28/11/2021

Estimation des forces hydrauliques des moulins dans les années 1820 (Dupin 1827)

Le polytechnicien Charles Dupin (1784-1873) s'est passionné pour l'estimation des forces productives des nations, y voyant leur source de richesse ainsi qu'un moyen utile pour évaluer l'avance ou le retard des pays. Cela l'amène à estimer les moulins à eau en activité. Dupin évoque le chiffre de 66 000 moulins à eau en mouture, auquel il faut ajouter des forges et autres fabriques.


Le moulin de Charenton au 19e siècle, source

Charles Dupin, né le 6 octobre 1784 à Varzy (Nièvre) et mort le 18 janvier 1873 à Paris, est un mathématicien, ingénieur, économiste et homme politique français. Polytechnicien, on lui doit divers travaux en mathématiques et en génie maritime. Charles Dupin se passionne à partir des années 1800 pour la statistique économique, alors embryonnaire. Il entreprend notamment de comparer la France et la Grande-Bretagne en s'attachant d'abord aux sources physiques de la richesse, qu'il s'agisse de l'énergie ou des matières premières. Ses travaux seront publiés dans la série Le petit producteur français, ainsi que dans une synthèse sur les "forces productives et commerciales", ici examinée.

Un intérêt du travail de Dupin est que celui-ci procède à un inventaire des forces motrices, notamment des moulins : "on fera le recensement exact de toutes les usines et de tous les moulins qui sont mus par l’eau, par le vent et par la vapeur, en réduisant à des calculs rigoureux et faciles la force de chaque genre de moteurs. On obtiendra de la sorte les totaux des diverses espèces de forces motrices que la France possède, et l’on connaîtra dans son ensemble la véritable puissance productive de notre nation", écrit Charles Dupin. De tels travaux permettent de disposer de statistiques sur l'évolution de ces moulins et de mesurer leur importance dans l'économie nationale à diverses périodes.

Dupin écrit : "On a calculé que le nombre total des moulins de la France est de 76,000, parmi lesquels il faut compter environ 10,000 moulins à vent. Il reste donc 66,000 moulins à eau et il est facile de se former une idée du travail que ces moulins peuvent opérer. Le poids total des grains de toute espèce livrés à la mouture est de 7 milliards de kilogrammes par année commune. On sait d’ailleurs que la force nécessaire pour moudre 1000 kilogrammes équivaut au travail journalier de 56 hommes. Il faut donc multiplier 7 millions par 56, ce qui donne pour la force totale que représente la mouture de tous les grains de France, 392,000,000 de journées divisées par 3oo jours de travail, elles donnent 1,3o6,666 hommes.

Charles Dupin précise que le moulin à mouture n'est pas le seul usage de l'énergie de l'eau, mais sans donner de chiffre précis: "On peut demander quelle est la force totale des machines hydrauliques consacrées à des forges, à des fourneaux, à des usines de toute espèce. Il serait facile de démontrer que cette force n’est pas supérieure au tiers de la force des moulins à mouture." Cela suggérait environ 20000 sites hydrauliques supplémentaires dédiés à d'autres travaux que la transformation des produits agricoles.

Cette équivalence humaine de toutes les forces motrices (assez pédagogique) permet ensuite à l'auteur de comparer avec la Grande Bretagne la répartition des diverses capacités productives:


On voit que la France de l'Empire et de la Restauration surpassait la Grande-Bretagne en puissance hydraulique, mais était très en retard en équipement de machines à vapeur. L'ère fossile démarrait, pour le meilleur et pour le pire...

En 1841, Nadault de Buffon totalisera pour sa part plus de 80000 moulins, auxquels il ajoute les fabriques diverses et les forges pour atteindre un total de 108000 sites de production hydrauliques. Cette évolution est cohérente, puisque la France va développer ses sources d'énergie de manière continue au 19e siècle (et au-delà). 

On rappellera qu'aujourd'hui, nombre de ces ouvrages hydrauliques sont encore présents sur les rivières, mais seuls quelques milliers produisent de l'énergie en injection réseau et en autoconsommation. A l'heure de la transition énergétique fondée sur l'exploitation des ressources renouvelables comme l'énergie de l'eau, il serait avisé de relancer tous les sites qui permettent une production locale et très bas-carbone

Sources :  Dupin, Charles (1784-1873), Forces productives et commerciales de la France, Bachelier (Paris), 1827

23/11/2021

Près de la moitié des espèces de poisson du bassin de Seine sont d'origine exotique (Belliard et al 2021)

Une équipe de chercheurs montre qu'en l'espace de moins d'un millénaire, 46% des espèces de poisson présentes dans le bassin de la Seine sont devenues non-indigènes au bassin, en raison d'introductions répétées, surtout depuis le 19e siècle. Cette tendance devrait se poursuivre à horizon prévisible. Ces travaux posent la question du rapport que nous entretenons avec ces nouvelles espèces. Faut-il forcément y voir une "atteinte à la biodiversité" alors que le nombre total d'espèces de poisson est plus grand aujourd'hui qu'hier? Faut-il espérer un retour à l'état des espèces d'il y a un millénaire, alors que rien n'indique que c'est possible? Et serait-ce de toute façon souhaitable? L'écologie de la conservation doit davantage clarifier les coûts et bénéfices attendus dans la gestion des espèces exotiques, mais aussi préciser pourquoi telle ou telle représentation de la nature serait un objectif en soi pour notre société.


Vivier représenté sur une fresque du 14e siècle source.

Le bassin versant de la Seine s'étend sur plus de 76 000 km2, sous un régime hydrologique pluvial/océanique. Plus de 95 % de cette superficie se trouve dans un grand bassin sédimentaire à faible altitude (moins de 500 m), ce qui a été favorable au développement précoce d'une importante population humaine : environ 3 millions de personnes vers 1300, 8 millions vers 1900 et à 17 millions aujourd'hui. Les cours d'eau du basin de Seine ont été modifiés et artificialisés de multiples manières: moulins à eau étangs piscicole, plan d'eau d'irrigation, puis chenalisation pour la navigation, régulation pour les crues, constructions de canaux pour relier la Seine aux autres voies d'eau de l'Europe occidentale, méridionale et centrale. 

De manière directe pour l'alimentation ou le loisir, de manière indirecte par ces créations de nouveaux habitats, l'occupation de la Seine a conduit à l'introduction de nouvelles espèces, en particulier de poissons. Jérôme Belliard et ses collègues ont analysé des sources historiques et contemporaines les plus variées pour analyser l'apparition de nouvelles espèces dans le bassin (dites exotiques ou non-indigènes, car implantées par l'action humaine). 

Voici le résumé de leur recherche :

"La propagation d'espèces non indigènes est aujourd'hui reconnue comme une menace majeure pour la biodiversité des écosystèmes d'eau douce. Cependant, depuis très longtemps, l'introduction et l'acclimatation de nouvelles espèces ont été perçues principalement comme une source de richesse pour les sociétés humaines. 

Ici, nous avons examiné l'établissement d'espèces de poissons non indigènes dans le bassin de la Seine d'un point de vue historique en adoptant une double approche. Dans un premier temps, à l'échelle du bassin entier, à partir de diverses sources écrites et archéologiques, nous avons retracé la chronologie, au cours du dernier millénaire, des implantations d'espèces allochtones. Dans un deuxième temps, en analysant le suivi des poissons de plusieurs centaines de sites couvrant la diversité des rivières et des ruisseaux, nous avons examiné les changements de nombre et d'abondance des espèces non indigènes dans les communautés de poissons locales au cours des trois dernières décennies. 

La première introduction d'espèce documentée remonte au XIIIe siècle mais c'est à partir du milieu du XIXe siècle que les tentatives d'introduction se sont accélérées. Aujourd'hui, ces introductions ont atteint un niveau sans précédent et 46% des espèces recensées dans le bassin sont allochtones. Au cours des trois dernières décennies, les espèces non indigènes ont continué à augmenter au sein des communautés de poissons à la fois en termes de nombre d'espèces et d'abondance d'individus. Les augmentations les plus prononcées sont notées sur les grands fleuves et les sites où les pressions anthropiques sont fortes. Les voies navigables reliant les bassins européens, la mondialisation des échanges et le changement climatique en cours fournissent un contexte général suggérant que l'augmentation de la proportion d'espèces non indigènes dans les communautés de poissons du bassin de la Seine devrait se poursuivre pendant plusieurs décennies."

Au total, au moins 37 espèces de poissons ont été introduites dans le bassin de Seine. Certaines ne se sont pas acclimatées ou ont été extirpées, il en reste 28 aujourd'hui. Parmi ces 28 espèces, 6 semblent maintenues par des empoissonnements, les 22 autres sont naturalisées et connaissent un maintien autonome. 

Ce graphique montre que la plus grande partie des nouvelles espèces sont d'apparition assez récente à échelle historique (depuis 1900). 


Extrait de Belliard et al 2021, art cit.

Cet autre graphique montre la progression décennie par décennie des années 1850 à nos jours.

Extrait de Belliard et al 2021, art cit.

Les auteurs observent que dans les plus petites rivières, on a pu observer localement des déclins d'espèces exotiques, indiquant que la tendance n'est pas inévitable en soi, même si les causes de variation à la baisse (donc de sa possible persistance) ne sont pas clairement établies.

Discussion
La période moderne, que certains auteurs proposent de nommer Anthropocène, a connu un brassage sans précédent (sur une si courte durée) des espèces au niveau planétaire en raison de la multiplication des échanges entre les pays et les continents. Cela contribue à l'évolution des écosystèmes en place, puisque les réseaux trophiques sont modifiés et de nouveaux lignages apparaissent un peu partout. Nous ne sommes qu'au début du phénomène en terme évolutif. Certaines des espèces exotiques sont invasives ou proliférantes car, n'ayant pas de prédateurs et étant bien adaptées au nouveau milieu, elles se répandent très rapidement au détriment des espèces en place. D'autres n'ont pas cette expansion foudroyante et se contentent de se maintenir en occupant une niche.

En écologie et biologie de la conservation, l'accent est plutôt mis sur le caractère négatif des espèces exotiques. Celles-ci ne sont pas toujours comptabilisées dans les inventaires de biodiversité, et des débats existent à ce sujet (voir par exemple Velland et al 2017, Primack et al 2018). La raison en est que l'espèce exotique plus banale (plus répandue) peut menacer l'existence d'espèces indigènes plus rares. 

Cependant, ce point de vue du naturaliste pose question quand il s'agit de définir des politiques publiques. Autant les espèces invasives peuvent représenter des coûts, autant les espèces exotiques non proliférantes ne posent pas de problèmes particuliers au plan économique et social. Extirper une espèce déjà installée est complexe, voire parfois impossible. En outre, il reste de lourdes incertitudes sur notre avenir climatique et hydrologique, donc sur les communautés d'espèces qui seront les mieux adaptées aux conditions de l'Europe dans un siècle. 

Ce choix est aussi discutable sur le fond du problème, c'est-à-dire selon les représentations que l'on a de la nature et du vivant : si l'on ne considère pas que la nature est figée et si l'on voit l'évolution du vivant à l'Anthropocène comme un épisode après d'autres de sa longue histoire, en quoi l'espèce exotique est-elle nécessairement un problème en soi? On peut comprendre une politique de conservation d'un stock minimal de certaines espèces endémiques menacées, afin de préserver un potentiel adaptatif, mais une tentative de régulation stricte de la composition du vivant paraît utopique. Et d'une utopie dont le caractère désirable et utile pour tous les citoyens reste à démontrer.

doi: 10.3389/fevo.2021.687451

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17/11/2021

Vigilance pour préserver le canal d'Elne menacé d'assèchement

L’heure est toujours à la mobilisation pour les amoureux du canal d’Elne, un ouvrage de 17 km édifié au Xe siècle pour irriguer les cultures de la plaine d’Illibéris (d’Elne à St-Cyprien), dans les Pyrénées Orientales. Le schéma d'aménagement du bassin du Tech, validé en 2018, prévoyait de remettre en cause les chaussées de dérivation (rescloses) qui permettent d'alimenter cet ouvrage d'art et tous les services écosystémiques associés. Les citoyens rassemblés dans un collectif de défense de ce système hydraulique et de ses usages ancestraux appellent à une réunion publique d'information et de débat le 23 novembre prochain. La loi interdit désormais la remise en cause de l'usage actuel ou potentiel des ouvrages hydrauliques dans le cadre de la continuité écologique: les préfets doivent l'appliquer de manière stricte. Il est temps de faire cesser une fois pour toutes les conflits permanents alimentés par les dérives des extrémistes négateurs et destructeurs des patrimoines multiples de l'eau. 


Le Canal d'Elne (source)

Appel des riverains du Canal d'Elne 

Canal d'irrigation majeur en plaine du Roussillon, le Canal d’Elne fonctionne grâce à une alimentation gravitaire par l'intermédiaire d'un seuil en rivière (resclosa) qui prélève de l’eau du Tech. A Elne, il se sépare en deux branches d’environ 17 km, vers Latour-Bas-Elne et St-Cyprien. Lié à un vaste réseau de ruisseaux d’écoulement (agulles), cet outil ancestral témoigne de plus de 1000 ans de gestion de l'eau en Roussillon. Vecteur essentiel de l’essor agricole de la plaine d’Illibéris, il participe à l'alimentation des nappes phréatiques quaternaires depuis des siècles. Son tracé suit en grande partie des "paléo-chenaux", c’est-à-dire de très anciens tracés du Tech. L’environnement, l’économie, l’emploi et le patrimoine se rejoignent autour de cet ouvrage précieux.

Le Collectif Canal d’Elne est né en 2018 pour protéger cette infrastructure. À l’origine, plusieurs citoyens se sont mobilisés à l'occasion de la validation du Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) du Tech, en 2017. Ce texte a mis en lumière les menaces qui pèsent sur les rescloses ancestrales, notamment l'étude “Tech Aval”, lancée en 2015, prescrivant l'abaissement de la resclosa de 1,70 m, afin de répondre au classement “Liste 2” du Tech. L'objectif étant de faciliter le passage des poissons migrateurs et des sédiments, en vertu d'un principe de “Continuité écologique” fort mal interprété. Cette décision inadaptée aurait condamné définitivement le canal, cruellement privé de son alimentation gravitaire en eau. Plus largement, il semble prévisible que l'abaissement de la resclosa affecte gravement les paléo chenaux qui alimentent les nappes phréatiques et renforcent la ressource en eau potable.

Une victoire fragile...

En 2018 et 2019, la population d'Elne et des environs s’est saisie du problème. Le 15 février dernier, le Conseil d'État s'est prononcé sur le décret scélérat du 3 août 2019, qui donnait une portée trop large au principe de continuité écologique, tandis que l'Assemblée nationale et le Sénat ont été saisis, le 10 juin, d'un amendement à la loi "Climat et résilience", qui interdit l’arasement des seuils en rivière alimentant un moulin. Ces avancées sont des victoires pour le Canal d'Elne, mais elles n'excluent pas la vigilance, car des doutes subsistent sur son avenir.

Afin de maintenir la vigilance de la population et de porter à la connaissance de tous les éléments dont le Collectif a été informé, une réunion publique d’information est organisée mardi 23 novembre de 18h à 19h45 au Cinéma René Vautier, 13 Bd Voltaire, 66200 Elne. Les avancées juridiques, les questions en suspens et les enjeux généraux de la gestion de l’eau en Roussillon seront abordés.



13/11/2021

Dans le Finistère, à Lesneven, des élus se croient au-dessus des lois et veulent détruire l'étang

Déjà 47 000 personnes ont signé la pétition de défense de l'étang du pont à Kerlouan, un site qui rend de nombreux services sociaux et écosystémiques. Et qui pourrait de surcroît être aménagé pour produire de l'hydro-électricité. Ici comme ailleurs, les casseurs voulaient gâcher l'argent public pour des lubies. Après le vote de la loi climat & résilience interdisant désormais de détruire les usages actuels ou potentiels d'un ouvrage au nom de la restauration de continuité écologique, les riverains attachés au site et à sa valorisation pensaient que les choses allaient progresser vers une solution intelligente et utile. Mais non, les élus de la Communauté de Communes de Lesneven et de la Côte des Légendes ont voté un choix de destruction! Nous attendons que le préfet invalide cette décision et rappelle à l'ordre les casseurs, pour éviter que les citoyens ne le fassent eux-mêmes. Hydrauxois publie ci-dessous la réaction du collectif de sauvegarde du site de l’étang du pont - Kerlouan.


Le 29 septembre 2021 le Conseil Communautaire de la Communauté de Communes de Lesneven et de la Côte des Légendes a pris la décision inique d’acter un projet dispendieux d’aménagement du site de l’étang du pont visant uniquement à effacer cet étang et à démanteler les vannes du moulin du pont et les vannes de décharges de l’étang du pont.

Lors de ce même Conseil, les élus ont pris la décision de mettre en place la taxe « GEMAPI »  (Gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations) de  40 euros par an par habitant…vraisemblablement pour participer au financement du projet d’aménagement qui est présenté comme « subventionné » à 80 %…

Les élus se sont prononcés sur une présentation de projet issue d’un simulacre d’étude destinée à mettre en force le seul effacement de ce petit lac. Il n’a été fait aucune étude d’impact. 
Cette étude sacrifie ce site sur l’autel d’une continuité écologique rigide, stupide et technocratique dont on détourne l’esprit.

Cette décision inique est prise en totale infraction avec l’article 49 de la « loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets » et en totale infraction avec l’article L 214-18-1 du code de l’environnement.

Cette décision est prise en pleine élaboration du PCAET ( Plan Climat Air  Énergie
Territorial) qui vise à renforcer la production énergétique renouvelable et dont les élus, ici, ignorent ou négligent les capacités de production d’hydroélectricité au niveau des moulins et de leurs sites….

Au cours des siècles, une diversité biologique s’est installée sur ce site, classé zone naturelle à protéger et espace remarquable au titre de la loi littorale. Il s’agit d’un trait d’union entre les zones Natura 2000 de Guissény et Goulven. 

Cette diversité biologique, déjà fortement impactée, va être exterminée : nos élus ont-ils connaissance du code de l’Environnement et de son article L 411-1 ?

Nos élus s’asseyent-il sur l’article L 371-1 CE relatif à la trame verte et bleue qui a pour  objectif d'enrayer la perte de biodiversité en participant à la préservation, à la gestion et à la remise en bon état des milieux nécessaires aux continuités écologiques, tout en prenant en compte les activités humaines, et notamment agricoles, en milieu rural.  ? 

Et bien plus grave encore …

Cet étang avait été acquis par la CLCL en 2016 dans le but louable de lutter contre les algues vertes par un projet d’usage de l’étang par stockage/déstockage de l’eau en fonction des marées. Le but aurait été de limiter le temps de contact entre le flux d’eau chargée en azote provenant du bassin versant et les algues vertes. 

Hélas les services de l’État ( la DDTM) n’avaient pas validé ! … vraisemblablement  par mépris  technocratique et méconnaissance du dossier.

Hélas encore, cette étendue d’eau et de zone humide de 12 ha 70 a été acquise, par la CLCL, sans les vannes de décharge qui sont restées propriété privée du moulin….aux mains d’un administrateur judiciaire suite à faillite du repreneur de l’activité de meunerie ….

Hélas toujours hélas, cet étang reçoit maintenant les eaux de décharge de la nouvelle station d’épuration de Guissény et Kerlouan : 600.000 euros de travaux ont été dépensés pour rejeter obligatoirement ces eaux en amont de l’étang du pont… qui reçoit  déjà les résidus des stations de Plouider-Goulven et de Lesneven-Le Folgoët. (= 6 communes !)

Cet étang participe, bien malgré lui, à l’ultime filtration des eaux du bassin versant du Quillimadec avant rejet en mer.

Cet étang contribue aussi à l’infiltration dans la nappe phréatique d’une partie des eaux retenues. Il est évident que moins on les retiendra moins la nappe se rechargera. Elle est déjà en déficit.

La surface de cet étang exposée aux U.V. permet d’améliorer le traitement des bactéries avant rejet des eaux en baie : ces bactéries dangereuses pour la santé proviennent des eaux d’épuration d’origine animale et humaine.

Enfin, cet étang est envasé par des alluvions en provenance de son bassin versant. Le stock de ces vases est inconnu en volume, en composition, en consistance : les mettre en suspension colmatera encore plus la baie en renforçant l’apport de nitrates.
De plus pour aménager à la sauce du cabinet en charge de l’étude il faudrait creuser un nouveau lit dans d’importants remblais dont on sait qu’ils furent réalisés à l’époque avec du « tout-venant » relevant de la décharge (dont nombre de toitures d’anciens hangars en plaques d’amiante et d’anciens véhicules) .

Rappelons encore que cet étang est mis a sec sur instruction du préfet : les vannes du moulin auraient empêché le transit des sédiments et la remontée des poissons migrateurs…
Nous avons démontré que cela relevait d’une méconnaissance totale du site, qu’une échelle à poissons existe, et que les sédiments s’évacuent fort bien.

Plus de 47.000 citoyens sont déjà opposés à ce projet tel qu’imposé sans aucune écoute, ni concertation réelle.

Ce projet est une catastrophe écologique annoncée et un danger pour les populations.

Le collectif de défense du site de l’étang du pont - Kerlouan continuera ses actions et usera de toutes les voies de recours pour que ce projet n’aboutisse pas.

Sauvons le site de l’étang du pont - Kerlouan ! Sauvons le bassin versant du Quillimadec ! Sauvons la baie de Tresseny ! 

Collectif de sauvegarde du site de l’étang du pont - Kerlouan.

10/11/2021

Un rapport acte l'échec sociétal de la continuité écologique (sans aller au fond du problème)

Un rapport de Claude Miqueu sur la mise en oeuvre de la continuité écologique dite "apaisée" vient d'être publié. Il acte l'échec sociétal de cette réforme, après bien d'autres audits administratifs et parlementaires. Toutefois, nous montrons ici que le rapport esquive encore et toujours le coeur des problèmes. Tant que des fonctionnaires de l'administration eau & biodiversité et des syndicats de bassins défendront une idéologie de la rivière sauvage et de la destruction des ouvrages sans rapport avec la loi, la jurisprudence, la doctrine publique de l'eau et la volonté des riverains, la politique de continuité écologique sera dans l'impasse. En France, on gère, on équipe, on aménage et on valorise les ouvrages des rivières: c'est si dur à comprendre, à dire et à mettre en oeuvre? 


Rappelons rapidement les événements : l'administration française de l'eau et quelques lobbies intégristes se sont mis en tête que le grave problème des rivières au 21e siècle était l'existence de moulins, étangs et plans d'eau, dont la suppression apporterait de grands bénéfices aux citoyens. Par ailleurs, il faudrait revenir à la nature supposée sauvage de la période pré-industrielle, donc faire disparaître les aménagements de l'eau hérités de l'histoire des derniers siècles – en tout cas ceux qui n'ont pas le poids économique suffisant pour être entendus par un gouvernement français (lequel ne voit pas tant de problèmes pour des pollutions réelles et majeures de l'eau). Cette doctrine a pris le nom de "continuité écologique", non sans de nombreuses confusions sur ce qu'est réellement la continuité d'une rivière

Evidemment, débouler avec une pelleteuse pour détruire un moulin ou un étang présent depuis des siècles tout en affirmant aux riverains par des propos abstraits et confus que cela représente une urgence manifeste et de nombreux avantages, cela se passe très mal. 

Dans son court passage au ministère de la Transition écologique, Nicolas Hulot hérite du problème de cette continuité écologique non tranchée par son prédécesseur au même poste, Ségolène Royal. Nicolas Hulot a hélas fait ce que font trop de dirigeants jacobins en France : demander une note rapide à ses services en imaginant qu'une politique publique dysfoncionnelle pourra se régler en mettant un peu de pommade, sans aller voir sur le terrain les problèmes de fond que la haute-administration ignore, minimise ou euphénise dans ses rapports aux dirigeants. Il en a résulté un plan de continuité écologique apaisée

Hydrauxois a exprimé son scepticisme dès la publication du plan, puis a documenté mois après mois la manière dont l'administration essayait encore de nier les problèmes, voire de faire exactement le contraire de ce qu'elle disait. Les faits nous ont donné à nouveau raison : il n'y a pas eu d'apaisement de la continuité écologique, il a fallu des recours contentieux et des choix parlementaires pour sortir de l'enlisement. 

Claude Miqueu convient de l'échec
A l'été 2021, Claude Miqueu a été chargé d'une mission d'audit des problèmes dans la mise en oeuvre de cette continuité écologique dite "apaisée" en Adour-Garonne. Claude Miqueu était également en charge avec d'autres personnes du groupe de travail "continuité écologique" au sein du comité national de l'eau depuis 2019.

Un rapport de mission vient de paraître, dont nous publions ci-après la synthèse finale.

Ce rapport acte au premier chef l'échec sociétal de la continuité écologique, qui a été rejetée par nombre d'acteurs concernés et qui a mis en évidence au plan national des désaccords fondamentaux. Il faut désormais se poser des questions de fond: pourquoi et comment une certaine écologie en vient-elle à nourrir des conflits sociaux et à être perçue comme altération des cadres de vie? Comment a-t-on déraillé vers cet échec? Qui a fait dérailler, au nom de quelles visions appelées à dérailler encore et toujours si elles se poursuivent? Une maladie ne se traite pas par ses symptômes, mais par ses causes...

Hélas, nous avons diverses réserves sur les non-dits de ce rapport, qui ne va pas au coeur de ces questions. En voici quelques-unes:
  • le territoire d'Adour-Garonne n'est pas le plus représentatif des problèmes, à la fois en raison du faible nombre de rivières classées "continuité écologique" et de la tradition hydro-électrique de ces bassins, ayant déjà habitué à l'évidence de rivières aménagées. Les classements "continuité" les plus étendus donc les plus problématiques, les conflits les plus durs et les positions publiques les plus dogmatiques se rencontrent en Loire-Bretagne et en Seine-Normandie. Dans ces bassins, comme en Artois-Picardie, les choix de destruction sont largement majoritaires dans la période 2006-2016, comme le CGEDD l'a montré. Du coup, Adour-Garonne passe à côté de cette réalité. C'est quand même dommage d'étudier un problème sans étudier le coeur de ce problème.

  • le rôle néfaste de l'administration "eau et biodiversité" (outre son réseau de clientèles subventionnées sur argent public, selon l'usage français) est systématiquement atténué, relativisé, justifié. Désolé, mais on ne noiera pas le poisson ainsi, le travail d'analyse critique mené par les associations et les syndicats depuis plus de 10 ans montre que l'idéologie et le fonctionnement des services administratifs est le coeur du problème démocratique et sociétal de la continuité écologique (pas que ce domaine d'ailleurs, le sentiment d'étouffement bureaucratique est diffus en France!). Les nombreuses condamnations de l'administration en justice pour erreur d'appréciation et abus de pouvoir confirment le diagnostic des acteurs. Les documents publics de cette administration montrent sans l'ombre d'un doute qu'elle a envisagé dans les années 2000 et 2010 un programme de destruction systématique du maximum d'ouvrages en rivières, avec tous les efforts réglementaires et financiers portés pour l'effacement des chaussées, digues, barrages, au détriment de leur équipement et de leur aménagement. Les actes doivent avoir des conséquences : ce qui a mené à l'échec ne peut pas conduire à la réussite.

  • on peut discuter, débattre, concerter, co-construire, co-décider... il n'en reste pas moins qu'à la racine, deux visions inconciliables de la rivière existent, ce que les universitaires ont déjà fait observer : l'idéal de rivière sauvage rendue à la nature seule avec suppression du maximum d'impacts humains, l'idéal de rivière durablement aménagée où co-existent des patrimoines naturels et des usages humains (les premiers évoluant forcément sous l'influence des seconds). La loi et la justice ont tranché en France : la rivière sauvage n'est pas la doctrine publique de l'eau. (Et cela inclut les versions sophistiquées et "sachantes" du retour au sauvage, comme la "rivière rendue à sa naturalité et sa fonctionnalité", ce qui veut dire exactement la même chose sous une forme un peu jargonnante; l'expertise n'est pas neutre, elle a aussi des idéologies sous-jacentes et il faut le dire dans le débat public). Partant de là, si des fonctionnaires sont mal à l'aise avec cette orientation en faveur de la rivière aménagée et son exécution, ils doivent rejoindre des groupes privés où leur idéologie de la rivière sauvage pourra s'exprimer librement. Mais pour les autres, il est impossible de tenir au sein même de l'appareil d'Etat et en étant payés par les contribuables une position contraire à l'évolution des lois et des décisions de justice. 

  • or, nous voyons encore tous les jours des courriers aberrants de fonctionnaires DDT-M, des appels d'offres et marchés publics aberrants d'établissements publics ou de collectivités territoriales, des schémas directeurs aberrants d'administrations et syndicats de l'eau, faisant comme si la loi et la jurisprudence n'existaient pas, comme si l'appel à détruire les ouvrages ou la volonté d'entraver leur équipement énergétique avaient une base légale et une approbation citoyenne. Aucun apaisement ne peut exister sur cette trajectoire. Le juge, le parlement, le gouvernement, les élus locaux seront saisis aussi longtemps que des dépositaires de l'autorité publique se comporteront dans le mépris des évolutions démocratiquement actées. Et malheureusement, les rapports humains de terrain seront toujours aussi désagréables tant que des fonctionnaires auront une finalité de dénigrement et d'effacement d'ouvrages, imagineront qu'ils parviendront à cette fin par des stratégies de harcèlement et de contournement des lois.
La balle est donc plus que jamais dans le camp du ministère de l'écologie et de ses services déconcentrés, de l'office français de la biodiversité, des agences de l'eau et des syndicats de bassin : la gestion durable et équilibrée de l'eau, incluant l'usage des ouvrages hydrauliques à fin de production énergétique ou alimentaire, de régulation de l'eau, de gestion du changement hydroclimatique, de valorisation du patrimoine et de l'identité paysagère,  de développement économique du territoire, doit devenir une réalité de tous les instants dans la programmation publique et l'instruction réglementaire. Cela implique notamment la révision des outils de cette programmation (SDAGE, SAGE, contrats rivières, GEMAPI) et la ré-allocation de l'argent public dans le sens indiqué par la loi. 

Le reste n'est que littérature. Désormais, soit l'administration de l'eau change de doctrine et de comportement sur les ouvrages, soit elle sera l'objet d'un procès permanent en illégalité et illégitimité. 


Synthèse de la mission « Restauration de la continuité écologique »

1)- Prendre acte de l'échec sociétal de la politique apaisée, malgré des réponses équilibrées dans notre bassin. En 2019 et 2020 (années qui ont suivi la mise en place de la note DEB du 30 avril 2019) sur les 129 dossiers instruits, 76% sont des aménagements et 24% des effacements d’ouvrages ;

2)- Choisir l'espoir, celui d'un pragmatisme respectueux des territoires et de leurs acteurs publics et privés, efficace pour la continuité écologique et la biodiversité.

3)- Engager un plan d'action 2022 - 2027 (évalué in fine) pour les quatre secteurs socioéconomiques (page 35), mis en oeuvre dès la fin du 11ème programme.
° Clarifier (cas aberrants) le calendrier de réalisation des 493 ouvrages priorisés
° Définir la sécurisation juridique opérationnelle des dossiers
° Adapter les financements au nouveau contexte législatif, pour les seuils des moulins à eau (article 49 de la loi climat et résilience) et prendre acte que cet article 49 ne s’applique pas aux autres ouvrages (eau potable, irrigation, ...)
° Donner la priorité aux dossiers issus d'un consensus local
° Demander que les services instructeurs soient destinataires d’un argumentaire opérationnel sur les sujets sensibles, pour renforcer l’accompagnement des porteurs de projets dans un apprentissage collectif du dialogue et de la coconstruction en vue d’une décision (droits fondés en titre, hydroélectricité, moulins à eau, pisciculture...)

4)- Valider l’évolution rédactionnelle de l’orientation D (mesure D23) du SDAGE 2022 - 2027 et des mesures du PDM, notamment 3.2.4 : restauration des fonctionnalités des lieux aquatiques, 4.1.5 les principales mesures. MIA02 gestion des cours d’eau hors continuité ouvrages. MIA03 gestion des cours d’eau continuité

5)- Faire de la connaissance identifiée et débattue une priorité, en clarifiant les controverses, en associant le conseil scientifique, en associant "l'Entente pour l'eau Adour Garonne" pour les retours d’expériences innovants, en organisant une pédagogie de la rivière (notamment dans les CLE) intégrant l’approche globale et ses enjeux notamment les solutions fondées sur la nature, en partageant enfin les résultats d’une expertise des nouvelles techniques permettant de concilier la continuité écologique et l’hydroélectricité.

6)-Créer une cellule de médiation à l’échelle du bassin et confirmer la pérennité du groupe de travail dédié en Adour Garonne. Sa composition et son organisation seront décidées par le président, après consultation du bureau

7)- Etablir le bilan des réalisations, chaque année, avec dans un premier temps au premier semestre 2022, le bilan multicritères de la période 2013 – 2020.

8)- Identifier, modéliser et soutenir les maîtrises d'ouvrage dans leurs diversités. Publics : EPTB, EPAGE, Syndicat mistes... Privés : propriétaires, sociétés...