24/10/2015

Idée reçue #03: "Jadis, les moulins en activité respectaient la rivière, mais aujourd'hui ce n'est plus le cas"

On observe une dégradation massive des indicateurs de qualité chimique et biologique de bon nombre de rivières à partir des années 1950-1960, dans toutes les sociétés industrialisées. Or, à cette époque, les moulins étaient déjà en place de très longue date. Comme il est difficile de les incriminer, certains affirment que c'est l'abandon des usages de ces moulins qui serait à l'origine de la dégradation de l'eau. Cette idée sortie de nulle part ne correspond pas aux témoignages dont on dispose ni aux observations que l'on peut faire sur la conception et le fonctionnement des ouvrages anciens. En fait, les moulins en activité avaient probablement davantage d'impact sur l'environnement local que les moulins au chômage ; mais dans un cas comme dans l'autre, hier comme aujourd'hui, cet impact est tout à fait mineur et n'altère pas de manière significative la qualité de l'eau.

L'image de moulins anciens qui seraient vertueux en comparaison des moulins actuels est parfois reprise dans les publications FNE (France nature environnement) ou FNPF (Fédération nationale de la pêche) ; elle est même formulée par la Direction de l'eau au hasard d'un paragraphe dans la bavarde Circulaire d'application du classement des rivières (18 janvier 2013, NOR: DEVL1240962C), ce qui n'est pas très étonnant quand on connaît la porosité de certains rédacteurs de ces textes officiels à divers lobbies. En substance, on affirme qu'avant :
  • les moulins avaient des roues (et non des turbines), 
  • ils ne travaillaient pas toute l'année (contrairement à une centrale hydro-électrique), 
  • ils faisaient des chasses régulières de curage des retenues, 
  • ils étaient entretenus tous les jours,
  • donc leur impact était faible, à tout le moins plus faible qu'aujourd'hui où plus des quatre-cinquièmes des moulins ont perdu leur fonction de production.
Notons d'abord que si cette idée devait être prise au sérieux, elle serait réversible et ceux qui la portent devraient plutôt inciter les 60.000 à 100.000 moulins de France (chiffre exact encore inconnu) à s'équiper pour produire à nouveau de l'énergie. En général, ce n'est pas la conclusion tirée par ceux qui tentent d'opposer les moulins de jadis à ceux d'aujourd'hui, puisque leur principal programme idéologique consiste à effacer le maximum d'ouvrages en rivière et à diaboliser l'énergie hydro-électrique. Notons aussi que toute civilisation sédentaire est une civilisation hydraulique appelée à créer un petit cycle de l'eau artificiel (en plus du grand cycle de l'eau naturel), comme l'ont montré les remarquables travaux de Pierre-Louis Viollet (Viollet 2005, 2006). Donc l'homme a toujours des impacts sur l'eau en raison de la satisfaction de ses besoins économiques et sociaux.

Mais en fait, cette opposition artificielle des moulins anciens et des moulins actuels a toutes chances d'être fausse. Car elle méconnaît la réalité historique des moulins. Voici en vrac quelques réflexions et observations :
  • beaucoup de moulins avaient déjà abandonné la roue pour la turbine (de type Fourneyron, Fontaine, Jonval, Koechlin, Francis, etc.) entre 1840 et 1918, car les turbines étaient plus productives, sans qu'il soit fait état d'une mortalité piscicole massive au changement d'équipement;
  • la conscience de l'environnement est un phénomène récent, rien n'indique que les moulins de l'âge médiéval ou classique avaient des connaissances précises dans le domaine sédimentaire ou piscicole (au mieux trouve-t-on des règles pour les espèces d'intérêt alimentaire comme les saumons sur certains bassins, dans un but halieutique plus qu'écologique ; la pollution urbaine est en revanche vécue comme un problème très tôt, mais certains moulins n'en sont qu'un élément);
  • les moulins n'étaient pas seulement des producteurs de farine (meunerie, minoterie), c'étaient avant tout des usines hydrauliques capables d'utiliser la force de l'eau transformée en force mécanique pour tous les besoins ; certains usages avaient des impacts par leurs rejets locaux d'impuretés ou déchets comme les forges, les tanneries, les foulons, les papeteries, les scieries, les poudreries, etc.; 
  • le moulin avait besoin de l'eau a des moments précis en fonction de ses besoins de production, il travaillait en éclusée si c'était nécessaire (alternance de remplissage et vidange de la retenue) avec les variations de débit et sédiments fins que cela peut impliquer;
  • les seuils anciens que l'on peut observer sur nos rivières ont rarement des vannes de chasse (de la retenue) bien dimensionnées. Soit il n'y en a pas du tout, soit ces organes mobiles ont une section modeste (et ne permettent certainement pas de "curer" toute la retenue). C'était les biefs qui étaient souvent curés, pas forcément les retenues elles-mêmes (en dehors du curage naturel des crues sur ces ouvrages de petite dimension); 
  • les débits réservés n'existaient pas ou étaient réglementairement moins importants hier (1/40e) qu'ils ne le sont aujourd'hui;
  • les eaux stagnantes sont plus efficaces dans l'épuration de l'azote et du phosphore que les eaux courantes, de sorte que la non-activation de vanne ne fait pas perdre son rôle épurateur à la retenue, au contraire;
  • avec ou sans usage, un seuil de dimension modeste est rapidement transparent au plan de la charge sédimentaire (le volume de la retenue est négligeable par rapport au transport solide intégré dans la durée ; le comblement tend à rétablir une ligne d'énergie homogène ; les crues à divers temps de retour assurent les chasses des sédiments de diverses granulométries); 
  • on estime qu'il y a environ 2000 petites centrales hydro-électriques en France aujourd'hui (toutes ne sont pas des moulins), un nombre inconnu d'ouvrages en autoconsommation ou à usage hydromécanique (probablement du même ordre), alors qu'il y a entre 60.000 et 100.000 moulins en France. La tendance de long terme depuis le XXe siècle est donc la baisse d'impact des moulins. Par exemple dans la Statistique des forces motrices de 1931, il y avait encore 29.500 usines hydrauliques de moins de 150 kVA ou non-électriques en activité.
L'ensemble de ces observations converge et permet sérieusement de douter que les moulins anciens étaient des modèles de vertu écologique par rapport aux moulins actuels. En vérité, hier comme aujourd'hui, l'impact sédimentaire et piscicole des moulins a toujours été très faible et très local. Il est sans commune mesure avec les autres impacts des sociétés développées : ce ne sont pas les moulins qui dégradent les rivières et les ont dégradées de plus en plus massivement depuis un siècle, mais avant tout les rejets domestiques / industriels des sociétés de consommation de masse et les pratiques productivistes de l'agriculture moderne (intrants, pesticides, modification massive des sols, des berges et des écoulements sur le bassin). Ceux qui utilisent des images d'Epinal pour enjoliver les anciens usages des moulins le font avec une arrière-pensée très précise : pousser à la destruction de tout ouvrage hydraulique qui n'aurait pas un usage actuel. C'est une erreur historique pour justifier une idiotie contemporaine.

Voici donc une idée plus exacte de la réalité : les moulins à eau, apparus à l'époque romaine et ayant connu un grand développement médiéval, étaient avant tout des usines hydrauliques servant à tous les usages productifs de leurs sociétés. Certains pouvaient avoir des impacts locaux sur la qualité de l'eau, leurs pratiques n'étant pas pensées spécifiquement pour respecter l'environnement. Ces impacts restaient très modestes : malgré l'expansion quasi-continue des moulins pendant deux millénaires, on n'observe pas d'altération biologique ou chimique majeure dans les rivières avant l'émergence d'une plus grande hydraulique dans la seconde moitié du XIXe siècle, et surtout au XXe siècle. Mais même dans cette période contemporaine, les ouvrages hydrauliques ne sont qu'une cause mineure de variation de la qualité des rivières au regard des autres impacts connus. Les désigner comme des facteurs de premier plan de dégradation de l'eau est inexact et relève d'une manipulation de l'opinion.

Nota : notre association milite pour que le maximum de moulins retrouvent un usage énergétique et participent à la transition vers une économie bas-carbone. Mais nous n'en faisons évidemment pas une condition sine qua non de préservation ni de légitimation du patrimoine hydraulique. Par ailleurs, nous travaillons comme des centaines d'autres associations en France à diffuser des bonnes pratiques et une culture hydraulique minimale chez les propriétaires de moulins, afin d'assurer une gestion responsable quel que soit l'usage ou le non-usage d'un site.

Références citées : Viollet PL (2005), L'hydraulique dans les civilisations anciennes, Presses des Ponts et Chaussées ; Viollet PL (2006), Histoire de l'énergie hydraulique, Presses des Ponts et Chaussées.

A lire en complément :
Idée reçue #02 : "Les seuils et barrages ont un rôle majeur dans la dégradation des rivières et des milieux aquatiques"

22/10/2015

Salzach: quand la pêche modifie les peuplements piscicoles (Haidvogl et al 2015)

Une équipe de chercheurs a étudié l'histoire du peuplement piscicole de la rivière Salzach dans le bassin du Danube – un cours d'eau marqué par la présence de plus de 300 barrages dont la plupart érigés au XXe siècle. En un siècle, le nombre d'espèces dans le bassin est passé de 21 à 23. Le brochet, le hotu et le huchon ont vu leurs abondances régresser en raison des restrictions d'habitat et de mobilité dues aux ouvrages (barrages, mais aussi digues dans le cas du brochet). Le flottage de bois ne semble pas avoir eu d'impact. La principale modification de peuplement sur la période est due à l'activité de pêche : deux espèces importées (omble des fontaines, truite arc-en-ciel) représentent plus de 29% des prises aujourd'hui. Cette étude rappelle tout l'intérêt de l'approche historique dans la gestion des rivières, et indique selon nous l'urgente nécessité d'une évaluation scientifique indépendante des conséquences de la pêche sur les cours d'eau.

Gertrud Haidvogl (Université des ressources naturelles et des sciences de la vie de Vienne), Didier Pont (Irstea) et leurs collègues ont examiné le peuplement historique d'une rivière germano-autrichienne, le Salzach, dans le bassin du Danube. Principal affluent de l'Inn, le Salzach est une rivière de montagne naissant à 2300 m d'altitude.

Les chercheurs ont retrouvé deux sources très précises sur le peuplement piscicole historique de la rivière : une carte de 1898 détaillant les présences de 38 espèces, dont 26 dans le bassin versant (Kollmann 1898) et les registres de pêche de Salzbourg de 1904. Les données concernent aussi 14 affluents du Salzach.

A la fin du XIXe siècle, les trois espèces les plus répandues sont la truite commune (Salmo trutta), le chabot (Cottus gobio) et l'ombre (Thymallus thymallus).

Au long du XXe siècle jusqu'à nos jours, le nombre total d'espèces de la rivière est passé de 21 à 23 – ce gain de biodiversité est dû à des espèces importées. En l'occurrence, les deux espèces introduites à des fins de pêche sont la truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) et l'omble des fontaines (Salvelinus fontinalis), d'origine nord-américaine.

Dans les évolutions notables, les auteurs relèvent une diminution de la présence du brochet (Esox lucius), du hotu (Chondrostoma nasus) et du huchon ou saumon du Danube (Hucho hucho). Le brochet souffre de l'endiguement des berges (il se reproduit dans des bras morts ou des annexes hydrauliques), tandis que les deux autres répondent à une très forte progression des ouvrages hydrauliques transversaux : de 52 barrages en 1900 à 309 aujourd'hui. On observera au passage que cette multiplication par 6 sur un laps de temps assez court a réduit les habitats et donc l'abondance des espèces mentionnées ci-dessus, mais n'a pas empêché le maintien de la biodiversité, y compris des espèces réagissant fortement à la fragmentation (rhéophiles, lithophiles, sténothermes, etc.). On ne trouve pas d'influence du flottage du bois, contrairement à d'autres études historiques.

La principale surprise de ce travail vient finalement du poids des introductions d'espèces à fin halieutique : la truite arc-en-ciel et l'omble des fontaines représentent aujourd'hui 29,3% de l'ensemble des prises du bassin, et ces espèces non-natives ont même colonisé les petites rivières. "Un des changements les plus importants de structure de communauté piscicole est le résultat de l'introduction délibérée d'espèces halieutiques pour les activités de pêche", notent les chercheurs dans leurs conclusions.

Quelques observations pour conclure
Cette recherche nous incite à réitérer une demande déjà formulée par plusieurs parties prenantes de la politique de l'eau en France, à savoir une étude scientifique indépendante des impacts historiques et actuels de l'activité de pêche.

On fait grand cas de l'intégrité biotique des peuplements piscicoles, en supposant (à tort selon nous) que les assemblages de poissons ont vocation à rester stables dans le temps, même en situation d'influence anthropique ou de changement climatique. Or, l'activité de pêche a de nombreux effets : prédation à l'époque de la pêche vivrière ayant pu conduire à des extinctions locales mais surtout introduction tantôt volontaire tantôt accidentelle d'espèces étrangères aux bassins et d'espèces d'élevage, avec comme conséquence la problématique importante des pathogènes touchant les espèces patrimoniales. Qu'une telle pression ne soit pas évaluée puis gérée de façon indépendante (c'est-à-dire scientifique, et non pas par des institutions de pêche juges et parties) est indigne d'une gestion de l'eau moderne et fondée sur la preuve.

Le travail de Gertrud Haidvogl et de ses collègues nous incite à nouveau à la plus grande prudence et à la plus grande rigueur quand on envisage des politiques de restauration des milieux aquatiques. En particulier, l'éclairage de l'histoire apporte des informations indispensables sur les dynamiques des populations piscicoles ainsi que sur leurs réponses aux pressions, ce qui est susceptible de conditionner les objectifs restauratoires ou conservatoires du gestionnaire.

Référence : Haidvogl G et al (2015), Long-term evolution of fish communities in European mountainous rivers: past log driving effects, river management and species introduction (Salzach River, Danube), Aquatic Sciences, 77, 395–410

21/10/2015

Continuité écologique sur l'Armançon (21) : un mémoire expose les visions (et les doutes) des parties prenantes

Dans une remarquable enquête de terrain réalisée sur l'Armançon cote-dorienne à l'occasion d'un stage de Master, Nicolas Defarge a travaillé à comprendre les perceptions de la continuité écologique au bord de la rivière. Pour la quasi-totalité des propriétaires et pour la majorité des élus / associations interviewés, la continuité écologique n'est pas acceptée si elle implique l'effacement comme solution préférentielle. Principaux noeuds de conflictualité : la crainte d'une modification non maîtrisée des écoulements et du bord de rivière ; l'absence de consentement à payer des aménagements jugés non prioritaires pour la rivière par rapport aux pollutions ; la perception d'une inégalité de traitement entre les ouvrages (certains grands barrages du cours d'eau n'ont pas d'obligation d'aménagement). Les dimensions juridique (droit d'eau) ou énergétique sont moins citées. Ce travail suggère qu'il sera difficile de réussir la politique de continuité écologique sans une prise en compte des attentes, des craintes et des besoins des propriétaires comme des riverains. Télécharger le document intégral.

Tout au long du premier semestre 2015, l'association Hydrauxois en coordination avec la FFAM (maître de stage) a assisté sur le terrain Nicolas Defarge, étudiant en Master professionnel "Ingénierie et gestion de l’eau et de l’environnement" à la Faculté des sciences de Limoges. Le mémoire de Nicolas (présenté avec succès en septembre) a pour thème : Analyse des conflits d'usage et d’image de la rivière dans le cadre des réformes de continuité écologique. Le cas du tronçon côte-dorien de l'Armançon classé en liste 2 au titre de l’article L-214-17 C env. L'enquête a distingué trois collèges : les propriétaires de moulin (premier collège), les associations, les élus, les parties prenantes locales (deuxième collège), les représentants des syndicats et de l'administration (troisième collège). Ils ont fait l'objet d'interviews selon des questionnaires standardisés. Nous publions ci-après quelques extraits du mémoire. Nota : par "parties prenantes" dans cet extrait, il faut entendre le collège des élus et associations.


Situation des ouvrages hydrauliques : non dégradés, mais non réellement gérés (en majorité)
La présence d’ouvrages en état dégradé (15 %) est minoritaire, en revanche la majorité des ouvrages sont sans usages actuels (70 %), les passes à poissons installées sont non fonctionnelles et le tiers des moulins constituent des résidences secondaires. On ne peut pas considérer qu'il y a des négligences graves de la part des propriétaires, mais la majorité d'entre eux, ne semble pas correctement informée de l'ensemble des obligations de gestion des ouvrages hydrauliques en rivières. La bonne gestion peut être rendue difficile par la non-présence permanente au moulin. Inversement, un usage du moulin tend à favoriser une implication dans la bonne tenue du site, voire la régulation attentive des niveaux (si production électrique).

Niveau de connaissance et d'information : pas toujours suffisant…
Le niveau de connaissance des contenus et enjeux des réformes de continuité écologique est plutôt mauvais chez les maîtres d'ouvrage, meilleur chez les parties prenantes. Beaucoup se plaignent de l'absence d'information et ont perdu le souvenir d'une éventuelle visite du syndicat de rivière ou des autorités. La recherche d'information se fait de façon plutôt spontanée (Internet) ou déconnectée des autorités et gestionnaires (par des associations, des contacts locaux). Les questions de continuité écologique sont perçues comme complexes, avec un vocabulaire spécialisé peu compréhensible et des connaissances peu accessibles. Les autorités et gestionnaires ont plutôt le sentiment de délivrer une information correcte : il y a donc un décalage entre les perceptions sur ce point, ou entre le niveau des attentes des uns et des autres. Le niveau d’information des acteurs locaux (parties prenantes, en particulier les élus) est aussi important car ils sont en contact plus ou moins direct avec les maîtres d’ouvrages, qui expriment pour certains le besoin de se faire aider. 

…mais pas toujours déterminant non plus 
On observe cependant que nombre de remarques faites par les maîtres d'ouvrage ou les parties prenantes (élus, associations) sont indépendantes du niveau de connaissance réel de la continuité écologique : elles ne témoignent pas d'erreur factuelle ou intellectuelle sur la continuité, mais plus simplement d'une approche de la rivière différente de l'idéal de renaturation implicitement porté par les réformes écologiques. Par exemple quand on craint des niveaux d'eau faibles à l'étiage (disparition du plan d'eau) ou une remise en question du patrimoine bâti, quand on observe la politique différentielle d'aménagement des ouvrages sur un même linéaire (grand barrage VNF sans projet de continuité), on est en présence d'objections qui ne relèvent pas d'une bonne ou mauvaise connaissance de l'hydromorphologie et de l’hydrobiologie, mais d'une appréciation de la politique locale (ou générale) de l'eau. La simple information ne sera pas susceptible de diluer ces sources potentielles de conflictualité : des débats incluant toutes les positions en présence sont nécessaires.

Continuité écologique : un niveau moyen d'acceptation, mais très faible dès qu'il s'agit de destruction
En ce qui concerne l’acceptation des réformes de la continuité écologique il ressort de l’étude que la majorité des maîtres d’ouvrages lui est défavorable (60%), proportion qui s'inverse chez les parties prenantes (72% favorables). Le manque d'adhésion des maîtres d'ouvrage est clairement un frein à la mise en œuvre des réformes, mise en œuvre qui est reconnue comme difficile par les autorités et gestionnaires de l’eau. Au-delà, la quasi-totalité des répondants à l'enquête se déclare défavorable à la solution de disparition des ouvrages hydrauliques, tous collèges confondus hors autorités et gestionnaires. Dans la mesure où l'arasement partiel / total est par ailleurs la solution considérée par ces derniers comme la plus efficace pour l'environnement (et en cela la plus subventionnée), il existe un noyau manifeste de conflictualité.

Objections à la continuité écologique : sur ses effets...
Les craintes les plus fortes sur l’effacement des ouvrages ne concernent pas la valeur patrimoniale et foncière (en 3ème position seulement), mais plutôt le changement de régime des eaux (inondations et problèmes possibles à l’étiage). Un argument spécifique au tronçon est la présence d’un grand barrage VNF sans obligation de continuité écologique en amont, ce qui donne un sentiment d'injustice ou d'incohérence. Il existe de manière générale, chez la majorité des répondants, une préférence pour la conservation des écoulements et du patrimoine en état. Ce peut être un effet conservateur de l'habitude, une crainte du changement perçu comme risqué ou une adhésion volontaire à l'esthétique des retenues d'eau. 

… et sur sa priorité comme dépense, par rapport à la pollution
La continuité écologique n'est majoritairement pas jugée pour ses vertus propres, mais en comparaison des autres besoins sur la rivière. En particulier, elle est presque toujours mise en parallèle avec la lutte contre la pollution, jugée insuffisante. L’AESN, l’Onema, le Sirtava et Artelia estiment qu'il faut agir sur tous les leviers en même temps pour atteindre un bon état des eaux, mais les actions menées (ou envisagées) sur la défragmentation physique ont manifestement plus d’impacts sur la population que les autres actions menées sur les pollutions chimiques. En ce domaine, une meilleure communication sur les dépenses réellement menées pourrait désamorcer des malentendus.

Une absence de vision positive sur la continuité : peu de motifs perçus d’adhésion
Il est remarquable que les répondants n’aient presque jamais de vision positive de ce qu'apporte réellement la continuité écologique : celle-ci est vécue comme une réforme décidée par des autorités, mais pas en soi comme un atout pour la rivière. Le plan sédimentaire est ignoré – ce qui peut se justifier localement par le niveau assez équilibré du bassin sur ce plan, comme l'a montré l'étude de J.R. Malavoi menée dans les années 2000 à l'initiative du syndicat de rivière (cf. Hydratec Malavoi 2007). Au plan piscicole, le fait que l'Armançon ne soit pas une rivière salmonicole joue un rôle dans la relative indifférence à l'enjeu. Le seul poisson cité (anguille) n'est pas perçu comme menacé par les riverains, bien qu’il le soit au regard de son classement en espèce protégée. La notion de restauration de micro-habitats diversifiés n'est jamais abordée. L'absence de visée emblématique ou symbolique (comme le retour du saumon sur certains bassins) n'aide manifestement pas à l'appropriation des enjeux proprement écologiques.

Objections aux aménagements : leur coût
Les aménagements non destructifs (dispositifs de franchissement) sont mieux acceptés par les différents collèges. Mais de manière assez unanime, leur mise en œuvre est conditionnée à leur coût et à la prise en charge publique. Le niveau de subvention attendu est de 100% – ce qui signifie que les maîtres d'ouvrage ne perçoivent par la continuité écologique comme une obligation leur incombant, mais plutôt comme un choix public pour la rivière. La diversité des modes de financement des dispositifs de franchissement selon les Agences de bassin et les Régions est mal perçue, synonyme d’inégalité entre citoyens / territoires ou d’opacité. Il existe là un autre nœud important de conflictualité, dans la mesure où le niveau de subvention des passes à poissons par le principal financeur du bassin (AESN) est de l'ordre de 50%, et à la condition qu'il existe un usage avéré ou un intérêt remarquable. Peu d'ouvrages hydrauliques du tronçon étudié semblent éligibles à ces subventions.

Illustrations : ouvrages du tronçon étudié. A gauche, l’ancien barrage hydro-électrique de Semur-en-Auxois, le plus haut des obstacles sur la rivière pour le tronçon classé. A droite, les seuils des forges de Buffon (petite forge en haut et grande forge en bas). © Nicolas Defarge.

20/10/2015

Charte des moulins: inacceptable en l'état

Le projet de Charte des moulins a avancé et la dernière version en date est téléchargeable à cette adresse. Nous avons déjà écrit à ce sujet et, à la lecture du projet, nous ne voyons aucune raison valable de souscrire à un texte qui contourne les problèmes de fond.

Si l'on observe quelques progrès de la Direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du Ministère de l'Ecologie, notamment la reconnaissance du fait qu'une simple gestion des ouvrages du moulin peut parfois suffire à garantir la continuité dans des proportions raisonnables, les points essentiels sont absents du texte.

La Charte affiche comme objectif de "trouver des solutions afin de permettre la bonne application de la réglementation pour certains moulins constituant un obstacle à la continuité écologique". Pour cela, l'Etat doit s'engager clairement à :

  • motiver sur chaque cas et comme l'y oblige la loi (art L 214-17 C env) les besoins d'équipement, entretien et gestion des ouvrages, ainsi que la proportionnalité de l'aménagement aux enjeux écologiques afin de garantir que la dépense n'est pas "spéciale" ou "exorbitante";
  • n'imposer aucun effacement (arasement, dérasement) ni changement de la consistance légale contre la volonté du propriétaire, en respect là encore de la loi sur la reconnaissance des ouvrages légalement autorisés (art. L 214-6 C env);
  • garantir un financement public des dispositifs de franchissement piscicole (passes à poissons, rampes enrochées, rivières de contournement) et des dispositifs de transit sédimentaire (dans les cas où ils excèdent la simple fonctionnalité des vannes existantes, lesquelles sont une charge d'entretien normale du propriétaire).

Tant que ces points simples, clairs et précis ne sont pas acquis, nous n'avons aucune raison de faire confiance à la DEB, dont nous rappelons qu'elle est à l'origine des politiques d'effacement prioritaire d'ouvrages hydrauliques et de la dérive administrative observée depuis le PARCE 2009.

Nous appelons donc les propriétaires, riverains, associations et plus généralement tous les citoyens amoureux de leur rivière et de son patrimoine à:
  • refuser la légitimité de la Charte en l'état si elle devait être signée par une ou plusieurs fédérations de moulin (ce dont nous doutons...) ;
  • diffuser et faire signer à leurs élus l'appel à moratoire sur la continuité écologique ;
  • s'organiser en vue de préparer des contentieux sur chaque ouvrage où l'Etat n'aura pas respecté ses obligations (voir Vade-mecum) et contre chaque SDAGE qui persistera à poser la priorité illégale de l'effacement du patrimoine hydraulique français (voir Lettre ouverte).

Exemplarité? Pédagogie? La France sacrifie son potentiel hydraulique à l'heure de la COP21

Alors que la France sacrifie la plus propre et la mieux répandue de ses énergies renouvelables – hydro-électricité –, Ségolène Royal parle de pédagogie et d'exemplarité dans la lutte contre le réchauffement climatique.  Mme la Ministre serait crédible si elle exigeait une refonte complète de la politique de continuité écologique, conçue pour détruire et non équiper le potentiel énergétique de nos rivières.


Nous lisons dans la communication du Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie que Ségolène Royal mobilise les grandes institutions rattachées au Ministère, en vue de la COP 21. Il y est écrit que "la Ministre souhaite poursuivre la pédagogie sur les enjeux liés au changement climatique : démontrer l’exemplarité de la France et son engagement en faveur de la transition énergétique et du climat ; mobiliser la société autour des enjeux de la COP21 et des changements climatiques." 

Avec surprise, on observe que les Agences de l'eau et l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) font partie des institutions concernées par l'initiative de Mme Royal.

Ces deux institutions organisent depuis plusieurs années la destruction programmée du potentiel hydro-électrique français.
  • Les Agences de l'eau (en particulier Loire-Bretagne et Seine-Normandie) financent prioritairement l'effacement des seuils et barrages de France, équipement qui permettrait de tirer profit de la source d'énergie ayant le meilleur bilan carbone des ENR. 
  • L'Onema conçoit puis impose des demandes exorbitantes pour tous les projets hydro-électriques (passes à poissons, grilles fines, goulottes de dévalaison, programmes de surveillance, mesures compensatoires, etc.), traitant de la même manière le moulin modeste de 5 ou 50 kW et l'usine de 500 ou 5000 kW, ce qui a pour effet de décourager la plupart des porteurs de projet en rendant excessivement coûteuse et inutilement complexe la relance d'activité sur les petites puissances, lesquelles représentent 83% des sites présents sur nos cours d'eau.
Le bilan carbone de cette politique des pelleteuses en rivière et des règlementations kafkaïennes est évidemment un désastre, d'autant que l'on efface des infrastructures déjà en place ne demandant qu'à fonctionner de nouveau sans avoir à couler des tonnes de béton ni à perturber l'équilibre actuel des hydrosystèmes.

A qui profite le crime? Il faut le demander aux nombreux lobbies de l'eau et de l'énergie qui militent pour cette destruction ou qui la tolèrent sans mot dire. Ce qui est sûr, c'est que cela ne profite pas au climat, dont le changement est pourtant considéré comme menace de premier ordre pour les milieux, y compris les milieux aquatiques continentaux et océaniques.

Illustrations : effacements sur l'Arnon, Nouvelle République, DR.

A lire pour comprendre les enjeux à l'heure de la COP 21

Découvrir la petite hydraulique
Les moulins à eau et la transition énergétique: faits et chiffres 2015

18/10/2015

Idée reçue #02 : "Les seuils et barrages ont un rôle majeur dans la dégradation des rivières et des milieux aquatiques"

Au coeur des politiques de continuité écologique, on trouve l'idée que les seuils des moulins et les barrages ont un impact de premier plan sur la qualité écologique et chimique des rivières. Seule cette conviction – notoirement portée par certains lobbies ayant l'oreille de la Direction de l'eau du Ministère de l'Ecologie, comme FNE et FNPF – permet de justifier un classement massif de rivière à fin de continuité écologique et un effacement non moins massif d'ouvrages pour restaurer des habitats que l'on suppose "dégradés". Mais la science est meilleure conseillère que les lobbies. Et ses travaux récents ne confortent absolument pas l'idée d'une influence majeure des ouvrages hydrauliques (particulièrement les moulins) sur la qualité de l'eau et sur la biodiversité. Brève synthèse pour remettre les idées à l'endroit et combattre les manipulations. 


Avant toute chose, rejetons une idée fausse : les seuils de moulin n'auraient aucune influence sur la rivière et son peuplement. C'est évidemment inexact. N'importe quel obstacle (y compris naturel comme une cascade, un embâcle barrant une petite rivière ou encore un barrage de castor) a des effets sur la morphologie et la biologie du cours d'eau. A fortiori des constructions humaines pérennes. Sur une rivière fragmentée, on s'attend à des phénomènes comme une réduction de diversité génétique de certaines populations, un moindre accès vers l'amont de grands migrateurs remontant depuis la mer, un changement dans la fréquence relative d'espèces au sein des assemblages biotiques (poissons, invertébrés, macrophytes, unicellulaires, etc.),  une modification de la ligne d'énergie donc du processus érosion-sédimentation, une apparition de faciès calmes ou stagnants (lentiques) par rapport à des écoulements vifs (lotiques), un changement de substrat sur le linéaire directement modifié (remous des ouvrages), un réchauffement estival au moins superficiel de l'eau de retenue, etc. Il existe de nombreux articles et monographies à ce sujet dans la littérature scientifique (cf une synthèse partielle chez Souchon et Malavoi 2012).

En première réserve, il faut d'abord noter que cette littérature française ou internationale concerne au premier chef l'examen de la grande hydraulique c'est-à-dire des ouvrages de génie civil dépassant les 10 m ou 20 m de hauteur. Or, ces conditions d'observation n'ont rien à voir avec l'essentiel du patrimoine hydraulique français, formé de petits ouvrages. Sur la version documentée en hauteur du Référentiel des obstacles à l'écoulement de l'Onema (échantillon de plus de 14.000 ouvrages), il apparaît que 83,36% des seuils ont moins de 2 m de hauteur, 51,48% moins de 1 m. C'est donc une dominante de très petite hydraulique, différentes des grands barrages construits pour l'essentiel au XXe siècle. Une équipe de chercheurs américains a souligné la nécessité de cette distinction dans la politique de gestion écologique et a comparé l'impact de la petite et ancienne hydraulique à celui des barrages de castors (Hart et al 2002).

En seconde réserve, et de loin la plus importante, l'existence d'un impact quelconque est un résultat trivial car attendu (l'homme change en permanence les milieux depuis le début de son évolution et au long de son expansion sur Terre, particulièrement depuis la Révolution industrielle cf Steffen et al 2015), et un résultat neutre sur le point essentiel : savoir si les effets des seuils et barrages sont importants ou modestes pour la qualité de l'eau et des milieux qu'elle abrite. 

Les grands facteurs tendant à détériorer la qualité de l’eau et des milieux aquatiques sont assez bien identifiés dans la littérature scientifique internationale (par exemple des revues de synthèse chez Dudgeon et al 2006, Stendera et al 2012). Ces facteurs agissent sur le temps long (plusieurs décennies voire davantage) et certains interagissent. On peut citer:
  • le changement climatique (hausse des tempértaures moyennes, fréquence accrue des événements extrêmes) ;
  • la hausse des prélèvements quantitatifs de la ressource en eau ;
  • la pêche (dont surpêche, pêche illégale, braconnage) ;
  • les espèces invasives / indésirables (dont les pathogènes et parasites affectant les espèces patrimoniales) ;
  • les pollutions (dont l’eutrophisation par excès de matières azotées / phosphorées, les molécules issues de la chimie de synthèse comme les biocides, les résidus médicamenteux, les polymères non dégradables, etc.) ;
  • la dégradation des habitats (dont l’hydrogéomorphologie, incluant la fragmentation des continuités longitudinales et latérales).
On voit que la question des seuils et barrages est très loin de concentrer toute l'attention de la recherche en rivière. Quelle est l'importance de chacun de ces impacts que nous venons d'énumérer? Aucun modèle scientifique n'est actuellement capable de les prendre tous en compte pour produire une estimation du poids relatif de chacun d'eux dans la variation de biodiversité (plus généralement l'évolution des peuplements biologiques de la rivière). D'une part, les données quantitatives de long terme manquent (sur les peuplements comme sur les impacts) ; d'autre part, les milieux aquatiques couplés à leurs influences physiques, biologiques, chimiques sont des systèmes complexes et non-linéaires qui défient encore la modélisation. La science des rivières est jeune et en construction : vouloir lui faire produire des conclusions définitives ou des orientations robustes est une erreur. Combien de fois le gestionnaire a-t-il prétendu développer une politique éclairée pour reconnaître ensuite, et trop tard, qu'elle était précipitée?

Il existe toutefois des travaux scientifiques permettant d'estimer certains impacts des seuils ou barrages sur des variables biologiques, et de comparer ces impacts à ceux d'autres pressions humaines. En particulier, l'obligation de mesure de qualité chimique, physique, morphologique et biologique des eaux superficielles, imposée par la Directive cadre européenne 2000, commence à produire des données à grande échelle, exploitables par des modèles descriptifs et prédictifs.

En France, dans le bassin de Loire, une analyse de 17.000 km de linéaire, divisés en 4930 segments homogènes avec plus de 5500 obstacles à l'écoulement présents sur le linéaire étudié, ne révèle qu'un impact modeste de la densité de barrage sur la qualité écologique, plus marqué sur l'amont que sur l'aval. Le score global de qualité piscicole (IPR) ou invertébrés (I2M2) ne montre aucune corrélation significative avec la densité locale de barrages, la corrélation n'apparaissant qu'avec l'échelle supérieure (sur le bassin versant). La variance globale des scores n'est que minoritairement associée à la densité des barrages : 25% pour les macro-invertébrés, mais 12% seulement pour les poissons. Au sein des indices, les métriques de la biodiversité (NTE et DTI pour l'IPR, indice de Shannon et richesse taxonomique pour l'I2M2) ne répondent pas à la présence des barrages par des variations significatives (Van Looy et al 2014).

Une deuxième étude récente a collecté sur 1100 sites répartis dans les 22 hydro-éco-régions françaises des mesures de qualité biologique : macro-invertébrés (I2M2), diatomées (IBD) et poissons (IPR+). La densité de barrage n'est qu'en 13e position des facteurs explicatifs de la variance des indicateurs piscicoles, et aucune corrélation n'est trouvée avec les diatomées. La réponse des invertébrés est plus forte (l'I2M2, qui a remplacé l'IBGN, répond plus fortement à la morphologie). En terme d'intensité de la réponse, les variables physicochimiques (nitrate, phosphate) ont les plus hauts coefficients, suivi par les variables d'usages des sols et, en dernier ressort seulement, les variables hydromorphologiques (Villeneuve et al 2015).

Ces deux études convergent pour montrer que l'effet des seuils et barrages sur les indicateurs biologiques de qualité de l'eau comme sur la biodiversité est faible, en particulier s'il est comparé à d'autres pressions. Ces recherches sont loin d'être isolées. Un précédent travail en France sur 301 sites avait montré que la qualité biologique des rivières avait comme premier prédicteur à échelle du bassin versant les usages des sols (agriculture, forêt) et non pas la morphologie, dont les seuils ne sont qu'un élément. Les seuils influencent en revanche les métriques de qualité à échelle du tronçon, mais l'ensemble des impacts humains confondus n'explique au total qu'un tiers de la variation des peuplements biologiques, ce qui suggère une forte variabilité naturelle de fond, à prendre en compte avant toute action sur une rivière (Marzin et al 2013, voir aussi Marzin et al 2012).

Ces travaux français sont rejoints dans leurs conclusions par d'autres études scientifiques européennes ou internationales. Un travail sur 2302 sites de mesure en Allemagne et en Autriche a permis l'analyse des populations de poissons (n=713), de macro-invertébrés (n=1753) et de diatomées (n=808) en fonction de quatre impacts : hydromorphologie, qualité physico-chimique, occupation des sols en rive, usage des sols sur le bassin versant. Il en ressort que l'excès de nutriment et l'occupation des sols sur le bassin versant sont les deux facteurs de stress discriminant pour tous les groupes d'organisme, dépassant les effets du stress hydromorphologique à l'échelle des sites – l'hydromorphologie recouvrant de nombreuses pressions autres que les seuils et barrages (Dahm et al 2013). En Allemagne toujours, un modèle pour mieux comprendre la distribution des poissons en rivières, en fonction des habitats disponibles, des capacités de dispersion des espèces et des barrières à la migration a été développé et testé sur une rivière : pour 17 espèces de poissons, il ne trouve aucune influence des obstacles à l'écoulement (Radinger et Wolter 2015). Au Portugal, l'analyse des distributions de 7 espèces de poissons sur 196 sites de 3 bassins ne parvient pas à trouver une influence significative des obstacles à l'écoulement sur les peuplements piscicoles (Branco et al 2012). Au Canada, un travail montre que l'influence de la connectivité (seuils et barrages) sur les assemblages piscicoles existe localement mais qu'elle diminue et devient peu significative quand on analyse l'ensemble du bassin versant (Mahlum et al 2014). Aux Etats-Unis, une étude menée sur 1227 tronçons de rivière comportant 5215 barrages conclut que la variance expliquée des populations piscicoles est de 16% pour l'intégrité biotique et 19% pour les préférences d'habitat. Ce résultat est plutôt à considérer comme un maximum car les auteurs ont choisi d'exclure les tronçons ayant des impacts anthropiques fort en urbanisation et agriculture, ce qui augmente le poids relatif des ouvrages sur les assemblages piscicoles (Wang et al 2011)

Un autre moyen d'analyser l'influence des obstacles à l'écoulement est de considérer l'histoire des peuplements piscicoles. C'est en particulier utile pour comprendre l'impact des petits ouvrages de moulins, qui étaient pour la plupart déjà présents au XVIIIe siècle. Les données historiques relatives à l'anguille dans la zone ibérique montre que les seuils et barrages anciens, présents de l'époque romaine jusqu'au XIXe siècle, n'ont pas empêché la colonisation de tous les bassins de la Péninsule, et que l'intervention sur un faible nombre de barrages permet de restaurer 40 à 80% du territoire historique (Clavero et Hermoso 2015). En France, des travaux déjà classiques sur l'histoire du saumon en tête de bassin Loire ou Seine parviennent à des résultats similaires : le saumon n'a régressé qu'à partir du milieu du XIXe siècle avec l'apparition d'ouvrages de navigation sur les fleuves ou de barrages de plus hautes dimensions sur les rivières, alors qu'il circulait jusqu'en tête de bassin à l'âge des moulins (Bachelier 1963, Bachelier 1964, Beslagic 2013, Roule 1920). Certains de ces travaux montrent aussi que les peuplements de poissons changent par l'introduction d'espèces exotiques davantage que par des extinctions.

Remettons donc les idées à l'endroit : les travaux les plus récents de la recherche montrent que les seuils et barrages (plus largement la morphologie) sont très loin d'être les premiers facteurs de dégradation des indicateurs biologiques de qualité des rivières. Leur influence sur ces indicateurs, comme sur la biodiversité, est faible voire nulle selon les hydrosystèmes étudiés. Des travaux préliminaires suggèrent en particulier que la petite hydraulique des moulins (qui représente plus de 80% des obstacles à l'écoulement en rivière) représente un impact très faible à l'époque historique et contemporaine. Cela ne signifie pas que les seuils et barrages n'ont aucun effet sur la biologie ni la morphologie : simplement que cet effet n'a nullement la gravité que d'aucuns lui accordent dans le débat public et dans les choix de gestion. A effets modestes doivent répondre des aménagements modestes, certainement pas des effacements d'ouvrages à grande échelle ni des dépenses d'équipement exorbitantes par rapport à leur résultat.


Quelles conclusions peut-on tirer ?
  • La recherche scientifique est un processus ouvert de consolidation progressive de nos connaissances et, dans le domaine des rivières (hydro-écologie, hydromorphologie, histoire de l'environnement, écologie évolutive et moléculaire, etc.), elle est encore en pleine phase de construction. Les débats y sont nombreux, comme les incertitudes. Une communication correcte de la science vers le grand public et vers le décideur exige d'en faire mention au lieu de mettre en avant des croyances et des pseudo-certitudes . 
  • La continuité longitudinale est un angle légitime d'analyse, gestion et parfois amélioration du fonctionnement d'une rivière, ou de restauration d'axes migrateurs. Mais la politique française de continuité visant à classer massivement des rivières et tous leurs ouvrages est disproportionnée aux enjeux écologiques au regard de nos connaissances actuelles. Elle est de surcroît erronée au plan de la méthode, car tous les travaux scientifiques insistent sur la nécessité d'agir sur la rivière après avoir pris la mesure exacte de l'ensemble des pressions sur le bassin versant, faute de quoi les choix de restauration auront des effets faibles à nuls (voire négatifs, nous y reviendrons dans une autre idée reçue).
  • La politique de restauration des grands axes migrateurs doit distinguer la petite de la grande hydraulique, déployer d'abord une analyse à grande échelle de l'histoire des peuplements piscicoles et cibler les interventions avec une analyse coût-avantage. L'histoire de l'environnement est aussi indispensable pour comprendre la variabilité naturelle des peuplements de rivière, qui est semble-t-il bien plus forte que ne laissaient penser des anciennes biotypologies développées au XXe siècle.
  • Le choix radical de l'effacement du plus grand nombre d'ouvrages, privilégié par les gestionnaires, n'a ni légitimité démocratique ni base scientifique : il doit être combattu avec la plus grande vigueur en raison de la dépense indue d'argent public mais aussi de ses nombreux effets négatifs sur les autres dimensions de la rivière et de son patrimoine hydraulique (histoire, culture, énergie, irrigation, pisciculture, activité récréative, etc.).
  • La recherche publique et l'acquisition de données sur les rivières doivent faire l'objet d'un effort national conséquent (ce que permet notamment le budget des Agences de l'eau, dont une part est dépensée dans des actions sans intérêt) car elles sont à la base de toute politique éclairée de l'eau et de la biodiversité. De nombreux facteurs – y compris de premier ordre comme le changement climatique – sont encore trop mal connus, alors qu'il est indispensable de faire les bons choix à l'échelle du siècle. 
Pour aller plus loin : les travaux de recherche cités dans cette page sont pour la plupart recensés en détail dans notre rubrique science.

Précision méthodologique : nous ne citons ici que des articles scientifiques parus dans la littérature "revue par les pairs". Les débats sur l'eau produisent en abondance ce que l'on appelle la "littérature grise", c'est-à-dire des rapports d'agences, de bureaux d'études, de techniciens, d'associations, etc. Ces travaux sont souvent informatifs, mais ils ne sont pas à proprement parler scientifiques. Par ailleurs, ces travaux sont parfois commandés et financés par le gestionnaire, ou rédigés par une partie prenante de l'objet d'étude, ce qui implique un biais. Par construction, la publication scientifique est conçue pour minimiser de tels travers et c'est à elle qu'il faut se référer en priorité.

Illustration : seuil sur le Serein, à Toutry, datant du Moyen Âge ; barrage d'alimentation du canal de Bourgogne sur la Brenne, à Grosbois-en-Montagne, datant du XIXe siècle. 

17/10/2015

Idée reçue #01 : "Le propriétaire n'est pas obligé d'effacer son barrage, il est entièrement libre de son choix"

Nous inaugurons une nouvelle rubrique dédiée aux idées reçues sur les moulins et usines à eau, ainsi que sur les politiques publiques de l'eau. La première idée reçue (entendue encore à titre d'exemple cette semaine à la dernière réunion syndicale du SICEC) consiste à laisser croire que rien n'est fait en France pour imposer l'effacement des ouvrages hydrauliques et que les propriétaires sont parfaitement libres de choisir d'autres solutions. Au mieux, c'est une ignorance du terrain ; au pire, une hypocrisie et une tromperie.  Voici comment les choses se passent réellement au bord des rivières.

En réunion publique ou dans les médias, on lit parfois de la part des syndicats de rivière ou des représentants de l'Etat que "les propriétaires ne sont nullement contraints d'effacer leur ouvrage en rivière". Cette phrase est formellement exacte, et à dire vrai la loi n'a même jamais prévu l'effacement (ni la LEMA 2006 ni la loi de Grenelle 2009, ni la DCE 2000 ni sa transposition par la loi de 2004), de sorte que le caractère légal des nombreuses destructions d'ouvrage en cours sur nos rivières reste un point à éclaircir devant le juge.

Mais en réalité, toutes les associations travaillant la question savent ce qui se passe sur le terrain. Les syndicats de rivière et les administrations le savent aussi, de sorte que leur affirmation est parfaitement hypocrite – et cette hypocrisie creuse un peu plus le fossé avec les propriétaires et riverains, la concertation étant évidemment impossible avec des personnes qui nient la réalité et trompent le public.



Que se passe-t-il donc en rivière classée au titre de l'article L 214-17 C env, c'est-à-dire classée pour la continuité écologique ?

Si vous acceptez d'effacer (araser ou déraser) votre ouvrage hydraulique :
  • la DDT et l'Onema font le service minimum en dossier d'instruction, ce qui a pour effet d'accélérer le chantier – au risque de le bâcler – et de minimiser les coûts (par exemple ils n'exigent pas systématiquement d'inventaire complet de biodiversité du système hydraulique avant intervention, d'analyse chimique complète des sédiments, d'enquête patrimoniale auprès des services culturels STAP / DRAC, de modélisation avant/après de crues et étiages, etc. ) ;
  • pour féliciter le "bon élève" de la destruction du patrimoine hydraulique, le syndicat propose fréquemment avec accord de l'administration des aménagements complémentaires à l'effacement (restauration paysagère des berges, pose grâcieuse de clôtures, etc.)
  • l'Agence de l'eau propose un financement à 80% et, par des montages avec d'autres sources de financements publics, vous parvenez généralement à 95%, 98% voire 100% des frais couverts.
En clair : vous effacez, vous êtes aidé au plan réglementaire et financier.

Si vous refusez d'effacer et demandez le respect de la consistance légale de votre ouvrage (ce qui est la loi!), les choses se passent beaucoup plus mal :
  • la DDT et l'Onema exigent que vous leur fassiez des propositions à vos frais (coût d'un bureau d'étude entre 5 et 50 k€ selon la complexité du site ; si vous demandez une subvention Agence de l'eau pour l'étude, l'Agence impose son cahier des charges orienté vers l'effacement ou vers des solutions "ambitieuses" c'est-à-dire coûteuses. Autant dire qu'accepter la subvention Agence pour l'étude consiste à s'imposer à l'avance des frais futurs bien plus élevés que le montant de la subvention) ;
  • les aménagements demandés sont exorbitants, en particulier pour des ouvrages modestes présents depuis des siècles comme les moulins ou usines de petite puissance : passes à poissons ou autres dispositifs de franchissement, intégration d'enjeux sur des poissons non migrateurs (au contraire de ce que dit la loi), modernisation des vannes, grilles fines et goulotte de dévalaison, analyse d'impact des solutions proposées, procédure de suivi des impacts et preuve du résultat positif de l'aménagement, etc. (coût de ces travaux : des dizaines à des centaines de milliers d'euros selon les sites) ;
  • contrairement à l'effacement, l'Agence de l'eau oppose une fin de non-recevoir à vos demandes de subvention pour les travaux : 0% si votre ouvrage est considéré comme "sans usage structurant", entre 20 et 50% dans les autres cas. Le restant dû représente évidemment des sommes très élevées, alors même que le propriétaire ne retire aucun profit personnel des travaux exigés, et que ceux-ci lui imposent une servitude à vie d'entretien et surveillance.
Sur l'ensemble de la procédure d'aménagement (hors effacement donc), vous êtes entièrement abandonné à l'arbitraire des agents administratifs : DDT, Onema, Agence de l'eau apprécient selon leur bon vouloir les enjeux locaux. C'est la raison pour laquelle, dans des cas relativement similaires, on peut trouver des prescriptions très différentes d'une rivière à l'autre. L'inégalité des citoyens face à l'exécution de la loi est patente, et chacun est entretenu dans l'incertitude complète de ce qui sera exigé pour son bien (moyen de pression psychologique supplémentaire pour pousser à l'effacement).

En clair : vous ne voulez pas effacer votre seuil ou barrage, on vous matraque au plan réglementaire et financier, en espérant que votre insolvabilité vous poussera à accepter à contrecoeur le dogme de l'effacement.

Donc voici la vérité rétablie : "Le propriétaire n'est pas obligé d'effacer son barrage, il est entièrement libre de son choix ; mais refuser l'effacement peut conduire à la ruine, car les services administratifs (DDT, Onema) usent de tous les moyens de pression dont ils disposent pour empêcher cette issue. Qui veut garder son bien se trouve exposé à des dépenses exorbitantes, qui sont non ou très peu subventionnées par les Agences de l'eau. Cette politique déséquilibrée est très consciemment imposée par la Direction de l'eau du Ministère de l'Ecologie, sans aucune sanction démocratique de choix décidés en petit comité et en opposition à l'esprit de la loi sur l'eau. Les syndicats de rivière sont tout à fait informés de cette réalité et certains participent hélas! aux pressions en délivrant une information biaisée, partiale ou incomplète"

A signaler : par le coup de force du décret du 1er juillet 2014 et de l'arrêté du 11 septembre 2015, alors même que les retours d'expérience montraient la tension sur le terrain et que les rencontres au Ministère tiraient la sonnette d'alarme, l'administration prétend imposer ces pratiques arbitraires non seulement sur les cours d'eau classés au titre de la continuité écologique, mais sur tout ouvrage en rivière, à la seule discrétion du Préfet ! Ces textes font l'objet de requête en annulation devant le tribunal, tout comme le classement des rivières de 2012-2013.

Quelles solutions pour sortir du blocage ? 
  • Financement public bien plus élevé des aménagements (et non de la seule destruction)
  • Révision des classements dans un sens économiquement réaliste et conforme aux résultats scientifiques les plus récents sur l'optimisation des restaurations écologiques (inutilité d'aménager la plupart des seuils dont l'impact sur les milieux est minime par rapport aux autres pressions, voire dans certains cas à effet positif)
  • Moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique, car la situation est totalement figée. Le dialogue avec l'administration est devenu quasi-impossible, tant avec les services déconcentrés en département qu'avec la Direction de l'eau au Ministère, tandis qu'un nombre croissant d'élus locaux, de parlementaires et même de ministres expriment leur incompréhension sur cette impasse et la manière dont on y est parvenu.
Illustration : source, Université Drexel, DR

16/10/2015

L'anguille et les obstacles à sa migration à travers les âges (Clavero et Hermoso 2015)

Miguel Clavero et Virgilio Hermoso, deux chercheurs espagnols, se sont penchés sur les données historiques relatives à l'anguille dans la zone ibérique. Leurs principales conclusions : les seuils et barrages anciens, présents de l'époque romaine jusqu'au XIXe siècle, n'ont pas empêché la colonisation de tous les bassins de la Péninsule ; il suffit de rendre franchissables 12 barrages pour ouvrir 40% des bassins à l'anguille, et d'en aménager 76 pour retrouver 80% du territoire historique de l'anguille. Ce travail après bien d'autres montre la nécessité pour le gestionnaire de distinguer la petite de la grande hydraulique, l'utilité d'une analyse à grande échelle de l'histoire des peuplements piscicoles et l'intérêt d'un ciblage intelligent des opérations de restauration.

Les stocks d'anguille européenne (Anguilla anguilla) se sont effondrés en Europe à partir du début des années 1980, avec des rendements dans les pêcheries situés à moins de 10% des prises anciennes. L'espèce est considérée comme menacée sur le continent, ce qui a amené les Etats-membres à adopter un règlement européen (RCE 1100/2007) imposant des mesures de connaissance, de protection et gestion de l'anguille. En 2010, l'anguille a été classée comme espèce menacée en danger d'extinction.

Mais que sait-on au juste de la répartition ancienne de l'anguille, antérieure à cet effondrement? Miguel Clavero et Virgilio Hermoso ont cherché à répondre à cette question par une analyse historique de l'espèce dans la Péninsule ibérique.

Des sources d'information remontant jusqu'au XVIe siècle
Les auteurs observent qu'il existe plusieurs hypothèses en discussion dans la communauté scientifique concernant la chute récente des stocks d'anguille (nous y reviendrons plus bas), notamment des changements de circulation océaniques dans l'Atlantique. Ils écrivent: "En combinant les hypothèses récentes sur l'effondrement des anguilles, il paraît plausible que l'impact significatif des barrages construits en Espagne depuis les années 1950 et au Maroc depuis les années 1980 puisse avoir empêcher les anguilles de compenser des fluctuations de leur recrutement déterminées par des phénomènes naturels".

Pour examiner cette question, Clavero et Hermoso ont recours à une analyse historique. Ils observent: "Les perspectives à long terme sont indispensables pour comprendre les systèmes écologiques contemporains. Pourtant, les données historiques relatives à la distribution de la biodiversité n'ont été que rarement utilisées dans les sciences environnementales appliquées". Ce constat est tout à fait important quand on s'intéresse aux ouvrages hydrauliques : ceux-ci existent depuis l'époque antique, mais ont connu des évolutions qualitatives et quantitatives notables à l'âge médiéval, classique, moderne et finalement contemporain. Désigner "l'obstacle à l'écoulement", "l'étagement" ou "le fractionnement" comme un problème uniforme qu'il s'agirait de lever par sa suppression n'a guère de sens, car c'est une approche aussi irréaliste sur le plan gestionnaire que grossière sur le plan de la compréhension des écosystèmes aux temps historiques.

Plus de 10.000 informations ont été extraites par les chercheurs espagnols de deux sources historiques: l'une du XVIe siècle, le Relaciones Topogra ficas, un questionnaire distribué aux villages espagnols entre 1574 et 1582 durant le règne de Philippe II ; l'autre du XIXe siècle, le dictionnaire Madoz en 16 volumes, publié entre 1845 et 1865, pour lequel plus de 1400 informateurs locaux ont notamment renseigné les ressources halieutiques.

Les données contemporaines sur l'anguille sont quant à elles extraites du Global Biodiversity Information Facility (2677 fiches d'information sur l'anguille dans l'Inventaire national de biodiversité concernant l'Espagne).



A partir de ces données, les chercheurs ont construit des modèles probabilistes tournant sur 19.706 tronçons de rivières ibériques. Ils ont intégré 5 variables essentiellement relatives à la topographie et à distance à la mer, ainsi qu'une liste des barrages. L'évolution de la distribution est représentée dans les schémas ci-dessus (en haut, probabilité d'occurrence de l'anguille de 0 à 1 entre le XIXe siècle et le présent ; en bas présence en noire et absence en rouge de l'espèce).

Les auteurs tirent deux conclusions importantes.

La première concerne le faible impact anthropique sur l'anguille jusqu'au XIXe siècle : "Il est remarquable que les anciennes structures de retenues d'eau présentes en Espagne et au Portugal, telles que les barrages depuis la période romaine ou arabe (Hooke 2006) ne constituent pas des obstacles importants à la circulation des anguilles dans les bassins de rivières. Par exemple le barrage d'époque arabe de Xerta dans le chenal principal de l'Ebre aval (Prats et al. 2011) n'a pas empêché la pénétration de l'anguille dans l'ensemble du bassin". Pour cette raison, les auteurs considèrent que la carte de répartition de l'anguille au XIXe siècle forme un état initial représentatif d'un impact anthropique faible (et d'un objectif de reconquête raisonnable).

La seconde conclusion vise le ciblage des interventions possibles. "Nous avons trouvé qu'il serait nécessaire de rendre 12 barrages perméables à la migration de l'anguille dans 2 bassins pour permettre la restauration d'un accès de l'espèce à au moins 40% de sa répartition de base dans la Péninsule ibérique. Retrouver un accès à 60% de l'habitat original impliquerait d'agir sur 20 barrages alors qu'une restauration d'habitat de 80% concernerait la modification de 76 barrages". Les auteurs soulignent que la suppression de barrage n'est pas indispensable et qu'il existe diverses solutions pour les rendre franchissables.

Discussion
Le modèle de Clavero et Hermoso n'utilise pas certaines données connues pour avoir une influence sur les stocks d'anguille comme la surpêche, le braconnage, la pollution des eaux et des sédiments, l'effet de long terme du changement climatique. Dans le compartiment principalement étudié de la morphologie et de la continuité longitudinale des rivières, le travail des deux chercheurs montre surtout qu'il faut distinguer entre la petite hydraulique présente jusqu'au XIXe siècle et la grande hydraulique construite depuis cette époque.

Ajoutons quelques informations sur la France. Le graphique ci-dessous, extrait du Plan national de gestion de l'anguille (2010, pdf), montre la courbe de tendance des populations d'anguille en Loire, Adour, Garonne. Il est estimé que le bassin Manche a la même tendance.


Il est manifeste que le recrutement des jeunes anguilles est stable voire en hausse entre 1960 et 1980, puis plonge à partir de cette date avec une forte pente, de l'ordre de 8% / an. Il n'existe aucune corrélation avec la petite hydraulique des moulins, qui est présente dans neuf cas sur dix dès avant la Révolution, et dont la pression a plutôt diminué tout au long du XXe siècle (ruine et abandon d'ouvrages, fermeture tendancielle des petites unités hydro-électriques ou hydromécaniques entre 1918 et 1980).

Dans le cas français, il serait indispensable d'examiner les causes chimiques du déclin de l'espèce, compte tenu de notre occupation des sols et de nos activités en bassin versant différentes de celles de la Péninsule ibérique. L'anguille présente une longue phase continentale de croissance, une durée de vie importante, un comportement benthique, un régime carnassier et une rétention de graisse au cours de son développement. Elle accumule donc les expositions aux contaminations chimiques : pesticides, herbicides, PCB, retardateurs de flammes, perturbateurs endocriniens, etc. L'ensemble de ces substances est en forte croissance dans les cours d'eau et les sédiments depuis les années 1950-1960.

En outre, la variation des courants océaniques – due aux oscillations naturelles de l'Atlantique et/ou au forçage anthropique associé au changement climatique moderne – est une des premières causes à modéliser puisque c'est le recrutement des civelles en arrivée sur les côtes qui est en baisse. Il faut ajouter aux thématiques d'intérêt l'introduction d'espèces invasives et pathogènes, au premier rang desquels l'Anguillicola crassus, ver nématode originaire d'Asie. Cet endoparasite issue d'anguilles japonaises importées colonise l'abdomen de l'animal puis se fixe dans sa vessie natatoire, affectant la survie et la reproduction de l'espèce. Signalons pour finir sur le cas français que l'anguille a été traquée comme "nuisible" sur les rivières salmonicoles jusque dans les années 1980 (interdiction de remise à l'eau des pêches), ce qui rappelle combien les prescriptions soi-disant éclairées du gestionnaire changent avec les époques...

Conclusion
Le travail de Miguel Clavero et Virgilio Hermoso montre tout l'intérêt d'une approche historique de l'évolution des milieux aquatiques sous influence anthropique. En France, il serait souhaitable que les gestionnaires de l'eau engagent :
- une mission scientifique visant à dresser un état piscicole des bassins français à partir des sources disponibles entre l'époque médiévale et le XIXe siècle, puis une évolution la plus précise possible au cours du XXe siècle ;
- une analyse des obstacles à l'écoulement selon leurs indices spécifiques de franchissabilité, cette dernière n'ayant rien à voir avec le seuil arbitraire de 20 cm ou 50 cm posé dans la règlementation (pour l'anguille, mais aussi pour le saumon et d'autres espèces ayant des bonnes capacités de nage ou de saut) ;
- un ciblage des véritables points noirs de la colonisation anadrome, et non une dépense d'argent public inutile sur la totalité des ouvrages d'une rivière classée, dont des seuils historiquement et actuellement franchissables ;
- une programmation des ré-ouvertures de bassin pour l'anguille conforme à nos engagements européens, réaliste en terme économique, progressive et concertée dans sa mise en oeuvre.

Référence : Clavero M, V Hermoso (2015), Historical data to plan the recovery of the European eel, Journal of Applied Ecology, 52, 4, 960–968

Nous remercions Miguel Clavero de nous avoir envoyécopie de son travail.

A lire : Eric Feunteun (2012), Le rêve de l'anguille, Buchet-Castel. Un des meilleurs spécialistes internationaux de l'anguille expose nos connaissances sur l'espèce, ainsi que les enjeux de sa protection. Sur Hydrauxois également : Protéger l'anguille pour mieux la pêcher... l'incohérence du Ministère de l'Ecologie a-t-elle une limite?

15/10/2015

Anne-Catherine Loisier (sénatrice Côte d’Or): "Les politiques de l’eau ont besoin d’un choc de simplification !"

Anne-Catherine Loisier, sénatrice de la Côte-d’Or, s’inquiète de la mise en œuvre sur le terrain du principe de continuité écologique. Elle a interpellé la Ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie sur ce principe, introduit en 2006 par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques. « Huit ans se sont écoulés depuis l’adoption de cette loi qui a malheureusement donné lieu à une application aveugle et précipitée » déplore la sénatrice.

Barrages, écluses, buses, déversoirs, chaussées, seuils... plus de 80 000 ouvrages barrent les cours d’eau français. Ils produisent des transformations locales des milieux en modifiant la vie aquatique et le transfert des sédiments. Pour autant, la sénatrice rappelle que les rivières souffrent de nombreuses pressions : changement climatique, prélèvements excessifs d'eau, pollutions... «Il est réducteur d'imputer toute la responsabilité aux moulins, présents pour la plupart depuis plus de deux siècles!»

Pour Anne-Catherine Loisier, «la restauration des continuités écologiques s'impose sur le terrain, sans concertation, dans un contexte budgétaire difficile pour tous les propriétaires d'ouvrages situés sur les cours d'eau, qu'ils soient publics ou privés». «Nous assistons ainsi à une destruction du patrimoine des territoires ruraux, sans parler de la perte de potentiel hydroélectrique pour les barrages ou les installations qui contribuent pourtant aux objectifs de transition énergétique» souligne la sénatrice.

Entre l'arasement complet de ces ouvrages ou l'obligation d'équipement, il existe pourtant d'autres options respectueuses de l'intérêt collectif. Anne–Catherine Loisier évoque par exemple l'abaissement de seuil ou l'ouverture de vanne.

Les propriétaires font face à un empilement de contraintes réglementaires. «Les acteurs locaux sont inquiets, d'autant plus que les investissements peuvent être particulièrement lourds et plutôt faiblement financés par l'État», dénonce la sénatrice. Des études scientifiques démontrent que la continuité écologique n'a qu'un poids très faible sur les obligations de bon état chimique et écologique : «Sans remettre en cause ce principe, il est légitime de s'interroger sur sa réelle efficacité en matière de qualité des milieux. La dépense d'argent public doit aujourd'hui être justifiée par des bénéfices environnementaux avérés.»

Un certain nombre de sites présentent un risque de catastrophe réel alerte la sénatrice citant l'ouvrage hydraulique de la Bèze : «Fissures, risque d’effondrement des habitations riveraines liés à la rétraction des argiles et à l'assèchement des sites, qui paiera en cas de préjudice immobilier pour les propriétaires ?» s’interroge la sénatrice.

Anne-Catherine Loisier appelle à «un choc de simplification pour les politiques de l’eau» et demande une plus grande concertation avec les acteurs locaux afin de parvenir «à des projets réalistes, partagés, s'inscrivant dans un développement durable et global des territoires». La sénatrice a annoncé qu’elle restera attentive au travail engagé par le gouvernement : «Il est important que le Gouvernement étudie ce sujet transversal, qui concerne à la fois l'écologie, mais aussi notre patrimoine architectural. Il est essentiel que les décisions prises soient fondées sur les réalités du terrain et fassent l'objet d'un engagement de la part des acteurs locaux, afin que nous puissions réellement avancer vers une meilleure prise en compte de notre environnement».

13/10/2015

Vade-mecum du propriétaire d'ouvrage hydraulique en rivière classée L2 (continuité écologique)

La Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie a engagé depuis le Plan de restauration de la continuité écologique de 2009 une campagne systématique visant à casser les droits d'eau des moulins, à imposer de façon arbitraire des équipements très coûteux malgré leur faible effet sur les milieux, à décourager la relance de la petite hydro-électricité, à user de l'ensemble de ces pressions pour pousser les propriétaires au désespoir et effacer ainsi le maximum d'ouvrages hydrauliques en rivière. Cette politique est dénoncée aujourd'hui par la campagne nationale du moratoire sur la continuité écologique, et elle le sera demain par le probable contentieux contre plusieurs SDAGE. Mais elle peut et doit aussi être combattue sur chaque seuil et chaque rivière. Voici quelques principes de base pour les moulins les plus exposés (en rivière classée L2 avec aménagement obligatoire d'ici 2017 ou 2018).

Ce mémo s'adresse aux propriétaires (et surtout aux associations de propriétaires) de moulin en rivière classée en liste 2 au titre l'article L 214-17 C env., qui souhaitent préserver leur ouvrage, sa consistance légale et son droit d'eau. Il importe de connaître quelques règles  pour éviter les problèmes et pour amener l'administration à remplir l'ensemble de ses obligations. Nous vous conseillons en cas de doute sur des questions concrètes de vous inscrire sur le Forum de la petite hydro, où les propriétaires partagent des conseils librement (Hydrauxois participe à l'animation de ce Forum). Et surtout de ne pas rester isolé, l'organisation des moulins sur une rivière, un bassin versant, un département étant toujours le moyen le plus efficace de défendre collectivement ses droits.


§1 Principes généraux - Vous devez assurer l'ensemble de vos devoirs de gestion et d'entretien des ouvrages hydrauliques, seuls les propriétaires irréprochables pourront se défendre efficacement. Dans la situation actuelle, compte-tenu de la politique inacceptable de l'Etat, vous ne devez contacter les services instructeurs (DDT-M, Onema, Dreal) qu'en cas de stricte nécessité. En invitant DDT-M et Onema dans votre propriété, vous vous exposez à des critiques, des constats voire des procédures n'ayant rien à voir avec vos questions, vos projets ou vos besoins. Tant que l'action publique sur les ouvrages hydrauliques n'a pas été strictement recadrée, et au vu des excès observés, il n'existe aucune raison d'avoir confiance dans les intentions d'un service de l'Etat en charge de l'eau. Exemple vécu : un propriétaire de bonne foi demande à une DDT comment installer une roue sur le moulin qu'il vient d'acheter, on lui envoie un agent Onema qui fait un constat de ruine et demande l'annulation du droit d'eau. C'est parti pour 5 ans de contentieux. Tant que de telles pratiques existent, un a priori de défiance s'impose. C'est désolant, mais nécessaire. Il n'empêche que l'on doit entretenir des rapports courtois avec les personnes, malgré les désaccords sur le fond. Donc, si vous ne pouvez éviter de contacter DDT-M ou Onema, faites-le après avoir pris conseil d'une association et/ou d'un conseil juridique. Ne soyez pas seul lors de la visite des agents administratifs. Enregistrez au besoin les échanges.

§2 LRAR, conserver la preuve de tout échange important - Tout échange écrit avec une administration (ou un syndicat) se fait par courrier recommandé avec accusé de réception (LRAR). Le récépissé et le contenu doivent être conservés en deux formats (papier et électronique). Il sera parfois utile d'exploiter ces échanges plusieurs années après leur réalisation, donc l'archivage doit être rigoureux et les pièces doivent être facilement accessibles pour votre avocat, votre conseil juridique ou votre association.

§3 Exigence de documents écrits sur tout point stratégique - Les déclarations orales de la DDT-M, de l'Onema, de l'Agence de l'eau sont sans valeur. Vous devez si nécessaire exiger des réponses écrites de ces organismes à toutes vos demandes ou bien encore la communication des rapports écrits de ces organismes (par exemple après une visite de site cf §1). Il en va de même pour certains arguments mentionnés dans des courriers administratifs. Si un document écrit comporte des inexactitudes, il faut en faire état en LRAR. Exemple n°1 : la DDT-M affirme dans un courrier que l'Onema refuse votre analyse de la rivière ou votre projet d'aménagement. Cette simple et vague mention d'un refus de l'Onema n'est pas acceptable, il faut requérir à la DDT-M la communication du rapport écrit intégral de l'Onema afin de juger de la validité de son contenu. L'Onema (comme conseil de la DDT-M) est tenu de démontrer ses évaluations par des références techniques et scientifiques pertinentes, non par des jugements subjectifs et oraux. Si le document n'est pas communiqué, la position de l'administration sera attaquable au tribunal administratif (ou pourra être ignorée). Exemple n°2 : un représentant de l'Agence de l'eau vous dit en visitant votre moulin que l'Agence ne finance pas les passes à poissons dans votre cas (ou que la subvention sera faible). Même chose, il faut que l'agent précise par écrit son refus de financement et les motifs complets de son refus. Les paroles s'envolent, les écrits restent : or, ce sont les écrits que jugent les tribunaux en cas de contentieux. Tout agent administratif est tenu de répondre aux demandes des administrés sur son domaine de compétence et s'expose à poursuite s'il refuse de le faire (d'où la nécessité du LRAR §2).

§4 Cas des rivières classées L2 au titre du L 214-17 C env., nécessité de manifester une intention d'appliquer la loi - Le classement des rivières est paru sur tous les bassins et, à ce jour, il n'a pas été annulé dans le cadre de l'examen de la requête en ce sens déposée par les fédérations et syndicats. Vous devez vous manifester avant échéance du classement (2017 ou 2018, date exacte de la publication du classement au JO à vérifier sur votre bassin). Sans cela, vous courez le risque d'une mise en demeure et vous vous exposez au fait répréhensible d'avoir ignoré la loi (ce que nul ne doit). Il faut néanmoins vous manifester au strict minimum, et comme la requête en annulation est toujours à l'examen, il convient de ne pas le faire trop tôt (attendre par exemple la dernière année du délai légal). Vous n'avez aucune obligation de manifester une intention d'aménager dès 2015 ou 2016. Vous n'avez aucun intérêt à vous engager de façon trop précoce hors les seuls cas où vous avez reçu assurance complète et écrite que votre seuil ne sera ni arasé ni dérasé et que vous ne sera pas soumis à dépenses exorbitantes (voir §8). La procédure pour manifester votre intention de respecter le classement sans pour autant mettre en danger votre bien est précisée au §6.

§5 Cas des études de rivière par syndicat dans le cadre du L 214-17 C env - Certains syndicats proposent de faire analyser par bureau d'études plusieurs moulins sur des tronçons de rivières classées à fin de continuité écologique, sur financement Agence de l'eau et en vue de proposer des solutions. Vous n'avez nulle obligation de payer pour cette étude (contrairement à la pratique plus ou moins illégale répandue en Adour-Garonne). Vous n'avez nulle obligation d'accepter que votre ouvrage soit étudié. Si vous souhaitez être intégré malgré tout dans l'étude, vous devez rappeler au syndicat et au bureau d'étude (BE) que la solution d'effacement n'est pas prévue par la loi. Nous avons conçu un questionnaire spécial pour les BE, que vous devez leur transmettre (lien pour le télécharger). Personne ne doit accepter un rapport de BE incomplet, partial, biaisé, manifestement rédigé pour faire un procès à charge des moulins et sans informations complètes sur les autres impacts de la rivière. Le rapport du BE doit intégrer la totalité des informations nécessaires à un aménagement proportionné aux enjeux (données écologiques, chimiques, culturelles, patrimoniales, juridiques, économiques, etc.). Attention, car les rapports incomplets ou biaisés d'un BE seront ensuite utilisés par l'administration pour prétendre que votre site a été analysé et que vous êtes contraint à des aménagements coûteux (voir §6). Il sera plus difficile et plus long d'apporter la preuve contraire devant un tribunal. C'est la raison pour laquelle, au vu des positions de l'Etat et si vous ne vous sentez pas capable d'argumenter avec le BE sur les points techniques à contrôler, il est préférable de refuser purement et simplement ce genre d'étude proposée par les syndicats de rivière.

§6 Courrier à la DDT-M : demande de motivation des mesures de police relatives à la continuité - Dans la dernière année du délai légal du classement, vous écrivez à la DDT-M de votre département en lui demandant, conformément à l'article L 214-17 C env, de proposer des solutions d'entretien, équipement et gestion de votre ouvrage ; de produire tous les documents permettant de motiver cette proposition administrative dans le respect de la procédure contradictoire ; d'établir que les propositions faites sont conformes aux enjeux écologiques de la rivière, qu'elles n'aggravent pas l'état chimique des eaux, que leur coût est proportionné à leur résultat ; que les droits des tiers sont préservés de même que la consistance de votre ouvrage légalement autorisé. Vous rappelez à la DDT-M que le texte de l'article L 214-17 C env exclut la solution d'effacement des ouvrages. L'ensemble de ces points est expliqué dans le modèle de questionnaire ad hoc que nous avons conçu (lien pour le télécharger, nous contacter pour obtenir la version traitement de texte modifiable). Il est donc important d'envoyer ce questionnaire avant échéance du classement : si la DDT-M n'y répond pas ou fait une réponse dilatoire, elle se met en tort. Vous n'avez pas à aménager votre ouvrage tant que la procédure contradictoire n'a pas été pleinement respectée par une motivation complète des mesures de police de l'administration. Si la DDT-M engage une mise en demeure d'aménagement sans avoir respecté cette procédure contradictoire, ou après y avoir répondu de manière dilatoire, l'arrêté de mise en demeure serait attaqué au tribunal administratif.

§7 Courrier à l'Agence de l'eau : demande de précision sur les financement exacts des dispositifs de continuité écologique - Dans la dernière année du délai légal, vous écrivez à l'Agence de l'eau dont vous dépendez en précisant que vous envisagez d'aménager votre ouvrage selon les prescriptions qui seront proposées par la DDT-M puis concertées par échange avec elle (cf §6), que la solution d'effacement total ou partiel est exclue (en conformité à la loi et au respect de la consistance légale de votre ouvrage autorisé), que vous souhaitez connaître avec précision le niveau de subvention accordé par l'Agence aux aménagements de continuité (changement de vanne, passe à poisson, rivière de contournement). Il est probable que l'Agence vous répondra qu'elle ne finance qu'entre 0% et 50% ce type de travaux. Si l'Agence fait une réponse dilatoire du type "nous décidons au cas par cas après examen", insistez en posant que vous ne sauriez engager aucune étude ni réflexion tant que vous ne connaissez pas à l'avance le barème précis des subventions accordées par l'Agence selon les divers types d'aménagement (ce barème est fixé par le conseil d'administration ou le comité de bassin de chaque Agence). Conservez la réponse écrite, qui servira si nécessaire à démontrer le caractère exorbitant de la dépense demandée pour l'aménagement et en dernier ressort à justifier des demandes d'indemnités à hauteur de la part non subventionnée par l'Agence. Le cas échéant, le contenu de la réponse pourra également servir à d'autres contentieux préparés par vos associations contre les Agences.

§8 Cas pour lesquels un accord est possible - Les seuls cas d'un accord possible sont ceux où l'on vous propose un financement public quasi-intégral d'un aménagement non destructif (à condition qu'il n'implique aucune autre servitude que l'entretien de l'aménagement, charge déjà lourde, ni aucun changement de la consistance légale de votre ouvrage), ou bien encore les constats par la DDT-M que votre ouvrage ne représente pas de problème de continuité écologique et n'appelle pas de travaux d'aménagement au titre du L 214-17 C env.

§9 Conclusion : répondre au harcèlement par le harcèlement, nécessité de l'unité - Les moulins sont victimes de harcèlement réglementaire au nom de réformes absurdes sur le plan des besoins réels pour la qualité de l'eau. Ils sont contraints de répondre au harcèlement par le harcèlement, et si nécessaire à l'absurde par l'absurde. Puisque l'administration est pointilleuse, il faut être pointilleux avec elle. Puisque l'administration prétend détenir les "preuves" que chaque ouvrage hydraulique pose un problème grave aux milieux, il faut lui demander de produire l'ensemble de ces preuves. Si des milliers de propriétaires d'ouvrages en rivière classée L2 agissent comme il est indiqué ci-dessus, les services de l'Etat et des agences seront débordés. Ils comprendront que toute tentative d'imposer un effacement (contraire à la loi) ou un aménagement coûteux sans indemnité (également contraire à la loi) sera vaine et ils feront remonter le problème à leur hiérarchie. La défense efficace des moulins dépend dans une très large mesure de leur capacité à se coordonner et à construire une stratégie cohérente de défense. A l'inverse, rester isolé et croire que vous arriverez à une solution amiable est le meilleur moyen de perdre vos droits, de dévaloriser votre bien et/ou de mettre le doigt dans l'engrenage de dépenses exorbitantes.

PS : bien entendu, si le Ministère de l'Ecologie reconnaît les excès de sa Direction de l'eau et produit une circulaire corrigeant les pratiques intenables des services instructeurs et des représentants de l'Etat dans les Agences de l'eau, le présent vade-mecum sera caduc et les moulins pourront reprendre une attitude plus ouverte dans la gestion commune et équilibrée de la rivière. Ce qui est notre souhait. Nous savons très bien que nombre de fonctionnaires en charge de l'eau, tenus par leur devoir de réserve, connaissent les difficultés du terrain, la complexité croissante de la réglementation, la disproportion entre le très faible impact des moulins et l'obsession de leur contrôle permanent, voire de leur disparition, par la Direction de l'Eau du Ministère. Rappelons que de nombreux moulins agrémentent le paysage des vallées, entretiennent le patrimoine historique et technique français, font vivre par les travaux de restauration l'artisanat des territoires ruraux, participent au tourisme local, gèrent les niveaux d'eau au bénéfice des riverains et de certains usagers tirant avantage de la retenue, donnent l'alerte en cas de pollution aiguë, retirent les déchets de la rivière pris dans leur grille, produisent une énergie locale bas-carbone qui limite le réchauffement climatique, ont généralement de bons rapports avec les pêcheurs et autres parties prenantes, ouvrent leurs portes aux écoles et aux curieux lors des journées nationales du patrimoine, des moulins ou de l'énergie. Le refus de reconnaître ces réalités, la volonté maladive de détruire les ouvrages hydrauliques, l'omission des droits des propriétaires et la tromperie organisée sur les causes réelles de dégradations des rivières sont à l'origine d'une rupture de confiance sans précédent entre les riverains et les représentants de l'Etat (ainsi qu'avec les syndicats de rivière, victimes indirectes de l'obligation de mettre en oeuvre des politiques décriées car infondées et disproportionnées).