17/09/2020

L'opposition nature-société comme erreur fondatrice de la directive européenne sur l'eau et de la continuité écologique (Linton et Krueger 2020)

Selon deux chercheurs, la directive cadre européenne sur l'eau de 2000 est née sur une "erreur ontologique" : l'idée que l'on pourrait décrire une rivière naturelle de référence à partir de normes et métriques s'inspirant d'une nature sans humain. Cette posture permet de parler un langage de l'efficience technocratique mais elle ne décrit pas la réalité de l'eau. En fait, cette vue des gestionnaires publics est fondée sur une séparation idéologique de la nature et de la société, alors que l'examen de la réalité montre leur fusion dans une nature "hybride", une nature construite depuis longtemps à l'interface des échanges entre l'humain et le non-humain. Point remarquable : les universitaires considèrent comme une manifestation de cette erreur l'échec de la continuité écologique en France, où ces contradictions ont éclaté au grand jour par la résistance d'une partie de la société à se voir imposer une négation des natures vécues au profit d'une nature théorique créée par le pouvoir normatif. Cette critique allant à la racine des problèmes est évidemment celle que constate, partage et porte notre association! 

Dans la revue de Water Alternatives, Jamie Linton (université de Limoges) et Tobias Krueger (université Humboldt de Berlin) livrent une analyse détonnante de la directive cadre européenne sur l'eau de 2000 (DCE 2000), à l'occasion de son 20e anniversaire et de son processus de révision en cours.

Comme on le sait, la DCE 2000 visait le bon état chimique et écologique de toutes les masses d'eau du continent à horizon 2015, avec prorogation 2021 et 2027. C'est un échec, nous sommes encore loin des objectifs (moins de la moitié des masses d'eau sont en bon état), les avancées sont très lentes. 

Pour Linton et Krueger, cet échec était inscrit dans le texte même de la DCE, son épistémologie, son ontologie de la nature. Ils écrivent : "l'incapacité à atteindre les objectifs de mise en œuvre de la directive-cadre sur l'eau (DCE) n'est pas due à un manque de volonté politique ou à des déficits de mise en œuvre; elle est plutôt due à un problème conceptuel fondamental que nous caractérisons comme une erreur ontologique intégrée dans la directive. Cette erreur ontologique est fondée sur une séparation conceptuelle radicale de la nature de la société humaine, que Bruno Latour a identifiée il y a plus de 25 ans comme la «Constitution moderne» (Latour, 1993)"

La DCE a en effet produit l'idée qu'il existe une "condition de référence" d'une rivière ou d'un plan d'eau, formé par son état avec très peu ou pas d'influence humaine. Il y a donc une césure intellectuelle radicale : la nature normale (au sens de la norme) est la nature sans l'humain, il faut viser le retour de cette normalité. Au coeur de son modèle d'interprétation, la DCE utilise le système "DPSIR" pour Driver-Pressure-State-Impact-Response. Les moteurs de l'action humaine (causes) formes des pressions (pollutions, dégradations) qui produisent un état  (qualité du milieu) ayant un impact (santé, écosystème, économie) appelant des réponses (politiques et objectifs). En voici le schéma:


Les auteurs remarquent : "On note la séparation radicale des humains de la nature qui est intégrée dans ce modèle, de sorte que les actions humaines sont a priori présentées comme nocives et dégradantes. Ce fondement ontologique du modèle est essentiel à son intégrité. À chaque étape, la société est extérieure à la nature; selon le modèle, par ses diverses activités, la société exerce ce qui ne peut être que des pressions néfastes. Selon le modèle, les seules qualités rédemptrices dont la société dispose sont les réponses dédiées qui ont pour but de corriger ou d'atténuer les pressions néfastes."

Ce modèle a été adopté au moment où la gouvernance occidentale, souvent décrite comme "néolibérale", était en recherche d'une généralisation des approches coût-efficacité impliquant que tout soit commensurable et programmable. En développant dans toutes les étapes du modèle DPSIR des métriques donnant un sentiment d'objectivité (tantôt par les sciences naturelles tantôt par les sciences sociales, mais toujours séparées), le gestionnaire est conforté dans l'idée qu'il lui suffit de modifier un curseur pour que le système aquatique évolue dans le bon sens, tout en veillant au moindre coût économique de son choix. Evanescentes dans le réel, les conditions de référence fondées sur la nature servent à un langage du chiffre que la technocratie gestionnaire peut maitriser : "Comme l'a souligné Bouleau (2007), la composante des conditions de référence dans la DCE est essentielle pour rendre l'économie et l'environnement commensurables car elle fournit une base pour évaluer les coûts aux perturbations environnementales. Dans la logique du système DCE, cette commensurabilité est nécessaire pour accomplir ce qu'Espeland (1998) a décrit comme «maîtriser» l'environnement par la connaissance causale des impacts de l'action humaine."

Le problème, comme le rappellent les chercheurs, c'est que l'ontologie fondatrice de séparation de la nature et de la société ne renvoie à rien de tangible. Une nature sans humain, cela n'existe pas. Depuis longtemps.

"Le concept de conditions naturalistes de référence et leur pertinence pour guider la restauration des écosystèmes aquatiques ont été largement critiqués (Lévêque et Van der Leeuw, 2006; Dufour et Piégay, 2009; Perry, 2009; Davodeau et Barraud, 2018). De nombreux critiques ont souligné qu'elle ne concordait pas avec la science écologique récente, manifestant des notions longtemps réfutées de stabilité écologique, d'équilibre et de conditions fixes plutôt que des compréhensions plus récentes de la fluidité et de l'imprévisibilité des écosystèmes (Steyaert et Ollivier, 2007; Bishop et al., 2009; Loupsans et Gramaglia, 2011; Loupsans, 2013). Les écologues ont également trouvé difficile d'un point de vue pratique de trouver des plans d'eau de référence étant donné la variabilité des conditions «naturelles» (Nõges et al., 2009; Hering et al., 2010); ils se sont même demandé si de telles conditions existaient du tout compte tenu des pressions anthropiques sur les cours d'eau européens (Nones, 2016; Stoddard et al., 2006; Lévêque, 2016). Comme le soulignent Bouleau et Pont (2015: 37), «des modifications environnementales importantes par l'homme se sont produites depuis plusieurs millénaires. La notion d'état non perturbé n'a plus de signification écologique». D'autres ont abandonné l'idée de stationnarité face au changement climatique (Logez et Pont, 2013) et ont cité l'irréversibilité fréquente des conditions de qualité de l'eau (Mao et Richards, 2012) dans le cadre de leur critique de la notion de conditions de référence."

Allant plus loin, Linton et Krueger soulignent que ce processus mène au conflit par la négation de tout ce qui ne peut renter dans les bonnes cases. Il exclut par avance la société de la nature (les personnes des milieux), il ne peut être révisé car la nature comme référence ne se révise pas, il ne peut rien dire des systèmes hybrides créés depuis longtemps par des humains :

"Lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre la DCE, l'exclusion (conceptuelle) des personnes de la nature rend le processus de gestion intransigeant; il exclut notamment les approches de gestion adaptative: "La DCE] est plutôt normative à bien des égards. Une fois les conditions naturelles de référence établies, les objectifs sont fixés avec un calendrier pour atteindre les objectifs. Il n'y a pas de disposition apparente pour réviser les objectifs. Ainsi, un autre problème lié au «naturel» comme cible politique est que le «naturel» n'est pas quelque chose qui se prête à une révision" (Bishop et al., 2009: 212). Ce dilemme est désormais explicite dans l'incapacité d'atteindre le statut envisagé par la DCE pour la plupart des plans d'eau européens. Cet échec est évident dans la prépondérance des exemptions et des dérogations que les États membres - en tant que seul moyen de concilier une vision impossible - ont conférées aux plans d'eau; ceci est basé sur un impératif ontologique qui exige que tout soit défini comme nature ou société, alors que ce qui, en fait, existe est une réalité complexe dans laquelle tout est en fait une combinaison de ces éléments. Cette réalité (hybride) implique des rivières, des lacs, des étangs et des aquifères qui sont inévitablement socionaturels; tout effort visant à réduire leur statut à une norme abstraite et naturelle ne peut que se heurter à des problèmes persistants."

Enfin, les deux universitaires montrent que la restauration de continuité écologique, présentée en France notamment comme une condition de réalisation des objectifs la DCE (ce qui pourrait se discuter), a révélé au grand jour les contradictions internes constitutives de la DCE :

"Construit sur un socle de conditions de référence basées sur la nature, la RCE [restauration de continuité écologique des rivières] est confronté à la réalité de la morphologie fluviale en France, qui peut être mieux appréhendée comme un processus continu de co-construction socio-naturelle. Les fleuves de France et d'autres régions d'Europe (Nones, 2016) combinent des éléments anthropiques et naturels, incarnant des processus socio-naturels en cours depuis des centaines, voire des milliers d'années (Lespez, 2012). On fait valoir, en effet, qu'au moins dans le nord-ouest de la France, du haut Moyen Âge au début de la période moderne, l'influence des personnes exploitant des moulins et des barrages a produit des «socio-environnements où un équilibre a été maintenu par les sociétés humaines pendant plus d'un millénaire »(Lespez et al., 2017: 38) Cela rend très problématique de faire appel à un statut anhistorique "naturel" comme base ou référence pour la restauration des rivières (Lespez et al., 2015; Dufour et Piégay, 2009; Bouleau et Pont, 2014)."

Les conflits autour de la continuité écologique ne sont pas l'effet d'une manque de compréhension ou de connaissance (le citoyen en retard sur le savant), mais l'opposition de visions ou expériences de la nature, de représentations de la rivière — soit comme nature séparée de l'humain (qui la dégrade), soit comme nature co-construite par l'humain (qui y vit, ou en vit):

"Il existe une contradiction ontologique fondamentale entre la nature anthropique des fleuves en France et une politique qui repose sur un idéal de «restauration» des fleuves sur la base des conditions naturelles. Cette contradiction se manifeste dans une lutte politique prolongée entre deux idéaux de continuité: la continuité des fleuves «naturels» et la continuité (culturelle) des fleuves anthropiques; cela a produit une controverse environnementale généralisée en France. Au nom de la continuité environnementale des cours d'eau, un programme ambitieux a été développé pour démolir des milliers de petits barrages et déversoirs, souvent associés à l'héritage historique des moulins à eau (Germaine et Barraud, 2017); cette initiative, cependant, a rencontré une opposition féroce et largement inattendue de toutes les directions, y compris les propriétaires et les défenseurs des moulins à eau, les personnes vivant ou possédant des propriétés le long des rivières, les producteurs (ou potentiels producteurs) d'hydroélectricité à petite échelle, les associations de pêcheurs locales, des politiciens locaux et nationaux, y compris de nombreux parlementaires et des centaines de maires, ainsi que des spécialistes de l'eau de haut niveau et très respectés. Ces opposants ont utilisé une variété d'arguments et de stratégies pour empêcher la mise en œuvre de la politique (Barraud et Le Calvez, 2017; Barraud, 2017; Le Calvez, 2017; Perrin, 2018; Germaine et Barraud, 2013)."

«Un tel conflit», écrit Barraud (2017: 796-7), «révèle un écart béant entre les représentations sociales et les systèmes de valeurs des experts, des gestionnaires locaux et de la population locale». La plupart des études indiquent qu'un facteur important dans l'opposition au démantèlement des petits barrages est l'attachement au lieu; un autre facteur est les asymétries de pouvoir qui peuvent exister entre les utilisateurs locaux et les résidents, et les experts environnementaux qui sont «souvent perçus comme extérieurs à la scène locale» (ibid). Un autre facteur - qui peut être perçu comme étant extérieur à la scène locale et associé à cette expertise - est une considération abstraite des rivières comme des processus fondamentalement naturels dont la restauration nécessite l'élimination des vestiges et des symboles d'interférence humaine tels que les petits barrages et les déversoirs. La prise en compte de telles structures comme faisant partie intégrante de systèmes socio-naturels modifiés, mais viables et précieux - comme le font souvent les populations locales - est mal adaptée à un modèle d'état de référence qui définit des éléments tels que des formes de perturbation et de dégradation."

En conclusion, les auteurs appellent les instances européennes à repenser les fondements de leur politique de l'eau, à considérer les gens comme une part de la nature, à engager en conséquence une démocratisation bien plus avancée des choix de gestion des rivières, plans d'eau est estuaires. Cela ne signifie pas forcément l'abandon d'indicateurs de référence, mais ces références ne sauraient être bâties sur un principe d'exclusion et sur une négation des réalités socio-écologiques. 

Discussion

Dans un article paru voici deux ans, nous avions pointé les diverses causes de l'échec de la DCE et nous mettions déjà en avant ce qui nous semblait le coeur du problème : l'espoir de revenir en 25 ans à un état des rivières tel qu'il ne refléterait plus les 5000 ans passés d'occupation humaine, ni les réalités socio-économiques de l'Europe actuelle, ni les dynamiques (durables) de l'Anthropocène et de ses changements biogéochimiques. 

Ce problème fait aussi écho aux évolutions des sciences de la conservation, dont nous avons récemment exposé les divisions. Il existe désormais au moins deux écoles, la conservation mainstream qui en tient pour le retour à la nature libre et sauvage (avec minimum d'humains) comme modèle et refuge de la biodiversité, la nouvelle conservation qui souligne la nécessité d'intégrer les écosystèmes créés par les humains et leurs espèces, fussent-elles exotiques et pas uniquement endémiques. En fait, il existe encore d'autres approches possibles, notamment l'écologie politique critique ou les humanités environnementales inspirées des sciences sociales et humaines, davantage portées à analyser les conditions des usages de la nature et les discours sur ces usages. Jamie Linton et Tobias Krueger sont certainement plus proches de cette école-là. Ils pointent aussi la surdétermination économique des choix technocratiques. Car les mêmes technocraties affirmant que des moulins ou des étangs dénaturent la rivière ne semblent pas avoir la même facilité à trouver que le pesticide ou le carbone le font aussi. L'échelle d'impact paraît pourtant bien différente...

Regardant tous ces débats entre savants, le citoyen se pose évidemment des questions. Comment une technocratie aussi puissante que celle de l'Union européenne en est-elle venue à produire des normes à l'ontologie aussi radicale (et par certains aspects aussi naïve), aux conséquences aussi peu applicables (selon les observations faites en 20 ans de DCE), cela en l'absence de garde-fous démocratiques alertant sur le sens des concepts et leurs implications concrètes? Pourquoi, dans une démocratie où les experts tiennent un rôle de plus en plus important, les expertises elles-mêmes restent-elles enfermées dans des cénacles confidentiels et coupées des sociétés où leurs conséquences vont s'appliquer?

La résistance des ouvrages hydrauliques à la destruction pour laisser place à une nature conforme aux normes technocratiques de naturalité a manifestement créé un effet de surprise chez ceux qui avaient planifié cette issue. Plus encore le fait que cette résistance sous sa forme la plus vigoureuse est venue non pas de lobbies industriels ou agricoles, possédant aussi des ouvrages et des usages, mais d'abord d'une multitude d'associations et de collectifs locaux, en particulier sur les ouvrages anciens de type forges, moulins, étangs, plans d'eau. Ce n'est pas un intérêt économique qui s'est opposé à un objectif écologique (de l'ouvrage à détruire on argue souvent qu'il est "sans usage"), mais plutôt une réalité sociale qui a dévoilé ce que la rivière veut aussi et encore dire pour certains riverains. En voulant faire disparaître une nouvelle nature créée localement au fil du temps par l'ouvrage hydraulique, la politique de continuité écologique a finalement révélé son existence et réveillé son intérêt. Ce n'est pas son moindre paradoxe. Une écologie aspirant à une nature sauvage co-produit finalement une écologie ré-affirmant une nature hybride. Faut-il y voir l'émergence d'un multinaturalisme, comme l'ont appelé certains auteurs, c'est-à-dire la co-existence des ontologies multiples de la nature? L'avenir nous le dira.

Référence : Linton J et T Krueger (2020), The ontological fallacy of the Water Framework Directive: Implications and alternatives, Water Alternatives, 13, 3 

16/09/2020

La biodiversité évolue, évitons d'en faire un musée

Dans le magazine en ligne European Scientist, l'hydrobiologiste Christian Lévêque propose une tribune de réflexion sur la restauration de la biodiversité comme argument de la destruction des ouvrages hydrauliques. Il rappelle que la biodiversité native des rivières et plans d'eau en Europe s'est continument enrichie d'espèces non locales, certaines invasives, parfois introduites pour le loisir pêche. Et que la vie colonise toute l'eau qu'elle trouve, aussi bien les écosystèmes d'origine humaine que naturelle. Il faut changer de braquet: défendre la biodiversité, ce n'est pas entretenir un musée ni revenir au passé, c'est aussi intégrer les dynamiques du vivant. La protection des espèces menacées ou des habitats peu modifiés est nécessaire, mais il faut aussi regarder les écosystèmes, les faunes et les flores tels qu'ils ont évolué, proposer une gestion écologique des milieux aquatiques et humides créés par les humains. 


Extrait :

(...) La loi biodiversité quant à elle, parle de reconquérir la biodiversité, mais encore faut-il savoir laquelle…  Car au-delà du slogan politique, il aurait fallu préciser ce que l’on attend… Si c’est pour retrouver une biodiversité historique (mais où mettre le curseur ?) ce sera bien difficile, compte tenu des nombreuses espèces qui se naturalisent dans nos cours d’eau. 

Les introductions d’espèces dans nos systèmes aquatiques sont anciennes, à l’exemple de la carpe. Mais beaucoup d’espèces de poissons ont été introduites depuis le XIXe siècle par le monde de la pêche de telle sorte que nos cours d’eau hébergent maintenant un tiers d’espèces de poissons originaires d’autres régions du monde, parmi lesquels plusieurs prédateurs (truite arc-en-ciel, perche, sandre, black-bass, poisson chat, silure glane, etc..) dont l’impact sur la faune aquatique autochtone n’a jamais préoccupé les ardents protecteurs de la nature… L’introduction récente et sans aucune autorisation, faut-il le rappeler, du silure glane dans l’ensemble du réseau hydrographique pour satisfaire une poignée de pêcheurs, amateurs du « catch and release », n’a donné lieu à aucune sanction, alors que ce grand prédateur n’est pas inactif dans les cours d’eau. Il existe pourtant une police de la pêche qui aurait dû contrôler cette activité totalement illégale… Aurait-elle fermé les yeux ? Sans compter que les déversements massifs de poissons d’élevage, souvent des prédateurs, au nom du soutien des populations naturelles, mais en réalité pour satisfaire les adhérents qui ne rentreront pas bredouilles à l’ouverture de la pêche, bouleverse depuis des décennies la biodiversité aquatique, sans qu’aucune recherche n’ait été menée sur les conséquences de cette activité maintes fois répétée sur les peuplements aquatiques. On sait néanmoins que ces déversements ont modifié la structure génétique des poissons sauvages. Quant à l’impact sur la flore et la faune aquatique, tout scientifique ne peut ignorer que l’introduction de prédateurs n’est pas anodine !  

Enfin, nos systèmes fluviaux font partie d’une vaste trame bleue européenne en raison des nombreux canaux qui font communiquer les bassins hydrologiques. L’ouverture d’un canal Rhin-Main-Danube en 1992 a permis à de nombreuses espèces aquatiques du bassin du Danube de coloniser les cours d’eau d’Europe occidentale. Une situation comparable à celle des espèces de la mer Rouge qui ont pénétré en Méditerranée après l’ouverture du canal de Suez. Ce sont essentiellement des mollusques, des crustacés, et des poissons dont quelques espèces de gobies dont l’abondance actuelle dans certains cours d’eau ne laisse pas d’inquiéter. Toutes ces espèces, et celles qui ne manqueront pas de s’installer en raison du changement climatique, font maintenant partie intégrante des communautés biologiques des cours d’eau…. Dans ce contexte, que cherche-t-on à reconquérir ? Quelles rivières sauvages ou naturelles espère-t-on restaurer ? Des cours d’eau débarrassés de toutes ces espèces qui n’y ont pas leur place ? Cette blague ! Les technocrates qui n’ont de cesse de prôner l’éradication de ces espèces ne savent probablement pas que faire disparaître un mollusque, un crustacé ou un poisson d’un système fluvial relève de l’incantation. On met le doigt sur l’incohérence des politiques prônées par des individus porteurs d’une représentation idéologique de la nature mais peu au fait de la réalité du terrain. (...)

Les aménagements réalisés depuis des siècles, s’ils ont modifié le système fluvial, ont aussi créé des systèmes écologiques nouveaux, variés, qui abritent une flore et une faune diversifiée ! Les zones humides associées aux annexes des moulins et aux queues d’étangs, les biefs anciens devenus souvent des bras morts latéraux du cours d’eau, hébergent par exemple des batraciens qui ne vivent pas en eau courante et n’apprécient pas les poissons qui sont leurs prédateurs, ainsi que beaucoup d’espèces d’insectes et de végétaux des milieux stagnants. Les retenues et biefs, ayant de bons volumes d’eau par rapport à la rivière courante, sont riches en espèces d’eau stagnante et en poissons qui profitent à des oiseaux ou à des mammifères. Ces retenues jouent un rôle de zones refuges en période de sécheresse ce qui, dans les conditions climatiques actuelles, est appréciable.  Mais en réalité tous ces milieux annexes pourtant fort riches sont mal connus car, dans l’état d’esprit actuel, on a tendance à considérer qu’un milieu artificiel a peu d’intérêt. Peu importe que de nombreuses espèces de batraciens soient actuellement menacées du fait de la perte de leurs habitats ? Ou que l’on détruise (en évitant surtout d’en faire état) des populations de la mulette perlière, ce mollusque protégé et lui aussi fortement menacé, comme ce fut le cas lors de l’arasement du barrage de Maison-rouge sur la Vienne ?

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15/09/2020

Si vous dites aux gens "on préfère détruire votre site", vous croyez qu'ils seront apaisés ou énervés?

La coordination Eaux & rivières humaines vient d'écrire aux préfets de bassin Seine-Normandie et Loire-Bretagne, ainsi qu'aux directions des agences de l'eau, afin que le projet scandaleux de SDAGE 2022-2027 soit révisé et que cesse la prime financière à la destruction des ouvrages hydrauliques. Le projet en l'état signifie encore 7 ans de pressions et conflits: tout le monde sait que le sous-financement ou non-financement dogmatique des solutions douces de continuité (passes à poissons, rampes rustiques, rivières de contournement, gestion de vannes) est le noeud du problème depuis le premier plan de continuité écologique en 2009. Ce texte du SDAGE doit théoriquement être adopté par le comité de bassin — dont sont exclus les moulins, étangs, riverains, protecteurs du patrimoine — dès cet automne. Alors même que le ministère de l'écologie prétend à une continuité écologique "apaisée", les services de l'Etat dans les agences de l'eau promeuvent le seul financement maximal aux solutions de casse des moulins, étangs, plans d'eau, barrages. Encore le double discours. Le message de ces fonctionnaires de l'eau est clair: nous préférons détruire votre site. Qu'attendent-ils en face comme réaction, sinon une radicalisation des conflits? 

Il est de la plus haute urgence que les fédérations et syndicats exclus des comités de bassin (riverains, moulins, étangs, autoproducteurs d'énergie) saisissent eux aussi le ministère de l'écologie, les parlementaires et les préfets de bassin de cette nouvelle dérive qui signifie l'impossibilité de trouver des compromis sur la plupart des sites classés en liste 2 au titre de la continuité écologique. 

Téléchargez le courrier Seine-Normandie et informez vos parlementaires des dérives

Téléchargez le courrier Loire-Bretagne et informez vos parlementaires des dérives

Texte de la lettre (Seine-Normandie)

Monsieur le Préfet coordonnateur de bassin,

Monsieur le Président du comité de bassin,

Madame la Directrice de l’agence de l’eau,

Notre coordination rassemble des associations, syndicats et collectifs de riverains, de propriétaires et d’usagers d’ouvrages hydrauliques de toute nature, concernés au premier chef par les politiques de continuité écologique en long des cours d’eau. Si le gouvernement français a lancé un plan pour une politique apaisée de continuité écologique en 2018, il semble que l’agence de l’eau Seine-Normandie ne souhaite nul apaisement en ce domaine.

C’est en effet avec consternation et inquiétude que nous avons pris connaissance du projet de SDAGE 2022-2027 en cours d’élaboration : celui-ci continue de proposer une prime financière aux effacements d’ouvrages hydrauliques, au lieu d’encourager les équipements (contournements, passes à poissons) et les actes de gestion (restauration toujours non éligible des vannages, par exemple), conformément à l’exigence légale.

Cette orientation est pour nous inacceptable, tant du point de vue de l’apaisement souhaité par le gouvernement et le comité national de l’eau, que du point de vue des exigences légales et des connaissances scientifiques en écologie. 

Nous vous demandons de la réviser, au regard des arguments présentés ci-dessous. 

1) La prime à l’effacement au lieu de l’aménagement des ouvrages hydrauliques est incompatible avec le plan de politique apaisée de continuité écologique du 28 juin 2018

Dans le plan sus-mentionné, le ministère de la Transition écologique et solidaire a précisé expressément en 2018 : 

« le choix de la solution retenue (…) nécessitera bien entendu un diagnostic au cas par cas plus approfondi, prenant en compte les enjeux et les gains écologiques escomptés, les usages dépendant de l'ouvrage, sa dimension patrimoniale, les aspects financiers. Le choix final prendra en compte les échelles de l'ouvrage, du cours d'eau, voire du bassin »

Dans la Note technique du 30 avril 2019 accompagnant la mise en œuvre de ce plan à destination des instructeurs administratifs, il est précisé :

« De nombreuses solutions sont possibles pour restaurer la continuité écologique, et la multiplicité des enjeux doit être prise en compte lors du diagnostic initial. Il n’existe aucune solution de principe. Parce que chaque situation est différente (type de cours d’eau, espèces concernées, usages, qualité de l’eau, qualité du patrimoine, partenaires, disponibilités financières), plusieurs scénarios devront faire l’objet d’une analyse avantages-inconvénients afin de dégager la solution présentant le meilleur compromis. La suppression de l’ouvrage ne sera envisagée qu’avec l’accord du propriétaire, s’il est connu. »

En choisissant de définir par principe l’effacement d’ouvrage comme la solution la mieux financée par l’argent public des citoyens du bassin, l’agence de l’eau opère un choix a priori (donc dogmatique et non empirique), sans souci de connaissance de chaque situation locale du bassin. Elle méconnaît ces instructions du ministère demandant d’examiner au cas par cas ce qui relève de l’intérêt général mais aussi de la qualité locale des milieux formés par les ouvrages hydrauliques. 

En cohérence avec la nouvelle orientation gouvernementale de continuité écologique apaisée, la mesure nécessaire est donc le financement maximal accordé à la seule solution qui présente le meilleur avantage, après analyse multicritères, au cas par cas. Cela devra figurer dans le SDAGE.

2) La prime à l’effacement au lieu de l’équipement des ouvrages hydrauliques est incompatible avec les dispositions légales du code de l’environnement

Au cours de cette législature et de la précédente, plus de 200 parlementaires ont dû intervenir auprès du ministère de l’écologie pour rappeler que la loi ne demandait ni dans sa lettre ni dans son esprit la destruction des ouvrages hydrauliques. Chaque fois, ces parlementaires ont dit combien les moulins, étangs, canaux, plans d’eau, lacs de barrage formaient un patrimoine social, valorisant les territoires ruraux, contribuant à l’intérêt général.

A quatre reprises déjà depuis l’adoption de la loi sur l’eau de 2006, les parlementaires sont intervenus pour repréciser la nécessité de protéger et valoriser ce patrimoine hydraulique, tant dans sa dimension culturelle que dans sa dimension énergétique et écologique. 

La loi de 2006 expose à propos des rivières classées en liste 2 au titre de la continuité écologique (article L 214-17 code environnement) :

« Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant. »

Vous êtes donc dans une situation paradoxale tant au plan du droit que du respect de la démocratie, où 

  • le code de l’environnement ne mentionne jamais les options d’effacement, arasement ou dérasement dans l’ensemble des dispositions sur la Trame bleue et la continuité, 
  • la loi protège tous les ouvrages autorisés dans leur consistance légale de hauteur et débit,
  • les parlementaires ont toujours rappelé que la loi demande le respect des ouvrages autorisés sur les cours d’eau et plans d’eau, 

nonobstant, les options d’effacement, arasement et dérasement deviennent la préférence d’un SDAGE, à échelle de tout un grand bassin hydrographique.

Une relecture de votre projet devra éclaircir ces contradictions rédhibitoires.

Au-delà de la continuité écologique, le législateur a expressément demandé de respecter les milieux aquatiques et humides (dont font partie en droit et en fait les étangs, plans d’eau, canaux, biefs, lacs), ainsi que les attentes de la société. 

L’article L 211-1 code environnement énonce ainsi :

« Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer :

1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; (…)

2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution (…);

4° Le développement, la mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau ;

5° La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ;

5° bis La promotion d'une politique active de stockage de l'eau pour un usage partagé de l'eau permettant de garantir l'irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du maintien de l'étiage des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales ; (…)

III.-La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers (…)

L’ensemble de ces orientations législatives interdit de penser que la prime à l’effacement des ouvrages hydrauliques (avec assèchement conséquent de tous leurs milieux en eau) relève de la « gestion équilibrée et durable de l’eau », puisque ces ouvrages sont directement concernés par les enjeux que la loi protège ou promeut. 

La seule orientation conforme à la législation sur l’eau est donc le rappel explicite dans le SDAGE de tous les éléments de gestion équilibrée et durable de l’eau qui sont en lien avec les ouvrages hydrauliques. Ces éléments devront être pris en considération dans chaque bassin et chaque analyse d’ouvrage au cas par cas, en vue d’un site géré, équipé, entretenu. 

3) La prime à l’effacement au lieu de l’équipement des ouvrages hydrauliques est désormais contredite par les avancées des connaissances scientifiques

Les réformes dites « de continuité écologique », quand elles concernent la question des ouvrages hydrauliques (continuité en long) et des poissons migrateurs, s’inspirent de connaissances du 20e siècle. Pour ces questions d’effacement ou aménagement, elles sont au plan du droit la simple poursuite des dispositions déjà présentes dans la loi pêche de 1984. 

Or, la science a considérablement évolué depuis 40 ans, que ce soit l’écologie, la limnologie, la géographie, l’histoire, l’archéologie, les sciences de l’homme, de la société et de l’environnement, toutes ces disciplines qui traitent de l’objet « rivière » comme de l’objet « ouvrage hydraulique ». 

Dans l’annexe de la présente lettre, vous trouverez une synthèse de plus de 100 travaux scientifiques récents parus en France et en Europe : ces recherches démontrent qu’il est impossible de partir du principe que l’ouvrage hydraulique est forcément mauvais et que le démantèlement de cet ouvrage est forcément bon. 

Au contraire, les travaux des chercheurs montrent que les milieux de ces ouvrages hébergent de la biodiversité, qu’ils augmentent la ressource en eau, qu’ils tendent à épurer des intrants, qu’ils sont le lieu d’échanges sociaux, qu’ils permettent de bénéficier de services écosystémiques. Et inversement, les premiers retours scientifiques sur les effacements incitent à la réserve : on observe des baisses de niveau des nappes, des effets négatifs pour plusieurs compartiment du vivant, des incisions de lit, des renforcements locaux de phénomènes extrêmes (crue, sécheresse). De même, l’analyse sur 40 ans des poissons migrateurs en France ne montre pas de gain significatif : cela pose de graves questions sur les orientations choisies en ce domaine.

La seule orientation conforme aux évolutions des connaissances scientifiques est donc la nécessité de contribuer par les SDAGE a une démarche ambitieuse de connaissances sur les ouvrages hydrauliques et leurs milieux, tout en s’abstenant de définir a priori un financement préférentiel de démantèlement qui peut conduire à des issues négatives pour la biodiversité, la ressource en eau et la société. Le SDAGE devra refléter la diversité et la complexité des conclusions de la science, non les préjugés d’une expertise de nature administrative.

Monsieur le Préfet coordonnateur de bassin

Monsieur le Président du comité de bassin

Madame la Directrice de l’agence de l’eau,

Ni la volonté gouvernementale d’une continuité apaisée, ni l’état du droit de l’environnement ni les conclusions de la recherche scientifique ne permettent donc de justifier le choix du SDAGE de favoriser financièrement la destruction des ouvrages hydrauliques. 

Alors que l’état des lieux du SDAGE témoigne du faible avancement de la qualité écologique et chimique des eaux de surface comme des eaux souterraines, nous devons concentrer les efforts publics sur les vrais problèmes de nos bassins versants, et non sur des choix controversés, risquant le plus souvent d’aggraver plutôt d’améliorer la qualité de nos cours d’eau et plans d’eau.

Les associations, collectifs et syndicats membres de la CNERH travaillent sur le bassin à engager les ouvrages hydrauliques dans une transition écologique favorable à l’économie locale, à l’énergie bas-carbone, à la retenue et protection de l’eau, à la conservation de la biodiversité et à l’adaptation au réchauffement climatique.

En leur nom, je me permets de vous demander de considérer ce dire commun et de réviser le projet de SDAGE pour ce qui concerne les ouvrages hydrauliques au service de l’intérêt général du bassin.

14/09/2020

Pas d'effet sédimentaire notable après la suppression de petits barrages (Collins et al 2020)

Une recherche scientifique a analysé l'effet de la suppression de deux barrages dans un contexte géomorphologique de faible rétention de sédiments de leur retenue. Sans surprise, elle conclut que l'effet local est négligeable. Ces scientifiques alertent sur le fait que les gestionnaires doivent aussi connaître et prendre en compte les résultats négatifs, car tous les chantiers n'ont pas les effets attendus sur des grands barrages à fort volume de retenue (sur lesquels la science s'est largement concentrée depuis 30 ans). Les ouvrages ici étudiés faisaient tout de même 6 et 10 m de haut. Que dire de ceux qui prétendent en France que la suppression de chaussées de moulin de 1 m ou 2 m de hauteur représenterait un enjeu majeur au plan sédimentaire? 


La zone étudiée par Collins et al 2020, art cit.


De nombreuses études physiques sur les effacements de barrages ont ciblé des sites stockant des quantités appréciables de sédiments, en particulier les grands barrages de plus de 10 mètres de haut qui occupent l'essentiel de la littérature scientifique sur la question.

Comme le font remarquer Mathias J. Collins (NOAA), Alice R. Kelley (Université du Maine) et Pamela J. Lombard (US Geological Survey), "ces emplacements ont été choisis parce qu'il y a un grand intérêt pour la façon dont les chenaux réagissent aux rejets massifs de sédiments. Notre site d'étude était inhabituel car il se concentrait sur deux barrages relativement grands (6 et 10 m de haut), les plus bas de la rivière Penobscot, dans le Maine, qui stockaient très peu de sédiments."

Voici le résumé de leur travail :

"La plupart des études géomorphologiques des prélèvements de barrages se sont concentrées sur des sites contenant des quantités appréciables de sédiments stockés. Les réactions des chenaux aux rejets de sédiments suscitent un grand intérêt en raison des effets potentiels sur les habitats aquatiques et riverains, et sur les utilisations humaines de ces zones. Pourtant, derrière de nombreux barrages dans le nord-est des États-Unis et dans d'autres régions du monde, seules des accumulations mineures de sédiments sont présentes en raison de petits bassins de retenue, de la conception et de la gestion des barrages au fil de l'eau (entrant ≈ sortant), du faible rendement en sédiments du bassin versant et / ou des lits du chenal dominés par des sédiments grossiers et / ou du substrat rocheux. 

Les deux barrages les plus en aval de la rivière Penobscot dans le Maine, aux États-Unis, supprimés en 2012-2013, illustrent ces conditions. Les barrages Great Works et Veazie mesuraient respectivement environ 6 et 10 m de haut. Les levés géophysiques préalables au projet ont montré que des substrats grossiers dominaient les lits des réservoirs et que peu de sédiments étaient stockés dans l'un ou l'autre des bassins - fonctions de la géologie du tronçon, de l'histoire du Quaternaire tardif et des barrages en amont. Des relevés transversaux répétés dans chaque bassin, ainsi que dans les tronçons amont et aval, ont été effectués de 2009 à 2015 pour évaluer les réponses morphologiques des chenaux aux prélèvements. La granulométrie et la turbidité du lit-sédiment ont également été mesurées pour caractériser les changements de texture du lit et des sédiments en suspension. 

Les comparaisons de l'enquête avant et après le retrait ont confirmé l'hypothèse que les élévations du lit, la forme des chenaux et les positions de ces chenaux ne changeraient pas substantiellement. Les changements étaient souvent à l'intérieur ou à proximité de notre estimation mesurée d'erreur  aléatoire. Notre étude montre que les changements physiques à grande échelle seront probablement minimes lorsque des barrages contenant relativement peu de sédiments sont retirés des lits de cours d'eau résistants à l'érosion. De nombreux barrages éligibles à l'enlèvement présentent ces caractéristiques, ce qui fait de ces observations une étude de cas importante qui n'est en grande partie pas représentée dans la littérature sur l'effacement des barrages."

Les auteurs soulignent notamment dans le texte un problème connu de la littérature scientifique, la non-publication des résultats négatifs, qui a pour effet d'induire en erreur les praticiens d'un domaine :

"Il est utile de rapporter les résultats sans changement, en particulier dans la science de l'effacement des barrages où les résultats peuvent éclairer la pratique. Les résultats de l'absence de changement sont rarement documentés dans la littérature sur la suppression des barrages, et en fait, de nombreuses études se déroulent sur des sites où des changements sont probables ou attendus, en particulier pour les variables de réponse physique (Bellmore et al 2017; Duda et al 2020). Ainsi, la littérature disponible pour informer les praticiens et les parties prenantes locales peut être biaisée pour suggérer qu'ils devraient s'attendre à des changements lorsque, dans de nombreux cas, ces changements sont peu probables. Que les études d'effacement de barrage ne soient pas représentatives des projets d'effacement à d'autres égards, comme la hauteur des barrages et le cadre géographique, aggrave le problème (Bellmore et al 2017)."

Discussion

La question des discontinuités en long de la rivière se posait déjà à certains gestionnaires à la fin du 19e siècle, mais elle a pris sa réelle ampleur avec la période de construction des grands barrages qui a culminé dans le monde occidental entre 1910 et 1980 (tout en continuant aujourd'hui dans les pays en développement). Par leur blocage complet du lit majeur même en crue et par le volume de stockage dans le réservoir, ces barrages étaient différents des ouvrages plus modestes qui les ont précédés. 

Notre association a toujours fait observer aux gestionnaires publics des rivières en France que leur littérature de référence concernait ces grands ouvrages, et non les chaussées, seuils et petits barrages souvent anciens formant le principal terrain d'effacement, de sorte que les conclusions souvent avancées sur l'impact sédimentaire étaient déplacées. Par définition, un ouvrage qui peut seulement stocker quelques centaines de mètres cubes, qui est surversé et contourné lors des crues morphogènes, qui est présent depuis des siècles et parfois largement comblé dans sa retenue a peu de chance d'avoir un effet très notable sur le bilan sédimentaire du bassin. Une récente étude sur les moulins a confirmé ce point, en soulignant que leur impact sédimentaire a été surestimé (Peeters et al 2020). Inversement, la possibilité qu'il existe des polluants persistants dans des retenues est peu analysée avant la remobilisation des sédiments (Howard et al 2017). Tout cela nourrit l'idée que l'on produit une expertise ad hoc dans les chantiers d'effacement en France, expertise qui exagère les issues positives mais minimise ou écarte les conséquences négatives. Ce n'est pas ainsi que pourra s'installer la confiance dans les choix de gestion des rivières. 

Nous observons hélas! qu'un trop grand nombre de techniciens de rivière voire de bureaux d'études reprennent de manière a-critique l'idée d'un impact sédimentaire important des petits ouvrages et donc d'un gain écologique sur ce compartiment, qui justifierait la dépense publique d'intervention sur les ouvrages et en particulier les coûts d'opportunité des effacements, au lieu de dédier ces ouvrages à des usages utiles pour la société et le vivant. Il faut souhaiter que l'expertise scientifique publique en écologie aquatique, chargée de fonder les politiques sur des preuves convaincantes et de prioriser les enjeux d'intervention sur des bases transparentes, se montre désormais plus précise sur ces sujets. 

Référence : Collins MJ et al (2020), River channel response to dam removals on the lower Penobscot River, Maine, United States, River Research and Applications, e pub, DOI : 10.1002/rra.3700

A lire en complément

L'impact sédimentaire des moulins et petits ouvrages anciens de rivière a été surestimé (Peeters et al 2020)

L'impact sédimentaire de retenues de moulins disparaît rapidement à l'aval (Foster et al 2019)

Héritage sédimentaire: analyser les sédiments des retenues de moulin avant intervention (Howard et al 2017)

13/09/2020

Les castors construisent des barrages, mais aussi des canaux (Grudzinski et al 2020)

Trois chercheurs font le point des connaissances sur une dimension méconnue des comportements des castors : non seulement ils construisent des barrages formant retenues, mais ils peuvent aussi creuser en berge des canaux dérivés. Certains dépassent 500 mètres de longueur. Bien des rivières de jadis, quand cette espèce ingénieur était omniprésente, n'avaient sans doute pas grand chose à voir avec notre représentation actuelle d'un cours d'eau "naturel". 

Castor sur son barrage, CC BY-SA 3.0 

Le castor est un herbivore semi-aquatique, figurant parmi les espèces ingénieurs qui modifient les milieux aquatiques et terrestres pour mieux répondre à ses besoins. En construisant des barrages dans les cours d'eau, le castor crée des plans d'eau qui inondent le lit majeur et de nouveaux habitats aquatiques, diminuant ainsi son besoin de déplacements et le risque de prédation. Avant leur piégeage généralisé dans toute l'Europe et l'Amérique du Nord, ayant entraîné une forte régression jusqu'au 20e siècle, le castor était le principal ingénieur biotique des réseaux fluviaux dans leurs aires de répartition. L'ingénierie de l'habitat des castors a créé des chenaux complexes à multiples branches et des environnements locaux de type marais ou étang. Une fragmentation naturelle des rivières, en quelque sorte...

Mais les castors sont de si bons ingénieurs qu'ils ne se contentent pas de créer des barrages: ils les accompagnent aussi parfois de canaux adjacents. Trois chercheurs (Bartosz P. Grudzinski, Hays Cummins, Teng Keng Vang) publient un passage en revue des connaissances sur cette dimension moins connue de ces bâtisseurs d'ouvrages hydrauliques.

Voici la synthèse de leur recherche :

"Les canaux de castor et leurs effets environnementaux sont beaucoup moins étudiés que leurs barrages, bien qu'ils soient répandus dans certaines zones habitées par des castors. Dans cette étude, nous avons effectué un examen systématique des recherches antérieures sur la structure et les effets sur l'écosystème des canaux de castor afin de fournir une compréhension plus nettement holistique de ces caractéristiques du paysage. Plus précisément, nous: 1) avons résumé pourquoi, où, quand et comment les castors développent des canaux; 2) fait la chronique de toutes les descriptions publiées sur la morphologie du canal du castor; et 3) résumé la documentation sur les effets environnementaux des canaux de castor. Trente et une études pertinentes ont été identifiées et intégrées à cette revue. 

Des canaux de castor ont été identifiés dans de nombreux environnements allant des régions montagneuses très peu développées aux paysages agricoles fortement exploités. Le castor développe principalement des canaux pour accroître l'accessibilité aux ressources riveraines, faciliter le transport des ressources récoltées et réduire le risque de prédation. Comme pour ses barrages, les canaux de castors présentent une grande variabilité structurelle, en particulier en longueur, qui peut dépasser 0,5 km. Des largeurs d'environ 1 m et des profondeurs d'environ 0,5 m sont courantes. 

Les canaux de castor modifient l'hydrologie des bassins versants en créant de nouveaux habitats aquatiques, en reliant des caractéristiques aquatiques isolées et en détournant l'eau vers les zones colonisées. Les canaux de castor ont été identifiés comme des habitats privilégiés pour plusieurs espèces biotiques et sont parfois utilisés à des stades critiques de la vie (par exemple la dispersion). En plus d'augmenter la richesse et la diversité globales des espèces florales et fauniques, les canaux de castor peuvent profiter au biote en atténuant la fragmentation de l'habitat et les impacts du changement climatique. D'après les résultats de cet examen, l'intégration des canaux de castor dans les pratiques de restauration des cours d'eau peut être bénéfique pour l'environnement."


Modèle conceptuel illustrant la relation entre divers types de canaux de castor par rapport à d'autres modifications potentielles de l'habitat au sein d'une colonie. Figure créée par Allison LeBlanc. 1. Retenue de castors, 2. Zone humide, 3. Barrage de castors, 4. Canal benthique, 5. Canal d'extension, 6. Canal de raccordement, 7. Hutte de castor, 8. Terrier de rive, 9 Toboggan de castor (rampe d'accès aux berges). Extrait de Grundzinski et al 2020, art cit.

Discussion

On se représente souvent la petite rivière "naturelle" comme un cours d'eau sinueux qui coule entre des berges dégagées. Cette image ne renvoie en fait à aucune forme de "naturalité", car elle est un style fluvial résultant d'une longue transformation humaine des bassins versants, surtout en Europe. Une rivière à puissance faible ou modeste du Holocène avant le néolithique était perdue dans une forêt, son cours était souvent formé de multiples tresses liées à des marécages, elle était entravée par des barrages d'embâcles et des barrages de castors. Les "discontinuités" et singularités morphologiques étaient donc la règle. Certains chercheurs ont comparé l'impact des barrages de castors à celui des moulins. Comme les moulins dérivent eux aussi des canaux latéraux (biefs) et des sous-canaux (déversoirs), cette comparaison paraît décidément très justifiée!

Référence : Grudzinski BP et al (2020), Beaver canals and their environmental effects, Progress in Physical Geography: Earth and Environment, 44, 2, 189–211.

11/09/2020

Assèchement de la petite Seine à Pothières, du jamais vu de mémoire d'habitants

Pierre Potherat, lanceur d'alerte de la dégradation des têtes de bassin en Nord Bourgogne, nous fait parvenir un témoignage et une analyse sur la disparition d'un bras de Seine dans le Châtillonnais. Outre la sécheresse sévère, la cause en est une brèche dans un ouvrage répartiteur ancien, que les services de l'Etat et du syndicat de rivière n'ont pas accepté de réparer de manière simple, posant des exigences à coût exorbitant. Qui ont, comme partout, produit l'inertie. Et au final l'assec de milieux aquatiques et humides soit une discontinuité écologique tout à fait radicale pour les espèces locales éradiquées. Quand va-t-on sortir des vues dogmatiques où tout aménagement humain est instruit comme un problème a priori, au lieu d'en faire des outils de gestion écologique, sociale et paysagère au service des territoires et du vivant? 

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Dans la deuxième quinzaine d’aout 2020, la petite Seine qui passe à Pothières et rejoint la Seine à l’Enfourchure de Charrey a été asséchée (fig.1). Je n’avais jamais vu un tel phénomène et de mémoire d’habitants rien de tel ne s’était jusqu’alors produit, ni n’avait été relaté dans les annales régionales.


Figure 1. .Vue de la petite Seine desservant Pothières asséchée. Le moulin est visible dans l’axe de la rivière.(photo du 7 septembre 200)


Les précipitations à Chatillon, bien que très faibles en juillet/août (40 mm cumulés relevés à Thoires), ont été largement excédentaires lors du premier semestre 2020 : 523 mm à Chatillon. Mieux encore, si nous ajoutons à ces chiffres les précipitations de l’automne 2019 (433 mm) nous obtenons 956 mm en neuf mois soit largement plus que la moyenne annuelle.

A titre de comparaison, lors de la sécheresse de 1976, il n’était tombé que 150 mm de pluie lors des six premiers mois et pourtant les pêcheurs ont continué de fréquenter la petite Seine pendant l’été.

En raison de la position de la Seine sur les marnes de l’Oxfordien supérieur imperméable à partir de de Chatillon, il ne s’agit probablement pas d’un manque d’eau dû à la sécheresse qui sévit depuis deux mois car les eaux de l’aquifère karstique en charge sous les marnes fournissent des apports à la rivière. Une vérification de terrain et une enquête s’imposait.

Nous avons vu précédemment que le cours de la Seine a subi des modifications importantes après la révolution. Modifications révélées par la comparaison des cartes de Cassini (feuille de Dijon datant de 1758) et de l’État-major, publiée vers le milieu du XIXème siècle (fig. 2, 3 et 4).


Figure 2. Position de la zone de divergence des deux Seines. Extrait de la carte IGN de 1950


Figure 3. Extrait de la carte de Cassini (XVIIIe siècle), feuille de Dijon, 1958. L’unique bras de Seine passe à Pothières.


Figure 4. Extrait de la carte de l’Etat major du milieu du XIXème siècle. Le bras de raccordement au ru de Courcelles est entouré de rouge


La figure 3 est sans équivoque : la Seine passait à Pothières au XVIIIème siècle et le ru de Courcelles la rejoignait peu avant le moulin de Charrey.

La figure 4 montre en revanche que le raccordement de la Seine au ru de Courcelles existait au moment de la publication de la carte de l’Etat-major.

Les travaux, effectués entre la publication de ces deux cartes, ont consisté en la création d’un bras de raccordement de la Seine en direction du ru de Courcelles. Le but de ces travaux a été vraisemblablement d’augmenter le débit du ru de Courcelles juste à l’amont du moulin de Villers-Patras (le moulin Cholet) afin d’accroître la puissance de ce dernier.


Figure 5. Les nouveaux et anciens tracés de la Seine à Pothières sur extrait de la carte IGN. Les modifications du XIXème figurent en pointillés rouges (nouveaux tracés) et bleus (tracé supprimé)


Au début du XIXème siècle, la Seine à Pothières est donc devenue la petite Seine qui n’est donc pas un bief d’accès au moulin de Pothières mais le tracé primitif et historique du fleuve qu’elle rejoint quelques 3 km plus bas, à l’approche de Charrey.

Un seuil équipé de deux vannages permettait de répartir de façon probablement équitable l’eau en direction du moulin Cholet et du moulin de Pothières.

Cet état de fait a perduré pendant deux cent ans à la satisfaction générale jusqu’à ce que, le vannage étant fortement dégradé aujourd’hui, une brèche se produise dans le seuil, laissant passer toute l’eau dans le cours principal de la Seine (fig. 5)


Figure 6. Vue de la brèche dans le seuil de répartition de l’eau de la seine à Pothières (Photo du 7 septembre 2020)


Une rapide enquête réalisée auprès de la population m’a informé que devant ce problème une tentative de colmatage de la brèche, avant travaux de réfection du seuil, a été effectuée par un habitant de Pothières en posant des blocs béton (fig. 6). Cette tentative a été stoppée par des agents de l’EPAGE Sequana qui a proposé des travaux de reconstruction ainsi que la création d’une passe à poissons pour une somme astronomique à la charge de la commune.

Signalons que cet aménagement très ancien est situé à cheval sur les communes de Pothières et de Vix. Est-ce aux communes de financer ces travaux pour un ouvrage vieux de 200 ans ?

L’état ne doit-il pas garantir la circulation de l’eau simultanément dans les deux bras de Seine ?


Figure 7. Vue de la brèche et des travaux de colmatage tentés par les habitants de Pothières (photo du 7 septembre 2020)


Quoiqu’il en soit la petite Seine, haut lieu de la pêche à la truite dans le secteur, qui possédait de belles frayères encore fréquentées, a été asséchée, provoquant une catastrophe écologique sans précèdent dans ce secteur, sans que les services de l’état bougent le petit doigt.

Tous les organismes vivants, notamment de nombreuses truitelles, ont péri sur un linéaire de 3 km au nom de la continuité écologique qui prétend faire revenir les poissons dans nos rivières.

Cet épisode, qui s’ajoute à bien d’autres, notamment celui de l’Ource quasiment à sec de Brion à Leuglay et bientôt Recey rend compte que pour l’instant nous faisons un constat très négatif de la politique de gestion de l’eau dans notre région, politique qu’il faudra bien un jour reconsidérer sous peine d’avoir à très court terme, quatre à cinq mois de l’année, des oueds à la place de nos rivières et, malgré de belles passes à poissons, plus de poissons du tout.

Thoires, le 10 septembre 2020, Pierre Potherat (ICTPE retraité)

09/09/2020

Ne diabolisons pas les retenues d'eau par des discours simplistes

A la suite de l'article polémique de Christian Amblard dans le Monde contre les retenues d'eau, que nous avions recensé, nous avons reçu une tribune de Patrick Hurand, ingénieur général des Ponts, des eaux et des forêts retraité (X-Gref), ancien directeur de l'ingénierie à la Compagnie d'aménagement des Coteaux de Gascogne. Patrick Hurand a consacré des années de carrière à l'analyse hydrogéologique des bassins, à la gestion de leurs étiages et à la conception de schémas de préservation de la ressource en eau. Il déplore l'émergence d'une vision simpliste, binaire et souvent caricaturale sur les retenues d'eau, en appelant à un débat informé et fondé sur des données dans chaque bassin. Nous publions cette tribune, qui sera également diffusée aux décideurs publics de bassin en charge de l'adaptation au changement climatique. 

Face à la sécheresse, les retenues d'eau artificielles, une solution à très court terme?....ça se discute!

Patrick Hurand
ingénieur général honoraire des Ponts, des eaux et des forêts

(Télécharger en pdf)

Avec la canicule et la sécheresse, les médias se sont intéressés à la politique de création de retenues demandée avec insistance par la profession agricole. Le «débat» a été lancé à la matinale de France Inter, le 3 août 2020, par l'interview d'Emma Haziza, docteur de l'école des Mines de Paris, hydrologue et présidente fondatrice de Mayane, «centre de recherche-action visant à apporter des solutions stratégiques pour la résilience des territoires face au risque inondation». Il a été suivi par un article paru dans le Monde daté du 8 août 2020 sous le titre «Face à la sécheresse, les retenues d'eau artificielles, une solution à très court terme». La teneur du discours est la même: «tout le monde connaît les impacts négatifs de la création de retenues sur l'environnement. Mais, sans même parler de ça, nous, scientifiques, nous contestons formellement l'efficacité de ce type de solution qui n'augmentent pas la ressource en eau disponible». La «démonstration» s'appuie sur deux types d'arguments:

  • les retenues génèrent d'énormes pertes par évaporation;
  • elles diminuent la réalimentation des nappes.

La conclusion se veut universelle et applicable à tout type de projet. Elle a le «mérite» de la simplicité et peut facilement servir «d'éléments de langage» aux politiques qui sont déjà sur la même longueur d'ondes. Le présent article n'a pas la prétention d'être aussi facilement compréhensible. Il va rentrer dans le détail, s'intéresser aux aspects techniques ce qui est souvent considérer comme ennuyeux et inintéressant par un média grand public. Mais il va s'efforcer de répondre, exemple à l'appui, à ces 2 arguments. Les problèmes de ressources en eau se résolvent au cas par cas en essayant de trouver les meilleures solutions. Tout au plus, avec l'expérience, peut on dégager une typologie des cas rencontrés qui permet d'orienter la recherche dans la bonne direction.  Mais une chose est sûre: il n'y a pas de vérité universelle et à tout slogan du type « les barrages sont nocifs pour l'environnement» ou «pas une goutte d'eau à la mer», on peut toujours trouver des contre-exemples:

  • Parmi les plus belles rivières à truites du monde, on  trouve les «tails water» américaines, comme la Missouri, la Madison ou la Big Horn dans le Montana, toutes situées à l'aval de gros barrages hydroélectriques,dans des zones où en l'absence de barrages il n'y aurait aucun salmonidé. En France, la Dordogne à l'aval d'Argentat, donc à l'aval de toute la chaîne des barrages hydroélectriques de la Dordogne est une magnifique rivière à truites et à ombres.
  • Le slogan lancé par Hassan II «pas une goutte d'eau à la mer», s'il a permis à ses débuts de lancer la politique de création de barrages, indispensable au pays, a conduit à réaliser les projets selon les seuls critères des barragistes (on équipe les bons sites) sans se soucier de la position des sites par rapport aux besoins. Compte tenu du niveau d'équipement actuel, il a atteint ses limites.

La nature est trop belle, trop diverse pour que ces slogans puissent s'appliquer à la diversité des cas qu'on peut rencontrer.  Pour donner un avis pertinent, il faut hélas se donner du mal et travailler.

Le lac de Puydarrieux (Natura 2000) fait partie de l'hydrosystème du canal de la Neste qui  permet de mobiliser 220 millions m3 d'eau par an au service des territoires de Gascogne. Photo Patrice Bon, CC BY-SA 4.0.


Une retenue fait-elle perdre beaucoup d'eau par évaporation ?

Une des premières choses qu'apprend l'hydrologue débutant c'est que:

P= R+I+ETR

où P désigne la pluie, R le ruissellement, I l'infiltration et ETR l'évapotranspiration réelle.

R+I constituent la ressource en eau RE (celle qui est renouvelable ie qui peut faire l'objet d'une exploitation durable). Toute l'hydrologie est ainsi basée sur l'équation: 

RE = P-ETR.

Lorsqu'on fait une retenue, on crée une perte de ressource par évaporation. Mais comme la surface noyée par une retenue était très rarement occupée préalablement par un parking, il y avait avant la création de la retenue une évapotranspiration. La perte de ressource en eau imputable au projet correspond à la différence Evaporation – Evapotranspiration et non à l'évaporation. Comment chiffrer cette différence?

On peut faire référence, comme dans l'article du Monde, à des études américaines faisant état de pertes de 40 à 60% du volume de la retenue. Aucune raison de mettre en doute les résultats d'une telle étude. En revanche, on peut regretter qu'il ne soit pas précisé où ces résultats ont été obtenus. Supposons que les études aient été menées en Arizona ou au Nevada. On comprendra aisément que l'évaporation est beaucoup plus forte qu'en France et que surtout, l'évapotranspiration de quelques cactus n'a rien à voir avec celle d'une forêt française. Recherchons donc des données en France.

Si on a facilement accès aux données d'évapotranspiration, les données d'évaporation sont moins fréquentes. Une recherche sur Internet a permis de trouver un intéressant travail de thèse intitulé «L'évaporation dans le bilan hydrologique des retenues du centre de la France (Brenne et Limousin)» réalisé par Mohammad Aldomany dans le cadre de l'université d'Orléans. Une campagne de mesure sur l'un des étangs lui ont permis de comparer les résultats expérimentaux aux formules mathématiques les plus usuelles permettant de calculer l'évaporation, permettant ainsi de déterminer la meilleure formule de calcul de l'évaporation. Les ordres de grandeur sont voisins. L'auteur conclut que l'évaporation est sensiblement égale à l'évaporation d'une chênaie et que suivant les sites, l'impact de la retenue peut être positif ou négatif, mais toujours faible. Pascal Bartout, maître de conférence à l'université d'Orléans, a quant à lui montrer qu'en Sologne l'évapotranspiration estivale des joncs ou des gazons est de 1,35 à 1,5 fois supérieur à l'évaporation des étangs. En conclusion, sous nos climats, les retenues n'ont en général pas d'impact négatif sur les ressources en eau. On peut donc s'étonner que des scientifiques osent prétendre le contraire. On est en droit d'attendre de la communauté scientifique qu'elle apporte des éléments objectifs et incontestables de nature à éclairer et à apaiser le débat sur la politique de création de retenues. Il est décevant de la voir souffler sur les braises en utilisant sa crédibilité scientifique pour tenir des propos militants.

Prise d'alimentation de la rivière Gers sur le canal de la Neste, Macao10, CC BY-SA 4.0


Le stockage dans les retenues se fait-il au détriment de la recharge des nappes ?

Cette affirmation est fausse dans la majorité des cas qu'on peut rencontrer en France. Deux types de cas doivent être clairement distingués.

1) Rivières coulant sur des terrains imperméables (celles des Coteaux de Gascogne comme le Gers, la Baïse...) ou sur une nappe alluviale (Adour). On stocke de l'eau qui serait, dans sa quasi intégralité, partie à la mer . 

Pour les rivières de Gascogne dont les nappes d'accompagnement sont quasi inexistantes, c'est évident. Dans le cas de l'Adour, dont la nappe est importante, le problème doit être regardé de plus près. La recharge de la nappe par le fleuve se fait uniquement en période de crue principalement par submersion du lit majeur. Le reste du temps s'est plutôt la nappe qui réalimente le fleuve. L'infiltration dépend de la hauteur de submersion dans le lit majeur. Prenons deux cas concret:

  • le barrage d'Escaunets sur le Louet, affluent rive gauche de l'Adour, intercepte un bassin versant de 20km2, le bassin versant de l'Adour au droit de cette confluence est de l'ordre de 900km2. L'impact de la retenue en période de remplissage sur les débits de l'Adour est donc de l'ordre de 2%.
  • Le barrage de l'Arrêt Darré, situé sur un petit affluent rive gauche de l'Arros, intercepte un bassin versant d'une cinquantaine de km2. Le Bassin versant de l'Adour à la confluence avec l'Arros est quant à lui de 2200 km2. L'impact cumulé des 2 retenues sur les débits l'Adour est donc aussi de l'ordre de 3%.

Résumons: l'impact du remplissage des retenues sur la recharge de la nappe ne concerne que la fraction du remplissage qui s'effectue pendant les périodes de crues. Il est de l'ordre de 3% sur les débits donc à peine plus de 2% sur les niveaux. On parle donc d'un impact de quelques centimètres. A titre de comparaison l'exploitation des gravières dans la lit de l'Adour dans les années 70-80 a provoqué par érosion régressive un enfoncement du lit du fleuve pouvant atteindre par endroit plusieurs mètres, limitant par la même occasion considérablement les submersions du lit majeur.

Il est raisonnable de conclure que l'impact du remplissage des retenues sur la recharge de nappe est négligeable . L'eau qu'on a stockée serait donc partie à la mer. Dans ce cas là, le problème de l'évaporation ne se pose même pas puisque l'eau était perdue de toute façon.

Ce résultat n'est peut être pas transposable à tous les cas de figure. Par expérience, on peut dire qu'il est très représentatif de la problématique qu'on va rencontrer sur de nombreux bassins versants. En tout cas, puisqu'il suffit d'un contre-exemple pour montrer qu'une loi est fausse, il est largement suffisant pour infirmer les conclusions présentées dans l'article du Monde.

2) Rivières coulant au-dessus d'une nappe phréatique, qu'elles alimentent quasiment en permanence par leurs pertes. On peut citer:

  •  la Conie qui alimente ou draine la nappe de la Beauce, 
  • la Tardoire et son affluent le Bandiat en Charente qui après avoir pris naissance sur la frange Ouest du Massif Central se perdent dans le karst de la Rochefoucault pour ne rejoindre la Charente qu'en période de crue,
  • le bassin du Tensift dans la région de Marrakech. Les affluents rive gauche (N'Fis, Ourika, Rdat, Ghighaya...) y drainent les eaux du Haut Atlas (qui culmine à plus de 4000m) avant de s'infiltrer dans la nappe du Haouz. Les données issues du Plan Directeur d'Aménagement Intégré des Ressources en Eau du Tensift permettent de bien quantifier les phénomènes. Le débit moyen des rivières à l'entrée de la nappe du Haouz est de 15m3/s ce qui représente un apport annuel de 450hm3. La nappe du Haouz, quant à elle, a une recharge annuelle 470hm3 décomposés en apport pluviométrique pour 80hm3, apports extérieurs 20hm3, infiltration des oueds 130hm3, retours d'irrigation 240hm3. Comme les retours d'irrigation correspondent à des irrigations gravitaires par submersion, elles-mêmes alimentées par prélèvement sur les cours amont des oueds cités, ce sont 370hm3 sur les 450 qui s'infiltrent dans la nappe soit plus de 80% du flux. Avec des prélèvements qui dépassent largement les 500hm3, la nappe du Haouz est surexploitée et son niveau baisse d'année après année.

On se retrouve dans une situation inverse de la précédente puisque l'eau de ces rivières s'infiltre quasiment tout le temps sauf en période de crues. Il convient donc de faire très attention avant de s'engager dans des projets de stockage dans de tels cas pour 2 raisons (qui n'ont rien à voir avec les pertes par évaporation):

  • efficacité du projet: si les 4/5èmes de l'eau stockée se serait de toute façon infiltrée, le volume «utile» de la retenue est en gros égal à 1/5ème de sa capacité; le prix de revient du m3 utile est donc égal à 5 fois celui du m3 stocké: ça peut commencer à faire cher.
  • problème de répartition de l'eau: dans le cas du Haouz, si on fait des retenues on va augmenter les prélèvements amont (tout ceux qui étaient alimentés par des séguias prélevant au fil de l'eau sur la partie pérenne des cours d'eau cités plus haut) par effet mécanique de la régularisation des débits. La réalimentation de la nappe va être considérablement impactée d'où nécessité de baisser drastiquement les prélèvements en nappe ou, cas le plus probable, voir s'aggraver la surexploitation de la nappe.

En France, il n'y a pas, à ma connaissance, de projets de ce type dans les cartons. En tout cas, ça fait 40 ans que le projet «Tardoire» a été abandonné. Au Maroc, en revanche, sous la double pression du manque d'eau et de l'idée solidement ancrée que tout projet qui limite les pertes à la mer est bon à prendre, il n'est pas impossible qu'un jour ou l'autre se réalise un nouveau projet sur un des affluents du Tensift.

*

Le changement climatique va bouleverser les conditions de vie des générations futures. Limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C passe par une prise de conscience collective dont nous ne prenons malheureusement le chemin : chacun devra faire des efforts et pas seulement les autres. Même si on réussit à le limiter, il faudra vivre avec ce réchauffement et donc s'adapter. Les projections les plus optimistes prévoient que dans un siècle les conditions climatiques du Sud de la France correspondront à celles du sud de l'Espagne. Est-il raisonnable de penser que l'agriculture française pourra maintenir son niveau de production sans qu'on compense la baisse des ressources en eau estivales par des stockages des eaux excédentaires hivernales? Ou alors faut-il accepter que dans un contexte de croissance de la population mondiale et donc de la demande alimentaire on s'en remette à d'autres pays pour couvrir une partie de nos besoins? Allons-nous délocaliser une partie de production agricole au Brésil comme nous l'avons fait pour notre production industrielle avec la Chine ? Pour relever ces défis, on aura besoin de gens compétents et motivés car la tâche sera rude. Il faudra trouver des solutions aux problèmes posés et non des boucs émissaires. Pour se faire on aura besoins d'experts qualifiés et compétents. Mais on aura aussi besoin qu'ils puissent travailler sereinement dans un contexte social apaisé. Ceci suppose que les médias jouent leur rôle d'information sans esprit partisan. Quand on voit aujourd'hui un journal comme le Monde, qui fut naguère un journal d'information, se transformer en journal d'opinion., cela n'incite guère à l'optimisme.

Moins on a d'eau, plus les solutions efficaces sont difficiles à trouver et plus il faut être vigilant sur les impacts. Cela passe par une compréhension fine des hydrosystèmes concernés et une quantification précise des impacts des solutions proposées. Aujourd'hui on a tendance à considérer les données hydrologiques et climatiques du passé comme représentatives de l'avenir. Avec le changement climatique, il faudra prendre en compte cette instabilité des données. Tout cela ne pourra être obtenu qu'au prix d'expertises pointues, projet par projet. Bien loin des avis globaux et simplificateurs! N'oublions pas cette phrase du philosophe Francis Bacon : «On ne commande à la nature qu'en lui obéissant».

08/09/2020

Les lacs et plans d'eau peu profonds rendent jusqu'à 39 services écosystémiques à la société (Janssen et al 2020)

Une nouvelle recherche passant en revue la littérature scientifique montre que les plans d'eau peu profonds (lacs, étangs) peuvent rendre jusqu'à 39 services écosystémiques différents aux riverains, incluant la protection de biodiversité, l'épuration de l'eau, la régulation des débits ou les loisirs. Ces services écosystémiques varient selon les différents états stables que peuvent prendre ces plans d'eau dans leur cycle de vie, en particulier leur niveau trophique (charge en nutriments). Même des milieux eutrophes conservent des intérêts environnementaux. La France accuse un terrible retard dans l'étude de ces milieux lentiques, dont beaucoup sont aujourd'hui menacés d'abandon voire de destruction. La raison principale en est le biais des gestionnaires et autorités en charge de l'écologie aquatique, qui refusent aujourd'hui de prendre sérieusement en compte les nouveaux écosystèmes créés par l'humain et de mesurer quantitativement les services écosytémiques rendus à la société. Au risque d'induire les politiques publiques en erreur.

"Les lacs et étangs d'eau douce sont d'une grande importance pour l'homme en fournissant de l'eau potable et en soutenant de nombreux services écosystémiques dans le monde, y compris certains essentiels comme l'approvisionnement en poissons, crustacés et plantes comestibles pour des centaines de millions de personnes", comme le rappellent Annette B.G.Janssen et 4 collègues en introduction de leur recherche. Dans le classement international des services rendus par les écosystèmes, on reconnaît quatre grandes familles:

  • les services de soutien impliquent des fonctions écosystémiques clés, telles que la production primaire, le cycle et la rétention des nutriments, ainsi que la séquestration du carbone, 
  • les services d'approvisionnement sont des produits de la nature directement obtenus à partir d'écosystèmes, notamment l'alimentation humaine, l'alimentation animale, l'eau potable, l'énergie,
  • les services de régulation sont des avantages liés à des processus biophysiques tels que la régulation du climat, la maîtrise des crues et sécheresses, la lutte antiparasitaire, 
  • les services culturels sont des avantages non matériels (par exemple, des valeurs spirituelles, esthétiques, culturelles) qui facilitent des activités telles que les loisirs, la cohésion sociale, le bénéfice psychologique aux riverains.

Annette B.G.Janssen et ses collègues ont passé en revue la littérature scientifique pour analyser les services rendus par les lacs et plans d'eau selon leur typologie.

Selon des changements anthropiques ou naturels tels que l'apport excessif de nutriments et le changement climatique, les lacs peu profonds peuvent changer de nature et passer d'un état stable à l'autre. Les auteurs exposent : "Un changement d'état est défini comme un changement persistant dans la structure et la fonction d'un système, où les changements dans les producteurs primaires dominants sont les plus apparents (Scheffer et al 2003; Scheffer et Van Nes 2007). Dans les états oligotrophes et mésotrophes, les lacs peu profonds sont généralement dominés par diverses espèces de macrophytes submergées, tandis que dans les états plus eutrophes, les macrophytes flottantes, les macrophytes émergentes ou le phytoplancton peuvent prévaloir (Hilt et al 2018; Kuiper et al 2017; Scheffer et al 2003). En raison de la rétroaction écologique provoquant une résistance aux facteurs externes, ces états sont souvent stables pendant des périodes allant de plusieurs années à plusieurs décennies (Scheffer et Van Nes 2007)."



Les différents états d'un plan d'eau, extrait de Janssen et al 2020, art cit.

Comment les services écosystémiques varient selon les différents états stables que peuvent adopter des plans d'eau peu profonds? 

Voici la synthèse de leur recherche :

"Les lacs peu profonds peuvent basculer entre des états stables en raison de facteurs anthropiques ou naturels. Quatre états stables communs diffèrent dans les groupes dominants de producteurs primaires: les macrophytes submergés, flottants ou émergents, et le phytoplancton. Les changements dans la dominante des producteurs primaires affectent les principaux services de soutien, d'approvisionnement, de régulation et d'écosystème culturel fournis par les lacs. Cependant, les liens entre les états des lacs et les services sont souvent négligés ou inconnus dans leur gestion, ce qui entraîne des conflits et des coûts supplémentaires.

Ici, nous identifions les principaux services écosystémiques des lacs peu profonds et leurs liens avec les objectifs de développement durable (ODD), comparons la fourniture de services entre les quatre états de l'écosystème et discutons des compromis potentiels.

Nous avons identifié 39 services écosystémiques potentiellement fournis par les lacs peu profonds. Les macrophytes submergés facilitent la plupart des services de soutien (86%) et culturels (63%), les macrophytes émergents facilitent la plupart des services de régulation (60%), et les macrophytes émergents et flottants facilitent la plupart des services d'approvisionnement (63%). La domination du phytoplancton soutient moins de services écosystémiques et contribue le plus à la fourniture de services (42%).

Les services écosystémiques des lacs peu profonds que nous avons identifiés pourraient être liés à 10 objectifs du développement durable (ODD) différents, notamment la faim zéro (ODD 2), l'eau propre et l'assainissement (ODD 6), les villes et communautés durables (ODD 11) et l'action climatique (ODD13).

Nous avons mis en évidence plusieurs compromis (1) entre les services écosystémiques, (2) au sein des services écosystémiques et (3) entre les services écosystémiques à travers les écosystèmes. Ces compromis peuvent avoir des conséquences écologiques et économiques importantes qui peuvent être évitées par une identification précoce dans la gestion de la qualité de l'eau.

En conclusion, les états stables communs dans les lacs peu profonds fournissent un ensemble différent et diversifié de services écosystémiques avec de nombreux liens à la majorité des ODD. La conservation et la restauration des états des écosystèmes devraient tenir compte des compromis potentiels entre les services écosystémiques et la préservation de la valeur naturelle des lacs peu profonds."

Référence : Janssen ABG et al (2020), Shifting states, shifting services: Linking regime shifts to changes in ecosystem services of shallow lakes, Freshwater Biology, DOI: 10.1111/fwb.13582

A lire sur ce thème
Comment dépasser les mauvaises pratiques actuelles en destruction des étangs et plans d'eau
Idée reçue: "Seuils, digues et barrages nuisent aux services rendus par les écosystèmes, qui demandent des rivières libres"

07/09/2020

Lettre à Jean Castex et Barbara Pompili pour cesser la destruction des patrimoines de l'eau

La coordination Eaux & rivières humaines, dont Hydrauxois est membre, demande au Premier Ministre et à la ministre de la Transition écologique d'engager une réforme réelle et non déclarative de la politique de continuité dite "écologique". Les arbitrages n'ont pas changé, les destructions de site restent priorisées, des services de l'Etat, des établissements publics (OFB, agence de l'eau) comme des syndicats de rivière continuent de voir les ouvrages hydrauliques et leurs milieux comme des anomalies devant disparaître, et non comme des partenaires de la gestion écologique de la rivière. Cette forme d'écologie punitive et sectaire, selon les termes de M. Castex, se cogne dans le mur du réel. Nous serons condamnés au conflit et nous ne pourrons rien bâtir sans une position claire du ministère à destination de ses administrations de l'eau et de la biodiversité. La gestion équilibrée et durable de l'eau formant la doctrine publique des lois de notre pays n'a jamais été une prime de principe à la destruction des écosystèmes créés par les humains, à la mise à sec des canaux et plans d'eau, à la condamnation des usages locaux de l'eau, dont ceux qui contribuent à la transition écologique. Le gouvernement, déjà assailli de protestations parlementaires et de plaintes judiciaires sur la mise en oeuvre de continuité dite "écologique", va devoir trancher. 

Lettre à télécharger (pdf) et à envoyer en copie à votre parlementaire, avec mot d'accompagnement sur le contexte local et demande de saisine de Mme Pompili. Chacun doit se mobiliser pour défendre les patrimoines menacés des rivières et bassins versants.

Monsieur le Premier Ministre,

Madame la ministre de la Transition écologique et solidaire,

La Coordination nationale Eaux & rivières humaines est née de la volonté commune de plusieurs dizaines d’associations, collectifs, syndicats, d’être mieux représentés auprès des pouvoirs publics afin de protéger tous les patrimoines menacés de l’eau. En effet, des acteurs importants de la vie des cours d’eau et des bassins versants – les riverains déjà, mais aussi les moulins, les étangs, les défenseurs du patrimoine historique et paysager, les protecteurs de la biodiversité des milieux lentiques, les gestionnaires privés de plan d’eau et de canaux —, sont actuellement peu représentés, voire exclus pour certains, des instances de concertation comme le comité national de l’eau (CNE) ou les comités de bassins des agences de l’eau.

Il résulte un déficit démocratique majeur concernant la co-construction des politiques de l’eau. La façon dont est mise en œuvre la continuité écologique des cours d’eau l’illustre : c’est une des réformes environnementales les plus problématiques en France, comme l’a reconnu le rapport du CGEDD de 2016 commandité par Mme Ségolène ROYAL. Les modalités déplorables d’exécution de cette réforme ont engendré la perte de confiance qu’avaient les citoyens des sites concernés envers l’administration en charge de l’eau.

Les services de l’Etat (DDT-M et DREAL), les agences de l’eau, l’office français de la biodiversité (OFB), la direction eau & biodiversité du ministère ont exprimé depuis 10 ans un parti-pris permanent (et démontrable) en faveur de la destruction des ouvrages hydrauliques, alors que la loi demande expressément qu’ils soient « gérés, entretenus et équipés » (art L.214-17 CE). Les parlementaires et les élus de terrain ont, à maintes reprises, rappelé au ministère ce qui avait été décidé en 2006 dans la loi sur l’eau comme en 2009 dans la loi créant la Trame verte et bleue, à savoir aménager et non effacer les ouvrages. 

Car cette destruction des moulins, étangs, lacs, plans d’eau et canaux pose de nombreux problèmes dont nous sommes témoins sur nos territoires :

  • assecs plus sévères, crues plus violentes,
  • baisse des nappes, des réserves d’eau potable, des réserves de sécurité incendie,
  • suppression d’un potentiel hydro-électrique pourtant facile à relancer,
  • élimination de plans d’eau et zones humides avec leurs écosystèmes inféodés,
  • déséquilibre et déclin de la biodiversité acquise dans les milieux lentiques,
  • destruction du cadre de vie et du paysage appréciés des riverains,
  • dépossession des territoires qui subissent des choix arbitrés ailleurs.

Conscient de ces très vives controverses, le ministre de l’écologie a proposé un « plan pour une politique apaisée de continuité écologique » en 2018. 

Mais ce plan n’est suivi d’aucun effet, ce qui aggrave la crise de confiance. Ainsi en ce moment même, dans le cadre des SDAGE en cours d’élaboration, les services de l’Etat au sein des agences de l’eau ont proposé de reconduire la prime financière à l’effacement des ouvrages tout en refusant la moindre étude des services écosystémiques attachés aux ouvrages. Pourquoi prétendre à l’apaisement quand les personnels publics sous la tutelle du ministère, en charge de la primo-rédaction des SDAGE, reconduisent volontairement les conditions de la division, alors même qu’ils ont été maintes fois saisis du problème ?

Plus généralement,

  • nos adhérents qui optent pour ces solutions douces de mise en conformité au titre de la continuité écologique (construction de passe à poissons ou de rivières de contournement), conformes à l’intérêt général d’une gestion équilibrée de l’eau, se voient opposer un  taux de financement public tellement modique qu’il en devient volontairement dissuasif, vu le coût exorbitant des travaux devenant inaccessibles,
  • nos adhérents souhaitant relancer l’énergie hydro-électrique au droit de leur site découvrent des exigences administratives dont le coût représente plusieurs dizaines d’années de revenu de micro-exploitation.

Dans un entretien à Ouest-France vous avez dit, monsieur le Premier Ministre : « l’écologie est-elle une priorité ? La réponse est clairement oui. Dans mon esprit, la netteté de cette réponse a sans doute été retardée par les tenants d’une écologie punitive et décroissante, d’une écologie moralisatrice voire sectaire qui, sans doute de parfaite bonne foi, ont beaucoup nui et continuent de desservir la cause. Mais mes années en tant que maire, mon vécu en tant que père, m’ont convaincu de l’urgence de ce combat. »

Nous sommes entièrement en phase avec ce constat. 

Nous estimons que :

  • détruire le riche patrimoine français des moulins, des étangs, des lacs, des canaux, des barrages, c’est de l’écologie punitive et sectaire,
  • méconnaître les dynamiques réelles des rivières déjà fragmentées par les barrages de castors et d’embâcles bien avant que l’homme n’y installe ses propres ouvrages et plans d’eau voici plus de mille ans, c’est de l’écologie punitive et sectaire,
  • exercer une forte pression sur les propriétaires en finançant à 95-100% la seule solution de destruction de leur propriété et de ses usages, c’est de l’écologie punitive et sectaire,
  • refuser de considérer et d’étudier la biodiversité des milieux aquatiques créés de la main de l’homme au seul motif qu’ils ne sont pas naturels, c’est de l’écologie punitive et sectaire,
  • désinformer les élus locaux en affirmant que tout aurait déjà été dicté par l’Europe, qu’il n’existe aucune alternative ni co-construction possible, que le financement public des solutions douces et consensuelles doit forcément être dérisoire, c’est de l’écologie punitive et sectaire.

Une écologie inclusive, réaliste et pragmatique consiste à protéger des rivières sauvages quand elles existent encore, mais aussi à accepter les rivières aménagées par l’homme pour ses besoins et à proposer des améliorations de ces aménagements. Les racines du problème de la continuité écologique sont là, et nulle part ailleurs : au lieu d’améliorer le sort des poissons migrateurs par des solutions de compromis respectant les usages et les biotopes, au lieu de profiter des ouvrages pour atténuer l’impact des sécheresses et pour augmenter l’équipement bas-carbone du pays, certains ont développé une écologie radicale de « retour à la nature » par négation des réalités humaines, historiques, sociales, paysagères. Ce n’est pas dans cette logique de confrontation et d’exclusion que l’on doit concevoir la conservation de la biodiversité au 21e siècle. Car cette biodiversité est bien notre affaire à tous, comme le climat.

Vous visitiez voici peu ensemble, monsieur le Premier Ministre, madame la Ministre, la réserve naturelle de l'étang Saint-Ladre à Boves : cette co-construction de l’homme et de la nature, permettant des usages humains et des épanouissements d’espèces, n’est-elle pas la preuve vivante de l’absurdité à démanteler partout sur argent public des plans d’eau, des biefs et tant de milieux hérités de l’histoire ?  

Nous vous posons donc une question simple : le gouvernement français entend-il aujourd’hui engager toute son administration, sans exception, à reconnaître et respecter les ouvrages hydrauliques existants, à encourager leur équipement hydro-électrique, à proposer des solutions de gestion écologique qui ne passent plus par la priorisation de la destruction des sites et de leurs écosystèmes ?

Nous vous remercions par avance de la sincérité et de la clarté de votre réponse.