05/10/2012

Assises de l'énergie en Côte d'Or

Les Assises de l'énergie en Côte d'Or se tiendront à Dijon, le jeudi 25 octobre 2012. L'association Hydrauxois participera à la demi-journée, avec un double objectif. D'abord s'informer des dispositifs mis en place sur l'Auxois-Morvan dans le cadre de la transition énergétique : Schéma régional climat, air, énergie (SRCAE), Plan climat-énergie territorial (PCET), retours d'expériences sur les projets locaux engagés dans le domaine de l'énergie. Ensuite, sensibiliser des interlocuteurs (Ademe, Siceco, élus) au cas particulier de la micro-hydraulique. Par rapport aux filières biomasse, solaire ou éolienne, la micro-hydraulique est souvent négligée malgré ses nombreux avantages : technologie mature, bilan carbone très favorable, empreinte paysagère nulle, restitution intégrale de l'eau, nombreux sites de production potentielle sur les rivières, productible quotidien et saisonnier raisonnablement prévisible (dans une certaine fourchette de probabilité liée aux variations de pluviométrie). La micro-hydraulique a aussi des besoins spécifiques en investissement, équipement et accompagnement des porteurs de projets, car les niveaux de puissance installable sur l'Auxois-Morvan (quelques dizaines de kW en autoconsommation à quelques centaines de kW en vente réseau) déterminent des attentes très différentes.

02/10/2012

Nouveau classement des cours d'eau de 2013: quels enjeux ?

Déjà cette année dans le bassin Loire-Bretagne, et en 2013 dans l'ensemble de la France dont notre bassin Seine-Normandie, un nouveau classement des cours d'eau sera adopté. Les habitants de l'Auxois-Morvan peuvent consulter le projet de classement de leurs rivières (par tronçons) sur cette page de la DRIIE.

Ce classement des rivières s'inscrit dans le cadre de la « continuité écologique », promue par la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) de 2006, puis les lois Grenelle 1 (2009) et Grenelle 2 (2010, Trame bleue), interprétations françaises de la directive-cadre sur l'eau (DCE) adoptée par l'Union européenne en 2000.

Classement des rivières : un enjeu déjà ancien
L'idée d'un classement des rivières n'est évidemment pas nouvelle, puisque le premier classement imposant des échelles à poissons en France date de la loi du 31 mai 1865. Avant même cette époque, et comme le signale ce site, certaines rivières françaises connaissaient les « passe-lits », plans inclinés à 10-15° de pente entre la retenue amont et l'aval du seuil, dont l'entretien pouvait être rendu obligatoire par des coutumes. De même, les échelles à poissons existaient localement avant la loi de 1865 à des fins de renouvellement du stock piscicole (image : extrait du Bulletin de la Société d'agriculture, industrie, sciences et arts du département de Lozère, 22, 1861, cliquer pour agrandir).

La loi de 1865 marque néanmoins la prise de conscience du législateur moderne, et elle signale dans son article 1 : « Des décrets du Conseil d’État, après avis des conseils généraux du département, détermineront les parties des fleuves, rivières, canaux et cours d’eau dans les barrages desquelles il pourra être établi, après enquête, un passage appelé échelle destiné à assurer la libre circulation du poisson. » Un certain nombre de décrets (exemple) ou décisions interministérielles (exemple, en bas) vont aboutir soit à l'obligation d'installer les échelles à poissons, soit à l'interdiction pure et simple de construire des ouvrages hydrauliques nouveaux sur certains cours d'eau.

D'autres classements suivront à mesure que les rivières françaises seront équipés d'ouvrages hydro-électriques remplaçant les ouvrages hydromécaniques. Le système actuellement en vigueur, appelé à être modifié prochainement, connaissait les rivières « réservées » et les rivières « classées ». Ce classement était issu d'une agrégation de lois ayant commencé en 1919, avec la loi sur l'énergie hydraulique, suivie par la loi de 1976 sur la protection de la nature, la loi de 1984 sur la pêche en eau douce, la loi de 1992 sur l'eau (article L232-6 du Code rural, puis article L-432-6 du Code de l'environnement).

Le premier enseignement est que le souci du franchissement piscicole est ancien. Il n'y a pas eu des siècles d'aveuglement suivis d'une lumineuse et récente prise de conscience, mais plutôt des séries d'ajustement tentant de concilier les usages hydrauliques et la biodiversité aquatique.

Liste 1 et liste 2 : leur signification
Venons-en au nouveau classement des rivières appelé à entrer en vigueur rapidement. Les rivières seront désormais classées en deux catégories : liste 1 et liste 2. (Carte ci-dessous : le classement des bassins de l'Armançon, du Serein et de la Cure, cliquer pour agrandir).

La liste 1 désigne les rivières à préserver, en très bon état écologique, les tronçons considérés comme réservoirs biologiques, les rivières à enjeu de migrateurs amphihalins (vivant alternativement en eau douce et salée, comme le saumon, la truite de mer, l'anguille, l'alose, les lamproies, etc.). Sur ces rivières, aucun ouvrage hydraulique nouveau ne sera autorisé et les ouvrages existants devront se mettre en conformité avec la continuité écologique, c'est-à-dire assurer le transport sédimentaire et le franchissement des poissons (montaison, dévalaison).

La liste 2 désigne les rivières à restaurer, en état écologique moyen à mauvais. Là aussi, les ouvrages hydrauliques existant devront être mis au norme, mais la construction de nouveaux équipements ne sera pas interdite a priori.

Aujourd'hui, 7% des rivières sont considérées comme en très bon état écologique, 38% en bon état écologique, 38% en état écologique moyen, 11% en état écologique médiocre et 4% en mauvais état (rapportage Reportnet-Wise 2009).

La classement des rivières proposé en lien plus haut (pour le bassin Seine-Normandie) précise, pour chaque tronçon, les espèces d'intérêt, la présence d'un enjeu migrateur (besoin de franchissement dans le cycle de vie de certains poissons), l'état sédimentaire (niveau du transport de charge solide par charriage) et, les cas échéant, des objectifs précis (existence d'un « axe anguille », connexion avec un réservoir biologique, reformation de frayères, etc.).

Mise en application du classement : nécessité du réalisme
Les propriétaires disposent d'un délai de 5 ans à compter de la publication du classement des cours d'eau pour mettre leurs ouvrages en conformité avec les exigences de la préfecture. Concrètement, ce sont les services de la police de l'eau (DDT, Onema) qui transmettront aux propriétaires ou exploitants les consignes préfectorales.

Le problème est le suivant : la continuité écologique peut signifier bien des choses. Une « ouverture raisonnée des vannes », comme le proposent beaucoup d'associations de moulins, est par exemple un moyen de favoriser le transit sédimentaire et la circulation piscicole en dévalaison, de biefs en biefs. Le propriétaire s'engage, en fonction de consignes de l'Onema, à actionner le vannage et à assurer un certain débit à certaines périodes de l'année où le cycle de vie des espèces le réclame.

Cette hypothèse serait la plus simple et la plus conforme à l'emploi des moulins, même si elle implique une présence permanente du propriétaire – les moulins en « résidence secondaire » devront trouver des solutions pour respecter le fonctionnement de leurs ouvrages, de manière pas très éloignée de leur usage historique.

Mais l'Administration de l'eau peut se montrer plus stricte et réclamer la pose de passes à poissons. Là encore, il y a des gradients de complexité dans les équipements demandés.

Le Code de l'environnement prévoit la circulation des migrateurs vivant alternativement en eau douce et salée. Ce qui supposerait dans la région des passes à anguilles, dont la conception présente un certain coût. Encore l'anguille tolère-t-elle des rampes à pente forte, et en tête de bassin versant, comme l'Auxois-Morvan, les individus sont adultes. (Ci-contre : anguille commune d'Europe, Ron Offermans, Wikimedia Commons)

En revanche, si l'Administration exige des passes adaptées à toutes espèces non amphihalines (Salmonidés d'eau douce et Cyprinidés), la perspective change complètement : ces dispositifs de franchissement (passe naturelle « rustique », passe à bassins successifs) demandent énormément de génie civil en raison de la nécessité d'une faible pente, faible puissance volumique de l'eau et faible turbulence de l'écoulement. Le coût devient alors tout à fait prohibitif pour la plupart des propriétaires. Et, disons-le, assez aberrant dans la période de grave crise que nous connaissons.

Bref, la mise en oeuvre du nouveau classement sera affaire de réalisme :
  • soit on convient qu'il faut des réformes progressives, raisonnables et soutenues par des subventions quand elles ont des coûts importants sur un site donné ;
  • soit on exige des passes disproportionnées en laissant les propriétaires à eux-mêmes et en les menaçant d'amende ou d'effacement de leurs ouvrages.

Dans la seconde hypothèse, le nouveau classement des rivières sera conflictuel. Ce n'est évidemment souhaitable pour personne. Et surtout pas pour la continuité écologique, qui n'a aucune chance de succès dans notre pays si elle est menée par voie autoritaire et ruineuse.

Eclaircir la constitution du classement :
une transparence indispensable
Classer chaque tronçon de rivière française est une bonne chose : encore faut-il par la suite expliquer et justifier le classement en question auprès des riverains, et du public en général.

Notre association demandera en conséquence la publication de la documentation primaire ayant permis de réaliser le nouveau classement. En effet, si l'on prend l'exemple du tronçon de l'Armançon de l'aval du barrage du Pont au confluent avec la Brenne, le classement se contente de mentionner parmi les espèces concernées par la continuité écologique les « cyprinidés rhéophiles » (à côté des anguilles).

Cette expression pour le moins cryptique ne signifie pas grand chose aux riverains et propriétaires d'ouvrages, ni aux citoyens en général.

Quand on va sur la base documentaire Eau France, la requête sur « cyprinidés rhéophiles » ne donne que 33 résultats, dont la plupart ne sont pas spécifiques à ces espèces, et on ne trouve rien sur les travaux d'analyse et mesure du tronçon d'intérêt. La base KMAE de l'Onema ne donne que 16 résultats, dont au moins deux concernent les rhéophiles (pas spécialement cyprinidés) dans notre région, un travail de Boet et al 1991 sur le bassin de l'Yonne, et un autre de Berrebi dit Thomas et al 1998 sur le bassin de la Seine. Ces études ne sont pas récentes, et aucune ne mentionne la continuité écologique.

Une recherche sur le mot-clé « Armançon » donne bien 87 résultats sur Eau France, mais un classement par date ne révèle aucune étude piscicole récente permettant de connaître le peuplement actuel et historique des cyprinidés rhéophiles, ni de préciser les besoins et capacités en franchissement d'obstacles de chacune des espèces.

Les cyprinidés rhéophiles ne sont qu'un exemple parmi d'autres, sur un tronçon parmi d'autres. S'il s'agissait de recherche fondamentale ou appliquée, ces questions ne concerneraient bien sûr que les chercheurs. Mais voilà, comme le classement des cours d'eau risque de se traduire localement par des destructions du patrimoine hydraulique ou des aménagements particulièrement coûteux, ces questions concernent désormais toute la société.

Par ailleurs, s'il est tout à fait louable que le Ministère de l'Ecologie et les Agences de l'Eau s'appuient sur la science, nul n'ignore que la science est fondée sur la publication de ses résultats et de ses méthodes : c'est ce qui permet la critique, donc le progrès des connaissances.

Aussi la parfaite transparence sur la détermination des espèces demandant des dispositifs de franchissement sera-telle requise dès le classement publié.

Les principaux points de progrès :
« prime à la passe » et autres mesures d'accompagnement
Le nouveau classement des cours d'eau et l'obligation de mise en conformité sur la période 2014-2019 se présentent donc comme un chantier de travail important, avec plusieurs axes demandant clarification entre les riverains, propriétaires, associations et administrations de l'eau.

L'association Hydrauxois travaillera en particulier les points suivants :

• Rapport coût-bénéfice écologique : déterminer site par site quelle solution présente un gain environnemental pour un coût moindre ; éviter toute application systématique alors que chaque ouvrage sur chaque tronçon de rivière est un cas particulier ;

• Optimisation des passes à poissons : travailler avec les ingénieurs pour proposer des dispositifs de franchissement minimisant le coût du génie civil tout en conservant le bénéfice écologique attendu ;

Suivi d'analyse : équiper un certain nombre de sites de dispositifs d'observation afin de mesurer les effets réels des aménagements, ainsi que leurs points faibles en vue d'une amélioration future (attractivité des passes, effets de luminosité, problèmes de recirculation, etc.) ; publier les résultats de manière transparente pour informer le public des gains écologiques observés ;

Soutien de l'Etat : la rivière comme la biodiversité sont des biens communs, donc l'effort de continuité écologique doit être soutenu par des subventions publiques, au pro rata des coûts d'équipement exigés par le demandeur (Etat). D'autant que l'immense majorité des moulins ne tire aucun revenu de l'énergie hydraulique, contrairement aux grands barragistes ; le principe d'une « prime à la passe » sera donc promu ;

Articulation de la continuité écologique avec le patrimoine et l'énergie : la continuité écologique est l'occasion de rappeler aux propriétaires leur devoir d'entretien du patrimoine historique que représentent les ouvrages hydrauliques, mais c'est aussi le moment de leur proposer une aide à l'équipement hydro-électrique, en conformité avec les plans de transition énergétique que la région Bourgogne, la France et l'Europe ont engagé ; toute demande de passe impliquant un génie civil important devra donc être associée à une analyse de préfaisabilité afin de mutualiser éventuellement les coûts de la passe et ceux d'un équipement hydro-électrique (s'il est inexistant au droit de l'ouvrage, sinon une modernisation de l'équipement existant).

L'association Hydrauxois défendra cette ligne de propositions auprès des autorités administratives, techniques et scientifiques en charge de l'eau sur les bassins de l'Armançon, du Serein et la Cure. Elle la défendra également auprès de tous les citoyens d'Auxois-Morvan et de leurs élus, car le risque de destruction du patrimoine rural et technique de notre région est bien réel (voir l'exemple inquiétant du projet-pilote de Semur-en-Auxois). Et elle ne peut évidemment que conseiller aux propriétaires d'ouvrages hydrauliques de la rejoindre, afin de peser ensemble dans les négociations à venir.

28/09/2012

Deux rapports sur l'énergie

Deux rapports sur l'énergie apportent des informations intéressantes concernant l'hydro-électricité : celui du Centre d'analyse stratégique, intitulé Des technologies compétitives au service du développement durable (pdf), et la dernière édition de L'Etat des énergies renouvelables en Europe (pdf, Observ'ER).

Le CAS rappelle que l'hydro-électricité est aujoud'hui la première source d'énergie renouvelable dans le monde (16% de l'électricité, 3000 TWh/an), quoique la puissance installée ne représente que 35% du potentiel. En France, l'hydro-électricité représente également la première source d'énergie renouvelable : 25.000 MW installés, 70 TWh/an, 12% de l'électricité produite.

Les enjeux stratégiques identifiés par le CAS sont : la rénovation et modernisation du parc installé, la gestion des contraintes environnementales et l'harmonisation avec les autres usages de l'eau, le développement de la puissance hydro-électrique en lissage des autres productions intermittentes (solaire, éolien) et donc notamment en stockage (barrage réservoir saisonnier / nterannuel, station de transfert d'énergie par pompage STEP). La rapport souligne que la France possède d'excellentes compétences techniques et scientifiques dans le domaine hydraulique, et des acteurs de dimension mondiale comme Alstom Hydro (en turbines / générateurs de grande puissance).

Le Centre d'analyse stratégique reste cependant peu disert sur le potentiel de la petite hydro-électricité (PCH). Le rapport Observ'ER est plus complet à ce sujet.

On y apprend que l'Italie domine l'Europe avec 2664 MW installés en petite hydro de moins de 10 MW, suivie par la France (2010 MW), l'Espagne (1926 MW) et l'Allemagne (1740 MW). Pour la production énergétique (différente de la puissance nominale), l'Italie reste en tête (10,9 TWh/an), mais l'Allemagne prend la deuxième position (6,9 TWh/an) et la France la troisième (6,7 TWh/an). A l'échelle de l'Europe, la petite hydro-électricité représente un CA de 2,6 milliards d'euros et emploie 16.000 personnes. Ces chiffres seraient de 2500 personnes et 400 millions d'euros en France.

Le potentiel de développement de l'hydro-électricité en France reste important, et sera nécessaire pour soutenir la transition énergétique engagée par notre pays comme par les autres nations industrialisées.

L'énergie hydraulique en Auxois-Morvan : quels besoins?

Les besoins en Auxois-Morvan, sur lesquels travaille notre association, sont notamment :

• l'identification de la puissance hydraulique installable (par ordre décroissant de puissance, les barrages de retenue alimentant le canal de Bourgogne, le réseau des anciennes centrales hydro-électriques de la fin XIXe siècle et début XXe siècle, les moulins et les réseaux d'assainissement),

• la fluidité et l'efficacité des contacts entre petits producteurs potentiels, investisseurs, installateurs ou équipementiers, agences de l'Etat ou syndicats en charge du développement durable (Ademe, Siceco),

• la prise de conscience et la mobilisation des élus locaux, afin de penser l'énergie hydraulique comme une ressource du territoire d'Auxois-Morvan pourvoyeuse d'emplois et de revenus,

• la mutualisation de la maintenance et surveillance des ouvrages quand la densité d'équipement s'y prête et que les propriétaires en éprouvent le besoin,

• la concertation avec l'Agence de l'Eau, les syndicats de rivières, la DDT et l'Onema afin que la continuité écologique soit l'occasion d'une modernisation énergétique des ouvrages hydrauliques (et non pas de dépenses improductives en génie civil, a fortiori d'une destruction du potentiel hydraulique au moment où nos sociétés en ont besoin).

Vaste chantier : toutes les bonnes volontés sont les bienvenues !

Photos : turbine Kaplan 90 kW et sa bache, pour équipement de basses chutes en micro-hydro-électricité. Didier Beaume, DBH

27/09/2012

Le Bien Public évoque les moulins (et M. Stutz la beauté de la nature...)

Le Bien Public s'est fait hier longuement écho de l'action menée par l'Arpohc en Haute Côte d'Or et Châtillonnais. Le journal a notamment rappelé que la mise en place de la politique de continuité écologique se traduira par une forte pression sur les propriétaires d'ouvrages hydrauliques. Dans cet article, le président du Syndicat intercommunal des cours d'eau du Châtillonnais (Sicec), Jean-Claude Stutz, affirme pour sa part à propos de la continuité écologique : «Il s'agit bien de favoriser un écoulement et un régime hydrologique naturel. Il n'y a rien de plus beau qu'une rivière mais rien de plus laid qu'un cours d'eau où les éléments ne sont pas charriés normalement».

Ce point de vue sur la «beauté» et la «laideur» est évidemment, et par définition, subjectif. Cela fait plusieurs siècles qu'aucun cours d'eau de Côte d'Or n'a d'écoulement parfaitement naturel, puisque la présence anthropique sur les rivières est ancienne. Et cette présence anthropique persistera. Suggérer qu'elle est forcément «laide» est un argument assez étrange quand on connaît le magnifique patrimoine hydraulique de la région. On peut également rappeler que le régime « plus naturel » d'écoulement valait jadis des crues meurtrières et catastrophiques à la Seine : heureusement que des barrages et systèmes de régulation ont été conçus dans l'ensemble du bassin hydrographique, afin protéger biens et personnes en laminant ces crues... Il en va de même sur l'Armançon, qui connaissait dans les siècles passés des crues redoutables et des étiages sévères.

On peut enfin observer dans l'image ci-dessus une réalisation de continuité écologique dans le Châtillonnais (ruisseau des Goulottes, Nod-sur-Seine ; citation extraite du rapport d'activité Sequana 2010). Considérer que la destruction du petit ouvrage de franchissement a renforcé la beauté du site est, décidément, une affaire très subjective... 

25/09/2012

Loi de 1919 et droit d'eau

Les services de la DDT et de l'Onema sont venus le lundi 24 septembre 2012 faire un constat de l'état du barrage de Semur-en-Auxois, notamment de ses ouvrages hydrauliques : la digue, le barrage, la vanne, le canal d'amenée et la conduite forcée, la chambre d'eau, le canal de fuite. Ce type de constat peut être fait sur tout ouvrage (moulin ou ancienne usine) par la police de l'eau, qui possède cette prérogative parmi d'autres. (Image ci-dessous : la face aval de la chambre d'eau).

C'est l'occasion de rappeler en quoi consiste le « droit d'eau », particulièrement selon la loi de 1919. On appelle droit d'eau « fondé en titre » la capacité d'un propriétaire d'ouvrage hydraulique d'exploiter la force motrice de l'eau. Le propriétaire peut être un particulier, une personne morale de droit privé, une collectivité territoriale ou l'Etat. Il existe trois régimes différents :
• les moulins des cours d'eau domaniaux, navigables et flottables, présents avant l'Edit de Moulins de 1566 ;
• les moulins des cours d'eau non domaniaux présents avant l'abolition des privilège féodaux (4 août 1789) ou aliénés pendant la Révolution ;
• les moulins ou usines présents entre la Révolution et 1919, disposant d'un règlement d'eau au moment de la promulgation de la loi de 1919.

Dans les trois régimes, le propriétaire doit attester l'existence de son bien avant les dates de référence (1566, 1789, 1919), et cela par tout moyen : cartes anciennes, mention du site dans les documents d'archives ou les actes administratifs. Il doit vérifier par ailleurs s'il existe un règlement d'eau, règlement préfectoral qui spécifie les conditions d'usage de l'eau au droit de l'ouvrage (un moulin du XVIe siècle peut très bien avoir bénéficié d'un règlement d'eau actualisé au XIXe ou au XXe siècle).

Le cas du régime institué par la loi de 1919

La loi du 16 octobre 1919 a réglementé l'usage de l'énergie hydraulique en France, après le rapide développement de l'hydro-électricité ayant débuté dans les années 1880. Cette loi (associée à divers décrets d'application et secondée par les lois sur l'eau de 1992, 2006) précise qu'il existe trois cas exceptionnels d'autorisation d'utiliser l'énergie hydraulique, autorisation hors procédure et à durée illimitée :
• pour les usines autorisées avant 1919 et d'une puissance inférieure à 150 kW (art. 18),
• pour les usines fondées en titre d'existence légale (art. 29),
• pour les usines faisant partie d'entreprises déclarées d'utilité publique (art. 29).

En d'autres termes, un propriétaire d'ouvrage répondant à ces conditions peut exploiter l'énergie de l'eau sans demander une autorisation ou concession à la préfecture. Mais il va de soi que le propriétaire en question doit respecter l'ensemble des obligations prévues dans le Code de l'environnement et le Code de l'urbanisme, ainsi que les règlementations spécifiques de la protection environnementale et fluviale (par exemple les sites Natura 2000, la Trame bleue du Grenelle, etc.).

Le cas particulier du Foulon de la Laume à Semur-en-Auxois est intéressant : le site peut en effet témoigner de la présence d'un moulin existant au XVe siècle, dont il reste certains éléments patrimoniaux ; de la présence d'une usine et d'ouvrages hydrauliques à partir de 1891, ainsi que d'un règlement d'eau de la même année, avec un équipement inférieur à 150 kW. Soit deux régimes différents de fondé en titre.

Il est à noter que le droit d'eau au sens du fondé en titre d'avant 1789 ou de la loi sur l'énergie de 1919 ne requiert nullement le bon état des ouvrages concernés – et pour cause, il faudrait que sur chaque moulin ou chaque usine de France on trouve des éléments d'exploitation parfaitement fonctionnels, datant parfois de plusieurs siècles, et ce n'est évidement pas le cas ! La jurisprudence des tribunaux administratifs, cours administratives ou du Conseil d'Etat reconnaît donc que l'état de ruine n'est pas une condition suspensive du droit d'eau. La circulaire MEEDDM 2010/3 du 25 février 2010 rappelle d'ailleurs aux agents publics des éléments de jurisprudence en ce sens. On peut annuler un droit d'eau si le seuil ou barrage a quasiment disparu et n'existe plus qu'en traces ou vestiges (CE 2004, arrêt 246929), mais ces conditions de délabrement sont extrêmes.

Le cas du Foulon de la Laume

Dans le cas du barrage de Semur-en-Auxois, toutes les parties prenantes sont au moins d'accord sur un point : bien loin d'avoir disparu ou de n'être présents qu'à l'état de vestiges, le barrage et la digue forment des obstacles très efficaces à l'écoulement ! Ils ont donc conservé leur capacité à exploiter la force motrice de l'eau par création d'une certaine hauteur de chute et redirection du débit vers le canal d'amenée. Il existe par ailleurs une volonté manifeste de donner un usage au barrage : convention de mandat Sirtava-Commune de 2010 visant à un projet d'aménagement à fin de continuité écologique, travaux municipaux d'entretien consignés dans le registre de l'ouvrage, réalisation d'une visite technique approfondie (VTA) par un bureau d'études hydrauliques, commande d'un rapport sur l'usage énergétique du barrage (à notre association), pose d'une échelle de mesure de chute nette par observation de la remontée d'eau en canal de fuite, réunions d'information en mairie avec des producteurs locaux d'hydro-électricité, annonce d'un futur chantier municipal et citoyen, etc.

Pour en avoir le cœur net, notre association a transmis le dossier complet du barrage (y compris bien sûr les documents Sirtava / Cariçaie) à deux experts indépendants (ne se connaissant pas et n'habitant pas la région) : un historien spécialiste de la concertation entre patrimoine historique et continuité écologique ; un avocat expert en droit de l'environnement et reconnaissance des droits d'eau. L'un comme l'autre ont considéré comme manifeste l'existence du droit d'eau de la Commune sur le site du Foulon de la Laume. Et fortement douté que la Préfecture s'engage à une remise en cause de ce droit d'eau comme le laissait entendre le diagnostic du bureau Cariçaie. Mais à dire vrai, ce n'est pas le seul point critiquable de ce diagnostic, comme nous l'avons rappelé ici et comme le Collectif de sauvegarde du barrage l'a montré au cours des 9 derniers mois.

Droits et devoirs des propriétaires

Au-delà du cas de Semur-en-Auxois, notre association attire toutefois l'attention de tous les propriétaires d'ouvrages hydrauliques d'Auxois-Morvan : ils disposent certes de droits, que nous entendons bien sûr défendre, mais aussi de devoirs, que nous entendons aussi rappeler. Notamment le devoir d'entretenir leur bien. 

En raison des nouvelles règlementations de continuité écologique, l'administration va se montrer beaucoup plus stricte dans les mois et années à venir. Et cette rigueur sera fondée si le propriétaire laisse son bief, son seuil et ses ouvrages à l'abandon, sans tenir compte de leurs effets physiques et biologiques sur la rivière. Une gestion responsable et raisonnable des biens riverains est aujourd'hui une condition sine qua non d'un dialogue constructif entre tous les acteurs de l'eau.

Pour aller plus loin :
Rapport du Conseil d'Etat 2010 : L'eau et son droit (pdf)