19/12/2015

Coûts insupportables, risques non maîtrisés, bénéfices incertains: deux députés s'inquiètent de la continuité écologique

Depuis la rentrée de septembre 2015, on doit approcher la trentaine de questions parlementaires posées à Mme la Ministre de l'Ecologie à propos des problèmes issus de la mise en oeuvre de la continuité écologique. Voici les deux dernières à l'Assemblée nationale. L'omerta des services administratifs craque de partout, et les politiques découvrent l'ampleur des problèmes. Encore ne mesurent-ils pas les résultats catastrophiques de la politique française de l'eau, dont le gâchis d'argent public pour détruire des moulins centenaires n'est qu'un symptôme...

Question N° 91811 M. Christian Jacob appelle l'attention de Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie sur l'application de l'article L. 214-17 de la loi sur l'eau. S'agissant de rivières classées prioritaires en matière de rétablissement de la continuité hydraulique et piscicole, les propriétaires sont censés notamment procéder à la pose de passe à poisson dont le coût est exorbitant. Il lui demande, dans ce cas de figure, à quelles conditions et comment le système indemnitaire se met en place. Au-delà des questions liées à la mise aux normes de moulins ou d'écluses issus de notre histoire industrielle ou produisant encore de l'électricité, il est indispensable de clarifier la réglementation, et particulièrement la question de l'accompagnement des travaux par les agences de bassin. Il lui demande par conséquent s'il est envisagé un report des mises en conformité au regard de leur coût insupportable.

Question N° 91614  M. Michel Heinrich appelle l'attention de Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie sur l'application du principe de continuité écologique des cours d'eau, prévu par la loi sur l'eau et les milieux aquatiques. Ainsi, et c'est le cas dans les Vosges, département en tête de bassin, pour les rivières Saône et Moselle, la grande majorité des cours d'eau a été classée en liste 2, ce qui contraint les propriétaires d'ouvrages situés sur ces cours d'eau à tout mettre en œuvre pour assurer le transport de sédiments et la circulation des poissons. Ces dispositions, qui vont au-delà de la directive européenne sur l'eau, auront des conséquences catastrophiques eu égards aux contraintes et aux charges qu'elles occasionnent dans un délai trop rapproché et le risque est élevé de voir disparaître les ouvrages, seuils et barrages installés sur les cours d'eau, malgré, pour la plupart, un intérêt manifeste pour la régulation des débits, la transition énergétique ou le tourisme notamment. Il n'est pourtant pas prouvé que la réintroduction de la continuité écologique puisse contribuer au retour de la qualité de l'eau et parfois même, le contraire est même à redouter à défaut de maîtrise et d'aménagement. En outre, les dispositions préconisées sont impossibles à réaliser dans les délais fixés et inapplicables, ces normes ne pourront pas être respectées. Il est donc indispensable d'envisager le report de l'application de ces mesures dont le bénéfice est trop incertain au regard des risques qu'elles comportent. Certes la lutte contre la pollution de l'eau doit rester une priorité mais au moyen de mesures équilibrées. C'est pourquoi il propose la mise en place d'un moratoire dont le délai ainsi accordé dans l'application de la continuité écologique permettrait une réflexion approfondie grâce à la constitution d'un groupe de travail qui associerait tous les acteurs concernés.

Elus, associations, personnalités : comme plus de 1200 grandes signatures, dont 250 associations et fédérations représentant plus de 100.000 adhérents directs, demandez à votre tour un moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique. La mobilisation doit monter en puissance pour dénoncer une réforme inapplicable et ré-orienter l'action publique vers des dépenses utiles.

Histoire des rivières de la Tille et de la Bèze

Syndicats et EPTB n'ont pas tous les mêmes oeillères. L'EPTB Saône & Doubs, avec qui notre association avait déjà débattu dans des conditions de bonne ouverture d'esprit, a décidé de mobiliser un regard historique sur les pratiques des habitants et la place de l’eau sur les bassins versants. Deux rivières sont concernées, la Tille et la Bèze. Ce travail de Vincent Ricau nous apprend bien des choses sur l'histoire de ces rivières, de leur peuplement humain et de leurs aménagements hydrauliques. Les premiers drainages et transports d'eau des Romains, vite suivis par l'implantation des moulins au haut Moyen Âge, témoignent de l'ancienneté des modifications du bassin versant. Le XXe siècle a accéléré ces changements, en particulier avec l'intensification et la mécanisation des pratiques agricoles. L'étude montre comment certains usages évoluent au fil des siècles. Les moulins, qui furent jadis des usines bruyantes pleines d'activité, sont souvent devenus de paisibles demeures ou des instruments de valorisation paysagère. Le partage de ces réflexions sur le temps long des usages humains de l'eau, mais aussi la persistance des ouvrages et paysages produits par ces usages, nous paraît aujourd'hui un antidote indispensable à l'amnésie de certains tenants de l'ingénierie écologique, focalisés sur la fonctionnalité des milieux naturels et incapables de s'ouvrir aux autres dimensions de la rivière. Apprécions l'héritage des siècles passés, réfléchissons aux différentes modalités de sa valorisation et gardons-nous de céder à l'éphémère enthousiasme des modes.
Lien pour télécharger l'étude

Sauvegarde du Ciron et de son patrimoine à Bommes

Nous publions l'appel du maire de Bommes (Gironde) qui organise une réunion publique sur les problèmes actuels des rapports entre l'administration et les riverains, particulièrement la mise en oeuvre de la continuité écologique.  Pour nos lecteurs, les problèmes soulevés par l'élu ne sont que trop familiers : ouverture forcée des vannes qui assèche les biefs et retenues, tue leurs populations et fragilise le bâti riverain,  matraquage réglementaire des propriétaires d'ouvrages ayant des projets de production énergétique, absence de prise en compte des effets secondaires indésirables du sacro-saint dogme de la continuité...

"Nous avons en aval de notre commune un barrage racheté par un particulier qui le restaure pour produire de l'énergie électrique. J'ai l'impression que l'administration concentre ses efforts pour que le projet n'aboutisse pas.  Plus d'un entrepreneur aurait jeté l'éponge face à une telle pression.

Cette retenue d'eau dont je ne connais pas l'origine qui remonte à plusieurs siècles, (certainement depuis le 13ème siècle) a créé un marais de part et d'autre des rives amont sur les communes de Bommes, Pujols sur Ciron et Budos. Cette zone humide est répertoriée parmi les sites Natura 2000. Or, depuis l'ouverture des vannes de cet ouvrage au nom de « la continuité écologique », le marais s'assèche, les frayères également, le niveau de la rivière étant ramené de 1,5 à 2 mètres en dessous de son niveau " normal ". De plus, l'accélération du courant approfondi la rivière, fragilise les berges qui s’effondrent et voient le sable partir en entraînant une mise à nu des racines de la ripisylve et l'arrachage des arbres qui la compose.

Nous avons un lavoir au Tachon datant du XIXème siècle qui menace de basculer, le courant ayant sapé profondément ses fondations.

Autre problème, les puits des riverains sont à sec depuis début juillet ce qui prouve que les nappes de proximité ne sont plus alimentées donc ne jouent plus leur rôle de régulateur tant de niveau que de température ce qui nous amène sur un autre sujet : les brouillards d'automne qui favorisent le botryris sans lequel la production des vins de Sauternes pourrait être compromise. Ces brouillards ne peuvent se développer que si la surface d'eau est suffisante en superficie pour permettre  le refroidissement de l'air humide générateur de brouillard mais et également il faut que la température de cette eau soit relativement fraîche. D'où l'impérieux maintien des arbres de la ripisylve qui protègent le Ciron des rayons du soleil et maintiennent cette température, fraîche, voisine de celle des sources qui alimentent en grande partie le cours de la rivière, soit vers 14°.

N'étant pas scientifique, je m'en tiens à mes observations et aux témoignages. J'ai exposé ces arguments à un hydrogéologue qui n'a pu que reconnaître les faits mais également les méfaits de ces "dysfonctionnement ". J'ajoute que notre vallée a été reconnue « site remarquable » pour Natura 2000 alors que les barrages géraient les retenues. A mon avis, les objectifs Natura 2000 ne sont pas respectés sur ce site en modifiant le cours de la rivière, en asséchant des zones humides, en impactant le milieu.

Vous êtes invité à la conférence-débat qui aura lieu le vendredi 29 janvier 2016 à 20 h 30 à la salle des fêtes de Bommes."

Bernard LAURANS, maire de Bommes.

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Le cas du Cérou entre Monestié et Milhars: chronique d’une mort programmée des ouvrages

18/12/2015

Idée reçue #11: "Les ouvrages les plus impactants pour la continuité écologique sont traités en priorité"

Dans le classement le plus contraignant des rivières françaises (liste 2, obligation d'aménager l'ouvrage), les services de l'Etat ont procédé à de savants découpages. Plus question de continuité en ce domaine, on tronçonne à façon. Ou alors on ne classe pas du tout. La raison? Les rivières concernées possèdent de grands barrages. C'est-à-dire les plus impactants pour les milieux, ceux qui devraient être considérés en priorité en raison du blocage piscicole et sédimentaire total qu'ils occasionnent. Comme par hasard, ces ouvrages relèvent souvent de la gestion publique ou assimilée (EDF, VNF, EPTB…), quand ce ne sont pas des piscicultures ou réserves pour les fédérations de pêche. Deux poids deux mesures, mais une seule imposture: matraquer les petits ouvrages du domaine privé que l'on veut voir disparaître en affirmant sans preuve qu'ils ont un impact grave. 



La continuité est une notion qui devrait être assez simple : l'eau circule de la source à la confluence ou à l'embouchure. Pourtant, quand on observe le classement des cours d'eau en liste 2 (c'est-à-dire avec obligation d'aménagement d'ouvrage à 5 ans), on s'aperçoit d'étonnantes discontinuités.

Un classement tout à fait discontinu: petits découpages entre amis
Voici à titre d'exemple quelques extraits des classements des rivières de Bourgogne. Leur point commun? Elles possèdent un ouvrage hydraulique de grande taille (servant à la production d'électricité, au soutien d'étiage de canaux, à l'écrêtement de crue). On s'aperçoit que le classement en liste 2… contourne très soigneusement l'obstacle!

Cure
De sa source à la limite aval de la masse d’eau : [FRHR. 49A] la Cure de sa source à l’amont du lac des Settons (exclu)
De la limite amont de la masse d’eau : [FRHR. 49C] la Cure de l’aval du lac des Settons à l’amont de la retenue de Crescent (exclu) au point défini par les coordonnées L. 93 : X : 770998, Y : 6698207

Yonne
De la source à l’amont de Pannecière
De l’aval de Pannecière à la confluence avec le cours d’eau [F31-0400] La Cure

Armançon
De la limite amont de la masse d’eau : [FRHR. 61C] L’Armançon de l’aval du lac de Pont au confluent de la Brenne (exclu) à la confluence avec le cours d’eau principal : [F3--0200] L’Yonne

Brenne
De la limite amont du réservoir biologique : [RB_63] rivière la Brenne aval et bief du moulin à la confluence avec le cours d’eau principal : [F3--0210] L’Armançon

Ternin
Le Ternin du barrage de Chamboux jusqu'à la confluence avec l'Arroux

Aron
L'Aron de la confluence avec le Trait jusqu'au barrage de Cercy-la-Tour
L'Aron du barrage de Cercy-la-Tour jusqu'à la confluence avec la Loire

Faites ce que je dis, mais ne dites pas ce que je fais: l'administration entend imposer aux petits ouvrages de ces rivières des aménagements à coût exorbitant (quand ce ne sont pas des destructions pures et simples) dont elle exonère généreusement les grands barrages du linéaire. On arrive à des situations proprement surréalistes où des fonctionnaires de la DDT et de l'Onema certifient au propriétaire d'un seuil de 1,5 m qu'il est absolument nécessaire d'aménager son ouvrage pour que les poissons bénéficient des 500 derniers mètres les séparant d'un grand barrage VNF de 20 m de hauteur sans aucun projet d'aménagement. Et l'Agence de l'eau de renchérir en garantissant que l'argent public peut servir à ce triomphe manifeste de la continuité écologique.

Partialité, hypocrisie et manipulation à tous les étages
Comme nous l'avons exposé, à peu près toute la littérature scientifique sur la continuité écologique s'est construite depuis trente ans sur l'analyse des grands ouvrages hydrauliques, et non pas sur le rôle morphologique des moulins. Les raisons en sont simples à comprendre:
  • ces grands ouvrages sont totalement infranchissables aux poissons en montaison, et parfois dangereux (morbidité) en dévalaison; 
  • insubmersibles lors des crues, ils ne permettent aucun passage latéral (alors que l'ennoyage des petits ouvrages ou leur contournement par lit majeur innondé est fréquent); 
  • ayant une grande capacité d'accumulation, ils bloquent les sédiments (qu'ils relarguent pour les plus fins lors des vidanges d'entretien, entraînant des colmatages à l'aval); 
  • ces ouvrages stockent souvent l'eau et la relâchent parfois brutalement, provoquant alors des variations de débit sans commune mesure avec la variation naturelle d'un débit de rivière;
  • l'écoulement par le fond (hypolimnique) entraînent parfois des variations thermiques importantes. 
Bref, les grands barrages ont des impacts réels et ce sont les cas d'école de la continuité écologique. Alors que les petits, et particulièrement les seuils de moulin largement majoritaires en France, deviennent rapidement transparents aux sédiments (volume de stockage très faible par rapport au charriage du bassin) et n'ont jamais empêché historiquement la colonisation de toutes les têtes de bassin par les migrateurs (voir l'exemple du saumon de la Cure et ce dossier OCE).

Certains objectent : "ah mais ces grands barrages ont un usage, eux" (sous-entendu fréquent chez les plus militants de ces forts d'esprit: "le propriétaire privé est toujours un vilain parasite, il faut en finir avec son ouvrage"). Cet argument utilitariste de l'usage est sans intérêt pour l'écologie. Il signale même en général un facteur aggravant : plus l'ouvrage montre cet "usage" qu'on lui vante, plus il est massif, plus il a d'impact sur les écoulements et les peuplements (hors STEP de montagne et autres configurations hydrauliques particulières). Par ailleurs, pour ce qui est de la circulation piscicole, il existe aujourd'hui des solutions (écluses, ascenseurs, vastes canaux de contournement) permettant de franchir des ouvrages de plusieurs dizaines de mètres de hauteur : c'est une affaire de volonté politique, et le Ministère de l'Ecologie prétend en avoir à revendre dans le domaine de la continuité. Enfin, les mêmes qui vantent l'usage des grands barrages sont généralement les premiers à militer contre l'usage des petits, notamment leur équipement hydro-électrique ("vous n'y pensez pas … c'est pour faire du profit et c'est mal … cela ne produit presque rien, voyons … bla bla bla") et, de manière générale, à freiner des quatre fers les emplois locaux de l'eau (irrigation, pisciculture etc.) au prétexte de ne surtout pas altérer les milieux.

Pour finir, et indépendamment du scandale que représente le découpage entre initiés du classement des cours d'eau, on doit ajouter qu'au sein des tronçons classés, il n'y a aucune sorte de priorisation des ouvrages en fonction de leurs impacts. Il suffit d'observer les seuils et barrages effacés depuis quelques années, ce sont bien souvent les plus modestes et leur traitement prioritaire résulte d'une opportunité politique (le maître d'ouvrage qui a eu la faiblesse d'accepter un montage), pas d'une méthodologie transparente d'inspiration écologique. Alors que le classement en liste 2 a soi disant pour objectif les "poissons migrateurs" (au terme de la loi), qui sont presque tous amphihalins, il n'y a pas davantage de priorisation conçue selon les axes de migration. On compte par exemple plus de 900 ouvrages de liste 2 en Bourgogne, qui est une tête de bassin assez éloignée des mers : quand on voit les cours d'eau fragmentés, réchauffés et pollués que sont censés franchir les saumons, anguilles, lamproies marines, grandes aloses et autres migrateurs avant d'arriver dans les eaux bourguignonnes, on se demande pourquoi il était si urgent de classer tant d'ouvrages dès 2012 et 2013.

Remettons donc les idées à l'endroit : l'essentiel de la recherche scientifique en continuité écologique concerne l'impact des grands ouvrages hydrauliques sur le transit sédimentaire et le franchissement piscicole. L'administration française s'est livrée à une double imposture : elle a prétendu sans preuve que les ouvrages très modestes de la petite hydraulique ont de graves impacts sur les milieux ; elle a découpé le classement des rivières de sorte que certains des grands ouvrages à plus fort impact n'aient aucune obligation d'aménagement. Quand ces barrages épargnés relèvent de la gestion publique, et donc d'une exemplarité attendue de l'Etat, l'imposture s'aggrave d'une forfaiture. A cela s'ajoutent des classements massifs dans des chevelus des têtes de bassin où il n'existe aucun enjeu migrateur réel, alors que la loi a désigné cette dimension comme justificatrice du classement. Les propriétaires d'ouvrages hydrauliques classés en liste 2 n'ont pas à accepter une réforme inégalitaire et inefficace, qui a manifestement été conçue pour éliminer sélectivement des seuils et barrages dont l'administration ne veut plus entendre parler.

Illustration : barrage de Pannecière (49 m), seuil de Belan-sur-Ource (1 m). Saurez-vous faire la différence entre un ouvrage ayant un fort impact et celui qui n'en a presque pas? Figurez-vous que pour les fonctionnaires et gestionnaires en charge de la continuité écologique, la réponse de sens commun ne va pas de soi… Ces choix grotesques seraient risibles si les mêmes personnes n'envoyaient pas leurs pelleteuses pour détruire le patrimoine hydraulique français.

17/12/2015

Le Conseil d'Etat valide les dérives kafkaïennes du Ministère de l'Ecologie sur les ouvrages hydrauliques

Le décret du 1er juillet 2014 (voir notre commentaire à ce sujet, ainsi que ceux sur l'arrêté complémentaire du 11 septembre 2015 ici et ici) vient d'être validé en Conseil d'Etat, les fédérations de moulins ayant été déboutées de leur requête en annulation.  Cette nouvelle couche de contrainte et de contrôle, s'ajoutant à des dispositifs d'une complexité déjà écrasante, promet un pourrissement de la situation en bord de rivière. La Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie persiste dans sa stratégie extrémiste : compliquer au maximum la vie des ouvrages hydrauliques pour pousser leurs propriétaires à en accepter la destruction, promue au titre de la continuité écologique. Cette politique est déjà un échec programmé au plan des résultats, car elle se fonde sur des postulats erronés. A défaut d'améliorer l'état des rivières, elle est en train de dégrader à vitesse vertigineuse les rapports des riverains à l'administration, et d'entamer la crédibilité même de l'action publique dans le domaine de l'eau.

Le seul point positif de l'arrêt n°384204 du Conseil d'Etat est l'interprétation de l'article R 214-51-1 CE, qui énonce :
I. - Sauf cas de force majeure ou de demande justifiée et acceptée de prorogation de délai, l'arrêté d'autorisation ou la déclaration cesse de produire effet lorsque l'installation n'a pas été mise en service, l'ouvrage n'a pas été construit ou le travail n'a pas été exécuté ou bien l'activité n'a pas été exercée, dans le délai fixé par l'arrêté d'autorisation, ou, à défaut, dans un délai de trois ans à compter du jour de la notification de l'autorisation ou de la date de déclaration.
On aurait pu craindre que l'administration tire argument de l'absence d'activité pendant 3 ans pour casser l'autorisation des ouvrages fondés en titre ou autorisés avant 1919. Cet argument est écarté par le Conseil d'Etat, qui précise que l'article R214-51 CE ne s'applique qu'aux autorisations nouvelles.

Des dispositions dont on peut craindre une grande difficulté d'application...
Le droit d'eau fondé en titre et sur titre persiste donc. Mais il est de plus en plus vidé de toute substance à mesure que l'administration s'arroge des pouvoirs de contrôle et de déchéance sur ce droit. Ainsi, le point manifestement négatif de l'arrêt est la validation de l'article R 214-18-1 CE, qui s'applique désormais sans modification de son énoncé initial :
"I.-Le confortement, la remise en eau ou la remise en exploitation d'installations ou d'ouvrages existants fondés en titre ou autorisés avant le 16 octobre 1919 pour une puissance hydroélectrique inférieure à 150 kW sont portés, avant leur réalisation, à la connaissance du préfet avec tous les éléments d'appréciation.
II.-Le préfet, au vu de ces éléments d'appréciation, peut prendre une ou plusieurs des dispositions suivantes :
1° Reconnaître le droit fondé en titre attaché à l'installation ou à l'ouvrage et sa consistance légale ou en reconnaître le caractère autorisé avant 1919 pour une puissance inférieure à 150 kW ;
2° Constater la perte du droit liée à la ruine ou au changement d'affectation de l'ouvrage ou de l'installation ou constater l'absence d'autorisation avant 1919 et fixer, s'il y a lieu, les prescriptions de remise en état du site ;
3° Modifier ou abroger le droit fondé en titre ou l'autorisation en application des dispositions du II ou du II bis de l'article L. 214-4 ;
4° Fixer, s'il y a lieu, des prescriptions complémentaires dans les formes prévues à l'article R. 214-17."
Plusieurs personnes réfléchissent à la possibilité d'un recours européen contre cette décision. Nous verrons ce qu'il en est de la concevabilité et de la recevabilité d'une telle action.

Quel est l'objectif de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie avec cette disposition? Obliger le propriétaire de moulin ayant un projet à contacter les services de la Préfecture pour soit casser son droit d'eau (campagne déjà largement lancée après le classement des rivières), soit compliquer la restauration du site en multipliant les entraves et les prescriptions, de manière tout à fait disproportionnée à l'intérêt réel des milieux aquatiques (mais parfaitement proportionnée à la volonté très idéologique du Ministère de faire disparaître le maximum d'ouvrages, point que ne cachent pas à l'oral certains hauts fonctionnaires rédigeant ces textes).

Le non-respect de l'article R 214-18-1 CE entraîne une contravention de 5e classe qui coûte 1500 euros au maximum. En comparaison, faire venir la DDT et l'Onema chez soi par signalement au Préfet peut aujourd'hui faire perdre le droit d'eau du moulin (contesté pour ruine, non entretien, etc.) ou aboutir à des impositions de dispositifs coûtant des dizaines ou des centaines de milliers d'euros (ceux qui sont justement prévus dans l'arrêté de 2015). Nous n'appelons évidemment pas nos lecteurs à désobéir à la réglementation, mais nous soulignons que beaucoup de personnes pourraient être tentées de le faire au regard du caractère déraisonnable, excessif et partial que prend parfois l'action administrative. Si le fait de contacter une administration déchaîne des procédures de rétorsion sans mesure ni proportion, les gens éviteront tout simplement de le faire...

Ce problème nous paraît d'autant plus aigu qu'il est fort difficile de distinguer entre des travaux (libres) de "nettoyage", "bricolage", "dépoussiérage" d'une part, des travaux (appelant déclaration au Préfet) de "confortement", "remise en eau", "remise en exploitation" d'autre part. Le Conseil d'Etat n'a pas jugé ces points ambigus ou flous, nous pensons qu'ils le sont manifestement : va-t-on déranger le Préfet à chaque fois qu'on prend une pioche ou qu'on serre un boulon? En ce qui nous concerne, nous nous garderons d'émettre un avis public sur ces subtilités sémantiques, mais nous discuterons de ces points avec chacun de nos adhérents et, en fonction de leur situation, nous leur donnerons les conseils que nous estimons les plus avisés pour défendre leurs droits et leurs libertés dans le respect d'une interprétation raisonnable des dispositions réglementaires.

Il faut aussi rappeler aux lecteurs ignorant les subtilités de la bureaucratie aquatique que tous les travaux en lit mineur et en berge sont déjà encadrés par un régime complexe de déclaration et autorisation (régime dit IOTA loi sur l'eau de l'article R214-1CE), de sorte que le dispositif ajoutant sans cesse de nouvelles couches aux anciennes est de moins en moins lisible. Nul n'est censé ignorer la loi, disait l'adage antique quand ces lois étaient peu nombreuses. Mais quand la loi commune est devenue une immense boursouflure réglementaire ad hoc, créée par des hauts fonctionnaires ayant manifestement perdu tout garde-fou démocratique et tout sens des réalités, il est à peu près impossible d'exiger sa connaissance et son respect jusque dans les moindres détails.

Vers un pourrissement et un durcissement des rapports aux DDT(-M) et à l'Onema: la DEB en aura pris toute la responsabilité
A travers les dispositions de ce décret de 2014 et de son arrêté complémentaire de 2015, la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie a suivi sa mauvaise habitude : pourrir la situation des moulins et étangs (plus généralement des ouvrages) en faisant supporter à ses services déconcentrés (DDT) et ses services techniques d'évaluation (Onema) le poids de ce pourrissement.

Car il faut être clair : quand l'administration vous désigne de manière constante, répétitive et compulsive comme un soi-disant ennemi de la rivière, quand cette administration met tout en place pour détruire votre propriété ou vous accabler de dépenses au coût exorbitant, elle ne doit pas s'attendre à autre chose qu'un durcissement de la situation au bord de l'eau.

La validation formelle par le Conseil d'Etat de ce décret de 2014 ne fait que conforter le diagnostic sévère que nous portons déjà :
  • l'encadrement administratif et le matraquage réglementaire étouffent toute activité en rivière, en particulier dans le domaine des seuils et barrages de moulins et usines à eau;
  • la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie est responsable de dérives graves et répétées visant à décourager la restauration du patrimoine hydraulique français et finalement à le détruire, aggravant l'absurdité de son action par l'hypocrisie de son déni ;
  • le caractère extrémiste, non démontré et non concerté des choix de continuité écologique en particulier provoque une incompréhension généralisée en dehors du petit cercle des lobbies et instances subventionnés par ledit Ministère, qui ne représentent nullement l'ensemble de la société civile;
  • propriétaires, exploitants, usagers et riverains sont littéralement excédés par le harcèlement dont ils sont victimes, et la résistance à ce qui est désormais perçu comme une oppression administrative permanente ne pourra prendre que des dimensions de plus en plus conflictuelles;
  • nous appelons nos élus à mesurer la perte grave d'équilibre, de crédibilité et de légitimité de l'action publique, pour rejoindre plus de 1200 grandes signatures qui appellent déjà à cesser les dérives dans le domaine des ouvrages hydrauliques. 
Associations : il ne faut plus seulement se défendre, mais répondre coup pour coup aux dérives administratives.  C'est de votre vigueur que dépend le reflux de l'arbitraire et de la manipulation entourant les dispositions adverses sur les ouvrages hydrauliques. 

Illustration : DR