09/02/2013

L'équipement hydraulique de la Côte d'Or en 1899


Créé en 1891, l'Office du travail fut incorporé en 1899 dans  la Direction du travail (au sein du ministère du Commerce) et doté d'un bureau de la statistique générale de la France. L'un des objectifs était de fournir au pays un recensement précis de ses capacités industrielles et commerciales. Parmi elles, les « force motrices à vapeur et hydrauliques » intéressaient évidemment les esprits, en cette fin d'un siècle marqué par le rôle prépondérant de l'énergie. Deux enquêtes quinquennales avaient précédé en 1840-1845 et 1860-1865. Le recensement de 1899 de l'Office du travail permet d'évaluer quel était l'équipement hydraulique de la Côte d'Or.

568 sites équipés de moteurs hydrauliques, pour une puissance de 4,92 MW
Pour les rivières non navigables, la Côte d'Or comptait 565 chutes aménagées. Elle se place en 35e position des départements français (en tête le Puy-de-Dôme avec 1529 chutes, en queue la Seine avec 19 chutes). Sur les rivières et canaux navigables, les aménagements ne comptent que 3 sites (contre par exemple 146 en Haute-Garonne, le département le plus équipé sur ce type de cours d'eau).

Les 565 chutes des rivières non navigables sont exploitées par 509 établissements rattachés aux industries de transformation, 33 relevant de la forêt et agriculture auxquels s'ajoutent 2 services de l'Etat ou des communes. La puissance totale est estimée à 6686 chevaux-vapeur (soit 4,92 MW). La répartition par puissance n'est pas individualisée par établissement ou chute, mai donnée par tranche. Elle est de 146 établissements entre 1 et 4 ch (moins de 3 kW), 210 établissement entre 5 et 10 ch (jusqu'à 7 kW), 122 de 11 à 20 ch (jusqu'à 15 kW), 55 de 21 à 50 ch (jusqu'à 38 kW), 6 de 50 à 100 ch (jusqu'à 73 kW), 1 de 100 à 200 ch (jusqu'à 145 kW) et 2 de 201 à 500 ch (jusqu'à 350 kW).

Des activités  diverses,  largement dominées par la minoterie
Les quatre secteurs dominants sont les industries de l'alimentation (352 établissements), les industries du bois (82), les industries chimiques (30) et le travail du fer, acier et métaux divers (17).

Les dix premières activités plus précisément détaillées sont la minoterie et moulin à farine (313 établissements),  la scierie de bois (64), le battage de grains (32), le moulin à farine associé à d'autres industries (31), l'huilerie (15), le moulin à tan (11), la fabrique de ciment, plâtre ou phosphate (8), la tuilerie et briqueterie (7), la fabrique de moutarde (6), la scierie de pierre (4).

S'y ajoutent de nombreux autres activités n'occupant souvent qu'un moulin spécialisé : ferblanterie, émaillerie, clouterie, fonderie, distillerie, chaudronnerie, poudrerie, etc. La plus grande puissance à 320 ch (235 kW) est mobilisée par une forge. Notons que la statistique de 1899 ne compte que deux établissements produisant de l'électricité (à fin d'éclairage), l'un à 35 ch et l'autre à 60 ch.

Quant aux trois sites sur canaux et rivières navigables (37 ch), ils servent à la fabrication du ciment pour deux d'entre eux et au sciage du bois.

Quelques observations pour conclure
La statistique de 1899 donne une base intéressante sur l'hydraulique cote-dorienne, même s'il n'est pas certain qu'elle reflète la totalité des sites équipés. Les services de l'Office du travail se plaignaient d'un manque  de moyens, surtout après la centralisation du dépouillement à Paris (en association avec le recensement général depuis 1896).

La détermination de la puissance effective (relevant de la Direction de l'hydraulique agricole à la fin du XIXe siècle) est également problématique. Il a été observé la difficulté de définir la puissance d'un moteur hydraulique compte tenu des variations de débit — la puissance nominale sera considérée comme celle de la génératrice après l'électrification, mais cet usage était encore rare en 1899  (Huber 1932).

Références : 
Huber M (1932), La statistique des forces motrices, Journal de la société statistique de Paris, 73, 397-422.
Ministère du Commerce de de l'Industrie (1901), Répartition des forces motrices à vapeur et hydrauliques en 1899, Tome II Moteurs hydrauliques, Imprimerie nationale.

Illustration : turbine centrifuge Fourneyron, représentée par Armenaud aîné in Traité théorique et pratique des moteurs hydrauliques (1868).

L'Onema persiste dans le déni: non, les mesures ne sont pas mises à disposition du public!

En réponse au « scandale de l'eau » lancé par Marc Laimé et repris par Le Monde, sur la base d'un rapport (non public) de la Cour des Comptes, l'Onema a publié un communiqué de presse. L'Office affirme notamment :

L’Onema est chargé, entre autres, de la coordination technique du système d’information sur l’eau, piloté par le ministère. Crée en 1993, le SIE rassemble des données produites par les services déconcentrés de l'État, les agences et offices de l’eau, l'Onema, le BRGM, les collectivités territoriales, les industriels, les associations pour la protection des poissons migrateurs, etc. Ces données sont pour la plupart, mises à disposition des autorités et du public sur les sites Eaufrance.
D'autres bases de données, en cours de développement, rassembleront et mettront à disposition du public d'autres données, par exemple sur les prélèvements d'eau ou sur les flux de poissons migrateurs.

Ce propos est un accompagné d'une liste des sites du système Eaufrance (cliquer l'image pour agrandir) — liste dont l'empilement et l'entrecroisement sont déjà en soi une promesse d'illisibilité pour les citoyens, leurs élus ou leurs associations.

Il est regrettable que l'Onema persiste ainsi dans le déni en laissant entendre que tout va très bien dans le Système d'information sur l'eau et que chacun peut connaître l'état de sa rivière.

72 mesures exigibles sur chacune des 11 000 masses d'eau françaises: où sont-elles ?
Car il existe un problème, et un gros : les mesures exigibles depuis la Directive-cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) ne sont tout simplement pas disponibles. On est à vrai dire incapable en ce début 2013 de savoir si une seule masse d'eau a vraiment la totalité des mesures requises, à la fréquence voulue (nous parlons bien de mesures quantifiées de phénomènes chimiques, physiques ou biologiques, et non pas d'avis subjectifs d'expert dont l'indice de confiance est faible ou qui sont tout simplement dépourvus de sens ;  voir le problème ici.)

La DCE 2000 sur l'eau demande aux Etats-membres d'évaluer l'état chimique et écologique de chaque masse d'eau. Il existe en France 11523 masses d'eau superficielles, dont 10824 concernant des rivières. En moyenne, une masse d'eau de rivière représente 22 km de tronçon. Cette masse d'eau est délimitée par sa cohérence : hydrologie, géologie, influence anthropique. (Source : WISE, rapportage français à l'Union européenne.)

Sur chaque masse d'eau, l'Etat-membre doit produire à la fréquence requise pour chaque indicateur (Arrêté du 25 janvier 2010). :
• 5 mesures biologiques
• 18 mesures physicochimiques
• 8 critères de description morphologique
• 41 mesures chimiques

Et c'est là une demande conservatrice de la part de l'Union européenne puisque l'étude menée en 2007-2009 sur les milieux aquatiques continentaux avait révélé la présence de 413 micropolluants en eaux superficielles (Etudes & Documents 54, 2011)

Aucun site ne fournit de manière synthétique et claire ces données pour chaque masse d'eau
Or, quand nous demandons ces mesures sur chacune des masses d'eau de Côte d'Or, ni l'Onema ni l'Agence de l'eau ne sont capables de nous donner un lien efficace, c'est-à-dire un site où chaque masse d'eau dispose de son rapport de mesure comprenant l'ensemble des 72 analyses nécessaires au terme de la DCE. L'Onema renvoie vers des relevés piscicoles (type Indice poisson rivière) ne concernant qu'une poignée de cours d'eau par département, et l'Agence de l'eau vers des sous-sites Eaufrance dont aucune ne comporte l'ensemble des masses d'eau (et dont les rares que nous trouvions à proximité de l'Auxois annonçaient une "base indisponible", encore un exemple ci-contre en date du 7 février).

Il semble que la Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie commence seulement à prendre la mesure de l'état déplorable de l'information sur l'environnement aquatique. C'est inquiétant :  cette information est non seulement un devoir vis-à-vis de l'Union européenne (rapportage de chaque état-membre pour le suivi de la Directive-cadre sur l'eau), mais elle est également un devoir vis-à-vis des citoyens, qui entendent pouvoir accéder simplement et efficacement au bilan chimique et écologique de leur rivière.

Si le Système d'information sur l'eau vise la transparence sur les mesures réellement effectuées, rien de plus simple : il suffit de réunir sur un même site, avec entrée par bassins et rivières, la liste des masses d'eau et d'un simple clic accéder à un bilan chiffré des analyses : substance (ou paramètre), année, mesure, écart de cette mesure par rapport à la normale ou la valeur maximale admissible. Nos concitoyens sont capables de lire une analyse de sang sur ce principe, ils peuvent parfaitement lire une analyse de qualité des milieux aquatiques. Pourvu que l'Autorité en charge de l'environnement soit décidée à faire la lumière sur ce qui a été réalisé ou non. Pourvu aussi qu'elle consente réellement à assurer l'accès transparent et efficace aux données relatives à l'environnement.

Le mauvais argument du manque de moyens
L'argument généralement repris ces temps-ci en défense des établissements publics travaillant pour l'Autorité en charge de l'environnement est celui du "manque de moyens". Mais c'est peu recevable : les Agences de l'eau disposent d'un budget annuel de l'ordre de 2 milliards d'euros — auquel s'ajoute le budget des établissements qui, outre l'Onema (principalement abondé par les Agences), concourent à une partie des mesures chimiques et biologiques : Irstea, Ifremer, Museum national d'histoire naturelle, etc.

Les moyens existent donc depuis 12 ans que la Directive-cadre a été adoptée. C'est leur usage qui est en cause. Et c'est la Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie qui, en dernier ressort, doit en répondre.

En terme de mésusage, on observera que, à rebours de la méthodologie préconisée par l'Union européenne*, des sommes importantes ont été dédiées au compartiment hydromorphologie (mise en place du Référentiel des obstacles à l'écoulement, opérations-pilotes au budget souvent pharaoniques sur l'effacement de 1200 ouvrages prioritaires de la circulaire Grenelle 2010, etc.). Cela alors même que les mesures de base sur la pollution chimique et la dégradation biologique n'étaient pas réunies — de sorte que l'on se précipite en réalité de faire librement circuler des eaux et sédiments pollués dans les rivières, les fleuves, les estuaires et finalement les océans. Et que nul ne peut estimer le rapport coût économique-bénéfice écologique des opérations dites de "restauration des milieux aquatiques". (Rappelons tout de même à titre d'exemple que, sans l'intervention d'un Collectif associatif, on s'apprêtait à dépenser à Semur-en-Auxois un demi-million d'euro pour supprimer un petit barrage, et son socle granitique naturel dans la foulée ; avec une telle somme, on peut tout de même financer des prélèvements et des analyses sur les rivières de Côte d'Or...)

Les deux premiers travaux de l'Observatoire de la continuité écologique suggèrent fortement que la grande majorité des obstacles à l'écoulement longitudinal ne sont pas les causes de la dégradation piscicole observée depuis le XXe siècle. Aussi la question se pose : les gouvernement successifs ont-ils eu réellement la volonté de chercher et de traiter les causes de détérioration des milieux aquatiques? Ou ont-ils choisi des mesures "visibles" pour dissimuler le catastrophique retard dans la connaissance et dans l'action?


(*) La Communauté européenne a adopté cet arbre de décision (image ci-dessus), au terme duquel les Etats-membres doivent d'abord mesurer l'état biologique (5 marqueurs), puis en cas de résultat médiocre analyser les causes physicochimiques d'altération. L'hydromorphologie (incluant les obstacles à l'écoulement latéraux et longitudinaux, mais aussi 6 autres critères) n'est pas considérée comme un critère décisif pour le bon état de la rivière.

PS : on lira avec la lettre ouverte de M. Jean-Luc Touly, membre du Comité national de l'eau et du Comité de bassin Seine-Normandie (dont dépendent nos rivières en Auxois).

06/02/2013

Observatoire de la continuité écologique et des usages de l'eau

L'association Hydrauxois a le plaisir de vous annoncer la naissance de l'Observatoire de la continuité écologique et des usages de l'eau, dont elle est une des premières coordinatrices nationales avec le Cedepa de Philippe Benoist.

Les deux premiers dossiers de l'Observatoire sont en ligne. On peut consulter ci-dessous les principales conclusions : elles convergent pour montrer que les obstacles à l'écoulement ne sont nullement les premiers responsables de la dégradation de la qualité piscicole des rivières françaises. Il serait en conséquence inacceptable que le nouveau classement des cours d'eau donne lieu à une application systématique et brutale, aussi coûteuse pour l'économie que douteuse pour l'écologie, et cela alors que les premières causes de pollution ne sont toujours pas traitées (pollutions dont les mesures ne sont généralement pas disponibles, alors que des rapports sur les rivières suggèrent leur urgence, voir le cas du Serein, de l'Armançon ou de la Seine cote-dorienne).

Il a récemment été avancé que le Système d'information sur l'eau ayant servi de fondement au classement des rivières est défaillant : les dossiers de l'Observatoire plaident en ce sens, en suggérant que les connaissances scientifiques des rivières (et particulièrement de l'hydromorphologie) sont très insuffisantes pour asseoir des conclusions robustes, a fortiori des décisions précipitées de travaux en rivières.

Pourquoi les poissons n’ont-ils pas tous disparu de nos rivières ?
Étude de 18 espèces piscicoles au XIXe siècle, en présence d’obstacles à l’écoulement deux à trois fois plus nombreux qu’aujourd’hui

En 1865, on comptait 52 000 moulins en activité de production commerciale, auxquels s’ajoute un nombre inconnu d’ouvrages hydrauliques servant à l’autoproduction, de barrages d’irrigation agricole, de seuils en rivière abandonnés faute d’usage, d’autres équipements hydrauliques (écluses, premiers grands barrages de retenue). Il en résulte que les obstacles à l’écoulement longitudinal et à la circulation des poissons étaient deux fois à trois fois plus nombreux que ceux recensés aujourd’hui dans le Référentiel des obstacles à l’écoulement.

Or, à l’exception de certains grands migrateurs comme le saumon ou l’esturgeon dont on signalait la raréfaction en tête de bassins versants, la plupart des espèces aujourd’hui protégées au titre de la continuité écologique étaient considérées comme communes ou abondantes dans les rivières françaises (ou dans leurs bassins spécifiques) : spirlin, alose, anguille, hotu, toxostome, brochet, lamproie de rivière, lamproie marine, vandoises, blageon, lote, bouvière, ombre commun, apron du Rhône. Les écrevisses autochtones, connues pour leur sensibilité à la qualité de l’eau, étaient également signalées dans les fleuves comme dans leur réseau d’affluents, sans problème apparent pour la colonisation des milieux aquatiques.

Ces observations, menées à la fin du XIXe siècle par les fondateurs de l'ichtyologie scientifique française, suggèrent que la dégradation de la qualité piscicole, plus largement biologique des rivières françaises ne provient que marginalement des seuils en lit mineur et des ouvrages de petite hydraulique, dont le nombre (donc l’influence sur les cours d’eau) a progressivement décru depuis un siècle. Pour expliquer l’altération des milieux aquatiques, il convient de rechercher des facteurs présents au XXe siècle mais absents au XIXe siècle. Parmi les candidats les plus logiques : composés présents dans les intrants et les effluents agricoles, industriels, sanitaires et domestiques ; urbanisation, artificialisation des rives et suppression des annexes latérales ; croissance de la grande hydraulique ; espèces invasives et empoissonnements massifs à fin de pêche de loisir ; changement climatique récent.

Il en résulte que le classement systématique des cours d’eau entiers sans distinction sur la nature de leurs obstacles à l’écoulement ne permet pas d’établir correctement les priorités biologiques et hydromorphologiques pour la vingtaine d’espèces concernées par la continuité longitudinale. Un travail complémentaire des autorités en charge de l’eau est nécessaire pour définir ces priorités.

Obstacles à l’écoulement et qualité piscicole
Quand les mesures contredisent les discours sur l’effacement indispensable des seuils, digues, barrages et autres obstacles à l’écoulement…

Dans chaque département – sauf exceptions par défaut de mesures –, ce dossier montre que l'on trouve des rivières en qualité piscicole «bonne» ou «excellente» malgré la présence d’obstacles à l’écoulement. Il est donc inexact d’affirmer que la présence de seuils ou barrages altère nécessairement la composition de la faune piscicole. La qualité en question est mesurée par l'Indice poisson rivière (IPR) des pêches de contrôle de l'Onema.

L’Indice poisson rivière (IPR) est d’autant meilleur qu’il est proche de 1 (c’est-à-dire faible). Le score moyen d’IPR 2010 des 1136 rivières françaises analysées par l'Onema est de 17,274. Le score moyen des 88 rivières  analysées (7,75% de l’échantillon national) est de 8,002. Les rivières avec obstacles analysées dans ce dossier ont donc une note moyenne de qualité piscicole deux fois meilleure que la note des rivières françaises.

En Charente-Maritime et Loir-et-Cher, il n’existait pas de mesure IPR en bon ou excellent état comportant des seuils. Dans ces deux départements, l’étude montre que les rivières en plus mauvais état piscicole n’ont pas d’obstacles à l’écoulement sur leur lit, ce qui suggère d’autres causes de dégradation (nutriments azotés et phosphorés, etc…)

Dans 36 sites de contrôle, non seulement la qualité piscicole des rivières comportant des obstacles à l’écoulement est bonne ou excellente, mais c’est même la meilleure du département pour le relevé IPR 2010 : Eure, Gard, Haute Garonne, Gers, Ille-et-Vilaine, Loire, Haute-Loire, Lot-et-Garonne, Haute-Marne, Meuse, Morbihan, Moselle, Oise, Pas-de-Calais, Puy-de-Dome, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Orientales, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Rhône, Haute-Saône, Haute-Savoie, Seine-Maritime, Seine-et-Marne, Yvelines, Deux-Sèvres, Somme, Tarn-et-Garonne, Var, Vaucluse, Vienne, Haute-Vienne, Vosges, Essonne, Val-de-Marne, Val-d’Oise.

En général, les rivières étudiées dans ce dossier comportent des seuils ou glacis de moulin (empierrement  de hauteur modeste en lit mineur créant une hauteur de chute et une dérivation de bief). Mais plusieurs exemples – Pyrénées-Orientales, Haute-Savoie, Tarn – montrent qu’une qualité piscicole bonne ou excellente se trouve également en zone d’influence directe des grands barrages.

En février paraîtront deux autres travaux de l'Observatoire en cours de finalisation :

- un premier dossier local dédié à la continuité en Côte d'Or, rendu possible par l'existence d'un bon réseau associatif d'informateurs départementaux ;

- un dossier (national) sur le non-respect du principe de précaution dans l'arasement / dérasement des seuils, entraînant des modifications d'écoulement en crue et étiage.

02/02/2013

"Entre scandales et dérives"...

Les lecteurs de notre site savent toute la difficulté que nous avons à obtenir les données sur l'état chimique et écologique de nos rivières. Nous parlons bien des données primaires, les mesures permettant de contrôler la robustesse des conclusions de l'Autorité publique en charge de l'eau, et non pas de la littérature de vulgarisation en quadrichromie, où l'on avance des propos non vérifiables, notamment sur le rôle soi-disant clé des seuils et barrages dans la dégradation de la qualité de l'eau.

Nos lecteurs savent aussi toute l'incompréhension des riverains, des propriétaires d'ouvrages hydrauliques et plus largement des citoyens : l'Administration se montre soudain d'une rigueur implacable pour les seuils, barrages et autres obstacles en cours d'eau, au point d'envisager leur effacement à marche forcée dans les 5 ans qui viennent, alors que tous les rapports de terrain des syndicats de rivière (voir ici, ici ou ici), et les données mêmes de l'Onema ou du Système d'information sur l'eau quand elles sont disponibles, concluent que les principaux responsables de la dégradation de l'eau restent à ce jour les effluents domestiques, agricoles, industriels. De très prochaines publications auxquelles notre association a participé montreront d'ailleurs l'ampleur du problème.

Le journal Le Monde, dans son édition des 3 et 4 février 2013 consacre sa "une" à cette question : "La politique de l'eau en France entre scandales et dérives". Voici quelques extraits des analyses de ses journalistes, qui enquêtent sur un problème initialement soulevé par Marc Laimé à partir d'un rapport de la Cour des comptes. La lecture complète des articles (version papier ou version numérique pour abonnés) est fortement conseillée.

L'Onema, un bras armé de la politique de l'eau en mauvaise posture
Le ménage a été fait discrètement. Mais cela ne devrait pas suffire à étouffer le scandale qui frappe l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), un établissement public sous la tutelle du ministère de l'écologie, bras armé de la politique  publique de l'eau en France. L'agence en gère les données statistiques, cruciales pour juger de la qualité de notre ressource hydrique. L'Onema est sous le feu de vives critiques dans le rapport annuel de la Cour des comptes, qui sera rendu public le 12 février. (...) Le contrôle de la Cour met en évidence de lourds dysfonctionnements internes : "absence de fiabilité des comptes", "un budget mal maîtrisé sans procédure formalisée d'engagement de la dépense", "une gestion des systèmes d'information défaillante", "des sous-traitances non déclarées", etc.

Jeu de chaises musicales aux directions de l'eau
Quinze jours plus tard, par arrêté du ministère de l'écologie, Patrick Lavarde, directeur général de l'Onema depuis sa création, en 2007, est remplacé par Elisabeth Dupont-Kerlan, ingénieure générale des ponts, des eaux et des forêts. M. Lavarde est nommé chargé de mission au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), organisme sous l'autorité du ministère de l'écologie. Il n'a pas répondu à nos sollicitations. Le 21 novembre 2012, en conseil des ministres, il est aussi mis fin aux fonctions d'Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité (DEB), présidente du conseil d'administration de l'Onema, où elle n'a toujours pas été remplacée. Nommée à la direction générale du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, Mme Gauthier ne souhaite pas s'exprimer sur ses fonctions antérieures. Et d'autres mutations sont en cours. 

Des dérives récurrentes, selon la ministre de l'Ecologie
Comment expliquer tous ces dysfonctionnements ? Au-delà des responsabilités individuelles de tel ou tel acteur, que la justice pointera peut-être, l'affaire de l'Onema traduit, pour reprendre les termes d'un haut fonctionnaire, "un bordel incroyable" au sein de l'Etat. "Ce qui frappe, réagit Delphine Batho, c'est le caractère récurrent des dérives constatées, cette situation incroyable qui a perduré."

Le système d'information sur l'eau embourbé
Pour répondre à plusieurs directives européennes, la France doit rendre des comptes à la fois sur ses eaux potables, de baignade, conchylicoles, ainsi que sur ses eaux résiduaires urbaines, ses nitrates, boues d'épuration, inondations... Il lui faut élaborer - via l'Onema - un système d'information sur l'eau (SIE) performant, capable de fournir des données fiables et accessibles à la fois pour son "rapportage" auprès de Bruxelles, mais aussi pour orienter ses propres politiques publiques de l'eau. (…) L'Onema a consacré à cette tâche 80 millions d'euros en 2010, selon le rapport provisoire de la Cour des comptes. Pourtant, le SIE semble embourbé, son architecture tarde à prendre forme. Une bonne partie des données n'est toujours pas accessible, comme en témoigne Eau France, le portail Internet piloté par l'Onema, prolixe en textes officiels, recommandations et synthèses diverses, mais avare d'informations à jour et lisibles par le public non initié. Dans un paysage qui reste opaque, certains experts en arrivent à douter de leur fiabilité.

La Commission européenne fondée à douter des mesures
"En tout état de cause, la Commission européenne, qui estime les efforts de la France en matière de qualité de l'eau assez insuffisants pour la condamner d'ici quelques semaines, ne devrait pas perdre une miette de ce scandale. Bruxelles pourrait en effet s'interroger sur la pertinence des informations transmises par la France."

La Police de l'eau soumise à des pressions
"Des pressions ?" Cette chef de service éclate de rire. "Des pressions phénoménales oui ! Parfois, rapporte-t-elle, on nous demande de nous contenter d'une mise en garde plutôt que de verbaliser une entreprise polluante parce qu'il y a 400 emplois à la clé. Une autre fois, on nous interdit de contrôler les zones de lavage des engins agricoles des viticulteurs sous un prétexte fallacieux... " (…) Dans le sud de la France, un autre chef de service estime que la loi sur l'eau n'est simplement pas appliquée dans son département (...) : " L'administration ne veut pas de vagues, elle a fait le choix d'imposer le moins de contraintes possibles. Parfois, elle peut se contenter d'une simple note manuscrite de la part d'une entreprise au lieu d'exiger une demande d'autorisation réglementaire de cinquante pages.(...) Nous avons ainsi découvert dans la presse un projet de centre commercial qui va conduire à bétonner les rives d'un petit cours d'eau... "

Pour un vrai débat sur les priorités de l'eau
Nous l'avions déjà signalé sur ce site, il n'est pas question pour l'association Hydrauxois de verser dans des simplifications stupides ("tous pourris"), dans des généralisations abusives ("la continuité écologique ne vaut rien") ni dans des conclusions insultantes ("tous les agents administratifs de l'eau sont malhonnêtes ou manipulés"). Cela ne correspond évidemment pas à la réalité.

En revanche, nous avons très tôt attiré l'attention sur la difficulté à accéder à l'information, sur la faiblesse des données disponibles par rapport à la vigueur affirmée des conclusions avancées, sur la place anormale de l'hydromorphologie par rapport aux indicateurs biologiques, physochimiques et chimiques de la qualité de l'eau, sur certaines contradictions techniques et scientifiques manifestes dans le discours public sur la qualité de l'eau.

Comme le montre l'analyse du journal Le Monde, nous payons aujourd'hui 12 années d'impréparation publique :
• la mise en oeuvre chaotique de la Directive cadre européenne sur l'eau, visiblement bâclée d'un gouvernement l'autre depuis 2000 (la Cour des comptes avait tiré la sonnette d'alarme une première fois en 2010 dans son rapport sur les instruments de la politique durable de l'eau) ;
• l'agitation un peu cosmétique autour du Grenelle, qui a laissé de côté les problèmes de fond des rivières pour mettre en avant quelques spectaculaires mesures aux bénéfices environnementaux non réellement quantifiés ;
• l'incroyable dispersion et superposition des bases de données sur les paramètres de qualité de chacune des masses d'eau, bases qui devraient être au coeur d'une politique transparente de l'eau "fondée sur la preuve", et bases qui se trouvent aujourd'hui bien incapables de permettre une hiérarchisation des problèmes écologiques de nos rivières.

Le débat public sur l'eau n'a donc jamais vraiment eu lieu — surtout pas dans les concertations en trompe-l'oeil de la continuité écologique, des SAGE, des SDAGE où les rares citoyens ayant compris que leur avis était vaguement requis se trouvaient confrontés à des masses de conclusions fixées d'avance, sans la moindre opportunité de réfléchir à leur condition d'élaboration. Les rares fois où il s'est trouvé un tissu associatif assez vigoureux pour résister démocratiquement à un discours d'autorité et de fait accompli (comme à Semur-en-Auxois), la concertation a quand même abouti à sa conclusion logique : abandon de projets pharaoniques ne correspondant en rien aux besoins urgents de la rivière ni aux aspirations des territoires.

Notre association rappelle son objet et sa vocation : la défense de l'environnement, du patrimoine et de l'énergie hydrauliques — lesquels à nos yeux vont de pair pourvu que tous les acteurs (à commencer par les maîtres d'ouvrage) s'engagent dans une "gestion durable et équilibrée de la rivière", selon le voeu du législateur. Nous n'accepterons pas de voir sacrifiés cet environnement, ce patrimoine et cette énergie en Bourgogne au cours des mois et années à venir, alors même que ce sacrifice repose de toute évidence sur des informations défaillantes, des conclusions hâtives, des priorités erronées.

01/02/2013

Patrimoine: la forge d'Aisy-sur-Armançon

L’exploitation de la forge d’Aisy-sur-Armançon est mentionnée au XVIe siècle, la métallurgie en petit atelier étant plus ancienne encore dans la région (elle est attestée dès l’époque celtique puis romaine). Le minerai de fer, assez abondant en gisements de surface (Châtel-Gérard, Nuits, Etivey), permet l’exploitation en bas, puis en haut fourneau.

La forge est située au bord de l’Armançon, et quelques siècles plus tard au bord du canal de Bourgogne qui la longe. Dans les années 1760, le comte de Buffon étudie longuement les forges d’Aisy grâce à l’aide des maîtres des forges locaux, Rigolley et Humbert, et il y effectue des expériences sur le fer. Ces études l’aideront à concevoir son propre projet de grande forge, dans le village situé à quelques kilomètres d’Aisy qui porte son nom. Buffon évoque Aisy dans sa correspondance et son Histoire naturelle.

Le bâtiment actuel, en brique et moellon, date du XIXe siècle. Entre 1800 et 1845, la métallurgie bourguignonne connaît son apogée, avant un rapide déclin. Ses hauts fourneaux représentent alors 15% des équipements français. Mais lors de la concentration industrielle (associations et fusions menant notamment à l’émergence de la société anonyme du Chatillon-Commentry-Neuves-Maisons, ancêtre d’Usinor), les forges les moins productives sont abandonnées. Augusta Hure écrit en 1919 : «A Aisy, la forge, qui date de la seconde moitié du XVIe siècle, était vers 1848 en chômage complet; les deux hauts-fourneaux qui employaient les minerais d'Etivey et de Châtel-Gérard ont cessé leurs feux en 1850; ils donnaient de la fonte envoyée pour la plus grande partie à Ancy-le-Franc. Deux forges marchaient très peu et produisaient du gros fer seulement ; elles ont été éteintes définitivement en 1851. L'usine employait 30 ouvriers.» Cette usine sera employée ensuite à d’autres usages. Le bâtiment est aujourd’hui occupé en habitation privée.

On observe en rivière les aménagements hydrauliques autour de la forge (trois premières photos, cliquer pour agrandir).

Sources :
Association interuniversitaire de l’Est (1972), L'industrie, facteur de transformations politiques, économiques, sociales et culturelles, Actes du colloque de Metz, Paradis-Lunéville, 169.
CNRS, Oeuvres de Buffon en ligne .
Hure A (1919), Origine et formation du fer dans le Sénonais. Ses exploitations et ses fonderies dans l’Yonne, Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne, 33-106
Veyssière-Pomot (sans date), La grande forge de Buffon, publication Grande forge de Buffon Côte d’Or, 2