12/07/2020

La France doit réviser d'urgence sa gestion de l'eau et cesser de détruire les retenues

La France métropolitaine reçoit 500 milliards de m³ d'eau apportés par la pluie et la neige, l'évaporation représente de 300 milliards de m³, 10 milliards de m³ viennent des pays voisins, soit un volume annuel total des eaux renouvelables de l'ordre de 200 milliards de m³. Or, les prélèvements en eau douce en France représentent environ 30 milliards de m3 par an, soit sept fois moins. Pourquoi, en dehors des zones arides, souffrons-nous de sécheresses à répétition, d'assecs et de restrictions? Car l'eau est mal gérée. Nous ne la retenons pas assez dans des zones humides naturelles et artificielles des bassins versants, nous bétonnons au lieu de végétaliser et d'assurer le cycle local de l'eau, les eaux urbaines sont ré-injectées vers la mer avec de surcroît des pollutions. A l'heure des risques climatiques qui seront croissants au cours du siècle, nous devons changer notre culture de l'eau, bien précieux pour le vivant et la société. Ou plutôt la retrouver, car les générations précédentes devaient déjà affronter l'incertitude faite d'excès ou de rareté selon les saisons. Nous publions ci-dessous le point de vue de l'association Culture Nature 71, qui déplore notamment l'aberration de la destruction actuelle des retenues par l'administration et de certains "écologistes" manifestement égarés dans des impasses. 



Des catastrophes imputées au réchauffement climatique pourraient être évitées par une gestion appropriée des ressources naturelles. A commencer par l'eau, le bien commun le plus précieux, garant de la vie. Et dont le cycle en relation avec le couvert végétal est un puissant régulateur du climat.

Un paradoxe qui s'accentue : trop d'eau par moment, manque d'eau à d'autres moments
L'alternance de sécheresses et d'inondations depuis 20 ans a une cause rarement évoquée : la très mauvaise gestion des précipitations ! En France métropolitaine, cela représente 503 milliards de m³ d'eau, provenant des chutes de pluie et de neige réparties sur 70 à 200 journées, selon les régions.

Cependant, une pluie même forte n'est pas un raz de marée. Depuis le 4 novembre 2019 [et jusqu'au 27 janvier 2020), La Garonne a évacué plus de 3 milliards de m3 d'eau douce vers la mer (mesure de débit effectué à Tonneins (cf vigiecrue.fr). Cela représente deux fois le volume de la consommation totale de toute la région Nouvelle Aquitaine (potable, agricole et industrie). Comment, dans ces conditions, peut-on manquer d'eau à certains moments de l'année ?

Annuellement, les rejets en mer d'eau douce par les rivières de Nouvelle Aquitaine sont supérieurs à 15 milliards de m3 ... pour une consommation totale de 1.5 milliards. Par le captage de seulement 10% des crues, il y aurait moins d'inondation; mais surtout plus jamais de déficit en eau. Les départements les plus touchés par les inondations et les fortes crues sont ceux qui étaient en manque d'eau l'été dernier.

Et c'est tout à fait logique : c'est justement parce que dans ces départements, il n'y a pas de retenue de l'eau des précipitations hivernales que les crues sont gigantesques. Et n'ayant procédé à aucune retenue d'eau l'hiver, ces mêmes départements manque d'eau en été … Consternant mais logique !

Pour réguler les crues il faut créer des bassins d'expansion et des retenues… les fameuses retenues que les DDT font détruire massivement sur toute la France (le projet est à 100 000 destructions d'ouvrage…) au nom de la continuité écologique des cours d'eau. Les inondations sont provoquées par des ruissellements sur des surfaces étanches ou saturées en eau, en captant les ruissellements le plus en amont possible des bassins versants :
on évite les inondations en aval et les pollutions de rivières dues au lessivages des sols,
on régule le débit des rivières (moins d'étiage), et
on favorise les infiltrations.

Une pluie même forte ne provoque pas d'inondations quand le ruissellement est géré le plus en amont possible des bassins versants ; c'est quand on ne régule pas que des inondations se produisent.

Depuis les années 2000 la situation hydrologique française ne fait que se dégrader : d'année en année, on cumule des restrictions d'eau de plus en plus longues, alors que la consommation d'eau (potable, agricole et industrie) ne représente que 2.5% des pluies !

2019 a été une année record : toute la France était en restriction d'eau ou en crise majeure d'approvisionnement.

La planète n'a pas perdu une goutte d'eau depuis sa création. On ne consomme pas l'eau, on l'utilise. Elle est recyclée à 100%.

Le problème n'est pas la quantité disponible mais la mauvaise gestion de l'eau : si on passe trois saisons consécutives sans rétention de l'eau de pluie, forcément, il y a inondation l'hiver et pénurie d'eau l'été.

La mauvaise gestion de l'eau par non respect des lois de son cycle
L'eau est un bien commun, la nature nous l'apporte à tous de la même façon : en surface et à domicile. Il faut appréhender correctement le rôle des surfaces d'exposition et cycle naturel de l'eau: précipitations et évaporation. Sur les continents, 70% des précipitations proviennent de l'évapotranspiration (de la végétation) et seulement 30% de l'évaporation en mer. Pas d'évaporation, pas de pluie. C'est pour cela qu'il ne pleut pas dans les déserts.

Les campagnes alimentent les nappes phréatiques alors que le béton des villes détourne massivement l'eau vers la mer via les rivières. Et, surtout, les eaux usées, une fois assainies sont également rejetées dans les rivières où elles regagnent la mer, donc sans être recyclées pour la végétation.

Nous sommes dans une situation de crise parce que l'on gère une quantité alors qu'on doit gérer un flux. La logique n'est pas du tout la même : pour avoir de l'eau, il faut entretenir le cycle à la « source » : précipitations et évaporation.

Les forets de feuillus utilisent 70% des pluies et en infiltrent seulement 30%. Comme on a défriché pour cultiver, on a coupé ce cycle l'été. En végétalisant un maximum de surfaces l'été, ce qui peut nécessiter d'irriguer, on va rétablir le cycle. A surface égale, une foret de feuillus évapore 2 à 3 fois plus d'eau qu'un simple plan d'eau ; d'où l'extrême importance de végétaliser toutes les surfaces (villes et campagnes) l'été. Les forets de conifères évaporent deux fois moins d'eau. Elles apportent deux fois moins de pluies et donc brûlent tous les étés.

Les ruissellements de surfaces provoquent des inondations, un manque d'infiltration et des pollutions. En les captant avec des réserves collinaires, on résout ces trois problèmes et on puise moins fortement dans les nappes l'été.

Les erreurs commises dans les zones urbanisées
Les grandes zones urbaines puisent l'eau dans des nappes phréatiques dont elles ont bloqué l'alimentation par l'artificialisation des sols. Elles rejettent les eaux usées, après retraitement (dans le meilleur des cas), dans les cours d'eau qui les emportent dans la mer au lieu de la ré-infiltrer ou de la recycler pour des usages non domestiques comme l'arrosage. En zones habitées, l'eau de pluie est captée pour être évacuée. Les nouvelles zones artificialisées sont aux normes, mais c'est très insuffisant.

Le code de l'environnement impose un traitement et une infiltration de tous les rejets (pluies et eaux usées pour les villes, les maisons individuelles, et l'industrie) pour ne pas perturber le cycle de rechargement des nappes phréatiques. Quand les infiltrations ne sont pas possibles, l'eau doit être recyclée pour des usages non domestiques comme l'arrosage (irrigation). Si le code était appliqué par les villes et l'industrie, les nappes ne s'épuiseraient pas.

Notre réseau de distribution d'eau potable date des années 1950. Auparavant, tout le monde faisait des réserves pour avoir de l'eau l'été. Et, si d'aventure, on manquait d'eau, on construisait des structure pouvant accueillir de nouvelles réserves … Question de bon sens!

On détruit les retenues au nom de la continuité écologique des cours d'eau. Les anciens construisaient des retenues pour avoir de l'eau et de l'énergie « propre ». On les détruit alors qu'on manque d'eau et qu'on voudrait sortir du nucléaire… Une retenue permet de réguler les crues, donc de limiter les inondations et d'améliorer les infiltrations.

Pourquoi toucher aux barrages tant qu'on n'a pas résolu nos problèmes d'eau et d'énergie ? Peut-être faudrait-il même en construire ! Si le débit de la Seine n'était pas régulé par quatre grands réservoirs (lac-réservoirs d'Amance-Aube, de Pannecière-Yonne, d'Orient-Seine et du Der-Marne), Paris serait inondée tous les hivers et en déficit tous les étés…! Les crues sont provoquées uniquement par les ruissellements et la seule façon de prévenir les crues, c'est de réguler le débit de la rivière le plus en amont possible du bassin versant avec des réserves collinaires.

Les erreurs commises dans les zones agricoles
Il faut changer de paradigme : la végétation ne consomme pas d'eau ; elle apporte des pluies. Le bilan hydrique des surfaces végétales est toujours positif. C'est pourquoi, l'eau agricole ne doit pas être intégrée à l'eau économique, parce qu'elle entretient le cycle. Couper l'irrigation c'est comme couper la pompe à eau des continents.

Dans les années 2000, on a finit par épuiser les nappes l'été. La répartition des prélèvements était la suivante : 46% agricole, 34% potable et 12% industrie. Il était facile d'accuser l'agriculture et de lui couper l'eau. Mais, ce qui aurait du rester une mesure provisoire s'est transformé en moyen de gestion de la ressource. Dès que les nappes baissent, on coupe l'irrigation sans jamais rechercher de compensation donc sans jamais résoudre le vrai problème : le détournement massif et illégal de l'eau douce par les villes non conformes au code de l'environnement.

D'après le calcul suivant : 34% + 12% = 46%, si l'eau potable et industrielle était recyclée dans les champs, on diviserait par deux les prélèvements dans les nappes phréatiques. Et, si on y ajoute l'eau qui ruisselle sur le béton des villes, on pourrait irriguer la totalité de la surface agricole utile de la région Nouvelle Aquitaine (781 000 hectares de béton qui détournent annuellement 5 milliards de m3 d'eau douce vers la mer au lieu de l'infiltrer, c'est 3 fois la consommation trois de toute la région en eau potable, à usage agricole et industriel).

Les coupures systématiques de l'irrigation, dès que les nappes baissent l'été ont ancré dans l'opinion publique, la croyance dans l'idée que l'irrigation est le problème; en occultant le fait que les villes rejettent 10 fois plus d'eau dans les rivières, et que les prélèvements agricoles représentent seulement 1% des précipitations annuelles.

Et, surtout, on oublie le fait, crucial, pour l'alimentation du cycle de l'eau que la végétation est notre pompe à eau.

Alors, effectivement, en coupant la pompe, on n'a plus de ponction dans les réserve, mais on n'a non plus de ré-alimentation de ses réserves … Si les agriculteurs avaient pu constituer des réserves l'hiver pour irriguer l'été, le détournement des villes serait passé inaperçu (hormis les problèmes de pollution). Mais comme l'irrigation a été désignée responsable des pénuries d'eau , les « écologistes » ont bloqué la construction de réserve (Sivens, Caussade, etc ..) et même poussé à la réduction de 10% par an des surfaces irriguées depuis 20 ans.

Bilan de l'opération : on s'enfonce d'année en année dans les problèmes, faute de comprendre qu'au lieu de réparer la fuite en ville on coupe la pompe dans les campagnes. Ceci a, de plus, de graves conséquences sur le climat, la biodiversité et notre sécurité alimentaire !

Les nappes phréatiques profondes sont alimentées par les nappes superficielles, elles mêmes alimentées par les pluies et c'est la végétation qui alimentent les pluies.

Le drainage de certaines surfaces agricoles ne pose pas de problème à condition que les fossés collecteurs soient raccordés à des bassins de rétentions pour utiliser l'eau l'été ou l'infiltrer dans les nappes. Les fossés ont été creusés pour capter les ruissellements et à ce titre ils ne doivent pas rejoindre les rivières ou de manière exceptionnelle.

Le cycle de l'eau comme régulateur du climat
On devrait remplacer le mot irrigation par « entretien du climat ». A surface égale, un champ irrigué l'été évapore autant d'eau qu'une foret de feuillus. Et, un champ irrigué ne pourra jamais utiliser plus d'eau l'été qu'il n'a reçu l'hiver.

Il faut savoir que la différence de température l'été entre un champ vert et un champ sec est de 20°C. Sur des millions d'hectares l'impact sur le climat est énorme. Depuis des années, la Nouvelle Aquitaine ressemble à un désert l'été pendant que les villes continuent à déverser de l'eau douce dans la mer (pour la métropole de Bordeaux, ça représente une moyenne annuelle de 1 millions de m3 par jour …de quoi irriguer 180 000 hectares).

Végétaliser et arroser l'été pour refroidir et hydrater est parfaitement normal; et, ne pas le faire pose problème. Pour cela, il faut anticiper le besoin en été et prévoir des réserves en conséquence l'hiver !

La moitié de l'énergie solaire est évacuée par l'évaporation de l'eau (entropie). Sans, la chaleur est stockée dans les sols et les canicules s'installent. Les villes commencent à comprendre qu'il faut végétaliser l'été; mais, en même temps, on laisse sécher des millions d'hectares de terres nourricières…

Le cycle de l'eau comme garant de la biodiversité et de la production alimentaire
La base de toutes les chaines alimentaires se trouve dans la biodiversité des sols. Les micro-organismes des sols sont indispensables à toute la vie sur la planète. Or, un sol sec, c'est un sol mort, c'est pourquoi il est indispensable de maintenir une couverture végétale vivante, sur les sols agricoles, l'été.

Ce principe est d'ailleurs imposé par la PAC, mais non respecté dans les pratiques, à cause d'une mauvaise gestion de l'eau. En laissant sécher les champs l'été, non seulement, on nuit gravement à notre sécurité alimentaire mais on coupe le cycle des pluies et les rivières sèchent.

Si les sols agricoles se minéralisent et se dégradent c'est par une exposition de plus en plus longue au soleil l'été. La température des sols peut monter à plus de 50°C ce qui est fatal aux micro-organismes. Ceci explique une grande partie de l'effondrement de la biodiversité; et, notamment des populations d'oiseaux qui sont insectivores. Dans le bocage de Gatine, il y a des haies, pas de labour et pas de pesticide; pourtant, la biodiversité disparait tous les étés sur des périodes de plus en plus longues. Même les éleveurs disparaissent !… Alors qu'il suffirait de pouvoir puiser dans les nappes phréatiques reconstituées par les infiltrations ou des réserves constitué par retenue des ruissellement de l'hiver. Il faut créer d'urgence les fameuses réserves collinaires évoquées par le Ministre de l'agriculture… Mais pas dans 10 ans, cet hiver !

On aura sauvé le climat et la biodiversité quand les campagnes seront vertes l'été. Nos saisons sont dictées par les forets de feuillus : les forets sont vertes l'été, il faut que nos champs le soient aussi !

Reprendre politiquement en considération le cycle de l'eau
On ne se soucie plus, au quotidien d'où vient l'eau et comment fonctionne le cycle de l'eau. On utilise l'eau, comme on consomme toutes sortes de ressources sans se soucier de leur renouvellement.

Le sujet du cycle de l'eau revient sur le tapi avec les perturbations qu'entrainent les erreurs commises dans sa gestion, comme nous venons de le voir. Le changement climatique accentue la gravité des conséquences de ces erreurs ; et, rend encore plus impératif la nécessité d'y remédier.

On ne peut pas dissocier climat, eau et biodiversité, tout est intimement lié. Pas d'eau pas de vie !

Pour trouver des leviers d'action, nous allons sortir de l'Hexagone et faire une excursion en Inde, dans la région du Rajastan, où la situation hydrique est précaire depuis bien plus longtemps qu'en France.

Lors de la colonisation par les Anglais, la gestion ancestrale, qui comprenait l'aménagement de bassins d'infiltration, a été abandonnée à la faveur de la création des réseaux de distribution d'eau et d'assainissement. Les Européens ont imposé leur technologie et leur insouciance à l'égard du cycle de l'eau.

Dans certaines régions, les nappes phréatiques sont devenues déficitaires, les cours d'eau se sont taris et les terres sont devenues progressivement arides… dans l'indifférence générale des technocrates et politiques en place. Jusqu'à ce que les populations locales, elles-mêmes, se retroussent les manches et remettent en place, avec les moyens du bord, les bassins de rétentions et d'infiltration que leurs ancêtres avaient prévus. Il a fallu un mouvement citoyen et solidaire pour rétablir en quelques années le cycle de l'eau (rechargement des nappes phréatiques superficielles et profondes, réalimentant les cours d'eau) qui a permis, à nouveau, de végétaliser les terres agricoles et rétablir leur production.

Cette gestion démocratique de la ressource en eau, c'est faite à l'insu du pouvoir en place, qui manifestement n'a ni la compétence pour animer un mouvement vraiment démocratique, ni la motivation même, car aucun prestige personnel, ni gain financier n'est à la clé.

Cette expérience est rapportée par Bénédicte Manier, journaliste dans son livre «Un million de révolutions tranquilles», paru en 2012 aux éditions Les Liens qui Libèrent. Cette expérience peut nous inspirer, si nous voulons nous agir pour la gestion des biens communs, dont l'eau, source de toute vie en est l'emblème.

Yves Robert et Denise, association Culture Nature 71

Illustrations : les béalières de l'Ardèche, source et droits Noz Infos. Le nom de ces systèmes d'irrigation traditionnelle vient du gaulois Bedul, qui a aussi donné le bief en langue d'oil. Ces petits canaux sillonnant les collines sont abreuvés par les eaux de pluie ou de rivière.

09/07/2020

Pas d'effet remarquable de petites centrales hydro-électriques sur les invertébrés de Galice (Martinez et al 2020)

Une recherche menée sur 7 cours d'eau de Galice au droit de centrales hydro-électriques trouve la présence de 10 ordres et 116 familles différentes d'invertébrés. Les observations montrent que selon les périodes de l'année, les taxons les plus sensibles se trouvent tantôt à l'amont, à l'aval ou dans le tronçon court-circuité. Ce résultat ne dégage pas d'impact notable des centrales. D'autre recherches ont déjà conclu que les invertébrés n'ont pas de réponse très marquée ni très prévisible aux ouvrages hydrauliques, mais sont en revanche bien plus sensibles aux pollutions.  


Des chercheurs espagnols ont analysé l'évolution des invertébrés en présence de centrales hydro-électriques sur 7 rivières de Galice  : Deva-Pontevedra, Deva-Ourense, Fragoso, Limia, Tea, Tuño et Tambre. Les 6 premières, situées dans le sud de la Galice, correspondent à la zone hydrographique de Miño-Sil, une région caractérisée par des hivers doux et des étés frais, un air humide, des nuages abondants et des précipitations fréquentes tout au long de l'année. Le fleuve Tambre, situé au nord-ouest de la Galice, fait partie de la zone hydrographique de la côte galicienne, caractérisée par un climat chaud et humide et des zones où les précipitations sont très abondantes.

Voici le résumé de leur recherche :

"Malgré l'importance fondamentale de l'énergie hydroélectrique pour le développement socio-économique, la présence de centrales hydroélectriques entraîne des modifications à grande échelle du régime d'écoulement naturel des rivières et influence profondément les processus aquatiques et la biodiversité. Cette étude évalue l'impact saisonnier des petites centrales hydroélectriques en analysant et en mesurant la composition des communautés de macro-invertébrés. 

Nos objectifs étaient (1) d'examiner si l'abondance et la richesse des macro-invertébrés benthiques varient en fonction des altérations de la rivière, (2) d'identifier les familles de macro-invertébrés les plus sensibles à l'extraction d'eau par impact d'une centrale hydroélectrique, et (3) de déterminer s'il existe une composante saisonnière dans la régulation des rivières qui influe sur les communautés de macro-invertébrés. 

Un échantillon de 167 848 individus a été prélevé sur 6 embranchements différents et 10 ordres d'Arthropodes, représentant 116 familles de macro-invertébrés, dont la distribution et l'abondance dépendaient de la rivière, du moment et du site d'échantillonnage. Les éphéméroptères, les diptères, les trichoptères, les coléoptères et les plécoptères étaient les ordres les plus représentatifs à toutes les saisons de l'année, et possédaient également les familles les plus abondantes (Baetidae, Caenidae, Chironomidae et Simuliidae). 

Les taxons les plus abondants n'ont pas connu de grandes variations en automne et en hiver, mais les variations étaient importantes au printemps et en été. Nos résultats indiquent des différences dans l'abondance et la richesse des macro-invertébrés dans les systèmes aquatiques impactés par les centrales hydroélectriques et un processus de rétablissement en aval, où le niveau de l'eau et les habitats ne sont pas affectés négativement par ces centrales."

Ce schéma montre les 3 points d'échantillonnage à chaque station : contrôle dans une zone amont non impactée (1), analyse du tronçon court-circuité par le barrage (2) et zone aval de l'eau restituée (3).


Extrait de Martinez et al 2020, art cit.

Ce graphique montre la présence des taxons les plus sensibles à quatre saisons, selon la zone d'échantillonnage (gris foncé le contrôle amont, gris clair le tronçon du barrage, gris moyen l'aval du canal de restitution).


Extrait de Martinez et al 2020, art cit.

On voit des variations, mais sans unité au long de l'année, avec des taxons sensibles pouvant être plus abondant dans les différentes zones selon la période.

Les chercheurs notent : "Dans notre étude, les variations d'abondance des familles les plus sensibles semblent suivre un schéma spécifique, les distributions ne changeant qu'en fonction de la saison où elles ont été échantillonnées. Les tronçons moyens et inférieurs des rivières abritaient généralement des taxons plus tolérants aux perturbations environnementales (Rosenberg & Resh 1993, Benítez-Mora & Camargo 2014), ce qui coïncide avec les résultats de l'automne (Fig. 4) où les résultats montrent un faible pourcentage de familles sensibles en allant vers la restitution. En revanche, en hiver et au printemps, les valeurs les plus élevées pour les familles sensibles ont été enregistrées en aval des centrales hydroélectriques. Certains auteurs (Anderson et al., 2015 ; Feld et al., 2014) suggèrent que ces phénomènes peuvent être dus à une diversité accrue des habitats associée à des altérations anthropiques, en raison de la fourniture d'habitat, d'espace, de nourriture et de protection affectant la distribution et l'abondance des invertébrés lotiques (Álvarez-Troncoso et al 2015). En revanche, en été, les familles sensibles se trouvaient principalement dans la partie centrale des rivières, ce qui corrobore l'étude de Buss et al (2004), qui indique que, lors de l'échantillonnage en été, en raison du gradient du débit, l'abondance et la diversité des familles étaient plus élevées dans les zones plus proches du barrage que dans les autres zones. Cela peut s'expliquer par le fait que dans certaines zones en amont, les communautés sont trop proches du barrage pour être caractérisées par des conditions lentiques plutôt que lotiques, ce qui donne de nombreuses options différentes pour les microhabitats et la diversité. L'aval est différent et certaines études (Lobera et al 2015 & Lobera et al  2016 ;) ont fait remarquer qu'il y a un effet de charges sédimentaires élevées et des débits moins recruteurs, entraînant une accumulation de sédiments fins ; cette aggradation réduit la richesse en taxons, la diversité et la densité des macroinvertébrés, et seules les espèces tolérantes aux sédiments peuvent augmenter."

Enfin, les auteurs notent à propos de l'analyse statistique des indices de diversité locale entre saisons et entre sites de mesure : "En termes de valeurs de dissimilarité (tableau 1), la proportion de familles plus sensibles n'a atteint que 51% du total. En hiver, au printemps et en été, il y a eu une augmentation constante de ces communautés de l'amont à l'aval, tandis que l'inverse s'est produit en automne. En général, il n'y avait pas suffisamment de preuves pour déterminer que les petites centrales hydroélectriques affectaient négativement les communautés de macro-invertébrés les plus sensibles. L'analyse de l'impact possible des saisons ou des sites a révélé des différences dans la composition des communautés de macro-invertébrés et montre une grande variabilité au sein des groupes. L'impact possible des centrales hydroélectriques sur les communautés de macro-invertébrés n'était pas concluant".

Discussion
Les recherches sur les invertébrés en lien avec les petits ouvrages hydrauliques sont rares, et donnent toujours des résultats contrastés, difficiles à interpréter (voir la méta-analyse de Mbaka et Mwaniki 2015). De plus, les habitats concernés peuvent être différents, une usine hydro-électrique en activité n'étant pas un moulin sans production, un plan d'eau ou un étang (voir par exemple Four el 2019 sur le cas d'un étang). Une étude française a montré que les invertébrés répondent bien moins à la morphologie qu'à la pollution (Corneil et al 2018).

Cette recherche espagnole confirme la complexité d'interprétation des résultats. Si une écologie spécialisée discerne des variations locales intéressantes, on ne peut dire que l'abondance des taxons et la variation de leur répartition au fil de l'an témoignent d'un impact très grave sur la biodiversité des invertébrés au droit des petites centrales hydro-électriques. Cela pose à nouveau selon nous la nécessité d'une meilleure communication des résultats de recherche en écologie, afin de hiérarchiser les impacts et les interventions. En soi, toutes les activités humaines modifient des peuplements locaux, mais les citoyens et les décideurs ont besoin d'estimer l'importance relative des impacts.

Référence :Martinez Y et al (2020), Impact of small-scale hydropower stations on macroinvertebrate communities for regulated rivers, Limnetica, 39, 1, 317-334

08/07/2020

C'est l'été, pensez à respecter le débit minimum biologique des rivières

Comme chaque année, nous rappelons les obligations des propriétaires de moulins, étangs, canaux. Les étiages s'installent sur les rivières, avec les plus faibles débits de l'année jusqu'à septembre, voire octobre. Pour les propriétaires d'un ouvrage hydraulique, il s'agit de la période critique pour respecter le débit minimum biologique (ancien débit réservé), visant à laisser en priorité une quantité suffisante d'eau dans le tronçon naturel des rivières. Explications et tableau des débits sur une quarantaine de stations sur les rivières de Nord Bourgogne, bassin séquanien.

Depuis le 1er janvier 2014, tous les barrages en rivière (seuils, chaussées, déversoirs et autres prises d'eau) doivent laisser un débit minimum biologique (DMB) de 10% du module (débit moyen) dans le lit de la rivière. Le loi le précise dans l'article L 214-18 du du code de l'environnement :

"Tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l'installation de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, des dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d'amenée et de fuite.
Ce débit minimal ne doit pas être inférieur au dixième du module du cours d'eau en aval immédiat ou au droit de l'ouvrage correspondant au débit moyen interannuel, évalué à partir des informations disponibles portant sur une période minimale de cinq années, ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage, si celui-ci est inférieur. Pour les cours d'eau ou parties de cours d'eau dont le module est supérieur à 80 mètres cubes par seconde, ou pour les ouvrages qui contribuent, par leur capacité de modulation, à la production d'électricité en période de pointe de consommation et dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat pris après avis du Conseil supérieur de l'énergie, ce débit minimal ne doit pas être inférieur au vingtième du module du cours d'eau en aval immédiat ou au droit de l'ouvrage évalué dans les mêmes conditions ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage, si celui-ci est inférieur. Toutefois, pour les cours d'eau ou sections de cours d'eau présentant un fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d'un débit minimal dans les conditions prévues ci-dessus, le débit minimal peut être fixé à une valeur inférieure."

Ce DMB remplace l'ancien débit réservé, qui était parfois du 1/40e (soit 2,5% du débit moyen) sur les petites installations. Exemple numérique : si la rivière a un module de 3 m3/s au droit de votre ouvrage, vous devez faire en sorte qu'il reste en permanence 0,3 m3/s soit 300 litres par seconde (10%) à l'aval immédiat du seuil, dans le tronçon court-circuité du cours d'eau.

Cette exigence est particulièrement sensible vers l'étiage, puisque c'est à cette époque que le stress hydrique est le plus marqué pour les espèces aquatiques. S'il n'y a plus assez d'eau dans la rivière pour atteindre les 10%, celle-ci doit primer sur le bief et conserver tout son débit disponible dans le lit mineur.

La loi prévoit cependant la possibilité d'un "fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d'un débit minimal". Le cas se pose notamment sur certaines rivières de terrains karstiques présentant des pertes en été (voir cet exemple problématique). En ce cas, la rivière peut se trouver en situation d'assecs, donc de discontinuités hydriques et biologiques. Dans la mesure où les biefs anciens des moulins ont parfois des fonds étanchés à l'argile, et une hauteur d'eau plus importante que celle de la rivière, il peut être intéressant pour la sauvegarde locale des espèces aquatiques de privilégier le maintien en eau du bief. C'est une appréciation au cas par cas qui doit prévaloir, après examen de la situation du tronçon par la police de l'eau.

La valeur de 10% est un plancher ("pas être inférieur"). L'administration peut estimer qu'un DMB supérieur à 10% du module est souhaitable. Toutefois, cette demande doit faire l'objet d'une motivation de la part des services administratifs, montrant qu'elle est justifiée hydrologiquement et biologiquement, proportionnée à l'effet attendu, conforme à ce qui se pratique sur des rivières similaires, ne produisant pas de nuisances aux tiers et aux milieux, ne représentant pas une entorse exorbitante à la consistance légale autorisée dans le droit d'eau de l'ouvrage. Un simple courrier de l'AFB ou de la DDT-M ne suffit pas, il faut un dossier de la part de l'administration.



Pour vous aider à apprécier le débit minimum biologique, ce tableau donne les valeurs des modules et des DMB sur les stations de mesure hydrologique des bassins Seine et Yonne, en Nord-Bourgogne. Vous pouvez trouver les valeurs en temps réel des débits de certaines stations sur le site Vigicrues.

Il est complexe de connaitre le débit moyen de la rivière au droit d'un ouvrage hydraulique en particulier. Une approximation grossière est de situer le barrage ou le seuil par rapport à la station de mesure (cf fiches d'identité des stations sur la banque Hydro), de prendre la distance à la source (de l'ouvrage, de la station), de faire une règle de trois. Mais cela ne permet pas de prendre en compte les emplacements des affluents, des résurgences, etc. faisant que le débit ne croît pas de manière linéaire de la source à l'exutoire d'une rivière. Sur les rivières disposant de plusieurs stations, on peut faire la moyenne entre les deux stations les plus proches amont / aval en pondérant par la position du barrage par rapport à ces stations, ce qui est déjà un peu plus réaliste. Dans le doute, le propriétaire doit demander à la DDT-M de son département, à la DREAL de la région ou au syndicat de rivière une estimation du module de la rivière au droit de l'ouvrage, et en déduire lui-même le DMB.

Enfin, dans la mesure où de nombreux biefs anciens se sont "renaturés" au fil du temps et abritent eux aussi du vivant, il serait intéressant de réfléchir pour l'avenir à une évolution législative où l'on peut prévoir une quantité minimale d'eau attribuée à ces canaux également, pour assurer la survie de leurs habitants. La gestion écologique des milieux doit être fondée sur le cas par cas, l'information et la responsabilité de chacun.

A lire sur ce thème:
Un guide Onema pour le débit minimum biologique

06/07/2020

Le rôle historique des pollutions chimiques dans le blocage des poissons migrateurs de la Seine (Le Pichon et al 2020)

Attention une discontinuité peut en cacher une autre! Si certaines barrières physiques bloquent des poissons migrateurs à capacité insuffisante de nage et de saut pour les franchir, il en va de même avec des barrières de pollution chimique. Dans une étude passionnante d'histoire environnementale, des chercheurs français montrent que dans la seconde moitié du 20e siècle, la Seine était tellement polluée et pauvre en oxygène à l'aval de Paris que le parcours remontant des saumons, aloses et lamproies depuis l'estuaire était de toute façon compromis, d'autant que les barrages de navigation avaient des passes à poissons peu fonctionnelles. L'amélioration de la qualité de l'eau et la construction de nouvelles générations de passes à poissons permettent aujourd'hui le retour (encore timide) de migrateurs. Une bonne nouvelle, mais aussi une sérieuse relativisation de l'impact des ouvrages, surtout les petits ouvrages de l'hydraulique ancienne qui n'empêchaient pas la présence de migrateurs en amont de Paris, jusqu'au 19e siècle. En Seine-Normandie comme ailleurs, une eau de qualité doit être le premier objectif pour les humains, pour les poissons migrateurs comme pour le reste du vivant. 



La Seine de Paris à la mer, zone étudiée par les scientifiques, extrait de Le Pichon et al 2020, art cit. 

Céline Le Pichon et ses collègues (INRAE laboratoire Hycar, Sorbonne Université unité Metis), dont nous avions déjà recensé des travaux, s'intéressent à l'histoire de la continuité physique et chimique dans le bassin de la Seine. Leur travail, fondé sur l'exploration des archives des poissons migrateurs et la modélisation, aboutit à des observations particulièrement intéressantes.

En voici le résumé :

"Pour comprendre le sort à long terme des assemblages de poissons dans le contexte du changement global et pour concevoir des mesures efficaces de restauration dans la gestion des rivières, il est essentiel de considérer la composante historique de ces écosystèmes. Le bassin de la Seine, impacté par l'homme, est un cas pertinent qui a connu l'extinction des poissons diadromes au cours des deux derniers siècles et a récemment assisté à la recolonisation de certaines espèces. Un enjeu clé est de comprendre l'évolution historique de l'accessibilité de l'habitat pour ces espèces migratrices. 

Grâce à la disponibilité unique de sources historiques, principalement manuscrites de plusieurs types (projets d'ingénierie fluviale, cartes de navigation, bases de données papier sur l'oxygène, etc.), nous avons documenté et intégré, dans une base de données associée à un système d'information géographique, les modifications des barrières physiques et chimiques dans la Seine de la mer à Paris pour trois périodes (années 1900, 1970 et 2010). L'impact potentiel de ces changements sur les parcours de trois espèces migratrices qui ont des comportements migratoires différents - le saumon de l'Atlantique, l'alose et la lamproie marine - a été évalué par modélisation de la connectivité écologique, en utilisant une approche au moindre coût qui intègre la distance, les coûts et les risques liés aux obstacles. 

Nous avons constaté que l'accessibilité était contrastée entre les espèces, soulignant le rôle crucial du type de migration, de la période et du niveau de tolérance aux faibles valeurs d'oxygène dissous. La plus grande perturbation de la connectivité écologique était visible dans les années 1970, lorsque les effets de grandes zones hypoxiques étaient aggravés par ceux des déversoirs de navigation infranchissables (c.-à-d. sans passes à poissons). Étant donné que l'approche a révélé la contribution relative des barrières physiques et chimiques à la connectivité fonctionnelle globale, elle peut constituer un travail modèle pour évaluer le fonctionnement des grands écosystèmes fluviaux."

En 1850, les poissons migrateurs remontaient encore jusqu'assez haut dans les bassins de la Cure, de l'Aisne ou de la Marne. Cette carte montre les zones concernées en 1850 (bleu) et celles reconquises en 2018.


Extrait de Le Pichon et al 2020, art cit.

Pour rendre la Seine navigable, rehausser son cours par rapport au lit, des barrages ont été construits à partir du 19e siècle, soit avec des systèmes à aiguilles pour les plus anciens, soit avec des vannes et écluses pour les plus récents. Au total, cela représente environ 25 m de chute aménagée entre Paris et l'estuaire. Il y avait 10 ouvrages en 1900, réduits à 7 par la suite. La plupart de ces ouvrages ont été aménagés avec des passes dès le début du 20e siècle, qui ont été modernisées entre 1991 et 2017. Les premières passes n'étaient pas forcément fonctionnelles par rapport aux capacités des poissons concernés.

Ce schéma indique l'évolution des barrières physique (barrages de navigation et régulation, avec une centrale hydro-électrique) de la Seine entre 1900 et aujourd'hui, ainsi que leurs dispositifs de franchissement, extrait de Le Pichon et al 2020, art cit.



Lors de leur installation au 19e siècle, ces barrières physiques sans système de franchissement pour les poissons ont entraîné un déclin des migrateurs, comme le rappellent les chercheurs : "Au cours de la période 1850–1881, les déversoirs Martot et Amfreville / Poses les plus en aval (hauteur cumulée de 6,8 m sur 20 km seulement) sont connus pour avoir eu un impact majeur en réduisant l'accessibilité d'une grande partie du bassin. La construction des 12 premiers déversoirs de navigation (1846-1869), le retard de la plupart des constructions d'échelles à poisson (1880-1903) et leur faible efficacité ont conduit à l'effondrement des stocks de saumon de l'Atlantique dans les années 1900 et à la disparition de l'alose dans les années 1920".

Mais les barrières physiques ne sont pas tout. La migration demande des eaux de qualité, notamment en terme d'oxygène dissout (DO). Les seuils de 3, 4 et 6 mg/l sont considérés comme critique pour respectivement la lamproie, l'alose et le saumon. Cette mesure a été faite sur la Seine à partir de 1871 par le département chimique de l'Observatoire de Montsouris (22 stations de Paris à Rouen), puis par l'Agence de l'eau à compter de 1964 (41 stations de Paris à Honfleur). Or, suite aux pollutions massives ayant accompagné les 30 glorieuses et notamment les phase d'eutrophisation par phosphates et nitrates non traités, la qualité chimique de la Seine a été lourdement altérée.

Dans les années 1970, une large proportion des tronçons aval de la Seine formait ainsi des barrières chimiques. Cette infographie montre les niveaux à 2 périodes, avec l'exemple (en bas) des blocages du saumon par hypoxie dans les années 1970, extrait de Le Pichon et al 2020, art cit.



Les chercheurs rappellent cette période : "La perturbation cumulative de la connectivité écologique la plus élevée a été observée dans les années 1970 en raison du boom de l'après-guerre avec une période de forte industrialisation. La barrière chimique à longue distance dans l'estuaire de la Seine (et bien d'autres le long de la rivière) a concouru à la rénovation et à l'élévation des barrages sans passes à poissons, expliquant ainsi ce résultat. Le très faible niveau d'OD dans l'estuaire de la Seine était principalement lié aux apports de son bassin versant amont. Dans les années 1970, plus de la moitié des eaux usées produites par Paris étaient rejetées dans la Seine sans traitement. Des affluents comme l'Oise ne jouent plus le rôle de réoxygénation de la Seine. La modification de la qualité de l'eau était telle que l'extinction des espèces était considérée comme irréversible et l'idée de maintenir et de reconstruire les passes à poissons était abandonnée."

La continuité physique et chimique s'est aujourd'hui améliorée pour les saumons, aloses et lamproies. Comme l'observent Céline Le Pichon et ses collègues : "Dans les années 2010, des conditions d'oxygénation favorables ont été observées pour les trois espèces, et toutes les périodes de migration parallèlement à la construction d'une nouvelle génération de passes à poissons efficaces. Nos résultats confirment la tendance récente à l'absence de nouvelles périodes anoxiques longues dans la Seine et son estuaire depuis 2007 [61], conséquence des progrès réalisés dans les années 1990 en matière de traitement des eaux usées suite à la loi sur l'eau (1964). Dans le même temps, la loi sur la pêche de 1984 a relancé la construction de passages à poissons. Les «contrats de retour aux sources», qui proposaient les premiers plans de gestion des poissons migrateurs, ont été mis en place, et plusieurs associations de poissons migrateurs dans les bassins fluviaux français ont été créées. Dans ce contexte, une étude a défini la stratégie de retour du saumon atlantique sur la Seine au début des années 1990 [74], et le premier passage à poissons de Poses a été construit en 1991. La DCE de l'Union européenne et le Plan national pour la continuité écologique (2010) vient conforter ce tournant, et le renouvellement de la construction des passes à poissons s'est déployé lors de la récente rénovation des barrages de navigation. L'amélioration récente de l'accessibilité des voies de migration a très récemment conduit à la recolonisation spontanée de la Seine par des individus d'espèces de poissons migrateurs."

Les chercheurs concluent à la nécessité de développer des modèles historiques des bassins versants, dans lesquels la question climatique devra être prise en compte: "Un enjeu important pour la gestion durable des bassins fluviaux en Europe est d'intégrer les futurs scénarios de changement global. Le changement climatique aura des effets importants sur le bassin de la Seine, notamment en modifiant son régime d'écoulement. Cela affectera à son tour la future connectivité écologique des espèces qui recolonisent maintenant le bassin de la Seine. Par conséquent, la modélisation de ces effets est importante pour guider les futures actions de gestion. Les projections de la répartition des espèces en Europe et les scénarios d'évolution de la température dans le bassin de la Seine suggèrent la dimension favorable potentielle du bassin pour les aloses mais décroissante pour les salmonidés. Dans ce contexte, la priorisation des efforts de restauration de la connectivité écologique pourrait également consister à privilégier les affluents plus frais et les parties amont de la Seine, de l'Oise et de la Marne."

Discussion
Ce travail de recherche confirme les observations faites par de nombreux riverains âgés que nous avons interrogés, et qui situent tous le tournant de dégradation des eaux vers les années 1960-1970, sans lien particulier à des ouvrages en rivière (en tête de bassin), mais en lien direct avec les 30 glorieuses, les changements agricoles (mécanisation, engrais, début des pesticides), la consommation et la production de masse de nombreux produits incluant des composés de synthèse (voir les travaux sur la "grande accélération" de l'Anthropocène). Des travaux précurseurs menés vers cette même époque par des hydrobiologistes de tête de bassin versant, comme Jean Verneaux en Franche Comté, avaient aussi pointé en direction des dégradations chimiques pour expliquer la chute des taxons polluo-sensibles de poissons et d'insectes, même non migrateurs. Le rôle majeur des pollutions apparaît encore dans les analyses récentes d'hydro-écologie quantitative, qui placent les polluants et les usages des bassins versants en tête des facteurs explicatifs de baisse de qualité biologique des eaux (voir cette synthèse)

La position défendue par les associations de riverains sur ce sujet est donc confortée :

  • traiter en priorité les pollutions chimiques et physico-chimiques afin d'avoir des eaux et des sédiments de qualité (mais aussi de respecter nos obligations européennes),
  • assurer la ressource quantitative en eau, qui va être sous pression du climat, des usages et de la démographie des bassins versants,
  • traiter les ouvrages hydrauliques au cas par cas, sur des rivières à espèces migratrices avérées à l'aval et avec zone amont propices à la reproduction, en choisissant des solutions "douces" et efficaces de franchissement, 
  • mener cette politique de manière raisonnable et ciblée, car les poissons migrateurs sont loin de résumer toute la biodiversité aquatique, ne pourront probablement pas retrouver toute leur expansion passée et ne doivent pas absorber des fonds publics disproportionnés alors que l'écologie de la conservation a de nombreux autres enjeux.

Référence : Le Pichon C et al (2020 ), Historical changes in the ecological connectivity of the Seine river for fish: A Focus on physical and chemical barriers since the Mid-19th Century, Water, 12, 1352

05/07/2020

Face à la négation de la démocratie riveraine par les administrations, chacun doit devenir un gardien des rives et des eaux

Colère, indignation : la publication du décret et de l'arrêté du 30 juin 2020 suscite de nombreuses émotions négatives chez les amoureux des rivières et de leurs patrimoines. Il faut comprendre son sens politique : de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère à la réforme "GEMAPI" et à ses maîtres d'ouvrages publics, on assiste à l'éviction complète de la démocratie des rivières au profit d'une gestion administrative et technocratique. On veut décider de la vie des gens en appuyant sur des boutons dans des bureaux. Cette tentative de coup de force doit avoir pour réponse la ré-affirmation par les citoyens et leurs élus locaux de la volonté de protéger leurs cadres de vie et la capacité démocratique à choisir ces cadres de vie, dans une perspective de développement local, partagé et durable. Cet engagement de chacun est le préalable à un changement des règles du jeu pour sortir d'un régime sclérosé et égaré n'ayant peu à peu de démocratique que les apparences formelles. Soutenez et rejoignez partout les associations et les collectifs qui s'engagent pour leurs rivières, leurs patrimoines, leurs usages, leurs vies humaines comme non-humaines.

Le décret et l'arrêté du 30 juin 2020 parachèvent les réformes de la technostructure de l'eau visant à imposer des dogmes et des arbitrages entre puissants avec un strict minimum de débat et, le cas échéant, de résistance démocratique sur le terrain. Supprimer la publicité des chantiers et l'enquête publique, c'est faire taire les citoyens critiques des politiques publiques de destruction des ouvrages et de leurs milieux.

Voici le schéma simplifié de cette hydrocratie :



L'objectif de l'administration en France est la régulation et la bureaucratisation centrales de la gestion de l'eau sur tout le territoire, y compris les rivières non domaniales. C'est cette administration qui tient les rênes, bien davantage que les politiques (surtout au ministère de l'écologie dont les ministres changent tout le temps). C'est elle qui produit un cadre d'expertise où les choix politiques sont déjà intégrés dans les outils et métriques présentés de manière trompeuse comme "neutres" et "objectifs". Si vous ne cochez pas les cases fixées à l'avance, alors vous pensez et agissez mal.

La réforme territoriale et la création de la compétence GEMAPI (gestion de l'eau, milieux aquatiques, prévention des inondations) allaient déjà dans ce sens. D'un côté, il s'agissait d'une mutualisation et rationalisation des moyens, ce que l'on peut entendre par souci de cohérence sur un bassin. Mais d'un autre côté, en raison de sa complexité normative et de son coût financier, cette compétence GEMAPI échappe aux communes pour aller aux intercommunalités et, le plus souvent, à des syndicats de bassins versants (EPAGE, EPTB) qui regroupent des dizaines à des centaines de communes.

Or cette évolution participe elle-même de la confiscation technocratique :
  • le niveau immédiat de perception et discussion des cadres de vie de la commune est effacé au profit du bassin comme niveau de gestion et décision,
  • les techniciens et administratifs prennent peu à peu le pouvoir sur les politiques, car la surenchère de normes rend la complexité ingérable pour des petites collectivités,
  • les budgets de la GEMAPI et leur mise en oeuvre sont étroitement contrôlés par les administrations publiques des agences de l'eau, de l'OFB, de la DDT-M ou des Dreal de bassin, il n'y a presqu'aucune liberté réelle dans les choix,
  • les instances de contrôle démocratique théorique de ce dispositif normatif et financier (comité de bassin des SDAGE, commission locale de l'eau des SAGE) sont sans réel pouvoir d'évaluation et donc d'objection, outre que leurs membres sont nommés par le préfet (ce qui est le niveau le plus médiocre d'une démocratie, un contrôle direct par l'exécutif des paroles recevables),
  • l'administration tend partout à favoriser la discussion parallèle avec les lobbies les plus puissants en vue de la fixation des règles, ce qui exclut les plus faibles (à commencer par chaque citoyen) et la pleine publicité des enjeux discutés.  
Dans le domaine de l'eau comme en d'autres, la France semble souffrir d'une sorte d'étrange sécession de l'administration publique, estimant qu'elle doit conduire les affaires en perdant un minimum de temps avec les débats politiques comme avec les attentes sociales, préférant des discussions opaques de coursive.

Nous serons chaque rivière qui se défend
La réponse sera symétrique . Le mouvement des riverains attachés à défendre démocratiquement les patrimoines, héritages et usages de l'eau doit se réapproprier les enjeux dont on veut le priver, en particulier avec le nouveau décret scélérat :
  • le citoyen (avec son élu local) peut et doit contrôler l'usage de l'argent public, notamment sur un bien privé,
  • le citoyen (avec son élu local) peut et doit avoir des garanties sur les conséquences des changements d'écoulement,
  • le citoyen (avec son élu local) peut et doit s'assurer que les travaux ne détruisent pas des milieux aquatiques et humides, des espèces localement intéressantes, des paysages et des patrimoines,
  • le citoyen (avec son élu local) peut et doit veiller à ce que la dépense de l'eau vise la qualité de l'eau.
Pour ces enjeux, il nous faut des outils permettant des interventions de nature juridique et politique. Tout citoyen ou toute association peut signaler au juge une infraction aux lois. Toute commune peut si besoin se retirer d'un syndicat et reprendre la gestion de l'eau sur son territoire. Il n'y a pas de fatalité à subir une servitude, il y a un devoir à la dénoncer.

A la colère et à l'indignation doivent donc succéder la méthode et la détermination : on ne fera pas reculer l'abus de pouvoir par sa déploration, mais par sa dénonciation, y compris devant la justice; on ne fera pas reculer la captation des pouvoirs par une technocratie sans la remise en cause directe des technocrates qui ont planifié cette confiscation de pouvoir. C'est en ce sens que Hydrauxois conçoit son action. C'est en ce sens que nous avons co-fondé la coordination nationale Eaux & rivières humaines, qui rassemble déjà des dizaines d'associations, collectifs et syndicats partageant le même diagnostic et la même volonté d'agir.

Nota aux associations : première réponse, une requête en annulation contre le décret scélérat sera déposée dans les deux mois au conseil d'Etat. Pour y participer, pensez selon vos statuts à organiser une délibération du CA ou de l'assemblée générale. Et contactez-nous.