19/07/2019

Pendant que nous subissons le changement climatique, le gouvernement entrave encore la relance des moulins à eau et flatte les abus de pouvoir

Dans le cadre de l'examen de la loi "énergie et climat", plusieurs sénateurs (dont Mmes Loisier et Sollogoub en Bourgogne) avaient déposé des amendements pour promouvoir l'autoconsommation et la petite production hydro-électrique. Emmanuelle Wargon les a refusés au nom du gouvernement, tout comme François de Rugy un mois plus tôt avait tenté (sans succès cette fois) d'empêcher à l'Assemblée nationale un amendement posant la nécessité de soutenir la production hydro-électrique dans tous les territoires. Aux origines de ce blocage incompréhensible en période de transition énergétique: encore et toujours le dogme de la continuité écologique. Nous publions ici l'échange entre le sénateur Olivier Cigolotti (Haute-Loire) et la secrétaire d'Etat Emmanuelle Wargon. Il en ressort que la secrétaire d'Etat à l'écologie se permet d'ignorer le droit européen, le droit français et la jurisprudence du conseil d'Etat en prétendant que l'administration pourrait le cas échéant dissuader des relances selon le productible du site concerné. Quand le sommet de l'Etat affiche ainsi l'exemple d'un abus de pouvoir, le dérèglement de son autorité est une conséquence prévisible. 

La continuité écologique désignait au départ la nécessité d'aménager et gérer quelques ouvrages sur des rivières à poissons migrateurs. Devenue sur-dimensionnée, elle est en train de pourrir en profondeur la politique des rivières, car un quarteron de hauts fonctionnaires et de lobbies souhaite en réalité détruire purement et simplement les ouvrages au nom d'un idéal de retour à la rivière sauvage : il est impossible pour eux d'accepter le moindre usage de sites qu'ils veulent voir disparaître. Tant que cette volonté maladive de destruction - jamais vue dans aucune autre gestion de milieu naturel hors celle de la rivière - et cette négation de la gestion équilibrée de l'eau ne sera pas clairement condamnée par le gouvernement, aucun des représentants du ministère de l'écologie n'aura la paix, ni à son sommet, ni sur le terrain. Les associations et les collectifs vont maintenir la pression judiciaire, politique et médiatique sur le sujet, d'autant plus fortement que la promesse trahie d'une "continuité apaisée" s'accompagne en réalité d'une poursuite des provocations et des effacements de site.



Extrait de la séance du 16 juillet 2019

"M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, auteur de la question n° 861, adressée à M. le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.

M. Olivier Cigolotti. Madame la secrétaire d'État, ma question porte sur la relance énergétique de la petite hydroélectricité. Celle-ci peut produire, notamment à travers les petits ouvrages anciens, l'équivalent de la consommation électrique, hors chauffage, de près de 1 million de foyers.

Pourtant, en France, certains choix de continuité écologique ont conduit à privilégier la destruction de sites de petite hydroélectricité et de barrages, au lieu de les équiper de passes à poissons, quand cela est nécessaire. A contrario, la Commission européenne a souligné, dès 2012, que ces aménagements devaient être des choix de première intention.

La recherche en écologie a montré que les retenues, les plans d'eau, les canaux et les zones humides, qui font partie des annexes hydrauliques, notamment de nombreux moulins, ont des effets positifs sur la biodiversité, s'agissant des végétaux, des insectes et des oiseaux, ainsi que de certaines variétés piscicoles.

Le choix français actuel paraît donc une option profondément contestable, sur le plan tant écologique qu'énergétique ; il témoigne, encore une fois, d'une surtransposition excessive des règles européennes.

De plus, équiper les sites de petite hydroélectricité, au-delà de la production d'une énergie propre, non carbonée et locale, permet un investissement dans plusieurs filières d'emplois non délocalisables, telles que les bureaux d'études, les installateurs-réparateurs et les turbiniers. Cette activité bénéficie notamment aux territoires ruraux, où les moulins sont les plus nombreux, à l'instar de mon département, la Haute-Loire.

Les chercheurs estiment que, aujourd'hui, environ 25 000 moulins à eau pourraient être relancés sur le territoire français, qui a le plus gros potentiel de l'Union européenne. Face aux contentieux soulevés par les choix français et au blocage de nombreux projets, une nouvelle politique publique s'impose.

Madame la secrétaire d'État, quelles avancées législatives et réglementaires le Gouvernement envisage-t-il pour mettre en œuvre le potentiel de la petite hydroélectricité en facilitant les procédures administratives ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Cigolotti, François de Rugy, qui ne peut être présent au Sénat ce matin, m'a chargée de vous répondre.

La petite hydroélectricité contribue à l'atteinte des objectifs énergétiques nationaux et au développement économique des territoires. Elle est soutenue via un arrêté tarifaire, ainsi que des appels d'offres périodiques lancés par le ministère de la transition écologique et solidaire. Dans ce cadre, le ministère a annoncé, le 26 juin dernier, la désignation de treize projets lauréats dans le domaine de la petite hydroélectricité.

Il faut toutefois souligner que, compte tenu de la taille et de la puissance de ces installations, elles ne pourront jouer qu'un rôle limité dans l'atteinte des objectifs nationaux. Or la multiplication de ces installations sur les cours d'eau peut avoir, par effet de cumul, des incidences importantes.

M. Laurent Duplomb. Ah ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État. En effet, les seuils fragmentent les cours d'eau, empêchant plus ou moins fortement le déplacement des espèces nécessaire à l'accomplissement de leur cycle de vie. Ils peuvent en outre ralentir les eaux, qui se réchauffent alors plus vite l'été, perdent de l'oxygène et créent des habitats de milieux stagnants favorisant des espèces incompatibles avec le bon état des cours d'eau.

Le développement de la petite hydroélectricité doit donc se faire de façon compatible avec le bon état des cours d'eau, qui est également un objectif de politique publique, au service du développement de la biodiversité.

M. Laurent Duplomb. Comment faisait-on avant ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État. Afin de limiter les impacts environnementaux, la priorité est donc donnée à l'équipement des seuils existants encore non équipés en hydroélectricité ou à l'amélioration d'installations hydroélectriques existantes.

Le développement de la petite hydroélectricité devra être sélectif et faire l'objet d'une réflexion à l'échelle du cours d'eau sur la proportionnalité des impacts par rapport à la production électrique générée.

C'est pourquoi les nouveaux projets font l'objet d'une instruction et de prescriptions adaptées au titre de la police de l'eau. Par ailleurs, certains cours d'eau font l'objet d'une protection toute particulière en raison de leur sensibilité ou de leur importance environnementale.

M. Laurent Duplomb. Dogmatique !

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État. De nombreux échanges ont lieu actuellement entre les directions du ministère et les acteurs de la filière afin d'orienter ces derniers vers les projets les plus vertueux, tout en limitant les contraintes administratives qui peuvent peser sur les exploitants, et faciliter la réalisation des projets.

En particulier, un groupe de travail sur la continuité écologique piloté par mon administration et sous l'égide du Comité national de l'eau a élaboré un plan d'action qui s'est traduit notamment par la publication d'une note technique destinée aux services instructeurs visant à prioriser la restauration de la continuité écologique et à mieux prendre en compte l'ensemble des enjeux, en particulier énergétiques.

C'est donc dans la conciliation de ces deux objectifs de politique publique qu'aura lieu le développement de la petite hydroélectricité."

La secrétaire d'Etat donne le mauvais exemple de l'abus de pouvoir
Emmanuelle Wargon affirme qu'il faut analyser les impacts au regard de la production électrique générée, impliquant que son administration pourrait juger de la recevabilité d'un projet en vertu de sa puissance.

Cete position est :
  • contraire au droit européen (directive 2018/2001 sur l'énergie renouvelable) qui intime aux Etats-membres d'encourager l'autoconsommation, y compris en hydro-électricité, 
  • contraire au droit français (aucune loi énergétique ne stipule une condition de puissance dans la lutte contre le réchauffement ; les ouvrages autorisés et disposant d'un droit d'eau ont tous la possibilité de produire de l'énergie sans considération de hauteur, débit, puissance), 
  • contraire surtout à la jurisprudence récente et commentée du conseil d'Etat (CE 2019 arrêt n° 414211 "moulin du Boeuf", ayant précisé clairement que la puissance d’un site n’est pas un argument opposable dans son instruction administrative de relance).
La continuité écologique devient un dogme politique qui permet aux plus hauts représentants de l'Etat de brimer la relance des énergies bas-carbone, de proférer des approximations juridiques devant la représentation nationale, d'encourager leur propre administration à l'abus de pouvoir.

Quant à la désignation des seuils comme posant tous les problèmes du monde, elle est devenue une caricature. On parle le plus souvent de moulins et d'étangs qui sont présents depuis des siècles, bien avant que les prélèvements, pollutions et artificialisations à haute dose des 30 glorieuses - ainsi que la construction de certains grands barrages - ne commencent à entraîner des déclins de certaines populations aquatiques et des perturbations dans le cycle de l'eau.

Ce gouvernement comme les précédents est incapable d'empêcher la moitié des rivières françaises d'être chimiquement polluées et non-éligibles au bon état au sens de la directive européenne sur l'eau, exposant la France au risque de lourdes amendes dans quelques années. Il est incapable de limiter les émissions carbone et donc le réchauffement progressif des eaux dont il dit se plaindre du fait des ouvrages, préférant casser des moulins mais aussi des grands barrages producteurs comme sur la Sélune. Il accorde ses préférences à quelques lobbies élitistes et minoritaires de pêcheurs de salmonidés en rivières sauvages (bien loin de représenter tous les pêcheurs), ignorant la réalité et la complexité de la biodiversité (ne se limitant pas aux espèces d'eau vives ni même aux espèces endémiques désormais), méprisant toutes les dimensions attachées aux ouvrages (énergie, paysage, patrimoine, culture, usages riverains).

Qui avait parlé de "continuité apaisée"?

15/07/2019

Enquête sur les assecs induits par les destructions d'ouvrages (moulins, étangs, canaux): nous avons besoin de votre participation!

Alors que le gouvernement vient de demander un inventaire des zones humides de France et de faire du maintien de la ressource en eau une priorité nationale, les chantiers de destruction de moulins, étangs, canaux conduisent à des pertes de milieux aquatiques et humides ains qu'à des régressions du vivant. Mais cette réalité, physiquement évidente vu l'effet d'une destruction, est niée par les gestionnaires ayant conduit ces chantiers et par certains experts administratifs ayant prétendu à leur nécessité comme à leurs bénéfices. A l'occasion de l'étiage, nous demandons à nos lecteurs et aux associations correspondantes d'aller documenter sur leur région ces assecs induits par des choix de continuité en long, afin de nourrir un dossier qui sera transmis d'ici la fin de l'année aux élus et décideurs. Aucun chantier de continuité induisant des pertes de surface en eau et des pertes de milieux aquatiques ou humides ne doit plus être engagé en France tant que ce sujet n'est pas étudié sérieusement et contrôlé par les autorités (défaillantes) en charge de l'eau et de la biodiversité.



La destruction des digues d'étangs et des seuils de moulin a de nombreux effets secondaires sur l'eau et sur les milieux annexes des ouvrages : disparition des retenues, abaissement local de la nappe, assec estival ou permanent des biefs et des milieux humides attenant à ces biefs.

Ce schéma en expose le principe :


(cliquer pour agrandir ; vous pouvez télécharger et utiliser l'image librement pour votre communication locale)

Effacer des ouvrages revient à supprimer des milieux aquatiques et humides, alors même qu'en situation de changement climatique, la capacité à retenir l'eau partout sur les bassins versants est définie comme stratégique pour chaque territoire. Au demeurant, la plupart des arrêtés sécheresse des préfets demandent de maintenir fermées les vannes des moulins, étangs, usines, afin de préserver localement la lame d'eau.

Car la suite risque d'être difficile sur certains territoires :



Parce qu'une vision dogmatique refuse encore de reconnaître l'existence et la valeur de certains écosystèmes d'origine anthropique (moulins, étangs), ces réalités sont aujourd'hui niées, euphémisées ou mises de côté par l'Office français de la biodiversité (ex AFB, ex Onema), par les services techniques des agences de l'eau et par les gestionnaires publics (syndicats, EPCI-EPTB). Nous devons donc documenter nous-mêmes ces faits, afin de donner l'alerte et de demander aux décideurs l'arrêt d'une politique coûteuse et aberrante de destruction des milieux aquatiques anthropisés.

Nous demandons en conséquence à tous les volontaires de :

  • repérer dans votre secteur des chantiers de continuité ayant conduit à des destructions;
  • aller sur site en fin d'étiage (août-octobre) pour faire des vidéos et photos de l'état des milieux ayant perdu de l'eau (les retenues, les marges et queues d'étang, les biefs et déversoirs de moulins, les zones humides annexes qui étaient alimentées par des ouvrages, les prairies et ripisylves qui étaient nourries par nappe affleurante, etc.);
  • nous faire parvenir les documents avec indication rivière, lieu;
  • si possible, estimer la surface en eau qui a été perdue du fait du chantier;
  • si possible, joindre des photos ou vidéos des mêmes milieux en eau, pour comparaison.


Ce travail est d'autant plus nécessaire qu'à la clôture des assises de l'eau, le gouvernement vient de demander à l'OFB de procéder à un inventaire des zones humides en vue de programmer la protection de la ressource en eau en France. Ce travail n'aura aucune valeur scientifique et technique si l'OFB persiste à ignorer l'existence de centaines de milliers de retenues, canaux, zones humides latérales qui proviennent des écosystèmes d'origine humaine. Nous avons donc besoin de réaliser rapidement un dossier complet d'information afin de prévenir ce déni.

La recherche scientifique internationale en écologie reconnait aujourd'hui l'intérêt des milieux aquatiques anthropisés (Chester et Robson 2013, Beatty et al 2017Clifford et Hefferman 2018, Hill et al 2018, Tonkin et al 2019),  et cette recherche insiste sur le fait qu'il n'y a pas de milieu "négligeable" quand on s'attache à maintenir la biodiversité locale (bêta et gamma notamment).

Nous ne pouvons donc pas continuer en France avec une expertise administrative qui est restée sur des concepts et des priorités datant des années 1980. En tant que citoyens et associations, nous ne pouvons pas non plus accepter la disparition de l'eau et de la vie dans ces milieux au nom des approches destructrices de la continuité écologique, alors que des solutions "douces" de continuité en long sont disponibles et évitent les conséquences négatives.

Nous vous demandons de participer à votre niveau à cette enquête et de nous faire parvenir votre documentation. Merci d'avance de votre mobilisation pour l'avenir de l'eau, du vivant et des ouvrages!

Illustrations : en haut, bief de l'Ource à sec ; en bas, sur l'Ource, réponse de la nappe et végétation de prairie aux vannages (photos et commentaires P. Potherat, droits réservés).

A lire en complément 
Identifier, protéger et gérer les habitats aquatiques et humides du moulin
Eau, climat, vivant, paysage: s'engager pour les biens communs

12/07/2019

Racines de la crise démocratique des ouvrages en rivière: riverains, moulins, étangs sont exclus des instances de concertation

Dans les deux instances de concertation visant à construire la doctrine publique de l'eau - comité national de l'eau, comités de bassin des agences de l'eau - les moulins, les étangs, les riverains, les protecteurs du patrimoine culturel et du paysage ne sont pas représentés aujourd'hui. Quant aux hydro-électriciens, ce sont les grands industriels qui siègent, et non les milliers de petits producteurs. On prend donc des orientations sur les ouvrages hydrauliques sans même consulter les premiers concernés: déni de réalité et choix antidémocratique qui explique la conflictualité forte du sujet depuis 10 ans. Il faut inventer une politique de l'eau qui représente davantage les usagers et les riverains, de manière générale la société civile. 


Dans un pays centralisé et jacobin comme la France, les politiques publiques se décident au sommet et sont répercutées vers la base par échelons successifs. C'est un choix qui se révèle souvent problématique, car la complexité du terrain échappe au décideur central, qui part sur des mesures à mailles grossières et informations limitées, mais doit ensuite les réviser face aux réalités et aux imprévus.

Dans le cas de la politique de l'eau, des orientations sont choisies à Bruxelles (par exemple directive eau DCE 2000) et à Paris (par exemple loi sur l'eau 2006), elles sont exécutées (avec interprétation administrative au passage) par les ministères (décrets, arrêtés, circulaires), transmises aux agences de l'eau (SDAGE), puis arrivent finalement sur le terrain des rivières (SAGE, contrat rivière). Mais à ce stade ultime du terrain, il est souvent trop tard pour donner un avis car tout a été décidé, organisé, fléché aux niveaux supérieurs : la démocratie locale devient un leurre, une chambre d'enregistrement des choix structurants déjà faits ailleurs, avec des discussions de marge sur quelques libertés d'exécution.

Ce problème est aggravé par le fait que les instances supérieures de concertation visant à l'élaboration de choix publics ne sont pas représentatives ni inclusives.

Le comité national de l'eau, prévu à l'article L 213-1 du code de l'environnement, est censé donner son avis sur la politique de l'eau inter-bassins, les choix d'aménagement, les peuplements piscicoles.

A ce jour (décret de 2015), les fédérations de moulins, les syndicats d'étangs, les syndicats de petits producteurs et d'autoconsommateurs d'hydro-électricité ne sont pas représentés dans le comité national de l'eau.

Les riverains n'ont que 2 sièges, alloués à la Fédération nationale de la propriété privée rurale. A titre d'exemple, la pêche de loisir dispose de 8 sièges, les associations environnementalistes de 6 sièges.

L'hydro-électricité est représentée par EDF et ENGIE, dont on peut douter qu'ils aient les mêmes enjeux que des milliers de petits producteurs et d'autoconsommateurs, bien plus nombreux que les quelques centaines de grands barrages ayant des gestions et des enjeux particuliers.

Le comité de bassin des agences de l'eau, prévu à l'article L 231-8 du code de l'environnement, a pour fonction d'élaborer les schémas directeurs d'aménagement et gestion des eaux (SDAGE), qui prennent ensuite la forme d'arrêtés préfectoraux opposables.

Là encore, les moulins, les étangs, les petits producteurs et autoconsommateurs d'électricité (non les gros), les riverains non industriels, les protecteurs du patrimoine historique et culturel ne sont pas représentés dans ce comité.

De manière générale, alors que le collège de la société civile devrait être le plus nombreux, il ne représente qu'une minorité des sièges dans les instances de concertation et de construction des politiques.

La politique des ouvrages hydrauliques souffre de ce problème depuis plus de 20 ans : elle est décidée par un Etat jacobin qui n'estime pas nécessaire d'associer les premiers concernés aux décisions qui les engagent. Une telle situation est totalement inimaginable dans tous les autres domaines d'action publique : va-t-on prendre une mesure qui impacte des agriculteurs, des pêcheurs, des industriels, des consommateurs sans même entendre leur point de vue et sans négocier la faisabilité?

Nous appelons donc à changer la composition du comité national de l'eau et des comités de bassin en les ouvrant aux représentants des ouvrages hydrauliques, et plus largement en faisant monter la place de la société civile dans toutes les instances discutant et décidant des cadres de vie. Sans cette démocratisation, les politiques jacobines de l'Etat central risque de rencontrer des résistances croissantes, comme on l'observe déjà dans de très nombreux projets relatifs aux aménagements de territoire et à l'environnement.

08/07/2019

Gabegie et destruction de paysage à Rochefort-sur-Brevon : dites "stop" en enquête publique!

Le syndicat mixte Sequana propose de dépenser 80 000 euros d'argent public pour détruire des vannages et réduire considérablement la superficie de l'étang de Rochefort-sur-Brevon (21). Nous appelons les citoyens à participer à l'enquête publique pour réfuter le caractère d'intérêt général de ce projet, dont le bilan est négatif au plan du patrimoine, du paysage, de l'agrément, de l'usage énergétique futur du site. Comble de l'absurdité : l'aménageur reconnaît que la rivière Brevon présente des éperons rocheux naturels qui la rendent de toute façon infranchissable aux poissons... mais alors pourquoi l'administration l'avait-elle classée en 2012 en "liste 2" au titre de la continuité écologique? Nous ne supportons cet étalage de gabegie, d'arbitraire et d'incompétence, ces dépenses qui n'ont plus rien à voir avec l'intérêt des citoyens ni avec des enjeux écologiques. Un simple curage de l'étang est nécessaire, avec réflexion sur la relance énergétique du site, qui est aussi un joyau du patrimoine sidérurgique du Châtillonnais. 



Voici les remarques des associations ARPOHC et Hydrauxois.

En liminaire, nos associations rappellent la présence de cinq sites anciens dans la propriété du château, liés à l’usage de l’énergie hydraulique. Ils forment un témoignage assez exceptionnel au plan patrimonial, compte tenu de l’importance de la sidérurgie dans l’histoire du Châtillonnais et de leur valeur paysagère actuelle. Ces sites sont aujourd’hui quasiment à l’abandon, et cette situation de carence d’entretien (particulièrement des ouvrages hydrauliques) est déplorable. Il est tout aussi déplorable que l’argent public, rare, se dépense dans des mesures de destruction et non de réfection du patrimoine, dans l’indifférence à l’usage énergétique de l’eau alors que nous sommes en pleine transition énergétique et que chaque collectivité doit s’assurer le meilleur usage possible de ressources locales renouvelables.

Le caractère paysager, architectural et patrimonial de la forge de Rochefort-sur-Brevon sera défiguré par le projet en l’état. Il devient impossible d’envisager une remise en valeur des bâtiments par un futur propriétaire, par exemple par la réfection d’une roue à aubes pour des soufflets et un martinet.

Le projet reconnaît qu’il n’existe aucun enjeu de continuité piscicole et sédimentaire en raison de la présence d’obstacles naturels sur le Brevon : l’intervention au titre du L 214-17 CE et pour l’intérêt de continuité écologique ne se justifie pas.

Notre avis est donc négatif sur la valeur d’intérêt général du projet :

  • Bénéfice écologique très faible, affirmé mais nullement démontré
  • Bénéfice énergétique nul
  • Bénéfice paysager nul, destruction du miroir d’eau de l’étang pleins bords
  • Bénéfice réserve d’eau étiage nul
  • Coût potentiel (non évalué) en niveau de la nappe locale
  • Coût important de perte du patrimoine bâti, son sens, son paysage, sa stabilité géotechnique dans le temps
Voici quelques observations plus détaillées.

Page 10 : erreur de droit sur le régime IOTA
La rubrique 3.1.2.0 en page 10 est mal renseignée : ce n’est pas un plan d’eau mais bien un cours d’eau barrée, et la modification porte sur 400 mètres linéaires (page 17) : en ce cas, il faut une autorisation du préfet, non une simple déclaration. Par ailleurs, le niveau d’eau actuel au droit du plan d’eau résulte de l’ouverture des vannes. Le niveau initial de référence, défini par le règlement d’eau, n’est pas pris en compte.

Page 21-22 (et page 91) : absence d’intérêt en continuité écologique, choix douteux pour l’intérêt général
«Au regard de l’état initial, l’enjeu d’amélioration de la continuité piscicole du Brevon au droit du plan d’eau du village présente un intérêt limité en raison de la présence d’une barrière naturelle infranchissable. Cependant la continuité écologique ne se limite pas à la continuité piscicole et il est nécessaire de considérer la qualité du Brevon en termes de fonctionnalité et d’habitats»

L’étude reconnaît un éperon rocheux naturel formant un obstacle infranchissable en montaison, situation qui se reproduit ailleurs sur le bassin. De même, il est admis (sans quantification) un «enjeu de continuité sédimentaire réduit sur ce tronçon».

On se demande pourquoi la rivière a été classée en «liste 2» au titre du L 214-17 CE si elle est naturellement discontinue, cette erreur d’appréciation indiquant le manque de rigueur des services de l’État sur ce dossier très conflictuel et contesté.

Du même coup, l’application du L 211-1 CE cité en liminaire (page 8) pour justifier le projet est douteux : l’absence de l’enjeu continuité limite la portée d’intérêt général. Car cet article de la loi visant à une gestion équilibrés et durable de l’eau propose aussi de développer l’hydro-électricité , de protéger le patrimoine, de conserver des réserves d’eau à l’étiage, de valoriser la ressource… autant d’éléments absents du projet, voire désavantagés par le projet, alors qu’il aurait été possible d’investir dans ces enjeux.

En page 91, le projet ré-affirme :

« Les enjeux de conservation associés aux biocénoses aquatiques seront forts, et pleinement intégrés au projet qui vise à restaurer la continuité écologique pour la Truite fario, espèce emblématique du Brevon, et pour les autres espèces d’intérêt communautaire telles que la Lamproie de Planer, leChabot. »

Ce texte est manifestement un copié-collé d’un argumentaire ancien et désormais vide de sens, puisque le site est reconnu infranchissable aux pages 21-22, que ni la truite, encore moins la lamproie de Planer ni le chabot ne peuvent franchir les éperons rocheux du Brevon.

Cela montre que le travail sur le bénéfice écologique n’a pas été fait sérieusement, on se contente d’arguments gratuitement avancés mais sans aucun moyen de vérifier que cela correspond à un bénéfice réel pour le vivant aquatique. Il est inacceptable de mener des politiques publiques et d'engager des dépenses d'argent public sur des bases aussi flous, arbitraires, contradictoires.

Page 22 : absence de concertation amont et de représentativité du comité de pilotage
« Ce principe d’intervention a été validé par un comité de pilotage composé du propriétaire du site, des services de police de l’eau, des services du patrimoine, de représentants de la commune, du SMS, de l’Agence de l’Eau Seine Normandie et de la Région Bourgogne Franche Comté. »

Les associations de riverains et les associations de protection du patrimoine sont absentes des comités de pilotage. C’est anormal pour une dépense publique que l’on dit d’intérêt général, mais en ce cas tous les citoyens sont concernés.

Page 25 et suivantes : risque sur la stabilité du bâti dans le temps, absence d’étude sur les contraintes géotechniques
Il est proposé la création d’échancrures sur le vannage de décharge, réalisées en sous-œuvre. Ce choix augmente le risque de déstabilisation de l’ouvrage avec un risque majeur de déchaussement. Aucune analyse sérieuse n’est faite des contraintes géotechniques et de la stabilité des options choisies dans la durée.

Page 80 : le nouveau règlement d’eau fera obligation d’entretien au propriétaire mais sans possibilité d’utiliser un jour la valeur énergétique
Le nouveau règlement d’eau va acter la disparition des organes hydrauliques, donc la possibilité d’un usage énergétique. C’est totalement contraire aux engagements climatiques de la France et de l’Europe. Chaque collectivité doit rechercher les sources renouvelables bas carbone de son territoire, donc en l’occurrence relancer l’énergie hydraulique. Dans un arrêt récent consacré à un moulin du Châtillonnais (CE n°414211, avril 2019), le Conseil d’État a rappelé que l’intérêt général de l’énergie hydraulique ne s’apprécie pas en fonction du niveau de puissance. Même des sites modestes méritent donc une relance, en particulier sur des territoires où il sera difficile d’envisager de la production éolienne, solaire, biomasse ou autres sources.

Page 88 : certaines espèces risquent d’être pénalisées par la baisse de surface en eau
Le dossier du pétitionnaire rappelle la présence de diverses espèces dont la cigogne noire. Or, plusieurs propriétaires d’ouvrages hydrauliques avec étangs du Châtillonnais ont signalé la présence de cet oiseau migrateur dans les marges de leurs plans d’eau, l’animal appréciant la biomasse de ces biotopes. Le fait de réduire la surface en eau (revenir au lit d’étiage en été) au lieu de conserver une large extension au plan d’eau n’est globalement pas favorable au vivant aquatique.

Illustrations : Mathieu Bouchard, droits réservés.

Vous pouvez donner votre avis sur place ou par mail, voir cette page. Agissez! Ne laissez plus nos rivières et leurs patrimoines être défigurés au nom de dogmes et de modes! 

06/07/2019

Biefs de moulin, moules perlières et urgence de reconnaître l'intérêt écologique des habitats anthropiques (Sousa et al 2019)

Un groupe de chercheurs portugais vient de montrer que les biefs des moulins sont capables d'héberger des moules perlières, espèce menacée et protégée, avec des conditions d'habitat et de croissance qui sont même dans certains cas supérieures à celles du milieu naturel adjacent aux biefs. En revanche, un assec d'un de ces biefs - pourtant évitable au regard de la répartition des eaux par le seuil - a entraîné une mortalité en 2017 sur la zone d'étude. Les chercheurs appellent donc à reconnaître et à prendre en compte la valeur des habitats anthropiques dans l'écologie de la conservation des milieux aquatiques. Tout le contraire du dogme formant encore aujourd'hui le discours dominant de l'administration française de l'eau et de la biodiversité, dont les mesures de continuité pseudo-écologique ont déjà entrainé la mise à sec de centaines de kilomètres de biefs en France, sans parler des plans d'eau, étangs et lacs asséchés ou réduits en superficie. Mais aujourd'hui, on ne peut plus dire  "je ne savais pas". Il faut stopper ce massacre, exiger avant toute réflexion sur une intervention des inventaires de biodiversité des milieux anthropisés, choisir la solution qui préserve le maximum de surface en eau pour le vivant comme pour la société. Ce que refusent toujours l'AFB-OFB et la DEB du ministère de l'écologie, au nom d'une vision dépassée de ces enjeux. 

Les biefs de moulin figurent parmi les orphelins des études scientifiques en biologie et écologie de la conservation: les travaux les concernant sont rarissimes, bien que l'Europe comporte plusieurs centaines de milliers de ces bâtis hydrauliques, souvent hérités du Moyen Age. Ronaldo Sousa et quatre collègues des universités de Porto, Minho, Trás-os-Montes et Alto Douro viennent de contribuer à combler ce vide.

Les chercheurs rappellent d'abord le problème général du défaut de prise en compte des habitats aquatiques artificiels, malgré un nombre croissant de travaux indiquant leur rôle écologique assez fondamental :
"Traditionnellement, la recherche et la gestion ciblent les écosystèmes naturels en quasi-ignorant le rôle possible des infrastructures anthropiques dans la conservation de la biodiversité (Lindenmayer et al 2008). Cependant, bien qu'anthropiques, les habitats peuvent servir de refuge à la biodiversité, et ces dernières années, un nombre croissant d’études soulignent leur importance potentielle dans la conservation des écosystèmes terrestres et aquatiques (Kowarik 2011; Chester et Robson 2013; Martínez-Abraín et Jiménez 2016).  Par exemple, Lundholm et Richardson (2010) ont fourni plusieurs études de cas d’espèces endémiques qui ont naturellement des habitats anthropiques colonisés offrant des structures physiques analogues à leurs environnements naturels. Ces auteurs ont également fourni des exemples d’espèces rares et menacées apparues sur des sites post-industriels, montrant que des conditions environnementales particulières peuvent fournir refuges. Dans de nombreux cas, cela se produit parce que des habitats artificiels (pour certains) imitent à l'échelle locale les attributs des habitats naturels requis par une espèce particulière, mais cette situation peut aussi être une réponse à la perturbation humaine croissante entraînant une diminution de l'habitat naturel, due à l’utilisation agricole ou la couverture urbaine des terres. Par conséquent, évaluer le rôle des habitats anthropiques sur la biodiversité est un enjeu fondamental de conservation, compte tenu du rythme auquel les humains se sont convertis naturellement écosystèmes (Elphick 2000)."
Dans le cas des habitats aquatiques, Sousa et ses collègues rappellent la diversité des sites possibles pour héberger du vivant :
"Dans les écosystèmes d'eau douce, Chester et Robson (2013) ont identifié plusieurs structures anthropiques pouvant jouer un rôle important d'habitat de certaines espèces incluant, par exemple, les canaux de transport et d'irrigation, les zones humides agricoles et mares, les drains ruraux et urbains, les fossés de drainage, les rizières, les barrages de réserve incendie, les lacs de golf, les bassins d'eaux pluviales, les étangs d'aquaculture et les gravières de carrière. Un autre exemple de ces structures anthropiques comme habitat de la biodiversité aquatique est les canaux des moulins à eau". 
Dans cette étude, les chercheurs ont utilisé la moule perlière d’eau douce Margaritifera margaritifera (Linnaeus, 1758) en tant qu’organisme modèle permettant d’évaluer les effets positifs et négatifs de la présence d'habitats anthropiques, en l'occurence des biefs de moulin. Leur zone d'étude au Portugal est la limite méridionale de répartition de cette espèce menacée, et protégée.

L'échantillonnage a été effectué sur quatre sites: deux dans des canaux de moulins à eau (canal 1 de Melro et canal 2 de Fresulfe) et deux autres dans des conditions naturelles de la rivière Tuela, en juillet 2017. Les deux canaux du moulin à eau sont situés en amont du petit barrage de Trutas et ont une longueur totale de près de 200 m.


La zone étudiée par les chercheurs, biefs de moulin (A et C) ou tronçons naturels adjacents (B et D). Extrait de Susa et al 2019, art cit, tous droits réservés. 

Voici le résumé des recherches faites par les chercheurs :
"Les habitats anthropiques peuvent servir de refuge aux espèces aquatiques, y compris les moules d'eau douce (Bivalvia, Unionida). Compte tenu du rythme auquel les humains ont converti les écosystèmes naturels, l’évaluation du rôle des habitats anthropiques est un enjeu de conservation fondamental, mais toujours ignoré.

Dans cette étude, les différences possibles d’abondance, de taille et d’indice de condition de la moule perlière d’eau douce Margaritifera margaritifera colonisatrice de milieux anthropiques (canaux de moulins à eau) et naturels (rivière Tuela) ont été évalués.  Aucune différence n'a été trouvée dans l'abondance de moules perlières d'eau douce colonisant les deux habitats, mais des individus présents dans les canaux de moulin à eau ont un indice de condition et une taille significativement plus élevés. Les canaux des moulins à eau semblent offrir des conditions stables pour la fixation, la croissance et la survie des moules perlières d’eau douce.

Cependant, l’apparition d’un phénomène exceptionnel, la sécheresse de la fin de l'été 2017,  a été à l'origine d'une mortalité de près de 100% dans l'un des deux canaux usiniers étudiés dans cette étude. Par conséquent, lors d’événements climatiques extrêmes, ces structures anthropiques peuvent servir de piège écologique pour les moules perlière d’eau douce. Cette étude peut être utilisée par les gestionnaires pour promouvoir les actions futures qui renforcent la protection des moules perlière d’eau douce et garantissent leur survie, y compris dans les habitats anthropiques."

Plus en détail, les chercheurs ont analysé l'abondance des moules, l'indice de condition d'habitat (CI) et la longueur des moules dans les milieux. Il en ressort ce résultat :


Extrait de Sousa et al 2019, art cit., cliquer pour agrandir

Les chercheurs commentent : "les moules perlières d’eau douce trouvées dans les canaux des moulins à eau ont un IC et une taille moyenne significativement plus élevés que dans les régions naturelles adjacentes, mais aucune différence n’a été détectée en ce qui concerne l’abondance."

Concernant l'épisode de sécheresse ayant entrainé des mortalités, ils remarquent : "Bien que nous ayons clairement montré que les habitats anthropiques semblent présenter des conditions stables pour la colonisation et la survie des moules perlières d'eau douce, l'apparition d'une sécheresse extrême en 2017 a transformé l’un des canaux échantillonnés du moulin à eau en un piège écologique. (...) Depuis que les plus anciennes moules de perles d'eau douce colonisant le canal de Melro (et les trois autres sites étudiés) se sont installées, nous supposons que c'est la première fois depuis des décennies que ce moulin à eau s'est asséché complètement".

Ils observent : "si le canal Melro avait été soigneusement géré à l’été 2017, la mortalité aurait pu être nettement moindre car il y avait assez d’eau en amont du barrage pour maintenir un débit écologique suffisant dans le canal.  Alternativement, le déplacement des moules perlières d'eau douce vers les zones naturelles appropriées adjacentes ou même vers les installations de laboratoire puis la réintroduction dans le canal (après le retour des niveaux d'eau à des conditions normales) garantirait la survie de la plupart des spécimens."

Les chercheurs rappellent enfin : "des espèces en danger critique telles que Pseudunio auricularius (= Margaritifera auricularia) et Pseuduniomarocanus (= Margaritifera marocana) ont été décrits dans des structures humaines telles que les canaux d’irrigation (Gómez et Araujo, 2008; Sousa, observation personnelle). Inversement, ces mêmes études ont indiqué que les activités humaines tels que le curage régulier et le dragage sont responsables d’une mortalité massive de ces moules dans ces habitats anthropiques (Araujo et Ramos, 2000; Gómez et Araujo, 2008; Sousa, observation personnelle)".

Discussion
Les biefs de moulin ne sont donc pas les zones pauvres ou vides de biodiversité que décrivent certains propagandistes dans le débat public, et même des espèces endémiques rares peuvent en profiter. Les travaux de ces chercheurs portugais ne viennent pas comme une surprise pour notre association : nous sommes nés sur une zone de tête de bassin, sans enjeu grand migrateur de première importance, où les ouvrages anciens ont un intérêt manifeste pour le vivant et pour la disponibilité d'une plus grande surface en eau. Depuis des années, nous interpellons les gestionnaires de rivière en Bourgogne et plus largement en France pour leur dire l'importance des habitats issus des moulins et étangs d'Ancien Régime, mais aussi parfois des constructions plus récentes et formant des plans d'eau lentiques, des chenaux ou des zones humides (voir notre dossier). Nous avions aussi rédigé un dossier à propos des moules perlières du Cousin, soulignant d'autres travaux qui avaient mis en avant la possibilité pour ces moules de coloniser certaines biefs ou certaines annexes de moulins et d'étangs.

La gestion française des rivières a été marquée dans la phase 1950-1990 par un paradigme d'exploitation hydraulique à vocation agricole, industrielle et urbaine, sans souci ou presque des conditions de milieux habitat-faune-flore. Les années 2000 ont vu un changement de paradigme, mais avec parfois des excès en sens inverse : tout aménagement humain, tout habitat anthropique, tout écosystème artificiel devenait négligeable voire blâmable. Le trait a été accentué par la réforme catastrophiquement conduite de continuité dite "écologique", où l'on a réduit l'analyse écologique de certains habitats à leur dimension lotique ainsi qu'à leur impact sur des poissons spécialisés, très souvent des salmonidés convoités à fin de pêche de loisir. Le choix de "destruction pour renaturation" est souvent acté de manière dogmatique,  avec des études préparatoires ad hoc et circulaires, qui se résument à dire que le retour d'un habitat lotique serait bon pour des espèces lotiques, sans aucune considération pour le vivant installé sur les sites et pour l'hydro-écologie du système modifié par l'homme au fil des âges.

La destruction des habitats aquatiques et humides d'intérêt de moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques est une erreur pour la biodiversité comme pour l'adaptation au changement climatique (et, bien sûr, pour les nombreux usages humains de ces sites ainsi que pour leur valeur paysagère et historique). Mais, comme le montre le travail de Sousa et de ses collègues sur l'exemple de mauvaise gestion des niveaux d'eau en sécheresse, c'est aussi une erreur de ne pas étudier ces milieux et de ne pas informer les propriétaires de leurs enjeux écologiques : non seulement il ne faut pas détruire ni assécher les retenues et canaux, mais il faut encore les gérer de manière optimale pour le vivant. Nous espérons que les gestionnaires publics travailleront en ce sens à l'avenir, au lieu de la stérile et stupide pression pour tout casser.

Référence : Sousa R et al (2019), Water mill canals as habitat for Margaritifera margaritifera: Stable refuge or an ecological trap?, Ecological Indicators, 106, 105469

Ce que demande Hydrauxois
Pour une étude de la biodiversité et des fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes