25/02/2021

L'administration doit être au service de la modernisation et non de la destruction des ouvrages en rivière

La nouvelle sanction du ministère de l'écologie pour excès de pouvoir dans le domaine de la continuité des rivières est en train de raviver la colère des associations de riverains en lutte pour défendre leur cadre de vie. Il y a un ras le bol généralisé face à au blocage de certains fonctionnaires de ministère, d'agences de l'eau, de DDT-M, d'OFB ou de syndicats qui persistent à vouloir dénigrer et détruire les ouvrages hydrauliques au lieu d'accomplir leur devoir de service public pour des solutions constructives. A l'occasion du vote de la loi Climat et résilience, qui comporte des articles sur les hydrosystèmes, sur l'économie locale et sur l'énergie renouvelable, la coordination nationale eaux & rivières humaines (CNERH) appelle les parlementaires à apaiser la situation et à mettre fin au désordre permanent autour des questions de continuité écologique. La loi doit indiquer clairement que le rôle de l'administration est d'accompagner la modernisation des ouvrages hydrauliques au service de l'économie et de l'écologie. Pas de faire pression financière ou réglementaire pour leur destruction au nom d'une idéologie de la rivière sauvage et de l'humain chassé de la nature. 




Le 15 février 2021, examinant la plainte déposée par les syndicats et fédérations de moulins, riverains, étangs, hydro-électriciens, le conseil d’Etat a annulé de décret du 3 août 2019 qui donnait une définition abusive de l’obstacle à la continuité écologique. C’était, encore, un excès de pouvoir de l’administration dans l’interprétation de la loi sur l’eau de 2006.

Plusieurs autres contentieux ont été gagnés depuis 5 ans par les défenseurs du patrimoine hydraulique français et par les producteurs d’énergie hydraulique décarbonée. Deux autres demandes d’annulation visant des textes ministériels sur la continuité écologique sont déjà en cours d’examen au conseil d’Etat, contre la création abusive de régime à deux vitesses de rivières, non prévu dans la loi de 2006 (circulaire du 30 avril 2019) et contre l’incitation à détruire moulins ou étangs sur simple déclaration sans étude d’impact (décret du 30 juin 2020). 

L’administration du ministère de l’écologie a prétendu qu’elle menait une « politique apaisée » de continuité écologique. Ce n’est manifestement pas le cas. Ce contentieux perdu par elle en est la preuve.

Depuis 10 ans, des milliers de sites de moulins, d’étangs, de plans d’eau et de centrales hydro-électriques ont été détruits, et asséchés. Cela continue aujourd’hui. C’est une perte de ressource en eau, de biotopes aquatiques et humides, de production d’énergie propre, de mémoire culturelle et sociale.

Soucieuse de participer au débat démocratique, la CNERH a indiqué plusieurs évolutions possibles de la loi Climat et résilience qui doit être examinée à compter du 8 mars 2021. La CNERH demande solennellement aux parlementaires de voter 
• une protection forte du patrimoine hydraulique français, héritage culturel et paysager auquel sont attachés des millions de riverains, 
• une protection forte de tous les milieux en eau, incluant expressément ceux créés par les humains, face au péril climatique et à la perte de biodiversité,
• une incitation forte à équiper en hydro-électricité les ouvrages qui peuvent l’être, afin de tenir nos engagements de transition bas-carbone.

Moulins, étangs, plans d’eau, entreprises hydro-électriques sont prêts à participer à l’effort national pour que la France respecte les obligations de la directive européenne sur l’eau de 2000, atteigne l’objectif de réduction de 55% d’émission CO2 en 2030 par rapport à 1990, réussisse sa stratégie nationale de biodiversité.

23/02/2021

Sur la Risle, on cadenasse les vannes des moulins

La préfecture de l'Orne a pris un arrêté contesté obligeant les ouvrages hydrauliques de la Risle à tenir toutes leurs vannes ouvertes, même hors période de crue. Ce qui a pour effet de vider biefs et retenues. Non seulement l'administration n'écoute pas les objections de l'association locale, mais des propriétaires ont eu la mauvaise surprise de découvrir que des cadenas ont été posés sur certaines vannes, pour empêcher toute action. Nous n'aurons jamais une continuité apaisée si les services de l'Etat et des syndicats de rivière persistent à harceler les ouvrages hydrauliques et à refuser de mettre les moyens pour un traitement au cas par cas de chaque ouvrage.


Le 13 novembre 2020, la préfecture de l'Orne a pris un arrêté exigeant d'ouvrir jusqu'à fin mars toutes les vannes des ouvrages hydrauliques sur la Risle. La motivation était un risque d'inondation, mais aussi de manière sous-jacente la restauration de continuité écologique. Or, ouvrir en permanence les vannes des ouvrages a pour effet hors crue de vider les biefs et les retenues. De plus, c'est contraire au respect de la consistance légale autorisée de chaque ouvrage, il faudrait une justification au cas par cas d'un risque inondation. Enfin, la succession des retenues et des biefs a pour effet de "tamponner" les crues de l'amont vers l'aval, au lieu que l'eau file à toute vitesse et augmente les risques en zone aval. D'ailleurs, il est aujourd'hui admis que des débordements latéraux sont bénéfiques pour la gestion de crue, la rétention d'eau et la biodiversité, si bien sûr ils n'affectent pas des tiers.

L'association les Amis des moulin 61, présidée par André Quiblier, a déposé un recours gracieux contre cette mesure jugée excessive de la préfecture de l'Orne. 

Voici un extrait des argument de l'association : 
"Il n’est pas de notre volonté de contester que  des mesures exceptionnelles s’imposent lors des crues de la rivière Risle mais nous insistons sur le fait qu’au-delà même de la violation des règlements d’eau existants et du droit d’usage attaché à la propriété de ces moulins, cet arrêté a pour conséquence de bouleverser le régime des eaux de la Risle tel qu’il existe  depuis des siècles, avec deux conséquences majeures :  accélération de la vitesse d’écoulement des eaux et abaissement des lignes d’eau. 
Ces effets ont pour conséquence : 
- d’exonder de nombreuses berges en amont des ouvrages et de provoquer  des processus d’érosion sur ces linéaires qui en étaient dépourvus autrefois entraînant chute d’arbres, effondrement de berge, entraînement des terres arables, déchaussement d’ouvrages d’art dont les moulins eux-mêmes,
- d’assécher des zones humides de bordure, plan d’eau ou étangs dont l’existence repose sur la permanence des niveaux d’eau existants, 
- de réduire la capacité de la rivière à recharger les nappes phréatiques d’accompagnement en période hivernale, 
- de détruire d’importants faciès d’écoulement lentiques abritant une faune et une flore spécifiques  alors que la loi impose de « préserver ces mêmes milieux » et non de les bouleverser,
- d’aggraver le régime de crue à l’aval, puisque l’eau moins retenue arrive à la fois plus vite et en plus grand volume vers ces zones aval du bassin.
Ces effets,  en cascade,  sont  tous absolument contraires aux différents enjeux légaux établis par l’article L211-1 du Code de l’environnement."

Non seulement les services du préfet n'ont pas donné suite à ce recours gracieux en retirant l'arrêté litigieux, mais certains propriétaires d'ouvrages sur la Risle ont eu la désagréable surprise de constater que des cadenas ont été posés sans aucune autorisation sur les mécanismes des vannes de certains moulins, afin d'empêcher leur gestion! L'affaire est en cours d'examen par l'association pour vérifier qui a pris cette initiative et quelles suites judiciaires peuvent être données le cas échéant. 

La continuité n'est toujours pas "apaisée": les préfectures persistent à harceler les ouvrages avec des a priori négatifs, à tenir des discours contradictoires sur la gestion des crues et des zones humides latérales (dont font partie les biefs), à chercher des solutions simplistes,  à refuser de mettre le personnel et les moyens financiers pour traiter dignement et efficacement la continuité écologique de chaque ouvrage au cas par cas. 

Nous demandons aux parlementaires de constater ces troubles publics persistants et de les faire cesser en assurant une protection des ouvrages et de leurs milieux dans la loi

20/02/2021

"La protection de la biodiversité ne peut plus faire abstraction des dimensions économiques, sociales et culturelles", Christian Lévêque

Dans une note très stimulante publiée par la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol), l'écologue et hydrobiologiste Christian Lévêque suggère aux décideurs de repenser les orientations des politiques de biodiversité au regard notamment de l'évolution des connaissances en sciences naturelles et en sciences sociales. Le droit de l'environnement a été conçu sur le paradigme ancien d'une nature séparée de l'Homme, une nature qu'il faudrait protéger en accentuant cette séparation et en faisant des aires sauvages coupées de tout. Mais les progrès de la science et notamment de l'écologie montrent qu'il est en fait impossible de séparer l'humain du non-humain, d'isoler la nature de la société et de l'histoire. Le droit de l'environnement et en particulier de la biodiversité, fondé en France sur un idéal jacobin de normes homogènes de naturalité imposées par l'Etat central, doit donc évoluer. Et les métriques de la biodiversité doivent intégrer la réalité des évolutions du vivant sous l'influence humaine, pas uniquement les extinctions et risques d'extinction, mais aussi les transformations non réversibles et la création de nouveaux écosystèmes issus de l'histoire multimillénaire de notre espèce. 



Extraits de la note de Christian Lévêque

"En 2014, le chercheur Jacques Tassin faisait le constat suivant : «On traîne une vision obsolète de la nature, aujourd’hui décalée avec la réalité de notre monde et de notre savoir. Même si la science révèle toujours davantage qu’il n’y a ni équilibre ni ordre dans la nature, que le hasard y joue à plein et que tout n’y est que perpétuel changement, rien n’y fait. On en reste toujours attaché à cette idée, héritée du romantisme allemand, d’une nature fonctionnant comme un Tout, à l’image d’un organisme vivant dont il nous reviendrait de préserver l’intégrité et la santé

Des situations hétérogènes
C’est un fait que les activités humaines ont une influence sur la biodiversité, au même titre que les feux de forêt, les tsunamis, les sécheresses, les éruptions volcaniques ou les alternances de périodes climatiques telles que l’Europe les a vécues. Il est tout aussi exact que, selon des critères éthiques, certaines activités conduisent à la destruction d’un héritage de l’évolution et qu’il est nécessaire d’y prêter attention. Mais la question de la protection de la biodiversité se pose différemment selon les régions du monde, lesquelles n’ont pas la même histoire climatique et évolutive et qui en sont à des degrés d’anthropisation très différents. À ce titre, la biodiversité européenne, qui a connu plusieurs cycles de glaciation et une forte emprise des civilisations agricoles depuis des millénaires, n’est pas comparable à celle de la forêt de Bornéo ni à celle de la forêt amazonienne. Tenir des discours globalisants et généraux sur l’érosion de la biodiversité et sa protection n’est donc pas correct. Même en France, les problèmes ne sont pas comparables entre la Bretagne et la Corse ou entre la Guyane et la Réunion. Ces situations conjoncturelles nécessitent d’envisager des politiques adaptées aux contextes régionaux. Par analogie avec la génétique, chaque région a son «empreinte écologique» dont il faut tenir compte.

Anticiper les réponses à apporter par une diversité d’approches adaptées aux contextes écologiques locaux
Nous vivons dans un pays où la nature que nous aimons est une nature anthropisée. Comme l’analysait déjà fort bien Serge Moscovici en 1972, nous sommes passés «d’une nature qui nous a faits à une nature que nous faisons». La question est alors de savoir comment gérer cette nature anthropisée dans un contexte de changement global, où les usages des ressources et des systèmes écologiques se modifient, où le climat se réchauffe, où les espèces voyagent, où nos sociétés occidentales accordent plus d’importance qu’autrefois à leur cadre de vie et à la protection de la nature, etc. Pour compliquer les choses, nous savons que les nombreux aléas associés à ces facteurs de forçage 52 rendent toute prévision bien difficile.
Que vont devenir nos bocages si nous mangeons moins de viande et si l’élevage périclite ? Si la forêt regagne du terrain et que l’urbanisation grignote nos territoires, que deviendront les espèces de milieu ouvert ? Si, comme l’envisagent certaines études, la pluviométrie diminue sur une grande partie de l’Hexagone alors que l’évapotranspiration augmente en raison de l’élévation de la température, que vont devenir les zones humides dont la protection est devenue un enjeu national et qui sont particulièrement sensibles aux bilans hydriques ? Va-t-on laisser faire la nature ? Ou allons-nous essayer de les maintenir en eau ? Et, dans ce cas, comment procéder ? De même, on peut probablement anticiper le fait que certains de nos cours d’eau vont devenir intermittents, comme c’est le cas actuellement pour certains cours d’eau d’Europe du Sud.
Nombre de projets pèchent par un manque d’anticipation. Les réponses nécessitent une diversité d’approches adaptées aux contextes écologiques locaux et aux diverses attentes de la société. Il faut adopter une démarche qui fasse appel à l’intelligence collective et se garder d’un certain jacobinisme qui est de mise actuellement. Comme l’écrit Sylvie Brunel : «Pour construire des solutions durables, il faut changer de regard. Ne pas accabler, mais proposer. Ne pas dresser d’intolérables constats en blâmant des boucs émissaires tous trouvés, mais puiser dans la géographie des éléments de comparaison et d’analyse qui permettent de trouver les bonnes solutions.»

Les aires protégées ne sont pas la solution universelle
La gestion doit être tournée vers l’avenir et non pas vers le passé, avec la réelle difficulté de se donner des objectifs réalistes. Le futur est à construire, mais sur quelles bases ? La biodiversité est loin d’être un simple objet naturaliste. La gestion de la biodiversité doit alors prendre en compte de nombreux critères, notamment des critères culturels et émotionnels, voire passionnels ou mystiques.
Si l’on s’inscrit dans une perspective écocentrée de protection de la biodiversité, considérée essentiellement comme un objet naturaliste, alors il faudrait créer de plus en plus de zones protégées dans lesquelles l’homme serait exclu et laisser, selon l’expression consacrée, la nature «reprendre ses droits». C’est ce que certains suggèrent sous l’appellation de «naturalité» (wilderness), expression qui valorise la nature spontanée, indépendante des activités humaines. C’est une option clairement affichée par certaines ONG qui réclament de plus en plus de mesures protectionnistes. C’est aussi celle que reprend à son compte le One Planet Summit, qui affiche dans sa feuille de route vouloir transformer 30% des terres en espaces protégés.
Le principe des aires protégées peut faire partie d’une gestion d’ensemble de la biodiversité. Ainsi, les aires protégées marines ont fait preuve de leur efficacité dans la gestion de la biodiversité et des ressources marines et des aires protégées terrestres peuvent se justifier pour protéger des espèces endémiques. Mais il est difficile de penser qu’on puisse en faire une politique généralisée. L’une des raisons, notamment en milieu terrestre, tient aux changements susceptibles d’intervenir avec le réchauffement climatique. Ainsi, avec une remontée du niveau marin d’un mètre, la moitié de la réserve naturelle de l’estuaire de la Seine serait sous les eaux, et elle disparaîtrait totalement si le niveau marin remontait de deux mètres.
Quant aux zones humides, ce sont des milieux labiles sensibles aux modifications de la pluviométrie qui peuvent rapidement disparaître si la sécheresse devient chronique dans certaines régions. Sans compter que les changements de température entraînent des modifications dans l’aire de répartition des espèces.
L'extension des surfaces protégées ne va pas sans poser des problèmes sociaux, trop souvent passés sous silence. Car il faut alors résoudre l’équation suivante : comment augmenter la surface des aires protégées dans des pays où la croissance démographique est forte et où la demande en espaces agricoles s’accroît en proportion ? Que faire alors des populations humaines qui ne peuvent pas être considérées comme un simple facteur d’ajustement et qui vont se concentrer dans des zones de plus en plus restreintes ? Les politiques de mise en place des parcs nationaux africains donnent à réfléchir. On peut, de manière incantatoire, regretter la croissance démographique, mais elle existe et on ne sait pas la gérer. La Chine et l’Inde s’y sont essayées, avec un succès pour le moins mitigé.
En revanche, si l’on s’inscrit dans la perspective de développement durable, de bien-être humain ou, plus précisément, d’une coconstruction à avantages réciproques pour l’humanité et la biodiversité, alors il faut nécessairement rechercher des compromis. Dans ce cadre, différentes pistes sont possibles. Par exemple, le choix de privilégier l’échelle territoriale avec le souci d’adapter les actions à mener au contexte local semble préférable à des politiques centralisées et normatives qui gomment les spécificités. Il faut pour cela accepter que les objectifs et les priorités puissent différer selon les territoires, ce qui implique une décentralisation des politiques environnementales.

Pour un droit de l’environnement flexible et réactif
Dans ce contexte, la voie qui semble s’imposer est celle d’une gestion adaptative, c’est-à-dire apprendre en faisant, agir en utilisant les informations de nature scientifique mais aussi les connaissances empiriques et les expériences accumulées. C’est l’antithèse de la gestion jacobine et normative telle que nous la pratiquons le plus souvent.
Il n’en reste pas moins que si l’on se fixe des objectifs, il faut aussi accepter de modifier le cap selon les circonstances. Et il faudrait pour cela une législation flexible et réactive. Or le droit de l’environnement actuel s’applique difficilement à des situations évolutives par essence.
La nature se voit protégée mais contrainte à demeurer en l’état car on n’a pas imaginé qu’elle pouvait changer spontanément. En l’absence de réflexion sur les futurs possibles, cela conduit inéluctablement à bloquer de nombreux projets de développement sur la base de principes périmés. Or nombre de sites d’intérêt pour la conservation de la nature et labellisés en tant que tels sont des sites anthropisés, à l’exemple de ces «nouveaux écosystèmes» que sont la Camargue, la forêt des Landes ou le lac du Der- Chantecoq cités dans notre étude.
La protection de la biodiversité ne peut donc plus faire abstraction des dimensions économiques, sociales et culturelles, et de leur intégration dans les politiques d’aménagement du territoire, de développement économique et de cadre de vie des habitants. Autrement dit, la gestion de la biodiversité n’est pas seulement l’apanage de spécialistes des sciences de la nature ou de mouvements militants, elle concerne aussi l’ensemble des citoyens quant aux décisions à prendre à l’échelle territoriale, compte tenu des autres enjeux qui en découlent. Il faut gérer la nature ou la «piloter» en fonction d’objectifs que nous aurons définis, sur des bases concrètes et pragmatiques, et non pas sur des bases théoriques, voire idéologiques. Il faut ici prendre garde à ne pas tomber dans l’illusion du «se réconcilier» avec la nature : celle-ci ne cherche pas à négocier car elle fonctionne sans but préconçu. Laisser la nature reprendre ses droits, c’est en réalité se mettre à sa merci.
Pour sensibiliser les citoyens à la protection de la biodiversité, nous avons besoin d’objectifs réalistes et concrets, ainsi que d’une vision plus positive de nos rapports à la nature. Sans pour autant éluder le fait que nous exerçons des pressions jugées négatives sur la nature, il serait bon de mieux valoriser les situations qui nous paraissent exemplaires et qui pourraient servir de références dans nos projets de gestion et de restauration, en l’absence d’une hypothétique référence que l’on ne peut pas définir objectivement. Nous devrions aussi, pour définir des politiques, nous appuyer sur les faits, non pas sur des croyances. En d’autres termes, «il ne s’agit pas de privilégier la nature au détriment de l’homme, mais de travailler de façon à rendre compatibles usages et préservation des écosystèmes».

Source : Lévêque C (2021), Reconquérir la biodiversité, mais laquelle?, février 2021, Fondapol,  64 pages.

17/02/2021

Le conseil d'Etat vient de prononcer l'illégalité d'une approche radicale et hors-sol de l'écologie des rivières

En censurant le gouvernement sur la continuité écologique, le conseil d'Etat va plus loin qu'une simple décision technique. La plus haute autorité administrative rappelle au ministère de l'écologie et à son administration que la loi sur l'eau de 2006 n'a jamais validé l'idée d'une rivière rendue sauvage par destruction ou interdiction des ouvrages hydrauliques. Au-delà du décret de 2019, c'est donc une vision punitive et radicale de l'écologie qui vient d'être censurée. Les politiques doivent reprendre ce dossier en main pour définir une écologie de conciliation, adaptée aux différents enjeux de la rivière, posant la hiérarchie des actions publiques. Et c'est urgent : la France qui détruit ses moulins et assèche ses étangs ne respecte ni la directive européenne sur l'eau, ni les objectifs européens sur le climat et l'énergie...


Si l'on ramène à sa plus simple expression la décision du conseil d'Etat le 15 février 2021, que dit-elle ?

Même dans les rivières à plus forte protection de la fonction de continuité écologique (liste 1), nous pouvons construire des barrages. A fortiori, nous pouvons restaurer un ouvrage ancien existant. A fortiori encore, nous pouvons faire tout cela dans des rivières moins réglementées.

Cela ne signifie pas construire ou restaurer n'importe comment, mais en respectant des dispositions qui permettent à des poissons migrateurs de circuler, et en veillant à ce que l'activité sédimentaire de l'amont vers l'aval soit suffisante.

La décision du conseil d'Etat n'est pas seulement la censure du gouvernement pour excès de pouvoir sur un point technique : c'est un rappel sévère et sec de l'esprit et de la lettre de la loi sur l'eau de 2006.
  • Jamais les députés et sénateurs n'ont voté une loi qui "gèlerait" l'état des rivières du pays pour en faire une nature inviolable. 
  • Jamais les députés et sénateurs n'ont voté une loi qui exigerait le retour de la rivière sauvage sans humain comme objectif.
  • Jamais les députés et sénateurs n'ont voté une loi qui donnerait un blanc-seing à la destruction des moulins, des forges, des étangs, des barrages et du patrimoine hydraulique du pays.
Une chose est mal perçue par le public et par de nombreux élus : la rivière a été, depuis 10 ans, le terrain discret du développement de discours et de choix écologiques radicaux, allant bien au-delà de la loi, choix au terme desquels nous pourrions et devrions revenir à un état antérieur de la nature en effaçant toute présence humaine. Un tel discours n'est pas tenu pour d'autres milieux, où l'on prend soin de concilier la biodiversité ou la fonctionnalité écologique avec les usages humains. Si des zones sont hyper-protégées et livrées à la seule vie sauvage, c'est dans certains coeurs de parcs nationaux qui ne sont quasiment pas peuplés et qui ont été assez peu transformés depuis la déprise rurale du 19e siècle. Mais ce n'est certainement pas un choix routinier, comme on a essayé de l'imposer sur des dizaines de milliers de kilomètres de rivière. Et ce n'est certainement pas un choix qui autorise à démolir le patrimoine en place.

Les ouvrages hydrauliques ont concentré cette charge symbolique, victime expiatoire des partisans de la "renaturation" brutale : la pelleteuse qui détruit ces bâtis souvent centenaires, voire millénaires est censée incarner le triomphe du retour de la nature par exclusion de l'humain. 

Cette vision-là, partagée dans sa radicalité par certains administratifs et par des ONG, a échoué socialement, politiquement et juridiquement. Elle est aussi une impasse intellectuelle. Il faut donc revenir à une autre écologie de la rivière

C'est d'autant plus nécessaire que pendant la casse des moulins, étangs et barrages, la France échoue largement à tenir les objectifs de la directive cadre européenne sur l'eau comme elle échoue à tenir les objectifs climatiques de l'Accord de Paris

15/02/2021

Le conseil d'Etat annule la redéfinition de l'obstacle à la continuité écologique, nouvelle déroute de l'administration

L'association Hydrauxois et ses consoeurs - FFAM, FDMF, FHE, EAF, ARF, Union des étangs de France - viennent de remporter une victoire juridique décisive contre la direction eau et biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie: le conseil d'Etat annule la redéfinition de l'obstacle à la continuité écologique imposée par le décret du 3 août 2019. Au terme de cette manoeuvre de la DEB, tout devenait un obstacle à la continuité écologique, il était impossible de construire un barrage ou de réparer une chaussée de moulin ou d'étang sur une rivière classée au titre de la continuité écologique. Mais ce décret des hauts fonctionnaires de l'écologie était entaché d'illégalité et se trouve annulé : le conseil d'Etat exige d'examiner les ouvrages au cas par cas et refuse de les interdire a priori (même en liste 1) s'ils sont conformes à la circulation des poissons et sédiments. Dans le même arrêt, le conseil d'Etat déboute la fédération de pêche FNPF et France Nature Environnement de leur requête contre la prise en compte des rivières à débits atypiques. Explications.

Par décret du 3 août 2019, le ministère de la Transition écologique et solidaire avait entrepris de redéfinir l'obstacle à la continuité écologique de manière très extensive. Nous avions souligné dès sa parution le caractère grotesque de cette nouvelle définition, faisant qu'un barrage naturel d'embâcles ou de castors deviendrait un problème selon cet excès manifeste de pouvoir venant de la haute administration. Plus concrètement, ce décret visait à empêcher la construction d'une centrale hydro-électrique, même si le barrage est conçu pour laisser circuler des poissons et des sédiments. Pareillement, il devenait impossible de restaurer une chaussée de moulin ou d'étang qui aurait été ébréchée jadis. Plusieurs propriétaires (dont un membre de l'association Hydrauxois) se sont déjà vus opposer le nouvel article R 214-109 code environnement issu de ce décret de 2019, cela afin d'interdire leurs projets de relance de sites.

Le conseil d'Etat vient d'annuler le décret du ministère de l'écologie, qui était bel et bien un excès de pouvoir. Un de plus.

La motivation avancée par le conseil d'Etat est simple :

"En interdisant, de manière générale, la réalisation, sur les cours d’eau classés au titre du 1° du I de l’article L. 214-17, de tout seuil ou barrage en lit mineur de cours d’eau atteignant ou dépassant le seuil d’autorisation du 2° de la rubrique 3.1.1.0 de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1, alors que la loi prévoit que l’interdiction de nouveaux ouvrages s’applique uniquement si, au terme d’une appréciation au cas par cas, ces ouvrages constituent un obstacle à la continuité écologique, l’article 1er du décret attaqué méconnaît les dispositions législatives applicables."

Cela signifie donc que la continuité écologique telle que définie par la loi, en particulier par l'article L 214-17 CE, renvoie à des propriétés fonctionnelles précises (sur les poissons, les sédiments) qui s'apprécient au cas par cas, mais non à un interdit de principe.

C'est une défaite juridique notable pour les tenants de la "rivière sauvage" essayant depuis des années de surinterpréter la loi sur l'eau de 2006 et de diaboliser l'existence même de l'ouvrage hydraulique humain, vu comme un problème en soi.

Nous reviendrons dans un prochain message sur la signification politique de cette décision du conseil d'Etat, alors que les parlementaires examinent la loi Climat et résilience devant comporter des mesures sur les hydrosystèmes et sur les énergies renouvelables. 

D'ores et déjà : un grand merci aux adhérents et aux soutiens de notre association, qui nous aident par leurs cotisations à mener ce travail de protection des ouvrages hydrauliques et de promotion d'une écologie raisonnée des cours d'eau. Deux autres contentieux sont en cours d'examen au conseil d'Etat, contre le décret scélérat du 30 juin 2020 autorisant la destruction d'ouvrages et de milieux sur simple déclaration, contre la circulaire du 30 avril 2019 de continuité dite "apaisée" créant un régime à nos yeux illégal de rivière prioritaire. 

Le combat continue !

Voici les premières explications de Me Jean-François Remy, avocat de l'association.

"Par décision rendue ce jour sur une requête introduite par mon Cabinet pour le compte notamment de France Hydro Electricité, de la Fédération Française des Associations de Sauvegarde des Moulins – FFAM, de la Fédération des Moulins des France – FDMF, de l’Association des Riverains de France – ARF et d’Hydrauxois, le Conseil d’Etat vient d’annuler l’article 1er du décret ministériel du 3 août 2019, qui avait durci la définition de l’obstacle à la continuité écologique prévue à l’article R 214-109 du Code de l’environnement.

Pour mémoire, à compter de la date d’entrée en vigueur de ce décret porté par la Direction de l’Eau et de la Biodiversité/Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, étaient notamment considérés comme un obstacle à la continuité écologique, dont la construction est interdite sur un cours d’eau classée en Liste 1 au titre de l’article L 214-17 du Code de l’environnement :

- Tout ouvrage en lit mineur d’un cours d’eau d’une hauteur supérieure à 50 cm, qu’il barre ou non l’ensemble de la largeur du cours d’eau, à la seule exception des ouvrages à construire pour la sécurisation des terrains de montagne pour lesquels il n’existe pas d’alternative,

- Tout ouvrage de prise d’eau ne restituant à l’aval que le débit réservé ou débit minimum biologique une majeure partie de l’année,

- Toute remise en état d’un barrage de prise d’eau fondé en titre notamment, dont l’état actuel pouvait être considéré comme ne faisant plus obstacle à la continuité écologique.

Ce décret condamnait une part majeure du potentiel de développement de l’énergie hydraulique en sites nouveaux et en rénovation sur des sites existants, dont une grande part est située sur les cours d’eau classés en Liste 1, et par ailleurs condamnait un nombre conséquent de moulins anciens à une démolition « naturelle » et inéluctable de leurs ouvrages dont la remise en état était interdite.

Conformément à ce que nous avions soutenu en requête, le Conseil d’Etat a notamment retenu que le Gouvernement ne pouvait valablement considérer :

- Qu’un ouvrage en lit mineur présentant une hauteur de 50 cm au moins est nécessairement un obstacle à la continuité écologique au sens de l’article L 214-17 du Code de l’environnement.

Rappelant ses décisions adoptées au titre des deux précédentes tentatives de définition restrictive de la continuité écologique réalisées par circulaires ministérielles partiellement annulées de 2010 et 2013, le Conseil d’Etat confirme qu’un tel critère absolu ne peut légalement être retenu, la loi ainsi que les débats parlementaires prévoyant que le critère d’obstacle à la continuité écologique doit être apprécié au cas par cas.

A ce titre, la méconnaissance par la Direction de l’Eau et de la Biodiversité de la loi, de la volonté du législateur et enfin de la jurisprudence du Conseil d’Etat est santionnée.

- Que la restitution à l’aval d’un ouvrage de prise d’eau du seul débit réservé ou débit minimum biologique serait nécessairement un obstacle à la continuité écologique, dans la mesure où – précisément – le débit minimum biologique prévu à l’article L 214-18 du Code de l’environnement a pour objet de permettre de garantir la vie, la circulation et la reproduction du poisson.

A ce titre, la méconnaissance de la loi par la Direction de l’Eau et de la Biodiversité est également sanctionnée.

L’ensemble de ces dispositions étant liées, le Conseil d’Etat annule dans le même temps le II. de l’article R 214-109 du Code de l’environnement qui concernait la remise en état des barrage de prise d’eau fondés en titre.

Cette décision, qui est sans recours, est d’application immédiate.

Dans ces conditions :

- Les dispositions de l’article R 214-109 du Code de l’environnement modifiées par le décret du 3 août 2019 cessent de produire effet à compter de ce jour.

- Toute décision administrative fondée sur les dispositions de l’article R 214-109 du Code de l’environnement en vigueur depuis le 3 août 2019 et jusqu’à ce jour est entachée d’illégalité, son annulation pouvant être sollicitée devant le juge administratif si le délai de contestation court toujours ou encore si un recours a déjà été engagé.

Dans les autres cas (délai de recours dépassé ou recours déjà jugé définitivement), il est possible de saisir le Préfet d’une demande de retrait de la décision qui serait fondée sur ces dispositions  au visa de l’article L 243-2 du Code des relations entre le public et l’administration.

- Il est à nouveau possible de déposer une demande d’autorisation environnementale pour la création et/ou la modification d’un ouvrage hydraulique sur un cours d’eau classé en Liste 1, sous réserve que le projet ne soit pas de nature à constituer un obstacle à la continuité écologique, cette existence d’un obstacle à la continuité écologique devant à nouveau donner lieu à une appréciation au cas par cas.

Pour conclure, il est précisé que le recours formé par la Fédération Nationale de Pêche ainsi que France Nature Environnement, qui visait l’article 2 du décret (création d’un nouveau cas de cours d’eau atypique pour les cours d’eau de type méditerranéens) est quant à lui rejeté." 

Référence : Conseil d'Etat, arrêt nos 435026, 435036, 435060, 435182, 438369, décision du 15 février 2021