13/06/2023

La justice condamne et annule le programme de casse des ouvrages hydrauliques de l’agence de l’eau Seine-Normandie

Nouvelle victoire en justice ! Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise vient de prononcer l'illégalité et l'annulation partielle conséquente du programme de casse des ouvrages hydrauliques de l'agence de l'eau Seine-Normandie. Des procédures similaires sont déjà engagées sur les autres bassins du pays. La continuité écologique avait été transformée en programme de retour dogmatique à la rivière sauvage et de négation totale de la valeur du patrimoine hydraulique : c'est une nouvelle sanction de cette aberration. L'incroyable dérive de l'administration eau & biodiversité consistant à détruire les ouvrages des rivières au lieu de les aménager écologiquement se trouve donc privée de son principal outil de financement sur argent public. 


Par décision du n° 1904387 – 2207014 du 9 juin 2023, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise saisi par Hydrauxois, la FFAM et de nombreux autres requérants associatifs vient de prononcer l’annulation partielle du programme d’aide à la destruction des ouvrages hydrauliques en rivières classées continuité écologique de l’agence de l’eau Seine-Normandie. 

Alors que la loi de 2021, faisant suite à dix années de troubles et de contentieux, avait clairement exprimé que la continuité écologique ne visait pas à détruire l’usage actuel et potentiel des ouvrages hydrauliques, l’agence de l’eau Seine-Normandie (comme ses consœurs) a continué de financer cette solution, et plus encore de la financer à un taux nettement avantageux de 80% de subvention. Soit une forte incitation à détruire au lieu d'aménager. 

Le tribunal condamne l’agence de l’eau en ces termes :
Sur les conclusions à fin d’annulation partielle de la délibération du 16 novembre 2021 :
18. Aux termes de l’article L. 214-17 du code de l'environnement tel que modifié par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets : « I. - Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous- bassin : (…) / 2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie. S'agissant plus particulièrement des moulins à eau, l'entretien, la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l'exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages (…) ».

19. Les associations requérantes soutiennent que la délibération du 16 novembre 2021 révisant le 11ème programme pluriannuel d’intervention de l’agence de l’eau Seine- Normandie est devenue illégale du fait de la modification par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, du 2° du I de l’article L. 214-17 du code de l'environnement.

20. Il ressort des pièces du dossier que le 2° du I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement oblige désormais, s’agissant uniquement des ouvrages implantés sur les cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux, dans lesquels il est nécessaire d’assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs, figurant sur une liste établie par l’autorité administrative, à les entretenir, les gérer et les équiper, sans remettre en cause leur usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie, de sorte que ces mesures sont les seules modalités autorisées pour l'accomplissement des obligations relatives au transport suffisant des sédiments et à la circulation des poissons migrateurs, à l’exclusion plus particulièrement pour les moulins à eau de la destruction des ouvrages de retenue. Or, il ressort du point E.1 du programme pluriannuel d’intervention en litige qu’il prévoit la possibilité de financer de tels travaux de destruction, lorsqu’ils sont nécessaires à la restauration de la continuité écologique.

21. D’une part, si l’agence de l’eau Seine Normandie fait valoir en défense que les dispositions précitées de l’article L. 214-17 du code de l'environnement ne régissent pas directement l’attribution des aides encadrées par le 11ème programme révisé et que ce programme prévoit que les travaux financés doivent satisfaire aux obligations règlementaires, ces aides ne sauraient être attribuées en méconnaissance des dispositions législatives en vigueur à la date de l’adoption de la délibération attaquée et la seule réserve relative aux obligations règlementaires ne permet donc pas d’être interprétée comme ayant implicitement mais nécessairement exclu de son dispositif d’aides, les travaux ainsi prohibés par la loi.

22. D’autre part, l’agence de l’eau Seine-Normandie soulève en défense une exception d’inconventionnalité de la nouvelle rédaction de l’article L. 214-17 du code de l’environnement, qui serait contraire selon elle, au a) du 1 de l’article 4 de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, qui fixe un objectif de prévention, de restauration et d’amélioration de l’état des masses d’eau de surface. Elle fait valoir que l’annexe V de cette directive fixe ainsi la continuité des rivières comme l’un des paramètres biologiques de la qualité de leur état écologique qui doit permettre une migration non perturbée des organismes aquatiques et le transport des sédiments. Cette nouvelle rédaction de la loi serait également, selon l’agence de l’eau, contraire, à l’article 2 du règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d’anguilles européennes et imposant notamment la mise en place de mesures structurelles visant à permettre le franchissement des rivières et le transport des anguilles argentées des eaux intérieures vers des eaux d’où elles peuvent migrer librement vers la mer des Sargasses. Il résulte toutefois des dispositions de l’article L. 214-17 que celles-ci limitent l’interdiction qu’elles instituent à la seule destruction des ouvrages ayant un usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d’énergie, comme modalité d’accomplissement des obligations environnementales relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments. Dans ces conditions, cette exception d’inconventionnalité, telle qu’elle est soulevée en défense, doit être écartée.

23. Dans ces conditions, le point E.1 du 11ème programme pluriannuel d’intervention, tel qu’approuvé par la délibération en litige, méconnait partiellement les dispositions du 2° du I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement.

L’association Hydrauxois :
  • se félicite de la sanction des dérives de l’administration eau & biodiversité, qui a voulu persister dans un programme massif de destructions des ouvrages hydrauliques contraire à l’esprit et à la lettre de la loi française ;
  • observe que le mouvement des ouvrages hydrauliques et de leurs riverains avait raison de pointer ces dérives auprès des élus, des préfets, des médias, malgré les dénégations réflexes et mensongères du ministère de l'écologie quand il était interrogé à ce sujet;
  • appelle ses adhérents, les maîtres d’ouvrages, les collectifs et associations à demander immédiatement l’arrêt de toute destruction en cours d’ouvrage sur le bassin Seine-Normandie (rivières listes 2 ou listes 1- listes2), et en particulier à contester si nécessaire devant la justice son financement public ;
  • appelle les administrations de la république, et en particulier les préfets départementaux et préfets de bassin ainsi que la direction eau & biodiversité du ministère de l'écologie, à faire cesser les dérapages idéologiques internes et les prises de position des agents publics contraires aux lois du pays ;
  • appelle les élus de la république, et en particulier les parlementaires, à repenser et réviser la politique de l'eau et des rivières en incluant pleinement la valeur des ouvrages hydrauliques et leur contribution aux grands enjeux de notre temps : relocalisation économique, agrément social et paysager, gestion hydrologique des débits, production énergétique bas carbone, défense incendie, adaptation climatique, protection des biodiversités.
Des procédures similaires ont été engagées sur les 5 autres bassins hydrographiques de la France métropolitaine. 

Source : Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, décision du n° 1904387 – 2207014, 9 juin 2023

28/05/2023

Olivier Thibault, le nouveau directeur de l’OFB, trompe les parlementaires sur la continuité écologique

Auditionné par les parlementaires afin de valider sa nomination comme directeur de l’Office français de la biodiversité, Olivier Thibault a tenu des propos imprécis ou faux sur la continuité écologique. Il est manifestement impossible de concilier l’idéologie administrative du retour à la rivière sauvage avec un minimum de bonne foi dans l’analyse des réalités hydrauliques, en particulier les ouvrages anciens des moulins et étangs. 




Interrogé sur le thème de la continuité écologique et des moulins (voir la vidéo, vers 1’10), Olivier Thibault a commencé par leur attribuer la responsabilité de la disparition des poissons migrateurs. 

Ce propos est inexact. Une analyse de l’histoire des poissons migrateurs a montré que ceux-ci étaient encore présents un peu partout sur le territoire français au milieu du 18e siècle (Merg et al 2020). Or à cette époque les rivières étaient déjà couvertes de moulins et d’étangs, car l’hydraulique était la première énergie mécanique du pays et la pisciculture une activité vivrière. Une autre étude ayant analysé l’évolution des poissons migrateurs sur les 40 dernières années (1983-2017) ne trouve aucun lien significatif avec la continuité écologique (Legrand et al 2020). L’échec de la restauration fluviale s’observe aussi sur des bassins pilotes qui ont mobilisé de forts investissements à compter des années 1970, comme par exemple le saumon de l’axe Loire-Allier : malgré les efforts sur un demi-siècle, le taux de retour du saumon se situe à des niveaux historiquement très bas, outre que ces saumons relèvent désormais de souches d’élevage et non de souche sauvage. Pour ce cas du saumon atlantique, les chercheurs montrent que les baisses de recrutement depuis quelques décennies ne sont probablement pas liées aux facteurs usuellement mis en avant (pollution et continuité) car même dans des bassins très préservés, le saumon reste rare ou absent (Dadswell et al 2022). La même remarque pourrait être faite sur l'anguille : l'effondrement des stocks de ce migrateur date des années 1980, sans rapport temporel avec des ouvrages anciens présents depuis des siècles. 

Olivier Thibault a ensuite affirmé que 11% seulement des rivières françaises faisaient l’objet d’une politique de continuité écologique.

Ce propos est imprécis et trompeur. Suite à la loi de 2006, les préfectures de bassin ont classé 11% des rivières en liste 2 (obligation d’assurer la continuité au droit des ouvrages) et 30% en liste 1 (interdiction d’obstacle à la continuité écologique), voir données du CGEDD 2016. Mais surtout, les services de l’OFB que dirige Olivier Thibaut comme les services des DDT-M et des DREAL tendent désormais à exiger la continuité écologique à toute occasion de travaux sur un ouvrage. Ces services administratifs tirent argument que la continuité hydrographique figure dans les règles générales de gestion équilibrée et durable de l’eau (article L 211-1 code de l’environnement), donc qu’elle est exigible sur toute rivière, pas seulement sur celles spécifiquement classées à cette fin. Ces services tendent à donner des avis négatifs aux demandes de travaux sur des sites hydrauliques si ces travaux ne prévoient pas le poste (très coûteux) de continuité. C'est la raison pour laquelle nous demandons aux parlementaires de modifier la loi, afin d'empêcher ces attitudes de sur-administration et sur-réglementation qui bloquent l'hydraulique française depuis 20 ans.


Olivier Thibault a prétendu qu’il était « archi-faux » d’affirmer que les seuils en rivière aident à retenir l’eau et peuvent avoir des effets positifs sur les nappes ou les sécheresses.

Ce propos est « archi-faux ». D’abord, comme l’a reconnu l’expertise collective Irstea-Onema sur les effets cumulés des retenues d’eau, il existe très peu de données d’observation dans le monde sur les effets hydrologiques des petits ouvrages et de leurs plans d’eau (Carluer et 2016). Cette expertise signale que les retenues perdent de l’eau par infiltration et échange avec les aquifères, retenant une valeur médiane de 1 à 2 mm par jour pour le flux de transfert vers les aquifères. Ensuite, les règles de base de la physique (hydrostatique, hydrodynamique) comme l’observation empirique des puits et captages en bord d’ouvrages montrent que la création d’un plan d’eau et d’une lame d’eau plus haute augmente le niveau de la nappe sous-jacente. Le BRGM a rappelé cette évidence aux parlementaires dans une autre audition. De très nombreux travaux ont été menés pour étudier les barrages de castors – ce qui soit dit en passant montre une anomalie de la programmation de la recherche publique, car le même travail n’est même pas fait sur les ouvrages humains malgré leur ancienneté et omniprésence : tous ces travaux sur les castors documentent des effets positifs des petits barrages en lit mineur  pour la rétention d’eau dans les bassins (voir par exemple revue chez Larsen et al 2021). Enfin, de rares travaux ont été menés sur des rivières où l'on avait effacé des ouvrages, d'autres où l'on avait cessé de gérer les retenues de moulins : ces travaux documentent des incisions des lits et des baisses de niveau des nappes, deux phénomènes négatifs pour la retenue d'eau en sol et sous-sol (Maaß et Schüttrumpf 2019, Podgórski et Szatten 2020). On lira également avec profit la monographie de Pierre Potherat sur l'analyse des ouvrages hydrauliques et de leur gestion en lien aux recharges d'aquifères (Potherat 2021). 

Concernant l’évaporation, citée par Olivier Thibault comme un grave problème lié aux retenues d’eau, rappelons que tous les milieux de surface évaporent, qu’ils soient naturels ou artificiels. L’une des seules études menées en France pour comparer l’évaporation de retenues artificielles avec des zones humides ou des forêts a montré que les retenues humaines évaporent moins sur l’année (Al Domany et al 2020). De tels travaux doivent être répliqués, mais ils tirent déjà un signal d’alarme assez fort sur l’effet des « solutions fondées sur le nature » en ce qui concerne spécifiquement la lutte contre les sécheresses. Les parlementaires ne doivent pas suivre aveuglément des idées floues et à la mode, mais exiger des preuves scientifiques fortes avant d’engager un programme public sur des sujets importants pour la société et le vivant. Si l’OFB prétend que les ouvrages hydrauliques ont un effet négatif sur le stockage d’eau, il faut publier les travaux scientifiques qui le démontrent. Sinon, il faut arrêter de propager des fausses informations au nom d’une idéologie du retour à la rivière sauvage.  

Conclusion : l’Office français de la biodiversité (ex Onema, ex Conseil supérieur de la pêche) a largement contribué à transformer la continuité écologique en dogme et à bloquer toute analyse sérieuse des services écosystémiques rendus par les ouvrages hydrauliques. Olivier Thibault commence sa mandature à la direction de cette institution sur un très mauvais départ, avec la redite des éléments de langage relevant d’une idéologie administrative davantage que de la précision scientifique. 

24/05/2023

Les lacs naturels et artificiels perdent de l'eau depuis 30 ans – mais pas tous et pas toujours pour les mêmes raisons (Yao et al 2023)

Plus de la moitié des grands plans d’eau naturels et artificiels dans le monde ont vu leur volume se réduire au cours de ces trois dernières décennies, sous l’effet du changement climatique et des activités humaines, selon une étude venant de paraître dans Science. Un quart a vu ce volume augmenter et un quart n'a pas de tendance claire. Le stockage en réservoir artificiel a néanmoins connu un léger gain sur la période, car les constructions de nouveaux sites ont compensé les pertes des sites existants. La principale cause de perte de volume d'eau stocké en réservoir artificiel est la sédimentation, ce que les chercheurs suggèrent de prendre en compte dans les politiques de gestion des barrages et retenues. 


Tendance du volume d'eau des grands lacs, extrait de Yao et al 2023, art cit.

Les plans d'eau naturels comme artificiels ont un rôle important pour les sociétés humaines, comme le rappellent Fangfang Yoao et ses collègues en introduction de leur recherche : "Les lacs couvrent 3 % de la superficie terrestre mondiale, stockant de l'eau stagnante ou à écoulement lent qui fournit des services écosystémiques essentiels d'eau douce et d'approvisionnement alimentaire, d'habitat des oiseaux d'eau, de cycle des polluants et des nutriments et des services récréatifs. Les lacs sont également des éléments clés des processus biogéochimiques et régulent le climat par le cycle du carbone. Leurs biens et services potentiels sont modulés par le stockage de l'eau du lac (LWS), qui fluctue en réponse aux changements de précipitations et de débit des rivières, ainsi qu'en réponse aux activités humaines directes (barrages et consommation d'eau) et au changement climatique."

Pour mener leur évaluation, les chercheurs ont agrégé près de 249 000 images par satellite, en même temps que des batteries de données météorologiques et d'informations sur l’évaporation, l’humidité des sols et la transpiration des végétaux, les ruissellements et les écoulements, l’irrigation. Ainsi ont-ils pu estimer le poids des facteurs dans l'évolution de la ressource hydrique à la surface de la Terre.

Voici d'abord le résumé de leur étude :
"Le changement climatique et les activités humaines menacent de plus en plus les lacs qui stockent 87 % de l'eau douce de surface liquide de la Terre. Pourtant, les tendances récentes et les facteurs de changement du volume des lacs restent largement inconnus à l'échelle mondiale. 
Ici, nous analysons les 1972 plus grands lacs mondiaux à l'aide de trois décennies d'observations satellitaires, de données climatiques et de modèles hydrologiques, et nous avons constaté des baisses de stockage statistiquement significatives pour 53 % de ces masses d'eau au cours de la période 1992-2020. La perte nette de volume dans les lacs naturels est largement attribuable au réchauffement climatique, à l'augmentation de la demande d'évaporation et à la consommation humaine d'eau, tandis que la sédimentation domine les pertes de stockage dans les réservoirs. 
Nous estimons qu'environ un quart de la population mondiale réside dans un bassin d'un lac en voie d'assèchement, ce qui souligne la nécessité d'intégrer les impacts du changement climatique et de la sédimentation dans la gestion durable des ressources en eau."

Plus en détail, voici les informations clés qui ressortent de cette étude :
  • Une base de données mondiale des stockage d'eau en grands lacs a été composée de séries temporelles (1992 à 2020) de stockage infra-annuelles pour 1972 grandes masses d'eau, dont 1051 lacs naturels (100 à 377 002 km2) et 921 réservoirs (4 à 67 166 km2), qui représentent 96 et 83% du stockage naturel des lacs et réservoirs de la Terre.
  • Plus de la moitié (53 ± 2 %) des grands lacs ont subi des pertes d'eau importantes. La perte prévaut notamment l'ouest de l'Asie centrale, le Moyen-Orient, l'ouest de l'Inde, l'est de la Chine, le nord et l'est de l'Europe, l'Océanie, les États-Unis contigus, le nord du Canada, l'Afrique australe et la majeure partie de l'Amérique du Sud. 
  • Environ un quart (24%) des grands lacs ont connu des gains d'eau importants, qui se trouvent en grande partie dans les lieux de construction de barrages et dans les régions isolées ou sous-peuplées, telles que le plateau tibétain intérieur et les grandes plaines du nord de l'Amérique du Nord. 
  • À l'échelle mondiale, le stockage en lac a montré une baisse nette à un taux de −21,51 ± 2,54 Gt an−1, ou de 602,28 km3 en volume cumulé, ce qui équivaut à l'utilisation totale de l'eau aux États-Unis pour l'année entière de 2015
  • La perte de volume cumulée est d'environ 40 % supérieure à la moyenne des variations annuelles (c'est-à-dire les différences entre les valeurs maximales et minimales) sur la période 1992-2020
  • Le volume naturel des lacs naturels a diminué à un taux net de −26,38 ± 1,59 Gt an−1, dont 56 ± 9% sont attribuables aux activités humaines directes et aux changements de température et d'évapotranspiration potentielle (PET), c'est-à-dire la demande d'évaporation. Un total de 457 lacs naturels (43 %) ont subi des pertes d'eau importantes avec un taux total de −38,08 ± 1,12 Gt an−1, tandis que des gains d'eau importants ont été constatés dans 234 lacs naturels (22 %) à un taux total de 13,02 ± 0,41 Gt an−1. Les 360 lacs restants (35 %) n'ont montré aucune tendance significative. Plus de 80 % du déclin total des lacs asséchés provient des 26 pertes les plus importantes (>0,1 Gt an−1, p < 0,1).
  • Près des deux tiers (64 ± 4 %) de tous les grands réservoirs artificiels ont connu des baisses de stockage importantes, bien que les réservoirs aient affiché une augmentation globale nette à un taux de 4,87 ± 1,98 Gt an−1, en raison de 183 (20 %) réservoirs récemment remplis. Des baisses de stockage dans les réservoirs existants, c'est-à-dire déjà remplis avant 1992, ont été observées dans la plupart des régions. Le déclin global du stockage dans les réservoirs existants (−13,19 ± 1,77 Gt an−1) peut être largement attribué à la sédimentation : "Nos résultats suggèrent que la sédimentation est le principal contributeur à la diminution globale du stockage dans les réservoirs existants et a un impact plus important que la variabilité hydroclimatique, c'est-à-dire les sécheresses et la récupération après les sécheresses".
Discussion
Cet article de recherche montre que la disponibilité de l'eau devient un enjeu de plus en plus pressant en période de changement climatique et face aux besoins des sociétés. Une autre mission récemment lancée  – SWOT (Surface Water Ocean Topography) pour le Centre national d’études spatiales et la NASA – permettra à terme d'étendre ce travail à des millions de petits lacs et plans d'eau.

Il est notable que les chercheurs insistent sur le rôle de la sédimentation dans la perte de volume stocké des réservoirs artificiels. Le gestionnaire public doit réfléchir à simplifier les travaux de curage lors des vidanges d'entretien ainsi que la valorisation des sédiments. Car face au manque d'eau, et en particulier à la variabilité plus forte du cycle de l'eau (épisodes de fortes pluies alternant avec des épisodes de sécheresse), les sociétés humaines ne vont certainement pas abandonner le stockage en surface : il s'agit de rendre ce stockage plus efficient en même temps que de l'adapter aux connaissances nouvelles en écologie aquatique.

Référence : Yao F et al (2023), Satellites reveal widespread decline in global lake water storage, Science, 80, 6646, 743-749

19/05/2023

Considérer l'eau de surface et l'eau souterraine comme une seule et même ressource (Scanlon et al 2023)

L'analyse satellitaire par gravimétrie (mission GRACE) permet d'estimer l'évolution globale des ressources en eau douce superficielle et souterraine, par bilan de masse. Les dernières mesures publiées par les chercheurs montrent une forte variabilité interannuelle, une progression globale de la superficie de stockage d'eau en surface, une déplétion régionale de la ressource en raison du climat ou des usages, au premier rang desquels l'irrigation.

Tendance des ressources en eau depuis le début de la décennie 2000.

Entre 2012 et 2020, la crise de l'eau est apparue huit fois parmi les cinq risques à fort impact répertoriés par le Forum économique mondial. La 77e Assemblée générale des Nations Unies en 2022 a émis une alerte rouge sur le climat et l'approvisionnement en eau. La gestion quantitative de l'eau est donc revenue au premier plan des préoccupations publiques.

Une équipe internationale de chercheurs vient de publier une estimation des ressources globales d'eau douce à partir du satellite GRACE, qui permet (par bilan massique) de mesurer le stockage total d'eau en surface et en sol, à échelle de la planète. Ces chercheurs font aussi un passage en revue des options pour gérer l'eau douce, en insistant sur le fait que l'eau de surface et l'eau souterraine doivent être considérées comme une seule et même ressource. 

Voici le résumé de leur travail :
L'eau est une ressource essentielle, mais assurer sa disponibilité confronte à des défis liés aux extrêmes climatiques et à l'intervention humaine. Dans cette revue, nous évaluons l'évolution actuelle et historique des ressources en eau, en considérant les eaux de surface et les eaux souterraines comme une ressource unique et interconnectée. 
Les tendances du stockage total de l'eau ont varié d'une région à l'autre au cours du siècle dernier. Les données satellitaires de Gravity Recovery and Climate Experiment (GRACE) montrent des tendances à la baisse, à la stabilité et à la hausse du stockage total de l'eau au cours des deux dernières décennies dans diverses régions du monde. La surveillance des eaux souterraines fournit un contexte à plus long terme au cours du siècle dernier, montrant une augmentation du stockage de l'eau dans le nord-ouest de l'Inde, le centre du Pakistan et le nord-ouest des États-Unis, et une diminution du stockage de l'eau dans les hautes plaines et la vallée centrale des États-Unis. La variabilité climatique entraîne certains changements dans le stockage de l'eau, mais l'intervention humaine, en particulier l'irrigation, est un moteur majeur.
La résilience des ressources en eau peut être accrue en diversifiant les stratégies de gestion. Ces approches comprennent des solutions vertes, telles que la préservation des forêts et des zones humides, et des solutions grises, telles que l'augmentation des approvisionnements (dessalement, réutilisation des eaux usées), l'amélioration du stockage dans les réservoirs de surface et les aquifères épuisés, le transport de l'eau. Un portefeuille diversifié de ces solutions, associé à la gestion des eaux souterraines et des eaux de surface en tant que ressource unique, peut répondre aux besoins humains et écosystémiques tout en construisant un système d'eau résilient.
Voici les points clés mis en avant par les chercheurs : 
Les tendances nettes des données sur le stockage total de l'eau de la mission satellite GRACE vont [selon les grands bassins] de −310 km3 à 260 km3 au total sur une mesure de 19 ans dans différentes régions du monde, variations causées par le climat et l'intervention humaine.

Les eaux souterraines et les eaux de surface sont fortement liées, 85 % des prélèvements d'eau souterraine provenant du captage des eaux de surface et d'une évapotranspiration réduite, et les 15 % restants provenant de l'épuisement des aquifères.

Les interventions climatiques et humaines ont causé la perte d'environ -90 000 km2 de superficie d'eau de surface entre 1984 et 2015, tandis que 184 000 km2 de nouvelle superficie d'eau de surface se sont développées ailleurs, principalement en remplissant des réservoirs.

L'intervention humaine affecte les ressources en eau directement par l'utilisation de l'eau, en particulier l'irrigation, et indirectement par le changement d'affectation des terres, comme l'expansion agricole et l'urbanisation.

Les stratégies visant à accroître la résilience des ressources en eau comprennent la préservation et la restauration des forêts et des zones humides, et la gestion conjointe des eaux de surface et des eaux souterraines.


A propos des stockages en surface, les auteurs font les remarques suivantes :
"Le stockage géré de l'eau, y compris les réservoirs de surface et le stockage souterrain dans les aquifères, peut résoudre les déconnexions temporelles entre l'offre et la demande causées par les extrêmes climatiques (inondations et sécheresses). La diminution du stockage naturel dans le manteau neigeux dans le cadre du changement climatique souligne la nécessité de développer une capacité de stockage supplémentaire pour compenser les impacts climatiques.

À l'échelle mondiale, environ 58 000 grands barrages (≥15 m de haut) fournissent une capacité de stockage agrégée d'environ 7 000 à 8 300 km3. Les barrages à usage unique sont construits pour l'irrigation (~50%), l'hydroélectricité (21%) et l'approvisionnement en eau (12%). Cependant, les barrages mal gérés perturbent la connectivité écologique des rivières et la quantité et la qualité de l'eau en aval. Bien que la construction de barrages ait déjà atteint son apogée dans certains pays (en particulier à revenu élevé) parce que des sites de stockage appropriés ont été développés au maximum, les progrès du niveau de compétence en matière de prévision encouragent les efforts visant à optimiser le stockage sur les sites existants en utilisant des opérations de réservoir informées par les prévisions (FIRO), comme démontré à Lake Mendocino, en Californie. Le FIRO consiste à transférer l'excès d'eau de surface avant l'inondation des réservoirs vers les aquifères épuisés adjacents pour améliorer le stockage de l'eau. La Ganges Water Machine fournit un autre exemple de gestion conjointe des eaux de surface et des eaux souterraines pour améliorer le stockage de l'eau. L'irrigation étendue alimentée par les eaux souterraines pendant les périodes autres que la mousson offre un espace accru pour stocker les eaux de crue de la période de mousson de 3 mois, améliorant ainsi l'échange d'eau de surface et souterraine.

La construction de barrages augmente nettement dans les pays à revenu faible et intermédiaire où il existe encore un grand potentiel de réservoirs. Environ 3 700 barrages hydroélectriques sont en construction ou prévus, principalement en Amérique du Sud, en Asie du Sud et de l'Est et en Afrique. Il y a des inconvénients à utiliser des réservoirs pour réduire les pénuries d'eau. Par exemple, le remplissage du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD, capacité de 74 km3) pourrait réduire considérablement les niveaux des réservoirs dans le réservoir du barrage du Haut Assouan en aval, et la gestion des deux réservoirs sera nécessaire pour faire face aux sécheresses pluriannuelles. Sur la base du paradoxe de Jevons, et comme ce qui concerne l'efficacité de l'irrigation, l'augmentation de l'approvisionnement en eau peut augmenter la demande et rendre les systèmes plus vulnérables aux pénuries.

Il existe un intérêt croissant pour le stockage de l'eau dans les aquifères épuisés en utilisant la recharge gérée des aquifères (MAR), le processus d'infiltration ou d'injection artificielle d'eau dans le sous-sol pour le stockage et la récupération ultérieure. De plus, avec l'augmentation des extrêmes climatiques, on s'intéresse de plus en plus à la capture des débits de crue et de tempête pour recharger les aquifères épuisés. Le volume annuel d'eau stockée à l'échelle mondiale grâce au MAR est passé à environ 10 km3 en 2015. Bien que les volumes de stockage du MAR soient faibles par rapport aux réservoirs de surface, le MAR peut être une stratégie extrêmement importante à l'échelle locale pour aider à atténuer le stress hydrique régional. Par exemple, dans le comté d'Orange, en Californie, le MAR est un composant essentiel du portefeuille local d'approvisionnement en eau et fournit suffisamment d'eau pour 850 000 personnes, en plus de co-bénéfices tels que la prévention de l'intrusion d'eau de mer et l'amélioration de la qualité de l'eau. L'épuisement du stockage des aquifères aux États-Unis a été estimé à 1 000 km3 entre 1900 et 2008, dépassant la capacité des nouveaux réservoirs de surface (673 km3) construits au cours de cette période. Cet héritage de l'épuisement de l'aquifère représente une grande capacité potentielle de réservoir souterrain pour soutenir le MAR, même en tenant compte de la perte permanente de stockage de l'aquifère due au compactage (par exemple, ~ 20 % en Californie). Les projets MAR peuvent étendre davantage les options de stockage local grâce à une gestion conjointe des réservoirs de surface traditionnels avec des installations MAR colocalisées. Bien que le MAR puisse avoir de multiples avantages, notamment l'atténuation de l'affaissement des terres et la restauration des écosystèmes, il peut également avoir des effets néfastes sur l'environnement, notamment l'engorgement, la salinisation des sols et la dégradation de la qualité de l'eau."
Discussion
La gestion intégrée de l'eau ne doit pas séparer l'eau de surface et l'eau souterraine, puisque ces deux réalités sont interconnectées dans le fonctionnement naturel des bassins versants comme dans les usages humains de l'eau (s'y ajoute, encore marginalement mais en forte croissance mondiale, le dessalement de l'eau de mer créant un apport d'eau douce en zone littorale). Cela suppose déjà de disposer d'un réseau de mesure complète de la ressource eau. 

Si ces estimations globales sont utiles et permises par la mission GRACE, elles ne doivent pas faire oublier que l'eau se gère toujours localement. Par exemple, outre les 58 000 grands barrages de plus 15 m dans le monde, il existe des millions d'ouvrages de moindre hauteur (1,2 million en Europe, voir Belletti et al 2020). Bien que passant sous le radar des réflexions globales, ces ouvrages ont aussi des fonctions de ralentissement, stockage, diversion de l'eau.  Il faudrait d'ailleurs ajouter aux barrages artificiels créés par les humains ceux résultant de processus non humains (embâcles, éboulis, castors etc.). Si l'eau doit être gérée face à l'aléa climatique et à la demande socio-économique, cette gestion s'opère sur chaque bassin versant, d'autant que le transport longue distance de l'eau reste une option énergie-intensive et difficilement actionnable, hors quelques très grands projets (cités dans l'article des chercheurs). 

Un point particulièrement intéressant pour la réflexion est la connexion des réservoirs de surfaces créés par des barrages, des digues ou des canaux avec les sols, aquifères et nappes. L'intérêt de stocker l'eau sous la surface est lié à une moindre évaporation, notamment en période de changement climatique – même s'il ne faut pas négliger que l'eau de surface reste nécessaire à la biodiversité très riche des milieux aquatiques et humides, les espèces ne pouvant évidemment se réfugier sous le sol en été, hormis une toute petite fraction adaptée aux assecs. A petite échelle, on peut imaginer que la gestion des ouvrages hydrauliques serve à des élévations de nappes, inondations contrôlées de lit majeur en saison pluvieuse, détournements par canaux vers des zones favorables à l'infiltration (cf par exemple les analyses locales sur une tête de bassin karstique in Potherat 2021). Cela suppose que le gestionnaire revienne à une culture hydraulique en la connectant aux connaissances hydrologiques et écologiques.

Référence : Scanlon BR et al (2023), Global water resources and the role of groundwater in a resilient water future, Nature Reviews Earth & Environment, 4.2, 87-101