25/07/2023

Faible impact d'un moulin à eau sur la température de la rivière (Donati et al 2023)

Etudiant un moulin à eau dont le seuil et la retenue sont typiques de ce patrimoine hydraulique, des chercheurs ont analysé son impact sur les températures de l'eau. Leur travail très précis montre un impact faible en moyenne journalière, variable en tranche horaire et selon le niveau de la colonne d'eau, avec parfois des réchauffements et des refroidissements. Les auteurs concluent au faible effet thermique global de ce type de moulins à eau. Ces études sur les ouvrages hydrauliques sont à généraliser, car les politiques publiques les concernant ont une base scientifique faible en données, ainsi que des biais bien identifiés. 


Le moulin étudié sur l'Erve en Mayenne, photos et illustrations extraites de Donati et al 2023, art. cit.

La question de l'impact des retenues d'eau sur le régime thermique des rivières est souvent évoquée, mais il existe encore peu de données précises de terrain. C'est le cas en particulier pour les moulins à eau, qui forment avec les étangs l'une des principales sources de retenues en lit mineur de rivière.  

Sept chercheurs (Francesco Donati, Laurent Touchart, Pascal Bartout, Quentin Choffel, François Le Cor, Célia Carceles et Alban Cairault) ont procédé à une analyse détaillée d'un moulin de la rivière Erve. Le moulin de Thévalles est situé sur cet affluent de rive droite de la Sarthe, dont le bassin versant couvre 380 km2. À son exutoire, la rivière a une longueur de 71 km et un module de 2,72 m3/s – "dans la classe des cours d'eau mésoréiques modérés, l'une des plus répandues en métropole"; précise l'étude. 

Le moulin exploite le cours d'eau grâce à un seuil de 10 m de large et 2 m de haut. La hauteur nette de la chute du déversoir varie de 1,40 à 1,50 m en débit moyen. En période de hautes eaux, la chute peut disparaître par effacement de la différence entre l’amont et l’aval. Au centre du lit, deux vannes de décharge servent à vidanger la retenue. La surverse se fait à un niveau égal à celui du seuil en rivière. Au niveau du moulin proprement dit, une vanne ouvrière permet la mise en mouvement de la roue hydraulique, d'un diamètre de 5,60 m. La retenue créé par le seuil a une surface de 2 ha, une longueur de 1500 m et un volume de 31000 m3. Ces caractéristiques placent plutôt le moulin à eau étudié dans la catégorie des ouvrages les plus importants de ce type. Donc a priori les plus impactants pour la grandeur ici étudiée, à savoir la température de l'eau. 

Cette température de l'eau a été mesurée sur une année complète par des chaînes de 6 capteurs à différentes profondeurs, avec un point de mesure dans la retenue, un point de mesure à 100 m en amont du remous de la retenue, un autre à 100 m en aval du seuil, dans l'émissaire. "Grâce à cette méthodologie, 75177 données de température ont été collectées pour l'ensemble des stations de mesures pendant la période d'observation. Elles donnent un aperçu des effets du moulin et de ses annexes sur la température de l'eau", notent les auteurs.

Voici leurs principales conclusions :

"L'étude menée au niveau du moulin de Thévalles, un site assez représentatif de la réalité française en termes d'hydrologie et d'infrastructures qui l'équipent, donne un aperçu inédit des effets thermiques de ce type d'ouvrage, notamment en ce qui concerne les moments de fonctionnement de leur roue hydraulique. Des effets sur la température de l'eau ont été observés uniquement pendant l'été et le début de l'automne, quand la retenue de seuil qui s'étale à l'amont du moulin était stratifiée. Pendant les périodes d'inactivité du moulin, les eaux rejetées par le seuil en rivière ont engendré à la fois des réchauffements et des refroidissements de l'eau, perceptibles uniquement à l'échelle horaire et rarement supérieurs au degré centigrade. Pendant les périodes d'activité du moulin, les eaux qui franchissent la vanne de fond et actionnant la roue hydraulique ont eu un effet à peine observable sur la température de l'eau du tributaire, majoritairement dû à l'effet dilution des eaux rejetées par le seuil en rivière. Ainsi, bien que d'autres études soient sans doute nécessaires pour pouvoir les confirmer, les résultats obtenus montrent une faible emprise de l'activité des moulins à eau sur la température de l'eau pour des rivières comme l'Erve."

Plus en détail, la recherche montre qu'il existe une amplitude thermique entre la température de surface et la température de fond (image ci-dessous, cliquer pour agrandir), surtout marquée en été. Cela souligne qu'un seul point de mesure ne permet pas forcément de trancher. Et que le régime des petites retenues est complexe, avec une stratification thermique à variation saisonnière. 



Cette autre figure montre la différence de température dans la colonne d'eau un jour d'été. 


Si l'écart moyen journalier est faible entre l'amont et l'aval, il peut varier au sein de la journée, avec des hausses ou des baisses comme le montre cette autre figure ci-dessous (cliquer pour agrandir). 


Le tableau ci-dessous montre finalement les températures moyennes mensuelles à l'amont et à l'aval de la retenue de seuil de Thévalles pendant les périodes d'inactivité du moulin :


Les auteurs remarquent : "Pour mieux comprendre l'ampleur des effets thermiques engendrés par la retenue de seuil de Thévalles quand le moulin n'est pas en activité, nous les avons comparés à ceux observés par L. TOUCHART (2001) au niveau de l'étang du Theil, dans le département de la Haute- Vienne. En effet, ce plan d'eau présente un volume (23300 m3) similaire à celui de la retenue de Thévalles et il est équipé d'un déversoir de surface, dont le fonctionnement est similaire à celui d'un seuil en rivière. À l'échelle journalière, cet étang réchauffe son émissaire de mars à octobre et le refroidit de novembre à février : juin est le mois où l'on observe les augmentations de température les plus fortes, +6,97°C en moyenne, alors que janvier est celui où les diminutions de température sont les plus marquées, -2,19°C en moyenne. Sur trois années de mesure, le réchauffement moyen de l'émissaire a été de 2,1°C. En raison de ces considérations, nous pouvons affirmer que l'effet des moulins sur la température des cours d'eau quand ils ne sont pas en activité semblerait être faible, voire négligeable comparé à d'autres facteurs pouvant altérer la température de l'eau (radiation solaire, température de l'eau, ripisylve), du moins pour ce qui concerne les rivières qui présentent des conditions similaires à celles de l'Erve."

Discussion
Aussi surprenant que cela puisse paraître, les politiques publiques concernant les ouvrages hydrauliques (directive cadre européenne sur l'eau 2000, loi française sur l'eau 2006) ont été lancées sur une base scientifique faible. Les retenues sont très nombreuses (sans doute un demi-million en France sur lit mineur ou en connexion directe de lit mineur), mais elles sont très peu étudiées, contrairement à d'autres milieux (rivière, lac, estuaire). Dans les travaux qui se publient et qui informent les politiques publiques, ces retenues sont presque toujours analysées sous un angle naturaliste et ichtyologique assez ciblé (la déviation locale de population biologiques en lien à un ouvrage, en particulier les assemblages de poissons ou les poissons migrateurs), mais elles ne sont pas considérées comme des biotopes à part entière dont les propriétés physiques, chimiques, biologiques doivent être inventoriées et comprises avec précision. Au demeurant, les sciences sociales de l'eau sont aussi très lacunaires concernant les représentations, pratiques et usages de la petite hydraulique. Pourtant, l'ouvrage en rivière est au centre de nombreux choix publics sur l'énergie, le patrimoine, le paysage, la régulation de l'eau, la biodiversité, le tourisme, les loisirs et agréments. Mais cette complexité a été gommée au profit d'un discours simpliste ne voyant qu'un "obstacle à l'écoulement". 

Ce travail mené par Francesco Donati et ses collègues est donc précieux. Il confirme ce que pressentait le sens commun, à savoir que l'effet d'un ouvrage est proportionné en premier ordre à ses dimensions. L'hydraulique ancienne est de taille modeste, pas si différente de phénomènes naturels comme des barrages d'embâcles ou de castors : on ne s'attend donc pas à des impacts très significatifs, hors la création d'un milieu propre (retenue, bief) qui aura localement un fonctionnement et un peuplement un peu différents des tronçons non barrés de la rivière en amont et en aval. 

Nous souhaitons la généralisation de tels travaux, tant au plan de la recherche scientifique que dans les programmes d'acquisition de données des syndicats de rivières, fédérations de pêche, bureaux d'études, agences de l'eau, offices de la biodiversité, conservatoires d'espaces naturels et autres acteurs locaux de l'eau. Nous souhaitons également que certains biais de perception et de représentation disparaissent dans la conception des politiques publiques, en particulier l'incroyable négligence des milieux semi-anthropisés et anthropisés, qui forment l'essentiel des linéaires de rivière et plans d'eau dans les bassins versants à très ancienne occupation humaine. Nous avons grand besoin d'une écologie, d'une hydrologie, d'une géographie et d'une sociologie des milieux hybrides comme les retenues et biefs de moulins, mais aussi tout le reste du patrimoine hydraulique et des écosystèmes transformés par les occupations successives des bassins versants. 


A lire sur le même thème

13/07/2023

Le règlement européen de restauration de la nature voté dans la douleur, premiers commentaires du texte

Signe des temps : le règlement européen « Restaurer la nature » a été adopté à une très courte majorité par le parlement européen, et amendé de diverses limitations. Nous exposons ici ses mesures applicables dans le cas des cours d’eau. Ce règlement risque de généraliser les conflits sociaux et judiciaires déjà observés en France, en Espagne et dans les pays menant des politiques agressives de destruction du patrimoine hydraulique, du potentiel hydro-électrique et des retenues d’eau, au nom de la vision théorique d’une nature sans humain, sans histoire et sans usage. Mais il présente aussi des garde-fous qui vont obliger l'administration française à changer ses méthodes autoritaires et opaques dans la construction de ses politiques publiques.


Le Règlement de restauration de la nature a été adopté par une très courte majorité au Parlement européen, dans une version modifiée du texte initialement proposé par la Commission européenne. La phase suivante vers une adoption définitive est le trilogue entre le conseil des Etats, la Commission et le Parlement. Cette phase est encore incertaine car 6 pays vont connaître prochainement des élections (dont l'Espagne où les enjeux de l'eau ont été au coeur des élections récentes et de la crise gouvernementale). 

Notre association a exprimé ses critiques sur l’édifice intellectuel du texte Restore Nature, fondé sur une opposition théorique de la nature et de l’humanité ne correspondant pas à la réalité hybride des milieux et nourrissant une vision socialement conflictuelle de l’écologie. De plus, le texte ignore totalement la biodiversité et les services écosystémiques des milieux aquatiques anthropisés alors que ceux-ci sont largement attestés dans la littérature scientifique. Hélas, la direction générale environnement de la Commission a choisi ses experts lors de la conception du texte, ce défaut de pluralisme à la source  devant être soit corrigé soit publiquement dénoncé pour la future révision de la directive cadre sur l’eau. Et les parlementaires manquent de compréhension des réalités concernées par les projets normatifs, donc un travail de pédagogie est nécessaire pour l’avenir.

Concernant les ouvrages et les cours d’eau, voici un aperçu du texte tel qu’il est adopté par le Parlement européen, avec quelques commentaires. 

Article 1er
2 bis. Le présent règlement doit créer des synergies et être cohérent avec la législation existante et en cours, en tenant compte des compétences nationales, et garantir la consistance et la compatibilité avec la législation de l’Union concernant, entre autres, les énergies renouvelables, les produits phytopharmaceutiques, les matières premières critiques, l’agriculture et la foresterie. 
Les mesures de restauration de nature ne doivent pas s’opposer aux mesures de développement des énergies renouvelables. 

Article 4
10 bis. Lors de l’élaboration des mesures qu’ils sont tenus d’adopter au titre du présent article, les États membres prennent en considération les exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que les particularités régionales et locales, conformément à l’article 2, paragraphe 3, de la directive 92/43/CEE. 
Les mesures de restauration de nature doivent se plier aux exigences économiques, sociales et culturelles, ce qui dans le cas du patrimoine hydraulique limite l’intervention à des ouvrages dont il est démontré que l’intérêt dans ces trois dimensions n’existe pas.

Article 5 bis
Énergie produite à partir de sources renouvelables 
Aux fins de l’article 4, paragraphes 8 et 8 bis et de l’article 5, paragraphes 8 et 8 bis, la planification, la construction et l’exploitation d’installations de production d’énergie à partir de sources renouvelables, le raccordement de ces installations au réseau et le réseau connexe proprement dit, ainsi que les actifs de stockage, sont présumés relever d’un intérêt public supérieur. Les États membres peuvent les exempter de l’obligation de prouver qu’il n’existe pas de solution de remplacement moins préjudiciable au titre de l’article 4, paragraphes 8 et 8 bis, et de l’article 5, paragraphes 8 et 8 bis, si une évaluation environnementale stratégique a été réalisée conformément aux conditions énoncées dans la directive 2001/42/CE ou s’ils ont fait l’objet d’une évaluation des incidences sur l’environnement conformément aux conditions énoncées dans la directrice (UE) 2011/92. Les États membres peuvent, dans des circonstances dûment justifiées et spécifiques, limiter l’application des présentes dispositions à certaines parties de leur territoire ainsi qu’à certains types de technologies ou à des projets présentant certaines caractéristiques techniques conformément aux priorités énoncées dans leurs plans nationaux intégrés en matière d’énergie et de climat, conformément au règlement (UE) 2018/1999. Les États membres informent la Commission des limites appliquées et les justifient.
Cette disposition renforce l’article 1er et rappelle que les mesures de restauration de nature ne peuvent aller à l’encontre de l’intérêt public supérieur des énergies renouvelables. Elle laisse aux Etats-membres le soin de préciser les énergies ayant la primauté dans leurs plans énergie-climat. 
Article 7
Restauration de la connectivité naturelle des cours d’eau et des fonctions naturelles des plaines inondables adjacentes 
1. Les États membres réalisent un inventaire des obstacles artificiels à la connectivité des eaux de surface, en tenant compte de leurs fonctions socio-économiques, et recensent les obstacles qui doivent être supprimés pour contribuer à la réalisation des objectifs de restauration fixés à l’article 4 du présent règlement et de l’objectif consistant à rétablir au moins 25 000 km de cours d’eau à courant libre sur le territoire de l’Union d’ici à 0, sans préjudice de la directive 2000/60/CE, et notamment de son article 4, paragraphes 3, 5 et 7, ni du règlement 1315/2013, et notamment de son article 15.
2. Les États membres suppriment les obstacles artificiels à la connectivité des eaux de surface sur la base de l’inventaire visé au paragraphe 1 du présent article, conformément au plan de suppression visé à l’article 12, paragraphe 2, points e) et f). Lorsqu’ils suppriment ces obstacles, les États membres visent principalement les obstacles obsolètes, c’est-à-dire ceux qui ne sont plus nécessaires pour la production d’énergie renouvelable, pour la navigation intérieure, pour l’approvisionnement en eau, pour la protection contre les inondations ou pour d’autres usages.
3. Les États membres complètent la suppression des obstacles visés au paragraphe 2 par les mesures nécessaires à l’amélioration des fonctions naturelles des plaines inondables adjacentes.
4. Les États membres veillent à ce que la connectivité naturelle des cours d’eau et les fonctions naturelles des plaines inondables adjacentes restaurées conformément aux paragraphes 2 et 3 soient maintenues.
Notons d’abord que 25 000 km de cours d’eau libre à échelle de l’Europe représente un objectif à décliner au pro rata de chaque linéaire national. La France a en quelque sorte surtransposé l’objectif à l’avance puisqu’elle a classé en continuité écologique de liste 2 environ l’équivalent de ce linéaire total, mais pour notre seul pays. Ce qui rappelle au passage la dimension assez radicale et hors-sol de l’administration de l’eau en France, puisqu’elle prétendait en 2012 faire en 5 ans et dans un seul pays ce que l’Europe envisage en 10 ans et pour toute l’Union.

Notons ensuite que, pour les autorités européennes, une rivière qui n'aurait pas d'obstacle mais serait par ailleurs polluée ou privée d'eau la moitié de l'année par des usages excessifs serait néanmoins "restaurée". Cette focalisation obsessionnelle sur la connectivité est intellectuellement aberrante et scientifiquement infondée, les études montrant que les premiers impacts sur la biologie aquatique viennent des polluants et des usages du sol en bassin versant, pas des ouvrages transversaux.

Les notions d’ «obstacle à la connectivité» et de «suppression d’obstacle» ne sont pas définies. En revanche la notion de «cours d’eau à courant libre» est définie (article 3 du Règlement) de la sorte «un cours d’eau ou un tronçon de cours d’eau dont la connectivité longitudinale, latérale et verticale n’est pas entravée par des structures artificielles formant un obstacle et dont les fonctions naturelles ne sont quasiment pas affectées». La définition est donc quelque peu circulaire et mal spécifiée. La jurisprudence française a déjà établi qu’un ouvrage n’est pas forcément en soi un obstacle ou une entrave à la connectivité (circulation de l’eau, des sédiments, des espèces), ce point devant être démontré au cas par cas. Par ailleurs la suppression de l’entrave à la continuité n’implique pas la suppression de tout l’ouvrage si la connectivité est assurée par des dispositifs ad hoc. Si besoin, la justice devra préciser ce point.

Concernant les obstacles visés, ils doivent être «obsolètes» et ne pas avoir des «usages». Cela exclut a priori la majeure partie des ouvrages existants. 

Le règlement Restore Nature est silencieux sur la compatibilité de la notion de suppression d’obstacle (dans l’hypothèse d’une destruction physique) avec le droit de propriété, alors qu’un ouvrage est assimilable à une propriété (et crée un droit réel immobilier dans le cas des droits d’eau en France). Ce point devra lui aussi être précisé le cas échéant en justice. 

Enfin, il est demandé de compléter la suppression d’un obstacle par la restauration de la plaine inondable adjacente, ce qui ne manquera pas d’augmenter le coût de chaque chantier et, dans le cas des arasements de seuils, d’éviter des chantiers bâclés et contre-productifs ne faisant qu’inciser les lits. La connectivité des cours d'eau va coûter de plus en plus cher, ce qui justifie des objectifs assez modestes compte tenu des problèmes de financements publics de la transition en Europe. 

Article 11
Préparation des plans nationaux de restauration 
1. Les États membres élaborent des plans nationaux de restauration et effectuent la surveillance et les recherches préparatoires permettant de déterminer les mesures de restauration nécessaires pour contribuer aux objectifs de l’Union et répondre aux obligations énoncées aux articles 4 à 10, en tenant compte des données scientifiques les plus récentes, des besoins des communautés locales, y compris des communautés locales urbaines, des mesures présentant le meilleur rapport coût-efficacité et de l’incidence socio-économique desdites mesures. Il est indispensable que les parties prenantes, notamment les propriétaires fonciers et les gestionnaires de terres, participent de manière appropriée à chaque étape du processus. 
(…)
11. Les États membres veillent à ce que l’élaboration du plan de restauration soit ouverte, transparente, inclusive et efficace et à ce que le public, en particulier les propriétaires fonciers, les gestionnaires de l’occupation du sol, les acteurs du secteur maritime et d’autres acteurs pertinents, tels que les services de conseil et de vulgarisation, conformément au principe de consentement préalable et éclairé, disposent, à un stade précoce, de possibilités effectives de participer à l’élaboration du plan. Les autorités régionales et locales ainsi que les autorités de gestion concernées sont dûment associées à l’élaboration du plan. Les consultations respectent les exigences énoncées dans la directive 2001/42/CE. 
Cet article exige que chaque propriétaire soit associé au plan de restauration de la nature et cela dès la phase de son élaboration, à chaque étape du processus. Être associé ne signifie évidemment pas être informé que sa propriété est concernée sans avoir eu des échanges préalables à ce sujet. Cela implique que la France ne peut réputer son actuel plan de restauration de continuité écologique des cours d’eau comme valant réponse à ce règlement de restauration de nature, puisque de manière démontrable en justice, chaque propriétaire n’a pas participé de manière ouverte, transparente et inclusive à chaque étape du processus. 

Le monde européen des ouvrages et de leurs riverains doit se mobiliser à Bruxelles et Strasbourg
Pour la suite, nous évaluons avec nos conseillers juridiques l’opportunité de demander l’annulation partielle du texte s’il devait être promulgué en l’état, essentiellement dans ses dimensions floues et litigieuses de l’article 7. Cette démarche permettrait au juge, même s’il n’annule pas le texte, de clarifier dans quelles conditions une injonction à «suppression» d’obstacle est compatible avec le droit. 

En cas d'adoption définitive du règlement, nous demanderons au gouvernement français d'en respecter strictement les conditions d'application, notamment l'association systématique des propriétaires concernés à toutes les étapes d'élaboration ainsi que le respect des usages des ouvrages. 

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, de nombreux pays européens devraient connaître les conflits sociaux et juridiques liés à la politique aberrante de suppression des ouvrages hydrauliques en pleine phase de changement climatique, de stress hydrique et de transition énergétique. Ce doit être l’occasion pour le mouvement des ouvrages de se structurer à échelle européenne et, surtout, de peser à Bruxelles et à Strasbourg afin d’exposer les réalités ignorées ou niées par certaines administrations et certains acteurs de l’écologie. 

Les prochaines échéances sont les nouvelles élections de 2024 au plan politique, et au plan juridique la révision déjà amorcée de la directive cadre européenne sur l'eau, qui arrive au terme de sa planification 2000-2027.

Nous devons dès à présent organiser la mise sous surveillance et si besoin sous pression de la direction générale environnement de la Commission européenne, afin de garantir une prise en compte complète des données de la science, et non plus une sélection d'analyses d'orientation naturaliste qui semblent voir dans un improbable retour à un état passé du vivant et des milieux la priorité environnementale de l'Europe au 21e siècle. En outre, ce naturalisme de vitrine sert souvent d'alibi à des logiques productivistes qui n'engagent pas une réflexion de fond sur la durabilité de nos sociétés, de leurs pratiques et de leurs milieux.

A lire pour comprendre les enjeux eau, connectivité et usages :

11/07/2023

Un déversoir en rivière ralentit les invasions d'espèces indésirables (Daniels et al 2023)

Un modèle sur la prévention des invasions par écrevisse signal confirme que les seuils en rivière ont un effet d'atténuation. Ce qui a déjà été observé sur le terrain pour diverses espèces invasives. Les chercheurs demandent de prendre aussi en compte les impacts positifs et capacité de régulation des ouvrages hydrauliques dans les politiques publiques les concernant. 



L'écrevisse signal, aussi appelée écrevisse de Californie ou ou écrevisse du Pacifique (Pacifastacus leniusculus) est une espèce de crustacés décapode originaire du nord-ouest de l'Amérique du Nord, mais introduite dans plusieurs autres régions du monde. En Europe, l'écrevisse signal est inscrite depuis 2016 dans la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes. Des chercheurs ont simulé le rôle d'ouvrages hydrauliques sur une rivière, par un modèle calé sur observations empiriques, pour vérifier si l'invasion des écrevisses est modifiée par leur présence.

Voici le résumé de leur étude :
"Les espèces envahissantes et les infrastructures fluviales sont des menaces majeures pour la biodiversité des eaux douces. Ces facteurs de stress sont généralement considérés isolément, mais la construction et l'entretien des infrastructures fluviales peuvent à la fois favoriser et limiter l'expansion des espèces envahissantes. Les limites spatiales et temporelles des études en laboratoire et sur le terrain, associées à une faible prise en compte des réponses au niveau de la population (par exemple, le taux d'invasion), ont une compréhension limitée de l'efficacité de l'infrastructure pour le confinement à long terme des espèces envahissantes à l'échelle du bassin versant.

Cette étude a utilisé un modèle basé sur l'individu (IBM) pour étudier la capacité d'une barrière fluviale partielle à contenir la propagation d'espèces envahissantes à de grandes échelles spatio-temporelles, en utilisant l'écrevisse signal américaine Pacifastacus leniusculus comme espèce modèle. Le modèle de base (sans barrière) a recréé avec précision les taux d'expansion longitudinale des écrevisses signal signalés dans la littérature existante. Une barrière fluviale virtuelle a été ajoutée au modèle de base, avec un passage au niveau de la structure paramétré à l'aide de la littérature existante et des résultats d'une expérience qui n'a démontré aucune relation claire entre densité d'écrevisses et efficacité du franchissement d'un déversoir de type Crump.

Les résultats du modèle ont indiqué qu'un déversoir en aval du point de rejet n'avait aucun effet sur l'expansion longitudinale des écrevisses, alors qu'une barrière en amont ralentissait le taux d'invasion pendant 6,5 ans après sa première rencontre. Après que le taux d'invasion soit revenu aux niveaux d'avant la barrière, le front d'invasion était de 2,4 km plus en aval que prévu en l'absence de barrière, ce qui représente un retard de 1,73 an dans l'expansion de l'aire de répartition longitudinale.

Synthèse et applications. Malgré des impacts négatifs substantiels sur la biodiversité native, les infrastructures fluviales peuvent également retarder la propagation des espèces envahissantes d'eau douce, ce qui représente un compromis. Cela démontre la nécessité de prendre en compte les conséquences écologiques positives des infrastructures fluviales lors de la conception de techniques de priorisation pour l'élimination et l'atténuation des barrières (par exemple, le passage sélectif des poissons), et suggère que dans certains cas, les barrières peuvent fournir un outil utile de lutte intégrée contre les ravageurs."
Les auteurs précisent encore dans le texte :
"La capacité des barrières fluviales à ralentir les taux d'invasion souligne la nécessité de prendre en compte les espèces envahissantes dans la suppression des barrages et la planification des mesures d'atténuation. Les taux de suppression des barrages s'accélèrent (Mouchliatis, 2022), mais faciliter la propagation des espèces envahissantes en supprimant les barrières de dispersion est une préoccupation commune des gestionnaires (Tullos et al., 2016). En effet, la suppression de trois barrages sur la rivière Boardman, Michigan, États-Unis, a facilité la propagation de l'escargot de vase néo-zélandais Potamopyrgus antipodarum (Mahan et al., 2021), et il y a eu une récente campagne pour inclure la propagation potentielle d'espèces envahissantes. espèces dans les modèles de hiérarchisation de l'élimination des barrières (par exemple, Terêncio et al., 2021). Ceci est particulièrement important dans les régions mégadivers, où les grands barrages sont répandus et leur suppression peut faciliter d'énormes événements d'invasion d'eau douce (par exemple, Vitule et al., 2012). De même, les techniques d'atténuation conçues pour améliorer le passage des espèces natives (c'est-à-dire les passes à poissons) peuvent également permettre le déplacement d'espèces indésirables, ce qui représente un compromis important pour la gestion des pêches (McLaughlin et al., 2013). Cela souligne l'importance des solutions de passage sélectif des poissons, grâce auxquelles la connectivité est améliorée pour le biote endémique sans faciliter la dispersion des espèces envahissantes (par exemple Kerr et al., 2021 ; Stuart et al., 2006)."
Discussion
Les rivières de l'Anthropocène sont déjà très modifiées dans leurs propriétés physiques, chimiques et biologiques. Le transfert massif d'espèces exotiques, parfois invasives, représente notamment une bifurcation évolutive importante qui modifie un nombre croissant de biotopes et biocénoses, menant localement à de nouveaux équilibres (ou déséquilibres) dynamiques. Plaquer sur cette réalité l'idée que la destruction d'ouvrages hydrauliques pour imposer un libre cours de toutes espèces va restaurer un équilibre antérieur du vivant n'a donc guère de sens. Un gestion raisonnée et informée de ces ouvrages, ayant par ailleurs divers intérêts pour la société et sa régulation de l'eau, paraît donc une stratégie plus intelligente.

Référence : Daniels JA et al (2023), River infrastructure and the spread of freshwater invasive species: Inferences from an experimentally‐parameterised individual‐based model, Journal of Applied Ecology, doi.org/10.1111/1365-2664.14387

27/06/2023

Le rejet provisoire du règlement européen de restauration de la nature vaut avertissement pour une certaine vision de l’écologie

Après les commissions de l’agriculture et de la pêche, la commission environnement du Parlement européen vient de voter le rejet du projet de règlement de restauration de la nature. L’avenir du texte est suspendu à la séance plénière de l’été. Mais quand la «restauration de la nature» prend des formes sectaires et radicales, comme par exemple la destruction du patrimoine hydraulique européen contre l’avis des riverains et en pleine crise hydroclimatique, faut-il s’étonner de la difficulté à trouver de larges compromis ? Quelques réflexions à ce sujet. 


La commission environnement du parlement européen vient de voter ce 27 juin 2023 contre le projet de règlement sur la restauration de la nature. Après avoir achevé l’examen article par article, la commission a finalement voté un amendement de rejet de l’ensemble du projet. Quinze jours plus tôt, le 15 juin, les mêmes eurodéputés avaient pourtant voté… contre un tel amendement de rejet ! Dans les deux cas, 44 élus ont voté pour, 44 contre, mais les règles d’identité de vote ont été cette fois favorables au rejet. La suite du texte pourrait se jouer à la séance plénière du parlement, les 10-13 juillet prochains. Même s'il était adopté, il faudrait encore l'avis des gouvernements, dont plusieurs ont émis des réserves sérieuses.

Les politiques de biodiversité doivent réfléchir à l'impasse de l'opposition nature-humanité 
Les députés hostiles au projet l’ont été principalement au titre de la mise en danger d’activités comme la pêche ou l’agriculture, à une époque où la question de la souveraineté alimentaire est redevenue de première importance en Europe et dans le monde. Mais au-delà de ces arguments dont la valeur est discutée, cela montre que les politiques de biodiversité ont désormais du mal à trouver une voie aisément majoritaire, contrairement à celles du climat et de l’énergie.

Notre association avait exprimé à l’automne dernier ses plus vives réserves sur le volet «eau» de ce règlement européen de restauration de la nature. Et plus généralement sur sa philosophie sous-jacente, inspirée de chercheurs et d’ONG spécialisés qui tendent à dissocier et opposer la nature et l’humanité

Nous avons vu en France où mène notamment ce choix sur le cours d’eau : refus de reconnaitre la valeur des ouvrages hydrauliques, indifférence au patrimoine et au paysage, information lacunaire et biaisé des citoyens, pressions et conflits avec les riverains, volonté d’imposer une vision très théorique de la rivière sauvage selon une «référence» pré-industrielle d’une nature qui n’existe plus, destruction inouïe de barrages hydro-électriques et de nombreuses retenues d’eau alors que tous les efforts devraient être concentrés sur l’atténuation et l’adaptation climatiques.

Une certaine écologie de la conservation et de la restauration doit entendre le message. Elle doit travailler davantage avec les sciences sociales et les humanités de l’eau, s’ouvrir davantage à la pluralité des associations et usagers  qui, en démocratie, ont aussi le droit de défendre leur vision de la nature.

Mener la bataille européenne pour une autre écologie
L’association Hydrauxois est bien entendu favorable à des mesures permettant de retrouver des fonctionnalités et de sauvegarder des biodiversités dans les écosystèmes. Nous espérons que le règlement sera amendé pour arriver à un équilibre. 

Tout programme sur l’environnement doit être co-construit avec les citoyens, en retenant ce qui est accepté et en rejetant ce qui ne l'est pas, d’abord au niveau local concerné et pas par décision lointaine d'une technocratie. Un tel programme doit aussi cesser de raisonner selon un état antérieur idéal du vivant, qui ne reviendra jamais à l’identique, surtout pas en période de changement climatique où les paramètres essentiels du vivant évoluent très vite. Il faut aussi accepter que les milieux changent et sont hybridés de longue date par les humains. Il faut entendre que nos artefacts humains, nos existences humaines, nos animaux et plantes domestiques font aussi partie des biotopes et des biocénoses – rien n’est en fait séparé dans l'évolution de la terre et de la vie. Parfois, les actions humaines ont créé de nouveaux habitats d’intérêt ou de nouvelles biodiversités, augmenté des services écosystémiques. Parfois elles ont des effets essentiellement délétères et doivent alors se modérer. 

Enfin, notre association rappelle à ses consoeurs en France et en Europe, amoureuses de tous les patrimoines de l’eau, que la bataille normative se joue à Bruxelles et à Strasbourg. C’est vrai aujourd’hui pour le règlement de restauration de la nature. Ce sera vrai demain pour la révision de la directive cadre sur l’eau. Certaines erreurs ont été commises dans les politiques publiques : il est de notre devoir d’en témoigner auprès des fonctionnaires et des élus, afin de ne plus les répéter et de trouver des moyens plus durables, plus inclusifs, plus intelligents de protection de l’eau et des rivières. 

13/06/2023

La justice condamne et annule le programme de casse des ouvrages hydrauliques de l’agence de l’eau Seine-Normandie

Nouvelle victoire en justice ! Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise vient de prononcer l'illégalité et l'annulation partielle conséquente du programme de casse des ouvrages hydrauliques de l'agence de l'eau Seine-Normandie. Des procédures similaires sont déjà engagées sur les autres bassins du pays. La continuité écologique avait été transformée en programme de retour dogmatique à la rivière sauvage et de négation totale de la valeur du patrimoine hydraulique : c'est une nouvelle sanction de cette aberration. L'incroyable dérive de l'administration eau & biodiversité consistant à détruire les ouvrages des rivières au lieu de les aménager écologiquement se trouve donc privée de son principal outil de financement sur argent public. 


Par décision du n° 1904387 – 2207014 du 9 juin 2023, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise saisi par Hydrauxois, la FFAM et de nombreux autres requérants associatifs vient de prononcer l’annulation partielle du programme d’aide à la destruction des ouvrages hydrauliques en rivières classées continuité écologique de l’agence de l’eau Seine-Normandie. 

Alors que la loi de 2021, faisant suite à dix années de troubles et de contentieux, avait clairement exprimé que la continuité écologique ne visait pas à détruire l’usage actuel et potentiel des ouvrages hydrauliques, l’agence de l’eau Seine-Normandie (comme ses consœurs) a continué de financer cette solution, et plus encore de la financer à un taux nettement avantageux de 80% de subvention. Soit une forte incitation à détruire au lieu d'aménager. 

Le tribunal condamne l’agence de l’eau en ces termes :
Sur les conclusions à fin d’annulation partielle de la délibération du 16 novembre 2021 :
18. Aux termes de l’article L. 214-17 du code de l'environnement tel que modifié par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets : « I. - Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous- bassin : (…) / 2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie. S'agissant plus particulièrement des moulins à eau, l'entretien, la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l'exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages (…) ».

19. Les associations requérantes soutiennent que la délibération du 16 novembre 2021 révisant le 11ème programme pluriannuel d’intervention de l’agence de l’eau Seine- Normandie est devenue illégale du fait de la modification par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, du 2° du I de l’article L. 214-17 du code de l'environnement.

20. Il ressort des pièces du dossier que le 2° du I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement oblige désormais, s’agissant uniquement des ouvrages implantés sur les cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux, dans lesquels il est nécessaire d’assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs, figurant sur une liste établie par l’autorité administrative, à les entretenir, les gérer et les équiper, sans remettre en cause leur usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie, de sorte que ces mesures sont les seules modalités autorisées pour l'accomplissement des obligations relatives au transport suffisant des sédiments et à la circulation des poissons migrateurs, à l’exclusion plus particulièrement pour les moulins à eau de la destruction des ouvrages de retenue. Or, il ressort du point E.1 du programme pluriannuel d’intervention en litige qu’il prévoit la possibilité de financer de tels travaux de destruction, lorsqu’ils sont nécessaires à la restauration de la continuité écologique.

21. D’une part, si l’agence de l’eau Seine Normandie fait valoir en défense que les dispositions précitées de l’article L. 214-17 du code de l'environnement ne régissent pas directement l’attribution des aides encadrées par le 11ème programme révisé et que ce programme prévoit que les travaux financés doivent satisfaire aux obligations règlementaires, ces aides ne sauraient être attribuées en méconnaissance des dispositions législatives en vigueur à la date de l’adoption de la délibération attaquée et la seule réserve relative aux obligations règlementaires ne permet donc pas d’être interprétée comme ayant implicitement mais nécessairement exclu de son dispositif d’aides, les travaux ainsi prohibés par la loi.

22. D’autre part, l’agence de l’eau Seine-Normandie soulève en défense une exception d’inconventionnalité de la nouvelle rédaction de l’article L. 214-17 du code de l’environnement, qui serait contraire selon elle, au a) du 1 de l’article 4 de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, qui fixe un objectif de prévention, de restauration et d’amélioration de l’état des masses d’eau de surface. Elle fait valoir que l’annexe V de cette directive fixe ainsi la continuité des rivières comme l’un des paramètres biologiques de la qualité de leur état écologique qui doit permettre une migration non perturbée des organismes aquatiques et le transport des sédiments. Cette nouvelle rédaction de la loi serait également, selon l’agence de l’eau, contraire, à l’article 2 du règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d’anguilles européennes et imposant notamment la mise en place de mesures structurelles visant à permettre le franchissement des rivières et le transport des anguilles argentées des eaux intérieures vers des eaux d’où elles peuvent migrer librement vers la mer des Sargasses. Il résulte toutefois des dispositions de l’article L. 214-17 que celles-ci limitent l’interdiction qu’elles instituent à la seule destruction des ouvrages ayant un usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d’énergie, comme modalité d’accomplissement des obligations environnementales relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments. Dans ces conditions, cette exception d’inconventionnalité, telle qu’elle est soulevée en défense, doit être écartée.

23. Dans ces conditions, le point E.1 du 11ème programme pluriannuel d’intervention, tel qu’approuvé par la délibération en litige, méconnait partiellement les dispositions du 2° du I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement.

L’association Hydrauxois :
  • se félicite de la sanction des dérives de l’administration eau & biodiversité, qui a voulu persister dans un programme massif de destructions des ouvrages hydrauliques contraire à l’esprit et à la lettre de la loi française ;
  • observe que le mouvement des ouvrages hydrauliques et de leurs riverains avait raison de pointer ces dérives auprès des élus, des préfets, des médias, malgré les dénégations réflexes et mensongères du ministère de l'écologie quand il était interrogé à ce sujet;
  • appelle ses adhérents, les maîtres d’ouvrages, les collectifs et associations à demander immédiatement l’arrêt de toute destruction en cours d’ouvrage sur le bassin Seine-Normandie (rivières listes 2 ou listes 1- listes2), et en particulier à contester si nécessaire devant la justice son financement public ;
  • appelle les administrations de la république, et en particulier les préfets départementaux et préfets de bassin ainsi que la direction eau & biodiversité du ministère de l'écologie, à faire cesser les dérapages idéologiques internes et les prises de position des agents publics contraires aux lois du pays ;
  • appelle les élus de la république, et en particulier les parlementaires, à repenser et réviser la politique de l'eau et des rivières en incluant pleinement la valeur des ouvrages hydrauliques et leur contribution aux grands enjeux de notre temps : relocalisation économique, agrément social et paysager, gestion hydrologique des débits, production énergétique bas carbone, défense incendie, adaptation climatique, protection des biodiversités.
Des procédures similaires ont été engagées sur les 5 autres bassins hydrographiques de la France métropolitaine. 

Source : Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, décision du n° 1904387 – 2207014, 9 juin 2023

28/05/2023

Olivier Thibault, le nouveau directeur de l’OFB, trompe les parlementaires sur la continuité écologique

Auditionné par les parlementaires afin de valider sa nomination comme directeur de l’Office français de la biodiversité, Olivier Thibault a tenu des propos imprécis ou faux sur la continuité écologique. Il est manifestement impossible de concilier l’idéologie administrative du retour à la rivière sauvage avec un minimum de bonne foi dans l’analyse des réalités hydrauliques, en particulier les ouvrages anciens des moulins et étangs. 




Interrogé sur le thème de la continuité écologique et des moulins (voir la vidéo, vers 1’10), Olivier Thibault a commencé par leur attribuer la responsabilité de la disparition des poissons migrateurs. 

Ce propos est inexact. Une analyse de l’histoire des poissons migrateurs a montré que ceux-ci étaient encore présents un peu partout sur le territoire français au milieu du 18e siècle (Merg et al 2020). Or à cette époque les rivières étaient déjà couvertes de moulins et d’étangs, car l’hydraulique était la première énergie mécanique du pays et la pisciculture une activité vivrière. Une autre étude ayant analysé l’évolution des poissons migrateurs sur les 40 dernières années (1983-2017) ne trouve aucun lien significatif avec la continuité écologique (Legrand et al 2020). L’échec de la restauration fluviale s’observe aussi sur des bassins pilotes qui ont mobilisé de forts investissements à compter des années 1970, comme par exemple le saumon de l’axe Loire-Allier : malgré les efforts sur un demi-siècle, le taux de retour du saumon se situe à des niveaux historiquement très bas, outre que ces saumons relèvent désormais de souches d’élevage et non de souche sauvage. Pour ce cas du saumon atlantique, les chercheurs montrent que les baisses de recrutement depuis quelques décennies ne sont probablement pas liées aux facteurs usuellement mis en avant (pollution et continuité) car même dans des bassins très préservés, le saumon reste rare ou absent (Dadswell et al 2022). La même remarque pourrait être faite sur l'anguille : l'effondrement des stocks de ce migrateur date des années 1980, sans rapport temporel avec des ouvrages anciens présents depuis des siècles. 

Olivier Thibault a ensuite affirmé que 11% seulement des rivières françaises faisaient l’objet d’une politique de continuité écologique.

Ce propos est imprécis et trompeur. Suite à la loi de 2006, les préfectures de bassin ont classé 11% des rivières en liste 2 (obligation d’assurer la continuité au droit des ouvrages) et 30% en liste 1 (interdiction d’obstacle à la continuité écologique), voir données du CGEDD 2016. Mais surtout, les services de l’OFB que dirige Olivier Thibaut comme les services des DDT-M et des DREAL tendent désormais à exiger la continuité écologique à toute occasion de travaux sur un ouvrage. Ces services administratifs tirent argument que la continuité hydrographique figure dans les règles générales de gestion équilibrée et durable de l’eau (article L 211-1 code de l’environnement), donc qu’elle est exigible sur toute rivière, pas seulement sur celles spécifiquement classées à cette fin. Ces services tendent à donner des avis négatifs aux demandes de travaux sur des sites hydrauliques si ces travaux ne prévoient pas le poste (très coûteux) de continuité. C'est la raison pour laquelle nous demandons aux parlementaires de modifier la loi, afin d'empêcher ces attitudes de sur-administration et sur-réglementation qui bloquent l'hydraulique française depuis 20 ans.


Olivier Thibault a prétendu qu’il était « archi-faux » d’affirmer que les seuils en rivière aident à retenir l’eau et peuvent avoir des effets positifs sur les nappes ou les sécheresses.

Ce propos est « archi-faux ». D’abord, comme l’a reconnu l’expertise collective Irstea-Onema sur les effets cumulés des retenues d’eau, il existe très peu de données d’observation dans le monde sur les effets hydrologiques des petits ouvrages et de leurs plans d’eau (Carluer et 2016). Cette expertise signale que les retenues perdent de l’eau par infiltration et échange avec les aquifères, retenant une valeur médiane de 1 à 2 mm par jour pour le flux de transfert vers les aquifères. Ensuite, les règles de base de la physique (hydrostatique, hydrodynamique) comme l’observation empirique des puits et captages en bord d’ouvrages montrent que la création d’un plan d’eau et d’une lame d’eau plus haute augmente le niveau de la nappe sous-jacente. Le BRGM a rappelé cette évidence aux parlementaires dans une autre audition. De très nombreux travaux ont été menés pour étudier les barrages de castors – ce qui soit dit en passant montre une anomalie de la programmation de la recherche publique, car le même travail n’est même pas fait sur les ouvrages humains malgré leur ancienneté et omniprésence : tous ces travaux sur les castors documentent des effets positifs des petits barrages en lit mineur  pour la rétention d’eau dans les bassins (voir par exemple revue chez Larsen et al 2021). Enfin, de rares travaux ont été menés sur des rivières où l'on avait effacé des ouvrages, d'autres où l'on avait cessé de gérer les retenues de moulins : ces travaux documentent des incisions des lits et des baisses de niveau des nappes, deux phénomènes négatifs pour la retenue d'eau en sol et sous-sol (Maaß et Schüttrumpf 2019, Podgórski et Szatten 2020). On lira également avec profit la monographie de Pierre Potherat sur l'analyse des ouvrages hydrauliques et de leur gestion en lien aux recharges d'aquifères (Potherat 2021). 

Concernant l’évaporation, citée par Olivier Thibault comme un grave problème lié aux retenues d’eau, rappelons que tous les milieux de surface évaporent, qu’ils soient naturels ou artificiels. L’une des seules études menées en France pour comparer l’évaporation de retenues artificielles avec des zones humides ou des forêts a montré que les retenues humaines évaporent moins sur l’année (Al Domany et al 2020). De tels travaux doivent être répliqués, mais ils tirent déjà un signal d’alarme assez fort sur l’effet des « solutions fondées sur le nature » en ce qui concerne spécifiquement la lutte contre les sécheresses. Les parlementaires ne doivent pas suivre aveuglément des idées floues et à la mode, mais exiger des preuves scientifiques fortes avant d’engager un programme public sur des sujets importants pour la société et le vivant. Si l’OFB prétend que les ouvrages hydrauliques ont un effet négatif sur le stockage d’eau, il faut publier les travaux scientifiques qui le démontrent. Sinon, il faut arrêter de propager des fausses informations au nom d’une idéologie du retour à la rivière sauvage.  

Conclusion : l’Office français de la biodiversité (ex Onema, ex Conseil supérieur de la pêche) a largement contribué à transformer la continuité écologique en dogme et à bloquer toute analyse sérieuse des services écosystémiques rendus par les ouvrages hydrauliques. Olivier Thibault commence sa mandature à la direction de cette institution sur un très mauvais départ, avec la redite des éléments de langage relevant d’une idéologie administrative davantage que de la précision scientifique. 

24/05/2023

Les lacs naturels et artificiels perdent de l'eau depuis 30 ans – mais pas tous et pas toujours pour les mêmes raisons (Yao et al 2023)

Plus de la moitié des grands plans d’eau naturels et artificiels dans le monde ont vu leur volume se réduire au cours de ces trois dernières décennies, sous l’effet du changement climatique et des activités humaines, selon une étude venant de paraître dans Science. Un quart a vu ce volume augmenter et un quart n'a pas de tendance claire. Le stockage en réservoir artificiel a néanmoins connu un léger gain sur la période, car les constructions de nouveaux sites ont compensé les pertes des sites existants. La principale cause de perte de volume d'eau stocké en réservoir artificiel est la sédimentation, ce que les chercheurs suggèrent de prendre en compte dans les politiques de gestion des barrages et retenues. 


Tendance du volume d'eau des grands lacs, extrait de Yao et al 2023, art cit.

Les plans d'eau naturels comme artificiels ont un rôle important pour les sociétés humaines, comme le rappellent Fangfang Yoao et ses collègues en introduction de leur recherche : "Les lacs couvrent 3 % de la superficie terrestre mondiale, stockant de l'eau stagnante ou à écoulement lent qui fournit des services écosystémiques essentiels d'eau douce et d'approvisionnement alimentaire, d'habitat des oiseaux d'eau, de cycle des polluants et des nutriments et des services récréatifs. Les lacs sont également des éléments clés des processus biogéochimiques et régulent le climat par le cycle du carbone. Leurs biens et services potentiels sont modulés par le stockage de l'eau du lac (LWS), qui fluctue en réponse aux changements de précipitations et de débit des rivières, ainsi qu'en réponse aux activités humaines directes (barrages et consommation d'eau) et au changement climatique."

Pour mener leur évaluation, les chercheurs ont agrégé près de 249 000 images par satellite, en même temps que des batteries de données météorologiques et d'informations sur l’évaporation, l’humidité des sols et la transpiration des végétaux, les ruissellements et les écoulements, l’irrigation. Ainsi ont-ils pu estimer le poids des facteurs dans l'évolution de la ressource hydrique à la surface de la Terre.

Voici d'abord le résumé de leur étude :
"Le changement climatique et les activités humaines menacent de plus en plus les lacs qui stockent 87 % de l'eau douce de surface liquide de la Terre. Pourtant, les tendances récentes et les facteurs de changement du volume des lacs restent largement inconnus à l'échelle mondiale. 
Ici, nous analysons les 1972 plus grands lacs mondiaux à l'aide de trois décennies d'observations satellitaires, de données climatiques et de modèles hydrologiques, et nous avons constaté des baisses de stockage statistiquement significatives pour 53 % de ces masses d'eau au cours de la période 1992-2020. La perte nette de volume dans les lacs naturels est largement attribuable au réchauffement climatique, à l'augmentation de la demande d'évaporation et à la consommation humaine d'eau, tandis que la sédimentation domine les pertes de stockage dans les réservoirs. 
Nous estimons qu'environ un quart de la population mondiale réside dans un bassin d'un lac en voie d'assèchement, ce qui souligne la nécessité d'intégrer les impacts du changement climatique et de la sédimentation dans la gestion durable des ressources en eau."

Plus en détail, voici les informations clés qui ressortent de cette étude :
  • Une base de données mondiale des stockage d'eau en grands lacs a été composée de séries temporelles (1992 à 2020) de stockage infra-annuelles pour 1972 grandes masses d'eau, dont 1051 lacs naturels (100 à 377 002 km2) et 921 réservoirs (4 à 67 166 km2), qui représentent 96 et 83% du stockage naturel des lacs et réservoirs de la Terre.
  • Plus de la moitié (53 ± 2 %) des grands lacs ont subi des pertes d'eau importantes. La perte prévaut notamment l'ouest de l'Asie centrale, le Moyen-Orient, l'ouest de l'Inde, l'est de la Chine, le nord et l'est de l'Europe, l'Océanie, les États-Unis contigus, le nord du Canada, l'Afrique australe et la majeure partie de l'Amérique du Sud. 
  • Environ un quart (24%) des grands lacs ont connu des gains d'eau importants, qui se trouvent en grande partie dans les lieux de construction de barrages et dans les régions isolées ou sous-peuplées, telles que le plateau tibétain intérieur et les grandes plaines du nord de l'Amérique du Nord. 
  • À l'échelle mondiale, le stockage en lac a montré une baisse nette à un taux de −21,51 ± 2,54 Gt an−1, ou de 602,28 km3 en volume cumulé, ce qui équivaut à l'utilisation totale de l'eau aux États-Unis pour l'année entière de 2015
  • La perte de volume cumulée est d'environ 40 % supérieure à la moyenne des variations annuelles (c'est-à-dire les différences entre les valeurs maximales et minimales) sur la période 1992-2020
  • Le volume naturel des lacs naturels a diminué à un taux net de −26,38 ± 1,59 Gt an−1, dont 56 ± 9% sont attribuables aux activités humaines directes et aux changements de température et d'évapotranspiration potentielle (PET), c'est-à-dire la demande d'évaporation. Un total de 457 lacs naturels (43 %) ont subi des pertes d'eau importantes avec un taux total de −38,08 ± 1,12 Gt an−1, tandis que des gains d'eau importants ont été constatés dans 234 lacs naturels (22 %) à un taux total de 13,02 ± 0,41 Gt an−1. Les 360 lacs restants (35 %) n'ont montré aucune tendance significative. Plus de 80 % du déclin total des lacs asséchés provient des 26 pertes les plus importantes (>0,1 Gt an−1, p < 0,1).
  • Près des deux tiers (64 ± 4 %) de tous les grands réservoirs artificiels ont connu des baisses de stockage importantes, bien que les réservoirs aient affiché une augmentation globale nette à un taux de 4,87 ± 1,98 Gt an−1, en raison de 183 (20 %) réservoirs récemment remplis. Des baisses de stockage dans les réservoirs existants, c'est-à-dire déjà remplis avant 1992, ont été observées dans la plupart des régions. Le déclin global du stockage dans les réservoirs existants (−13,19 ± 1,77 Gt an−1) peut être largement attribué à la sédimentation : "Nos résultats suggèrent que la sédimentation est le principal contributeur à la diminution globale du stockage dans les réservoirs existants et a un impact plus important que la variabilité hydroclimatique, c'est-à-dire les sécheresses et la récupération après les sécheresses".
Discussion
Cet article de recherche montre que la disponibilité de l'eau devient un enjeu de plus en plus pressant en période de changement climatique et face aux besoins des sociétés. Une autre mission récemment lancée  – SWOT (Surface Water Ocean Topography) pour le Centre national d’études spatiales et la NASA – permettra à terme d'étendre ce travail à des millions de petits lacs et plans d'eau.

Il est notable que les chercheurs insistent sur le rôle de la sédimentation dans la perte de volume stocké des réservoirs artificiels. Le gestionnaire public doit réfléchir à simplifier les travaux de curage lors des vidanges d'entretien ainsi que la valorisation des sédiments. Car face au manque d'eau, et en particulier à la variabilité plus forte du cycle de l'eau (épisodes de fortes pluies alternant avec des épisodes de sécheresse), les sociétés humaines ne vont certainement pas abandonner le stockage en surface : il s'agit de rendre ce stockage plus efficient en même temps que de l'adapter aux connaissances nouvelles en écologie aquatique.

Référence : Yao F et al (2023), Satellites reveal widespread decline in global lake water storage, Science, 80, 6646, 743-749

19/05/2023

Considérer l'eau de surface et l'eau souterraine comme une seule et même ressource (Scanlon et al 2023)

L'analyse satellitaire par gravimétrie (mission GRACE) permet d'estimer l'évolution globale des ressources en eau douce superficielle et souterraine, par bilan de masse. Les dernières mesures publiées par les chercheurs montrent une forte variabilité interannuelle, une progression globale de la superficie de stockage d'eau en surface, une déplétion régionale de la ressource en raison du climat ou des usages, au premier rang desquels l'irrigation.

Tendance des ressources en eau depuis le début de la décennie 2000.

Entre 2012 et 2020, la crise de l'eau est apparue huit fois parmi les cinq risques à fort impact répertoriés par le Forum économique mondial. La 77e Assemblée générale des Nations Unies en 2022 a émis une alerte rouge sur le climat et l'approvisionnement en eau. La gestion quantitative de l'eau est donc revenue au premier plan des préoccupations publiques.

Une équipe internationale de chercheurs vient de publier une estimation des ressources globales d'eau douce à partir du satellite GRACE, qui permet (par bilan massique) de mesurer le stockage total d'eau en surface et en sol, à échelle de la planète. Ces chercheurs font aussi un passage en revue des options pour gérer l'eau douce, en insistant sur le fait que l'eau de surface et l'eau souterraine doivent être considérées comme une seule et même ressource. 

Voici le résumé de leur travail :
L'eau est une ressource essentielle, mais assurer sa disponibilité confronte à des défis liés aux extrêmes climatiques et à l'intervention humaine. Dans cette revue, nous évaluons l'évolution actuelle et historique des ressources en eau, en considérant les eaux de surface et les eaux souterraines comme une ressource unique et interconnectée. 
Les tendances du stockage total de l'eau ont varié d'une région à l'autre au cours du siècle dernier. Les données satellitaires de Gravity Recovery and Climate Experiment (GRACE) montrent des tendances à la baisse, à la stabilité et à la hausse du stockage total de l'eau au cours des deux dernières décennies dans diverses régions du monde. La surveillance des eaux souterraines fournit un contexte à plus long terme au cours du siècle dernier, montrant une augmentation du stockage de l'eau dans le nord-ouest de l'Inde, le centre du Pakistan et le nord-ouest des États-Unis, et une diminution du stockage de l'eau dans les hautes plaines et la vallée centrale des États-Unis. La variabilité climatique entraîne certains changements dans le stockage de l'eau, mais l'intervention humaine, en particulier l'irrigation, est un moteur majeur.
La résilience des ressources en eau peut être accrue en diversifiant les stratégies de gestion. Ces approches comprennent des solutions vertes, telles que la préservation des forêts et des zones humides, et des solutions grises, telles que l'augmentation des approvisionnements (dessalement, réutilisation des eaux usées), l'amélioration du stockage dans les réservoirs de surface et les aquifères épuisés, le transport de l'eau. Un portefeuille diversifié de ces solutions, associé à la gestion des eaux souterraines et des eaux de surface en tant que ressource unique, peut répondre aux besoins humains et écosystémiques tout en construisant un système d'eau résilient.
Voici les points clés mis en avant par les chercheurs : 
Les tendances nettes des données sur le stockage total de l'eau de la mission satellite GRACE vont [selon les grands bassins] de −310 km3 à 260 km3 au total sur une mesure de 19 ans dans différentes régions du monde, variations causées par le climat et l'intervention humaine.

Les eaux souterraines et les eaux de surface sont fortement liées, 85 % des prélèvements d'eau souterraine provenant du captage des eaux de surface et d'une évapotranspiration réduite, et les 15 % restants provenant de l'épuisement des aquifères.

Les interventions climatiques et humaines ont causé la perte d'environ -90 000 km2 de superficie d'eau de surface entre 1984 et 2015, tandis que 184 000 km2 de nouvelle superficie d'eau de surface se sont développées ailleurs, principalement en remplissant des réservoirs.

L'intervention humaine affecte les ressources en eau directement par l'utilisation de l'eau, en particulier l'irrigation, et indirectement par le changement d'affectation des terres, comme l'expansion agricole et l'urbanisation.

Les stratégies visant à accroître la résilience des ressources en eau comprennent la préservation et la restauration des forêts et des zones humides, et la gestion conjointe des eaux de surface et des eaux souterraines.


A propos des stockages en surface, les auteurs font les remarques suivantes :
"Le stockage géré de l'eau, y compris les réservoirs de surface et le stockage souterrain dans les aquifères, peut résoudre les déconnexions temporelles entre l'offre et la demande causées par les extrêmes climatiques (inondations et sécheresses). La diminution du stockage naturel dans le manteau neigeux dans le cadre du changement climatique souligne la nécessité de développer une capacité de stockage supplémentaire pour compenser les impacts climatiques.

À l'échelle mondiale, environ 58 000 grands barrages (≥15 m de haut) fournissent une capacité de stockage agrégée d'environ 7 000 à 8 300 km3. Les barrages à usage unique sont construits pour l'irrigation (~50%), l'hydroélectricité (21%) et l'approvisionnement en eau (12%). Cependant, les barrages mal gérés perturbent la connectivité écologique des rivières et la quantité et la qualité de l'eau en aval. Bien que la construction de barrages ait déjà atteint son apogée dans certains pays (en particulier à revenu élevé) parce que des sites de stockage appropriés ont été développés au maximum, les progrès du niveau de compétence en matière de prévision encouragent les efforts visant à optimiser le stockage sur les sites existants en utilisant des opérations de réservoir informées par les prévisions (FIRO), comme démontré à Lake Mendocino, en Californie. Le FIRO consiste à transférer l'excès d'eau de surface avant l'inondation des réservoirs vers les aquifères épuisés adjacents pour améliorer le stockage de l'eau. La Ganges Water Machine fournit un autre exemple de gestion conjointe des eaux de surface et des eaux souterraines pour améliorer le stockage de l'eau. L'irrigation étendue alimentée par les eaux souterraines pendant les périodes autres que la mousson offre un espace accru pour stocker les eaux de crue de la période de mousson de 3 mois, améliorant ainsi l'échange d'eau de surface et souterraine.

La construction de barrages augmente nettement dans les pays à revenu faible et intermédiaire où il existe encore un grand potentiel de réservoirs. Environ 3 700 barrages hydroélectriques sont en construction ou prévus, principalement en Amérique du Sud, en Asie du Sud et de l'Est et en Afrique. Il y a des inconvénients à utiliser des réservoirs pour réduire les pénuries d'eau. Par exemple, le remplissage du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD, capacité de 74 km3) pourrait réduire considérablement les niveaux des réservoirs dans le réservoir du barrage du Haut Assouan en aval, et la gestion des deux réservoirs sera nécessaire pour faire face aux sécheresses pluriannuelles. Sur la base du paradoxe de Jevons, et comme ce qui concerne l'efficacité de l'irrigation, l'augmentation de l'approvisionnement en eau peut augmenter la demande et rendre les systèmes plus vulnérables aux pénuries.

Il existe un intérêt croissant pour le stockage de l'eau dans les aquifères épuisés en utilisant la recharge gérée des aquifères (MAR), le processus d'infiltration ou d'injection artificielle d'eau dans le sous-sol pour le stockage et la récupération ultérieure. De plus, avec l'augmentation des extrêmes climatiques, on s'intéresse de plus en plus à la capture des débits de crue et de tempête pour recharger les aquifères épuisés. Le volume annuel d'eau stockée à l'échelle mondiale grâce au MAR est passé à environ 10 km3 en 2015. Bien que les volumes de stockage du MAR soient faibles par rapport aux réservoirs de surface, le MAR peut être une stratégie extrêmement importante à l'échelle locale pour aider à atténuer le stress hydrique régional. Par exemple, dans le comté d'Orange, en Californie, le MAR est un composant essentiel du portefeuille local d'approvisionnement en eau et fournit suffisamment d'eau pour 850 000 personnes, en plus de co-bénéfices tels que la prévention de l'intrusion d'eau de mer et l'amélioration de la qualité de l'eau. L'épuisement du stockage des aquifères aux États-Unis a été estimé à 1 000 km3 entre 1900 et 2008, dépassant la capacité des nouveaux réservoirs de surface (673 km3) construits au cours de cette période. Cet héritage de l'épuisement de l'aquifère représente une grande capacité potentielle de réservoir souterrain pour soutenir le MAR, même en tenant compte de la perte permanente de stockage de l'aquifère due au compactage (par exemple, ~ 20 % en Californie). Les projets MAR peuvent étendre davantage les options de stockage local grâce à une gestion conjointe des réservoirs de surface traditionnels avec des installations MAR colocalisées. Bien que le MAR puisse avoir de multiples avantages, notamment l'atténuation de l'affaissement des terres et la restauration des écosystèmes, il peut également avoir des effets néfastes sur l'environnement, notamment l'engorgement, la salinisation des sols et la dégradation de la qualité de l'eau."
Discussion
La gestion intégrée de l'eau ne doit pas séparer l'eau de surface et l'eau souterraine, puisque ces deux réalités sont interconnectées dans le fonctionnement naturel des bassins versants comme dans les usages humains de l'eau (s'y ajoute, encore marginalement mais en forte croissance mondiale, le dessalement de l'eau de mer créant un apport d'eau douce en zone littorale). Cela suppose déjà de disposer d'un réseau de mesure complète de la ressource eau. 

Si ces estimations globales sont utiles et permises par la mission GRACE, elles ne doivent pas faire oublier que l'eau se gère toujours localement. Par exemple, outre les 58 000 grands barrages de plus 15 m dans le monde, il existe des millions d'ouvrages de moindre hauteur (1,2 million en Europe, voir Belletti et al 2020). Bien que passant sous le radar des réflexions globales, ces ouvrages ont aussi des fonctions de ralentissement, stockage, diversion de l'eau.  Il faudrait d'ailleurs ajouter aux barrages artificiels créés par les humains ceux résultant de processus non humains (embâcles, éboulis, castors etc.). Si l'eau doit être gérée face à l'aléa climatique et à la demande socio-économique, cette gestion s'opère sur chaque bassin versant, d'autant que le transport longue distance de l'eau reste une option énergie-intensive et difficilement actionnable, hors quelques très grands projets (cités dans l'article des chercheurs). 

Un point particulièrement intéressant pour la réflexion est la connexion des réservoirs de surfaces créés par des barrages, des digues ou des canaux avec les sols, aquifères et nappes. L'intérêt de stocker l'eau sous la surface est lié à une moindre évaporation, notamment en période de changement climatique – même s'il ne faut pas négliger que l'eau de surface reste nécessaire à la biodiversité très riche des milieux aquatiques et humides, les espèces ne pouvant évidemment se réfugier sous le sol en été, hormis une toute petite fraction adaptée aux assecs. A petite échelle, on peut imaginer que la gestion des ouvrages hydrauliques serve à des élévations de nappes, inondations contrôlées de lit majeur en saison pluvieuse, détournements par canaux vers des zones favorables à l'infiltration (cf par exemple les analyses locales sur une tête de bassin karstique in Potherat 2021). Cela suppose que le gestionnaire revienne à une culture hydraulique en la connectant aux connaissances hydrologiques et écologiques.

Référence : Scanlon BR et al (2023), Global water resources and the role of groundwater in a resilient water future, Nature Reviews Earth & Environment, 4.2, 87-101

16/05/2023

Le retour des castors oblige à repenser le concept de continuité de la rivière (Larsen et al 2021)

Ayant décliné depuis quelques millénaires et frôlé l'extinction à l'âge moderne, puis ayant bénéficié de protection stricte au 20e siècle, le castor fait désormais son grand retour dans l'aire américaine (Castor canadensis) et l'aire européenne (Castor fiber). Les chercheurs constatent que les bassins versants favorables au rongeur aquatique sont alors parsemés de nombreux barrages formant des plans d'eau et modifiant substantiellement le régime d'écoulement de la rivière, ses connexions au lit majeur comme aux aquifères. Cette observation empirique conduit à réviser le concept de continuité de la rivière, car la réalité historique des cours d'eau dans les zones à castor a sans doute été une série de discontinuités. Rien à voir avec la carte postale formant souvent vitrine des politiques de renaturation et de continuité dite "écologique", où l'on voit des petites rivières dégagées et s'écoulant sagement dans un lit sans aucun obstacle. Une image d'Epinal davantage qu'une réalité scientifiquement validée.



Trois spécialistes (Annegret Larsen, Joshua R. Larsen et Stuart N. Lane) ont proposé une synthèse de la littérature savante sur les effets hydrologiques et géomorphologiques des barrages de castors. Voici le résumé de leur recherche :
"Les castors (Castor fiber, Castor canadensis) sont l'un des ingénieurs des écosystèmes les plus influents parmi les mammifères, modifiant fortement l'hydrologie, la géomorphologie, le cycle des nutriments et les écosystèmes des corridors fluviaux. En tant qu'agent de perturbation, ils y parviennent d'abord et avant tout par la construction de barrages, qui retiennent l'écoulement et augmentent l'étendue des eaux libres, et dont découlent tous les autres impacts sur le paysage et l'écosystème. Après une longue période d'éradication locale et régionale, les populations de castors se sont rétablies et se sont développées dans toute l'Europe et l'Amérique du Nord, ainsi qu'une espèce introduite en Amérique du Sud, ce qui a nécessité une révision complète de l'état actuel des connaissances sur la façon dont les castors influencent la structure et le fonctionnement des corridors fluviaux. 
Ici, nous synthétisons les impacts globaux sur l'hydrologie, la géomorphologie, la biogéochimie et les écosystèmes aquatiques et terrestres. Nos principales conclusions sont qu'un complexe de barrages de castors peut augmenter le stockage de l'eau de surface et souterraine, modifier la répartition des bilans hydriques à échelle des tronçons, permettre une atténuation des inondations spécifique au site, modifier l'hydrologie à faible débit, augmenter l'évaporation, augmenter les temps de séjour de l'eau et des nutriments, augmenter l'hétérogénéité géomorphologique, retarder le transport des sédiments, augmenter le stockage du carbone, des nutriments et des sédiments, étendre l'étendue des conditions et des interfaces anaérobies, augmenter l'exportation en aval du carbone organique dissous et de l'ammonium, diminuer l'exportation en aval du nitrate, augmenter les transitions de l'habitat lotique à l'habitat lentique et l'eau primaire aquatique production, induire une succession «inverse» dans les assemblages de végétation riveraine et augmenter la complexité de l'habitat et la biodiversité à l'échelle du tronçon.
Nous examinons ensuite les principales rétroactions et les chevauchements entre ces changements causés par les castors, où la diminution de la connectivité hydrologique longitudinale crée des étangs et des zones humides, les transitions entre les écosystèmes lentiques et lotiques, l'augmentation des gradients d'échange hydraulique vertical et le cycle biogéochimique par unité de longueur de cours d'eau, tandis que l'augmentation la connectivité latérale déterminera l'étendue de la zone d'eau libre et des habitats des zones humides et littorales, et induira des changements dans les assemblages des écosystèmes aquatiques et terrestres. Cependant, l'étendue de ces impacts dépend d'abord du contexte hydrogéomorphique du paysage, qui détermine l'étendue de l'inondation des plaines inondables, un facteur clé des changements ultérieurs de la dynamique hydrologique, géomorphique, biogéochimique et écosystémique. Ensuite, cela dépend de la durée pendant laquelle les castors peuvent supporter des perturbations sur un site donné, qui est limitée par des rétroactions descendantes (par exemple, la prédation) et ascendantes (par exemple, la concurrence), et détermine en fin de compte les voies du paysage du corridor fluvial et la succession écosystèmique après abandon du castor. Cette influence démesurée des castors sur les processus et les rétroactions des corridors fluviaux est également fondamentalement distincte de ce qui se produit en leur absence. 
Les pratiques actuelles de gestion et de restauration des rivières sont donc ouvertes à un réexamen afin de tenir compte des impacts des castors, tant positifs que négatifs, de sorte qu'ils puissent potentiellement accueillir et améliorer les services d'ingénierie écosystémique qu'ils fournissent. Nous espérons que notre synthèse et notre cadre holistique d'évaluation des impacts des castors pourront être utilisés dans cette entreprise par les scientifiques et les gestionnaires de rivières à l'avenir, car les populations de castors continuent de croître en nombre et en aire de répartition."

Les chercheurs soulignent que le castor oblige à repenser le "river continuum concept" qui est une des bases savante de la continuité écologique. Il faut selon eux envisager que la rivière connaît en réalité des discontinuités :
"Les modifications à grande échelle des castors des modèles de processus physiques sur lesquels les écosystèmes s'adaptent et fonctionnent perturbent donc ce cadre traditionnel du RCC (river continuum concept), en particulier dans les habitats de cours d'eau d'ordre inférieur, avec des conséquences importantes pour notre conceptualisation des processus des écosystèmes fluviaux. La principale raison pour laquelle les modifications du castor perturbent autant le RCC est due à l'étendue croissante des eaux de surface retenues derrière les barrages individuels et collectivement au sein des complexes de barrages de castor, qui constituent un changement brusque d'échelle de portée de presque exclusivement lotique (eau courante) à un mélange complexe de conditions lentiques (eau calme) et lotiques et de transitions entre elles. Cette variation entre les écosystèmes lotiques et lentiques a été couverte dans des modèles conceptuels qui incluent des barrages anthropiques dans des systèmes fluviaux régulés (par exemple : le concept de discontinuité en série de Ward et Stanford, 1995), mais l'échelle et le nombre de transitions lentiques-lotiques sont probablement très différents. entre les étangs de castors et les réservoirs artificiels. Ainsi, en s'appuyant sur ces concepts, ainsi que sur le concept de patch dynamique en écologie fluviale (Poole, 2002), Burchsted et al. (2010) ont présenté un cadre écologique élégant qui reconnaît les castors comme le perturbateur consommé des continuums fluviaux. Ce paradigme d'écosystème fluvial discontinu reconnaît l'inégalité des transitions lotiques-lentiques fournies par les barrages de castor sur des échelles de portée, et l'évolution temporelle d'un tel système vers des corridors fluviaux plus ouverts composés d'habitats de zones humides et de prairies plutôt que de hautes forêts riveraines (Burchsted et al. , 2010)."



Paysage de rivières à castors, extrait de Larsen et al 2021, art cit.

Sur la comparaison des barrages de castors et des barrages d'humains, les chercheurs font les observations suivantes dans l'évaluation des capacités de stockage d'eau :
"La capacité de stockage des plaines inondables peut être encore améliorée à mesure que les castors modifient leur habitat, par exemple en creusant de petits réseaux de canaux et d'étangs dans les plaines inondables (Johnston et Naiman, 1990a, Johnston et Naiman, 1990b; Stocker, 1985). Bien que la capacité de stockage en surface des barrages de castors individuels (étang et plaine inondable) soit faible par rapport aux réservoirs artificiels, les stockages en surface cumulés de plusieurs barrages dans une cascade de barrages de castors peuvent augmenter considérablement leur impact hydrologique (Fig. 6a et b) (Puttock et al., 2017 ; Nyssen et al., 2011). Les estimations publiées de la densité des barrages varient entre moins de 1 (par exemple 0,1) et > 70 barrages par km de tronçon de rivière (Gurnell, 1998 ; Pollock et al., 2003 ; Zavyalov, 2014), bien que des estimations de densité considérablement plus faibles aient été compilées par Johnston (2017). ). À des densités élevées, même de petites capacités de stockage de barrages individuels (L3) par rapport aux débits entrants (L3T−1) peuvent, dans l'ensemble, modifier considérablement les bilans hydriques, les temps de séjour de l'eau et les régimes d'écoulement. (...)
Il existe au moins quatre façons dont la comparaison entre les barrages de castor et les réservoirs ou déversoirs artificiels divergent, avec des implications importantes pour l'interprétation de la dynamique de stockage. Premièrement, la structure du barrage elle-même est perméable (Burchsted et al., 2010) et apportera une contribution largement inconnue aux débits sortants (discuté dans la section ci-dessous). Deuxièmement, la hauteur relativement faible du barrage par rapport à la largeur de la vallée entraîne des rapports surface/volume très élevés qui peuvent accroître les pertes par infiltration et évaporation. Troisièmement, les barrages de castor sont généralement construits dans des vallées alluviales de débit modéré à faible (Pollock et al., 2003 ; Suzuki et McComb, 1998), des conditions favorables à une connectivité hydraulique plus élevée entre les aquifères alluviaux superficiels et peu profonds. Cela signifie que les changements de volume de stockage souterrain ont le potentiel d'être comparables, voire supérieurs, aux changements de volume de stockage de surface, un point abordé plus en détail dans la section 2.5 sur la connectivité entre la surface et les eaux souterraines. Enfin, l'emplacement physique des barrages de castors peut être très dynamique dans l'espace et dans le temps, ajoutant une complexité importante à la façon dont les changements de stockage évoluent dans les tronçons de rivière, en particulier ceux avec plusieurs barrages sur de courtes distances. Tous ces processus peuvent modifier la dynamique du stockage de l'eau dans les bassins versants et avoir des implications importantes sur la façon dont le cycle hydrologique est équilibré sur une gamme d'échelles de temps."

Discussion
Contrairement à ce que laissent entendre certains critiques, les chercheurs comparent couramment les barrages de castors et les barrages des humains. La raison en est simple : ces artifices partagent des propriétés, comme la création d'un obstacle à l'écoulement en long, d'une différence de hauteur entre l'amont et l'aval, d'un plan d'eau n'ayant plus les mêmes propriétés physiques, chimiques, biologiques que l'eau courante. Si différents barrages ont différentes propriétés – c'est aussi vrai pour la diversité des barrages humains allant du seuil de 30 cm de hauteur au grand barrage de 300 m de hauteur –, il n'en reste pas moins que ce sont d'abord des barrages, avec des implications physiques similaires en premier ordre. 

Parmi ces implications, l'une d'elles nous intéresse particulièrement : la capacité à retenir et divertir l'eau, au lieu que la rivière soit vue comme un canal d'évacuation rapide des eaux vers l'aval. On ne sera pas surpris de constater que le bilan des barrages et retenues de castor est favorable à la préservation de l'eau dans les bassins versants. Mais davantage que certains chercheurs laissent entendre que des barrages et retenues humains ne pourraient pas avoir le même effet.

Le "libre écoulement" de la rivière est un motif ancien des politiques publiques de l'eau (notamment en raison du blâme qui a longtemps frappé les eaux stagnantes et leurs problèmes sanitaires), mais ce n'est pas spécialement le régime naturel de cette rivière, au moins là où on laisserait libre cours aux forêts et aux castors. L'idée d'un petit cours d'eau à écoulement rapide, rives dégagées et méandres paisibles est en fait une esthétique fluviale tardive (18e-19e siècles), à l'époque où les bassins versants sont déjà très modifiés (voir Lespez et al 2015, Brown et al 2018) : à cette époque, les forêts comme les castors ont largement disparu ; l'agriculture a colonisé la plupart des bassins de plaine avec élévations de berges et digues, chenalisations et incisions de lits ; les retenues (et canaux) des moulins, forges, étangs et autres ouvrages hydrauliques ont remplacé de manière plus permanente les artifices des castors. Un bassin versant réellement "naturel" au sens de non modifié dans ses écoulements par intervention humaine ressemblerait plutôt dans nos régions à un chaos de barrages d'embâcles et de castors, avec des débordements récurrents, des marécages en forêt humide, des lits instables d'une année l'autre, des plans d'eau aussi nombreux que les zones rapides. Rien à voir avec la "nature" de carte postale qui est le plus souvent promue par les politiques de "renaturation". Ni avec la rivière souhaitée par certains lobbies (comme les pêcheurs de salmonidés) qui naturalisent ce qui correspond à leurs usages particuliers et à un style tardif des rivières.