10/07/2022

L'administration veut continuer à casser les ouvrages en rivière et résiste à l'application de la loi

On s'en doutait : les casseurs d'ouvrages hydrauliques persistent à refuser l'évolution de la loi. Dans une table ronde au Sénat, il a été prétendu que la loi Climat de 2021 empêche toute destruction d'ouvrage. Ce qui est faux : cette destruction est toujours possible en cas d'abandon volontaire du droit d'eau et donc de l'ouvrage par son propriétaire, sans rapport avec la continuité écologique. En revanche, la loi contredit l'idéologie d'un certain nombre de fonctionnaires militants qui refusent de reconnaître les intérêts nombreux des ouvrages hydrauliques. Leur seul programme réel, depuis le début, a été le retour à la rivière sauvage par exclusion maximale de la présence humaine. Pour cela, le harcèlement des propriétaires et riverains en les menaçant de chantiers ruineux sans aucune aide publique, cette dernière étant réservée aux casseurs. Mais justement, les plus hautes instances judiciaires et parlementaires du pays ont signifié sans l'ombre d'un doute que cette idéologie de négation des dimensions humaines, sociales, économiques, patrimoniales de la rivière n'est pas la politique publique de l'eau en France. Il serait temps pour ces fonctionnaires militants de se soumettre ou de se démettre... Et pour leurs collègues, d'appliquer simplement la loi, ce qui permettra d'avancer enfin sur la continuité écologique, mais aussi sur les autres enjeux du pays liés à ces ouvrages.


Le magazine en ligne Actu Environnement publie un article sur les difficultés de la continuité écologique des rivières suite à la loi Climat de 2021. Comme l'écrit le journal, "son article 49 a supprimé l'aide des agences de l'eau pour l'effacement des seuils installés sur les rivières et a précisé que l'usage actuel ou potentiel des ouvrages ne peut être remis en cause, notamment aux fins de production d'énergie. Deux évolutions qui semblent aujourd'hui poser des problèmes aux agents de l'État chargés de faire appliquer la loi".

Il est ainsi affirmé par Pierre Dubreuil, directeur général de l'Office français de la biodiversité, : "Ce que nous constatons, c'est que plusieurs projets sont en attente, voire bloqués, en application de l'article 49 de la loi Climat et résilience : les propriétaires, qu'ils soient privés ou des collectivités, envisageaient un effacement qui n'est plus possible".

Ce point est faux au plan du droit. Il revient normalement aux services juridiques du ministère de l'écologie de produire une circulaire d'application de la loi (pas à une personne en charge de la biodiversité de donner un avis mal informé...). Mais voilà : les hauts fonctionnaires du ministère de l'écologie ne veulent pas admettre l'évolution légale choisie par les parlementaires et font de la résistance interne dans l'appareil d'Etat... alors qu'ils n'ont jamais été élus, rappelons-le. C'est ce genre de problèmes qui exaspère beaucoup et à juste titre les citoyens de notre démocratie. 

Ce que permet le droit
Tout ouvrage hydraulique sur une rivière est l'objet d'une autorisation, soit sous la forme tacite d'un droit d'eau fondé en titre (le fait que l'ouvrage existe avant 1790 pour un moulin ou avant 1829 pour un étang), soit sous la forme explicite d'un arrêté préfectoral de règlement d'eau précisant les conditions d'existence et d'usage de l'ouvrage.  

Un propriétaire (privé, communal, public) d'ouvrage hydraulique peut parfaitement s'il le désire engager une procédure d'abandon de droit d'eau, et donc de l'ouvrage. En ce cas, le préfet constate cet abandon et produit un arrêté préfectoral d'annulation de l'autorisation. Cette procédure n'a rien à voir avec la continuité écologique, donc elle ne relève pas de l'article 49 de la loi Climat de 2021 ni de l'article L 214-17 code de l'environnement que cette loi a modifié. En ce cas en effet, le propriétaire a obligation de remettre le site dans une situation de gestion équilibrée et durable conforme aux attendus de l'article L 211-1 code de l'environnement. C'est logique : vous abandonnez un bâti qui était lié à un usage, on vous demande de remettre les choses en l'état (si ce bâti est situé sur une rivière ayant d'autres usages pour des tiers ou s'il pose des problèmes).

Notre association n'est évidemment pas favorable à cet abandon des ouvrages par leurs propriétaires, car nous avons montré que ceux-ci ont des effets positifs multiples qui l'emportent sur des effets négatifs concernant certaines espèces spécialisées. Cela étant dit, nul ne peut être contraint de gérer un bien dont il ne veut plus. Si personne ne veut assumer cette gestion de l'ouvrage, alors sa disparition peut être envisagée. Mais au terme de cette démarche volontaire et réfléchie, après avoir vérifié qu'il n'existe pas d'autres options, en prenant soin que le chantier ne nuise pas aux enjeux locaux du vivant, de l'eau, de la santé et de la sécurité comme aux enjeux d'intérêt général du pays. 

L'idéologie de la casse doit être chassée des administrations de l'eau
En vérité, un certain nombre de fonctionnaires militants de la casse des ouvrages hydrauliques au nom du retour à la nature sauvage, travaillent à l'OFB, aux DREAL de bassin, aux agences de l'eau, dans des syndicats de rivière, ont toujours comme programme de pousser les citoyens à détruire le maximum de sites par le chantage financier et règlementaire. Cela alors que pour assurer la fameuse continuité écologique, il existe en réalité des solutions non destructrices des ouvrages, conservant leurs atouts conformes à l'intérêt général. 

Les parlementaires, le conseil constitutionnel, le conseil d'Etat : toutes les plus hautes instances ont réaffirmé à diverses reprises depuis 10 ans que la politique publique de la France n'est pas de sacrifier l'humain à une "naturalité" des rivières, mais plutôt de concilier des fonctions naturelles des cours d'eau avec des usages par ailleurs utiles et appréciés, comme ceux des ouvrages hydrauliques. Rappelons ainsi que le conseil constitutionnel a reconnu que le patrimoine hydraulique et l'énergie hydraulique sont d'intérêt général, conforme à la charte de l'environnement. Et que le conseil d'Etat a lui aussi refusé de valider l'idéologie extrémiste réduisant les ouvrages à des impacts à faire disparaître.

Le mouvement des ouvrages hydrauliques doit informer les parlementaires de ces manoeuvres dilatoires qui tentent d'imposer à nouveau une certaine vision intégriste et agressive de la nature sauvage en liquidant le maximum du patrimoine hydraulique français et ses usages avérés (production d'énergie ou production alimentaire, agrément des riverains, effets bénéfiques en crues et sécheresses, création de nouveaux écosystèmes et écotones, etc.). 

A retenir :

04/07/2022

Les truites affectent les populations de chabots qu'un ouvrage protège (Bonacina et al 2022)

Des chercheurs italiens profitent du fait que la rivière alpine Nossana est séparée par un ouvrage infranchissable pour analyser les populations d'une espèce protégée de poisson, le chabot commun, à l'amont et à l'aval du barrage. Ils trouvent qu'en l'absence d'autres impacts environnementaux notables, ce sont les truites, abondantes à l'aval du barrage, qui font varier à la baisse la population de chabot et la taille des adultes de cette espèce, alors que le chabot se porte mieux dans la zone amont où les salmonidés sont absents. Cette étude rappelle que le vivant varie à toutes les échelles d'espace. Et que les situations de rivières barrées créent des gagnants et des perdants. La réalité des cours d'eau est un peu plus complexe que les visions simplistes de certains de leurs gestionnaires...


Chabot commun, Hans Hillewaert, CCA-SA 4.0 

Le chabot est une espèce de poisson d'eaux vives et bien oxygénées, en tête de bassin, dont la couleur et la texture caractéristiques des écailles lui permettent de se dissimuler sur fonds de pierres et graviers. L'espèce est répandue en Europe mais elle est menacée de régressions locales et à ce titre protégée. 

Luca Bonacina, Sergio Canobbio et Riccardo Fornaroli ont étudié le poids de la truite commune dans la prédation du chabot, en utilisant un contexte particulier : la rivière alpine Nossana, dans la province de Bergame, d'un bassin versant de 80 km2. L'intérêt de cette rivière est qu'elle est barrée par un ouvrage infranchissable (7 m). L'amont proche des sources est libre de truite alors que l'aval proche de la confluence est l'objet de lâchers de ces salmonidés à fin de peuplement et de loisir pêche.

Voici le résumé de leur travail : 

"Le chabot Cottus gobio est un poisson de petite taille dont l'aire de répartition s'étend sur la majeure partie du continent européen, et il est inscrit à l'annexe II de la directive «Habitat» de l'UE pour son grand intérêt pour la conservation. Au cours des dernières décennies, les populations de chabot ont subi un déclin local. Parmi les facteurs qui les affectent négativement, les principales menaces sont la pollution, la détérioration de l'habitat et l'introduction massive de salmonidés. Cette étude vise à mieux comprendre de quelle manière la présence de la truite Salmo (trutta) trutta affecte les populations de Cottus gobio. L'enquête a été menée dans deux tronçons d'un ruisseau situé dans les Alpes orobiques (Italie). Le tronçon en aval abrite un assemblage de poissons constitué à la fois de chabot et de truite fario, tandis que dans le tronçon en amont, seul le chabot est présent. Une barrière infranchissable isole la population amont de C. gobio de la truite, alors que les conditions environnementales des deux tronçons se sont révélées tout à fait comparables. Nous avons évalué la structure de la population, la préférence d'habitat et la forme corporelle des populations de chabot dans les deux tronçons : les résultats indiquent que la présence de truite diminue le nombre d'adultes de chabot, réduit la taille corporelle moyenne des adultes et induit une occupation sous-optimale de l'habitat du chabot. Cependant, les deux populations de C. gobio ont montré une population bien structurée et de bons indices de performance, de sorte que la truite ne semble pas être une menace pour la survie de la population."

Les auteurs concluent cependant leur étude : "Les informations recueillies dans la présente étude ont montré l'impact réel de la présence de truites sur les populations de chabot et ont confirmé que la gestion et la réglementation des introductions de salmonidés dans les cours d'eau sont nécessaires pour protéger l'espèce indigène C. gobio."

Discussion
Nous commentons cette recherche pour illustrer les méthodes courantes en écologie des rivières, consistant souvent à analyser si des populations d'espèces ou de communautés d'espèces montrent des variations locales. Il est aisé de trouver un "impact" dès lors qu'on isole une variation d'un trait ou de plusieurs traits d'une population. Ici, on notera que la présence d'un ouvrage permet de comparer des milieux amont/aval et de montrer que les dynamiques des populations y divergent, avec des gagnants et des perdants à chaque fois. On notera aussi que les pratiques de pêche de loisir, dont l'introduction de salmonidés, ont une influence sur les compositions biotiques : ce point est peu étudié et débattu en France, alors que l'influence de ces pratiques peut être plus marquée que celle des ouvrages hydrauliques (voir par exemple Haidovgl et al 2015Prunier et al 2018). 

De notre point de vue, les politiques publiques des rivières doivent prendre un peu de recul lorsqu'elles cherchent à s'inspirer de tels travaux : 
  • d'une part, on voit mal comment ces politiques pourraient prétendre gérer la totalité des facteurs qui font varier la totalité du vivant, et anticiper toutes les conséquences de certains choix (comme la destruction d'ouvrages de rivière, qui modifie aussi la circulation des espèces exotiques, invasives, d'élevage, cf par exemple Vera et al 2018Robinson et al 2019) ; 
  • d'autre part, la variation locale permanente de ce vivant doit amener à se demander ce que l'on cherche au juste à optimiser dans une rivière, et dans quel intérêt général on le fait. 
Car enfin, les inventaires naturalistes de ces rivières passionnent sans doute les biologistes, taxonomistes ou ichtyologues, mais ils ne suffisent pas vraiment à définir leurs modalités d'appropriation par les sociétés

Référence : Bonacina L et al (2022), Influence of the Salmo (trutta) trutta on the population structure, the growth, and the habitat preference of a Cottus gobio population, River Research & Applications, doi: 10.1002/rra.4018

01/07/2022

Analyser le seuil en rivière comme créateur d'un écotone de retenue (Donati et al 2022)

Quatre universitaires français proposent, à partir de leur propres travaux d'observation et d'une revue bibliographique de la littérature scientifique, un changement de théorie sur l'approche des seuils en rivière : loin de pouvoir être réduits à des "anomalies" sans valeur propre, ces ouvrages hydrauliques et leur retenue sont des écotones, c'est-à-dire des milieux à gradients environnementaux faisant émerger des propriétés physiques, chimiques et biologiques dignes d'intérêt. Les chercheurs soulignent que très peu d'études sont réellement faites de ces milieux de retenue avec ouvrages, alors que de nombreux indicateurs suggèrent qu'ils sont intégrés de longue date dans le paysage fluviatile et qu'ils peuvent servir à gérer de manière intéressante l'eau des bassins versants. Une étude à faire lire de toute urgence aux instances publiques en charge de l'eau qui n'ont pas été capables depuis 10 ans de financer un programme sérieux de recherche sur les centaines de milliers de retenues, plans d'eau, étangs que compte le réseau hydrographique français. 


En écologie, un écotone se définit comme un milieu de transition, une discontinuité marquée par un gradient environnemental où les conditions abiotiques (physiques, chimiques) et biotiques (vivant) changent plus ou moins soudainement. Parmi les exemples très connus d'écotone, les lisières de bois entre milieu ouvert et fermé, les estuaires entre milieux salins et d'eau douce, les zones humides entre milieux terrestres et aquatiques. 

Les écotones modifient les flux de certaines grandeurs, et du même coup produisent des émergences locales de propriétés nouvelles. "Une conséquence directe de la capacité des écotones à modifier les flux est celle qui les amène à devenir des zones de stockage et de redistribution des ressources. En effet, après avoir été piégés, les substances et les matériaux s’accumulent au sein de ce type d’environnement, qui peut les bloquer à jamais, les recycler ou les redistribuer de manière graduelle, contribuant au fonctionnement des milieux avoisinants et à la survie des espèces qui les peuplent", soulignent Francesco Donati, Laurent Touchart, Pascal Bartout et Quentin Choffel.

L'objet de leur travail est de fonder en raison une nouvelle hypothèse de recherche : voir les ouvrages en lit mineur de rivières, en particulier les seuils (de gué, de moulins, d'étangs, de plans d'eau), comme des écotones, c'est-à-dire des discontinuité intégrée dans le paysage fluviatile et créant des gradients locaux. 

Voici le résumé de leur étude :
"Très répandues au sein des cours d’eau contemporains, la nature des retenues de seuil est encore mal comprise et les sciences de l’eau peinent à les placer au sein des autres milieux aquatiques continentaux. Certains les voient comme des tronçons de cours d’eau dégradés, qui ont perdu totalement ou partiellement les traits typiques des milieux lotiques ; d’autres les perçoivent comme de véritables écosystèmes, qui possèdent des fonctionnalités propres et qui jouent un rôle au sein des dynamiques environnementales. Dans une recherche que nous avons récemment publiée, nous assimilons le fonctionnement des retenues de seuil à celui des écotones et, dans cet article, nous souhaitons mieux développer notre théorie. En effet, ces deux types d’environnements sont gouvernés par des gradients environnementaux et présentent les mêmes fonctionnalités, c’est-à-dire la capacité à filtrer la matière, à stocker et redistribuer les substances et à constituer un véritable habitat pour différents types d’organismes. Cette nouvelle vision des retenues de seuil peut même s’étendre à d’autres milieux aquatiques construits par l’homme, à titre d’exemple les étangs. Elle ouvre d’intéressantes perspectives de recherche et offre une nouvelle approche de gestion, qui ne considère plus ce type d’environnement comme un simple obstacle au sein des fleuves et rivières, mais comme des milieux intégrés dans les paysages fluviatiles d’aujourd’hui et avec leurs propres fonctionnalités."

Un seuil en rivière et sa retenue créent une rupture locale dans la pente hydrographique, une moindre vitesse de l'eau sur l'emprise de la retenue, une moindre énergie de transport,  des variations conséquentes dans la turbidité, la conductivité, la stratification thermique, la circulation des sédiments, la dissolution des composants chimiques, et bien sûr les types d'habitats pour les communautés d'espèces.

Le point essentiel des auteurs est qu'il ne faut plus réduire l'analyse scientifique du seuil et de son système local à un paradigme simpliste opposant le milieu naturel "sain" à un milieu artificiel "dégradé" par nature (et donc sans intérêt a priori). Beaucoup d'études citées dans cette revue bibliographique rappellent divers services écosystémiques associés aux retenues et plans d'eau.

"Cette nouvelle vision des retenues de seuil offre de vastes perspectives de recherche, qui peuvent la fortifier et apporter une meilleure connaissance de ce type d’environnement. En effet, les retenues de seuil sont encore assez méconnues et de nouvelles études sont sans doute nécessaires pour mieux définir leurs caractéristiques. À titre d’exemple, il est nécessaire de clarifier quel est le rôle de la gestion anthropique sur leur fonctionnement, car les seuils en rivière qui les forment sont dans la plupart des cas équipés d’éléments mobiles qui permettent de réguler les flux d’eau, c’est-à-dire d’agir sur le gradient environnemental qui gouverne ces espaces. Ainsi, il est intéressant de comprendre comment évoluent les fonctionnalités des retenues de seuil quand ces annexes hydrauliques sont manœuvrées. Ensuite, il est nécessaire de mieux définir quels sont les impacts amont-aval engendrés par les seuils en rivière et les espaces qui se forment à leur amont sur les compartiments abiotiques et biotiques des cours d’eau, qui sont souvent évoqués dans les documents de gestion. Il est nécessaire de mieux caractériser le fonctionnement biotique de retenues de seuil, promouvant des études qui les considèrent comme de véritables écosystèmes et pas comme des corps étrangers aux cours d’eau. Enfin, nous pensons qu’il serait intéressant d’approfondir la possibilité pour les retenues de seuil de devenir des zones de refuge pour la faune aquatique et donc de jouer un rôle important dans la recolonisation des portions asséchées au cours d’un étiage sévère : ceci est sans doute un service écosystémique particulièrement important dans un contexte de dérèglement climatique comme celui que nous connaissons actuellement."

Enfin, l'analyse du seuil comme écotone prend acte du caractère "hybride" de la nature dans les zones très anciennement peuplées (comme l'Europe), c'est-à-dire le co-construction des systèmes fluviaux par la présence humaine, ainsi que des possibilités de mobilise ces seuils dans une gestion de l'eau favorable aux objectifs de développement durable. 

"D’un point de vue épistémologique, cette nouvelle vision des retenues de seuil s’inscrit dans le courant de pensée qui voit la nature d’aujourd’hui comme un objet hybride (Lespez et Dufour, 2020, 2021) et les milieux anthropiques non pas comme des milieux dégradés, mais comme de véritables nouveaux écosystèmes, fonctionnels et parfaitement intégrés aux dynamiques environnementales (Hobbs et al., 2006, 2009, 2013). La présente étude développe cette approche sur ce type d’environnement, qui ne serait plus une entité étrangère aux cours d’eau, mais un espace bien intégré aux fleuves et aux rivières, copiant les fonctionnalités des milieux naturels. Cela sous- entend la nécessité d’une gestion permettant à cet objet de rester écotone, afin de préserver ses bienfaits naturels, économiques ou sociaux. À titre d’exemple, on peut considérer la possibilité des retenues de seuil d’écrêter les polluants. Ce dernier aspect est à notre avis particulièrement important pour certains pays d’Europe, dont le réseau hydrographique est dense de seuils en rivière et qui, en même temps, sont soumis à la Directive Cadre sur l’Eau (DCE-2000), qui met en avant la réduction des polluants pour l’atteinte du bon état écologique des masses d’eau. Après avoir mis en place des stratégies de gestion adéquates, les retenues de seuil peuvent donc devenir des alliés valides dans la lutte contre ces substances et pour le respect des préconisations législatives."

Discussion
La publication de Francesco Donati et de ses collègues apporte une perspective originale et féconde dans l'analyse des hydrosystèmes fluviaux. Elle synthétise de nombreux travaux venant de la recherche scientifique, confirmées par l'observation critique des politiques de l'eau, en particulier :
  • la nécessité d'intégrer la réalité de la modification historique déjà très ancienne des rivières et des bassins versants, ayant notamment créé des états écologiques alternatifs stables autour des complexes moulins-étangs installés depuis quelques siècles,
  • le manque de sens à promouvoir en politique publique un "état de référence" morphologique de la rivière ou un "état de nature" qu'il s'agirait de "restaurer", vu la dimension évolutive des complexes milieux-usages et le contexte anthropocène d'une accélération des changements liés aux activités de l'espèce humaine, 
  • l'existence de fonctionnalités propres et de services écosystémiques attachés aux ouvrages, pas seulement dans leurs visées anciennes (par exemple produire de l'énergie, permettre une pisciculture), mais aussi dans des foncions émergentes d'intérêt socio-écologiques (par exemple épurer des intrants, créer des refuges d'étiage, diversifier les peuplements d'un tronçon, élargir le spectre d'adaptation au réchauffement climatique).
Outre la retenue étudiée par F. Donati et ses collègues, un autre objet important d'analyse pour les sciences de l'eau serait le bief de moulin (ou le canal d'irrigation en hydraulique agricole). A notre connaissance, ce point est quasi-orphelin d'étude dans la littérature scientifique – on trouve un peu de travaux sur la diversité biologique dans les canaux et fossés agricoles – et il est invisible dans les analyses techniques préparatoires de chantier de continuité écologique. Quand on supprime un ouvrage et donc une retenue de type moulin ou usine à eau, on supprime souvent aussi un complexe de biefs et sous-biefs, pouvant être très étendu (plusieurs kilomètres parfois), avec des annexes humides et des fonctionnements assez variés, une diversité de rives, d'écoulements et de sédiments pouvant être forte. Engager des recherches sur ce point serait nécessaire, car une politique aveugle de continuité par suppression d'ouvrage assèche hélas aussi ces linéaires très importants de milieux aquatiques et humides. Et la rehausse des rives par rapport aux lits incisés fait qu'il n'y a au final plus d'annexes latérales en eau, une fois le complexe ouvrage-retenue-bief disparu. On détruit les écosystèmes anthropisés, mais on ne retrouve pas pour autant les écosystèmes pré-humains.

D'un point de vue concret, ce travail avec d'autres soutient notre souhait d'intégrer pleinement les milieux aquatiques et humides d'origine humaine dans les législations françaises et européennes de protection de l'environnement. Cette évolution normative permettra de résoudre des contradictions et impasses nées de la volonté d'opposer la nature à la société dans une certaine approche écologique (savante ou politique), ou bien encore de valoriser la dimension naïvement "sauvage" des rivières au détriment des réalités physiques, chimiques, biologiques, sociales bien plus complexes de ces cours d'eau.

Références : Donati F et al (2022), Caractérisation biophysique des milieux situés à l’amont des seuils en rivière: l’écotone retenue de seuil, VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement, 22, 1

28/06/2022

La France détruit un barrage hydro-électrique en même temps qu'elle rouvre une centrale à charbon

C’est un scandale passé sous silence par les grands médias nationaux, un scandale d’Etat : le gouvernement français, prisonnier de l’alliance contre-nature de lobbies intégristes du retour à la nature sauvage et de pêcheurs de saumons, détruit les barrages hydro-électriques du pays en pleine crise énergétique et en pleine transition climatique. Dans le même temps, il annonce qu'il rouvre une centrale à charbon! On marche sur le tête. L’administration de l'eau s'est mise au service de minorités sans rapport à l’intérêt général. Il faut que cela cesse. Nous vous demandons de saisir vos nouveaux députés pour qu'ils interpellent Elisabeth Borne et que la Première Ministre exige de son administration la fin de toute destruction d'ouvrage hydraulique, comme la loi l'ordonne. 


Destruction en cours du barrage EDF de la Roche-Qui-Boit : le lobby casseur a été soutenu par le ministère de l'écologie, malgré les avis du conseil d'Etat et du conseil constitutionnel sur l'intérêt du patrimoine hydraulique.

Cette semaine, deux actualités se percutent. Le gouvernement vient d’annoncer qu'il comptait relancer la centrale à charbon de Saint-Avold, en Moselle. Emmanuel Macron avait promis en 2017 de toutes les fermer avant 2022, car cette source d’énergie est particulièrement polluante et émettrice de carbone. Dans le même temps, EDF a engagé sur pression du même gouvernement la destruction du deuxième barrage hydro-électrique de la Sélune, le site de la Roche-Qui-Boit. 

Ce chantier de pure gabegie prive une région de production hydraulique bas-carbone, d’un lac de réserve d’eau potable et de nombreuses activités nautiques. Pourquoi une telle folie? Car le lobby des pêcheurs de saumon espère le retour de 1300 poissons pour son loisir et parce que l’idéologie intégriste du retour à la nature sauvage a été adoptée sans concertation par les hauts fonctionnaires du ministère de l’écologie en charge des rivières. (Voir notre dossier complet dans les liens en bas de cet article). 

Ce scandale doit cesser : l’avenir énergétique et hydrologique de la France ne doit plus être bloqué voire anéanti sous prétexte que quelques experts, fonctionnaires et lobbies militants se sont arrogés le droit de décider de l’avenir des rivières, de leurs patrimoines et de leurs usages, tout en prenant les riverains comme cobayes de leurs idées hors-sol.

Nous vous demandons de saisir vos nouveaux députés et vos sénateurs pour interpeller Elisabeth Borne à ce sujet. La Première Ministre en charge de la transition écologique ne doit pas avoir une minute de repos sur ce dossier tant qu’elle n’ordonne pas clairement à son administration de cesser les destructions de barrages et le financement public de ces folies. . 

Modèle argumentaire pour écrire à votre député/sénateur
et lui donner les éléments d'une question parlementaire à la Première Ministre

Alors que la France est en retard sur la transition énergétique bas-carbone et que son gouvernement a été condamné en justice pour cela, alors que nous rouvrons des centrales fossiles en urgence pour faire face à la pénurie énergétique et à l’inflation, alors que le changement climatique menace la ressource en eau, le gouvernement a ordonné à EDF de détruire le dernier barrage producteur d’électricité du fleuve Sélune (Manche), après avoir détruit un autre ouvrage du même fleuve voici deux ans. 

D’autres chantiers de destruction de seuils et de barrages sont programmés, sur argent public, alors que ce choix est contraire à la production électrique bas-carbone et à la préservation / régulation de l'eau en situation d’incertitude climatique forte.

Les parlementaires ont demandé en 2021 (loi Climat et énergie) que la continuité écologique des rivières se fasse désormais sans aucune destruction des usages actuels et potentiels des ouvrages hydrauliques. Il est tout fait possible de faire circuler des poissons migrateurs par des méthodes qui conservent les ouvrages des rivières, et sont donc véritablement respectueuses de l'ensemble des enjeux écologiques, sociaux, économiques.

Mme la Première Ministre Elisabeth Borne peut-elle expliquer pourquoi son gouvernement persiste à détruire des barrages sur argent public dans la très grave crise que traverse le pays ? Pourquoi aucune circulaire d’application de la loi Climat et énergie de 2021 n’a été faite pour informer les administrations eau/énergie de la nécessité de restaurer et équiper tous les seuils et barrages de France dans un but de transition écologique, de production énergétique et d’intérêt général ? 


27/06/2022

L’Europe propose une loi de restauration de la nature

La commission européenne vient de proposer un projet de loi relatif à la restauration de la nature. Nous analysons sa disposition sur la continuité des rivières, tout en rappelant que la notion floue de «restauration de la nature» est contestée par une partie de la recherche scientifique: cette construction intellectuelle inspirée de spécialistes de l’écologie de la conservation ne correspond pas à la manière réelle dont les humains vivent leur environnement et interagissent avec lui depuis des millénaires, comme elle n'inclut pas la réalité des nouveaux écosystèmes créés par les humains dans l'histoire. Plusieurs évolutions de ce texte vont donc être suggérées aux parlementaires européens pour son adoption, puis aux parlementaires français pour sa transposition.


La direction générale de l’environnement de la Commission européenne vient de proposer, dans le cadre du Pacte vert, un projet de directive sur les écosystèmes. Voici un extrait de son communiqué :

« La Commission propose aujourd’hui le tout premier acte législatif qui vise explicitement la restauration de la nature en Europe, dans le but de réparer les 80 % d’habitats européens qui sont en mauvais état et de ramener la nature dans tous les écosystèmes, depuis les forêts et les terres agricoles jusqu’aux écosystèmes marins, d’eau douce et urbains. Dans le cadre de cette proposition de loi sur la restauration de la nature, des objectifs juridiquement contraignants en matière de restauration de la nature dans différents écosystèmes s’appliqueront à chaque État membre, en complément de la législation existante. L’objectif est de couvrir au moins 20 % des zones terrestres et marines de l’UE d’ici à 2030 par des mesures de restauration de la nature et, d’ici à 2050, d’étendre ces mesures à tous les écosystèmes qui doivent être restaurés. »

Le memorandum de justification (en anglais) peut se lire à ce lien

Continuité écologique des rivières: la France a déjà largement fait sa part, avec beaucoup de problèmes en retour d'expérience 
Dans le cas particulier des rivières qui nous intéresse, cette proposition européenne vise à obtenir en 2030 un linéaire de 25 000 km de cours d’eau sans obstacle à échelle de l’union européenne. Comme nous l’avions déjà fait observer, la France à elle toute seule a déjà classé à peu près cette dimension de linéaire de rivière par les arrêtés administratifs de continuité écologique de 2012 et 2013, faisant suite à la loi sur l’eau de 2006. 

Cela signifie que notre pays a à en quelque sorte «surtransposé» par avance les normes européennes (non encore existantes voici 10 ans), avec des objectifs qui se sont d'ailleurs révélés très peu réalistes par rapport aux capacités d’action. Si cet acte législatif venait à être adopté au niveau européen, nous pourrons donc informer les décideurs nationaux que la France est déjà largement dans l’excès d’ambition sur ce dossier, et non pas dans le manque d’action. Inversement, la France est très en retard dans la lutte contre les polluants émergents, ce que l'Europe lui a reproché. De surcroît, la méthode de mise en œuvre de la continuité écologique de rivières a soulevé depuis 10 ans des contentieux juridiques, des contestations scientifiques, des conflits sociaux et des réformes législatives, donc l’expérience française indique plutôt à l’Europe que ce sujet particulier doit être repensé avec beaucoup plus de précision et d’attention, certainement pas asséné comme une évidence. 

De nombreux universitaires et chercheurs mettent en garde contre l'opposition stérile et fausse entre nature et société
Sur le fond, ce texte européen déploie parfois une idéologie déjà datée sur l’opposition entre la nature et la société. Il y a un consensus large sur la nécessité de maîtriser des substances toxiques pour la santé humaine et environnementale. Il y a aussi souvent un désir social de préserver des paysages et cadres de vie où la biodiversité n’est pas trop altérée. Mais l’idée directrice de « restauration de la nature » nous semble bien trop contestée au plan scientifique et politique pour en faire une ligne normative directrice à échelle de l’Union européenne. 

Des universitaires ont ainsi critiqué la posture intellectuelle des experts et hauts fonctionnaires de l’Union européenne qui inventent une notion de « nature » plus philosophique ou technocratique que scientifique (voir Linton et Krueger 2020, Vos et Boelens 2020). En effet, pour les sciences d’observation (naturelle, humaine, sociale), il existe des phénomènes physiques, chimiques, biologiques, sociaux, économiques, techniques ne pouvant pas être arbitrairement séparés entre ce qui serait d’un côté « la nature » et de l’autre un « humain » qui en serait exclu, différent. En réalité, nos environnements humains et non-humains ne font qu’évoluer ensemble depuis des millénaires. 

Dans le cas des rivières, la recherche scientifique a montré que les bassins versants actuels sont tous issus d’une co-évolution des conditions  physiques et des pratiques humaines à compter de la sédentarisation néolithique, sans qu’il soit possible ou simplement sensé de dire que la référence «naturelle» serait la rivière telle qu’elle était en l’an 1800, en l’an 1000, en l’an 0, ou encore au paléolithique – sans compter l'effet actuel et futur du changement climatique faisant évoluer ces références «naturelle»  (voir Bouleau et Pont 2014, 2015, Lespez 2015, Verstraeten 2017, Su 2021). Hélas, la direction générale de l'environnement de la commission européenne entretient une ligne de pensée simpliste à ce sujet, dont l’expérience concrète des chantiers de «restauration de la nature» a déjà montré de nombreuses limites.

Deux évolutions nécessaires : intégrer la protection des nouveaux écosystèmes créés par les humains, garantir la priorité à la lutte contre le changement climatique en cas de conflit de normes
Concrètement, nous allons demander aux parlementaires européens en charge de la discussion du texte puis aux parlementaires français en charge de sa transposition deux évolutions indispensables :
  • Les ambitions sur les écosystèmes aquatiques et humides doivent impérativement inclure la préservation et la valorisation écologiques ce que l’on appelle les «écosystèmes culturels», «nouveaux écosystèmes» ou «écosystèmes anthropiques», c’est-à-dire les milieux ayant émergé des activités socio-économiques au fil des siècles passés et ayant produit des états écologiques alternatifs. Cela inclut par exemple la protection des retenues, lacs, mares, étangs, biefs, canaux, etc.
  • Face à la crise climatique et énergétique prenant peu à peu une dimension existentielle en Europe, les normes doivent être hiérarchisées et, comme le proposent de nombreuses voix dans les pays européens, toutes les énergies renouvelables doivent avoir priorité (notion d’ «intérêt public majeur» assurant la hiérarchie des normes dans la conduite des politiques publiques). Cela signifie que les opérations de «restauration de la nature» doivent être placées secondairement aux opérations assurant la souveraineté énergétique et la prévention d’un changement climatique dangereux. Cela exclut tout ce qui affaiblit, retarde, empêche la mobilisation européenne d’une source d'énergie bas-carbone, en particulier dans le cas de l’hydraulique, qui a l’un des meilleurs bilans en ce domaine.