28/09/2025

Quand la rivière tue, priorité doit être donnée à la sécurité des citoyens

Le 22 septembre 2025, une femme de 55 ans perdait la vie à Guingamp, emportée par une crue soudaine. Un drame terrible, rendu encore plus insupportable par le lieu de l'accident : la vallée de Cadolan, qui venait de faire l'objet d'un chantier de "renaturation" à près d'un million d'euros, censé lutter contre les inondations. Cet événement tragique rappelle que la rivière tue : le risque zéro est impossible, mais le devoir du gestionnaire public de l'eau est de protéger les citoyens. Or la politique de l'eau a fait depuis des décennies le choix idéologique de la "restauration écologique des rivières" au détriment du génie hydraulique et de la protection des populations, qui se retrouvent sous-financés. Face à l'urgence climatique, il est temps de replacer la sécurité des personnes et la maîtrise de l'eau au cœur d'une véritable politique de gestion des bassins versants.


(DR, actu.fr)

Le lundi 22 septembre 2025, à 7h15 du matin, une agente du lycée Pavie s'engage sur la route du lieu-dit Cadolan. Le département est en proie à ce que Météo France qualifie d'"épisode pluvieux remarquable", avec des cumuls atteignant plus de 150 mm dans le secteur de Plouha entre le dimanche midi et le lundi matin. Alors qu'il fait encore nuit, sa voiture est surprise par une montée des eaux fulgurante. L'issue sera fatale.

Ce drame exprime aussi un échec. Car la vallée de Cadolan n'est pas un lieu anodin. C'est le site d'un projet phare de l'agglomération Guingamp-Paimpol, une opération de réhabilitation écologique à 840 000 euros. L'aménageur lui-même expliquait que l'idée initiale était de créer cet espace "pour éviter la construction d'un nouveau barrage qui permettait de lutter contre les inondations". 

Le résultat ? Face à une crue réelle, le secteur engorgé s'est transformé en piège mortel.

La politique de l'eau : tout pour l'écologie, plus grand chose pour l'hydraulique
Pour comprendre comment on a pu en arriver là, il faut se plonger dans les documents qui orientent la politique de l'eau sur chaque territoire, comme le SAGE voisin de la Baie de Lanion ou les documents de l'Agglomération de Guingamp-Paimpol. On y parle de préserver les "zones d'expansion des crues" ou de "sensibiliser à la culture du risque". On y évoque des "solutions fondées sur la nature" et des "restaurations écologiques". Pas un mot sur les solutions de génie hydraulique qui ont fait leurs preuves depuis des décennies. Pas un mot sur des barrages de retenue en amont, des digues de protection ou des canaux de contournement pour dévier les crues des zones habitées. La doctrine publique de gestion de l'eau est devenue : on ne s'oppose plus à l'eau, on lui laisse de la place. C'est un choix politique qui, au nom de la nature, abandonne des décennies de savoir-faire en matière de sécurité hydraulique.

Pire, cette doctrine publique a conduit à se priver des outils de régulations de l'eau, en particulier les barrages et canaux qui soit sont découragés et sous-financés, soit carrément détruits volontairement quand ils existent. 

Dans cette région de Guingamp-Paimpol-Lannion, l'idéologie de la destruction des barrages et la vénération des rivières "sauvages" n'est pas nouvelle. On peut remonter à 1996. Cette année-là, le barrage de Kernansquillec sur le Léguer, un ouvrage de 15 mètres de haut, fut entièrement démoli. Bien que situé sur un bassin versant voisin du Trieux (donc sans impact sur le cas de Guingamp), son démantèlement fut érigé en exemple régionale et national ; il a servi de déclencheur politique et idéologique à la doctrine de "l'effacement" systématique des ouvrages hydrauliques, qui fut ensuite le dogme appliqué partout, en Bretagne et en France.

La circulation de la truite ou du saumon passe après les vies humaines
Face à la tragédie de Guingamp, les citoyens sont en droit de demander des comptes à l'agence de l'eau, à l'agglomération Guingamp-Paimpol et aux acteurs à compétence Gemapi, qui appliquent ces orientations.

Comment peut-on justifier de dépenser des millions d'euros d'argent public dans une politique qui fait de la circulation de la truite ou du saumon une priorité, tout en ignorant les outils les plus efficaces pour protéger les vies humaines ? Comment peut-on se contenter de brandir des "solutions fondées sur la nature" sans garantir qu'elles seront efficaces en crue, sans évaluer l'eau stockée par ce biais, sans alerter les citoyens du nouveau régime d'écoulement que cela implique ? 

La priorité absolue doit être la sécurité et la santé des personnes. L'écologie de la "restauration", aussi louable soit-elle, ne peut primer sur cet impératif. Que l'on investisse dans des solutions fondées sur la nature, comme de véritables zones humides d'expansion de crues, pourquoi pas. Mais d'abord à condition que l'efficacité soit démontrée. Ensuite en complément, et non en remplacement, des ouvrages de protection active ainsi que de la gestion technique des ruissellements en zone urbaine.

L'aménagement de la vallée de Cadolan a montré les limites de la seule renaturation, et cela de la plus tragique des manières.

Pour un changement de cap : la sécurité d'abord
L'heure est à l'action. Il faut un moratoire immédiat sur toute destruction de barrages et de seuils qui participent, même modestement, à la régulation des eaux. Il est vital de réinvestir dans une approche hydraulique robuste, et même de reprendre la construction d'ouvrages de protection là où c'est nécessaire. Cela implique également de financer en priorité des systèmes d'alerte météo et de crues plus réactifs et plus localisés, pour que ni les citoyens, ni même les élus, ne soient surpris par une montée des eaux fulgurante en pleine nuit.

Cela passe aussi par un changement dans les mentalités et les compétences. Les agents publics qui gèrent nos rivières doivent être formés au génie hydraulique et à la gestion des risques, pas seulement à la biologie et à la morphologie des cours d'eau.

Cet impératif est rendu encore plus criant par le réchauffement climatique. Les experts nous alertent depuis plus de 20 ans : les événements extrêmes vont devenir plus fréquents et plus intenses. Pourquoi, dans ce cas, nos aménageurs n'ont-ils pas réfléchi plus tôt au dimensionnement des projets ? Pourquoi ne pas avoir compris le coût énorme que représente une maîtrise correcte des écoulement en zone agricole et urbaine, donc la nécessité de concentrer et non disperser l'effort public en subventions et en personnels ?  

Continuer sur la voie actuelle, c'est faire le choix de l'impréparation. Un choix inacceptable. Un choix qui doit disparaître des SDAGE et des SAGE. 

Protéger la biodiversité est nécessaire, restaurer des naturalités peut être utile. Mais garantir la sécurité et la santé des habitants est le premier devoir du gestionnaire public. Il est temps de remettre l'ingénierie, la prudence et le bon sens au cœur de la gestion de nos rivières. Avant qu'une autre crue ne vienne nous rappeler, de la plus brutale des manières, le coût de nos égarements par rapport à la hiérarchisation et la priorisation des actions. 

21/09/2025

Plongée dans l'histoire de la Seine, ses crues et ses barrages

Pour les passionnés d'histoire des techniques et des ouvrages hydrauliques, le livre de Denis Cœur, "Barrages-réservoirs et crues de la Seine", est une  pépite. Bien plus qu'une simple chronique des inondations parisiennes, cet ouvrage nous offre un récit passionnant de la naissance d'une science, l'hydrologie, et de son influence sur quatre siècles d'aménagement du territoire. Cette lecture est utile pour comprendre comment notre relation au fleuve s'est construite, entre savoirs empiriques, innovations scientifiques et décisions politiques. À l'heure où le changement climatique nous force à réinterroger nos infrastructures, ce retour aux sources est d'une pertinence remarquable. 


Le livre s'ouvre sur une période où la connaissance du fleuve est avant tout pragmatique et locale. Denis Cœur nous montre que les premiers "hydrologues" étaient les navigants, les commissaires des ports et les meuniers. Leurs savoirs, transmis oralement, étaient basés sur des repères de crue gravés sur une pile de pont ou un rocher, essentiels pour la navigation et le flottage du bois vers Paris.

Au commencement, des relevés empiriques des niveaux d'eau
L'intérêt principal de cette première partie est de nous faire vivre la transition d'un savoir empirique à une véritable science de la mesure.

L'auteur met en lumière un tournant décisif : l'installation de la première échelle hydrométrique sur le pont de la Tournelle à Paris en 1732. Cet outil simple marque le début de l'enregistrement systématique et quotidien des hauteurs d'eau, fournissant la matière première aux premières analyses scientifiques.

On découvre aussi les travaux fondateurs de figures comme Philippe Buache, qui dresse les premières cartes des zones inondées (comme celle de la crue de 1740) et les premiers "limnigrammes" (graphiques de variation des hauteurs d'eau). Ou les avancées de Gaspard Riche de Prony, qui systématise le nivellement de la Seine et corrèle les hauteurs d'eau aux relevés de pluviométrie.

Concernant les ouvrages, l'auteur montre bien que la lutte contre les inondations reste pensée à l'intérieur de la cité. Après la crue dévastatrice de 1658, les projets fleurissent : canaux de dérivation, mais aussi surélévation des quartiers bas. Ces projets, bien que rarement réalisés, témoignent d'une conception où la ville doit se défendre sur elle-même.

Belgrand et le temps des ingénieurs
La seconde partie de l'ouvrage traite de l'âge des ingénieurs après celui des pionniers. Elle est dominée par la figure tutélaire d'Eugène Belgrand. C'est ici que l'analyse prend toute son ampleur en montrant comment un modèle scientifique a pu façonner durablement les politiques d'aménagement.

Denis Cœur décortique la mise en place, dès 1854, du service hydrométrique du bassin de la Seine. Belgrand ne se contente plus de mesurer l'eau à Paris ; il déploie un réseau de stations sur l'ensemble du bassin versant. En articulant géologie, pluviométrie et hauteurs d'eau, il établit une "loi" fondamentale : les grandes crues de la Seine sont un phénomène de saison froide, lorsque les sols imperméables du Morvan et de la Haute-Marne sont saturés. Les crues d'été, bien que possibles, sont considérées comme des exceptions statistiquement marginales.

D'où le paradoxe des barrages-réservoirs, point le plus intéressant de l'ouvrage. Pendant des décennies, s'appuyant sur le modèle de Belgrand, les ingénieurs rejettent l'idée de grands barrages en amont, les jugeant inefficaces contre les crues d'hiver et trop coûteux. L'idée de créer de grandes retenues pour contrôler les crues est sérieusement étudiée sous Napoléon III après les inondations de 1856. Cependant, elle est longtemps rejetée par les ingénieurs, y compris par Belgrand, qui la jugeait inefficace contre les grandes crues de la Seine et d'un coût prohibitif. Même après la crue de 1910, la Commission Picard écartera cette solution. Le projet ne s'impose qu'après la Première Guerre mondiale, notamment sous l'impulsion d'Henri Chabal dans les années 1920. Le changement décisif est de ne plus penser les réservoirs uniquement pour l'écrêtement des crues, mais comme des outils polyvalents servant aussi au soutien d'étiage (rendu crucial par la sécheresse de 1921), à l'alimentation en eau de Paris, à l'irrigation et à la production d'énergie.

Les grands barrages multi-usages, une hydraulique d'intérêt général
L'ouvrage montre très bien que la conception des quatre grands lacs-réservoirs (Pannecière, Seine, Aube, Marne) est le fruit d'un "parti maximum économique". Ce compromis vise à stocker l'eau des crues d'hiver pour la restituer durant les sécheresses d'été. Ce faisant, ce mode de gestion, basé sur le modèle de Belgrand, a structurellement "masqué" le risque des crues estivales, car les réservoirs se doivent d'être pleins à la fin du printemps et n'ont donc plus de capacité de stockage disponible pour une crue de saison chaude.


Il faut enfin souligner la richesse des annexes qui concluent l'ouvrage. Pour tout amateur d'histoire technique, c'est une mine. On y trouve des plans de ponts du XVIIIe siècle, avec les repères de navigation, la toute première feuille de relevés de l'échelle du pont de la Tournelle de 1732, des profils de projets de "séquanomètres" (ancêtres des limnigraphes), des cartes des inondations historiques (1740, 1802, 1910) dressées par les acteurs de l'époque comme Buache ou Belgrand, des tableaux de données brutes, des extraits de règlements et des correspondances administratives qui donnent vie au récit.

Ces documents, magnifiquement reproduits, permettent de visualiser concrètement les étapes de la construction de ce savoir hydrologique.

"Barrages-réservoirs et crues de la Seine" est un ouvrage remarquable de clarté et d'érudition. Denis Cœur réussit le tour de force de rendre accessible une histoire complexe, à la croisée des sciences de l'ingénieur, de la décision politique et des transformations du territoire. C'est une lecture indispensable pour quiconque s'intéresse à l'histoire de Paris et de la Seine, à l'ingénierie hydraulique, ou plus largement à la manière dont les sociétés composent avec les "colères" de la nature. Le livre  nous rappelle que nos infrastructures les plus solides reposent toujours sur un socle de connaissances, avec ses certitudes, mais aussi ses angles morts. Et que le génie hydraulique agrège plusieurs siècles de savoirs qui ont été, hélas, quelque peu négligés ces dernières décennies dans les politiques de l'eau en France. 

Référence : Cœur D., 2024. Barrages-réservoirs et crues de la Seine. Une brève histoire de l'hydrologie du XVIIe au XXe siècle. Versailles, Éditions Quæ, 134 p. A noter qu'il existe une version électronique gratuite (epub, pdf).

09/09/2025

Légitime défense du bief, de ses frayères et de ses poissons par les riverains

 Le Tribunal de police de Laval a récemment rendu une décision de justice intéressante  : un propriétaire et un riverain d'un moulin, initialement condamnés pour ne pas avoir respecté la réglementation d'un SAGE sur la gestion de l'eau, ont été relaxés. La raison? L'un d'eux a agi en "état de nécessité" pour sauver les poissons et frayères de son bief. Un précédent dont peuvent s'inspirer d'autres maîtres d'ouvrage confrontés à des règles bureaucratiques aberrantes qui détruisent les milieux en place. 

Deux copropriétaires d'un ouvrage hydraulique (un moulin) ont été poursuivis pour ne pas avoir ouvert les vannes de leur installation durant l'hiver 2023, comme l'exige le Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) local. Ils avaient initialement été condamnés à une amende de 500 euros chacun.

Contestant cette décision, ils ont porté l'affaire devant le tribunal. Lors de l'audience, les arguments ont été les suivants :

  • L'un des copropriétaires a expliqué qu'il lui était matériellement impossible de manœuvrer les vannes, car le mécanisme se situait sur la parcelle de son voisin.
  • Le second propriétaire, qui avait bien l'accès, a reconnu ne pas avoir ouvert l'ouvrage. Il a justifié son acte par la nécessité de protéger la vie aquatique. Selon lui, l'ouverture des vannes aurait provoqué l'assèchement d'un bras de la rivière, menant à la mort des poissons et à la destruction de leurs zones de reproduction. Pour le prouver, il a fourni un constat d'huissier confirmant ses dires.

Le tribunal a jugé ces arguments recevables. Il a relaxé le premier propriétaire en raison de son impossibilité d'agir. Plus important encore, il a relaxé le second propriétaire en invoquant l'article 122-7 du Code pénal, qui concerne l'état de nécessité. Le juge a estimé que le propriétaire avait commis une infraction pour faire face à un "danger imminent" menaçant la faune et que son action était "nécessaire à la sauvegarde des poissons" et proportionnée à la menace.

"L'article 122-7 du code pénal dispose que n'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace." 

"En l'espèce, Monsieur X face au danger imminent qui menaçait son bief et la vie des poissons le composant a maintenu les clapets fermés ce qui était nécessaire à la sauvegarde des poissons, et ce sans disproportion ente les moyens employés et la gravité de la menace." 

Référence : Tribunal de police de Laval, 24 mars 2025, n° de minute 13/2025

23/08/2025

Entretien des rivières, la mission oubliée et négligée par le gestionnaire public

L’entretien courant des cours d’eau – autrefois mission importante des syndicats de bassin – est désormais abandonné au profit de politiques centrées sur la faune, la flore et les continuités écologiques. Ce basculement idéologique et financier laisse les riverains seuls face aux embâcles et aux arbres malades ou frappés par le changement climatique, sans moyens ni coordination. Les conséquences sont lourdes : risques accrus pour la sécurité publique lors des crues et tempêtes, dégradation du paysage, perte d’agrément pour les habitants et usagers des rives.


Un lecteur nous transmet cette position d'un syndicat local de rivière, concernant la gestion des embâcles et ripisylves. 

Ce cas particulier reflète les situations que nous observons un peu partout.

« Entretien - Lors des années passées, le SMYB réalisait principalement de l’entretien de cours d’eau. Celui-ci était effectué pour palier à l’absence d’intervention de la part des propriétaires riverains. Ces interventions étaient et sont possibles grâce à une déclaration d’intérêt générale (arrêté 58-2021-11-26-00001, délivré en date du 26/11/21 par le préfet de la Nièvre et le 01/12/21 par le préfet de l’Yonne). Dans le cadre du 12ème programme de l’agence de l’eau seine Normandie, il n’y aura plus de financement sur la thématique « entretien » comprenant la gestion des embâcles et des berges.

Il est rappelé que le propriétaire riverain reste propriétaire de sa berge ainsi que du fond du lit jusqu’à une ligne imaginaire tracé au milieu de la rivière. Il est donc de son devoir d’entretenir la végétation présente sur la berge lui appartenant et reste responsable des dégâts que celle-ci pourrait occasionner. Cependant, à ce jour, il n’existe aucune règlementation l’obligeant de le faire.

Toutefois, le maire de la commune peut appliquer son pouvoir de police dans le cas où la végétation engendrerait un risque pour les biens et les personnes.

Concernant la gestion des embâcles dans les ouvrages :

 Pour les ouvrages routiers :
§ Pour une route départementale – la gestion revient au département,
§ Pour une route communale – la gestion revient à la commune,
§ Pour un ouvrage privé – la gestion revient au propriétaire de l’ouvrage.

 Pour les moulins : le propriétaire doit pouvoir gérer et/ou manœuvrer son ouvrage en tout temps. De plus, le bief de moulin est souvent considéré comme une surface bâtie ; de fait, il se doit également d’en assurer le bon fonctionnement et l’entretien. Les interventions sur l’entretien des biefs ne relèvent pas de l’intérêt général, donc le SMYB ne peut pas intervenir sauf pour de l’accompagnement technique.

Ceci dit, les agents du SMYB apporteront toujours un accompagnement technique et administratif (marquage des arbres, réalisation de demande de devis, rédaction des documents administratifs et règlementaires et suivi de chantier…) sur ce volet.

En 2024, l’agence de l’eau seine Normandie avait débloqué des fonds exceptionnels (financement à 60 %) pour la gestion des embâcles liés aux crues juin 2024 sur les communes déclarées en catastrophe naturelle. Il est possible que ces fonds soient renouvelés, avec toutes les incertitudes que cela comporte.

Pour rappel :
 2013-2018 : 10ème programme de l’agence de l’eau - 80% de subvention pour l’entretien,
 2019-2024 : 11ème programme de l’agence de l’eau – 40% de subvention pour l’entretien,
 2025-2030 : 12ème programme de l’agence de l’eau – fin des subventions.

Le seul entretien réalisé par le SMYB est celui concernant les travaux préparatoires avant la réalisation des aménagements sur la ou les parcelles concernées. Mais aussi des travaux d’optimisation sur les projets déjà réalisés visant à assurer leur pérennité et leurs fonctionnalités. »


L’entretien des rivières, une mission en déshérence

Jusqu’aux années 1990, l’entretien des cours d’eau constituait une mission prioritaire pour les syndicats de bassin et leurs partenaires publics. Les chantiers concernaient la gestion des embâcles, la maîtrise de la végétation sur les berges, le suivi de certains ouvrages (retenues et biefs). Ils répondaient à une double exigence : la sécurité des biens et des personnes, la qualité paysagère et hydraulique des territoires.

À partir des années 1990, un changement de paradigme s’est imposé. Portée par l’idée (ou l'utopie) d’un «retour heureux à la nature sauvage», la politique de l’eau a progressivement déplacé ses priorités. Les agences de l’eau et les syndicats ont concentré leurs moyens sur les continuités écologiques et la restauration d’habitats pour la faune et la flore. Les attentes humaines et riveraines – sécurité, usages locaux, cadre de vie, entretien courant – ont été reléguées au second plan.

Ce basculement s’est accompagné d’un désengagement financier. Les subventions pour l’entretien ont d’abord été réduites, puis supprimées, laissant toute cette charge aux propriétaires riverains. Or, ceux-ci ne disposent ni des équipements lourds nécessaires pour dégager les arbres tombés, ni des compétences techniques ou de la coordination indispensable pour agir à l’échelle d’un linéaire. D'autant que les chantiers sont devenus terriblement complexes en raison des obligations et procédures environnementales, conçues justement pour décourager et non encourager l'intervention humaine en milieu naturel ! Même les communes, syndicats ou parcs qui veulent encore agir passent plus de temps à remplir des dossiers qu'à réaliser des chantiers...

Le résultat est un vide juridique et opérationnel : les embâcles se multiplient, les crues et tempêtes emportent des troncs malades ou affaiblis, les risques pour les infrastructures et les personnes augmentent.

Les étangs et moulins, retenues et biefs, qui jouent encore un rôle de filtre et de régulation, sont ignorés, voire considérés comme des obstacles à supprimer, alors qu’ils pourraient être des partenaires utiles si leur contribution était reconnue et appuyée.

L’entretien des rivières se trouve donc aujourd’hui dans une impasse. L’autogestion collective des riverains, souvent évoquée comme solution, reste théorique : elle se heurte au coût des chantiers et à la complexité croissante des règles, ainsi qu'à la difficulté de coordination d'un parcellaire riverain très morcelé. Faute d’une réaffirmation claire de l’entretien des rives et des rivières comme mission d’intérêt général, soutenue par des financements et une ingénierie publique, les territoires restent exposés à une défaillance généralisée.

En ce domaine comme en d’autres, il devient nécessaire de réviser certains choix publics opérés depuis trente ans dans les lois sur l'eau. Le souci légitime de l’écologie ne saurait signifier l’abandon des habitants et usagers humains des rives : la protection de la faune et de la flore doit aller de pair avec la sécurité publique et la qualité de vie des riverains.

Photos et source : Yves Mercier, Associations des moulins de la Nièvre et du Morvan. 

03/08/2025

Les rivières, fuite massive du vieux carbone vers l’atmosphère (Dean et al 2025)

Une étude internationale révèle que plus de la moitié du CO₂ émis par les rivières provient de carbone ancien, stocké depuis des millénaires dans les sols et les roches. Cette découverte remet en question notre compréhension des bilans carbone terrestres et du rôle réel des écosystèmes continentaux dans la régulation climatique. Elle devrait également intéresser les politiques de l'eau, dont le bilan d'impact carbone est à ce jour quasiment absent. 

Les processus décrits dans l'article et les modélisations des âges du carbone, extrait de l'article cité. 

Les rivières jouent un rôle crucial dans le cycle global du carbone : elles ne se contentent pas de transporter du carbone vers les océans, elles en rejettent aussi sous forme de gaz à effet de serre comme le CO₂ et le CH₄. Jusqu’à présent, on pensait que ces émissions provenaient essentiellement de la respiration d’organismes décomposant de la matière végétale récente (moins de quelques décennies).

Dans cette étude, Joshua Dean et ses collègues ont rassemblé et analysé une base de données mondiale inédite portant sur la signature radiocarbone (⁽¹⁴C⁾) du carbone dissous dans les rivières. Ce marqueur isotopique permet de distinguer les sources de carbone récentes (après 1955) de celles beaucoup plus anciennes. Grâce à 1 195 mesures provenant de 67 études sur tous les continents, les chercheurs ont pu estimer l’âge du carbone émis par les rivières à l’échelle globale.

L’analyse montre que 59 % des émissions de CO₂ fluvial proviennent de carbone ancien : soit de sources millénaires (âgées de plusieurs centaines à plusieurs milliers d’années), soit de carbone dit « pétrogénique » (issu de roches et datant de plus de 50 000 ans). Cela correspond à un flux de 1,2 ± 0,3 milliards de tonnes de carbone par an, soit un ordre de grandeur comparable au bilan net de puits de carbone des écosystèmes terrestres.

Le modèle développé par les auteurs prend en compte les caractéristiques géologiques, climatiques et écologiques des bassins versants. Il montre notamment que :
  • les rivières situées dans des zones sédimentaires (riches en carbonates ou matières organiques fossiles) émettent un CO₂ plus ancien,
  • les zones de montagne ou les régions avec des sols profonds ou perturbés (drainage, agriculture) sont aussi associées à des émissions plus anciennes,
  • les petits et grands bassins versants contribuent tous à ce phénomène, contredisant l’idée selon laquelle seules les petites rivières seraient concernées par ce recyclage du vieux carbone.
Leur approche repose sur une modélisation isotopique intégrant les contributions de trois grandes sources de carbone : récente (dite « décennale »), ancienne (dite « millénaire ») et pétrogénique (issue des roches). Pour distinguer les parts respectives, les auteurs utilisent un modèle de mélange isotopique, renforcé par une simulation Monte Carlo et une approche bayésienne indépendante. Ces outils permettent d’estimer des contributions moyennes et leur incertitude statistique.

Les auteurs reconnaissent toutefois plusieurs limites à garder à l'esprit : la base de données demeure hétérogène dans la qualité et la répartition spatiale des mesures ; certaines zones restent peu représentées, et les données anciennes sont peu nombreuses. De plus, les apports en carbone issus de l’érosion, de la respiration souterraine ou de l’activité microbienne restent complexes à isoler avec précision. Les modèles utilisés fournissent donc des estimations de premier ordre, robustes mais sujettes à révision avec de nouvelles données. Enfin, il n’est pas encore possible de déterminer si la part croissante de carbone ancien observée est liée à des perturbations humaines récentes ou à des tendances naturelles.

Ces résultats bouleversent les hypothèses classiques du cycle du carbone terrestre, qui considéraient les émissions fluviales comme un simple prolongement de la respiration des écosystèmes actuels. Si les rivières libèrent en réalité du carbone stocké depuis des millénaires, cela implique que des réservoirs supposés stables (sols profonds, roches, tourbes) perdent du carbone vers l’atmosphère, ce qui accentue indirectement l’effet de serre.

Cela pose aussi un défi aux modèles climatiques : le puits de carbone terrestre serait surestimé si l’on ne tient pas compte de cette « fuite latente ». Par ailleurs, les activités humaines (drainage, déforestation, perturbations du sol) pourraient amplifier cette libération de carbone ancien, notamment en modifiant les chemins d’écoulement de l’eau ou en accélérant l’érosion.

Enfin, les auteurs soulignent que la part croissante de vieux carbone dans les émissions fluviales pourrait indiquer un dérèglement progressif des stocks profonds, en lien avec le changement climatique.

Discussion
Cet article illustre  que la recherche en science de l’environnement peut progresser en permanence, remettre en cause des schémas établis et révéler des processus insoupçonnés. La découverte du rôle central des vieux stocks de carbone dans les émissions fluviales est une surprise qui change notre regard sur les bilans globaux des gaz à effet de serre.

Ce sujet du carbone en général peine à pénétrer les politiques de gestion de l’eau, hors le sujet des zones humides. Sur de nombreux chantiers suivis par notre association, nous avons constaté que la question du cycle du carbone est quasiment absente des réflexions. Or, les choix d’aménagement des bassins versants, la restauration (ou non) de la morphologie des rivières, les pratiques de drainage, de retenues ou de remblaiement ont des effets directs sur la mobilisation ou la stabilisation de ce carbone ancien. Ignorer ces dynamiques, c’est risquer de renforcer à notre insu les émissions de gaz à effet de serre.

Référence : Dean JF et al (2025), Old carbon routed from land to the atmosphere by global river systems, Nature, 642, 105–111.