recul du trait de côte (exemples des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la France notamment) et doit encore être développé en ce qui concerne l’impact des modifications du régime des précipitations sur les crues, les connaissances progressant rapidement dans ce domaine. De manière générale, les plans étudiés prévoient d’investir dans le développement et la fiabilité des dispositifs de surveillance et d’alerte sur les phénomènes extrêmes, indispensables et « sans regrets » notamment pour la France dans les territoires d’outre-mer.

Les politiques de prévention des inondations vont conduire dans certains cas à repenser très largement l’aménagement spatial de certains territoires. En ce qui concerne l’anticipation des conséquences de la montée du niveau de la mer, la mission a identifié tout particulièrement les programmes Estuaire de la Tamise 2100 et aux Pays Bas, la mise à jour 2022 du programme Delta, comme de bons exemples de politiques construites d’adaptation, associant le Parlement ou la société civile aux choix les plus structurants. En particulier, ces programmes conduisent à poser la question du niveau de protection souhaité des personnes et des biens face aux risques naturels, avec souvent trois options :
  • le maintien du niveau de protection actuel malgré le changement climatique, choix le plus courant, qui suppose un renforcement de la politique de prévention ;
  • l’objectif d’une augmentation du niveau de protection, pour certains secteurs ou territoires ;
  • une réduction du niveau de protection pour d’autres (voir en annexe la carte des enjeux du programme Tamise, publiée par l’agence anglaise de l’environnement).
Ce débat, naturellement très sensible, gagne à être explicité et partagé le plus largement possible, les deux programmes Delta et Estuaire de la Tamise 2100 constituent des exemples inspirants à cet égard.

Les études de risques au changement climatique, à l’échelle des aires protégées ou des écosystèmes, commencent à se développer (Royaume-Uni notamment), de même que la nécessité de développer des politiques intégrées de protection des sols prenant en compte rétention d’eau, biodiversité, capacité de stockage du carbone, en commençant par le développement d’indicateurs intégrés (Japon, Allemagne).

Les analyses coûts bénéfices restent encore rares, mais on peut citer notamment le calcul de retour sur investissement présenté dans le plan anglais d’adaptation en ce qui concerne la politique de prévention des inondations et de lutte contre l’érosion sur le littoral : le programme de dépenses de 2,6 milliards de livres sur 6 ans devrait rapporter 30 milliards de livres de bénéfices.

Ces différents exemples pourraient contribuer à la préparation du chapitre eau, risques naturels et biodiversité du futur plan d’adaptation français.

Recommandation : (MTECT) Compléter les feuilles de route nationales sur l'eau par des mesures portant sur des plans sectoriels d'économies d'eau, le développement de systèmes d’alerte précoce sur les risques naturels et l’organisation d’un débat sur le niveau souhaité de protection des personnes et des biens. Réaliser à chaque fois que possible des analyses coûts-bénéfices à l’appui de ces programmes.

19/02/2023

Réponse du vivant aquatique à la baisse des nutriments dans les rivières françaises (Rosebery et al 2023)

Des chercheurs français ont analysé 20 ans de données sur les diatomées, insectes et poissons des rivières françaises. Leurs résultats montrent une réponse des espèces à la baisse des nutriments en rivière, suite aux politiques de réduction des pollutions engagées dans les années 1980-1990.

Les données de diatomées benthiques, de poissons et de macro-invertébrés utilisées dans cette recherche proviennent respectivement de 258, 222 et 253 sites distincts, acquises entre 1994 et 2013 selon des protocoles normalisés, associées aux conditions du milieu prélevé : variables physico-chimiques (hors micropolluants toxiques) et variables climatiques. Au total : 2 613 échantillons de diatomées pour 977 espèces dénombrées. Concernant les , 2 868 échantillons de macro-invertébrés pour 133 familles, 3 638 échantillons de poissons pour 49 espèces.

Les données physico-chimiques ont montré une tendance à la baisse des nutriments (phosphore total, orthophosphates et ammonium) responsables de l'eutrophisation. En réponse et comme le montre le schéma ci-dessous, les espèces sensibles à la pollution en ont profité, comme les espèces de milieux plus oligotrophes (moins riches en nutriments).




Concernant les différentes formes de biodiversité, les tendances sont variables, comme le montre le schéma ci-dessous.


Commentaire des chercheurs : "Concernant les diatomées, les changements temporels les plus marqués ont été observés au niveau de la richesse spécifique et fonctionnelle, qui diminuent dans 58,6 % et 53,1 % des sites, respectivement. En revanche, la richesse taxonomique des macro-invertébrés a connu une tendance temporelle positive dans la majorité des cas (51,8 %). Chez les poissons, les métriques de diversité n'ont montré aucune tendance temporelle dans la plupart des sites. Nous avons néanmoins observé une légère tendance à la baisse de la richesse taxonomique et fonctionnelle (respectivement dans 15,8 et 14,4 % des sites)."

Discussion
Il est intéressant de constater que la baisse des nutriments a des effets concrets sur les assemblages d'espèces et réseaux trophiques, ce qui avait déjà été observé chez les invertébrés (Van Looy et al 2016). Tout ne va pas toujours mal en écologie, et il est utile de le rappeler quand on obtient des résultats. Mais pour caractériser l'évolution du vivant aquatique, il manque cependant ici des données quantitatives sur la biomasse, c'est-à-dire le nombre total d'individus hébergés par unité de surface dans le milieu. On sait que dans le domaine terrestre, par exemple, la biomasse de la plupart des insectes est en chute libre dans certains milieux depuis 30 ans. Le même phénomène existe-t-il dans les rivières? Le maintien d'une diversité taxonomique et fonctionnelle peut être accompagné d'une baisse numérique des populations si les conditions sont défavorables.

Par ailleurs, les nutriments azotés et phosphorés ne sont qu'un des marqueurs de la pollution et de l'influence du bassin versant sur la rivière. Les micropolluants agricoles, industriels et domestiques sont aussi très nombreux, mais mal mesurés. En outre, la quantité d'eau peut devenir de plus en plus problématique sur certains bassins versants où les assecs deviennent plus fréquent au fil du temps. 

Finalement, nous souhaitons aussi que des études se consacrent à corréler systématiquement les indices de biodiversité des cours d'eau de la source à la confluence avec les indices de fractionnement / étagement de ces cours d'eau par les ouvrages de retenues et diversion, en incluant une typologie des ouvrages (hauteur, pente). Ce travail n'a jamais été fait de manière systématique, alors que la politique publique des ouvrages hydrauliques accorde une grand importance à leur supposé effet négatif sur les différentes formes de biodiversité. Un effet que rien ne démontre à échelle d'un cours d'eau — contrairement à l'impact avéré et documenté de certains ouvrages sur certains taxons précis (comme les migrateurs longue distance). Mais ces taxons ne résument pas à eux seul les enjeux de biodiversité des milieux aquatiques, humides et rivulaires.

Références : Rosebery J et al (2023), Dynamique temporelle de la biodiversité en cours d’eau, Sciences Eaux & Territoires, (42), 43–47. Tison-Rosebery J et al (2022), Decadal biodiversity trends in freshwater ecosystems reveal recent community rearrangements, Science of the Total Environment, 823, 153431

16/02/2023

Le ministère de l’écologie prépare un nouveau décret sur les chantiers de renaturation des cours d’eau

Certains voudraient «renaturer» les cours d’eau à la pelleteuse et sur argent public sans être ennuyés par des détails comme l’étude d’impact réel du chantier, l’analyse de son coût-bénéfice ou l’avis des citoyens en enquête : le conseil d’Etat avait douché leurs espoirs en annulant un décret de 2020 permettant de faire n’importe quoi sur un cours d’eau sous ce prétexte de «renaturation». Le ministère vient d'annoncer qu'il remettrait en mars un projet de nouveau décret au comité  national de l'eau. Mais les mêmes causes produiraient les mêmes effets : si les services eau & biodiversité du ministère de l’écologie préparent à nouveau un décret d’exception permettant de modifier de larges pans de l’environnement des riverains sans leur permettre une bonne information et une participation à la décision, nous irons en justice pour faire annuler le décret (et pour attaquer des chantiers problématiques). La gestion écologique doit être démocratique, et non pas un dogme d’expert imposé : c’est le fond du problème sur certains chantiers engagés contre l’avis des citoyens et contre la vision de la nature défendue par ces citoyens.  


Le Sénat a vu un échange intéressant entre le Sénateur Jean-Raymond Hugonet (Essonne) et le Ministre Christophe Béchu (transition écologique), au sujet du décret du 30 juin 2020  relatif aux travaux de renaturation des cours d'eau - et de son annulation partielle par l'arrêt du Conseil d'Etat de 2022, suite à une requête co-portée par notre association. Le ministre promet un nouveau décret : on va le suivre de près, car s'il reprend la simplification bâclée de la casse des ouvrages hydrauliques et des assèchements de milieux sans étude d'impact et sans enquête publique, nous irons de nouveau en justice.

Rappelons les faits. Par décret scélérat du 30 juin 2020, le gouvernement avait tenté de faire passer tout chantier de restauration de la nature sous le régime ultra-simplifié de la simple déclaration administrative, sans étude d'impact ni enquête publique, sans aucune limitation sur la surface concernée. Un blanc-seing à n'importe quelle dépense publique et n'importe quelle altération de l'environnement local par les syndicats de rivière ou autres instances pouvant intervenir sur cours d'eau et zones humides. Ce décret a été annulé à notre demande par le conseil d'Etat.

Pourquoi ce sujet est-il polémique ? Car sous couvert de "renaturation" ou de "restauration",  le gestionnaire public de l'eau a également détruit et asséché des milliers de moulins, étangs, barrages, retenues, plans d'eau, canaux, biefs depuis des années. Ce qui soulève tant la protestation locale des citoyens que l'opposition nationale des associations, fédérations, syndicats concernés par les usages, paysages et patrimoines de l'eau. 

Plusieurs syndicats de rivière de l'Essonne avaient écrit en début d'année au ministre de l'écologie pour se plaindre de cette annulation du décret de 2020, qui bloque leurs chantiers. Leur sénateur a interpellé le ministre à ce sujet, échange que l'on peut suivre dans cette vidéo :




De son côté, le sénateur demande un nouveau décret, en prenant soin de préciser que celui-ci doit exclure des travaux qui posent problème comme la destruction de moulins, l'augmentation du risque inondation, la nuisance à la mobilisation hydro-électrique pour la transition énergétique. 

Le ministre affirme qu'un nouveau projet de décret sera soumis mi-mars au comité national de l'eau, pour publication dès cette année.

Nous verrons ce qu'il en est. Mais nous rappelons ce que nous avons rappelé aux conseillers d'Etat :
  • l'écologie n'est pas un sujet mystique qui doit étouffer toute analyse critique, un chantier écologique est un chantier comme un autre, il peut très bien avoir des effets secondaires indésirables pour les populations, la vigilance est donc de mise ;
  • certains risques sont oubliés par le sénateur, par exemple l'asséchement (et non l'inondation), la fragilisation du bâti riverain (rétraction argile, pourrissement fondation bois), la remontée d'espèces invasives, la perte de réserve incendie... c'est tout cela qu'une étude d'impact et une enquête publique visent justement à prévenir, à partir du moment où les effets du chantier sont conséquents (cela vise aussi à prévenir le risque de plaintes pénales si un chantier mal préparé nuit aux tiers ou aux milieux, donc à sécuriser le projet);
  • la question n'est pas de faire telle ou telle exception pour tel ou tel ouvrage particulier comme le moulin, la question est de reconnaître que tout ouvrage hydraulique est susceptible de rendre des services écosystémiques, d'avoir des avantages environnementaux / sociaux, donc que le gestionnaire public doit désormais l'étudier avant de prendre la moindre décision, cesser de suivre un dogme naturaliste idiot ("c'est artificiel donc c'est mal, même pas la peine d'analyser la réalité") ;
  • Il y a en outre un problème d’égalité devant la loi, puisque modifier des centaines de mètres voire des kilomètres de linéaire de rivière serait simplement déclaratif pour certains chantiers (par exemple restaurer un habitat, ce qui est dans le code de l’environnement) mais pas pour d’autres (par exemple produire de l’énergie bas-carbone, ce qui est aussi une injonction du code de l’environnement) ; or si la puissance publique simplifie, elle doit le faire pour tous et de manière cohérente au droit, non pas créer des exceptions parce que c'est l'idéologie d'une sous-direction ministérielle.
Les hauts fonctionnaires du ministère de l’écologie nous lisent : ils savent donc que s’ils tentent encore une rédaction aberrante et ad hoc pour passer en force, ce sera la reprise des hostilités et l’incertitude juridique pour les chantiers. Une bonne gestion écologique de l’eau stoppe les dogmes et permet aux acteurs locaux de débattre librement des rivières, plans d’eau et zones humides qu’ils désirent, sans diktat du ministère, des agences de l’eau et des préfectures en faveur d’ une seule solution financée au détriment de toutes celles qui sont négligées.

11/02/2023

Le ministère de l’écologie continue de tromper les parlementaires sur les ouvrages hydrauliques

Aucun changement en vue dans l’idéologie des hauts fonctionnaires du ministère de l’écologie qui rédigent les réponses des ministres et secrétaires d’état lorsqu’ils sont interrogés, comme cela fut le cas par le député Christophe Bentz. Propos faux, imprécis, incomplets, arguments toujours à charge contre les ouvrages en rivière, aucun signe de reconnaissance de l’échec de la continuité écologique. Notre  conclusion est simple : tant que ces hauts fonctionnaires ne sont pas remerciés et remplacés, tant que l’idéologie naturaliste du retour à la rivière sauvage sera la pensée des dirigeants de l’administration eau & biodiversité, la politique des rivières ne sera pas apaisée, les décisions absurdes de détruire ou d’interdire des ouvrages continueront, la France prendra du retard sur les dossiers critiques de la maîtrise de l'eau, de l'énergie et du climat. 


Le député Christophe Bentz a posé la question N° 3270 au Secrétariat d'état à l’écologie, le 22 novembre 2022.
« M. Christophe Bentz interroge M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sur les modalités d'application de l'article 49 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre les effets du dérèglement climatique, dite « loi Climat et résilience », qui modifie l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans le but d'interdire la destruction des moulins à eau dans le cadre des obligations de continuité écologique. Dans sa rédaction antérieure, l'article L. 214-17 du code de l'environnement prévoyait déjà que tout ouvrage de ce type devait être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire - ou à défaut l'exploitant -, afin de permettre la circulation des poissons migrateurs. Or cette politique publique s'est traduite par une destruction desdits ouvrages et ce alors que cela n'était ni la lettre, ni l'esprit de la loi. Durant une quinzaine d'années, les services de l'État ont ainsi encouragé la destruction des retenues d'eau de rivière. Ces retenues - constituées pour l'essentiel de milliers de chaussées de moulins à eau qui retenaient depuis des siècles des centaines de millions de mètres cubes d'eau douce dans les rivières - ralentissaient pourtant les écoulements et jouaient un rôle majeur dans le cycle de l'eau des vallées. Les associations de défense des moulins à eau estiment que 3 000 à 5 000 chaussées de moulins ou digues d'étang auraient été détruites en France. Cela représente une perte de plusieurs dizaines de millions de mètres cubes d'eau douce qui ont été soustraits aux rivières et ne participent plus à l'alimentation des nappes. Des centaines de kilomètres de rivières et de vallées ont ainsi été asséchés partiellement ou totalement. La disparition de ces eaux a aussi entraîné celle des milieux aquatiques et rivulaires antérieurs. Par ailleurs, ce patrimoine pluriséculaire faisait non seulement des rivières un atout écologique, mais il ouvre aujourd'hui la possibilité de production d'une énergie verte. Dans ce contexte, le législateur est intervenu dans le cadre de l'article 49 de la loi Climat et résilience afin d'expliciter davantage l'article L. 214-17 du code de l'environnement qui permet la gestion, l'entretien et l'équipement des moulins à eau et interdit désormais leur destruction. C'est pourquoi M. le député souhaite connaître les modalités réglementaires et administratives de mise en œuvre de cette nouvelle disposition - notamment les actions et les indicateurs destinés à empêcher toute nouvelle destruction de moulin à eau. Il souhaite également savoir s'il est prévu une reconstruction des ouvrages détruits. »

Nous venons d’avoir la réponse du ministère de l’écologie, le 7 février 2023. Nous allons donc la commenter argument par argument. 
« La politique de restauration de la continuité écologique n'encourage pas l'effacement systématique des moulins à eau et autres ouvrages en cours d'eau. 
C’est faux. Depuis 15 ans, les programmes publics des agences de l’eau (planification des SDAGE et financement de cette planification) affirment que la destruction des ouvrages hydrauliques est la solution préférable, donc la mieux financée — parfois la seule financée à certaines époques et dans certaines agences. Ce sont les représentants de l’Etat et de l’administration publique au sein des agences qui rédigent les programmes, donc s’ils recevaient une orientation contraire du ministère, de telles préconisations n’apparaîtraient pas. Les citoyens sont fatigués des mensonges et des langues de bois bureaucratiques : si le ministère de l’écologie n’est même pas capable de reconnaître la réalité de base, à savoir qu’il a bel et bien favorisé la destruction massive des ouvrages et que ses hauts fonctionnaires ont tenu des propos véhéments en ce sens (voir DEB 2011), la discussion n’est pas possible. 
« Sous la responsabilité des préfets, c'est la loi sur l'eau qui permet aujourd'hui une gestion équilibrée des projets de petites hydroélectricité au plus près des territoires. Il s'agit d'une politique ciblée et mesurée, qui cherche à concilier les enjeux de restauration des fonctionnalités des cours d'eau avec le déploiement de la petite hydroélectricité. Dans certains cas, l'effacement d'un ouvrage peut être nécessaire pour restaurer le bon état écologique d'un cours d'eau, comme indiqué dans la directive-cadre sur l'eau et rappelé par la Commission européenne lors de la table ronde du 6 juillet 2022 organisée par la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat. 
C’est faux. D’une part, la morphologie de la rivière est considérée comme un élément du «très bon» état écologique au sens de la DCE (soit l’équivalent d’une rivière à forte naturalité), mais le «bon» état écologique a des exigences moindres, et il commence par le contrôle du bon état chimique et physico-chimique. La même DCE laisse aux Etats-membres la possibilité de classer une masse d'eau comme fortement modifiée ou comme artificielle si son cours a été beaucoup changé par les humains dans l'histoire, ce qui est évidemment le cas de la grande majorité des rivières françaises (voir l'indicateur de naturalité des cours d'eau de l'OFB). D’autre part, à notre connaissance, aucune preuve scientifique n’a jamais été apportée qu’une rivière à ouvrages détruits obtient de meilleures avancées de son score écologique DCE par rapport à une rivière dont les ouvrages ne sont pas détruits. Les travaux d'hydro-écologie quantitative ne concluent pas que l'ouvrage hydraulique a un impact notable sur l'état DCE, alors que les pollutions et les usages du sol du bassin versant sont, et de loin, les premiers facteurs corrélés à la dégradation écologique dans ces recherches (voir cette synthèse). Nous avons déjà documenté sur ce site des rivières à politique ambitieuse de destruction d’ouvrage où l’état écologique DCE n’a pas bougé, voire a empiré (cf Vicoin). Une étude historique sur les poissons migrateurs en France depuis 30 ans n'a trouvé aucune amélioration significative de ces populations cibles en lien à la continuité écologique (Legrand et al 2020). 
« Entre 2012 et 2021, environ 1 400 ouvrages ont été effacés sur les cours d'eau où une obligation de restauration de la continuité écologique existe au titre de l'article L. 214-17 du code de l'environnement : cela représente environ 1 % de l'ensemble des ouvrages présent sur les cours d'eau français et constituant un obstacle à l'écoulement naturel du cours d'eau. 
C’est imprécis. D’abord on ne sait pas d’où vient ce chiffre, et le ministère omet de rappeler que la grande majorité des ouvrages classés en continuité écologique liste 2 n’a pas été traitée. Ensuite, l’important est la dynamique : il y a 20 665 ouvrages en obligation de continuité écologique, que fait-on de tous ceux encore orphelins de solutions ? Enfin le référentiel des obstacles à l’écoulement compte environ 110 00 entrées, donc le risque est de détruire env. 20% des ouvrages hydrauliques, avec certains rivières où ce chiffre atteint déjà 90 à 95%. Rien à voir avec le chiffre rassurant du ministère.


« Par ailleurs, ces effacements n'ont pas induit de perte d'eau douce ou d'assèchement de cours d'eau. Le libre écoulement de l'eau au sein d'un bassin versant, notamment à travers son réseau de cours d'eau, est un processus structurant du grand cycle de l'eau : cette eau qui s'écoule contribue au bon fonctionnement de l'écosystème et du cycle. De plus, la quantité d'eau dans une rivière se mesure par le débit, et les petites retenues en cours d'eau ne renforce pas ce dernier. En outre, la recharge des nappes phréatiques n'est pas systématiquement favorisée par les retenues en lit mineur, car cette recharge dépend essentiellement de la connexion nappe-rivière, qui se fait aussi bien par des eaux courantes que stagnantes. Il est même fréquent que certaines retenues en lit mineur dégradent la recharge des nappes, dès lors que leur fond est colmaté par les sédiments fins issus de l'érosion des sols qui s'y stockent. 
Aucune base scientifique pour apporter des preuves aux allégations. Il est reconnu (déjà par les règles élémentaires de l’hydrostatique et de l’hydrodynamique) que toutes choses égales par ailleurs, des retenues en lit mineur contribuent à la rétention d’eau en surface et la hausse du niveau de la nappe sous-jacente. C’est pourquoi les barrages naturels comme ceux des castors sont vus comme positifs pour le cycle local de l’eau et la biodiversité (par exemple Dittbrenner et al 2022 sur la rétention d’eau). Aucun travail n’a montré que la retenue globale d’eau sur un bassin versant est meilleure si on supprime ses ouvrages. Plusieurs recherches scientifiques adressées sur ce point précis des petits ouvrages ont conclu l’inverse (Maaß et Schüttrumpf 2019, Podgórski et Szatten 2020). D'autres travaux montrent que les retenues ont des effets locaux bénéfiques sur les crues comme les sécheresses (Brunner 2021). Sur les rivières où les ouvrages ont été détruits, les riverains observent des lames d’eau résiduelles ou des assec complets, là où les ouvrages gardaient un certain volume en été, même à débit faible.
« Enfin, le potentiel de production hydroélectrique par des petits ouvrages en cours d'eau est intrinsèquement limité : selon les projets identifiés auprès de la filière, ce sont 250 MW qui pourraient être installés d'ici 2028 (en sites vierges comme sur ouvrages existants), toutes tailles d'installations confondues. Cela représente environ 1% des objectifs nationaux d'installation d'énergies renouvelables sur la même période (programmation pluriannuelle de l'énergie 2023-2028). Le potentiel de développement peut donc objectivement être qualifié d'intrinsèquement limité. 
Cet argument est un truisme : aucune source d’énergie n’est infinie, donc toutes les sources d’énergies sont «limitées». Le chiffre de 250 MW de potentiel est en deçà des travaux scientifiques sur la petite hydraulique (Punys et al 2019, Qaranta et al 2022), également en deçà de l’estimation produite par la fédération de moulins (FFAM 2022). En période d’accélération de la transition énergétique face au retard français et à la condamnation de l’Etat en justice pour inaction climatique, le rôle du ministère de l’écologie n’est pas de faire plaisir à quelques lobbies clientèles (pêcheurs de salmonidés, naturalistes) en insistant sur les limites d’une source renouvelable bas carbone, mais de mobiliser tous les fonctionnaires pour exploiter au mieux et au plus vite cette source. Le blocage du ministère est inacceptable et contraire à tous les engagements climatiques du pays. 
« L'article 49 de la loi dite « Climat et résilience » d'août 2021 précise effectivement que, s'agissant des moulins à eau, l'effacement des seuils ne peut désormais plus constituer une solution dans le cadre de l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments. En conséquence, depuis la publication de la loi, les services préfectoraux ne sont plus en mesure de prescrire l'effacement d'un ouvrage comme solution de rétablissement de la continuité écologique. 
Le ministère affirme que l’effacement n’est plus une solution, mais les préfectures continuent à effacer (exemple récent), ce qui implique des contentieux en justice. Là encore, une parole mensongère ou floue est créatrice de défiance vis-à-vis de l’Etat et de ses fonctionnaires. 
« Cette évolution législative tend à contraindre les propriétaires d'ouvrages, avec obligation de restaurer la continuité à assumer les dépenses d'entretien liées à leurs seuils, même lorsqu'ils souhaiteraient les effacer. Or, cet entretien est jugé par certains propriétaires comme chronophage, coûteux et techniquement compliqué. Les effacements réalisés avant la loi « Climat et résilience » ayant toujours été réalisés avec l'accord du propriétaire de l'ouvrage, le ministère ne projette pas de reconstruire les ouvrages effacés.
Il est touchant que le ministère de l’écologie s’émeuve des coûts de la continuité écologique imposés aux particuliers et aux collectivités. Une solution très simple consiste à déclasser tous les cours d’eau qui ont été mis en catégorie liste 2 d'obligation de continuité sans aucune base scientifique concernant la présence d’espèces menacées et bénéficiant du classement. De la même manière, les coûts de gestion des ouvrages hydrauliques ont été alourdis par des exigences procédurales et règlementaires qui demandent de multiplier des études et des contraintes là où certains travaux (curages, réfection de seuils) étaient bien plus simples avant. Ce surcoût ne peut pas reposer sur les seules épaules des particuliers ou des collectivités puisqu’il est motivé par des exigences d’intérêt général : il revient donc au ministère de l’écologie de chiffrer exactement le coût des règlementations qu’il impose et de prévoir un co-financement suffisant par les agences de l’eau ; dans le cas contraire, de s’abstenir de règlementation. L’écologie sous-financée n’a aucun avenir, elle sera déclarative ou fera peser des charges exorbitantes que les citoyens rejetteront de plus en plus brutalement. 

Photos : destruction en 2022 du moulin de Houetteville, ouvrage en parfait état sur une rivière en bon état écologique et en adjacence d'une zone humide Natura 2000. Un exemple de la poursuite de la politique absurde de casse du patrimoine sur argent public et un contentieux en cours porté par Hydrauxois avec la FFAM et d'autres associations. Les parlementaires doivent prendre conscience de l'idéologie naturaliste anti-ouvrage qui structure profondément l'administration eau & biodiversité, détourne le sens des lois, poursuit un agenda contre l'intérêt général et contre l'apaisement au bord des rivières, entrave la France dans la transition énergétique bas-carbone et l'adaptation climatique par rétention d'eau. Les porteurs de cette politique dans l'appareil public doivent cesser leurs actions, ou être remerciés pour aller militer dans des structures naturalistes privées conformes à leur idéologie, qui n'est pas celle des lois de la république. 

05/02/2023

La mobilité des pêcheurs de loisir, des autoroutes à espèces invasives ? (Weir et al 2022)

En utilisant les millions de données issues d’une application sur téléphone mobile pour pêcheur, des chercheurs montrent aux Etats-Unis la forte mobilité des pratiquants de la pêche récréative. Cette pratique qui relie des bassins et des lacs séparés tend à créer des conditions propices à l’expansion d’espèces invasives dans les cours d’eau.


La croissance des réseaux de transport a facilité la propagation d'espèces envahissantes, en particulier dans les cours d’eau qui sont des milieux naturellement fragmentés et donc partiellement isolés par bassins versants. Les données sur les mouvements humains sont difficiles à collecter pour les chercheurs : carnets de voyage, entretiens et enquêtes peuvent avoir des biais, des coûts élevés de collecte et/ou de faibles taux de réponse. Mais les appareils intelligents mobiles peuvent être une source de données de mouvement de qualité, à haute résolution et individualisées sur de larges échelles spatiales.

Pour contourner la pauvreté des sources, Jessica Weir et ses collègues ont ainsi analysé aux Etats-Unis 10 ans de données de mouvement de l'application de pêche populaire Fishbrain pour montrer comment les pêcheurs récréatifs connectent plus de 100 000 lacs à travers les États-Unis contigus, et comment ce réseau de connectivité fournit un aperçu unique de la distribution actuelle et future de espèces aquatiques envahissantes.

Voici le résumé de leur article :
« Les activités humaines sont la principale cause des invasions biologiques qui causent des dommages écologiques et économiques dans le monde. Les espèces aquatiques envahissantes (EAE) sont souvent propagées par les pêcheurs récréatifs qui visitent deux plans d'eau ou plus dans un court laps de temps. Les données de mouvement des pêcheurs à la ligne sont donc essentielles pour prévoir, prévenir et surveiller la propagation des AIS. Cependant, le manque de données sur les déplacements à grande échelle a limité les efforts aux grands lacs populaires ou à de petites étendues géographiques. 

Ici, nous montrons que les applications de pêche récréative sont une source abondante, pratique et relativement complète de « grandes » données sur les mouvements à travers les États-Unis contigus. Nos analyses ont révélé un réseau dense de mouvements de pêcheurs qui était considérablement plus interconnecté et étendu que le réseau formé naturellement par les rivières et les ruisseaux. Les mouvements à courte distance des pêcheurs se sont combinés pour former des autoroutes d'invasion qui ont traversé les États-Unis contigus. Nous avons également identifié des fronts d'invasion possibles et des lacs centraux envahis qui pourraient être des super-épandeurs pour deux envahisseurs aquatiques relativement communs. 

Nos résultats fournissent un aperçu unique du réseau national par lequel les AIS peuvent se propager, augmentent les possibilités de coordination intergouvernementale qui sont essentielles pour résoudre le problème des AIS et soulignent le rôle important que les pêcheurs peuvent jouer pour fournir des données précises et prévenir les invasions. Les avantages des appareils mobiles à la fois comme sources de données et comme moyen d'engager le public dans sa responsabilité partagée de prévenir les invasions sont probablement généraux pour toutes les formes de tourisme et de loisirs qui contribuent à la propagation des espèces envahissantes. »
L’image en tête de cet article montre les 18 principaux bassins fluviaux des États-Unis contigus sont reliés par des pêcheurs à travers les frontières hydrologiques naturelles. (A) Une carte des 18 principaux bassins fluviaux des États-Unis contigus qui s'étendent dans certaines parties du Canada et du Mexique.  Le ∗ représente une zone où les lacs du réseau sont hydrologiquement connectés à travers la limite du bassin fluvial. (B) Un diagramme d'accord montrant les connexions du mouvement des pêcheurs parmi les 18 principaux bassins fluviaux. L'anneau extérieur et la couleur correspondent à la région d'origine de la connexion du pêcheur, et l'anneau intérieur correspond au bassin dans lequel se terminent ces connexions. Des lignes plus épaisses indiquent plus de mouvement et, par conséquent, une pression de propagules plus élevée. Bassins : 01 Nouvelle-Angleterre, 02 Centre-Atlantique, 03 Atlantique Sud-Golfe, 04 Grands Lacs, 05 Ohio, 06 Tennessee, 07 Haut Mississippi, 08 Bas Mississippi, 09 Souris–Rouge–Rainy, 10 Missouri, 11 Arkansas–Blanc–Rouge , 12 Texas–Gulf, 13 Rio Grande, 14 Haut Colorado, 15 Bas Colorado, 16 Grand Bassin de l’Ouest, 17 Pacifique Bord-Ouest et 18 Californie.


Les cartes ci-dessus (cliquer pour agrandir) montrent la distribution ponctuelle des espèces envahissantes (A) de Myriophyllum et (B) de Dreissena. Les points qui se chevauchent apparaissent avec une plus grande intensité de couleur. Les comtés (États-Unis) et les unités de recensement (Canada) sont en niveaux de gris pour représenter le pourcentage de connexions entrantes pondérées qui sont vraisemblablement à haut risque parce qu'elles proviennent d'un lac envahi (par l’une ou l’autre des espèces de Dreissena et Myriophyllum) et terminées dans un lac non envahi.

Une étude similaire en Europe serait bien sur très utile. Mais l’analyse des impacts de la pêche récréative reste un parent pauvre de la recherche en écologique aquatique.

Référence : Weir JL et al (2022), Big data from a popular app reveals that fishing creates superhighways for aquatic invaders, PNAS Nexus, 1.3, pgac075