06/01/2016

Recommandations CGEDD 2012: le Ministère de l'Ecologie n'a pas tenu ses engagements essentiels sur la continuité écologique

En décembre 2012, le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a rendu un rapport sur la mise en oeuvre du Plan de restauration de la continuité écologique. Ce document attestait déjà, avant le classement de 2012-2013, des problèmes rencontrés ainsi que des rapports détériorés entre moulins et services de l'Etat. Le CGEDD a émis 11 recommandations: deux ont été en partie réalisées mais pas dans les termes prévus, deux ont avancé sans encore se matérialiser, les sept autres sont au point mort, dont certaines pourtant fondamentales pour l'existence d'une concertation digne de ce nom. Pour les moulins et riverains, la conclusion est simple : le Ministère de l'Ecologie n'a aucune envie réelle de progresser sur le dossier car sa Direction de l'eau et de la biodiversité s'est enfermée dès le départ dans l'horizon dogmatique d'un effacement préférentiel des ouvrages hydrauliques et d'un découragement de leur équipement. A quoi bon faire des efforts pour une réalité qu'on souhaite voir disparaître? Sans changement de doctrine et sans avancée réelle de la part du Ministère, la tension ne fera que croître au bord des rivières. D'autant qu'aux 11 recommandations du CGEDD s'ajoutent 8 attentes complémentaires issues de l'expérience de terrain et des travaux de recherche des dernières années. 

Le rapport du CGEDD peut être téléchargé à cette adresse (lien pdf). Les recommandations figurent dans l'annexe finale.

Les 11 recommandations et l'indifférence du Ministère
Ce rapport avait pour origine les problèmes déjà rencontrés dans la mise en oeuvre du Plan d'actions pour la restauration de la continuité écologique des cours d'eau (Parce 2009) qui avait occasionné la désignation de 1300 ouvrages prioritaires dits Grenelle, devant théoriquement être aménagés avant fin 2012.

Démarche de qualification-certification des bureaux d'études
Des déclarations, aucune avancée concrète. Nota : nous ne sommes guère favorables à cette mesure. Le problème n°1 des travaux de continuité écologique n'est pas la complexité du chantier, mais son coût. Or, la certification va augmenter les coûts des prestataires (et en diminuer le nombre, donc la compétition déjà faible sur le marché). Cela ne peut jouer qu'en faveur de l'inflation et de l'inertie. Voir infra le vrai besoin, qui est en amont des bureaux d'études, au niveau de la modélisation des bassins versants et de la motivation des classements.

Analyse de faisabilité de la gestion concertée et garantie des vannages
Des tests épars, pas de programmation ni de retour d'expérience scientifique. On a vu sur certains bassins des initiatives préfectorales d'ouverture des vannes. Mais les modalités de mises en oeuvre (qui peuvent nuire à certains exploitants ou aux tiers) n'ont pas été débattues à l'amont des décisions et la programmation scientifique d'évaluation de ces initiatives paraît inexistante (si elle existe, elle a été non débattue sur son protocole et ses objectifs).

Définir des critères d'appréciation partagée des ouvrages d'intérêt patrimonial ou à usages méritant d'être préservés
Aucune avancée. Le point est pourtant essentiel, aussi bien la Ministre de l'Ecologie que la Ministre de la Culture se sont alarmées de la destruction du patrimoine français. Mais apparemment, le gouvernement n'est plus capable d'autorité sur les décisions de sa propre administration, dont une partie poursuit son agenda idéologique propre sur les rivières.

Mise au point d'une grille multicritère d'évaluation de l'intérêt des ouvrages
Aucune avancée. Le point est également essentiel, car la plupart des aménagements de continuité écologique bâclent les analyses des enjeux non-écologiques, les études des effets environnementaux délétères, les informations sur la valeur du droit d'eau, les simulations des sites à l'étiage, etc. Quand il est reconnu qu'il y a des usages locaux ou des dimensions intéressantes, cela ne change pas grand chose puisque dans la majorité des cas, le seul financement public presque intégral est réservé à l'effacement. De manière absurde, certaines destructions conservent un pan de mur, un bajoyer ou un pertuis pour attester d'un usage ancien (aucun intérêt écologique ni patrimonial).

Intégration des représentants des moulins dans les instances nationales et régionales de l'eau
Aucune avancée. Les textes réglementaires fixant les compositions des comités de bassin des SDAGE et des commissions locales de l'eau des SAGE n'ont pas changé, les représentants des moulins ne sont pas intégrés en routine dans les commissions de travail eau ou énergie au plan national, les comités de pilotages des projets de continuité écologique évitent dans la plupart des cas d'inviter les associations départementales ou riveraines, préférant isoler soigneusement chaque maître d'ouvrage et éviter des débats démocratiques qui tournent généralement au désavantage des effacements. On ne peut évidemment pas demander à des associations et fédérations de soutenir une politique publique dont elles sont à la fois les premières exclues dans la délibération et les premières victimes dans l'exécution!

Etude sur la pico-hydroélectricité, son potentiel, ses risques
Aucune avancée. Le travail de consensus mené au Ministère avec l'UFE a concerné les sites de plus de 100 kW et le potentiel résultant est contesté car ne prenant en compte 80% des ouvrages en rivière (qui ont entre 5 et 100 kW de puissance brute). Pour les mêmes raisons, les études de potentiels hydro-électriques des SDAGE sont contestées.

Partenariat plus institutionnel de l'Onema avec les fédérations de moulins
Une avancée avec la FMDF, qui est en train de finaliser un accord pour l'étude de sites problématiques. Rien sur le reste.

Signature rapide du classement des rivières L-214-17 CE avec formation des personnels le mettant en oeuvre (y compris les aspects sociologiques, patrimoniaux, paysagers)
Les classements ont été signés, mais sans formation des personnels de mise en oeuvre. Les innombrables problèmes dans l'exécution du classement ont motivé l'appel à moratoire. Nota : il était peu logique de demander un classement rapide de plus de 10.000 ouvrages alors que le retour d'expérience des 1300 ouvrages Grenelle montrait déjà des problèmes importants et un retard manifeste dans l'exécution (peu d'ouvrages aménagés en 3 ans 2010-2012)

Action envers les notaires pour un transfert correct des propriétés de moulins incluant rappel des droits et devoirs
Aucune avancée. Ce point est important, agents immobiliers et notaires continuent de vendre des moulins comme des maisons au bord de l'eau sans accomplir les formalités nécessaires (signalement au préfet du transfert d'autorisation), sans alerter les nouveaux propriétaires de leurs devoirs et servitudes, sans s'assurer que le maître d'ouvrage comprend les enjeux hydrauliques.

Desserrer les délais de mise en conformité prévus par la loi
Les délais ont été desserrés de fait sur le Parce 2009 (ouvrages Grenelle). Pour le classement des rivières 2012-2013, c'est l'objet de la demande de moratoire.

Formaliser de manière concertée des modalités pratiques de mise en oeuvre de la loi et du Parce
Aucune avancée sérieuse. C'est l'objet théorique de la "Charte des moulins", mais on observe un dialogue de sourds, la Direction de l'eau veut simplement imposer son texte, sans tenir compte des attentes et propositions de ses interlocuteurs (voir nos articles sur le sujet).



Nouvelles attentes issues des retours d'expériences 2012-2015
Les trois années écoulées depuis la parution du rapport CGEDD 2012 ont confirmé l'ampleur des difficultés, ce qui fait évidemment regretter l'inertie quasi-totale du Ministère de l'Ecologie sur les recommandations les plus importantes qui avaient été formulées. La publication des arrêtés de classement des rivières (2012 et 2013) suivie des premières mises en oeuvre de la continuité écologique sur le territoire a permis à un plus grand nombre d'acteurs de se confronter aux choix publics, pour souvent exprimer des réserves et des critiques. Dans le même laps de temps, la recherche scientifique a progressé, notamment à la lumière des mesures de surveillance homogénéisées de la DCE 2000 et des retours critiques (aux Etats-Unis, puis en Europe) des premières vagues de restauration écologique de rivière. La liste de 8 recommandations ci-dessous s'inspire de ces retours de terrains et/ou exploration de la littérature savante.

Moratoire sur la mise en oeuvre du classement L214-17 CE
La nécessité du moratoire s'alimente à deux constats. D'une part, le nombre de dossiers traités chaque année par les services instructeurs (DDT-Onema) et les Agences de l'eau dépasse difficilement la dizaine d'ouvrages effectivement aménagés par département, ce qui est notoirement insuffisant, en particulier dans les bassins où le classement liste 2 a été le plus étendu en linéaire (voir exemple). D'autre part, une frange non négligeable des propriétaires est hostile à la manière dont la continuité écologique est mise en oeuvre, ce qui se traduit de diverses manières : absence de réponse aux lettres d'information DDT, refus des prescriptions faites par bureaux d'études, demande à l'Etat de motiver les obligations d'équipement, etc. Le délai de 5 ans n'est donc pas réaliste. Il faut ajouter un enjeu de gouvernance : le choix d'un moratoire serait de nature à apaiser la situation de plus en plus tendue entre les associations, les élus locaux et l'Etat, condition d'une reprise des échanges dans un climat plus calme et constructif. Sans moratoire, les contentieux juridiques seront nombreux dès 2017 car d'éventuelles mises en demeure préfectorales seraient contestées devant les tribunaux administratifs pour non respect des motivations complètes et procédures contradictoires impliquées par le L 214-17 CE (voir ce point).

Rappel du caractère exceptionnel de l'effacement et de ses conditions de mise en oeuvre
Le choix a été opéré par le Ministère de l'Ecologie de favoriser la solution de destruction des ouvrages (Circulaires de 2010 et 2013). Les services de l'Etat ont également appuyé cette proposition dans les commissions de certaines Agences de l'eau en charge d'élaborer les programmes de mesures (subvention maximale à l'effacement, minimale aux dispositifs de franchissement non destructifs). La légalité de ce choix est contestée, car les notions d'effacement (arasement, dérasement) sont absentes de la LEMA 2006 et de la loi de Grenelle 2009, qui demandent au contraire des aménagements et équipements. Il est démontré sans conteste que les députés et sénateurs ont volontairement exclu la mention de l'effacement dans les textes de loi relatifs à la continuité écologique. Outre la légalité douteuse des injonctions à effacer, plusieurs problèmes écologiques se posent, qui sont actuellement mal gérés en cas d'effacement : bilan chimique des nutriments, bilan de pollution des sédiments, risques d'espèces invasives, tenue des berges et fondations, garanties sur les crues et étiages, absence d'évaluation des services rendus par les écosystèmes aménagés, etc. Enfin, ce choix est perçu comme une provocation symbolique par les associations, et fait apparaître la réforme de continuité écologique comme une entreprise punitive, excessive et autoritaire. Il ne paraît pas possible d'obtenir une adhésion à la réforme sans commencer par formaliser un rappel du caractère exceptionnel de l'effacement, l'urgence de l'entourer de toutes les précautions environnementales nécessaires s'il est la seule option souhaitée et la nécessité de le proscrire dès lors que le maître d'ouvrage, ou les tiers ayant-droit dans l'influence du remous s'y opposent. Une instruction formelle devra être donnée aux services préfectoraux en ce sens, afin que chaque maître d'ouvrage comme chaque tiers dans l'influence du site puisse s'en prévaloir et se prémunir d'une interprétation locale tendancieuse de la loi.

Faisabilité économique des aménagements de continuité
Les bureaux d'études coûtent entre 5 et 50 k€ selon la complexité du site. Les travaux prescrits coûtent en moyenne 50 k€ du mètre de chute. Il en ressort que le maître d'ouvrage désireux de faire des aménagements de franchissement doit (en moyenne et hors financement exceptionnel) affronter des coûts allant de dizaines à centaines de milliers d'euros, même après subvention des Agences. Ces sommes excèdent parfois la valeur foncière du bien. Elles sont hors de portée des particuliers, et elles mettent en danger les petites exploitations (particulièrement s'il faut y ajouter des aménagements d'ichtyompatibilité et diverses autres pressions réglementaires concomitantes aux exigences de continuité écologique). Sont nécessaires sur ce plan : une analyse plus détaillée des structures de coûts et une sélection des solutions les plus abordables ; un choix prioritaire des solutions les moins coûteuses (primat du réalisme économique indispensable à la réussite de la réforme) ; une révision de la politique de financement des Agences avec un taux plus élevé pour les passes à poissons et autres dispositifs de franchissement ; une recherche de financeurs complémentaires aux Agences et/ou de ménanismes publics de soutien ou indemnisation.

Audit scientifique de la continuité écologique (objectifs, méthodes, résultats)
Au cours des 5 années écoulées, de nombreux travaux de recherche français, européens et internationaux ont concerné l'influence relative de barrages sur la qualité biologique / chimique des rivières, ainsi que des analyses critiques des protocoles ou des résultats des opérations de restauration écologique. Ces travaux tendent à conclure, de manière convergente, que l'impact des ouvrages est modeste, que la probabilité d'obtenir des résultats rapides sur des critères de qualité de type DCE 2000 est faible et que les réhabilitations hydromorphologiques doivent être programmées avec soin, notamment en tenant compte de l'ensemble des impacts du bassin comme des capacités de résilience des milieux. D'autres travaux, relatifs à l'histoire de l'environnement ou à la modélisation des bassins, suggèrent que les petits ouvrages déjà présents au XIXe siècle ont eu des impacts faibles sur l'évolution des migrateurs et exercent des pressions très modestes. Pour finir, la recherche scientifique met aussi à jour des effets positifs des ouvrages, comme le rôle auto-épurateur des retenues vis-à-vis des nutriments (ce qui n'est pas négligeable en France au regard du problème de pollution des eaux). L'ensemble de ces recherches doit mener à une audit scientifique des politiques de continuité, qui ont été conçues et formalisées sur la base de connaissances plus anciennes. Cet audit doit inclure un comparatif avec les choix des autres pays européens (cet exemple) et avec les retours d'expérience nord-américains, ainsi qu'une analyse coût-efficacité des aménagements déjà réalisés et faisant l'objet d'un suivi.

Etude scientifique de l'impact spécifique des petits ouvrages
La littérature scientifique internationale sur la continuité écologique – concept développé à partir des années 1980 – concerne pour l'essentiel des ouvrages de dimension importante (plus de 5 m), et en particulier les effets sur la rivière des grands barrages de production ou de régulation. Cela ne correspond pas à la réalité du patrimoine hydraulique français : dans le ROE de l'Onema, les ouvrages moins de 2 m forment environ 90% des obstacles à l'écoulement, et les moins de 1 m environ 50%. Il est indispensable de procéder à une étude scientifique (impliquant nos laboratoires de recherche) de l'impact spécifique des petits barrages (sachant que les travaux existants sur le taux d'étagement n'ont pas le rigueur suffisante pour informer le gestionnaire). La variabilité des indicateurs de qualité DCE (écologie, particulièrement diatomées, invertébrés et poissons) doit y être rapportée à la hauteur des ouvrages, aux taux d'étagement / fractionnement des tronçons, aux indicateurs de pollution chimique ou physico-chimique, aux autres pressions du bassin versant (usages des sols notamment) et bien sûr aux conditions naturelles (écorégions, pente, température, etc.). Le protocole de cette recherche doit permettre d'évaluer la variance totale de qualité écologique ainsi que la dépendance de cette variance à la hauteur / la densité des ouvrages. Ses résultats doivent avoir une visée applicative : définir des priorités d'aménagement en fonction de la nature des ouvrages hydrauliques. La notion d'obstacle à l'écoulement à partir de 20 cm de hauteur est bien trop vague pour informer une politique à échelle des bassins.

Révision des classements, méthodologie de diagnostic par rivière et priorisation par bassin versant
Dans sa mise en oeuvre actuelle, la continuité écologique est déficiente au plan des diagnostics appuyés sur des connaissances, et elle conduit donc à des dépenses publiques inutiles ou non-optimales. Typiquement, on finance des bureaux d'études qui analysent de manière très partielle des sites ou (au mieux) des groupes de sites sur un tronçon. Ces BE font généralement un travail correct d'ingénieur, mais ils ne disposent pas des méthodes ni des outils de la recherche : ils se contentent donc d'un diagnostic superficiel local, ne tiennent pas compte des dynamiques de la rivière et du bassin versant (pression-réponse), ne sont pas capables de modéliser des trajectoires sédimentaires ou piscicoles (biotiques en général) donc de garantir des résultats, etc. A cela s'ajoute que les opérations de restauration ne sont pas priorisées par enjeu écologique (très mal estimé à échelle des bassins et des rivières), mais par opportunité politique locale (maître d'ouvrage consentant), d'où parfois des options douteuses (voir cet exemple sur le chabot, cet effacement en zone à IPR bon, ce bilan coût-bénéfice d'un aménagement, etc.). Comme l'avait rappelé le directeur de l'eau dans la Circulaire de 2013, la réforme de continuité écologique ne consiste pas à restaurer de l'habitat local, mais à rétablir des fonctionnalités de transit et franchissement là où elles sont nécessaires. Il est donc impossible de dire qu'un aménagement ou un effacement serait toujours une opération "sans regret" car on a supprimé une retenue : ce n'est pas le texte ni l'esprit de la loi, ce n'est pas la nature de nos obligations européennes DCE 2000, ce n'est pas non plus le besoin prioritaire des milieux. Il faut donc repenser, avec l'appui de la recherche académique, les méthodologies et les modèles pour réviser en conséquence les classements (zonage géographique, espèces-cibles, etc.). Les financements des agences dédiés aux connaissances et à l'acquisition de données sont totalement insuffisants aujourd'hui, ce qui conduit à des actions décidées en déficit d'information fiable sur les bassins versants.

Simplification des règles IOTA, harmonisation des interprétations des services instructeurs et gel de toute incertitude supplémentaire sur les évolutions réglementaires
Le droit de l'eau a été modifié dans sa partie législative par les lois de 2006 et 2009, et plus encore dans sa partie réglementaire. L'activité normative et prescriptive ne faiblit pas (comme en témoignent le décret de 01/07/2014 et l'arrêté du 11/09/2015), elle se mène généralement sans concertation ou sans prise en compte des objections des parties prenantes entendues, elle aboutit à une complexité illisible. A cela s'ajoute que les services instructeurs (DDT-Onema) et les Agences de l'eau n'ont pas les mêmes règles d'interprétation, de recommandation ou de subvention, donnant un fort sentiment d'inégalité devant les charges publiques et d'arbitraire dans les évaluations administratives. Les propriétaires d'ouvrages se trouvent en situation d'insécurité réglementaire permanente et doivent affronter des coûts de plus en plus élevés pour des travaux d'entretien courant. Le résultat est évidemment très négatif : défiance envers les services instructeurs, tentation de faire des travaux sans déclaration au regard du risque de demandes exorbitantes, inertie et absence d'entretien du bien face à la difficulté de faire des dossiers et au coût de les déléguer à des entreprises, etc. Il est nécessaire de stopper cette suractivité réglementaire transformant le droit de l'environnement en maquis inaccessible, de publier un guide clair sur les régimes (libre-déclaration-autorisation) relatifs à chaque action d'entretien (curage bief, curage retenue, changement vanne, relance turbine, etc.), de définir des pratiques raisonnables au plan de l'exécution et économiquement acceptables (sur l'analyse des sédiments en cas de curage, sur les pêches électriques de sauvegarde, etc.) au regard des enjeux environnementaux qui sont souvent très modestes.

Etudes in situ de mortalité en turbines de petites puissances
Outre l'estimation du potentiel en petite hydro-électricté (moins de 100 kW) déjà demandée par le CGEDD, il convient de mener une étude spécifique sur la mortalité en turbines de petites puissances. Les positions actuelles de l'Onema (comme les modélisations plus récentes menées en Loire-Bretagne) sont fortement contestées car elles s'appuient sur des modèles de mortalité n'ayant rien à voir avec des petits sites de 5 à 250 kW (et sur des protocoles ne correspondant pas au comportement naturel du poisson à l'approche d'une chambre d'eau). Des propriétaires de petites centrales hydro-électriques sont volontaires pour participer à des études in situ de mortalité, à condition que le protocole de ces études reflète les conditions réelles d'exploitation et permette des conclusions robustes suivies d'effets en terme d'évolution réglementaire. L'enjeu n'est pas négligeable puisque les services de l'Etat demandent par principe des mesures d'ichtyompatibilité (grille fine, goulotte de dévalaison, passe, contrôle de mortalité, etc.) qui sont coûteuses et qui rendent non-rentables la remise en service de beaucoup de petites puissances – alors que dans le même temps, on a vu arriver sur le marché des équipements énergétiques permettant de relancer tout site, y compris très modeste, de manière relativement simple. Le frein à l'équipement des petites puissances hydro-électriques est essentiellement dans la complexité réglementaire inadaptée à des sites très modestes, et dans le coût économique qu'induisent des demandes disproportionnées aux enjeux écologiques.

En conclusion
Les problèmes de mise en oeuvre de la continuité écologique ne viennent pas des moulins et riverains, mais de l'incapacité du Ministère de l'Ecologie à construire une vraie concertation avec eux, à admettre que l'effacement massif des ouvrages hydrauliques n'est pas une solution recevable sur ce compartiment de la rivière et à produire des demandes réalistes au plan économique. L'inertie du Ministère sur les recommandations CGEDD 2012 témoigne hélas! amplement de sa mauvaise volonté. Ces recommandations étaient valables : elles doivent être appliquées, et non écartées. S'y ajoutent 8 propositions qui sont fondées sur des retours empiriques du terrain et des analyses de la littérature scientifique. Leur motivation est raisonnable, leur examen est indispensable. Il est d'ores et déjà acquis que le délai de 2017-2018 pour l'exécution des aménagements de continuité écologique est intenable, et que la persistance à imposer ce délai se traduirait par des contentieux pour les nombreux maîtres d'ouvrage refusant les termes qui leur sont aujourd'hui imposés. Nous appelons donc à prononcer en premier lieu un moratoire sur l'exécution de cette réforme. C'est le préalable nécessaire à tout examen de fond des questions sans réponses depuis 3 ans.

04/01/2016

Faible impact des barrages sur les poissons: nouvelle confirmation scientifique (Cooper et al 2016)

Une nouvelle étude nord-américaine d'hydro-écologie quantitative confirme le rôle modeste des barrages et autres ouvrages hydrauliques sur les peuplements piscicoles à échelle des bassins hydrographiques. Cette recherche ne parvient à expliquer que 15 à 32% de la variance totale de présence des poissons étudiés, et au sein de ce score déjà restreint, les barrages n'impactent que 10 à 32% des différences observées entre tronçons. Les chercheurs admettent que l'effet est "modeste" – encore ces travaux n'isolent-il pas la très petite hydraulique, largement majoritaire sur nos bassins versants. Ces résultats convergent avec ceux d'autres études récentes et exigent que l'on repense les choix français de continuité écologique, leurs attendus, leurs objectifs et leurs méthodes. Les connaissances évoluent, nos choix de gestion doivent s'adapter et non pas se figer dans des dogmes administratifs sans intérêt.

La région étudiée par Arthur R. Cooper et ses collègues (Université du Michigan, Bureau des Grands Lacs) englobe les états du Michigan, du Wisconsin et du Minnesota, soit un territoire de superficie comparable à la France (514.000 km2), avec 262.000 km de rivières. Le réseau hydrographique compte notamment 2305 grands barrages. La zone regroupe trois écorégions : Grands Lacs laurentiens, vallée supérieure du Mississipi, régions des lacs Winnipeg-English (voir carte ci-dessous).


Source Cooper el al 2016 (droit de courte citation)

Sur ces territoires, les chercheurs ont sélectionné 10 indicateurs d'influence naturelle (par exemple pente, précipitation, débit) et anthropique (par exemple fraction des terres cultivées, densité de population). La fragmentation par les ouvrages hydrauliques a été détaillée en 14 métriques orientées vers l'aval ou vers l'amont, pour situer chaque site dans l'impact cumulatif de la fragmentation, mesurer les linéaires en circulation libre du chenal principal et de ses affluents, tenir compte des effets de débit de chasse depuis les barrages-réservoirs. Les masses d'eau ont été classées en tête de bassin (HW) ou vallée moyenne (MS), avec des eaux chaudes ou froides (seuil à 19,5°C Tmax en juillet).

Le travail a consisté à examiner le résultat des pêches sur les rivières et lacs, soit un total de 59 espèces dans 14 familles. Parmi elles, les chercheurs ont sélectionné des espèces indicatrices qui présentent une réponse positive, négative ou mixte à la fragmentation. Ils ont ensuite procédé à une analyse canonique des correspondances, technique statistique permettant de pondérer l'influence relative de certains facteurs (ici la fragmentation par les barrages) dans un phénomène variable (ici les probabilités de présence de poisson mesurées par le CPUE, un indicateur nord-américain).


Le tableau ci-dessus (cliquer pour agrandir) donne les résultats de l'analyse. On observe d'abord que la variance totale expliquée (c'est-à-dire ici les espèces qui répondent au signal recherché) est faible : entre 15 et 32% selon les types de rivière et leur température. Au sein de cette variation expliquée, les facteurs naturels expliquent 28 à 45% des différences observées, les facteurs anthropiques hors barrage 9 à 35% et les barrages 10 à 32%. L'influence la plus forte des barrages (32% de la variance expliquée, elle-même de 17%) se trouve dans les vallées moyennes à eau froide. L'influence vers l'amont est plus marquée en têtes de bassin et l'influence vers l'aval en vallées moyennes.

Les auteurs admettent que "ces niveaux [d'influence] peuvent paraître modestes", et qu'ils sont comparables à d'autres résultats de la littérature scientifique. Ils rappellent qu'il faut apprécier les autres impacts anthropiques sur les bassins versants.

Nos commentaires
Cette nouvelle étude nord-américaine s'inscrit dans une démarche d'hydro-écologie quantitative : il ne s'agit pas d'analyser des impacts locaux (comparaison amont-aval d'un barrage, ou avant-après un effacement), mais de pondérer l'influence relative de facteurs sur un important linéaire. Ces techniques, qui supposent la disposition de mesures homogènes sur le maximum de variables dans un grand nombre d'hydrosystèmes, sont relativement récentes (elles émergent au cours des années 2000, et surtout 2010).

Les résultats d'Arthur R Cooper et de ses collègues rejoignent ceux de Wang et al 2011, Van Looy et al 2014, Villeneuve et al 2015 pour montrer que l'influence des barrages sur les assemblages piscicoles reste modeste (voir deux synthèses ici et ici). Il convient de garder à l'esprit que ces études ne distinguent pas le poids spécifique de la petite et de la grande hydrauliques (ce qui serait faisable en segmentant par tronçon et en intégrant des facteurs qualitatifs liés à la hauteur de l'ouvrage, à la pente de son versant aval, etc). Par ailleurs, ces travaux scientifiques identifient des variations de fréquence de certaines espèces dans les assemblages piscicoles de tronçon, mais pas des risques d'extinction locale. La moindre probabilité d'occurrence de certaines espèces en zone lentique des retenues et réservoirs est un résultat attendu (transition des spécialistes vers les généralistes détectée par Cooper et al dans cette étude, après d'autres), mais ce résultat ne nous dit rien sur la dynamique démographique des espèces, sur leur vulnérabilité, sur la probabilité de maintenir une biodiversité totale élevée sur l'ensemble de la rivière ou encore sur les effets de certaines évolutions attendues (comme le changement hydroclimatique). Toutes choses qui devraient être les principales préoccupations du gestionnaire.

Cette nouvelle recherche confirme que les discontinuités longitudinales provoquées par les barrages ont des effets modestes sur les peuplements piscicoles des rivières et lacs quand on envisage l'ensemble des bassins versants. A la lueur des avancées de nos connaissances, il est plus que jamais nécessaire de procéder à un audit complet de la politique française de continuité écologique, de ses objectifs environnementaux et de son efficacité rapportée à ses coûts. En dehors de besoins spécifiques des grands migrateurs (non couverts par cette étude de Cooper et al.), il n'apparaît pas que la restauration de continuité longitudinale produira des effets massifs sur la qualité piscicole des rivières, notamment sur nos obligations européennes de bon état biologique des masses d'eau.

Plus généralement, la discontinuité des rivières est un phénomène historique ancien en Europe et on peut penser que les peuplements biologiques se sont adaptés à ces conditions physiques. L'intérêt de favoriser certains assemblages (généralement rhéophiles) ne peut être fondé que sur des menaces précises d'extinction locale, pour des espèces n'ayant pas une large répartition géographique, mais ne saurait être un objectif de principe au regard de ses coûts élevés, de ses impacts négatifs sur le patrimoine et les services rendus par les ouvrages, de ses effets limités à des restaurations très locales d'habitats. La continuité écologique telle qu'elle est menée en France risque de verser dans un dogme administratif de l'effacement des ouvrages, ou bien de leur aménagement "réflexe", sans analyse critique des effets espérés et des priorités écologiques.

D'ores et déjà, il n'est plus possible de tenir cette politique pour légitime tant qu'elle n'aura pas fait l'objet d'une évaluation scientifique indépendante à la lueur des travaux parus depuis 5 ans, tant en analyse multifactorielle d'hydro-écologie quantitative qu'en analyse critique des restaurations morphologiques (leurs protocoles, leurs résultats). Au lieu de dépenser des fortunes dans des subventions publiques de micro-analyses partielles de sites par des bureaux d'étude, nous serions avisés d'élargir le financement de notre recherche académique, de produire des modèles descriptifs-prédictifs plus efficaces et de cesser la précipitation désordonnée de l'action en rivière.

Référence : Cooper AR et al (2016), Identifying indicators and quantifying large-scale effects of dams on fishes, Ecological Indicators, 61, 2, 646–657

03/01/2016

Histoire des rivières: quand l'urgence était de démanteler les barrages… des pêcheurs

Les peuplements des rivières ont été modifiés de très longue date, tant par les changements physiques des écoulements liés aux retenues de moulins, aux étangs, aux canaux, aux aménagements des rivières flottables et aux écluses des fleuves navigables que par les influences de la pêche et de la pisciculture. Les discussions parlementaires relatives au vote du Code de la pêche (1829) rappellent que la préoccupation des élus était à l'époque les barrages à filet des pêcheurs davantage que ceux des moulins et usines, jugés franchissables pour la "remonte" des migrateurs. Ces débats apportent un indice supplémentaire sur l'impact modeste de la petite hydraulique d'Ancien Régime, tout en rappelant la nécessité d'une évaluation scientifique (indépendante) de l'effet multiséculaire de la pêche sur les peuplements ichtyologiques. Plus largement, c'est la notion de milieu naturel qu'il conviendrait de problématiser au regard de l'anthropisation ancienne des rivières.

Le Code de la pêche fluviale est promulgué par ordonnance royale le 24 avril 1829. Il s'agit à l'époque de moderniser les dispositions de l'ordonnance de 1669, édicté par Colbert sous Louis XIV pour établir le régime de conservation des forêts et des eaux, et de la loi du 4 mai 1802.

L'article 24 du Code énonce :
Il est interdit de placer dans les rivières navigables ou flottables, canaux et ruisseaux, aucun barrage, appareil ou établissement quelconque de pêcherie ayant pour objet d'empêcher entièrement le passage du poisson.

Dans la discussion à la Chambre de députés, M. Mestadier, rapporteur de la commission, avance l'argument suivant:
"Ce serait en vain que le législateur prendrait tous les moyens d'empêcher le dépeuplement des rivières, soit en déterminant lui-même la forme des filets et engins, les temps, saisons et heures de la pêche, la dimension des poissons, soit en proscrivant l'emploi de drogues ou appâts qui sont de nature à enivrer le poisson ou à le détruire, s'il permettait les barrages qui, empêchant la remonte du poisson, nuisent plus au repeuplement des rivières que toutes les drogues et tous les engins prohibés, et si l'administration ne tenait pas sévèrement la main à la prompte destruction des barrages frauduleusement construits pendant l'anarchie à laquelle le projet de loi mettra enfin un terme. Pourvu par la nature de l'instinct et de la force nécessaires pour affronter et vaincre les plus grandes difficultés, les poissons franchissent les digues, les déversoirs les plus rapides. Ils remontent les fleuves et rivières souvent jusqu'à leur source pour y déposer leur frai. Au lieu de présenter des deux côtés une pente douce sur laquelle le cours d'eau, quoique très rapide, ne peut pas arrêter la remonte, des barrages présentent au poisson qui remonte une face perpendiculaire qui oppose à ses efforts un obstacles invincible, le fait retomber dans les filets placés au pied du barrage, et empêche ainsi la reproduction. C'est donc avec raison que l'article 24 interdit les barrages ayant pour objet d'empêcher entièrement le passage du poisson. A cet égard, nulle possession n'a pu donner le droit, car la possession ne pourrait pas faire supposer un titre. Ce serait le droit d'empêcher le repeuplement des rivières, et on ne prescrit ni contre le droit naturel, ni contre la police générale, le bon ordre, le droit public".

Commentaires

Dans les impacts ayant modifié les rivières au cours des derniers siècles, on oublie souvent le rôle de la pêche. Avant de devenir très majoritairement une pêche de loisir après la guerre de 1914-18 et plus encore à compter des Trente glorieuses, elle fut une pêche alimentaire et de subsistance. L'ordonnance de Colbert au XVIIe siècle prenait déjà des mesures pour interdire la pêche à certaines périodes (nuit, frai), en raison de risques de disparition locale de certaines espèces. Le Code de la pêche s'inscrit donc dans ce sillage, en réponse à une pression. Le spectre du dépeuplement des rivières et l'importance de l'économie rurale vivrière au XIXe siècle conduiront ensuite à l'émergence d'une pisciculture d'inspiration scientifique, visant à maîtriser la reproduction des poissons en élevage, à empoissonner rivières et étangs de manière plus intensive, à acclimater des espèces étrangères, notamment nord-américaines. (Ce qui ne manquera évidemment pas d'avoir d'autres effets sur les ressources.)

En faisant allusion aux poissons qui remontent les fleuves pour aller frayer vers la source, le rapporteur à la Chambre des députés a probablement en tête des grands migrateurs amphihalins (saumon, truite de mer, grande alose, lamproie marine, anguille). Les autres espèces de poissons, qui ont des déplacements plus courts sur un biotope plus restreint, ne correspondent pas à ce comportement. Rappelons que la pêche aux saumons, aux aloses et aux lamproies avait été autorisée à toute saison par l'Ordonnance de 1669 (article VII, titre De la pêche), sans limitation contrairement aux interdits en temps de frai (février-juin) pour d'autres espèces. Cela indique soit l'abondance relative de ces espèces sur les rivières de l'époque, soit leur importance dans l'alimentation et le besoin de ne pas entraver leur pêche.

La mention de la "pente douce" des seuils des usines est intéressante. Pour les ouvrages les plus anciens (seuils fixes en rivière, sans organe mobile ou avec modeste vanne latérale), on trouve souvent ce profil en forme de "barrage poids" avec des versants amont et aval au parement inégal présentant effectivement une pente entre 30 et 60°. Ce type de profil favorise la reptation des anguilles. Si le seuil est modeste, et s'il y a fosse d'appel, il est franchissable par saut (ou par nage quand les crues surversent l'ouvrage avec des vitesses moindres vers les bords). Il n'est pas rare d'observer une échancrure ou une baisse de niveau à une extrémité de ce genre de seuil. On retrouve chez L Roule (1920) des considérations sur l'évolution du profil des barrages en lien à la raréfaction du saumon (voir cet article).

Pour autant, les barrages des moulins et usines attiraient aussi l'attention des édiles. M. Mestadier ajoute lors du débat sur le Code de la pêche la précision suivante: "Je profite de la circonstance pour émettre le voeu qu'à l'avenir, lorsqu'une administration autorisera des barrages pour les usines, elle prenne pour règle une ordonnance de nos rois qui avait décidé qu'aucun barrage pour des usines ne pourrait avoir lieu sans qu'il y eût des vannes ouvertes pendant le temps de frai." Ces préoccupations seront régulièrement exprimées au XIXe siècle. Par exemple, dans un département comme le Finistère (où les petits fleuves côtiers représentent un enjeu migrateur), un arrêté préfectoral fixe à la fin des années 1830 une largeur minimale de vanne de 2,5 m pour les nouveaux ouvrages. Il faudra attendre la loi sur la pêche du 31 mai 1865 pour que d'une part la pêche soit interdite toute l'année sur certaines rivières protégées, d'autres part des échelles à poissons puissent être prescrites sur certains cours d'eau (après enquête et décret en Conseil d'Etat).

Source : Brousse M. (1829), Code de la pêche fluviale, avec l'exposé des motifs, la discussion des deux chambres, et des observations sur les articles, Charles-Béchet (Paris), 250 p.

Illustration : Les quatre paysages [3] Le moulin à eau, estampe de Jacques Callot (v.1620-1630). On observe un pêcheur à filet au pied du seuil du moulin.

02/01/2016

Moulin d'Aulnay sur l'Indre, 5 ans de pressions

Nous recevons et publions un nouveau témoignage de propriétaires d'un moulin sur l'Indre aval. Alors que le bien a été impeccablement restauré, fait l'objet d'animations locales en été et ne peut certainement pas être réputé en ruine ou à l'abandon, voici l'ensemble des pressions et stigmatisations subies en l'espace de quelques années : tentative DDT-Onema de casser le droit d'eau, travaux superflus exigés par le syndicat de rivière, pour finir demande de passes à poissons de près de 100 k€. Beaucoup se reconnaîtront dans cette séquence que subissent tant de moulins en France, en particulier dans les bassins les plus dogmatiques en terme d'effacements (Loire-Bretagne, Seine-Normandie). Combien de propriétaires plus faibles, plus isolés, plus âgés ont fini par baisser les bras et céder face à cet acharnement? Ces pratiques insupportables doivent cesser, elles sont indignes de l'action publique et ne produiront que des conflits.



Propriétaire du Moulin d’Aulnay depuis 1987 par héritage, suite au décès de mon père, qui avait acheté ce moulin en 1939 (l’activité du meunier avait cessé en 1938), le moulin est « fondé en titre » puisqu’antérieur à 1789. Il apparaît dans les textes en 1517, appartenant à Gilles Berthelot, seigneur d’Azay le Rideau ; puis en 1525 il est la propriété de Jean de Rouzay, seigneur d’Osnay.

Membre de l’Association des Moulins de Touraine (AMT) depuis de nombreuses années, nous assistions aux réunions et étions toujours très attentifs à leurs conseils. Aussi nous nous sommes immédiatement rapprochés de l’Association lorsque la propriété a été visitée  (sans notre accord) par l’Onema le 14 mars 2011.

En effet, deux agents de l’Onema assermentés ont demandé à l’épouse du gardien l’ouverture de la propriété. Raison avancée : non-déclaration de cessation d’activité au Moulin d’Aulnay. Les agents de police prennent des photos, ne trouvent pas le repère indiquant la côte légale de retenue, précisent que « toutes les vannes doivent systématiquement rester ouvertes » puis rédigent un rapport. Ils nous demandent qu’une déclaration de cessation d’activité soit adressée (selon un modèle joint)  à la Préfecture. A noter que le modèle de lettre n’est ni plus ni moins qu’un abandon des droits d’eau – information reçue de l’AMT.

Par téléphone, le 21 avril 2011, un agent  de l’Onemanous rappelle nos obligations,  et nous indique que l’infraction supposée – si elle se maintenait – relèverait d’une amende de 1 500 €.

Le 19 avril 2012, un appel d’une technicienne de rivière du SAVI nous informe que la Communauté  de Communes du Pays d’Azay le Rideau prévoit de réaliser des travaux de restauration et d’entretien sur l’Indre et ses affluents. Une procédure de demande de déclaration d’intérêt général doit être réalisée et précédée d’une enquête publique, laquelle se tient à Azay le Rideau en  mai 2012. Il nous est indiqué que sur la Boire de Montigny, les berges doivent être nettoyées sur 5 à 10 m, avec entretien de la végétation. Un arrêté Préfectoral du 11 septembre 2012 acte la programmation des travaux de restauration.

Puis, les 26 mai, 10 juin, 2 juillet 2014, le SAVI  vient constater sur nos parcelles «ce qui est gênant pour l’écoulement d’eau» : végétation et arbres.  Identification de  50 arbres à abattre, puis à la suite d’une deuxième visite, 12 arbres supplémentaires doivent être abattues : l’acidité des feuilles des peupliers perturberait les poissons ! Deux sociétés d’abattage effectuent en août et octobre 2014 ces travaux que nous prenons entièrement à notre charge, désirant ainsi conserver notre droit de propriété privée ; car le SAVI accordait une subvention de 80 % sur le coût total occasionné par les travaux dans le cadre d’une Convention, laquelle précisait :
  • le détail des travaux (végétation et arbres à abattre), 
  • les délais d’exécution (6 mois), 
  • mais mentionnait  que la participation du SAVI à la prise en charge d’une partie du coût des travaux était subordonnée  au droit d’accès à la parcelle postérieurement à la réalisation des travaux (ce qui en d’autres termes veut tout simplement dire : libre accès au public sur votre propriété)
Le 15 janvier 2015, le bureau d’études BETERU de Toulouse nous informe téléphoniquement «être diligenté par le SAVI» pour réaliser une étude « sur le bon état écologique de L’Indre, la libre circulation des poissons et des sédiments ». L’étude portera sur 15 moulins dont le nôtre.

Le 23 mars de cette année, une lettre recommandée AR de la DDT nous demande d’étudier « l’impact de nos ouvrages sur le transport des sédiments et la circulation des poissons migrateurs », et si cela s’avère nécessaire de réaliser les travaux dans les cinq ans à compter de la publication de l’arrêté de classement – paru 32 mois plus tôt, de sorte qu’il nous restait  donc 28 mois pour nous exécuter !

Notre réponse en LRAR précise qu’une étude était financée par le SAVI sur le même thème, que nos berges et déversoir étaient entretenus, nos vannes en bon état et vannage bien assuré.

Le 20 octobre 2015, le technicien de rivière du SAVI nous remet du rapport du BETERU en présence d’un représentant de  l’AMT  et d’un ancien propriétaire de moulin.

Les préconisations sont au nombre de trois et chiffrées :
  • Effacement complet, 50 200 € : déconnexion des bras de l’Indre présents en amont – frayères- seuil et déversoir dans le périmètre d’un château.
  • Arasement partiel, 21 000 € : abaissement des lignes d’eau en période de basses et moyennes eaux. Risque de déconnecter des bras de l’Indre présents en amont et qui accueillent des frayères. Architecte des bâtiments de France peut être «  pas d’accord ».
  • Maintien du seuil et équipement, 82 200 € : construction de deux types de passes à poisson (rustique et à bassins de 17 à 25 m de longueur), échancrure dans le seuil, fosse de réception, maintien de l’ensemble des usages présents en amont, frayères, ouverture du bief aux espèces piscicoles. Bonne gestion des vannes. Nécessité de suivre les instructions de l’ABF.
Ce troisième scénario est privilégié par BETERU. Refus de notre part des 3 scénarios et renouvellement de notre suggestion : travailler à simplement améliorer le bras principal de contournement qui assure la montaison des poissons, et le bras mineur actuellement bouché par deux buses et une vanne, qui peut être rénovée. Le SAVI nous demande de signer une convention en vue de faire réaliser  par le BETERU une nouvelle étude sur ce schéma. A suivre…

Nos commentaires
La Cour des comptes avait relevé dans son rapport de 2013 sur les "scandales de l'Onema" la très curieuse politique de surveillance de cet Office : 100% de contrôle sur les seuils et barrages, 20% sur les stations d'épuration, 1% sur les installations agricoles en zone sensible nitrates. Négligents face aux pollutions, les services administratifs s'acharnent sur les propriétaires de moulins, en commençant par essayer de casser le droit d'eau ou le règlement d'eau de l'ouvrage, selon une stratégie fixée par la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie (lors du Plan d'actions pour la restauration de continuité écologique de 2009). La raison en est simple : une fois le droit d'eau cassé, le Préfet peut exiger la "remise en état" du site aux frais du maître d'ouvrage – c'est-à-dire la destruction complète du barrage et la renaturation de l'écoulement sur le site.

Sur l'aménagement du barrage, les demandes sont de toute évidence des "charges spéciales et exorbitantes": les propriétaires sont fondés à les refuser, sauf s'ils sont indemnisés des travaux. Ces derniers représentent des coûts élevés pour un intérêt écologique très douteux. Le bureau d'études a envisagé une montaison pour les brochets, alors que cette espèce n'est pas migratrice et requiert surtout des annexes latérales pour son frai. Quant aux anguilles, deuxième espèce d'intérêt sur le site et seul vrai migrateur concerné, les pêches de contrôle montrent qu'elles sont présentes sur l'Indre amont, ce qui suggère que l'obstacle (d'une hauteur très modeste, surversé en crue, présentant plusieurs points de passage) ne représente pas un problème majeur pour l'espèce. (Si les brochets et anguilles sont des espèces demandant une telle protection qu'il faut envisager en leurs noms la destruction des propriétés ou leurs aménagements ruineux, nous suggérons au Ministère de l'Ecologie de commencer plutôt par interdire leur pêche sur tout le territoire, ce qui sera certainement un bon moyen d'augmenter les recrutements. Egalement un bon moyen de démontrer que c'est le seul intérêt des milieux aquatiques et non celui du lobby pêcheur qui dicte la politique publique des ouvrages hydrauliques décidée dans certains bureaux de La Défense...).

Notons que ce cas se tient sur une rivière de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne. Celle-ci est tristement célèbre pour être le laboratoire des politiques les plus agressives en matière d'effacement. La même Agence de l'eau a des résultats médiocres sur la qualité écologique des rivières (pas de progrès significatif en 10 ans malgré des milliards d'euros dépensés) et n'est même pas capable de produire une analyse de leur état chimique dans son dernier état des lieux, en contravention avec nos obligations européennes sur la surveillance des masses d'eau (voir cet onglet du site). Cela ne l'empêche pas de signer des contrats avec les syndicats en faisant pression (financière) pour des dépenses somptuaires sur l'hydromorphologie.

Une quinzaine d'autres ouvrages sont concernés sur le tronçon. Nous conseillons vivement à l'Association des moulins de Touraine d'informer les propriétaires de leurs droits et de les convaincre d'adopter en commun la seule position qui vaille : refus pur et simple de céder à ces pressions et chantages, opposition d'un front résolu au gestionnaire et à la Préfecture, sensibilisation des riverains. Quand l'administration montrera un minimum de respect pour les ouvrages hydrauliques, quand on sortira de l'enfer des réglementations tatillonnes pour des bénéfices environnementaux quasi-nuls et quand les Agences de l'eau financeront correctement (c'est-à-dire intégralement) les passes à poissons, il sera éventuellement temps de dialoguer. Pour l'heure, il faut saisir les élus et l'opinion des pressions scandaleuses subies par les ouvrages (en priorité faire signer le moratoire). Et quand ce sera nécessaire, il faudra saisir le tribunal (voir la marche à suivre dans ce vade-mecum).

Nota : nous avons demandé par courrier électronique au SAVI copie du contrat territorial signé avec l'Agence de l'eau et les données de qualité chimique / écologique de la rivière. Aucune réponse.

Propriétaires, associations : n'hésitez pas à nous faire parvenir des synthèses, témoignages et documents qui reflètent la situation que doivent affronter aujourd'hui les moulins et autres ouvrages hydrauliques. Les pressions ne prospèrent que dans l'opacité et dans l'isolement de chaque maître d'ouvrage, la transparence et l'information sont nos meilleures armes contre l'arbitraire. La plupart des élus à qui nous avons pu montrer la vraie nature de la politique de continuité écologique, exemples concrets à l'appui, ont été effarés de cette situation. Certains d'entre eux ont déjà interpellé la Ministre (voir leurs prises de parole au Sénat et à l'Assemblée), et il faut renforcer ce sursaut démocratique en 2016. 

01/01/2016

Voeux 2016



La période est sombre pour le patrimoine hydraulique de notre pays. Tout au long de l'année 2015, nous avons dû supporter le spectacle affligeant de ces pelleteuses envoyées en rivière pour effacer des ouvrages. Tout au long de l'année 2015, nous avons dû subir la mécanique froide d'une machine administrative enrôlée par sa tutelle pour contraindre les riverains à adopter une certaine idéologie de la rivière dans laquelle ils ne se reconnaissent pas.

Ces actions punitives et destructives usurpent la notion d'intérêt général. Nous savons aujourd'hui qu'elles ont bien peu de chance de permettre à notre pays d'atteindre le bon état chimique et écologique de ses eaux, victimes de décennies de dégradations et pollutions sans rapport avec les ouvrages. Nous savons aujourd'hui que ces actions ne sont ni le fruit de connaissances très fermes ni l'effet d'un consensus très large, mais plutôt le produit d'une dérive interne à l'appareil d'Etat. Allant bien au-delà de la volonté du législateur, interprétant la loi dans une direction partisane, n'écoutant que certains lobbies au lieu d'entendre les premiers concernés dont la rivière est le cadre de vie, certaines instances administratives ont voulu placer les propriétaires d'ouvrages hydrauliques face à un choix intenable : soit accepter la destruction de leur bien, soit être conduit à la ruine. Ceux-là récoltent ce qu'ils ont semé : le désespoir qui nourrit la colère.

Par ses excès et par ses manipulations, cette dérive a produit une grave crise de confiance envers l'action publique. Nous ne pouvons accepter que l'Etat devienne le fossoyeur du patrimoine de notre pays au nom d'expérimentations hasardeuses décidées en comités fermés. Nous ne pouvons accepter que l'Etat pratique une suspicion et un harcèlement de chaque instant à l'encontre d'une partie des citoyens dont le seul crime est d'exprimer leur attachement aux ouvrages centenaires des rivières ou de produire une énergie bas-carbone – cette même énergie dont on clame par ailleurs qu'elle doit devenir le combat de ce siècle face au changement climatique. Nous ne pouvons accepter que l'Etat flatte l'irresponsabilité collective en refusant d'acter et sanctionner les échecs manifestes de la politique de l'eau, valant à notre pays des retards sur toutes les directives européennes, et parfois déjà des condamnations.

Nous appelons donc à un sursaut démocratique. Et à un changement radical de cap des choix français en terme de continuité écologique.

Au plan national, cet engagement a pris en 2015 la forme de l'appel à moratoire sur la mise en oeuvre du classement des rivières au titre de la continuité écologique. Des représentants des moulins, des riverains, des hydro-électriciens, des pisciculteurs, des propriétaires d'étangs et forêts, des agriculteurs, des défenseurs du patrimoine et du paysage portent cet appel. Leur unité dit assez la gravité et l'urgence de la situation. Plus de 1000 élus et personnalités ont déjà rejoint cet appel, et au plan local plus de 250 institutions. De nombreux députés et sénateurs ont interpellé le gouvernement en lui demandant de prendre en considération le caractère conflictuel des choix opérés sur les ouvrages hydrauliques et de choisir une nouvelle direction. Nous verrons la réponse de Mme la Ministre de l'Ecologie. Ses premières observations et décisions – sur le barrage de la Sélune, sur le développement de la petite hydro-électricité, sur le refus d'une écologie punitive, sur la nécessité d'une vraie concertation et participation – nous donnent quelque espoir d'un retour à la raison et au bon sens.

L'avenir des ouvrages hydrauliques en rivière classée va se décider dans les prochains mois. L'année 2016 sera nécessairement dédiée à ce combat, comme le fut déjà l'année 2015. L'association Hydrauxois y sera en première ligne. Nous aimerions bien sûr retourner à notre objectif premier, qui est la valorisation du patrimoine, de l'environnement et de l'énergie de nos rivières, ainsi que la transmission d'une culture hydraulique si belle et si nécessaire. Mais pour cela, il faut encore que les ouvrages existent. Tant que leur existence même sera en question, tant que leur transmission aux générations futures sera en péril, nous n'aurons d'autre choix que de nous battre pour obtenir leur reconnaissance et leur protection.

Malgré l'adversité, soudés par elle dans la solidarité et la lutte, nous vous souhaitons à tous une année sereine et confiante.