31/12/2015

Recueil d'expériences de l'Onema: un bon aperçu du manque de rigueur en effacement des ouvrages hydrauliques

Pour convaincre les élus et les gestionnaires de l'intérêt d'effacer les ouvrages, l'Onema publie un recueil d'expériences en hydromorphologie. On s'aperçoit que le coût moyen d'effacement des 29 ouvrages présentés dans les fiches dépasse les 250 k€, que les deux-tiers des opérations n'ont pas de diagnostic initial ni de bilan avant-après, qu'aucun effacement ne procède à un bilan DCE 2000 du tronçon, à une analyse quantifiée des services rendus par les écosystèmes ni à une analyse coût-efficacité sur le critère écologique que l'on prétend améliorer. Ce recueil nous convainc donc d'une seule chose: il faut de toute urgence prononcer un moratoire sur la continuité écologique, afin de reprendre la question sur des bases scientifiques plus robustes et des méthodologies plus rigoureuses. Actuellement, on nage dans l'improvisation et la dépense pour la dépense, sans autre stratégie apparente que "restaurer de l'habitat" à l'aveugle, en absence de toute priorisation construite par modèle et sélection de sites d'intérêt écologique particulier.

Il est bien connu de la recherche scientifique internationale que les opérations de restauration morphologique de rivière présentent des résultats ambivalents et, pour beaucoup, des méthodologies médiocres (voir notre synthèse ; en particulier Morandi et al 2014 pour l'analyse de 44 projets de restauration en France). Cette préoccupation est apparue dans les années 2000, à mesure que certains concepts (comme la continuité écologique) sont devenus des outils pour les gestionnaires et ont nourri des programmes d'intervention en rivière. D'abord aux Etats-Unis, puis en Europe, des chercheurs ont tiré la sonnette d'alarme sur le flou conceptuel et technique entourant les objectifs de "restauration des rivières".

Dans un article très commenté, Margaret A Palmer et 20 collègues ont publié une synthèse sur les standards scientifiques attendus d'une opération de restauration écologique réussie (Palmer et al 2005). Ces chercheurs ont posé 5 critères de qualité pour ces opérations:
  • un état dynamique (ie incluant des tendances) du système initial et de l'ensemble de ses pressions;
  • une ou plusieurs mesures quantifiées de progrès de l'état écologique du site;
  • une amélioration de la résilience du système;
  • une absence de dommages à long terme (végétation, sédiments, espèces invasives);
  • un bilan écologique avant-après.
Ces attentes ne concernent que l'état écologique du tronçon concerné, sans se pencher sur la question des coûts économiques et des services rendus par les écosystèmes, ni sur le bilan chimique des retenues (azote, phosphore, carbone, rétention des pollutions aiguës). Elles n'incluent pas non plus le fait que les résultats des restaurations de rivière montrent des effets variables dans le temps (voir Kail et al 2015). Autant dire qu'il faudrait y voir un cahier des charges minimal pour le volet écologique, qui devrait normalement être doublé d'une  évaluation multicritère des autres dimensions des ouvrages (paysage, patrimoine, énergie, irrigation, recharge de nappe, loisirs, etc.). C'est particulièrement nécessaire en France et en Europe, où l'occupation et la valorisation de l'espace ne répondent pas aux mêmes critères qu'en Amérique du Nord.

L'Onema publie un recueil d'expériences en hydromorphologie, dont l'objectif est "d’inciter à la mise en œuvre de nouvelles actions de restaurations physiques du cours d’eau". Nous avons analysé les 29 actions présentées dans le compartiment "effacement total ou partiel d’obstacles transversaux" (ont été exclues les 5 actions ne portant pas sur un ouvrage précis, mais présentant des mesures de gestion sur tronçon). Les effacements d'ouvrages (ou d'étangs) représentent environ la moitié des opérations exposées dans le recueil— ce qui rappelle la dimension très destructive de la restauration morphologique" à la française".

Le tableau de synthèse ci-dessous montre quelques données d'intérêt (cliquer pour agrandir).


On observe que :
  • le coût total est de 8 millions € pour 29 ouvrages. Le coût moyen par opération est de 256 k€, le coût moyen au mètre de chute aménagée de 89 k€. Ces chiffres cachent des disparités importantes puisque le coût médian par mètre de chute est de 28 k€ et le coût médian par opération de 85 k€;
  • ces coûts paraissent minimisés puisqu'aucune indemnité des propriétaires n'est comptabilisée et le suivi à long terme n'est pas chiffré;
  • seules 11 opérations (38%) font l'objet d'un bilan avant-après, c'est-à-dire que dans les deux-tiers des cas, l'opération de restauration écologique ne fixe pas d'objectifs et ne peut pas justifier de résultats;
  • une seule opération présente des résultats quantifiés (à tout le moins dans le recueil); 
  • aucune opération n'a procédé à une évaluation des services rendus par les écosystèmes;
  • aucune opération ne présente l'évolution du bilan écologique et chimique DCE (statut du tronçon selon la directive-cadre sur l'eau);
  • aucune opération ne précise le bilan des espèces invasives;
  • aucune opération ne semble avoir un suivi qui excède les 5 ans.

Dans la quasi-totalité des cas, les gestionnaires concentrent leur approche sur une logique de "restauration d'habitat", par quoi il faut essentiellement entendre le remplacement d'une zone lentique par une zone lotique, avec le cas échéant des frayères pour des espèces d'intérêt halieutique. Le problème de cette approche est triple:
  • elle ne correspond à aucune obligation légale ni réglementaire, mais à une certaine appréciation (plus ou moins arbitraire) de la gravité relative de l'altération par le service instructeur ou le gestionnaire;
  • elle n'est pas généralisable (les coûts observés sur 29 ouvrages et rapportés aux 80.000 obstacles du Référentiel de l'Onema représenteraient une dépense de 21 milliards d'euros), donc elle devrait être sélective au plan de l'intérêt écologique (ce qu'elle n'est manifestement pas);
  • elle n'est (généralement) pas de nature à obtenir le bon état chimique et écologique des masses d'eau, ce qui est pourtant l'engagement prioritaire de la France à l'horizon 2027.
La politique française de continuité écologique a besoin d'un audit complet en vue de redéfinir ses méthodes et ses objectifs (voir aussi cette analyse). En particulier, le choix d'un classement massif des rivières françaises (entre 10.000 et 20.000 ouvrages à aménager en 5 ans seulement) a été prématuré au plan des connaissances sur les rivières, et précipité au regard de son calendrier ingérable d'exécution comme de ses coûts économiques importants.

30/12/2015

Sarthe: des millions d'euros en passes à poissons, mais pour quels résultats?

Les collectivités locales doivent se serrer la ceinture, les territoires ruraux sont de plus en plus oubliés par la République, mais pour le bien-être supposé des poissons, l'argent public coule à flot. Nous publions la lettre ouverte de Pierre-Antoine de Chambrun (président de l'Association Vègre, Deux Fonts, Gée) à M. Dominique Le Mèner, président du Conseil départemental de la Sarthe. La Sarthe aval est une rivière domaniale classée en liste 2 au titre de la continuité écologique. Pas moins de 12 arrêtés préfectoraux ont été signés en 2013 en vue d'installer des dispositifs de franchissement. Les deux passes de Juigné et de Solesmes auraient coûté 876 000 euros à elles seules, sans protocole scientifique fixant des objectifs de résultats… On ne sait pas si les anguilles apprécieront (historiquement, elles ont toujours franchi les seuils de moulins), mais le lobby du BTP est sans doute ravi de cette très étrange "écologie". Quant aux Sarthois, ils ne manqueront pas de demander des comptes, grâce à la vigilance des associations de riverains et moulins.  

Nous sommes nombreux en Sarthe à avoir lu avec attention dans le magazine du département de la Sarthe n°142 votre alarme concernant la baisse historique des dotations de l'Etat qui, avec les non-compensations de l'Etat des dépenses sociales, se montent à 300 millions d'euros entre 2014 et 2017 au détriment des finances du Département de la Sarthe. "Nous ne pouvons pas hypothéquer l'avenir de la Sarthe", ajoutez-vous, en précisant que "le Département va devoir économiser 11 millions d'euros en 2016".

Dans ces conditions, il paraît opportun que vous puissiez publier des résultats objectivement démontrables du programme de plusieurs millions d'euros engagé par le Conseil général de la Sarthe en 2012/2013 afférent à l'installation de passes à poissons sur les 16 barrages de la Sarthe aval. Les contribuables des Pays de la Loire doivent en effet pouvoir juger de ce lourd programme non spécifiquement exigé par la DCE 2000 (directive cadre sur l'eau 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000), et qui donc n'a pas fait l'objet au préalable d'une participation et d'une consultation du public comme autrement la DCE 2000 l'aurait exigé (art.14). Les points suivants doivent notamment trouver réponse:

  • Quel est le montant total exact des travaux effectués et restant peut-être encore à effectuer pour lesdites passes à poissons financé grâce à des fonds publics provenant du Conseil général de la Sarthe, de l'Agence de l'Eau Loire Bretagne et de la Région des Pays de Loire?
  • Combien de poissons toutes catégories ont-ils utilisé lesdites passes depuis leur mise en service plutôt que les écluses dont les barrages concernés sont munis?
  • Quelles sont les espèces de poissons qui ont  réussi à emprunter lesdites passes?
  • Lesdites passes ne sont-elles pas à sec ou quasiment asséchées en période de sécheresse ?
  • Quel est le rapport coût/bénéfice desdites passes étant donné qu'en Maine et Loire aucune passe à poissons n'est construite ou programmée sur la Sarthe?

Monsieur Jean-Claude Boulard, Maire du Mans et Sénateur de la Sarthe, a fait remarquer à Madame la Préfète de la Sarthe par lettre du 28 juillet 2015 que les anguilles n'ont pas besoin de passes à poissons et que les aloses et lamproies marines n'ont jamais remonté la Sarthe et l'Huisne. Etait-il donc justifié de consacrer assurément beaucoup d'argent public à la réalisation de passes à poissons aussi peu capables de concourir au bon potentiel écologique des eaux exigé par la DCE 2000? Votre réponse aux questions posées ici contribuera sans doute à démontrer encore plus la nécessité des futures restrictions budgétaires du Conseil départemental de la Sarthe.

Elus, personnalités, associations : face aux dérives de la continuité écologique (coût exorbitant, résultats incertains,  destructions d'ouvrages et de paysages), demandez un moratoire sur la mise en oeuvre du classement des rivières. Appel déjà soutenu par plus de 1300 grandes signatures en France, dont 240 associations et institutions locales représentant plus de 100.000 adhérents directs.

29/12/2015

200 générations de truites dans un hydrosystème fragmenté (Hansen et al 2014)

Un travail danois de phylogénie moléculaire montre que deux populations de truites, isolées dans des lacs par des ouvrages hydrauliques, s'y reproduisent depuis 600-800 ans et 200 générations, tout en conservant aujourd'hui une taille acceptable du pool reproducteur. Cette recherche rappelle la plasticité et l'adaptabilité du vivant, y compris pour des espèces migratrices en rivières fragmentées. 

Les lacs Hald et Mosso sont situés sur le bassin versant du fleuve Gudera. Celui-ci est la plus grande rivière danoise, formée voici 12.000 ans au sortir de la dernière glaciation. Ces deux lacs ont été isolés entre 1200 et 1500 par l'implantation de barrages hydrauliques permanents associés à des monastères.

Michael M. Hansen et ses collègues de l'Université Aarhus ont voulu déterminer si l'isolement des populations de truites de ces lacs est observable dans la signature génétique des populations. Pour cela, ils ont analysé 44 microsatellites (des sites génétiques très variables) en comparant les truites des deux lacs à celles d'une zone à libre écoulement en aval de la même rivière, ainsi qu'à 9 sites danois sur d'autres rivières. Deux méthodes indépendantes ont été employées.


Les analyses génétiques montrent une divergence des populations des lacs Hald et Mosso, que l'on peut dater vers 600-800 années. La phylogénie moléculaire rejoint donc les données historiques et hydrauliques sur le bassin versant, ce qui confirme toute l'importance de cette technique pour l'analyse fine de l'évolution locale des peuplements (image ci-dessus, cliquer pour agrandir: à gauche, la zone géographique des deux lacs; à droite, les densités de probabilité de début de la divergence inter-populations).

La taille efficace de la population reproductrice est estimée à 153 et 252 individus pour les lacs, soit moins que les autres systèmes étudiés (de 244 à plus de 1000). Bien que ces valeurs ne soient pas élevées, "elles ne sont pas une cause de préoccupation en terme de conservation", observent les chercheurs. On trouve certaines populations de taille comparable dans les autres rivières non fragmentées de l'étude, et même des populations moins importantes dans d'autres travaux suédois. En revanche, les populations étant isolées et donc privées de brassage génétique, elles peuvent présenter moins de capacité adaptative vis-à-vis d'éventuels impacts futurs.

Une question intéressante est de savoir si, après environ 200 générations de reproduction locale, les truites en zones fragmentées présentent des évolutions comportementales. Un autre travail a montré que 40% des truites sont sédentaires dans le lac Hald, 44% migrent vers des affluents amont alimentant le plan d'eau et 15% dévalent vers la mer. Il existe donc encore un potentiel pour des migrations anadromes à longue distance, même si la grande majorité des truites de l'hydrosystème semble avoir évolué vers des déplacements courts.

Malgré la longue durée de l'isolement géographique, les conclusions de ce travail sont donc assez éloignées de certaines assertions alarmistes sur le risque d'appauvrissement génétique en rivières fragmentées. Même si l'on ne peut pas préjuger des impacts futurs (réchauffement notamment) sur les populations sténothermes et polluosensibles comme les truites.

Référence : Hansen MM et al (2014), The effects of Medieval dams on genetic divergence and demographic history in brown trout populations, BMC Evolutionary Biology, doi: 10.1186/1471-2148-14-122

27/12/2015

Les services rendus par les canaux de Provence (Aspe et al 2014)

Depuis Adam de Craponne (1526-1576) et ses travaux fondateurs sur la Crau, les canaux appartiennent au patrimoine hydraulique de la Provence. Trois chercheurs montrent leurs services rendus – irrigation bien sûr, mais aussi recharge de nappe, drainage des eaux de pluie et évitement des crues. Par ailleurs, au plan écologique, ces canaux servent de zone refuge voire parfois de zone de reproduction aux poissons, y compris pour des espèces menacées comme le vairon ou l'apron du Rhône. Une approche multidisciplinaire dont on ne peut que souhaiter la généralisation à l'ensemble des ouvrages hydrauliques. 

Chantal Aspe, André Gilles et Marie Jacqué (IRD, CNRS, Universités Avignon et Aix-Marseile) ont analysé le rôle joué aujourd'hui par le réseau des canaux de Provence. L'implantation de ces canaux est parfois ancienne. Le canal Saint-Julien, qui tire ses eaux de la Durance et irrigue 6000 ha de plaine agricole dans le Vaucluse, date de 1171. Le canal de Craponne, qui relie la Durance au Rhône, a été bâti à partir de 1554 – il a d'ailleurs donné lieu à un célèbre arrêt de la Cour de Cassation au XIXe siècle, car le contrat d'entretien de ce canal est resté inchangé à travers les siècles.


Réserve d'eau, recharge de nappe, drainage des pluies intenses
Au fil des siècles, comme l'exposent les auteurs, les infrastructures hydrauliques de la plaine provençale se sont étendues et complexifiées dans un vaste réseau de canaux secondaires et béalières. Aujourd'hui, 15 canaux principaux contiennent 200 millions de m3 (en partie dérivés du réservoir de Serre-Ponçon, 1,2 milliard de m3). Le réseau principal alimente de manière gravitaire 540 km de canaux, qui sont ensuite répartis vers 4000 km de réseaux secondaires représentant une surface totale de 150.000 ha.

Depuis la loi du 21 juin 1865, les canaux sont gérés par des associations syndicales autorisées : chaque propriétaire riverain jouit du droit d'usage (irrigation) en échange d'une servitude technique d'entretien et d'une taxe proportionnée au linéaire dans la propriété. L'irrigation de parcelles reste le premier usage des canaux. Mais en raison de la baisse tendancielle du nombre d'agriculteurs et de l'urbanisation, d'autres usages sont recherchés.

Deux enjeux majeurs concernent les sociétés méditerranéennes : la rareté de la ressource en eau et la protection face aux épisodes intenses de précipitation. Les modèles prévoient que les risques peuvent augmenter en situation de changement climatique. "Au regard du problème environnemental global que pose le changement climatique, soulignent les auteurs, nous avons besoin d'imaginer des solutions pratiques et locales pour s'adapter. Le maintien – et même la protection – des canaux d'irrigation gravitaires peuvent être une mesure préventive efficace pour gérer les effets anticipés du réchauffement des régions méditerranéennes".

Car les canaux présentent des avantages. Ils permettent la recharge des aquifères et l'alimentation en eau, comme dans l'exemple emblématique de la Crau, zone dépourvue d'eaux naturelles mais où 270.000 personnes bénéficient des canaux dérivés de la Durance. Le rôle de drainage des eaux superficielles lors des épisodes pluvieux est aussi bien réel. Ainsi, en l'absence des canaux dont l'entretien ne coûte que 30.000 euros par an, Saint-Tropez devrait investir un million d'euros pour un système de drainage protégeant la ville des crues.

Présence d'espèces protégées dans les canaux
En ce qui concerne l'écologie des milieux aquatiques, les auteurs observent que les diversions et canalisations d'eau sont considérées comme ayant des effets délétères sur les milieux. Pourtant, observent les chercheurs, "nos premiers résultats sur la biodiversité ichtyologique des canaux de la Durance montre que l'impact de ces diversions sur la biodiversité ne sont pas nécessairement négatifs". Les canaux ont créé un système hydraulique à part entière qui possède sa propre dynamique écologique.

Les résultats des pêches d'étude montrent la présence de nombreuses espèces piscicoles, y compris le vairon (Leuciscus souffia) et l'apron du Rhône (Zingel asper), ce dernier étant une espèce protégée et considérée comme en danger critique d'extinction. On observe également des hybridations et dérives génétiques des espèces de chondrostome. Les chercheurs suggèrent qu'il y a des allers-retours entre les milieux naturels et les canaux, ces derniers servant de zone refuge en cas de manque d'eau et parfois de zone de reproduction. Des espèces ont même colonisé des infrastructures modestes dont la largeur ne dépasse pas 50 cm et le hauteur de lame d'eau 12-15 cm.

Pour conclure
L'opposition rivières naturelles (à promouvoir) versus écoulements artificiels (à proscrire) est souvent un lieu commun de ce que nous avons appelé le réductionnisme écologique. L'étude de Chantal Aspe et ses collègues souligne la nécessité d'une approche plus ouverte de la question, incluant l'ensemble des services rendus par les hydrosystèmes artificiels, y compris la vérification de leur dynamique écologique propre. On ne peut que souhaiter une extension de cet angle méthodologique au réseau diffus des dizaines de milliers de retenues et biefs de moulins, qui ont été réduits par l'action publique à la notion (pauvre) d'obstacle à l'écoulement, au lieu d'être considérés comme objet d'étude multidisciplinaire à part entière.

Référence : Aspe C et al (2014), Irrigation canals as tools for climate change adaptation and fish biodiversity management in Southern France, Regional Environmental Change, doi: 10.1007/s10113-014-0695-8

Illustration : Canal de Craponne (Aureille, Bouches-du-Rhône), photo par Malost, CC BY-SA 3.0

26/12/2015

On peut construire ou reconstruire des ouvrages hydrauliques en rivières classées liste 1

Deux décisions judiciaires (Cour d'appel de Bordeaux et surtout Conseil d'Etat) viennent de mettre fin à une interprétation tendancieuse de la loi par l'administration. Le législateur n'a pas interdit de construire des ouvrages en rivières classées en liste 1, mais simplement demandé que ces ouvrages ne soient pas des obstacles à la continuité écologique. Ce qui s'apprécie au cas par cas, selon les enjeux locaux de l'environnement et les mesures compensatrices proposées par l'exploitant. Le choix des juges administratifs et conseillers d'Etat porte comme doctrine sous-jacente que les ouvrages hydrauliques sont appelés à disposer de fonctionnalités d'intérêt écologique, en aucun cas qu'ils doivent être interdits (ou détruits s'ils existent) sur le principe car ils nuiraient par nature à une intégrité biotique/morphologique de la rivière. C'est donc une évolution importante de la jurisprudence.

Les classements des rivières de 2012 et 2013 à fin de continuité écologique – qui sont toujours en examen contentieux, de manière indépendante des décisions commentées ici – soulèvent de vives oppositions. Certaines d'entre elles concernent les rivières classées en liste 1, soit que ce classement concerne des soi-disant "réservoirs biologiques" dont la justification scientifique est absente, soit qu'il implique des refus non motivés de projets hydro-électriques. C'est ce dernier point qui était en cause dans les cas jugés à Bordeaux et à Paris.


Cour d'appel de Bordeaux: un projet hydro-électrique est recevable s'il respecte les milieux
La SARL Olympe Energie s'était vue refuser par le Préfet l'autorisation de disposer de l'énergie des cours d'eau du Payfoch et du Gérul, sur le territoire des communes d'Axiat, Lordat et Garanou (Ariège). Un bon exemple des complications, entraves voire stigmatisations que subissent aujourd'hui les porteurs de projet en petite hydro-électricité, cela alors que la loi européenne sur la transition énergétique et les décisions prises à la COP21 devraient encourager le développement des énergies bas-carbone. Le tribunal de Toulouse, puis la Cour d'appel de Bordeaux (CAA de Bordeaux, n°15BX00459, 3 novembre 2015) ont donné raison à l'exploitant contre le Ministère de l'Ecologie.

Les magistrats relèvent notamment que dans le cas examiné:
  • l'ouvrage fonctionnera au "fil de l'eau", sans diminution de la masse d'eau;
  • les débits réservés seront respectés;
  • un suivi hydrologique sera réalisé pendant trois campagnes afin, le cas échéant, de pouvoir adapter le fonctionnement des installations aux éventuels impacts négatifs;
  • la population piscicole constituée de truites fario, estimée dans la zone en cause comme importante et bien équilibrée, est respectée par les prises d'eau et consignes de vannage;
  • aucune des espèces protégées susceptibles d'appeler des mesures spéciales sur le bassin du Gérul, à savoir le desman des Pyrénées, l'écrevisse à pattes blanches, l'euprocte des Pyrénées, le triton palmé, la salamandre tachetée et le grand tétras, n'a pu en fait être observée dans les tronçons concernés.
Donc seule l'appréciation par les faits (in concreto) permet de dire que l'exploitant respecte les milieux, et notamment la continuité écologique.

Conseil d'Etat: l'administration doit instruire toute demande de création d'ouvrage en liste 1
Le Conseil d'Etat vient de donner une portée plus générale à ce principe. France Energie Planète l'avait saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre la Circulaire du 18 janvier 2013 et l’association s'est vue donner raison dans un arrêt du 11 décembre 2015 (CE n° 367116).

Dans la circulaire d'application incriminée, le Ministère de l'Ecologie prétendait que sur une rivière classée en liste 1, tout projet hydro-électrique créant un ouvrage pouvait être débouté "sans avoir à examiner des dossiers de demande d’autorisation ou de concession au cas par cas (…) sans qu’il y ait besoin d’instruire les dossiers de demande".

Le Conseil d'Etat annule cette disposition en précisant :
"que la construction d’un ouvrage sur un cours d’eau figurant sur la liste établie en application du 1° du I de l’article L. 214-17 du Code de l’environnement ne peut être autorisée que si elle ne fait pas obstacle à la continuité écologique ; que le respect de cette exigence s’apprécie au regard de critères énoncés à l’article R. 214-109 du même Code, qui permet d’évaluer l’atteinte portée par l’ouvrage à la continuité écologique ; que, par suite, en dispensant, de manière générale, les services compétents de l’instruction des demandes de construction de tout nouveau seuil et barrage sur ces cours d’eau, au motif que ces ouvrages constituent nécessairement des obstacles à la continuité écologique et ne peuvent par principe être autorisés, l’auteur de la circulaire a méconnu les dispositions applicables".
La haute juridiction administrative précise que cette interprétation vaut pour la reconstruction d'ouvrage autorisés mais tombés en ruine partielle ou totale:
"la reconstruction d’un ouvrage fondé en titre dont le droit d’usage s’est perdu du fait de sa ruine ou de son changement d’affectation ne peut légalement être regardée comme faisant par nature obstacle à la continuité écologique et comme justifiant le refus de l’autorisation sollicitée, sans que l’administration n’ait à procéder à un examen du bien fondé de la demande".

Nos commentaires
La Direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du Ministère de l'Ecologie a lancé depuis un certain temps déjà une campagne de harcèlement des ouvrages hydrauliques, provoquant une crise de confiance sans précédent entre les riverains et l'administration. Il est heureux que les cours administratives aient limité les interprétations tendancieuses dans le cas des projets hydro-électriques sur rivières classées en liste 1 (ce qui dans notre département concerne par exemple le contentieux en cours du Moulin du Boeuf sur la Seine). Incidemment, le choix des conseillers d'Etat signale que l'objectif n'est pas la "renaturation" intégrale des rivières ou la préservation d'une "intégrité biotique" synonyme d'absence totale d'impact humain – sinon, le choix aurait été d'interdire tout ouvrage. On veut simplement que les ouvrages hydrauliques respectent certaines fonctionnalités d'intérêt écologique. C'est donc une inflexion importante de la jurisprudence, signalant une défaite du parti des effaceurs et des excommunicateurs au sein de l'appareil d'Etat.

Selon notre association, la DEB s'est également livrée à deux interprétations tendancieuses du classement en liste 2 dans sa circulaire de 2013 :
  • en prétendant qu'il revient au propriétaire de payer à ses frais des études de continuité en vue de faire des propositions (alors que la loi demande à l'administration elle-même de proposer des mesures de gestion, entretien et équipement, sans charge spéciale ou exorbitante, sur la base de preuves d'un impact) ; 
  • en prétendant que l'effacement (arasement, dérasement) est une solution que l'administration peut prescrire dans le cadre de la continuité écologique (alors que cette option est absente du texte de loi L 214-17 CE et qu'elle est limitée à des cas précis de déchéance du droit d'eau pour atteinte grave à la sécurité ou aux milieux). 
Nous appelons donc l'ensemble des propriétaires, riverains, exploitants et leurs associations ou syndicats à préparer le maximum de contentieux contre les dérives administratives en liste 1 comme en liste 2, cela jusqu'à temps que le gouvernement redéfinisse une doctrine équilibrée des ouvrages hydrauliques et sanctionne les insupportables dérives observées depuis quelques années.

Informez-vous, défendez-vous, engagez-vous !
Vade-mecum de l'association face aux effacements

Plus de 1300 élus, associations et personnalités demandent déjà un moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique. Plusieurs dizaines de questions ont été posées au gouvernement par des députés et sénateurs inquiets des dérives en rivière et du désarroi des riverains. Diffusez le message et engagez vos représentants à rejoindre le mouvement. Nous porterons des propositions au Ministère en 2016.

Illustrations : paysages hydrauliques de la Seine en son bassin amont, où elle est classée liste 1 et liste 2. L'administration n'a pas le droit d'arguer du classement en liste 1 pour refuser d'examiner des projets hydro-électriques. Le seul bassin cote-dorien et aubois de la Seine et du chevelu de ses affluents compte plusieurs centaines d'ouvrages qui pourraient être équipés afin de produire une énergie locale et propre. Au lieu de cela, la DDT, l'Onema et le syndicat Sicec consacrent le plus clair de leur temps passé sur les ouvrages hydrauliques à compliquer la vie des propriétaires et riverains, à livrer des interprétations maximalistes de la continuité (comme à Vanvey) et à engager des projets de destruction sans motif écologique clair ni résultats probants (comme à Nod-sur-Seine ou à Essarois), le tout sur financement public d'une Agence de l'eau acquise sans aucun esprit critique aux dogmes de la continuité écologique. Ces pratiques punitives et destructives doivent cesser, pour laisser place à une politique ouverte et constructive sur l'avenir des ouvrages hydrauliques.