04/11/2019

Les passes à poissons peuvent être fonctionnelles avec de faibles débits (Wolter et Schomaker 2019)

Deux chercheurs allemands montrent de manière empirique qu'un débit d'équipement de 5% du débit moyen de la rivière suffit en général à assurer la fonctionnalité  d'une passe à poissons, chiffre pouvant être plus élevé pour les rivières à faible débit (ou moins pour celles à fort débit). C'est une bonne nouvelle car le coût de ces dispositifs dépend notamment de la quantité d'eau à y faire transiter. La préservation d'un débit suffisant pour l'usine ou le moulin peut aussi être un motif de désaccord entre le propriétaire et l'administration : un choix raisonnable devrait apaiser les choses.   


Christian Wolter et Christian Schomaker (Institut Leibniz d'écologie aquatique et de pêche intérieure, département Biologie et écologie des poissons, Berlin, Allemagne) ont étudié près de 200 systèmes de passes à poissons, principalement localisés en Europe. Leur but: analyser la contrainte de débit pour une fonctionnalité satisfaisante.

Les réseaux hydrographiques allaient de petits ruisseaux avec un débit moyen de 0,07 m3 / s aux grands fleuves de 12 000 m3 / s. Les passes à poissons avaient des débits d'équipement compris entre 0,04 et 12 m3/s. La majorité des passes à poissons évaluées étaient des passes de type bassins successifs (51), suivies des passes rustiques (45), des canaux de contournement (38) et des passes à fente verticale (34).

Voici le résumé de leurs travaux :

"La connectivité longitudinale est l’un des principaux problèmes abordés dans la restauration des rivières de nos jours. Dans le même temps, l'atténuation des impacts du changement climatique par les modes d'énergie renouvelable exerce de plus en plus de pression sur les derniers tronçons de rivières libres pour la production d'hydroélectricité. Au niveau du site, ce compromis se manifeste dans la négociation de l'eau pour le passage du poisson vers l'amont et l'aval par rapport aux pertes pour la production d'hydroélectricité. 

Cette étude a compilé et analysé 193 études évaluant les passes à poissons conçues pour permettre la migration en amont de toutes les espèces et de toutes les classes de taille de leur système hydrographique respectif. Les études ont fourni l’évaluation globale du fonctionnement et du débit consacrés à l’entretien des passes à poissons, du site et des caractères de la rivière. L'objectif principal ici était de définir des orientations générales sur la quantité minimale d'eau nécessaire pour que le passage du poisson en amont fonctionne pleinement en fonction de la taille de la rivière. Il y avait une corrélation significative entre la fonctionnalité et le débit de conception d'une passe à poissons. Les passes à poissons entièrement fonctionnelles (N = 92) présentaient un débit médian théorique de 5% du débit moyen moyen de la rivière, 1,1% pour les passes à un fonctionnement restreint et et 0,22% pour les passes non fonctionnelles. 

Un modèle de puissance pourrait être dérivé des besoins de débit de conception par rapport au débit de la rivière, qui est inversement lié à la taille de la rivière. Dans les grandes rivières, une part relativement faible du débit moyen est suffisante, alors que dans les petites rivières, elle ne peut pas être réduite davantage pour des raisons de dimensions. Ce modèle pourrait constituer un premier guide pour l’ajustement des besoins en matière de production d’hydroélectricité et de conservation des poissons dans les rivières réglementées."



Courbe de régression débit rivière / débit passe pour les dispositifs ayant été vérifiés comme fonctionnels, extrait de Wolter et Schomaker 2019 art cit. 

Discussion
Le dimensionnement des passes à poissons est un enjeu pour la conservation biologique des espèces-cibles mais aussi pour la rentabilité des projets hydro-électriques, pour la préservation de la consistance légale des droits d'eau et pour le maintien de certains qualités appréciées de sites (paysage, maintien d'un plan d'eau). Le travail de Wolter et Schomaker suggère que le débit réservé ou débit minimum biologique (10% du débit moyen interannuel en France) est a priori suffisant dans la grande majorité des cas pour assurer une passe fonctionnelle sur ses espèces cibles. Cela doit conduire les services instructeurs de l'Etat à faire des propositions raisonnables en ce domaine, d'autant que de nombreux ouvrages devront être équipés sur les rivières classées au titre de la continuité écologique. Le coût des passes est notamment fonction de la hauteur à franchir et du débit d'équipement du dispositif : arriver à un bon rapport coût-efficacité-acceptabilité doit être le guide pragmatique des interventions.

Référence : Wolter C, Schomaker C (2019), Fish passes design discharge requirements for successful operation, River Res Applic., doi.org/10.1002/rra.3399

Illustration (en haut) : conception d'un ruisseau de contournement sur un moulin du Cousin (Yonne). Quand le foncier est disponible, ces solutions offrent une bonne intégration paysagère et des écoulements proches de conditions naturelles.

01/11/2019

Attention, une continuité peut en cacher une autre!

Sous le label de "continuité", on désigne la circulation de l'eau, de l'énergie, de la matière et des espèces dans toutes ses dimensions, les trois dimensions d'espace et celle du temps. Le débat français s'est focalisé sur la continuité en long et la question des barrages, surtout par conservatisme par rapport à ce qui se faisait déjà au 20e siècle dans le cadre de la politique des poissons migrateurs. Mais rien ne démontre qu'il s'agit du bon choix d'attention et de priorité pour la biodiversité et pour la ressource en eau : recevoir, retenir et diffuser l'eau dans le maximum de milieux du bassin versant paraît aujourd'hui un défi plus important et plus pressant que la laisser s'écouler plus rapidement dans son lit mineur. 

Il existe quatre dimensions de continuité ou connectivité en milieu aquatique : longitudinale (circulation amont-aval des espèces, de l'eau et de la matière), latérale (circulation entre lit mineur et lit majeur, notamment lors de crue), verticale (flux d'eau et de matière entre le lit et les aquifères), temporelle (permanence du flux d'eau et de matière).

Leurs effets sur le vivant ne sont pas les mêmes.

Voici l'un des rares exemples de la littérature où l'on a essayé de quantifier la richesse d'espèces selon deux types de discontinuité :



Ce graphique, extrait de Ward 1999 d'après les données de Moog 1995, montre comment la diversité des insectes, des mollusques et des crustacés change dans le Danube autrichien selon que l'on compare quatre types de tronçons par paires : libre écoulement en long versus fragmentation par barrage (en haut), libre connexion avec le lit majeur versus endiguement latéral (en bas).

L'observation est sans appel dans ce cas : la richesse en espèces est similaire dans le cas de la fragmentation en long, elle est divisée par trois dans le cas de la discontinuité latérale.

Cette baisse de biodiversité s'explique parce que la capacité d'une rivière à déborder dans sa plaine d'inondation crée des habitats de transition (écotones) entre l'eau et la terre, qui sont riches en diversité structurale et fonctionnelle (des bras morts, des marais, des étangs etc.). Mais c'est aussi l'occupation des sols du bassin versant qui compte : on endigue souvent les rivières pour occuper et exploiter le lit majeur (urbanisation, agriculture, infrastructures de transport) et ces usages du sol tendent à avoir des impacts propres qui s'ajoutent à celui de la disparition des écotones du lit d'inondation.

Le faible impact de la discontinuité en long n'est pas si surprenant : la plupart des espèces peuvent dériver en dévalaison, les espèces bloquées en montaison sont plus rares et souvent spécialisées, la production de plans d'eau par des barrages n'est pas la création de déserts biologiques (le vivant profite de tout volume aquatique qui lui est offert) mais ces habitats plus lents et plus banalisés ne vont pas accueillir les mêmes espèces que d'autres.

Par ailleurs, la notion de temps de relaxation des systèmes est rarement prise en compte. La phase de construction des grands barrages mène à des altérations significatives par désorganisation des flux hydriques, sédimentaires et biologiques. Ces cas ont été un peu documentés en Occident, mais ils le sont surtout aujourd'hui dans les pays émergents où l'on construit des barrages tout en observant leurs effets davantage qu'on ne le faisait jadis. Toutefois, le bassin versant altéré va tendre au fil du temps vers un nouvel équilibre dynamique autour de ses écoulements modifiés. Hors les cas de surexploitation des rivières et réservoirs pour en pomper l'eau, la différence majeure entre les discontinuités en long et en travers est que la première maintient ou augmente le volume d'eau disponible quand la seconde prive complètement certains milieux d'eau. Il est logique que les effets soit différents quand on observe un milieu anciennement aménagé comme le Danube.

A notre connaissance, nous sommes toujours incapables en France et en 2019 de produire des analyses comme celles illustrées par Ward et ses collègues voici 20 ans.

Nous manquons de travaux d'inventaire de la biodiversité en général, et selon les types de fragmentation en particulier. La politique publique de continuité a été principalement conçue comme reproduction de la politique ancienne de soutien aux effectifs de poissons migrateurs et rhéophiles, qui était une demande traditionnelle de la pêche de loisir en eau douce. Il en a résulté des moyens et des programmes largement consacrés à la question des barrages et chaussées. De même, l'indicateur poisson est le plus souvent mobilisé, alors que d'autres assemblages (invertébrés, amphibiens, oiseaux, mammifères, végétaux, etc.) sont partie intégrante de la biodiversité des milieux aquatiques et humides.

Quand le gouvernement français réfléchit à la "priorisation" de la continuité, il devrait aussi le  faire par cet élargissement de perspective. Des capacités de franchissement de poissons sont utiles dans des axes migrateurs, de même que des circulations sédimentaires là où elles ont un déficit réel et elles sont d'intérêt, mais cela paraît finalement un enjeu assez modeste en écologie aquatique, particulièrement si l'on veut enrayer le déclin global de la biodiversité tout en protégeant la ressource quantitative en eau pour les vivants, humains comme non-humains.

Références citées : Ward JV et al (1999), Biodiversity of floodplain river ecosystems: ecotones and connectivity, Regul Rivers Res Mgmt 15, 125–139 ; Moog O et al (1995), The distribution of benthic invertebrates along the Austrian stretch of the River Danube and its relevance as an indicator of zoogeographical and water quality parameters—part 1, Arch Hydrobiol Suppl, 101,121-213.

30/10/2019

Les députés Gaillard et Delatte demandent au ministère de l'écologie une révision de sa doctrine sur les ouvrages hydrauliques

Ce mois-ci, deux députés ont encore interpellé la ministre de l'écologie sur la nécessité de cesser la destruction des ouvrages hydrauliques créant des retenues, étangs, lacs et canaux qui ont de l'intérêt dans la gestion de l'eau et la production d'énergie. Nicolas Hulot puis François de Rugy n'avaient engagé que le service minimum sur le sujet: Elisabeth Borne, qui fut directrice de cabinet de Ségolène Royal en 2015 lorsque cette dernière demanda aux préfets un moratoire sur les destructions de sites, va-t-elle comprendre la nécessité de recadrer de manière plus claire et plus ferme ses services en charge de l'eau de la biodiversité? Face aux défis gigantesques de la transition bas carbone, de l'arrêt de la pollution des eaux par des substances toxiques, de la préservation de milieux aquatiques et humides en phase de changement climatique, le ministère doit aujourd'hui prendre ses responsabilités. L'heure n'est plus au rafistolage de réformes ratées ayant produit 10 ans de conflits et de gabegies, mais à une nouvelle vision assumée des priorités écologiques de l'eau et des enjeux des ouvrages pour les territoires. 



Question du député Olivier Gaillard (Gard)
M. Olivier Gaillard attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur l'enjeu de la préservation des ouvrages hydrauliques. La France se trouve de plus en plus souvent confrontée à des aléas et risques majeurs : l'absence de recharge des nappes en hiver engendre des situations critiques l'année suivante pour de nombreux territoires. Une meilleure exploitation excédentaire des saisons pluvieuses est un enjeu primordial. Cela passe soit par le stockage, soit l'expansion des échanges de l'eau avec les sols et les nappes. Les solutions sont les barrages réservoirs (pour le stockage soutenant l'étiage et l'alimentation en eau de la population), les retenues stockant les ruissellements, les ouvrages en lit mineur (type moulins, étangs, plans d'eau, lacs) maintenant des lames d'eau à l'étiage, alimentant des marges humides et/ou des canaux faisant circuler l'eau, et les restaurations de zones humides naturelles. Or, la destruction de milliers d'ouvrages séculaires de stockage et de circulation de l'eau est promue et financée par l'administration de l'eau, au motif de la continuité écologique. Les informations livrées par le rapport CGEDD permettent de le vérifier. L'instruction de ces travaux est assouplie et le financement public s'élève à 80 %. Cette approche tranche avec la définition de la gestion équilibrée et durable de l'eau figurant dans la loi à l'article L. 211-1 du code de l'environnement. Il lui demande s'il est prévu que la préservation et la création de lacs, retenues, canaux, fassent à nouveau partie des orientations de l'action publique, et à tout le moins, que soit adopté un moratoire à effet immédiat sur toutes les destructions d'ouvrages hydrauliques permettant le stockage de l'eau, le maintien de la lame d'eau ou la diversion de l'eau en France. Ce réajustement de l'administration de l'eau permettrait de faire un inventaire des ouvrages existants (en activité ou à restaurer), lesquels seraient tout à fait complémentaires des nouveaux projets d'ouvrages de gestion quantitative de l'eau.

Question du député Rémi Delatte (Côte d'Or) 
M. Rémi Delatte appelle l'attention de Mme la ministre de la transition écologique et solidaire sur l'urgence de protéger les ouvrages créant une retenue de l'eau au fil de l'an. Présentant un fort potentiel de développement, dans les années à venir, de l'hydroélectrique, ils sont aussi un moyen particulièrement pertinent dans la gestion de l'eau. Alors que les territoires subissent depuis plusieurs mois les affres d'une sècheresse amenée à être de plus en plus récurrente, il nous faut d'ores et déjà en anticiper les prochains épisodes. En créant des retenues d'eau, les ouvrages que sont les biefs, moulins mais aussi lacs et étangs participent à la réglementation des nappes. De surcroît, ils permettraient, au cours de l'hiver, de gérer le surplus d'eau et limiter les dégâts de crues et inondations. Aussi, il souhaite qu'elle déclare un moratoire urgent sur la destruction des ouvrages hydrauliques permettant le stockage de l'eau et le lancement d'une grande consultation sur la politique de protection de ceux-ci.

28/10/2019

Riverains et usagers du Loiret refusent le nouveau diktat de l'ouverture permanente des vannes

Apaisée la continuité ? Loin s'en faut. Après avoir essayé sans succès de casser les ouvrages, l'administration tente en divers endroits d'en vider en permanence les retenues et les biefs. L'Association pour la sauvegarde des bassins, des paysages et des usages du Loiret (ASBPUL) vient de naître : elle est vent debout contre les manoeuvres du SAGE et de la préfecture visant à imposer cette ouverture des vannes d'ouvrages hydrauliques toute l'année, impliquant la modification complète du profil de la vallée, l'altération des usages établis, la dégradation des biotopes en place, l'abaissement des nappes, l'infraction aux consistances légales autorisées. S'il veut apaiser la continuité, le ministère de l'écologie doit admettre la réalité des nouveaux écosystèmes aménagés par l'humain et sortir de l'optique de la "renaturation" de tous les bassins. Sinon, les mêmes causes produiront les mêmes effets, l'Etat cherchera à détruire ce qui est justement apprécié dans l'évolution des profils fluviaux, donc sèmera la division et le conflit. La négation de l'histoire et de la société au nom de la nature est une posture intégriste: on rappellera aux représentants du ministère de l'écologie comme aux lobbies de la destruction que ce n'est pas une disposition des lois de la République. 



Le préfet du Loiret prétend indûment dans un courrier envoyé à l'ensemble des propriétaires d'ouvrages hydrauliques que les vannes doivent être ouvertes "de tout temps". C'est faux: les vannes des ouvrages doivent être régulées de manière à respecter la consistance légale de chaque autorisation, certainement pas en vidant les retenues et les biefs, en baissant les niveaux toute l'année, en altérant l'ensemble des usages riverains comme des milieux aquatiques et rivulaires tels qu'ils ont évolué.

Sauf exceptions motivées par des cas particuliers (en hydrologie ou en usage), la gestion des vannes des ouvrages doit:
- maintenir le niveau de ligne d'eau tel qu'il est autorisé sur chaque site,
- assurer le débit réservé là où le tronçon de rivière "naturelle" est court-circuité,
- permettre la circulation de l'eau et des sédiments en période de crue.

En aucun cas l'ouverture des vannes n'a vocation à devenir permanente et mener aux problèmes innombrables de riveraineté que cela poserait.

En revanche, des garanties plus strictes d'ouvertures coordonnées de vannes en période de crue sont utiles pour la gestion des inondations comme pour la circulation des sédiments: il est normal et même nécessaire de rappeler aux propriétaires leurs devoirs de gestion. De même, en fonction de la présence de grands migrateurs, on peut tester des ouvertures de vannes, mais elles sont alors limitées à certaines périodes de migration vers l'amont et conditionnées à une analyse de résultat.

Tant que l'administration pensera que l'ouvrage ne doit pas exister, elle entretiendra les conflits 
Manifestement, l'administration française est loin de la continuité "apaisée". Hier, elle souhaitait détruire les ouvrages. Aujourd'hui, elle veut lever leurs vannes toute l'année ou presque. Ces mesures ne sont compréhensibles qu'à travers l'existence d'un prisme déformé et déformant : cette administration persiste dans la négation de la réalité des rivières aménagées au fil de l'histoire, dont le profil est désormais différent de celui des rivières antérieures à l'occupation humaine. Cette administration veut toujours aller bien au-delà de la loi, qui n'a jamais engagé la "renaturation" massive des rivières françaises ni la suppression de toutes les autorisations établies. La gestion durable et équilibrée de l'eau en France exige de prendre en compte toutes les représentations de la rivière, en aucun cas cette orientation normative n'exige de revenir à des rivières telles qu'elles furent en une autre époque.

Nous l'avions dit dès le début des travaux au comité national de l'eau en 2018: la continuité "apaisée" supposait un changement explicite de doctrine du ministère de l'écologie et une instruction demandant clairement aux services de respecter les ouvrages comme héritage de la rivière et comme nouveaux écosystèmes divergeant des anciens profils fluviaux. Cela ne fut pas fait, et on continue donc dans la confusion, avec une administration ayant toujours comme position explicite ou implicite que l'ouvrage ne devrait pas exister. Sans compter les divergences d'interprétation d'une préfecture à l'autre, que tout le monde connaît désormais car l'information circule facilement, mais qui nourrissent la perception de l'arbitraire.

Le gâchis de temps et d'énergie va donc se poursuivre : les parlementaires et la ministre seront toujours interpellés sur le sujet, des contentieux contre les arrêtés préfectoraux, les SDAGE ou les SAGE seront toujours déposés, les rapports avec les agents de terrain de l'administration seront dégradés, les tensions entre usagers vont se renforcer, la politique de l'eau sera contestée comme lieu de dérapages dans l'interprétation des lois françaises et directives européennes... au bout d'un moment, nos politiques vont-ils enfin demander des comptes aux responsables de ces dérives et faire cesser ces troubles?

Sur cette question de l'ouverture des vannes, voir le modèle de recours des riverains de la Cléry

26/10/2019

La gestion responsable des moulins commence chez le notaire

On n'achète pas ou on n'hérite pas un moulin comme une maison au bord de l'eau, mais comme un bien hydraulique qui a des obligations dans la gestion des éléments fondant son droit d'eau. Cette réalité a parfois été oubliée au fil du temps, et elle produit alors des négligences que nul ne peut considérer comme souhaitables. Les associations de moulin sont les premières à promouvoir une gestion attentive du patrimoine qu'elles apprécient. L'Etat doit lui aussi responsabiliser les acteurs, ce qui passe notamment par une formation des notaires pour faire évoluer toute cession ou transmission de bien possédant un droit d'eau. Ce point a été demandé voici presque 10 ans par le CGEDD, mais le ministère de l'écologie espérait à l'époque détruire les ouvrages au lieu de les gérer. Cette stratégie brutale s'étant révélée être un échec, il est temps d'accepter la présence durable des moulins, de rappeler les obligations afférentes à leur droit d'eau et de développer des règles de gestion inspirées du bon sens, de l'expérience et de la connaissance, en phase avec les attentes de la transition écologique. 



Il y a au moins un point sur lequel les associations de protection des moulins et les services de l'Etat sont souvent d'accord : la culture hydraulique ayant présidé à la naissance et à l'usage des moulins s'est trop souvent perdue au cours du 20e siècle. Ce n'est pas le cas partout : certains ont conservé cette culture, d'autres l'ont redécouverte par passion. Ils sont souvent membres des associations. Mais parfois, des biens ont simplement été rachetés comme "belle demeure" près de la rivière sans grand souci de l'hydraulique elle-même; d'autres ont été hérités dans les familles dont l'aïeul a cessé la production sans transmettre les habitudes de gestion.

Une certaine indifférence s'est installée à compter des trente glorieuses
On peut situer la rupture dans les années 1950 à 1980 : sauf exception de productions locales spécialisées, les dernières générations à avoir usé des moulins à eau artisanaux commencent à disparaître. Même ceux qui produisaient de l'électricité d'usage local deviennent moins intéressants à l'âge du pétrole bon marché, du nucléaire et de l'abondance insouciante. A l'époque, les services de l'Etat DDE et DDAF (nés dans les années 1960) n'étaient pas plus préoccupés que cela par les moulins. En ces trente glorieuses, on ne parlait pas de continuité écologique (pas beaucoup d'écologie tout court), mais de reconstruction, de modernisation et de croissance : on n'hésitait pas à exploiter les sédiments, endiguer et recalibrer les cours d'eau, bâtir des grands barrages à divers usages, drainer les lits majeurs... Le moulin n'était donc pas vraiment d'actualité, quand bien même sa gestion devenait parfois négligente, voire défaillante. Les pêcheurs quant à eux étaient plutôt mobilisés contre les pollutions, et notamment contre l'eutrophisation qui commençait à remplir les cours d'eau d'algues et de mousses du fait de l'usage des engrais de synthèse et des lessives (nitrates, phosphates).

Malgré (ou à cause de) quelques décennies de laxisme de part et d'autre, cette situation n'est pas satisfaisante dans ses résultats :
  • du point de vue réglementaire, un moulin autorisé est toujours une usine hydraulique et doit être géré comme tel, notamment pour le respect de sa consistance légale;
  • du point de vue patrimonial, la négligence des chaussées ou barrages, des retenues, des biefs, des vannes finit par dégrader le bien;
  • du point de vue écologique, il est dommage de posséder un moulin sans avoir reçu d'information sur ses effets, ses milieux et son potentiel de production bas-carbone.

Informer les propriétaires des droits et devoirs, développer dans l'administration une attitude constructive et réaliste
Pour remédier à cela, il faut prendre le mal à sa racine : c'est à l'acquisition du moulin que les choses se jouent.

Les associations constatent hélas que les agents immobiliers comme les notaires vendent trop souvent les moulins comme des biens ordinaires. Dans le meilleur des cas, on spécifie un "droit d'eau", sans dire de quoi il s'agit et sans préciser les devoirs afférents. C'est bien dommage, surtout qu'au moment de la vente, l'acquéreur en situation d'emprunt doit être informé de ses obligations d'entretien, notamment sur la partie hydraulique. Nous voyons de temps en temps d'heureux propriétaires qui ont fait beaucoup d'efforts méritoires sur le bâtiment du moulin, mais qui ignoraient la nécessité de toujours commencer par l'entretien voire si besoin la remise en état des éléments hydrauliques (ouvrage répartiteur, déversoirs, vannes ouvrières et de décharge, canal d'amenée et de fuite du bief). Or, ce sont ces éléments hydrauliques et eux seuls qui forment la base légale du droit d'eau. Ce sont aussi eux qui ont un effet sur les écoulements, donc les milieux.

A la décharge des propriétaires plus récents, une certaine crispation administrative à partir des années 1990 a rendu complexe et imprévisible les interventions sur les milieux en eau : si des précautions (souvent de bon sens) sont nécessaires, ce n'est pas non plus en rendant les choses disproportionnellement compliquées et coûteuses qu'on produit une gestion responsable. A dire vrai, on trouve beaucoup de fonctionnaires de terrain raisonnables. Mais d'autres le sont moins, et comme nul ne sait sur qui il tombera, tout cela n'est pas toujours propice à une culture de confiance entre les moulins et l'administration. Les choses ne se sont pas améliorées dans les années 2010 où l'on a vu certains fonctionnaires pratiquer une "chasse au droit d'eau" lors des ventes, l'appel du notaire ou de l'agent immobilier à une DDT se traduisant ensuite par des tentatives de casse de l'autorisation pour état de ruine. De telles attitudes témoignent d'une volonté de supprimer les moulins plutôt que de les gérer, et elles mènent logiquement au conflit avec les associations.

Former les notaires pour une information complète lors de toute vente de moulins ou usines à droit d'eau
Toutes ces informations sur la nature du moulin, du droit d'eau et des devoirs de gestion ont vocation à être précisées avant la signature de la vente. Cela risque de refroidir des acheteurs? Eh bien c'est nécessaire de les refroidir! On doit acheter un moulin en connaissance de cause et si l'on veut simplement une maison au bord de l'eau, il y a pléthore d'autres offres. Un acquéreur mal informé s'exposera à des problèmes prévisibles avec la police de l'eau, et aussi souvent à des dépenses non anticipées s'il veut garder les éléments fondateurs de son droit d'eau.

En décembre 2012, le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) avait rendu un rapport sur la mise en oeuvre du Plan de restauration de la continuité écologique. Les recommandations figurent dans l'annexe finale. Parmi elles, on trouve:
"La mission recommande à l'administration et à ses partenaires de mettre les notaires en capacité de remplir efficacement leur obligation d'information et de transcription dans les actes de transfert de propriété, des droits et devoirs liés à la continuité écologique, et pour cela de fournir un appui au Conseil supérieur du notariat et à son Institut de formation"
Cette recommandation était de notre point de vue bien trop timide (et floue) : les notaires ne doivent pas seulement informer les acquéreurs des questions de "continuité écologique", mais bien de l'ensemble des obligations afférentes à la gestion d'un moulin, ainsi que des potentialités liées à ce moulin (pour la gestion hydrologique, pour la biodiversité, pour la production d'énergie).

Cette disposition n'a jamais été suivie d'effets à notre connaissance. Une des raisons est connue : la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie s'est mis dans l'optique d'une disparition des ouvrages (et des droits d'eau avec eux) comme conséquence de la loi de 2006 (aussi comme souci de simplifier la gestion publique de la rivière avec seulement des interlocuteurs de type syndicats ou industries). Réveiller cette sensibilité au droit d'eau ne lui semblait pas vraiment opportun. La négligence et le caractère "sans usage" du moulin furent plutôt un alibi pour pousser à l'effacement.

Mais cette version destructrice (et déresponsabilisante) de la continuité a échoué : on cherche aujourd'hui une politique "apaisée". Par ailleurs, la jurisprudence du Conseil d'Etat est très tolérante sur la notion de "ruine", les parlementaires ne sont nullement enclins à faire disparaître le patrimoine historique et paysager de la nation, bien des élus locaux non plus. Donc les droits d'eau perdurent, n'en déplaise au ministère.

Il faut repartir sur une bonne base : non pas la négation des moulins, mais la responsabilisation de leurs propriétaires, en commençant par les vendeurs et acquéreurs. Tout le monde est d'accord là-dessus: pourquoi ne pas avancer sur un travail conjoint entre Etat, associations, notariat, représentants des agents immobiliers?