18/01/2019

Les ombres et les truites franchissent les ouvrages anciens des moulins à eau (Ovidio et al 2007)

Un suivi radiotélémétrique de 79 truites et ombres sur des affluents de la Meuse montre que les poissons parviennent à franchir ou à contourner les seuils de moulins anciens lors de leur période migratoire. Dans certains cas, les poissons ont franchi l'obstacle sans emprunter la passe à poissons. Ce résultat contredit l'idée que les salmonidés holobiotiques d'eau douce trouveraient toujours dans l'hydraulique ancienne des obstacles insurmontables à leur cycle de vie. Le travail de ces chercheurs français et belges doit être versé dans le débat actuel sur la priorisation des ouvrages hydrauliques au titre de la continuité écologique. Il devrait conduire à exempter tous les ouvrages présentant des chutes modestes, contournables voire noyées en hautes eaux. Arrêtons le maximalisme qui coûte cher, produit du conflit, ne répond à aucune urgence pour le vivant. L'avenir est dans une bonne gestion des ouvrages anciens selon les caractéristiques de biodiversité de leurs habitats et les besoins migratoires d'espèces piscicoles présentes, mais pas dans la casse indistincte de tout élément du patrimoine hydraulique ni dans l'obligation systématique de passes au rapport coût-bénéfice parfois douteux.


Photos extraites d'Ovidio et al 2007, art cit. Les ouvrages étudiés (seuils, chaussées) sont caractéristiques des moulins anciens. Les flèches rouges indiquent les voies de passage privilégiées.

L'étude de M. Ovidio et ses collègues (Université de Liège, Cemgraf devenu Irstea) avait été menée dans les rivières Aisne, Néblon et Lhomme, trois sous-affluents de salmonidés du bassin de la Meuse traversant le sud de la Belgique.

Entre 1996 et 2004, des truites fario adultes Salmo trutta (n=40) et des ombres communs Thymallus thymallus (n=39) ont été suivis par radio dans ces trois rivières afin d'évaluer leurs capacités pour contourner ou franchir divers seuils. Au cours de leurs migrations vers l'amont, les individus ont rencontré différents types d'obstacles physiques et en ont franchi avec succès, dans des conditions environnementales variables. Les ouvrages franchis par les poissons ont été caractérisés sur la base d'un protocole de description topographique et comparés aux données de suivi.



Trois types d'ouvrage : une chute verticale ou quasi verticale, une chute à parement inclinée avec radier plus ou moins long, un mixte des deux. Les données d'intérêt sont notamment la hauteur totale, l'existence d'une fosse d'appel plus ou moins profonde à l'aval de la chute, la hauteur de la ligne d'eau sur les parements inclinés.  Planche extraite d'Ovidio et al 2007, art cit. Cliquer pour agrandir.

Les obstacles identifiés comme des chutes avaient une élévation de la crête de 0,39 à 1,89 m et un bassin d'appel aval allant de 0,07 à 0,77 m. La longueur des obstacles variait de 0,54 à 8 m, avec des pentes comprises entre 4% et 74%.

La tableau ci-dessous (cliquer pour agrandir) donne les caractéristiques physiques de ces ouvrages.



Dans l'Aisne, 100% des poissons (truites et ombres) ont pu contourner les obstacles lors de la migration en amont. Les poissons réussissaient généralement à franchir les obstacles entre deux sites à 24 heures d'intervalle, sauf à deux occasions où il a fallu 2 et 3 jours. Bien qu'un ouvrage soit équipé d'une passe à poissons haute performance, certains individus ont contourné l'obstacle sans utiliser la passe. Sur le Néblon, un obstacle a été franchi en 3 jours, deux individus ne l'ont pas passé. Un ombre a facilement franchi un obstacle à deux reprises. Un autre a été contourné par une truite, mais un ombre situé en aval pendant la migration n'a pas réussi à le négocier. Dans la Lhomme, une truite a négocié un obstacle en 2 jours. Les temps sont donc variables.

Les auteurs concluent notamment :
"La plupart des poissons ont pu franchir tous les obstacles le long de leur route de migration dans les conditions existantes de température et de débit de l'eau. En raison de ce taux de réussite élevé, il n'a pas été possible de discriminer entre les individus qui ont réussi à négocier ou non les obstacles." 

Ils ajoutent :
"Il faut également veiller à ne pas prendre en compte tous les poissons qui n'ont pas tenté de négocier les obstacles avec succès, car l'aval d'un barrage peut être propice à la truite fario qui, par exemple, peut élaborer une stratégie de résidence permettant des taux de croissance très élevés tout en évitant les risques inhérents aux migrations à longue distance. La truite fario et l'ombre commun ont également fréquemment frayé dans des environnements de lits de gravier en aval d'obstacles (Ovidio et al., 2004). L'observation visuelle des poissons qui tentent de franchir des obstacles est une meilleure méthodologie pour distinguer les tentatives réussies et les tentatives infructueuses (Lauritzen et al. 2005)."
Discussion
Notre expérience associative en têtes de bassin bourguignonnes nous a souvent amenés à rencontrer des ouvrages hydrauliques comparables à ceux décrits dans ce travail de recherche, aussi bien en région cristalline (Morvan) que sédimentaire (Auxois, Châtillonnais). Il n'est pas rare sur ces petits cours d'eau que plus des trois-quarts des ouvrages datent de l'Ancien Régime, nombre d'entre eux étant restés dans leur configuration d'origine. La capacité des poissons à franchir ou non de tels ouvrages est un motif régulier de désaccord entre les riverains et les gestionnaires (syndicats, services instructeurs de l'Etat, agences de bassin).

La réforme de continuité écologique en France a été initialement portée sous un angle maximaliste. Tout une partie de l'administration (direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie, certaines agences de l'eau, l'AFB-Onema) voulait aller bien au-delà des prescriptions de la directive européenne sur l'eau de 2000 comme des lois de 2006 (continuité) et de 2009 (trame bleue), en s'intéressant non pas à des franchissements pour des espèces cibles présentant des déficits dans les rivières, voire protégées car menacées d'extinction (saumon, anguille), mais à une "renaturation" complète avec destruction préférentielle de l'ouvrage et de ses habitats. Cette radicalisation a suscité de vives protestations quand elle se traduisait par une pression univoque à la casse du patrimoine sans réflexion sur la hiérarchie des impacts et par un refus de financement public de solutions plus douces (ouverture de vannes, rivières de contournement, passes à poissons). Le blocage a conduit à plusieurs corrections de la loi visant à protéger les ouvrages, à des audits administratifs et à des évolutions ministérielles.

Face au trop grand nombre d'ouvrages classés au titre de la continuité (plus de 20000) et face au coût public-privé trop lourd des chantiers, nous sommes aujourd'hui revenus à une logique de priorisation: redéfinir les axes fluviaux, les tronçons, les ouvrages et les espèces qui sont réellement d'intérêt prioritaire en restauration de continuité. Ce travail de M. Ovidio et de ses collègues, comme le précédent déjà recensé (Philippart et Ovidio 2007), sera à verser au dossier de cette priorisation quand les services de l'Etat proposeront de débattre de leur grille d'analyse et préconisation. Nous sommes toujours en attente aujourd'hui du lancement de ces discussions ouvertes, dont la transparence méthodologique devra être irréprochable.

Référence : Ovidio M etal (2007), Field protocol for assessing small obstacles to migration of brown trout Salmo trutta, and European grayling Thymallus thymallus: a contribution to the management of free movement in rivers, Fisheries Management and Ecology, 14, 41–50

15/01/2019

Le SDAGE Seine-Normandie est annulé par le juge, ses projets de destruction doivent être contestés

Le tribunal administratif de Paris vient d'annuler le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin Seine-Normandie, car l'autorité environnementale l'ayant validé n'était pas indépendante de l'Etat. Le juge a posé que le préfet de bassin ne peut sursoir dans le temps à cette annulation, donc que son effet est immédiat. Tant que nous serons en situation de vide juridique, nous appelons les riverains à demander l'annulation de tout chantier contesté de destruction d'ouvrage hydraulique qui serait procéduralement financé en vertu de ce SDAGE, désormais non opposable. C'est par exemple le cas sur plusieurs chantiers scandaleux de casse d'ouvrages engagée par l'agence de l'eau Seine-Normandie : barrages et lacs de la Sélune, centrale hydro-électrique de Pont-Audemer, nombreux moulins, forges, étangs et autres éléments du patrimoine des rivières. L'agence de l'eau Seine-Normandie soutient la destruction d'ouvrages dans 75% de ses travaux, alors que ni la loi française ni les directives européennes ne prévoient cette issue dans le cadre de la continuité écologique.

Par jugement du 26 décembre 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin de la Seine et des cours d’eau côtiers normands pour la période 2016-2021.

Ce SDAGE est le document de programmation publique qui fixe les orientations de gestion de l'eau dans les grands bassins hydrographiques. Il conditionne notamment les aides publiques qui seront versées par l'agence de l'eau, selon le principe "l'eau paie l'eau" (les taxes sur l'eau sont collectées par l'agence et reversées dans la gestion publique).

Le recours contre le SDAGE a été porté par des chambres d’agriculture et fédérations du syndicat FNSEA. Il contestait 44 des 191 dispositions arrêtées par ce document de programmation, se plaignant notamment d'un excès de contraintes sur l'agriculture et d'une surtransposition du droit européen.

Ce n'est cependant pas sur des moyens de fond, mais sur un vice de procédure que les juges ont annulé le SDAGE. Le préfet ne peut pas à la fois rendre un avis sur le document – en tant qu'autorité environnementale - et l'approuver en tant que préfet coordonnateur de bassin. Le tribunal s'appuie pour cela sur une Directive européenne de juin 2001 sur les plans et programmes, sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (20 octobre 2011, affaire C-474/10) et une décision (n° 360212) du Conseil d'Etat du 26 juin 2015.

"Il ressort des pièces du dossier que le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a rendu le 12 décembre 2014 un avis sur le projet de schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin de la Seine et des cours d’eau côtiers normands, en qualité d’autorité environnementale. Par la suite, la même autorité, agissant en qualité de préfet coordonnateur du bassin Seine-Normandie, a, par l’arrêté attaqué du 1er décembre 2015, approuvé le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin de la Seine et des cours d’eau côtiers normands qui avait fait l’objet d’une telle évaluation environnementale, sur le fondement des dispositions du 4° du I de l’article R. 122-17 du code de l’environnement, issues de l’article 1er du décret du 2 mai 2012. Or, ces dispositions ont été annulées par le Conseil d’Etat au motif qu’elles confiaient au préfet de région à la fois la compétence pour élaborer et approuver le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux et la compétence consultative en matière environnementale, en méconnaissance des exigences découlant du paragraphe 3 de l’article 6 de la directive du 27 juin 2001. En conséquence, l’arrêté attaqué, pris à l’issue d’une procédure entachée d’une irrégularité substantielle, est lui-même entaché d’illégalité."

Le jugement considère par ailleurs que l'Etat ne peut demander un report de l'effet de l'annulatin :

"le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, ne peut se prévaloir du vide juridique qui résulterait, selon lui, de l’annulation rétroactive du SDAGE 2016-2021 pour solliciter le report dans le temps des effets de son annulation"

Selon le journal Actu Environnement, deux pistes sont envisagées pour aboutir à un retour à une situation normale : "soit une accélération de l'élaboration du Sdage pour la période 2022-2027 ou une reprise de la procédure du Sdage incriminée avec un avis d'une autorité environnementale différentiée.L'issue devrait être connue le 7 février prochain. Les membres du comité de bassin ont prévu de débattre des modalités les plus appropriées."

Lutte contre la destruction d'ouvrages : demander l'annulation des projets financés en application du SDAGE annulé
Pour ce qui concerne la question des ouvrages hydrauliques, les associations, les propriétaires et les riverains peuvent faire jouer cette annulation du SDAGE Seine-Normandie  2016-2021 pour demander l'arrêt de tous les chantiers de destruction ayant reçu financement au titre de ce SDAGE et du programme d'intervention que ce SDAGE justifie.

Cela vaut pour les barrages de la Sélune, où l'AESN devait dépenser plus de 40 millions d'argent public pour détruire des ouvrages hydro-électriques en état de fonctionnement

Rappel : l'agence de l'eau Seine-Normandie (AESN) se montre particulièrement sectaire sur la question des ouvrages hydrauliques, accordant des subventions préférentielles à la destruction. Les trois-quarts des chantiers financés par l'AESN sont actuellement des projets de casse pure et simple comme l'a révélé le rapport CGEDD 2016, alors que les lois françaises e 2006 et 2009 de continuité écologique n'ont jamais enjoint à la destruction.

Ayant maintes fois demandé une politique plus équilibrée et moins dogmatique sans jamais obtenir d'écoute, notre association et plusieurs consoeurs sont actuellement engagées dans une procédure pour faire annuler le programme d'intervention 2019-2024. L'annulation du SDAGE 2016-2021 devrait ajouter un nouveau moyen à notre requête.

Nous appelons donc les défenseurs des ouvrages à faire jouer ce nouveau moyen juridique de l'annulation du SDAGE dès cette année 2019, en particulier pour les projets de casse d'ouvrages anciens (moulins, étangs) et de barrages en activité (Sélune, Pont-Audemer) qui sont programmés. Nous formaliserons un recours-type en ce sens.

13/01/2019

Sur les obstacles en rivière dont l'aménagement n'est pas écologiquement utile

La demande de continuité écologique est-elle toujours justifiée pour les milieux ou d'un coût proportionné à ses effets? Non. Après avoir classé en 2011-2012 plus de 20000 ouvrages hydrauliques (seuils, barrages, digues, écluses) au titre de la continuité écologique des rivières, ce qui représenterait un coût public de plus de 2 milliards € et un coût privé sans doute équivalent sur une durée de 5 ans seulement, le gouvernement français a fini par admettre (à demi-mots) le caractère aberrant et hors-sol de l'effort demandé par sa bureaucratie. Il est désormais question de définir des ouvrages réellement prioritaires en terme d'aménagement pour le franchissement de poissons. Ce sera l'occasion de débattre de cette priorité, qui doit être fondée sur des critères objectifs, partagés, et non laissée à l'arbitraire de services instructeurs de l'administration (a fortiori de quelques lobbies choisis par l'Etat). Nous publions ici des éléments de priorisation qui avaient été préconisés dans un rapport d'universitaires belges en 2007. On voit que certains intérêts écologiques des ouvrages anciens y sont reconnus, de même que leur faible impact. 



En Belgique, la réflexion sur la continuité écologique a donné lieu au milieu des années 2000 à une mission universitaire confiée à l'unité de biologie du comportement de l’Université de Liège (département des sciences et gestion de l’environnement, laboratoire de démographie des poissons et d’hydro-écologie LDPH).

Dès le départ, cette mission s'est posée la question de la priorisation des interventions sur les rivières et les ouvrages. Elle l'a fait de manière plus transparente qu'en France, avec publication de rapports sur les analyses des chercheurs (et non travail en commissions fermées sans compte-rendu).

Le travail qui a été publié alors comporte des informations intéressantes sur la question de la priorisation, qui doit devenir d'actualité en France : le gouvernement s'est engagé à définir des ouvrages et des rivières prioritaires où l'aménagement de continuité écologique a un sens.

Voici un premier extrait concernant les cas où traiter un obstacle n'a pas d'intérêt (nous avons conservé es arguments généraux en retirant seulement les exemples de rivières belges concernées).

Types d'obstacles dont l'aménagement ne serait pas écologiquement utile 
Dans plusieurs situations détaillées ci-dessous, il n'est pas justifié écologiquement de rendre un obstacle franchissable par les poissons: 
* Existence d'un obstacle naturel permanent (cascade, barrage en travertin, cours souterrain) auquel les populations de poissons se sont adaptées depuis des temps immémoriaux et qui, parfois, constituent en soi des éléments d'habitat aquatique à protéger (barrages naturels en travertins par ex.). 
* Faible intérêt écologique et piscicole de donner accès à un cours d'eau caractérisé par une eau acide peu ou pas productive. (...) 
* Faible intérêt de permettre la remontée de poissons migrateurs dans un plan d'eau artificiel (réservoir, étang) d'où ils ne pourraient plus aisément dévaler sous la forme de juvéniles ou d'adultes en post-reproduction et où ils subiraient une très forte prédation par les brochets et les oiseaux piscivores. (...). 
* Absence d'habitats, spécialement de frayères, de qualité et d'une certaine superficie dans le cours d'eau en amont de l'obstacle candidat à l'aménagement. Cela pose le problème du coût financier de l'ouvrage par rapport au bénéfice écologique et piscicole attendu. Cette situation se rencontre essentiellement avec la truite commune dans de nombreux petits cours d'eau qui forment le chevelu des ruisseaux en têtes de bassins; 
* Rôle écologiquement positif d'un obstacle infranchissable comme facteur d'isolement d'une population de l'amont présentant des caractéristiques génétiques originales (biodiversité) à préserver de la contamination par des poissons de l'aval plus ou moins fortement introgressés par des sujets d'élevage issus de repeuplements. Cette situation se rencontre surtout chez la truite commune (Van Houdt et al., 2005) et probablement chez l'ombre.

Aucune de ces propositions de bon sens n'est pour le moment appliquée en France : nous avons des rivières classées alors qu'elles présentent de nombreuses chutes naturelles, nous avons des rivières classées par tronçons disjoints alors que de grands barrages y sont infranchissables (et non classés), nous n'avons aucune analyse de routine de la structure génétique des populations et de la différenciation entre poissons issus d'élevage et poissons endémiques (alors que des travaux exploratoires ont montré l'importance de l'empoissonnement sur la génétique, cf Le Cam et al 2015, Prunier et al 2018), etc.

Concernant la zone à truite (tête de bassin, petits fleuves côtiers), les auteurs font les observations suivantes :
(a) Obstacles naturels (chute, cascade, zone sous l'influence d'un chantoir, cours souterrain). Il n'y a pas de raison d'intervenir pour les supprimer ou les aménager car on peut supposer que les populations locales de truite se sont adaptées à ces situations depuis très longtemps. 
(b) Obstacles artificiels anciens majeurs et manifestement infranchissables (grand barrage artificiel, barrage d'étang, vestiges d'infrastructures de production de force motrice hydraulique ou de forge, etc.). Comme pour les obstacles naturels, il n'y a pas, sauf démonstration évidente du contraire, de raison d'intervenir en priorité car on peut supposer que les populations de truite se sont adaptées à ces situations généralement anciennes au point qu'il pourrait y avoir une certaine différenciation génétique entre, d'une part, les truites de l'aval de l'obstacle qui font partie d'un grand ensemble démographique comprenant parfois des truites remontées de très loin en aval et, d'autre part, les truites de l'amont de l'obstacle qui forment une population restreinte fonctionnant sur elle-même, sans échange avec l'aval et génétiquement différenciée en raison d'un processus écologique naturel de dérive génétique. Dans certains cas, les populations de truites isolées en amont d'un obstacle majeur sur un petit cours d'eau peuvent représenter une ressource de biodiversté originale lorsqu'il n'y a jamais eu d'introduction de poissons issus d'élevages en pisciculture. Dans de tels cas, le maintien en place d'un obstacle infranchissable sur un petit cours d'eau constitue un outil de gestion au bénéfice de la conservation de souches de truite originelles (implication en matière de conservation de la biodiversité) (voir étude par Van Houdt et al., 2005).
On voit donc qu'il est reconnu l'adaptation des poissons à l'existence ancienne des ouvrages artificiels comme des chutes naturelles, et même un possible rôle de différenciation génétique.

Ces éléments de réflexion devront être versés dans les débats sur la définition des ouvrages prioritaires, particulièrement dans les têtes de bassin versant où, assez loin des enjeux saumons ou anguilles (espèces faisant l'objet de plans européens de sauvegarde), on a classé des rivières pour des enjeux "truite" paraissant relever d'un lobbying halieutique d'usagers (pêcheurs) davantage que d'enjeux écologiques réels.

Source : Philippart JC et Ovidio M (2007), Définition de bases biologiques et éco-hydrauliques pour la libre circulation des poissons dans les cours d'eau non navigables de Wallonie. Volume 3. Identification des priorités d'action d'après les critères biologiques et piscicoles, 71 p.

Illustration : seuil de moulin noyé en crue. Les ouvrages modestes et anciens sont régulièrement franchissables par la plupart des espèces piscicoles. Ce critère devrait conduire à des exemptions de continuité écologique, la priorité étant donnée aux ouvrages impossibles à remonter en toutes conditions (et aux grands migrateurs en risque d'extinction plutôt qu'à une faune piscicole restant assez commune).

Note aux associations : nous créons un label (mot-clé sur la colonne de droite) "priorisation" qui vous permet en le cliquant d'afficher tous les articles dédiés à ce sujet, notamment ceux comportant des références techniques ou scientifiques. Si vous avez besoin de certaines publications scientifiques d'origine pour discuter avec les services de l'Etat de vos rivières et ouvrages, écrivez-nous. Nous consacrerons une formation à cette question à notre prochaine séminaire d'été.

11/01/2019

Pêche commerciale et pêche de loisir du saumon dans l'Adour et les Gaves

A l'occasion de "l'année du saumon" en 2019, l'association pyrénéenne Salmo Tierra - Salva Tierra lance une pétition pour interdire sa pêche commerciale aux filets dérivants au niveau des estuaires du bassin Adour-Garonne. Elle rappelle que 50 millions € ont déjà été dépensés pour favoriser la migration des saumons, qui sont donc simultanément protégés et exploités avec l'aval de l'Etat. Ce qui est peu audible pour ceux à qui on demande des efforts coûteux, notamment les propriétaires des barrages et moulins, ou les riverains voyant disparaître certains sites appréciés au nom du saumon. Cette pétition concerne la pêche commerciale, mais pas la pêche de loisir, qui pose pourtant question lorsqu'elle s'exerce sur des espèces menacées, même en "no kill".  



Extraits de la pétition : 

"Le saumon sauvage de l'Atlantique a été décimé par une multitude d'agressions : les barrages, la pollution, la dégradation du lit des rivières, la surpêche en mer et en rivière, l'explosion des parasites liée à l'aquaculture, et maintenant le réchauffement climatique.

Les stocks s'amenuisent, l'espèce est déjà en voie d'extinction comme pour les axes Garonne-Dordogne, Loire-Allier, la Seine, ou encore le bassin Rhin-Meuse ... où la pêche professionnelle aura été interdite trop tard.

Alors que les saumons du bassin de l'Adour et des Gaves sont menacés de disparition prochaine, alors que 50 millions d’euros ont été investis pour faciliter leur remontée, l'Adour est la seule rivière en France et l'une des dernières d’Europe et dans le monde où est encore autorisée leur pêche aux filets dérivants, les empêchant d’atteindre leurs rivières natales pyrénéennes et de s’y reproduire.

Depuis déjà bien longtemps, tous les pays de l’atlantique-nord concernés ont interdit la pêche professionnelle et la commercialisation du saumon sauvage. 

La France s’honorerait en 2019, année internationale du saumon, à s’engager définitivement dans la protection de ce poisson-roi, emblématique de la biodiversité, qui pourrait ainsi pour tous les territoires du bassin de l’Adour, de ses vallées et de ses gaves, en redevenir le héros."

Lien vers la pétition 

Remarques sur la pétition
Le bassin Loire-allier a déjà interdit la pêche de loisir du saumon pour en préserver le stock migrateur et reproducteur : la demande de Salmo Tierra - Salva Tierra ne concerne pas cette prédation-là. Et pour cause, la présentation de cette association précise : "Pour la reconquête de nos rivières, Le saumon sera notre emblème. De l’océan nourricier aux frayères secrètes de nos Pyrénées, nous le voulons rétabli dans son abondance, symbole de gaves qui portent le rire des enfants à la baignade, le vagabondage des canoës au fil de l’eau, les repas de famille sur les berges accueillantes et la passion des pêcheurs pour le poisson roi, pour sa beauté, sa combativité, son insolence, son imprévisibilité."

Chacun est libre de ses positions en démocratie. Mais la confusion entretenue d'un discours halieutique et d'un discours écologique produit une mauvaise information pour les citoyens et le débat. On demande de dépenser de l'argent public pour un enjeu qui répond à des usages : pourquoi pas, il faut l'assumer et l'argumenter, pas juste brandir le mot "écologie" comme sésame. 

Cet extrait d'un forum de passionnés du saumon (adresse de la source) montre que certains sont sensibles au problème :



Moins de 10% des saumons attrapés par les pêcheurs de loisir sont remis à l'eau dans les Gaves, selon les chiffres donnés dans les bulletins internes de ces pêcheurs. Encore cela ne tient-il pas compte du braconnage, des pêches accidentelles, et cela n'intègre pas les problèmes que pose aussi le no-kill (blessures, contaminations, acceptabilité sociale d'une souffrance animale infligée pour le plaisir, sans besoin alimentaire ni vocation économique).

L'écologie des rivières a d'innombrables enjeux et la focalisation avec arrière-pensée sur le saumon comme symbole peut aussi conduire à des choix dont le bilan coût-efficacité est mauvais et l'acceptabilité sociale problématique (cf les réflexions des écologues américains à ce sujet, cf le cas du saumon de Loire-Allier). Il convient donc de mettre à plat les attentes, les positions et les impacts de l'ensemble des acteurs. C'est le rôle de l'Etat, à condition que celui-ci soit impartial, notamment que son agence en charge de la biodiversité coupe ses liens organiques et sa complaisance avec le monde des pêcheurs de salmonidés.

09/01/2019

Aux gorges du Pont d'Enfer du Bastan, les saumons franchissent des chutes naturelles de 5 m

Un riverain nous fait parvenir un document de l'AFB-Onema sur le Bastan, affluent de la Nive. Il en ressort que malgré des chutes naturelles de 5 m sur une assez courte distance, le classement de cette rivière à fin de continuité écologique est justifié selon les services de l'Etat, car le saumon peut franchir de tels obstacles. Dans le cadre de la définition des ouvrages prioritaires au titre de la continuité, nous appelons donc les propriétaires en rivières salmonicoles à conserver ce document et à proposer l'exemption de leur ouvrage s'il est dans des hauteurs et conditions similaires. Nous attendons par ailleurs toujours une gouvernance ouverte sur la définition des ouvrages et rivières prioritaires pour les poissons migrateurs, promise par le gouvernement mais non mise en place par son administration. 



Le Bastan est un affluent franco-espagnol de la Nive, avec 5 km de linéaire situés en France (13 km3 du bassin versant, pour un total de 60 km2).

La rivière présente des chutes naturelles au lieudit des gorges du Pont d'Enfer. Ces chutes sont composées de 3 obstacles : un premier rebond de 1,2 m, puis un massif granitique  à chenal étroit d'une hauteur de 5 m décomposable en série de chutes intermédiaires de 0,7 à 1,2 m

Un riverain a eu la surprise de voir le Bastan classé au titre de la continuité écologique, malgré ces chutes. Il a demandé à l'Onema (aujourd'hui AFB) de justifier le classement (télécharger ce document).

Voici la conclusion de l'AFB-Onema :
"Il est possible d'avancer , sur la base notamment du document ICE (Information sur la Continuité Ecologique - Evaluer le franchissement des obstacles par les poissons) en cours de parution, que les chutes naturelles du Pont d'Enfer situées en aval de la pisciculture Cabillon sont franchissables par les grands salmonidés migrateurs comme le saumon. Les difficultés de franchissement sont toutefois variables selon les conditions hydrologiques."

Donc les saumons peuvent franchir des série d'obstacles cumulant 5 m sur courte distance (dont certaines chutes de plus de 1m en débit moyen) quand ils sont naturels. On suppose que des obstacles artificiels présentant des caractéristiques similaires sont dans le même cas.

Dans le cadre de la priorisation des ouvrages hydrauliques à aménager au titre de la continuité envisagée par le gouvernement, nous demanderons que les services de l'Etat harmonisent leurs évaluations sur les exemptions d'aménagements de seuils (ou les déclassements de rivières L2 à chutes naturelles). Et que le processus se passe de manière concertée et entièrement transparente, avec dépôts des documents et compte-rendus de débats dans des répertoires ouverts à tous.

Vu l'importance du sentiment d'arbitraire dans l'instruction publique des ouvrages, les cas avérés de classements n'ayant aucune cohérence de connectivité écologique et des retours scientifiques critiques sur l'intérêt de certains choix (lire quelques références récentes en bas de l'article), il est de première importance  pour la restauration de la confiance entre les riverains et l'Etat que la pleine transparence soit désormais garantie sur les motifs et les arguments visant à classer ou non certains cours d'eau et certains ouvrages. C'est de toute façon une nécessité au regard du coût économique considérable et de la faible acceptabilité sociale de ces mesures, exigeant qu'elles soient réservées à des situations d'intérêt peu contestable.

A lire sur le même thème
Quand les saumons franchissent un seuil de moulin... en évitant les passes à poissons! (Newton et al 2017)
Le silure, le saumon et la passe à poissons (Boulêtreau et al 2018) 
Des saumons, des barrages et des symboles, leçons de la Snake River (Kareiva et Carranza 2017)