28/01/2019

Les riverains en lutte pour sauver le canal d'Elne

Alors que Nicolas Hulot avait promis une continuité écologique "apaisée" pour calmer la colère croissante des riverains face aux destructions de moulins, forges, barrages et autres éléments hérités de la longue histoire des vallées, rien ne change en France : partout on persiste à détruire le patrimoine hydraulique, partout on assèche les biefs, les canaux, les étangs et les lacs, sans égard pour la biodiversité en place ni pour les avis des citoyens. Mais partout aussi émergent désormais des collectifs en lutte contre les diktats de l'Etat et de son administration trahissant l'esprit des lois. Les riverains du canal d'Elne ont rejoint ce mouvement, face aux menaces qui pèsent sur un site aux atouts remarquables. Voici leur appel, que l'on peut signer en ligne par solidarité.  Face à tout abus persistant, alors que le pays entier ne supporte plus l'absence de démocratie dans la conduite des politiques publiques et les erreurs de priorité en écologie, le mot d'ordre doit être clair : mobilisation des citoyens, contentieux devant les tribunaux, manifestations de terrain.




Sauvons le Canal d'Elne : un canal millénaire, un atout pour l’agriculture, l’écologie et le patrimoine ! 

Ce canal sur le Tech est aujourd’hui fortement menacé par une mauvaise interprétation de la loi qui conduira à la destruction du seuil permettant son alimentation à partir de la rivière et, par là-même, à faire disparaître à terme le canal.

Le Canal d’Elne est un atout indispensable pour lutter contre les effets du réchauffement climatique ; il doit absolument pouvoir continuer à couler librement.

Aux agriculteurs, propriétaires et riverains, défenseurs de la nature, amoureux d’un patrimoine millénaire et simples promeneurs attachés à un paysage traditionnel.

Dans la vallée du Tech, en l’absence de retenue d’eau, le seul moyen de retenir la circulation de l'eau douce vers la mer est le remarquable et ancestral maillage de nos canaux d'arrosage, dont celui d’Elne, le plus ancien sur le Tech, et de leurs ruisseaux adjacents.

Les fonctions du Canal d’Elne sont multiples :
  • Il permet depuis des siècles d’alimenter les nappes phréatiques et il est aujourd’hui un moyen efficace et indispensable pour lutter contre les effets du réchauffement climatique.
  • Il préserve une ressource en eau pour une agriculture responsable du présent et du futur de plus en plus menacée. Il pourrait être raccordé au réseau souterrain de l’ASA de Villeneuve.
  • En cas de fortes précipitations, il permet d'évacuer les trop-pleins des eaux de pluie en régulant les eaux d’inondation par son réseau.
  • Il conserve la biodiversité de la flore et de la faune des rives et berges humides installées depuis un millénaire tout au long d’un corridor de 17 km pouvant être aménagé facilement en voie bleue ou voie verte dans un paysage agréable.
  • Il maintient la permanence d’une zone humide à l’échelle du delta du Tech (le canal alimente en partie l’étang de Canet et la lagune de Saint Cyprien).
  • Il préserve les échanges verticaux et latéraux de la zone humide avec les nappes aquifères sous-jacentes.
  • Le patrimoine culturel et historique du Canal d’Elne se compose de sept moulins médiévaux et de divers ouvrages d’art constituant un argument touristique concrétisé aujourd’hui par deux gites.
  • Plusieurs moulins ont conservé une partie de leur chute d’eau et leurs vannes qui, restaurées, pourraient générer une production énergétique intéressante. Le seuil en lui-même présente un potentiel important de 216 kW soit un productible de 1 015 000 kW/h par an (DREAL 2011).


Les manifestations publiques organisées par le Collectif de défense ont rappelé ces atouts. Or le Canal d’Elne et son maillage sont désormais menacés. Pourquoi ?

L’administration en charge de l’eau a engagé en 2009 un plan d’action pour la restauration de la «continuité écologique» des cours d’eau, et procédé en 2012-2013 au classement, à cette fin, de nombreuses rivières. La «continuité écologique» veut dire en réalité, sous un vocable flatteur et consensuel, l’éradication de tous les obstacles sur les rivières, dont de nombreux moulins ont déjà fait les frais en France ainsi que des ouvrages d’art comme les seuils ou rescloses permettant d’alimenter les canaux. Au vu d’une affirmation très douteuse concernant la présence de deux nouveaux poissons migrateurs, le cours inférieur du Tech, dans un premier temps épargné, a été reclassé dans la catégorie des rivières devant aménager la «continuité écologique», et accessoirement, celle de «continuité sédimentaire».

Ce classement menace directement le seuil (resclosa) qui permet depuis un millénaire à l’eau du Tech d’alimenter le canal d’Elne par gravité, c’est-à-dire sans aucun besoin d’énergie.

Le système actuel de circulation de l’eau du Canal emprunte des anciens bras d’inondation du Tech ; son alimentation et son cours se réalisent par simple gravité. La menace administrative s’exprime par différentes solutions successivement envisagées et abandonnées, traduisant ainsi la perplexité des acteurs. L’arasement total de la resclosa, un temps préconisé, a été remplacé par un projet d’abaissement du seuil, ce qui ne change rien pour ce qui concerne l’alimentation du canal puisque la hauteur du seuil actuel permet tout juste à l’eau d’entrer dans la prise du canal. A cet aménagement menaçant l’alimentation gravitaire, a succédé un projet d’alimentation intermittent par des pompes électriques énergivores par nature et dont le prix d’achat et le coût de maintenance ne sont pas évalué.

Nous sommes favorables, bien sûr, à l’amélioration des conditions de vie des poissons migrateurs, même si leur présence est ici hypothétique. Mais, pour une gestion équilibrée, cette politique doit respecter les autres dimensions de la biodiversité. C'est ce principe que la loi impose, mais que l'administration méconnait. L’écologie ne se réduit pas à une sanctuarisation des milieux ou à un retour hypothétiquement originel. Les aménagements «doux» de continuité (vannes, passes à poissons, rivières de contournement) constituent autant de pistes qui n’ont pas été envisagées.

Les atouts du Canal d’Elne ont été souvent ignorés et minimisés par les administrations en charge de l’eau dont la priorité va au respect mécanique et à l’application dogmatique d’une consigne qui est inadaptée aux conditions environnementales de la zone humide du Canal d’Elne et du delta du Tech.

Aussi par cette pétition :

  • Nous nous opposons à la destruction même partielle du seuil permettant l’alimentation du Canal d’Elne, comme nous refusons tout ouvrage hydraulique qui menacerait la permanence de cette alimentation.
  • Nous nous opposons à la perte du droit millénaire Fondé en Titre qui rendrait la mesure définitive et à tout jamais irréversible.
  • Nous déplorons la manière dont les diverses collectivités et organismes instruisent la continuité écologique du cours inférieur du Tech et, en particulier les refus d'associer le Collectif de défense aux travaux menés par les administrations ainsi que l'absence de réponses aux demandes légitimes d'éclaircissement formulées par l'association.
  • Nous refusons l’application « à l’aveugle » d’une continuité écologique agressive et destructrice qui n’est plus acceptable et n'est plus acceptée, comme l’ont déjà reconnu les rapports parlementaires et les audits administratifs en d’autres régions de France.
  • Devant la méconnaissance des atouts du canal, nous contesterons, si nécessaire en justice, les décisions qui seront prises si elles devaient persister dans le sens actuel d’une volonté systématique de destruction des ouvrages.

Pour signer ce texte

25/01/2019

Première évaluation européenne du potentiel énergétique des moulins à eau et autres ouvrages anciens (Punys et al 2019)

Le projet européen RESTOR Hydro (2012-2015) a effectué un premier recensement des sites anciens sur les rivières européennes, comme les moulins à eau, dans le but de relancer leur production énergétique. Des chercheurs publient les résultats. Environ 65000 sites de production potentielle sont déjà identifiés. Avec 24748 ouvrages soit près de 40% du total, la France est le pays le mieux doté en nombre total d'ouvrages anciens, quoique d'autres (Slovénie, Belgique, Luxembourg) ont une densité en rivière supérieure. Une fois retiré les sites difficiles à modifier en raison de protection environnementale ou patrimoniale, le potentiel de production pourrait être de 6,8 TWh. C'est une première base de réflexion que nos décideurs doivent saisir. En commençant par cesser la destruction de ce patrimoine exceptionnel au nom de la continuité écologique, alors que l'Europe doit atteindre le zéro émission carbone dès 2050, selon les accords de Paris et les préconisations du GIEC. Restaurons et équipons donc ces ouvrages encore en place, dont certains ont apporté de l'énergie à nos territoires pendant près d'un millénaire. 

L'Europe et d'autres parties du monde cherchent des moyens de développer davantage l'hydroélectricité, de la rendre plus durable. Le projet RESTOR Hydro, cofinancé par le programme Énergie intelligente pour l'Europe de l'Union européenne (2012-2015), est l'une des tentatives les plus récentes. Comme le rappellent Petras Punys et ses quatre collègues, RESTOR Hydro "visait à accroître la production d'énergie renouvelable à partir de mini- et micro-centrales hydroélectriques, en identifiant et en restaurant les sites historiques, les anciennes usines hydroélectriques, les sites de barrages et autres structures en rivière".

L'un des principaux résultats de ce projet a été une carte en ligne accessible au public, visant à cartographier les emplacements et les principales caractéristiques des mini- ou micro- sites hydroélectriques historiques, sans exclure les plus grands (1-10 MW). Quelque 65 000 points de données ou sites hydroélectriques potentiels sont présentés sur cette carte en ligne. Les sites individuels avec informations concises sur l'emplacement, le type de structure (moulin à eau, seuil, déversoir), la disponibilité de l'électricité, la sensibilité environnementale et la valeur historique sont affichés à l'échelle du pays. Cependant, aucune estimation de la production potentielle d’hydroélectricité n’est fournie.


Carte des sites recensés en Europe et de leur usage historique extrait de Punys et al 2019, art cit.


Les petites rivières ont joué un rôle essentiel dans l’économie européenne en fournissant ses besoins en énergie à partir du Moyen Âge, et il existe aujourd'hui encore de nombreux moulins à eau et seuils emblématiques, ou leurs vestiges.

Les chercheurs observent ainsi : "Dans l’UE, un potentiel de production hydroélectrique économiquement viable et écologiquement durable est présent dans des milliers de moulins à roues, moulins foulons, scieries, et autres sites historiques, principalement des systèmes à basse chute. Une estimation préliminaire suppose que plus de 350 000 micro ou mini-sites hydrauliques auraient pu exister en Europe à un moment ou à un autre. En raison des changements dans les modes d'utilisation, du réajustement des cours d'eau, de la préservation environnementale nécessaire, tous ces sites historiques ne devraient pas être récupérables aujourd'hui. De nombreux bâtiments et infrastructures historiques se situent dans des «zones de beauté naturelle exceptionnelle» ou autres zones sensibles du point de vue de l’environnement. Obtenir les autorisations nécessaires pour entreprendre des travaux de construction civile dans de tels endroits ne serait probablement pas permis par une législation restrictive."

Le rythme de développement des petites centrales hydroélectriques de l'UE a été relativement décourageant au cours de la dernière décennie, et même les plans nationaux sur les énergies renouvelables publiés ne prévoyaient pas d'objectif considérable pour le secteur. Selon les chercheurs, "cela est dû non seulement à des questions économiques et sociales, mais aussi à des exigences environnementales. Au cours des dix dernières années, le potentiel des nouvelles petites centrales hydro-électriques  a été considérablement affecté, la tendance à la baisse découlant de la législation environnementale qui protège des zones désignées, telles que Natura 2000, les zones affectées par la directive-cadre sur l'eau (DCE), etc."


Carte des sites recensés en Europe selon leur condition de restauration, extrait de Punys et al 2019, art cit.


Quelques résultats de ce travail :

  • La plus forte densité de sites hydroélectriques (nombre de sites par 1000 km2) a été identifiée en Slovénie (99,4), en Belgique (83,5), au Luxembourg (44,1) et en France (39,1).
  • La France, qui totalise 24 748 centrales hydroélectriques potentielles, est clairement en tête des pays de l'UE et représente 38,1% du total.
  • En Europe, le plus grand nombre de sites hydroélectriques dans les pays étudiés se situe en dessous de 40 kW ou groupe de capacité potentielle P1 (59 280 soit 91,33% du total des sites). Viennent ensuite le groupe de capacité P2 (entre 41 et 300 kW) avec 4951 sites soit 7,63% du total, et P3 (entre 301 kW et 1 MW) avec 549 sites soit 0,85% du total. Très peu de sites (seulement 124) ont été identifiés comme étant compris entre 1 et 10 MW, le groupe de capacité potentielle P4 (0,19% du total des sites).
  • Au total, 11 703 sites hydroélectriques sont situés en zones Natura 2000. Les plus grands nombres de moulins à eau Natura 2000 se trouvent en France (857), en Grèce (656), en Allemagne (612) et en Italie (515). Les plus grands nombres de seuils dans les zones Natura 2000 ont été trouvés en Pologne (1356), en France (732) et en Slovénie (380); et pour les sites de nature inconnue en France (3216), en Pologne (741) et en Slovénie (269).
  • Environ 6,8 TWh d’électricité (valeur estimée avec diverses incertitudes) pourraient être produits sur les sites historiques en situation la plus favorables. Cela représente en moyenne 16,5% du potentiel de petite hydroélectricité restant dans les pays de l’UE étudiés (part très variable, de 2 à 78% selon les pays).

Les chercheurs concluent : "Une façon d'améliorer cette évaluation consisterait à incorporer tous les attributs spatiaux des sites potentiels (hydrologie, topographie, etc.) à un algorithme mathématique permettant d'évaluer avec précision les caractéristiques de l'hydroélectricité des sites individuels. Une bonne expérience d’une telle méthodologie existe aux États-Unis."

Discussion
Restaurer et équiper les ouvrages en place pour éviter d'en construire de nouveaux en grand nombre et d'artificialiser des rivières intactes : voilà qui pourrait être une stratégie de bon sens en énergie et écologie.

Comme l'observent les chercheurs, "le potentiel hydroélectrique de l'UE économiquement réalisable et compatible avec l'environnement est presque épuisé (principalement dans les anciens pays de l’UE), et les nouvelles fragmentations des fleuves ne sont pas encouragées. Les documents de politique environnementale recommandent de commencer par moderniser les centrales hydroélectriques existantes avant de procéder à de nouveaux développements ou d'utiliser les structures existantes dans les cours d'eau – barrages, seuils, etc. Ainsi, on suppose que le développement de certains barrages non électriques à des fins énergétiques est réalisable avec un coût d'installation réduit, un coût unitaire moyen d'énergie moins élevé, moins d'obstacles au développement, moins de risques technologiques et commerciaux et dans un délai plus court que le développement induit par la construction de nouveaux barrages."

Et ils ajoutent : "Mais en réalité, ce patrimoine hydroélectrique industriel est souvent négligé dans les projets de restauration des rivières."

Nous ne pouvons hélas que confirmer leur constat pour le cas de la France : les diagnostics hydro-électriques de chaque bassin, qui devaient être obligatoires dans les SDAGE et les SAGE, ont été au mieux fait rapidement dans les années 2010, en excluant souvent les sites de moins de 100 kW (les plus nombreux) au niveau des SDAGE, et généralement sans aucun intérêt de suivi par les gestionnaires. Et pour cause : le ministère de l'écologie et les représentants de l'Etat dans la plupart des agences de l'eau ont décidé d'engager tout le soutien public à la destruction de ce patrimoine ancien au nom de la continuité écologique. Ce choix est vivement contesté, et les audits administratifs montrent que la réforme a été mal menée.

Le travail de Petras Punys et de ses collègues suggère que le choix de la destruction est une erreur du point de vue de la mobilisation des ressources bas carbone. A l'heure où la France a décidé de relancer l'hydro-électricité dans sa programmation pluri-annuelle de l'énergie, les arbitrages de l'Etat doivent changer. L'amélioration écologique de la gestion des ouvrages est compatible avec leur relance énergétique, cela sans ajouter de nouvelles pressions morphologiques aux rivières.

Référence : Punys P et al (2019), An assessment of micro-hydropower potential at historic watermill, weir, and non-powered dam sites in selected EU countries, Renewable Energy, 133, 1108-1123

23/01/2019

Les riverains demandent à la justice d'annuler le projet de destruction des barrages de la Sélune

Trois recours en justice ont été déposés contre les arrêtés de destruction des barrages hydro-électriques et des lacs de la Sélune. Le combat judiciaire s'ouvre donc tandis que la mobilisation des riverains continue sur le terrain. Sur ce fleuve normand, ce sont 20 000 citoyens qui ont refusé la disparition de leur cadre de vie imposée par le ministère de l'écologie. Casser sur argent public des outils de production bas-carbone et de retenue d'eau en pleine transition est incompréhensible. La préservation des saumons peut être assurée par d'autres moyens que ce choix disproportionné de la destruction – d'autant que les cadeaux de l'Etat au lobby des pêcheurs de saumons font douter de la sincérité écologique de ce projet. Quoiqu'il en soit, le contentieux judiciaire est désormais ouvert : nous attendons du gouvernement qu'en plein débat national sur la nécessité de mieux écouter les attentes des Français, il respecte le temps de la justice et entende toutes les parties prenantes.


Les avocats des riverains de la Sélune et de l'association les Amis du barrage ont déposé  auprès du Tribunal administratif de Caen trois recours contre la destruction des ouvrages hydrauliques annoncée par Nicolas Hulot en 2018.

Les trois procédures concernent :

  • un référé-suspension visant à obtenir la suspension des opérations de démantèlement du barrage de Vezins qui devraient intervenir dès le mois d’avril,
  • un recours de plein contentieux contre l’arrêté « complémentaire » du préfet de la Manche portant sur la démolition du barrage de Vezins,
  • un autre recours de plein contentieux contre l’arrêté « complémentaire » du préfet de la Manche portant sur la démolition du barrage de la Roche-qui-Boit.

La bataille judiciaire est donc engagée, en même temps que la bataille de terrain puisqu'une manifestation unitaire gilets jaunes - riverains avait eu lieu voici quelques semaines. Les syndicats EDF ont déjà déploré la casse de ces outils de production à l'heure où l'on proclame l'urgence climatique.

Notre association avait écrit au ministère de l'écologie, qui n'a jamais daigné répondre aux arguments avancés, ni faire la politesse d'un semblant de concertation. Le niveau de mépris de la haute fonction publique française pour les règles élémentaires du débat démocratique est devenu assez effarant...

Le projet de destruction des barrages de la Sélune est avant tout un cadeau de l'Etat au lobby des pêcheurs de saumon, alors que le gain pour cette espèce (1300 saumons remontants, moins que le nombre d'animaux tués pour la seule pêche de loisir en France) est négligeable par rapport aux coûts engagés et que le saumon est déjà présent dans les autres bassins versants des rivières de la région, ainsi qu'à l'aval des barrages sur la Sélune.

Les motifs de refuser la destruction des sites sont nombreux :
  • ce projet altère le cadre de vie des 20 000 riverains qui se sont exprimé à 99% contre la destruction de leur vallée aménagée, une protestation qui prend un sens nouveau à l'heure où la crise des gilets jaunes a révélé l'exaspération des Français face aux mesures autoritaires et punitives imposées depuis Paris,
  • ce projet a un coût public important (au moins 50 M€) et évitable, cela ne passe pas à l'heure où tout le monde est censé se serrer la ceinture, où les collectivités manquent de moyens pour des choses essentielles, où l'Etat peine à financer des dépenses publiques prioritaires,
  • ce projet contredit la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement, en détruisant des outils de production bas-carbone déjà en place et pouvant produire plusieurs décennies encore, cela alors que deux millions de Français ont demandé à l'Etat d'engager la lutte pour le climat et que le débat public sur la programmation énergétique nationale a conclu à la nécessité de développer l'hydro-électricité,
  • ce projet anéantit un écosystème de lacs et les espèces qui en profitent, ainsi que les services écosystémiques associés à ces lacs,
  • ce projet met en danger l'aval du fleuve et la baie du Mont Saint-Michel (pollution, inondation),
  • ce projet prive la population de réserves d'eau alors que tous les modèles prévoient une instabilité hydro-climatique croissante et une aggravation des étiages,
  • ce projet a une alternative énergétique et écologique viable, y compris pour transporter le saumon à l'amont des barrages et déjà vérifier que les habitats y sont propices à sa reproduction, ce qui n'est nullement garanti.
Ajoutons que le SADGE Seine-Normandie a été annulé en décembre 2018 par la justice alors que les dépenses de financement de l'agence de l'eau - principal bailleur public - pour détruire les ouvrages de la Sélune ont été votées au nom de ce texte, désormais caduc et non opposable.

Nous demandons donc au gouvernement français de revenir sur ce projet dépassé, conflictuel et contraire à l'intérêt général des citoyens. Le débarrage des rivières doit se faire quand les ouvrages sont en fin de vie et présentent des risques de sécurité. Mais l'expertise n'a rien indiqué de tel sur la Sélune.

Illustration : manifestations contre la casse des barrages et des lacs en décembre 2018, Ouest France, droits réservés.

21/01/2019

Plan saumon 2019-2014 : donnez votre avis

Pour répondre aux recommandations émises par l’organisation de conservation du saumon de l’Atlantique nord (OCSAN), la France a élaboré un plan de gestion du saumon atlantique, mis en œuvre pour les périodes 2008-2012 et 2013-2018. Lors de la session annuelle de l’OCSAN en juillet 2018, il a été demandé de renforcer les plans selon de nouvelles recommandations pour la période 2019-2024. Le nouveau plan français de gestion du saumon 2019-2024 est soumis à la consultation publique. Nous incitons nos lecteurs, et en particulier les associations en rivières salmonicoles, à y déposer leurs avis. Notre association observe pour sa part divers biais et carences dans l'action de l'Etat français. 



A la lecture des réponses françaises aux demandes de l'OCSAN, nous observons les points suivants.

- Les association de riverains, de moulins, de protection du patrimoine ne sont pas couramment invitées dans les instances de gestion du saumon en France (Cogepomi-Plagepomi) ni consultées dans la phase d'élaboration des plans par bassins versants.
Notre demande : une consultation en mode ouvert de tous les documents dans la phase d'élaboration des plans, une intégration des associations en lien à la rivière et aux ouvrages. 

- L'Etat ne produit pas de synthèse des résultats des précédents plans pour évaluer leur efficacité : sommes investies, évolutions démographiques des reproducteurs remontants, courbes de tendances par bassin, test de puissance sur la significativité des résultats par rapport à la variabilité internannuelle connue, etc.
Notre demande : un bilan complet de la politique saumon en France permettant aux citoyens de juger sur des faits et des chiffres précis.

- L'Etat ne produit aucune synthèse claire et chiffrée des objectifs du nouveau plan 2019-2024, notamment aucun objectif qui permettrait de faire le bilan de son efficacité à terme.
Notre demande : un engagement sur des résultats vérifiables dans le plan 2019-2024.

- Le contrôle de la pression de pêche manque de transparence et de cohérence, alors que le problème est connu depuis longtemps et que les structures de pêche bénéficient de soutiens publics. Ainsi, les totaux autorisés de capture (TAC) ne sont pas généralisés et/ou n’ont pas toujours les mêmes méthodologies, certains bassins sont en interdiction complète de pêche (axe Loire-Allier) d’autres non (malgré des fortes demandes du gestionnaire public aux autres usagers de l’eau pour une espèce menacée dont la pêche de loisir devient alors peu audible…), les non-déclarations de capture sont mal connues et les pressions de contrôle faibles, les effets génétiques des empoissonnements de soutien par pisciculture sont peu étudiés, les pressions en mers et estuaires sont difficilement évaluées, etc.  Il est souhaité que l’Etat français repense ces questions à nouveaux frais et que l’usage pêche fasse l’objet d’investigations scientifiques plus sérieuses, énormément ayant déjà été fait sur l’étude des autres usages. De nombreux travaux scientifiques justifient l'intérêt d'une telle enquête.
Notre demande : une analyse scientifique indépendante de la pression de pêche de loisir et de pêche commerciale en estuaire, ainsi que des empoissonnements par saumons d'élevage.

- La question de la protection et la restauration de l’habitat du saumon est entièrement centrée sur la continuité en long. C'est un biais actuel des politiques publiques de rivière en France, avec parfois une dépense indue sur des ouvrages anciens dont il a été montré qu'ils sont franchissables par des saumons. En se concentrant à l'excès sur la continuité - dont il ne fait aucun doute qu'elle est par ailleurs un point d'importance pour les migrateurs -, l'Etat ignore ou minimise les problèmes de pollution et de qualité physico-chimique de l’eau, l'évolution des apports sédimentaires (matières fines), les pathologies, le changement climatique, la prédation et les espèces invasives (silures par exemple). L'action engagée ne permet pas d'évaluer correctement le poids relatif des discontinuités par rapport à d'autres causes.
Notre demande : une analyse comparative France entière des populations de saumons entre rivière non restaurée, rivière partiellement restaurée et rivière totalement restaurée en continuité, avec descripteurs des autres impacts de bassin versant.

- La phase océanique du saumon est mal évaluée (taux de survie, évolution des ressources alimentaires en zones de grossissement, routes migratoires etc.), de même que l’évolution génétique et phénotypique des populations (tendance à la baisse de taille assez documentée, mais mal expliquée).
Notre demande : une synthèse sur les causes océaniques de variation des populations de saumon.

Conclusion
Il se pose in fine la question de «l’état de référence» pour la politique du saumon : que veut-on au juste? Les données d’histoire et archéologie environnementales montrent sans ambiguïté que le saumon était jadis répandu jusqu’en tête de nombreux bassins versants de la France métropolitaine. Il y a eu régression sur plusieurs siècles, pour de multiples causes (obstacles à la migration de plus en plus hauts, mais aussi pêches, pollutions, changements hydroclimatiques, évolutions sédimentaires liées aux usages des sols, espèces concurrentes introduites, prélèvements quantitatifs sur les débits, etc.). Certaines de ces causes correspondent aussi à l’évolution démographique, économique, technologique des sociétés modernes, et revenir au niveau de pression de la sortie du Moyen Âge (voire avant) n’est guère envisageable. Il serait donc utile d’avoir une stratégie permettant
  • d’évaluer le coût-bénéfice des mesures déjà prises ; 
  • de prioriser les choix plutôt que de disperser des financements sur un peu tous les bassins  ; 
  • d’observer, selon le niveau de pression actuel (descripteurs de qualité DCE + base usages des sols) le taux de migration-reproduction des saumons (analyse multivariée sur toutes les rivières salmonicoles),  de définir des baselines réalistes, d’estimer la robustesse de certains modèles déterministes habitat-démographie qui irriguent encore la décision, mais dont la puissance de prédictivité ne nous paraît pas assez contrôlée  ; 
  • d'évaluer l'effet des différentes stratégies de franchissement d'obstacles aux migrations (suppression, passes, rivières de contournement, ouvertures de vannes)
  • éventuellement de définir des rivières pilotes à fort investissement pour évaluer un potentiel de conquête, ses coûts et ses effets socio-économiques : 
  • de démocratiser la gouvernance de ces questions, car les choix publics en écologie sont aussi des choix sociaux excédant le cercle des experts (ou d’usagers ayant intérêt particulier à agir sur le saumon). 

Illustration : juvéniles de saumon, appelés tacons (Peter Steenstra, Green Lake National Fish Hatchery, United States Fish and Wildlife Service, domaine public). 

18/01/2019

Les ombres et les truites franchissent les ouvrages anciens des moulins à eau (Ovidio et al 2007)

Un suivi radiotélémétrique de 79 truites et ombres sur des affluents de la Meuse montre que les poissons parviennent à franchir ou à contourner les seuils de moulins anciens lors de leur période migratoire. Dans certains cas, les poissons ont franchi l'obstacle sans emprunter la passe à poissons. Ce résultat contredit l'idée que les salmonidés holobiotiques d'eau douce trouveraient toujours dans l'hydraulique ancienne des obstacles insurmontables à leur cycle de vie. Le travail de ces chercheurs français et belges doit être versé dans le débat actuel sur la priorisation des ouvrages hydrauliques au titre de la continuité écologique. Il devrait conduire à exempter tous les ouvrages présentant des chutes modestes, contournables voire noyées en hautes eaux. Arrêtons le maximalisme qui coûte cher, produit du conflit, ne répond à aucune urgence pour le vivant. L'avenir est dans une bonne gestion des ouvrages anciens selon les caractéristiques de biodiversité de leurs habitats et les besoins migratoires d'espèces piscicoles présentes, mais pas dans la casse indistincte de tout élément du patrimoine hydraulique ni dans l'obligation systématique de passes au rapport coût-bénéfice parfois douteux.


Photos extraites d'Ovidio et al 2007, art cit. Les ouvrages étudiés (seuils, chaussées) sont caractéristiques des moulins anciens. Les flèches rouges indiquent les voies de passage privilégiées.

L'étude de M. Ovidio et ses collègues (Université de Liège, Cemgraf devenu Irstea) avait été menée dans les rivières Aisne, Néblon et Lhomme, trois sous-affluents de salmonidés du bassin de la Meuse traversant le sud de la Belgique.

Entre 1996 et 2004, des truites fario adultes Salmo trutta (n=40) et des ombres communs Thymallus thymallus (n=39) ont été suivis par radio dans ces trois rivières afin d'évaluer leurs capacités pour contourner ou franchir divers seuils. Au cours de leurs migrations vers l'amont, les individus ont rencontré différents types d'obstacles physiques et en ont franchi avec succès, dans des conditions environnementales variables. Les ouvrages franchis par les poissons ont été caractérisés sur la base d'un protocole de description topographique et comparés aux données de suivi.



Trois types d'ouvrage : une chute verticale ou quasi verticale, une chute à parement inclinée avec radier plus ou moins long, un mixte des deux. Les données d'intérêt sont notamment la hauteur totale, l'existence d'une fosse d'appel plus ou moins profonde à l'aval de la chute, la hauteur de la ligne d'eau sur les parements inclinés.  Planche extraite d'Ovidio et al 2007, art cit. Cliquer pour agrandir.

Les obstacles identifiés comme des chutes avaient une élévation de la crête de 0,39 à 1,89 m et un bassin d'appel aval allant de 0,07 à 0,77 m. La longueur des obstacles variait de 0,54 à 8 m, avec des pentes comprises entre 4% et 74%.

La tableau ci-dessous (cliquer pour agrandir) donne les caractéristiques physiques de ces ouvrages.



Dans l'Aisne, 100% des poissons (truites et ombres) ont pu contourner les obstacles lors de la migration en amont. Les poissons réussissaient généralement à franchir les obstacles entre deux sites à 24 heures d'intervalle, sauf à deux occasions où il a fallu 2 et 3 jours. Bien qu'un ouvrage soit équipé d'une passe à poissons haute performance, certains individus ont contourné l'obstacle sans utiliser la passe. Sur le Néblon, un obstacle a été franchi en 3 jours, deux individus ne l'ont pas passé. Un ombre a facilement franchi un obstacle à deux reprises. Un autre a été contourné par une truite, mais un ombre situé en aval pendant la migration n'a pas réussi à le négocier. Dans la Lhomme, une truite a négocié un obstacle en 2 jours. Les temps sont donc variables.

Les auteurs concluent notamment :
"La plupart des poissons ont pu franchir tous les obstacles le long de leur route de migration dans les conditions existantes de température et de débit de l'eau. En raison de ce taux de réussite élevé, il n'a pas été possible de discriminer entre les individus qui ont réussi à négocier ou non les obstacles." 

Ils ajoutent :
"Il faut également veiller à ne pas prendre en compte tous les poissons qui n'ont pas tenté de négocier les obstacles avec succès, car l'aval d'un barrage peut être propice à la truite fario qui, par exemple, peut élaborer une stratégie de résidence permettant des taux de croissance très élevés tout en évitant les risques inhérents aux migrations à longue distance. La truite fario et l'ombre commun ont également fréquemment frayé dans des environnements de lits de gravier en aval d'obstacles (Ovidio et al., 2004). L'observation visuelle des poissons qui tentent de franchir des obstacles est une meilleure méthodologie pour distinguer les tentatives réussies et les tentatives infructueuses (Lauritzen et al. 2005)."
Discussion
Notre expérience associative en têtes de bassin bourguignonnes nous a souvent amenés à rencontrer des ouvrages hydrauliques comparables à ceux décrits dans ce travail de recherche, aussi bien en région cristalline (Morvan) que sédimentaire (Auxois, Châtillonnais). Il n'est pas rare sur ces petits cours d'eau que plus des trois-quarts des ouvrages datent de l'Ancien Régime, nombre d'entre eux étant restés dans leur configuration d'origine. La capacité des poissons à franchir ou non de tels ouvrages est un motif régulier de désaccord entre les riverains et les gestionnaires (syndicats, services instructeurs de l'Etat, agences de bassin).

La réforme de continuité écologique en France a été initialement portée sous un angle maximaliste. Tout une partie de l'administration (direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie, certaines agences de l'eau, l'AFB-Onema) voulait aller bien au-delà des prescriptions de la directive européenne sur l'eau de 2000 comme des lois de 2006 (continuité) et de 2009 (trame bleue), en s'intéressant non pas à des franchissements pour des espèces cibles présentant des déficits dans les rivières, voire protégées car menacées d'extinction (saumon, anguille), mais à une "renaturation" complète avec destruction préférentielle de l'ouvrage et de ses habitats. Cette radicalisation a suscité de vives protestations quand elle se traduisait par une pression univoque à la casse du patrimoine sans réflexion sur la hiérarchie des impacts et par un refus de financement public de solutions plus douces (ouverture de vannes, rivières de contournement, passes à poissons). Le blocage a conduit à plusieurs corrections de la loi visant à protéger les ouvrages, à des audits administratifs et à des évolutions ministérielles.

Face au trop grand nombre d'ouvrages classés au titre de la continuité (plus de 20000) et face au coût public-privé trop lourd des chantiers, nous sommes aujourd'hui revenus à une logique de priorisation: redéfinir les axes fluviaux, les tronçons, les ouvrages et les espèces qui sont réellement d'intérêt prioritaire en restauration de continuité. Ce travail de M. Ovidio et de ses collègues, comme le précédent déjà recensé (Philippart et Ovidio 2007), sera à verser au dossier de cette priorisation quand les services de l'Etat proposeront de débattre de leur grille d'analyse et préconisation. Nous sommes toujours en attente aujourd'hui du lancement de ces discussions ouvertes, dont la transparence méthodologique devra être irréprochable.

Référence : Ovidio M etal (2007), Field protocol for assessing small obstacles to migration of brown trout Salmo trutta, and European grayling Thymallus thymallus: a contribution to the management of free movement in rivers, Fisheries Management and Ecology, 14, 41–50