Après avoir subi un vote négatif en comité syndical du syndicat mixte Sequana le 6 septembre 2017, le projet absurde de destruction de 3 ouvrages hydrauliques sur l'Ource a malgré tout été acté par l'arrêté préfectoral n°792 du 13 décembre 2017. Notre association a déposé un recours amiable en annulation de cet arrêté et, en cas de refus de la préfecture, portera cette requête en annulation devant le tribunal administratif.
A cette occasion, nous avons eu accès à l'avis de l'Agence française pour la biodiversité accompagnant ce projet. Cette pièce émanant d'une administration et concernant l'environnement, donc pouvant être accessible à tout citoyen, nous la rendons publique à ce lien.
Pour ceux qui l'ignorent encore, l'Agence française pour la biodiversité a intégré l'ancien Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), qui était lui-même le successeur du Conseil supérieur de la pêche (CSP). L'AFB-Onema-CSP se caractérise par un traitement des questions écologiques en rivière centré sur les poissons des milieux lotiques, particulièrement des poissons qui se trouvent très appréciés de certains types de pêche (salmonidés). Ce qui est bien dommage, car la biodiversité aquatique dont cette agence est supposée être la garante est représentée dans 98% des cas par des espèces autres que les poissons (et dans 99,5% des cas par des poissons autre que spécialisés en eau courante). Si l'on ajoute la biodiversité rivulaire, le poisson est loin d'occuper la place centrale qu'il a aujourd'hui dans l'instruction des dossiers concernant les milieux aquatiques (voir ce rapport).
L'avis de l'AFB sur la destruction des ouvrages de l'Ource montre à nouveau ces biais :
- appréciation de pure complaisance de la qualité du diagnostic ("le projet présenté s’appuie sur un état initial solide") alors qu'à peu près tout manque dans le dossier présenté par le syndicat Sequana (pas d'analyse des peuplements faune-flore de 2000 m de biefs et zones humides menacés, pas d'état initial correct des poissons avec mesure amont-retenue-aval et bief, absence de la moindre référence aux diverses mesures obligatoires de la directive cadre européenne sur l'eau, pas d'analyse chimique des sédiments, etc.),
- généralité sur les sédiments consistant à dire en termes savants et inutilement complexes que la rivière n'aura pas localement la même substrat avec ou sans ouvrage, sans qu'il soit précisé en quoi l'habitat lentique des retenues actuelles et leur fosse en aval de chute poseraient un problème pour le vivant (hors frayères à truite) et en quoi la fin des habitats aquatiques de biefs asséchés et de leurs annexes ne sera pas une perte plus impactante pour le vivant qu'un changement de faciès sur le lit mineur,
- centrage de tout le document sur les poissons (en particulier les rhéophiles, et bien sûr les truites) sans aucune considération pour d'autres espèces,
- même sur les poissons, aucune mise en contexte sur les peuplements du tronçon, aucune analyse des causes des densités observées (on cite des impacts de manière impressionniste, sans modèle explicatif), aucune projection de l'évolution de l'hydrosystème et de ses assemblages biologiques en changement climatique (alors les assecs de l'Ource sont signalés, sans que leur discontinuité hydrologique soit cartographiée et analysée), évocation d'un "potentiel piscicole" qui serait "fort" sans élément pour le démontrer (le rapport de la fédération de pêche cité en référence a utilisé des méthodologies datées et absentes de la littérature scientifique récente en écologie), le potentiel est "historiquement reconnu pour la truite fario", mais les ouvrages fondés en tire sont là depuis plusieurs siècles, donc il faut supposer qu'ils n'ont pas empêché "historiquement" la présence de ces truites, etc.
On note par ailleurs une erreur de droit (qui n'est de toute façon pas la spécialité ni la mission de l'AFB, donc son intervention sur le sujet est étrange) : "Le projet présenté, avec un démantèlement des ouvrages transversaux, consiste en fait à une remise en état des lieux telle que définie par l’article L.214-3. De fait, l’opération projetée ne peut relever du régime de l’autorisation au sens de la rubrique liée aux ouvrages transversaux comme mentionné dans le dossier (p.8)." Or toute modification de plus de 100 mètres de profil de rivière impose une autorisation loi sur l'eau au titre du régime IOTA R 214-1 CE, que cette modification résulte du L 214-17 CE, du L 214-3 CE ou de tout autre article du code de l'environnement. L'AFB semble encore véhiculer la vue naïve selon laquelle un chantier dit de restauration écologique ne serait pas d'abord un chantier, donc une intervention en lit et berge susceptible de dégrader l'état actuel des milieux (ou de nuire aux droits des tiers, par ailleurs).
Comme celui déjà réalisé sur Tonnerre à l'époque de l'Onema (voir cet article), ce rapport sur l'Ource confirme donc que l'AFB cherche certainement à optimiser chaque mètre carré de rivière pour des espèces rhéophiles, mais ne travaille pas sérieusement sur la biodiversité aquatique en dehors de ce cadre étroit. C'est sans doute pour la même raison que l'Onema puis l'AFB n'ont jamais éprouvé la nécessité d'une estimation scientifique des impacts de la pêche sur les milieux, assortie de préconisations sur l'évolution des pratiques.
Ces biais halieutiques et excès de spécialisation piscicole / lotique de certaines instructions en écologie des rivières sont aujourd'hui anachroniques. Ils ont déjà été observés dans des travaux universitaires (par exemple Lespez et al 2015, Dufour et al 2017). L'agence française pour la biodiversité en tiendra-t-elle compte? Ou continuera-t-elle l'enfermement corporatiste qui a déjà caractérisé le CSP, puis l'Onema?
Illustration : bief d'un des ouvrages de Prusly-sur-Ource, milieu riche en vivant qui risque d'être asséché sur plusieurs milliers de mètres sans la moindre étude d'impact par le syndicat Sequana, la fédération de pêche ou l'AFB, alors que le commissaire enquêteur en a demandé le diagnostic. Mais tout ce qui contredit aujourd'hui le dogme de la continuité écologique "à la française" est écarté d'un revers de main : on rationalise les destructions d'ouvrages à la chaîne par des justifications répétitives, copiées-collées d'un site à l'autre, et d'une grande pauvreté de contenu.