17/08/2021

Cycle de l'eau et changement climatique, ce que dit le 6e rapport du GIEC

Le groupe 1 des chercheurs du GIEC, rassemblant les physiciens et modélisateurs du climat, vient de publier son 6e rapport sur le changement climatique. Nous traduisons ici le résumé des connaissances concernant le cycle de l'eau. La prise en compte de l'évolution climatique – pour prévenir le réchauffement et pour s'adapter à ses effets déjà non-évitables – est en train de devenir un impératif des politiques publiques. Ce qui aura des conséquences sur la gestion des rivières, comme nous l'exposerons dans un autre article.


Le résumé des travaux du GIEC, paru en ce mois d'août 2021, est produit par les chercheurs et approuvé par les Etats, ce qui lui donne un poids à la fois politique et scientifique. Le rapport montre que les émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines ont élevé les températures d’environ 1,1 °C depuis la période 1850-1900 et conclut que la température mondiale, en moyenne sur les 20 prochaines années, devrait atteindre ou franchir le seuil de 1,5 °C. 

En l'absence d'une politique drastique de réduction des émissions carbone, le réchauffement moyen au cours du siècle pourrait atteindre 4°C, avec des valeurs plus importantes pour les terres qui se réchauffent plus vite que les océans. Au-delà des moyennes, ces valeurs indiquent une plus haute fréquence ou intensité de phénomènes extrêmes qui sont liés à un surcroît d'énergie et d'eau dans le système atmosphérique (vagues de chaleur, tempêtes et cyclones, pluies extrêmes, etc.). De tels épisodes ont des coûts matériels, économiques et humains pour les populations qui les subissent, en particulier les plus fragiles. 

La température modifie le cycle de l'eau, qui a une dimension critique pour les sociétés humaines et pour les milieux naturels. Nous publions ci-dessous les extraits du résumé technique du rapport GIEC concernant ce cycle. 


Extrait du résumé technique du 6e rapport du GIEC, 2021
(version encore sujette à ajustements de détail avant publication définitive)

Un réchauffement plus important des terres modifie les principales caractéristiques du cycle de l'eau. Le taux de changement des précipitations moyennes et du ruissellement, et leur variabilité, augmentent avec le réchauffement climatique. La majorité de la superficie des terres a connu une diminution de l'eau disponible pendant les saisons sèches en raison de l'augmentation globale de l'évapotranspiration (degré de confiance moyen). La superficie des terres affectées par l'augmentation de la fréquence et de la gravité des sécheresses s'étendra avec l'augmentation du réchauffement climatique (degré de confiance élevé). Il est peu probable que l'augmentation de l'efficacité de l'utilisation de l'eau par les plantes due à une concentration plus élevée de CO2 dans l'atmosphère atténue les sécheresses agricoles et écologiques extrêmes dans des conditions caractérisées par une humidité limitée du sol et une demande d'évaporation atmosphérique accrue.

La couverture neigeuse printanière de l'hémisphère Nord a diminué depuis au moins 1978 (degré de confiance très élevé), et il y a une forte confiance que les tendances de la perte de couverture neigeuse remontent à 1950. Il est très probable que l'influence humaine ait contribué à ces réductions. Le début plus précoce de la fonte des neiges a contribué à des changements saisonniers du débit (degré de confiance élevé). Une nouvelle diminution de l'étendue de la couverture neigeuse saisonnière de l'hémisphère nord est pratiquement certaine dans le cadre d'un nouveau réchauffement climatique.

La fréquence et l'intensité des événements de fortes précipitations ont augmenté dans la majorité des régions terrestres avec une bonne couverture d'observation depuis 1950 (degré de confiance élevé). L'influence humaine est probablement le principal moteur de ce changement. Il est extrêmement probable que sur la plupart des continents, les fortes précipitations deviendront plus fréquentes et plus intenses avec un réchauffement climatique supplémentaire. L'augmentation prévue des fortes précipitations extrêmes se traduit par une augmentation de la fréquence et de l'ampleur des crues pluviales (degré de confiance élevé).

La probabilité d'événements extrêmes composés a probablement augmenté en raison du changement climatique induit par l'homme Les vagues de chaleur et les sécheresses simultanées sont devenues plus fréquentes au cours du siècle dernier, et cette tendance se poursuivra avec un réchauffement global plus élevé (degré de confiance élevé). La probabilité d'inondations composites (onde de tempête, précipitations extrêmes et/ou débit fluvial) a augmenté dans certains endroits et continuera d'augmenter en raison à la fois de l'élévation du niveau de la mer et de l'augmentation des fortes précipitations, y compris les changements d'intensité des précipitations associés aux cyclones tropicaux ( grande confiance).

Au cours du siècle dernier, il y a eu un déplacement vers les pôles et vers le haut de la répartition de nombreuses espèces terrestres (degré de confiance très élevé) ainsi que des augmentations du renouvellement des espèces dans de nombreux écosystèmes (degré de confiance élevé). Il existe un degré de confiance élevé dans le fait que la répartition géographique des zones climatiques a changé dans de nombreuses régions du monde au cours du dernier demi-siècle. Le raport spécial sur le changement climatique dans les terres (SRCCL) a conclu que le réchauffement continu exacerbera les processus de désertification (degré de confiance moyen) et les écosystèmes deviendront de plus en plus exposés à des climats au-delà de ceux auxquels ils sont actuellement adaptés (degré de confiance élevé). On a une confiance moyenne dans le fait que le changement climatique augmentera les perturbations par (par exemple) les incendies et la mortalité des arbres dans plusieurs écosystèmes. Des augmentations sont prévues de la sécheresse, de l'aridité et des incendies dans certaines régions (degré de confiance élevé). Il existe une faible confiance dans l'ampleur de ces changements, mais la probabilité de franchir des seuils régionaux incertains (p. La réponse des cycles biogéochimiques à la perturbation anthropique peut être abrupte à l'échelle régionale et irréversible à l'échelle de la décennie au siècle (degré de confiance élevé).

Cycle de l'eau

Le changement climatique d'origine humaine a entraîné des changements détectables dans le cycle mondial de l'eau depuis le milieu du XXe siècle (degré de confiance élevé), et il devrait provoquer d'autres changements substantiels à l'échelle mondiale et régionale (degré de confiance élevé). Les précipitations terrestres mondiales ont probablement augmenté depuis 1950, avec une augmentation plus rapide depuis les années 1980 (degré de confiance moyen). La vapeur d'eau atmosphérique a augmenté dans toute la troposphère depuis au moins les années 1980 (probablement). Les précipitations terrestres annuelles mondiales augmenteront au cours du 21e siècle à mesure que la température de surface mondiale augmentera (degré de confiance élevé). L'influence humaine a été détectée dans les modèles d'amplification de salinité de surface et de précipitation minus évaporation (P-E) au-dessus de l'océan (degré de confiance élevé). La gravité des événements très humides et très secs augmente dans un climat qui se réchauffe (degré de confiance élevé), mais les changements dans les schémas de circulation atmosphérique affectent où et à quelle fréquence ces extrêmes se produisent. La variabilité du cycle de l'eau et les extrêmes connexes devraient augmenter plus rapidement que les changements moyens dans la plupart des régions du monde et dans tous les scénarios d'émission (degré de confiance élevé). Au cours du 21e siècle, la superficie totale des terres sujettes à la sécheresse augmentera et les sécheresses deviendront plus fréquentes et plus graves (degré de confiance élevé). Les changements projetés à court terme dans les précipitations sont incertains principalement en raison de la variabilité interne, de l'incertitude du modèle et de l'incertitude des forçages causés par les aérosols naturels et anthropiques (degré de confiance moyen). Au cours du 21e siècle et au-delà, des changements brusques d'origine humaine dans le cycle de l'eau ne peuvent être exclus (degré de confiance moyen).

Il existe un degré de confiance élevé dans le fait que le cycle mondial de l'eau s'est intensifié depuis au moins 1980, ce qui s'exprime, par exemple, par l'augmentation des flux d'humidité atmosphérique et l'amplification des précipitations moins les schémas d'évaporation. Les précipitations terrestres mondiales ont probablement augmenté depuis 1950, avec une augmentation plus rapide depuis les années 1980 (degré de confiance moyen) et une contribution humaine probable aux modèles de changement, en particulier pour les augmentations des précipitations à haute latitude dans l'hémisphère nord. Les augmentations des précipitations moyennes mondiales sont déterminées par une réponse robuste à la température de surface mondiale (très probablement 2 à 3 % par °C) qui est en partie compensée par des ajustements atmosphériques rapides au réchauffement atmosphérique par les gaz à effet de serre (GES) et les aérosols. L'effet global des aérosols anthropiques est de réduire les précipitations mondiales par des effets de refroidissement radiatif de surface (degré de confiance élevé). Pendant une grande partie du 20e siècle, des effets opposés des GES et des aérosols sur les précipitations ont été observés pour certaines moussons régionales (degré de confiance élevé). Les précipitations annuelles mondiales au-dessus des terres devraient augmenter en moyenne de 2,4 % (plage probable de -0,2 % à 4,7 %) selon le scénario SSP1-1,9, de 4,6 % (plage probable de 1,5 % à 8,3 %) selon le scénario SSP2-4.5 et de 8,3 % (0,9 % à 12,9 % de la fourchette probable) selon le scénario SSP5-8,5 d'ici 2081-2100 par rapport à 1995-2014. Les différences inter-modèles et la variabilité interne contribuent à une gamme substantielle de projections de changements du cycle de l'eau à grande échelle et régionaux (degré de confiance élevé). La survenue d'éruptions volcaniques peut altérer le cycle de l'eau pendant plusieurs années (degré de confiance élevé). Les modèles projetés de changement des précipitations présentent des différences régionales substantielles et un contraste saisonnier à mesure que la température de surface mondiale augmente au cours du 21e siècle.

La teneur totale en vapeur d'eau de la colonne atmosphérique mondiale a très probablement augmenté depuis les années 1980, et il est probable que l'influence humaine ait contribué à l'humidification de la haute troposphère tropicale. L'humidité spécifique près de la surface a augmenté au-dessus de l'océan (probablement) et des terres (très probable) depuis au moins les années 1970, avec une influence humaine détectable (degré de confiance moyen). L'influence humaine a été détectée dans les modèles de salinité de surface amplifiée et de précipitations moins l'évaporation (P-E) au-dessus de l'océan (degré de confiance élevé). Il est pratiquement certain que l'évaporation augmentera au-dessus de l'océan, et très probablement que l'évapotranspiration augmentera au-dessus des terres, avec des variations régionales sous le réchauffement futur de la surface. Il y a une forte confiance que les augmentations prévues de la quantité et de l'intensité des précipitations seront associées à une augmentation du ruissellement dans les hautes latitudes du nord. En réponse aux changements de la cryosphère, il y a eu des changements dans la saisonnalité du débit, y compris une occurrence plus précoce du débit de pointe dans les bassins versants des hautes latitudes et des montagnes (degré de confiance élevé). Le ruissellement projeté est généralement diminué par les contributions des petits glaciers en raison de la perte de masse des glaciers, tandis que le ruissellement des glaciers plus grands augmentera généralement avec l'augmentation des niveaux de réchauffement planétaire jusqu'à ce que leur masse s'épuise (degré de confiance élevé).

Le réchauffement des terres entraîne une augmentation de la demande d'évaporation atmosphérique et de la gravité des épisodes de sécheresse (degré de confiance élevé). Un réchauffement plus important sur terre que sur l'océan modifie les schémas de circulation atmosphérique et réduit l'humidité relative continentale près de la surface, ce qui contribue à l'assèchement régional (degré de confiance élevé). Une diminution très probable de l'humidité relative s'est produite sur une grande partie de la surface terrestre mondiale depuis 2000. Les augmentations prévues de l'évapotranspiration en raison de la demande croissante en eau réduiront l'humidité du sol dans la région méditerranéenne, le sud-ouest de l'Amérique du Nord, l'Afrique du Sud, le sud-ouest de l'Amérique du Sud et le sud-ouest Australie (confiance élevée). Certaines régions tropicales devraient également connaître une aridité accrue, notamment le bassin amazonien et l'Amérique centrale (degré de confiance élevé). La superficie totale des terres sujette à une fréquence et à une gravité croissantes de la sécheresse s'étendra (degré de confiance élevé), et en Méditerranée, dans le sud-ouest de l'Amérique du Sud et dans l'ouest de l'Amérique du Nord, l'aridification future dépassera de loin l'ampleur du changement observé au cours du dernier millénaire (degré de confiance élevé).

Le changement d'affectation des terres et l'extraction d'eau pour l'irrigation ont influencé les réponses locales et régionales dans le cycle de l'eau (degré de confiance élevé). La déforestation à grande échelle diminue probablement l'évapotranspiration et les précipitations, et augmente le ruissellement dans les régions déboisées par rapport aux effets régionaux du changement climatique (degré de confiance moyen). L'urbanisation augmente les précipitations locales (confiance moyenne) et l'intensité du ruissellement (confiance élevée). L'augmentation de l'intensité des précipitations a amélioré la recharge des eaux souterraines, notamment dans les régions tropicales (degré de confiance moyen). Il y a une forte confiance que l'épuisement des eaux souterraines s'est produit depuis au moins le début du 21e siècle, en conséquence des prélèvements d'eau souterraine pour l'irrigation dans les zones agricoles des régions arides.

Source : GIEC / IPPC (2021), Sixth Assessment Report on Climat Change, Technical Summary

14/08/2021

Le Conseil constitutionnel valide la loi Climat, dont ses dispositions "continuité écologique"

Plusieurs lobbies ont tenté jusqu'au bout de censurer les nouvelles dispositions sur la continuité écologique contenues dans la loi Climat. Ils ont échoué. Le programme de destruction du patrimoine des rivières françaises sera bientôt illégal. Face au dérèglement climatique reconnu par tous comme l'urgence n°1, la gestion de tous les ouvrages va devenir une priorité, tant pour prévenir les émissions carbone que pour atténuer les sécheresses et les crues résultant du réchauffement.


Le Conseil constitutionnel avait été saisi par 60 députés d'un recours en annulation contre la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite "loi Climat". Dans sa décision du 13 août 2021, le Conseil rejette le recours comme trop général. Par ailleurs, dans l'examen des articles par autosaisine, le Conseil en censure 14 comme sans rapport direct à la loi ("cavaliers législatifs" interdits par l'article 38 de la constitution). Les autres dispositions, et notamment l'article 49bis qui interdit la destruction des moulins, sont conservées et jugées conformes à la constitution. Plus rien ne s'oppose donc à la publication de la loi Climat au journal officiel, ce qui la rendra immédiatement opposable. Nous y reviendrons en détail quand ce sera le cas.

Le recours des 60 députés a été accompagné de "contributions extérieures", comme c'est l'usage. Ces saisines par des tiers visent à appuyer la demande de censure de la loi. 

Dans le cas présent, on observe 3 contributions demandant la censure de l'article 49bis sur la continuité écologique :
  • France Nature Environnement (FNE)
  • Fédération nationale de la pêche (FNPF)
  • André Berne (ancien directeur territorial agence de l'eau Seine-Normandie)
Pêcheurs de salmonidés ou intégristes de la nature sauvage, les lobbies de casseurs auront donc tenté jusqu'au bout de poursuivre leur programme de destruction massive du patrimoine des rivières françaises. En vain. 

Cette décision du Conseil constitutionnel vient après plusieurs autres du conseil d'Etat : toutes indiquent que les casseurs sont désormais hors-la-loi et que le retour à la rivière sauvage n'est ni l'esprit ni la lettre du code de l'environnement. Les propriétaires et riverains d'ouvrages comme leurs associations de protection doivent maintenant veiller à ce que les fonctionnaires centraux et territoriaux appliquent ces dispositions, mais aussi rappellent à l'ordre les lobbies s'égarant dans une dérive extrémiste. 

Source : Conseil constitutionnel, décision n° 2021-825 DC, 13 août 2021

11/08/2021

Manque de suivi et de résultat en restauration écologique des cours d'eau (dos Reis Oliveira et al 2020)

Une équipe de chercheurs néerlandais observe que la restauration écologique des cours d'eau bénéficie de financement en hausse, mais que la rigueur fait défaut lorsqu'il s'agit d'évaluer les résultats dans le temps. Du même coup, il est difficile de hiérarchiser les bonnes pratiques et de vérifier si l'investissement produit les résultats attendus. Ce problème avait déjà été observé aux Etats-Unis, en France et dans d'autres pays. Si une partie du questionnement concerne les méthodes, l'autre interroge les finalités : que voulons-nous au juste restaurer, et est-ce possible?


Depuis deux décennies, on a assisté à une forte augmentation du financement, des actions et de la recherche pour la restauration des cours d'eau. Pourtant, les retours d'expérience sont ambivalents et les taux de réussite sont restés assez faibles. Les pratiques de restauration ne prennent toujours pas suffisamment en compte les échelles appropriées, allant des habitats dans les cours d'eau à des bassins versants entiers, ni la complexité des écosystèmes (facteurs hydrologiques, morphologiques, chimiques et biologiques). Par conséquent, les raisons précises de l'échec des efforts de restauration restent encore peu concluantes. Un groupe de 6 chercheurs a mené aux Pays-Bas une analyse de ce problème à travers le bilan des pratiques de restauration.

Voici le résumé de leur article :

"Les efforts de restauration des cours d'eau se sont accrus, mais le taux de réussite est encore assez faible. Les raisons sous-jacentes de ces efforts de restauration infructueux restent peu concluantes et nécessitent une clarification urgente. Par conséquent, le but de la présente étude était d'évaluer plus de 40 ans de restauration des cours d'eau pour alimenter les perspectives futures. À cette fin, nous avons évalué l'influence des objectifs politiques sur les efforts de restauration des cours d'eau, les objectifs de restauration biophysique, les mesures de restauration appliquées, y compris l'échelle d'application et les efforts de surveillance. Les informations ont été obtenues à partir de cinq enquêtes sur la restauration des cours d'eau menées par les autorités régionales de l'eau aux Pays-Bas au cours des 40 dernières années et à partir d'une analyse des publications scientifiques internationales sur la restauration des cours d'eau couvrant la même période. 

Notre étude a montré qu'il y avait une augmentation considérable des efforts de restauration des cours d'eau, particulièrement motivés par la législation environnementale. Cependant, un contrôle adéquat de l'efficacité des mesures faisait souvent défaut. De plus, un décalage entre les objectifs de restauration et les mesures de restauration a été observé. Les mesures restent majoritairement focalisées sur les techniques hydromorphologiques, alors que les objectifs biologiques restent sous-exposés et doivent donc être mieux ciblés. En outre, les pratiques de restauration se produisent principalement à petite échelle, malgré la pertinence largement reconnue de s'attaquer à de multiples facteurs de stress agissant à grande échelle pour le rétablissement de l'écosystème des cours d'eau. 

Afin d'augmenter le taux de réussite des projets de restauration, il est recommandé d'améliorer la conception des programmes de suivi d'accompagnement, permettant d'évaluer, sur des périodes plus longues, si les mesures prises ont conduit aux résultats souhaités. Deuxièmement, nous conseillons de diagnostiquer les stresseurs dominants et de planifier des mesures de restauration à l'échelle appropriée de ces stresseurs, généralement l'échelle du bassin versant."

Les auteurs précisent notamment dans leur article :

"Alors que dans le passé de nombreux projets visaient à améliorer l'ensemble de l'écosystème fluvial, ils se sont en fait concentrés uniquement sur des conditions morphologiques (amélioration de l'habitat) ou hydrologiques (débit) spécifiques, comme on l'observait déjà il y a deux décennies (Verdonschot et Nijboer, 2002 ; Palmer et al., 2010, 2014). Ceci pouvait et peut encore s'expliquer par une confiance ferme dans l'affirmation selon laquelle « si l'hétérogénéité de l'habitat augmente, la diversité biologique augmente également » (Field of Dreams Hypothesis ; Palmer et al., 1997). Néanmoins, une approche totalement intégrative, s'attaquant à tous les facteurs de stress, mais prenant également en compte des aspects biologiques importants, tels que la colonisation (Westveer et al., 2018), la dispersion (Engström et al., 2009), la distance aux populations sources (Brederveld et al. ., 2011 ; Stoll et al., 2013), la réintroduction d'espèces (Jourdan et al., 2018) et le contrôle des espèces envahissantes (Scott et Helfman, 2001), sont encore rares. De plus, les pratiques de restauration des cours d'eau doivent également être conscientes des risques écologiques qui peuvent survenir après la restauration, tels que les pièges écologiques lorsque les espèces deviennent plus menacées par les nouvelles conditions de l'habitat après la restauration par rapport aux conditions initiales (Robertson et al., 2013; Hale et al., 2015), offrant des opportunités pour les espèces envahissantes (Matsuzaki et al., 2012 ; Franssen et al., 2015 ; Merritt et Poff, 2010), introduisant des conditions hydrologiques non naturelles (Vehanen et al., 2010 ; Jeffres et Moyle, 2012) et augmentant la toxicité des sédiments pour les amphibiens (Snodgrass et al., 2008).

En outre, de nombreux projets de restauration des cours d'eau envisagent encore des mesures et des solutions à petite échelle et négligent le fait que les écosystèmes des cours d'eau sont fortement régis par les processus à l'échelle du bassin versant (Allan, 2004 ; Palmer, 2010 ; Ward, 1998 ; Wiens, 2002 ; Sundermann et Stoll, 2011 ; Kuglerová et al., 2014, Tonkin et al., 2018). Plusieurs auteurs ont déjà montré que la restauration à grande échelle est cruciale pour le rétablissement écologique (Schiff et al., 2011 ; Verdonschot et al., 2012 ; Kail et Hering, 2009 ; Stranko et al., 2012 ; Gabriele et al., 2013). D'autre part, ce n'est pas la petite échelle d'un projet de restauration en soi qui limite le succès de la restauration, mais plutôt l'inadéquation spatiale entre les facteurs de stress et la restauration, en combinaison avec un manque de diagnostic préalable spécifique du facteur de stress limitant réel."

Discussion
Cette recherche néerlandaise confirme des travaux menés en France voici quelques années, qui avaient également observé un déficit de rigueur et de méthode dans les pratiques de restauration de cours d'eau (voir Morandi et al 2014). 

Cette discussion sur la restauration écologique de milieux gagnerait à élargir le champ de sa réflexion. Actuellement, et comme cet article de recherche le rappelle après d'autres, on analyse les performances de certaines actions et, lorsque les performances ne sont pas présentes, on présume que d'autres impacts doivent être traités. La représentation sous-jacente est qu'il existe un état de la nature sans impact, qu'on peut le recréer (ou y tendre) par élimination progressive et simultanée de ces impacts. 

Mais il se trouve que derrière le mot "impact", on désigne essentiellement la présence humaine dans les bassins versants et les usages humains de ces bassins versants, que ce soit les usages de l'eau ou du sol. D'une part, se pose la question des limites de l'élimination des effets de la présence humaine, du coût pour atteindre ces limites et du consentement social à cela. D'autre part, et plus fondamentalement, se pose la question des ontologies de la nature (Linton et Krueger 2020) : y a-t-il un sens à se représenter une nature sans humain comme le modèle (de biodiversité ou de fonctionnalité) alors que dans la réalité, la nature co-évolue avec les humains (la division nature-humain n'a guère de fondement) et ne devrait pas cesser de le faire à horizon prévisible? 

Référence : dos Reis Oliveira et al (2020), Over forty years of lowland stream restoration: Lessons learned?, Journal of Environmental Management, 264, 110417

31/07/2021

Barbara Pompili encourage-t-elle encore son administration à ignorer la loi?

La loi Climat et résilience, adoptée le 20 juillet 2021 par le Parlement mais pas encore parue au Journal officiel, ordonne notamment de cesser la destruction des moulins à eau comme option de continuité écologique. Au détour d'une déclaration au site Actu Environnement, la ministre de l'écologie Barbara Pompili laisse entendre que, par une sorte de rétorsion, son administration demandera en conséquence aux propriétaires de payer tous les frais d'aménagement. Mais ce n'est pas ce que dit la loi. Va-t-on encore continuer longtemps ce combat d'arrière-garde et ces méthodes arbitraires de l'exécutif? 


Le site spécialisé Actu Environnement revient sur les échanges parlementaires autour de la loi Climat et résilience concernant les moulins, la petite hydroélectricité et la continuité des cours d'eau. Cette loi est votée mais elle n'est pas encore publiée au Journal officiel et des recours devant le Conseil constitutionnel ont été déposés. Nous commenterons le texte de cette loi quand elle sera définitive, notamment les dispositions concernant les ouvrages hydrauliques. 

Ce qui nous interpelle aujourd'hui est la réaction de la ministre de l'écologie au vote de ces dispositions sur les moulins. 

Barbari Pompili a déclaré : "Les mesures qui ont été votées à l'Assemblée nationale ne prévoient aucun moyen pour faire les travaux qui s'imposent, en cas de régression environnementale avérée sur un cours d'eau et cela même si personne ne conteste leur nécessité. Les propriétaires devront donc les faire à leurs frais. La médiation est essentielle sur ce point, car certains sujets nécessitent que tous les acteurs puissent échanger".

Ce propos est confus et contraire aux dispositions de la loi.

D'abord, il n'y a aucune "régression environnementale" dans l'existence des moulins et des étangs qui sont là depuis des siècles et qui sont autorisés par la loi en vertu de leur droit d'eau ou de leur règlement d'eau. Le régime écologique des rivières européennes inclut l'ensemble de l'héritage de ces rivières : cessons le contresens qui oppose la nature à la culture, le non-humain à l'humain, le futur au passé. Au plan juridique, la notion de régression environnementale signifie que l'on va à l'encontre des dispositions du code de l'environnement. Or, les lois françaises sur l'environnement assurent la promotion de l'hydro-électricité, le stockage local de l'eau, la préservation des milieux aquatiques et humides, la protetion des patrimoines paysagers et historiques : détruire un ouvrage est davantage une régression environnementale que le gérer, et c'est au demeurant l'objet de divers contentieux portés par les associations.

Ensuite, les première lois sur les passes à poissons datent de 1865, elles ont été réitérées en 1919, en 1984, en 2006. Cette expérience sur plus de 150 ans a montré que le financement des travaux de continuité est le premier obstacle. Voilà pourquoi la loi sur l'eau de 2006 a tiré acte de ce blocage et a prévu dans ses dispositions : "Les obligations résultant du I du présent article n'ouvrent droit à indemnité que si elles font peser sur le propriétaire ou l'exploitant de l'ouvrage une charge spéciale et exorbitante." En d'autres termes, si l'on demande non pas des mesures simples comme la gestion de vannes mais des mesures plus complexes comme des passes à poissons ou rivières de contournement, cette charge publique excède les capacités d'un particulier ou d'un petit exploitant, donc elle ouvre droit à indemnité. C'est à l'Etat d'organiser cette indemnisation et c'est la vocation naturelle des agences de bassin, qui sont des établissements publics en charge de financer les politiques publiques de l'eau. Hélas, par pur dogmatisme, les agences veulent financer au maximum la casse des ouvrages (ce qui sera illégal dans certains cas une fois la loi parue) mais au minimum leur aménagement. Il est impossible d'avoir une continuité apaisée tant que l'Etat ne flèche pas l'indemnisation des travaux, par les agences de l'eau ou par d'autres voies. 

Enfin, aussi bien la loi (réécrite en 2021 pour être précisée) que la jurisprudence récente du conseil d'Etat reconnaissent qu'un moulin ayant un projet de production hydro-électrique est exempté de continuité écologique. Le gestionnaire public a donc plutôt intérêt à proposer des projets de continuité entièrement financés (dans la consistance légale des sites) s'il veut inciter les propriétiares à agir sur le franchissement des poissons. Sans quoi il ne se passera rien du tout et on vérifiera de nouveau l'adage selon lequel "le mieux est l'ennemi du bien". 

Pour résumer :
  • la destruction d'ouvrages hydrauliques est un choix régressif qui sera désormais interdit par la loi dans certains cas,
  • la loi a toujours demandé l'aménagement des ouvrages et prévu l'indemnisation publique des travaux de continuité lorsqu'ils sont conséquents,
  • la ministre de l'écologie doit inciter son administration à accélérer son changement culturel sur le destin des ouvrages en rivière au lieu de mener des combats d'arrière-garde ou d'entretenir la confusion et le conflit dont plus personne ne veut,
  • les politiques publiques d'écologie doivent affronter les défis majeurs de notre temps - pollutions et surexploitations locales de l'eau, changement climatique dangereux, risques des sécheresses et crues, disparition des milieux aquatiques et humides, relocalisation durable de circuits économiques - et les ouvrages bien gérés ont un rôle positif à jouer dans ces objectifs

28/07/2021

Ralentir et diffuser les écoulements pour stocker l'eau

Des chercheurs publient une tribune sur l'enjeu de préservation et stockage de l'eau en situation de changement climatique rapide comme nous le connaissons aujourd'hui. Parmi les options: ralentir et diffuser l'eau dans les bassins versants. C'est un des rôles des ouvrages hydrauliques, dont la gestion écologique doit devenir notre politique publique, en lieu et place de leur absurde destruction. 

Zone humide en contrebas d'un bief de moulin.

Géraldine Picot-Colbeaux (hydrogéologue, BRGM), Marie Pettenati (hydrogéologue, BRGM) et Wolfram Kloppmann (géochimie isotopique, BRGM) publient un intéressant article sur le site d'analyse universitaire de l'actualité The Consersation. Cet article est dédié à la question de la préservation des ressources en eau pour les besoins humains en situation de changement hydroclimatique. "On parle de «gestion intégrée de la ressource en eau», qui vise à préserver le niveau des nappes d’eau souterraine, les débits des cours d’eau et à lutter contre les inondations et la salinisation des eaux en milieu côtier."

Les eaux souterraines sont contenues dans les "aquifères", formations rocheuses ou sédimentaires qui les stockent et qui se renouvellent plus ou moins vite. "Certains aquifères profonds contiennent des eaux de pluies tombées quand l’humanité taillait encore des silex ! D’autres, proches de la surface, contiennent de l’eau qui transite en quelques années. Sous nos latitudes, c’est en hiver, lorsque la végétation prélève moins d’eau, que les précipitations rechargent les aquifères."

Comme en témoignent les difficiles périodes de sécheresses dans certaines régions, impliquant des restrictions d'usage, la gestion de l'eau peut devenir critique quand se conjuguent la hausse des besoins humaines et l'incertitude climatique, avec des événements extrêmes plus probables (parfois de longues sécheresses, parfois des excès de pluie et des inondations, comme récemment en Allemagne, Belgique, Luxembourg et Angleterre). "À la question, «Manquerons-nous d’eau demain ?», la réponse est donc : «Nous en manquons déjà, localement et de plus en plus souvent»."

Les chercheurs rappellent les options de gestion intégrée de l'eau :

"Les solutions existent déjà, dans le monde et en France, depuis de nombreuses années. Mais il s’agit de les mettre en œuvre et de les intégrer dans des stratégies cohérentes de gestion des nappes :
– caractériser, suivre et prévoir sur la base de modèles fiables l’évolution des ressources et des besoins ;
– pratiquer la sobriété ;
– diminuer la pression sur la qualité de l’eau en diminuant la quantité de produits chimiques persistants et mobiles ;
– améliorer le traitement des eaux usées ;
– utiliser et réutiliser des eaux non conventionnelles après traitement ;
– retenir l’eau sur les territoires en ralentissant les écoulements et en stockant l’eau dans les milieux naturels."

On retient en particulier le dernier point : la nécessité de ralentir et diffuser les écoulements sur tous les territoires. Comme notre l'association l'a exposé à de nombreuses reprises, la politique de destruction des ouvrages hydrauliques transversaux au nom de la continuité écologique va à l'encontre de cet objectif. En voici quelques raisons :
Au lieu de détruire les ouvrages, nous devons de toute urgence les préserver et les doter d'une gestion hydro-écologique informée.