08/01/2021

La France échoue à assurer la qualité écologique et chimique de ses eaux

Les agences des grands bassins hydrographiques français s'apprêtent à adopter leur dernier programme d'action (SDAGE) avant la date-butoir de 2027 où la directive européenne sur l'eau de 2000 exigeait le bon état chimique et écologique de 100% des masses d'eau. Or, les états des lieux des bassins publiés au cours de l'année 2020 révèlent un échec majeur : nous sommes entre 23% et 50% des cours d'eau et plans d'eau en bon état écologique. Avec même des régressions par rapport à 5 ans plus tôt, car l'Europe s'est montrée plus exigeante sur la prise en compte de certains polluants. Pourquoi en sommes-nous là? 


Dans le rapport n° 271 (2004-2005) déposé le 30 mars 2005 en préparation de la loi sur l'eau de 2006, les parlementaires observaient "des résultats concrets mitigés" de la politique publique de l'eau depuis 1964:
"Face à ces enjeux communautaires [de la directive eau 2000], et malgré le dispositif mis en place par les lois sur l'eau ou la pêche du 16 décembre 1964, du 29 juin 1984 et du 3 janvier 1992, force est de constater que la situation en France n'est pas entièrement satisfaisante, même si par certains de ses aspects la directive cadre sur l'eau est inspirée en partie du modèle français.
En effet, la qualité des eaux n'atteint encore pas le bon état requis par la directive du fait des pollutions ponctuelles ou surtout diffuses insuffisamment maîtrisées, qui compromettent la préservation des ressources en eau destinées à l'alimentation humaine et les activités liées à l'eau ainsi que l'atteinte du bon état écologique des milieux.
L'objectif de bon état écologique des eaux n'est atteint actuellement que sur environ la moitié des points de suivi de la qualité des eaux superficielle"
50 à 77% des eaux en état écologique moyen à mauvais
Quinze ans après ce constat, il est temps que nos parlementaires se réveillent: dans le dernier état des lieux des SDAGE (schéma des agences de l'eau) réalisé en 2019 en vue de l'adoption des futurs SDAGE 2022, un seul bassin français atteint les 50% des cours d'eau et plans d'eau en bon état écologique cités dans ce rapport de 2005, la plupart des autres en sont loin.
  • En Adour-Garonne, l'état écologique des cours d'eau et plans d'eau est bon ou très bon dans 50% des cas.
  • En Artois-Picardie, l'état écologique des cours d'eau et plan d'eau est bon ou très bon dans 23% des cas.
  • En Loire-Bretagne, l'état écologique des cours d'eau et plans d'eau est bon ou très bon dans 24% des cas.
  • En Rhin-Meuse, l'état écologique des cours d'eau et plan d'eau est bon ou très bon dans 29% des cas.
  • En Rhône Méditerranée, l'état écologique des cours d'eau et plan d'eau est bon ou très bon dans 48% des cas.
  • En Seine-Normandie, l'état écologique des cours d'eau et plans d'eau est bon ou très bon dans 32% des cas.
Ces données doivent encore être rapportées à l'Europe et validées par la Commission dans le suivi de la Directive eau 2000. Aucun des grands bassins français ne dépasse le bon état écologique de la moitié de ses eaux cité dans le rapport de 2005, la plupart sont entre le quart et le tiers. Or, la directive cadre européenne (DCE) 2000 sur l'eau exige en théorie 100% des masses d'eau ayant le bon état écologique et chimique en 2027.

Outre l'état écologique, qui mesure certains polluants spécifiques, il y a également dans le jargon de la DCE l'état chimique qui en mesure de nombreux autres. Or, si l'on tient compte des polluants dits "ubiquistes", c'est-à-dire présents un peu partout comme les résidus de combustion HAP, la plupart des masses d'eau ne sont pas non plus en bon état chimique. Certaines restent lourdement polluées. Et les substances surveillées ne représentent qu'une fraction des toxiques qui circulent réellement dans les eaux.

Pourquoi de si piètres résultats?
Vingt ans après l'adoption de la directive cadre sur l'eau, bientôt 60 ans après la création des agences de bassin, ce médiocre résultat pose question. 

Une partie des causes se situent dans le fait que la DCE 2000 a construit une hypothétique "condition de référence" de la masse d'eau bâtie sur les rivières et plans d'eau ayant le moins d'impact humain, ce qui est manifestement une condition très difficile à atteindre dès lors qu'il a des occupations humaines dans les bassins versants. Le choix était donné aux pays européens de classer les masses d'eau comme "fortement modifiées" (c'est-à-dire fortement changées par les activités humaines passées et présentes)ou "artificielles", mais la France a refusé d'y recourir dans 90% des cas. Elle se retrouve donc avec des objectifs hors de portée en ayant classé ses masses d'eau comme "naturelles", ce qui impose des objectifs beaucoup plus ambitieux. Bizarrement, le gestionnaire public de l'eau pointe que les rivières ont de nombreuses pressions humaines, et depuis longtemps, mais il refuse de qualifier en ce cas la rivière comme anthropisée, ce qu'elle est de manière objective. L'illusion que tous les impacts disparaîtraient rapidement doit être levée, car les chiffres disent le contraire et la faible progression de ces chiffres depuis 20 ans ne laisse aucun doute sur l'impossibilité d'atteindre les objectifs de 2027. Un certain nombre de chercheurs suggèrent que la directive européenne 2000 a été adoptée sur la base d'une erreur majeure de perspective concernant la naturalité des cours d'eau et plans d'eau, avec des métriques "technocratiques" qui pourraient objectiver cette naturalité ou des mesures qui permettraient aisément de la restaurer (voir par exemple récemment Linton et Krueger 2020, ou précédemment Bouleau et Pont 2015).

Une autre partie des causes de l'échec tient dans la conduite des politiques publiques, en lien aux intérêts privés représentés dans les comités de bassin. L'affaire de la continuité écologique destructrice en a donné l'exemple depuis 10 ans. Environ 10% des budgets des agences de l'eau filent dans la destruction aberrante des moulins et étangs d'Ancien Régime, parfois de grands barrages, alors que les données scientifiques et les témoignages des riverains convergent pour dire que l'eau et ses milieux se sont nettement dégradés au cours des 30 glorieuses pour d'autres causes: montée brutale des pollutions agricoles, industrielles, domestiques, curage et recalibrage des lits, drainage des zones humides et suppression des annexes latérales, extraction des granulats et incision, artificialisation et érosion des sols. Dans les études d'hydro-écologie quantitative (Dahm 2013, Villeneuve 2015, Villeneuve 2018), où l'on compare avec un minimum de sérieux les causes de dégradation biologiques, ce sont toujours les usages du bassin versant qui sont les premiers corrélats du mauvais état, pas la densité des ouvrages transversaux (seuils, barrages). Et encore ces études manquent de données solides sur les polluants qui circulent dans les eaux. 

Mais le juge est partie dans cette affaire: cette vaste dégradation de l'eau après la Seconde Guerre mondiale a malheureusement été accompagnée (voire dans certains cas financée) par les agences de bassin entre les lois de 1964 et 1992. Le changement de cap opéré à partie des lois de 1992 puis de 2006 est lent à opérer, et le subterfuge de la destruction des ouvrages hydrauliques sert trop souvent de cache-misère à la difficulté d'agir pour changer les pratiques. Pire encore, cette diabolisation des retenues survient quand le changement climatique s'accélère: en faisant filer le plus vite possible l'eau à la mer, en supprimant les diversions d'eau, on baisse les recharges de nappes et on augmente le risque d'assec. Comme les lits ont déjà souvent creusés par des extractions, calibrages et curages en excès, les bassins versants risquent de subir avec une sévérité accrue les sécheresses et canicules à venir.

Redéfinir la politique publique de l'eau
Les parlementaires sont les élus des citoyens ayant en charge le contrôle de l'action publique du gouvernement et de son administration. Ils doivent se saisir d'un sujet qui a été trop longtemps confisqué par des experts administratifs discutant en vase clos avec des lobbies, pour des résultats insatisfaisants et un risque d'amendes à la clé, comme la France en a déjà été menacée sur le dossier des nitrates.

D'ores et déjà, il est certain que la France n'atteindre pas en 2027 les objectifs supposément contraignants de la directive européenne sur l'eau 2000. Il est aussi certain que les rivières françaises ne vont pas retrouver en l'espace d'une ou deux générations une "condition de référence" représentant un état qu'elles pouvaient avoir quand il y avait beaucoup moins d'habitants et que la société industrielle moderne n'existait pas. Il est enfin probable que le changement climatique va intensifier la pression sur les ressources en eau de la société et les milieux naturels. Nous avons donc besoin de prendre le temps d'une réflexion de fond sur l'eau, au lieu d'une fuite en avant dans des métriques qui révèlent notre impuissance et des politiques qui dispersent voire dilapident l'argent public sans réelle priorisation. 

06/01/2021

Les castors créent des habitats lentiques et modifient les peuplements de la rivière (Wojton et Kukuła 2020)

Deux chercheurs analysant sept retenues de barrages de castor sur des rivières de plaine montrent que les ouvrages des rongeurs modifient les peuplements d'insectes et autres invertébrés, grâce à la création de zones lentiques. C'est exactement ce qui est reproché en France aux ouvrages des humains. Comme si la rivière ne devait être qu'un écoulement rapide et sans obstacle de la source à la mer...


Andrzej Wojton et Krzysztof Kukuła (université de Rzeszów) ont étudié l'évolution des invertébrés sur des rivières de plaine peuplées par des castors européens (Castor fiber) y ayant construit des barrages.

Voici le résumé de leur étude :

"Les castors sont une exception parmi les animaux en termes d'ampleur des transformations environnementales qu'ils réalisent. Cette étude a examiné les principaux facteurs environnementaux influençant la présence d'invertébrés aquatiques dans les cours d'eau de plaines habités par le castor eurasien. 

L'étude a été menée dans deux ruisseaux forestiers habités par des castors et dans un ruisseau inhabité. Dans les ruisseaux habités par des castors, l'étude a couvert sept retenues. Des sections avec de l'eau courante ont également été analysées en aval et en amont des retenues. Des échantillons de benthos et d'eau ont été prélevés sur chaque site. La concentration et la saturation en oxygène dissous (OD) étaient les seuls paramètres physico-chimiques indiquant une diminution de la qualité de l'eau dans les retenues de castors. Les communautés benthiques des différentes retenues de castors étaient similaires. 

Les taxons qui ont exercé la plus grande influence sur la similitude de la faune d'invertébrés dans les retenues étaient les Oligochaeta et Chironomidae. Les ostracodes étaient également abondants dans les retenues, alors qu'ils étaient peu nombreux dans les sections courantes. Les éphémères (Cloeon) et les trichoptères appartenant à la famille des Phryganeidae étaient également étroitement associées aux retenues. Les trichoptère Plectrocnemiea et Sericostoma, les éphémères Baetis et les mouches des pierres Nemourella et Leuctra présentaient la corrélation la plus élevée avec les concentrations d'OD, ce qui est typique des sections courantes, et évitaient les fragments de cours d'eau endigués par les castors. Les bivalves (Pisidium) était également abondants dans chacun des cours d'eau le long des sections courantes. Le plus grand nombre de taxons et la plus grande diversité taxonomique ont été observés dans les sections s'écoulant sous les retenues de castors. 

L'activité d'ingénierie des castors a transformé les cours d'eau de plaine étudiés, entraînant le développement de communautés rhéophiles et stagnophiles d'invertébrés aquatiques, respectivement dans des sections à écoulement libre et endigué."

Discussion
Sans surprise, on observe que les barrages des castors créent des habitats lentiques avec une faune invertébrée s'adaptant à ces nouvelles conditions, tandis que les zones lotiques du bassin divergent dans leurs assemblages d'espèces. Il se passe exactement la même chose avec certains barrages des humains, en particulier les chaussées modestes et anciennes, qui ont de nombreux traits communs avec les ouvrages des rongeurs aquatiques. La soi-disant "dégradation" des milieux de la rivière au droit de ces ouvrages y est bien souvent une variation locale de peuplement en réponse à des variations d'écoulement, sédiment, hauteur et largeur de lit. Pourquoi se féliciter des effets des ouvrages de castors (qui étaient des dizaines de millions en Eurasie avant leur extermination, mais qui reviennent aujourd'hui du fait de leur protection) pour déplorer ceux des ouvrages humains? 

Référence : Wojton A et K Kukula (2020), Transformation of benthic communities in forest lowland streams colonised by Eurasian beaver Castor fiber (L.), Int Rev Hydrobiology, doi:10.1002/iroh.202002043

02/01/2021

250 ans d'évolution des poissons migrateurs en France (Merg et al 2020)

Des chercheurs français livrent une intéressante analyse de l'évolution de 1750 à nos jours de huit taxons de poissons grands migrateurs, identifiés en archives sur 555 points du territoire. Sur 45% des sites, les poissons diadromes ont disparu en deux siècles et demi. Leur zone d'expansion s'est réduite de 18% à 100% selon les espèces. Les auteurs de l'étude pointent une multitude de causes, parmi lesquelles les obstacles physiques à la migration formés par les ouvrages hydrauliques qui barrent transversalement la rivière. Leur modèle montre que la hauteur des ouvrages est le premier prédicteur de blocage des bassins versants aux migrateurs, ainsi que leur densité sur la distance entre la mer et les sites de frai. Cela explique aussi que les migrateurs étaient répandus en France en 1750 alors qu'il existait de l'ordre de 100 000 moulins à la fin de l'Ancien régime — mais des moulins à ouvrages de dimensions modestes et à gestion active. Pour autant, les chercheurs soulignent que la restauration de continuité écologique ne peut prendre les références passées comme critère des choix futurs: outre que les rivières ont changé au fil des siècles et que les bénéfices pour les migrateurs sont associés à des coûts pour la société, le changement climatique va modifier le régime des cours d'eau. 

Marie-Line Merg et ses collègues (INRAE, OFB, Université de Lorraine, UMS PatriNat) ont publié dans la revue PLoS ONE une étude historique sur les poissons migrateurs diadromes, présents sur les bassins français de 1750 à nos jours. Ces poissons ont un cycle de vie partagé entre deux milieux, eau douce et eau salée. Le travail des scientifiques a été nourri sur un éventail de sources historiques (archives publiques liées à la pêche et aux stocks de poissons, publications scientifiques et naturalistes anciennes, sources iconographiques), soit au total 165 documents. "Pour caractériser la distribution historique des espèces, nous nous sommes concentrés sur la période allant du milieu du 18e siècle au début du 20e siècle, expliquent les chercheurs. Nous avons choisi cette période parce que (1) elle fournissait beaucoup de données sur la distribution passée des poissons, contrairement aux périodes précédentes, et (2) elle était antérieure aux transformations majeures qui affectaient les rivières européennes (par exemple, la construction de grands barrages, pollution, canalisation fluviale à grande échelle). Étant donné que certaines données quantitatives spécifiques (par exemple, l'abondance, les frayères) étaient rarement disponibles, nous n'avons considéré que l'occurrence de l'espèce."

Sur un nombre total de 1948 sites, 1393 (71,5%) n'avaient ni données d'occurrence historiques ni données actuelles. La variation de présence des poissons migrateurs a donc été calculée pour 555 sites (29,5% de l'ensemble de données).

Treize espèces ont été analysées, regroupées en huit taxons car certaines espèces proches sont d'identification incertaine dans les archives: Esturgeon atlantique (Acipenser oxyrinchus), Esturgeon européen (Acipenser sturio), Grande alose (Alosa alosa), Alose feinte (Alosa fallax), Mulet lippu (Chelon labrosus, Mulet porc (Liza ramada), Lamproie fluviatile (Lampreta fluviatilis), Lamproie de mer (Petromyzon marinus), Saumon atlantique (Salmo salar), Truite de mer (Salmo trutta), Corégone (Coregonus oxyrinchus), Éperlan d'Europe (Osmerus eperlanus), Flet commun (Platichthys flesus).

Cette carte montre le nombre potentiel de rivières à poissons diadromes si l'on prend les données du milieu du 18e siècle comme référence de leur capacité d'expansion historiquement attestée.

Extrait de Merg et al 2020, art cit.

Les auteurs observent : "nous avons constaté que les poissons diadromes occupaient la plupart des principaux fleuves français il y a cent ans, illustrant la récente perte considérable d'espèces diadromes au niveau national. Les bassins de l'Atlantique, de la Manche et de la mer du Nord ont présenté une richesse plus élevée que le bassin méditerranéen (par exemple le Rhône). Cela a confirmé ce que l'on sait des schémas de distribution historico-bio-géographiques des espèces diadromes. En comparant cette distribution passée avec les données actuelles sur les occurrences de taxons, nous avons quantifié le déclin des taxons diadromes et avons constaté que ce phénomène est très répandu. Ainsi, selon nos résultats, 45% des 555 sites d'étude, qui étaient autrefois habités par des poissons diadromes, ont actuellement perdu la totalité de leur assemblage diadromes. Parmi les huit taxons étudiés, cinq ont perdu plus de 50% de la longueur de rivière occupée il y a deux siècles en France. Ces observations concordent avec le déclin massif de ces espèces qui a été observé ailleurs en Europe ou dans l'est de l'Amérique du Nord."

Ce schéma montre la perte d'habitat des taxons (de gauche à droite : corégones, esturgeons, flets, aloses, salmonidés, lamproies, mulets, éperlans.

Extrait de Merg et al 2020, art cit.

Pour analyser la disparition des poissons migrateurs, les chercheurs ont construit un modèle prenant en compte des données morphologiques, chimiques, hydrologiques et en particulier la présence de barrages de diverses dimensions et diverses anciennetés sur les cours d'eau. Leur modèle montre que la hauteur et la densité des ouvrages hydrauliques sont deux prédicteurs forts du déclin des migrateurs :
"La présente étude a confirmé que la fragmentation des rivières (c'est-à-dire de la mer au site considéré) est une menace majeure pour les poissons diadromes. Dans notre modèle, les statistiques et la courbe de réponse associée à la hauteur maximale des barrières en aval suggèrent que la taille des barrières est le facteur qui exerce l'effet le plus fort et le plus net sur l'assemblage diadrome, conduisant à un impact majeur et systématique lorsque les barrages dépassent une dizaine de mètres. La densité des barrières contribue également à la dégradation des assemblages diadromes mais semble avoir un effet plus diffus et modéré que la taille des barrières en aval. Il reflète l'effet cumulatif potentiel des barrières. L'effet cumulatif des obstacles successifs, tels que les petits déversoirs ou les systèmes d'écluse, qui ne sont pas physiquement difficiles à franchir individuellement, peut causer des problèmes considérables aux poissons (par exemple, des retards, une réduction du succès de la migration, des blessures). Selon son taux de francissement, chaque barrière réduit la fraction de la communauté qui peut poursuivre sa migration. Même si la proportion de poissons coincés devant un obstacle donnée est faible, la succession d'obstacles à franchir peut conduire à une réduction drastique du nombre de poissons en fin de parcours."
Mais les auteurs remarquent également qu'au début de leur étude (milieu 18e siècle), il existait déjà des dizaines de milliers d'ouvrages (moulins, forges, étangs) apparus dès l'Antiquité et développés à partir du Moyen Âge :
"Les liens étroits observés entre la perte de poissons diadromes et la hauteur et la densité des barrières suggèrent que la construction de barrages a eu une contribution significative au déclin à long terme des poissons diadromes. Cependant, ce résultat soulève un certain paradoxe dans la mesure où une grande partie des barrières référencées dans la base de données ROE actuelle existaient probablement déjà lors des premières observations historiques de taxons diadromes. En Europe occidentale et particulièrement en France, l'aménagement des cours d'eau est vieux de plusieurs siècles et s'est considérablement développé dans la seconde moitié du Moyen Âge avec l'installation généralisée de moulins à eau sur la plupart des petits et moyens cours d'eau. Le nombre de moulins a été estimé à 100 000 le long des fleuves français au XIIIe siècle. Ce nombre est resté pratiquement inchangé jusqu'en 1809, date à laquelle leur utilisation a progressivement cessé au cours du 19e siècle. L'arrêt des activités de meunerie n'a cependant pas impliqué la disparition systématique des obstacles associés. La plupart des déversoirs et des barrages à faible hauteur actuels sont des héritages de constructions médiévales (voir par exemple Rouillard et al. pour le bassin de la Seine). Néanmoins, il semblerait que les changements induits au fil du temps concernant (1) la gestion de ces installations (par exemple l'arrêt de l'ouverture régulière des vannes auparavant nécessaires au bon fonctionnement et l'entretien des usines) et (2) leur modernisation (par exemple le renforcement, élévation des hauteurs, changement de conception) ont rendu leur passage plus difficile pour les poissons. Cependant, suite aux progrès techniques, la plupart des barrages de taille moyenne à grande ont été construits plus tard; c'est-à-dire (1) au cours du XIXe siècle avec le développement de la navigation intérieure et l'expansion industrielle, et (2) après la Seconde Guerre mondiale en conséquence du développement économique; par exemple, en France, 86% des grands barrages existants (soit égaux ou supérieurs à 15 m) ont été mis en service après 1930. Ainsi, la plupart des barrages moyens à grands, qui ont le plus d'impact sur les poissons diadromes selon nos résultats, ont été construits après la période au cours de laquelle la distribution historique des poissons diadromes a été décrite."

Marie-Line Merg et ses collègues ne notent pas d'effets notables des passes à poissons : "Malgré des situations contrastées (de 0 à 100% des barrières en aval équipées), le ratio de barrières avec passes à poissons n'a pas été retenu par notre modèle, soulignant ainsi la difficulté de quantifier l'effet atténuant des passes à poissons sur la perte de poissons diadromes. Ce résultat était inattendu étant donné que l'établissement de passes à poissons est une mesure largement soutenue pour restaurer la continuité de la rivière et les populations diadromes et que les preuves fondées sur l'observation appuient la relation entre la récupération en amont des poissons diadromes et la mise en place d'installations de franchissement de barrages."

Plusieurs causes sont possibles : certains passes anciennes (construites après les lois de 1865, 1919 ou 1984) sont connues pour être de conception non efficace, d'autres passes sont mal entretenues, beaucoup de dispositifs de franchissement ont été spécialisés pour certains poissons, notamment les salmonidés en raison de la demande de pêche, mais ne sont pas forcément adaptés à d'autres taxons.

Comment pourraient évoluer les migrateurs? Les auteurs de l'étude ont fait varier des paramètres de leur modèle pour en avoir une idée. Quatre scénarios ont été construits, dont le résultat est exprimé dans le graphique ci-dessous : (A) après suppression des barrières de plus de 10 m de hauteur (scénario 1), (B) après suppression des barrières entre 2 m et 10 m de hauteur (scénario 2), (C) après suppression des barrières sous 2 m de hauteur (scénario 3) et (D) réduction des altérations locales hydrologiques, morphologiques et de la qualité de l'eau (scénario 4). Le graphique montre la capacité de retour de migrateurs (absence vers le brun, retour vers le vert, taille du cercle réduction par rapport aux conditions initiales sans aucun scénario).


Extrait de Merg et al 2020, art cit.

Les auteurs observent : "Les deux scénarios qui prédisaient les réponses les plus substantielles et les plus répandues portaient sur la suppression des barrages de taille moyenne (2-10 m, scénario 2) ou de petite taille (hauteur <2 m, scénario 3). L'ampleur des réponses variait considérablement entre les deux scénarios et entre les bassins, probablement en fonction de l'historique des développements, de la nature et de l'emplacement des barrages et des déversoirs existants spécifiques à chaque bassin. Ainsi, les bassins Seine et Nord, dont les principales voies navigables ont été largement aménagées avec des équipements de navigation (ex: déversoirs, écluses) montrent des améliorations plus marquées avec le scénario 2, privilégiant les barrières de taille moyenne. A l'inverse, c'est lorsque les prélèvements se sont focalisés sur les barrières de petite taille (scénario 3) que les réponses sont les plus importantes pour le bassin de la Loire dont les axes principaux sont le plus souvent à écoulement libre, et pour les bassins côtiers Atlantique et Manche. Cela suggère que les mesures les plus efficaces pour restaurer la communauté diadromes sont susceptibles de varier considérablement d'un bassin à l'autre ou d'une région à l'autre."

La suppression des obstacles (par effacement ou par aménagement) ne va cependant pas sans conséquences qui obligent à mesurer les coûts en face des bénéfices, ainsi qu'à adapter à chaque bassin et chaque taxon:
"Globalement, les résultats des différents scénarios suggèrent qu'une amélioration à grande échelle des poissons diadromes (ex: assemblage sur tout le territoire français) nécessitera nécessairement des mesures à grande échelle pour améliorer la continuité fluviale sans les limiter aux plus grands barrages, mais aussi en tenant compte des plus petits obstacles dont l'effet cumulatif semble potentiellement très important. Les scénarios que nous avons mis en œuvre sont basés sur la suppression d'un nombre considérable de barrières mais sans tenir compte de leur coût et efficacité et de leurs éventuelles conséquences secondaires négatives (ex: perte de valeur patrimoniale et culturelle, impact économique et commercial, déstabilisation morphologique). Des approches plus raffinées examinant le rapport coût / efficacité pourraient permettre d'identifier des scénarios optimisés, adaptés à chaque bassin et limitant le nombre de barrages à supprimer tout en conservant une bonne efficacité de la récupération des espèces diadromes."
Enfin, dans leur conclusion, les auteurs soulignent qu'une politique de restauration des poissons migrateurs doit obligatoirement anticiper les effets du changement hydroclimatique, qui risque de rendre certains milieux passés et actuels impropres à héberger dans le futur des poissons pour le frai ou le grossissement:
"l'utilisation de l'occurrence passée des espèces pour établir des repères pour la restauration future soulève certaines questions, dans le contexte du changement climatique en cours. Les approches prospectives prédisent des changements significatifs dans les aires de répartition continentales des poissons diadromes en raison du réchauffement et des changements de régime hydrologique [105]. Ainsi, les bassins désormais habités par certaines espèces, en particulier les eaux froides, pourraient leur devenir inadaptés d'ici quelques décennies. Dans ce contexte et pour des restaurations efficaces et à long terme, les occurrences historiques d'espèces diadromes doivent être considérées comme un indicateur de rétablissement potentiel et non comme une liste fixe d'espèces définissant strictement les futurs objectifs de restauration."

Discussion
Concernant le modèle utilisé par le chercheurs, plusieurs remarques peuvent être faites:
  • les altérations morphologiques autres que les obstacles transversaux sont "à dire d'experts", ce qui est potentiellement faible (entre 1750 et nos jours, la morphologie des berges et des écoulements, notamment latéraux, a considérablement changé, même dans l'état présent il n'est pas évident d'attribuer des degrés d'artificalisation ni de périodiser ces changements, qui se sont accélérés entre 1950 et 1980 : recalibrage, curage, drainage, suppression d'annexes, colmatage de lits);
  • les données de qualité chimique (issues de la base Naïades) sont insuffisantes pour décrire la réalité des pollutions des rivières françaises, les relevés les plus fréquents (pour la DCE) ne concernant qu'une petite fraction des eutrophiants et polluants susceptibles d'affecter les espèces et leur réseau trophique;
  • concernant les obstacles, les descripteurs de la base ROE sont insuffisamment renseignés. Il manque le plus souvent la hauteur exacte de chute à différents débits, la description de franchissabilité latérale, l'âge de construction (ou reconstruction) des chaussées, seuils barrages, buses et autres.
  • la pression de pêche et braconnage est absente (pêche en rivière ou en estuaire et littoral), mais les auteurs reconnaissent ce point : "Étant donné que les données sur les captures fluviales et marines peuvent refléter uniquement l'état du stock et ne sont pas une preuve de surexploitation, tester l'implication des pêcheries dans le déclin des poissons diadromes est une tâche délicate. Pour cette raison et en raison d'un manque de données, nous n'avons pas inclus ces informations dans le modèle. Cependant, même si nous n'avons connaissance d'aucun cas dans lequel la surpêche a conduit directement à l'extinction des espèces, la surpêche peut avoir contribué au déclin de certaines populations diadromes. A titre d'exemple, en France, les esturgeons européens ont été massivement capturés pour le caviar jusqu'à l'interdiction de pêche en 1982, ce qui a certainement participé à la quasi-extinction de cette espèce."
Concernant l'occurence de migrateurs au 18e siècle malgré la présence de moulins en grand nombre (et d'étangs sans doute aussi nombreux), les auteurs font l'hypothèse qu'il aurait pu exister une "dette d'extinction", c'est-à-dire que l'effet de ces moulins aurait mis des siècles à s'exercer. On peut douter de cette explication ad hoc. La convergence des rehausses d'usines à eau et constructions de grands barrages, des pollutions de plus en plus importantes, des extractions d'eau et modification de lits, des changements hydriques et climatiques permet d'expliquer la tendance baissière des migrateurs entre 1750 et nos jours, sans qu'il soit besoin de faire intervenir un mécanisme supplémentaire et non démontré. Par ailleurs, les effets s'observent sur le temps de reproduction des individus qui composent les populations, soit de l'ordre de l'année à la décennie. On le voit dans les archives du 19e siècle quand des rehausses ou constructions de barrages entraînent très rapidement des plaintes à l'amont du fait de la disparition de certains poissons.  On le voit aussi avec les chutes rapides de populations d'anguilles ou d'aloses que l'on observe récemment (après les années 1980 et 2000 respectivement). Il est douteux que des ouvrages de retenues et de diversion apparus dès l'époque romaine, et ayant progressivement occupé tous les bassins médiévaux, aient eu un effet retard de plusieurs siècles. Le plus probable est que ces ouvrages de dimension modeste, limités au lit mineur, surversés et contournés en crue, n'ont pas été infranchissables pour la plupart. S'ils ont sans doute limité la densité maximale potentielle de migrateurs, ils n'ont pas engagé d'extinction avant l'arrivée de pressions plus fortes (y compris donc des barrages de plus grande taille ou de gestion différente). 

Plus largement, l'étude de Marie-Line Merg et de ses collègues nous amène aux réflexions suivantes :
  • si leur déclin est probablement millénaire, les grands migrateurs diadromes étaient encore présents sur nombre de bassins et jusqu'aux sources au milieu du 18e siècle, alors que les moulins étaient déjà 100 000 à cette époque, sans compter les étangs. Cela confirme que les ouvrages d'Ancien Régime et leur gestion permettaient la circulation des poissons;
  • la hauteur reste le premier prédicteur de blocage à la recolonisation des migrateurs, sur nombre de bassins la présence d'ouvrages non franchissables à tout débit de la rivière limitera le retour sur les têtes de bassin. La continuité écologique dogmatique consistant à détruire tout ouvrage sur des bassins versants est à réviser, car elle coûte en argent public et a d'autres effets négatifs sur la ressource en eau;
  • la conservation des grands migrateurs doit être repensée à un niveau raisonnable et non maximaliste, d'autant que les besoins de protection des milieux aquatiques et humides sont loin de se résumer à quelques espèces de poissons, même si celles-ci sont appréciés des pêcheurs. Outre les pollutions nombreuses affectant la qualité de l'eau, les ruptures de continuité latérale et l'incision des lits ont probablement eu des effets nettement plus importants sur la faune et la flore des cours d'eau et des rives que les ruptures de continuité longitudinale présentes depuis des siècles sous influence humaine. Pour ces dernières, il faut attendre des retours d'expérience sur les nouveaux dispositifs de franchissement des années 2010 (rampes rustiques, rivières de contournement) afin de vérifier que leur efficacité est supérieure à celle des anciennes passes à poissons du 20e siècle. Sur nombre de moulins en zones rurales, le retour à une gestion avisée peut déjà obtenir des résultats.
Les poissons migrateurs ont une probabilité quasi-nulle de retrouver ce qui fut leur expansion maximale au Holocène, car les rivières ont drastiquement évolué au fil des millénaires sous influence humaine; le changement hydroclimatique en cours et à venir va accentuer au 21e siècle le rythme de ce changement. La gestion de la rivière ne peut pas se faire au nom d'une naturalité passée qui serait posée comme guide de son état futur. Les politiques de conservation écologique doivent admettre diverses réalités non réversibles de l'Anthropocène, installé progressivement au fil des siècles, non entretenir la nostalgie d'une mythique rivière de jadis que nous pourrions restaurer.  Bien entendu, une gestion écologique active des rivières et plans d'eau est nécessaire. Mais elle doit se penser et se débattre comme création  de conditions favorables à la fois au vivant et à la société, non comme recréation d'une nature perdue. 


A lire sur ce thème

27/12/2020

La France reste dépendante à 70% de l'énergie fossile, mais elle détruit ses barrages hydro-électriques

L'Union européenne vient de décider de baisser d'ici 2030 de 55% les émissions carbone par rapport à 1990. Dix ans pour une inflexion majeure... mais en 20 ans, la France a baissé de 20% seulement ces émissions, sans compter le carbone importé qui a augmenté dans l'intervalle. Aujourd'hui, 70% de la consommation énergétique finale en France provient encore du pétrole, du gaz ou du charbon, trois sources fossiles de gaz à effet de serre. Pour tenir les objectifs climat, il faut donc changer de braquet, cesser de croire que nous avons le temps ou le choix, arrêter de se payer de mots et de faire des discours non suivis d'effets. En particulier, il est urgent de retirer le dossier de l'hydro-électricité à la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie, car cette administration détruit depuis 10 ans le potentiel de production des seuils et barrages en rivière tout en faisant tout pour décourager la relance des petits sites. Une attitude qui peut conduire à la condamnation de l'Etat français, au vu des contentieux en justice climatique qui fleurissent depuis 5 ans. 

Le 18 décembre 2020, l'Union européenne et les 27 États-membres ont soumis à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Ccnucc) leurs nouveaux plans d'action climatique, appelés "contributions nationales déterminées" au titre de l'Accord de Paris. Le Conseil européen a adopté un nouvel objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'UE d'au moins 55 % d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990 (contre -40 % précédemment), afin d'atteindre en 2050 la neutralité carbone. Cette décision doit être inscrite dans la législation européenne.

Mais la France est-elle en situation de tenir de tels engagements? 

Dans son rapport annuel 2020, le Haut conseil pour le climat (HCC) rappelle que "les quatre principaux secteurs émetteurs [de carbone] demeurent le transport (30 %) puis l’agriculture, le bâtiment et l’industrie (entre 18 et 20 % chacun). Les retards accumulés du transport et du bâtiment sont ceux qui pèsent le plus dans les déficits carbone des années passées."

L’empreinte carbone de la France s’élève selon le HCC à 749 Mt éqCO2, soit 11,5 t éqCO2 par habitant. Avec des émissions territoriales s’élevant à 445 Mt éqCO2, soit 6,7 t éqCO2 par habitant, l’empreinte carbone de la France est donc environ 70 % plus élevée que ses seules émissions sur le sol: s'y ajoutent les émissions importées (304 Mt éqCO2), qui ont fortement augmenté depuis 30 ans. 

La réalité : 70% de l'énergie qui fait tourner le pays est toujours fossile
Si l'on regarde la consommation territoriale d'énergie en France, hors importation donc, on s'aperçoit que le mix énergétique reste carboné à 70 % :



Part des sources d'énergie dans la consommation finale en France.
Source des données : services statistiques du gouvernement, 2020.

Nous sommes donc très loin de la neutralité carbone, très loin également de 55% de baisse des émissions par rapport à 1990. Pour y parvenir, il faut avancer sur les postes de transport, chauffage, industrie et agriculture. Cela passe nécessairement par une forte hausse de la production électrique, soit pour produire de l'électricité, soit pour produire des dérivés secondaires comme l'hydrogène (par électrolyseur).

Comme le montre le graphique ci-dessus, la totalité du parc installé nucléaire, hydraulique solaire, éolien ne produit en fait que 20% de l'énergie finale consommée, alors même qu'il faut encore en changer 70%. Ni le soleil, ni le vent, ni la biomasse, ni l'eau, ni l'atome ne peuvent à eux seuls, chacun pris isolément, produire cette quantité. Et le modèle de la grande centrale du 20e siècle ne suffit pas davantage à tenir les objectifs, ce sont des dizaines de milliers de sites modestes et décentralisés de production qui doivent émerger au cours des trois prochaines décennies.

Des contentieux climatiques qui fleurissent, car les citoyens exigent des actes
Les objectifs climatiques ne sont pas seulement une question politique, mais aussi une question juridique puisque les traités internationaux et les directives européennes obligent l'Etat français.

En conséquence de l'accord de Paris, les contentieux climatiques contre les Etats (parfois contre des entreprises) se multiplient. La judiciarisation des actions relatives au changement climatique est un phénomène mondial, comme l'a souligné le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), dans son rapport The Status of Climate change litigation : a global review (mai 2017). En 2018, plus de 1.000 contentieux en matière climatique étaient ainsi recensés dans le monde, répartis sur 25 pays. 

En Europe, la Cour de justice de l'Union Européenne (arrêt du 13 août 2018) a jugé recevable la plainte des familles contre le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne, plainte soutenant que l'objectif climatique 2030 est inadéquat et invoquant une violation des droits. Au Pays-Bas, 886 citoyens néerlandais ont intenté une action contre leur pays. La Cour suprême des Pays-Bas a rejeté (20 décembre 2019) le pourvoi de l'État néerlandais contre la décision d'appel lui ordonnant de réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 25 % d'ici fin 2020, par rapport à 1990. 

En France, quatre associations (l'Affaire du siècle) ont lancé en 2019 une action contre l'Etat pour carence fautive dans sa politique climatique, avec le soutien en ligne de plus de deux millions de personnes. Le litige est encours d'examen par la justice.

La France a gelé l'hydro-électricité en raison de l'idéologie anti-barrage de son administration de l'eau
Dans ce contexte de retard et d'urgence à décarboner la consommation énergétique du pays restant à 70% fossile, la position défendue par les gouvernements sur l'hydro-électricité est intenable. La gestion de ce dossier a été confiée pour les petites puissances de moins de 500 kW (sans doute 50 000 sites équipables en France dont 25 000 de moulins) à la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie. Non seulement cette direction n'a pas de culture énergétique, mais son obsession est de détruire le maximum d'ouvrages permettant de produire de l'hydro-électricité et, pour ceux qui ne sont pas détruits, d'opposer des procédures et des exigences rendant impossibles les chantiers. Même dans le domaine des grands barrages, le gouvernement a décidé de détruire deux ouvrages EDF en état de fonctionnement sur la Sélune. Soit 50 millions € d'argent public à faire disparaître une source d'énergie locale bas-carbone.

Si nous étions en avance sur nos objectifs climatiques, ou si nous avions des perspectives d'une source d'énergie abondante, bon marché, à échelle pour remplacer les 70% fossile de notre consommation, une telle position pourrait au moins se justifier par une latitude pour choisir les énergies que nous voulons développer. Mais ce n'est pas le cas du tout. 

Bloquer le développement de l'hydro-électricité et pire encore détruire le potentiel hydro-électrique déjà en place pour faire plaisir au lobby de la pêche au saumon ou au lobby naturaliste désirant ré-ensauvager la France est une faute. L'administration doit incessamment changer de doctrine, d'autant que les parlementaires ont encore rappelé par la loi énergie-climat de 2019 que "pour répondre à l’urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs (..) d’encourager la production d’énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité". Les fonctionnaires eau et biodiversité doivent appliquer les lois votées par les élus des citoyens, et non tenter de les contourner pour poursuivre les objectifs internes de leur administration. Plus largement, l'Etat français doit cesse sa politique de gribouille où l'action publique poursuit des objectifs contradictoires et couvre des choix arbitraires. 

25/12/2020

Les moulins alimentent les sols, aquifères et zones humides lors des saisons pluvieuses

Sur certains bassins versants, les biefs des moulins forment les dernières annexes hydrauliques de la rivière en lit majeur. Ces canaux sont le lieu d'échanges d'eau toute l'année. En saison pluvieuse, l'eau excédentaire s'y diffuse, gorge les sols et aquifères, nourrit des zones humides. Une connaissance et une gestion de ces phénomènes peuvent avoir des rôles très bénéfiques pour le stockage de l'eau d'hiver et pour l'amélioration des habitats du vivant aquatique. Le monde des moulins doit documenter sur site ces phénomènes actuellement ignorés de l'expertise publique, pour demander qu'ils soient étudiés plus systématiquement dans le cadre de la gestion de l'eau en phase d'adaptation au changement climatique.


La saison des pluies est revenue. Mais où vont ces précipitations? Si le ruissellement superficiel ne permet pas de stocker, l'eau file rapidement dans la rivière, qui l'amène vers l'océan. Cette eau non retenue ne sera pas disponible à la prochaine saison sèche. Ces dernières années ont montré que de nombreuses régions de France subissent des sécheresses importantes, dont il est probable qu'elles deviendront plus intenses et plus fréquentes dans les décennies à venir.

Pour remplir les nappes alluviales du lit majeur de la rivière et les nappes libres dans les aquifères du sous-sol, il faut donc retenir l'eau et non chercher à accélérer son écoulement dans la rivière, puis vers la mer.

Parmi les aménagements qui aident cette rétention, on compte notamment les moulins, leur retenues et leurs biefs. Le cas est particulièrement favorable si le moulin est aménagé et géré pour optimiser cette fonction de rétention d'eau.

Ce schéma montre le principe de stockage en surface et sol de l'eau autour d'un système de moulin.



Les pluies d'hiver permettent d'observer le phénomène de surface. En voici un exemple sur un site.


Bief se gorgeant d'eau les jours de crue.


Débordement de déversoir


Mouille sur sol saturé.


Mares en pied de bief.

Nous incitons les propriétaires de moulins (ou étangs et plans d'eau) à documenter les cycles de l'eau sur leur site. Les associations et fédérations doivent demander aux services de l'Etat de procéder à des études hydrologiques et écologiques de ces réalités, qui sont actuellement totalement négligées. Il existe des dizaines de milliers de moulins (davantage d'étangs et plans d'eau), ce qui représente un linéaire non négligeable de biefs. Sur certaines rivières, les réseaux de biefs de moulins dérivés par leurs ouvrages forment les dernières annexes hydrauliques du lit majeur en lit majeur, en raison des incisions de lits et rehausses de berges, des drainages agricoles, des artificialisations urbaines.

23/12/2020

Les fragmentations des rivières par assecs baissent la biodiversité aquatique (Gauthier et al 2020)

Une étude menée sur des ruisseaux de têtes de bassin versant dans le Massif central et le Jura montre que les tronçons intermittents ont une moindre biodiversité alpha et bêta. Les assecs à répétition liés au changement climatique risquent de réduire la diversité du vivant sur les cours d'eau par ailleurs peu impactés par des pollutions physico-chimiques. Cette pression doit être anticipée, notamment quand on fait des choix limitant la rétention d'eau superficielle et souterraine dans les bassins versants. 


Les hydro-écologues se demandent comment évoluent les peuplements biologiques des ruisseaux et rivières de tête de bassin versant. Les assemblages d'espèces tiennent-ils à la nature du réseau hydrologique (hypothèse du filtrage environnemental local, notamment le caractère "dendritique" des réseaux de cours d'eau, ayant tendance à créer des isolats)? Ou résultent-ils aussi des comportements de dispersion des espèces? 

Un moyen d'analyser le rôle de la circulation-dispersion est d'observer la biodiversité dans des zones fragmentées par des assecs (rivières intermittentes à barrières hydriques) en comparaison à des zones non fragmentées (rivières pérennes). Maïlys Gauthier et cinq collègues ont ainsi analysé deux systèmes de tête de bassin versant en France, dans le Massif Central et dans le Jura.

Dix réseaux de têtes de bassin fragmentés par des épisodes d'assecs naturels ont été sélectionnés dans deux zones différentes au plan biogéographique. Ces zones amont ont été choisies selon plusieurs règles: une taille maximale de bassin versant de 200 km2; un ordre maximum de Strahler de 3 pour le tronçon le plus en aval; la présence d'au moins quatre tronçons intermittents; des conditions physico-chimiques intactes (non perturbées par activités humaines adjacentes).

Voici le résumé de leur recherche :

"1. La dispersion, définie comme le mouvement d'individus entre les communautés locales dans un paysage, est un déterminant régional central de la dynamique des métacommunautés dans les écosystèmes. Alors que la fragmentation des écosystèmes naturels et anthropiques peut limiter la dispersion, les tentatives précédentes pour mesurer ces limitations ont été confrontées à une dépendance considérable au contexte, en raison d'une combinaison d'étendue spatiale, de variabilité environnementale associée, du large éventail des modes de dispersion, des capacités des organismes et de variation des topologies de réseau. Par conséquent, le rôle joué par la dispersion par rapport au filtrage environnemental local dans l'explication de la dynamique des métacommunautés reste incertain dans les écosystèmes dendritiques fragmentés.

2. Nous avons quantifié les composantes de la diversité α et β des métacommunautés d'invertébrés dans 10 réseaux de ruisseaux d'amont fragmentés et avons testé l'hypothèse que la dispersion est le principal déterminant de l'organisation de la biodiversité dans ces écosystèmes dynamiques et spatialement contraints.

3. La diversité alpha était beaucoup plus faible dans les tronçons intermittents que pérennes, même longtemps après la remise en eau, ce qui indique un effet dominant du dessèchement, y compris un effet hérité sur les communautés locales.

4. La diversitébêta n'a jamais été corrélée avec les distances environnementales, mais expliquée principalement par les distances spatiales expliquant la fragmentation du réseau fluvial. La proportion d'imbrication de la diversité β était considérable et reflétait des différences de composition où les communautés des tronçons intermittents étaient des sous-ensembles de tronçons pérennes.

5. Dans l'ensemble, ces résultats indiquent que la dispersion est le principal processus qui façonne la dynamique des métacommunautés dans ces 10 réseaux de cours d'eau d'amont, où les communautés locales subissent régulièrement des événements d'extinction et de recolonisation. Cela remet en question les conceptions antérieures selon lesquelles le filtrage de l'environnement local est le principal moteur des métacommunautés d'amont.

6. Les réseaux de rivières devenant de plus en plus fragmentés en raison du changement global, nos résultats suggèrent que certains écosystèmes d'eau douce actuellement alimentés par filtrage de l'environnement local pourraient progressivement devenir limités en termes de dispersion. Dans cette perspective, le passage d'un régime d'écoulement pérenne à un régime d'écoulement intermittent représente des seuils écologiques à ne pas franchir pour éviter de mettre en péril la biodiversité des rivières, leur intégrité fonctionnelle et les services écosystémiques qu'ils fournissent à la société."

Ce graphique montre la diversité alpha (sur site), qui est dans la quasi-totalité des cas plus élevée sur les tronçons pérennes (point noir) que sur les tronçons intermittents (triangle gris), cela avant comme après un épisode d'assec.



Discussion
Les auteurs n'ont pas analysé si les tronçons de leur étude disposaient de barrières naturelles ou anthropiques (seuils, cascades, chaussées, digues) ni si des lames d'eau étaient localement maintenues en été par des réservoirs (étangs, plans d'eau, retenues, biefs de moulins, etc). Il serait nécessaire d'étudier cette variable aussi, qui peut agir dans deux sens antagonistes : freiner la recolonisation depuis l'aval, mais aussi limiter l'extinction lors des assecs et donc favoriser la recolonisation depuis les zones de meilleure survie. Nous manquons terriblement de ces données de terrain sur le rôle complexe des ouvrages en lien à la totalité de la biodiversité et à sa dynamique. 

Référence : Gauthier M et al (2020), Fragmentation promotes the role of dispersal in determining 10 intermittent headwater stream metacommunities, Freshwater Biology, 65, 2169– 2185

19/12/2020

Les moulins à eau et leurs artisans, pionniers de la révolution industrielle anglaise

Trois économistes (Karine van der Beek, Joel Mokyr et Assaf Sarid) revisitent l'histoire de la révolution industrielle en Angleterre. Ils observent que les moulins à eau, véritables usines des sociétés pré-industrielles, avaient vu l'émergence progressive d'une classe d'artisans qualifiés, polyvalents, qui ont formé le capital humain indispensable au développement du machinisme moderne.



Voici le résumé de leur travail : "Cet article examine l'effet de l'adoption précoce de la technologie sur l'évolution du capital humain et sur l'industrialisation, dans le contexte de la révolution industrielle britannique. Il montre que les artisans de chantier (wrights), un groupe d'artisans mécaniciens hautement qualifiés, qui se sont spécialisés dans les machines à eau entre 1710 et 1750, ont été assez persistants dans le temps et ont évolué au début du Moyen-Âge, en réponse à l'adoption de la technologie de l'énergie hydraulique, dont l'étude Domesday Book a fait état pour la première fois en 1086. En outre, nos résultats suggèrent qu'à leur tour, la disponibilité d'infrastructures physiques et d'artisans hautement qualifiés dans les endroits qui ont adopté les moulins à eau au Moyen Âge a conjointement été un facteur majeur dans la détermination de la localisation de l'industrie anglaise depuis la fin du XIIIe siècle, jusqu'à la veille de la révolution industrielle."

Voici leur conclusion :

"Les résultats présentés ci-dessus confirment l'hypothèse qu'à la veille de la première révolution industrielle, la répartition spatiale des artisans mécaniquement qualifiés était le résultat d'un processus persistant, qui a commencé au début du Moyen Âge, lorsque les moulins à eau (inventés à l'époque romaine) sont devenuq largement utiliséq. Comme Marc Bloch (1966) l'a dit de façon mémorable, à l'époque de Charlemagne en Gaule et du Domesday Book en Angleterre, «pour tous ceux qui ont des oreilles pour entendre, [ces régions] bruissent de la musique de la roue du moulin." Les exigences techniques liées à la construction de ces moulins ont joué un rôle clé dans la formation d'artisans qualifiés. À leur tour, les artisans mécaniquement qualifiés formés comme artisans du bois aidaient d'autres industries qui pouvaient utiliser l'énergie hydraulique pour prospérer. Cet article présente un test de la persévérance que ces compétences ont engendrée.

Nous mettons ainsi en évidence un segment restreint mais significatif des meilleurs artisans anglais, à savoir les mécaniciens de chantier et les ingénieurs. La présence de conditions géographiques qui ont favorisé la construction de moulins à eau engagés dans la meunerie a créé une classe de mécaniciens de chantier hautement qualifiés dont les compétences se sont répercutées sur les industries de la laine et du fer. La prédominance de ces industries était une première étape dans la voie de l'Angleterre devenant nation industrielle. Ce n'est pas un hasard si le terme «moulin» est devenu synonyme de «usine» dans les premiers stades de la révolution industrielle, car le rôle des moulins à eau dans la fabrication textile est resté central pendant de nombreuses décennies au XVIIIe et au début du XIXe siècle, avant qu'ils ne soient finalement remplacés par la vapeur.

Ces schémas de localisation ont-ils eu une importance quelconque dans ce qui s'est passé après 1750? L'importance de l'industrie de la laine dans la révolution industrielle a été traditionnellement éclipsée par la croissance spectaculaire de l'industrie du coton, mais il ne faut pas oublier que la laine a continué de croître pendant la révolution industrielle à un rythme plus que respectable et que "l'industrie de la laine ne s'est pas laissée éclipser" (Jenkins et Ponting, 1982, p. 296). Bon nombre des avancées technologiques du coton se sont répercutées sur la laine et vice versa, et les deux industries ont grandement bénéficié du haut niveau de compétence des artisans et mécaniciens britanniques (Kelly, Mokyr et Ó Gráda, 2019). Les mécaniciens de chantier étaient une composante substantielle de cette classe, mais bien d'autres aussi: les horlogers, les rectifieuses, les colliers, les serruriers, les fabricants de jouets, les ferronniers, les fabricants d'instruments et de nombreux fabricants de biens de consommation haut de gamme ont tous joué un rôle.

Nous nous empressons d'ajouter qu'il n'y a pas eu de cartographie simple entre la préexistence d'une main-d'œuvre hautement qualifiée et l'accélération du progrès technologique pendant la révolution industrielle. Les Midlands et Londres ont pu transformer ces compétences en une croissance rapide. Mais les zones traditionnelles de fabrication de la laine dans le West Country et l'East Anglia ont fini par céder lentement leur base industrielle au Yorkshire. Comme l'a souligné Jones (2010, p.8), l'échec du Sud anglais à s'industrialiser peut paraître surprenant. Plus que toute autre chose, ils ont peut-être suivi les règles de la spécialisation régionale car la baisse des coûts de transport et l'intégration du marché ont dépassé les aptitudes traditionnelles de la fabrication de la laine dans ces domaines. Comme l'observe Jones (2010, p. 66), malgré son déclin relatif, l'industrie de la laine du Gloucestershire était tout à fait capable de se mécaniser.

En fin de compte, nos recherches contribuent à restaurer la place du capital humain dans le leadership technologique britannique. Pour voir cela, nous devons nous débarrasser de l'habitude moderne de considérer le capital humain en termes «modernes» de scolarisation et d'alphabétisation, ou même en termes de conditionnement social que les établissements d'enseignement de cette époque ont inculqué à leurs élèves. Nous devrions plutôt nous pencher sur les talents tacites, les compétences techniques transmises de maître à apprenti par le biais de contacts personnels informels. Le grand historien de la technologie pendant la révolution industrielle, John R. Harris, s'en est rendu compte lorsqu'il a noté que "tant de connaissances étaient insufflées par l'ouvrier dans l'atmosphère de suie où il vivait plutôt que consciemment apprises" (Harris, 1992, p. 30). Il en va de même pour les mécaniciens de chantier britanniques, dont certains se sont transformés et ont formé une classe d’ingénieurs en mécanique au XIXe siècle. Le rôle crucial des techniciens formés mécaniquement dans la révolution industrielle, et donc dans le grand enrichissement (MacLeod et Nuvolari, 2009) dans son ensemble, mérite largement notre reconnaissance."

Source : Karine van der Beek, Joel Mokyr et Assaf Sarid (2020), The wheels of change: technology adoption, millwrights, and persistence in britain’s industrialization, Discussion Paper DP14138, première pub. novembre 2019, révision décembre 2020, Centre for Economic Policy Research

18/12/2020

Protéger reptiles et amphibiens plutôt que casser moulins et étangs

Les citoyens peuvent voter en ligne jusqu'à ce soir pour qualifier un projet de biodiversité porté par des associations. Le projet mis en première place sur le site du ministère consiste à créer des films de propagande sur la destruction des ouvrages de rivières. Nous préférons pour notre part un autre projet, bien plus constructif pour le vivant, qui consiste à améliorer connaissance et protection des reptiles et amphibiens. Ceux-ci sont d'ailleurs mis en péril quand on assèche des retenues, étangs, plans d'eau, canaux et biefs. A vous de voter!



L'administration de l'écologie (OFB, agences de l'eau, DREAL, régions) propose un concours national de vote citoyen sur des projets pour la biodiversité.

Le premier projet mis en avant sur le site vise la "promotion de l'efficacité de la politique de continuité écologique et de restauration de la biodiversité de la France par la réalisation d'un ensemble des vidéos grand public, destinées à la diffusion nationale et internationale, et organisation d’une série d'évènements à partir de ces modules pour sensibiliser les élus, les décideurs et les citoyens."

Autant dire : faire des films de propagande à la gloire de la casse des ouvrages hydrauliques, le porteur de ce projet (ERN) étant un militant de longue date de la destruction des patrimoines de l'eau.

Etant donné les sommes considérables d'argent public déjà dépensées pour cette politique de continuité écologique dont les résultats sont très critiqués par les citoyens, nous préférons soutenir pour notre part le projet n°3 : la constitution d’un réseau national SOS serpents, tortues et grenouilles et l’élaboration d’outils et supports de communication, de formation et de sensibilisation à destination du grand public et des structures impliquées dans une démarche de médiation faune sauvage.

Le vote s'arrête ce soir, à vos claviers et écrans. Lien pour voter.

17/12/2020

Avec 1,2 million de barrières, les rivières européennes sont des écosystèmes massivement transformés par la société humaine (Belletti et al 2020)

Une recherche venant d'être publiée dans la revue Nature montre que les rivières de 36 pays européens sont fragmentées par au moins 1,2 million de barrières à l'écoulement, soit en moyenne 0,74 obstacle par kilomètre (ou un obstacle tous les 1350 mètres). Les auteurs en tirent la conclusion que l'on devrait supprimer le maximum de ces ouvrages, notamment les plus modestes ayant perdu leur fonction d'origine comme les moulins. On ne peut qu'exprimer notre désaccord total avec cette orientation, mal informée de nombreux autres travaux de recherche sur l'appropriation de ces ouvrages par les riverains et sur l'émergence de nouveaux écosystèmes anthropiques, outre les besoins massifs de transition énergétique bas-carbone en Europe. Mais surtout, cette recherche doit mener le législateur et le gestionnaire à sa conclusion la plus évidente: les rivières européennes sont des socio-écosystèmes co-construits par les humains au fil des siècles. Cette nouvelle nature est notre réalité, et l'action publique ne doit plus être guidée par l'idée naïve d'une sorte de retour en arrière. Ce qui ne signifie pas tout conserver en l'état, bien sûr, mais simplement ajuster les choix publics aux évolutions du vivant, aux attentes des riverains et aux besoins reconnus comme d'intérêt par la société.

Densités de barrières sur les rivières européennes, estimées par modèle, extrait de Belletti et al 2020, art.cit. 

Le programme Amber (Adaptive management of barriers in Europe ; "gestion adaptative des obstacles en Europe"), notamment financé la Commission européenne, vient de publier dans la revue Nature un résultat de son travail sous forme d'atlas estimant les barrières à l'écoulement en Europe. L'étude est signée par vingt chercheurs avec pour premier auteur Barbara Belletti, spécialiste en géomorphologie au CNRS et à l’université de Lyon.

Voici le résumé de leur recherche :

"Les rivières abritent une des plus riches biodiversité de la planète et fournissent des services écosystémiques essentiels à la société, mais elles sont souvent fragmentées par des obstacles à la libre circulation. En Europe, les tentatives de quantifier la connectivité fluviale ont été entravées par l'absence d'une base de données harmonisée sur les barrières. Nous montrons ici qu'il y a au moins 1,2 million de barrières sur les eaux intérieures de 36 pays européens (avec une densité moyenne de 0,74 barrières par kilomètre), dont 68% sont des structures de moins de deux mètres de hauteur, souvent négligées. Des enquêtes standardisées sur 2 715 kilomètres de longueur de cours d'eau pour 147 rivières indiquent que les registres existants sous-estiment le nombre d'obstacles d'environ 61%. Les densités de barrières les plus élevées se produisent dans les rivières fortement modifiées d'Europe centrale et les plus faibles densités de barrières se produisent dans les zones alpines les plus reculées et les moins peuplées. Dans toute l'Europe, les principaux prédicteurs de la densité des barrières sont la pression agricole, la densité des passages routiers de traversée de l'eau, l'étendue des eaux de surface et l'altitude. On trouve encore des rivières relativement non fragmentées dans les Balkans, les États baltes et certaines parties de la Scandinavie et du sud de l'Europe, mais elles nécessitent une protection urgente contre les projets de construction de barrages. Nos conclusions pourraient éclairer la mise en œuvre de la stratégie de l’UE pour la biodiversité, qui vise à reconnecter 25 000 kilomètres de rivières d’Europe d’ici à 2030, mais y parvenir nécessitera un changement de paradigme dans la restauration des rivières qui reconnaisse les impacts généralisés causés par les petits obstacles."

Il est à noter que la France et les Pays-Bas figurent comme les 2 pays dont les estimations d'obstacles sur les rivières sont les plus abouties (en France grâce au référentiel des obstacles à l'écoulement lancé dans les années 2000 par l'Onema). 

En France, sur 183 373 km de rivière (donc à l'exclusion du petit chevelu deux fois plus important), on compte 63932 obstacles dont 8744 barrages, 36855 seuils, 346 écluses, 5915 buses, 357 gués, 4512 rampes et 5231 autres ou inconnus.

Dans leur introduction, les chercheurs soulignent : "sans barrages, déversoirs, gués et autres structures dans le cours d'eau, il est difficile d'imaginer de prélever de l'eau, de produire de l'énergie hydroélectrique, de contrôler les inondations, de transporter des marchandises ou même simplement de traverser des cours d'eau."

Pourtant, ils ne se privent pas de donner en conclusion un point de vue plus politique sur ce qu'il faudrait faire de certains de ces ouvrages:

"Pour reconnecter les rivières, des informations sont nécessaires sur l'utilisation actuelle et le statut juridique des barrières, étant donné que beaucoup ne sont plus utilisées et pourraient être supprimées. Dans certaines régions d'Europe, par exemple, de nombreux déversoirs ont été construits pour desservir d'anciens moulins à eau, qui ont ensuite été abandonnés. Compte tenu de l'élan actuel vers l'élimination des obstacles et la restauration de la connectivité fluviale, il serait logique de commencer par des structures obsolètes et petites (<5 m), qui constituent la majorité des barrières en Europe. La suppression des petites barrières sera probablement plus facile et moins coûteuse que la suppression des infrastructures plus grandes, et probablement aussi mieux acceptée par les acteurs locaux, dont le soutien est essentiel pour restaurer la connectivité fluviale. Cependant, la suppression des anciennes barrières n'augmentera pas la connectivité si davantage de barrières sont construites ailleurs. Les taux actuels de fragmentation devraient être stoppés, ce qui peut nécessiter une réévaluation critique de la durabilité et la promotion des développements micro-hydroélectriques par rapport à l'alternative consistant à améliorer l'efficacité des barrages existants."

Discussion
Le premier enseignement de ce travail est que les rivières européennes sont une réalité massivement anthropisée. Ce ne sont plus dans la majorité des cas des systèmes "naturels", mais des systèmes "socio-naturels", c'est-à-dire des réalités physiques, chimiques et biologiques qui ont été lentement modifiées par des usages humains de l'espace. Il est alors très étonnant que le classement des masses d'eau souhaité par la directive cadre européenne (DCE 2000) n'ait pas conclu que 80 ou 90% des fleuves et rivières du continent sont des système "fortement modifiés", comme la nomenclature juridique de la DCE permet de le reconnaître. Nous devons en informer le législateur et le gestionnaire, afin qu'à l'issue du dernier cycle de la DCE (2021-2027), on acte enfin la réalité telle qu'elle est.

L'idée défendue par les auteurs en conclusion qu'il serait plus économique de supprimer 1,1 million de petites barrières est assez mal informée (en tout état de cause, elle n'est pas chiffrée). En fait, comme le montre l'expérience française en la matière, les effacements ou aménagements d'ouvrages sont rapidement coûteux lorsqu'ils ne sont pas bâclés. Il faut en effet tenir compte du droit des tiers dans les changements d'écoulement induits, mais aussi compenser diverses pertes hydrologiques et écologiques (mise à sec de retenues, canaux, puits, remobilisation sédimentaire problématique, fragilisation de bâtis et de berges, etc.). Du même coup, le bilan réel en gain et perte de ces opérations n'est pas fait. Un ouvrage n'ayant plus son usage ancien n'est pas forcément un ouvrage ayant perdu toute fonction ou tout service écosystémique 

Certains biologistes et écologues nous ont habitués à l'expression d'une sorte d'"impérialisme disciplinaire" en matière de conservation des espèces et des habitats : dès lors qu'un phénomène représente un "impact sur la nature", sa suppression serait souhaitable sans qu'il soit nécessaire de trop problématiser cette position. Cet article s'y inscrit en partie, mais il est quand même ennuyeux d'avoir une cécité aux travaux des autres sciences et disciplines académiques. Si Barbara Belletti et ses collègues s'étaient enquis des recherches menées en géographie, sociologie, histoire, humanités, économie, ils auraient par exemple observé que loin d'être vus comme vestiges sans usage du passé ou barrières à migrateur ou pièges à sédiments, les ouvrages hydrauliques font l'objet de diverses formes d'appropriation. Plus largement, ils auraient observé que la nature perçue et vécue du riverain n'est pas forcément la nature fonctionnelle ou idéale de l'écologue et du biologiste. Ou bien encore qu'au sein de l'écologie (comme discipline scientifique), les avis peuvent diverger sur les nouveaux écosystèmes créés par les humains — dans le cas aquatique, beaucoup de ces nouveaux écosystèmes (lacs, étangs, plans d'eau, canaux, biefs) sont justement créés par des ouvrages hydrauliques. Une synthèse de plus de 100 recherches scientifiques récentes sur ces sujets a récemment été faite, et un livre collectif d'universitaires nuançant beaucoup le concept de la continuité / discontinuité écologique est paru en 2020. 

La notion de barrière ou obstacle à l'écoulement a certainement du sens pour le géomorphologue (à condition de ne pas oublier les nombreuses barrières naturelles des embâcles, castors, chutes ou cascades), mais elle est par elle-même assez pauvre, au sens où elle réduit son objet à un seul angle de spécialité disciplinaire: chaque rivière n'est pas représentée par tous les humains comme ce qu'elle devrait être dans un idéal géomorphologique de naturalité, chaque ouvrage n'est pas davantage réductible à sa dimension d'obstacle à un écoulement, un sédiment ou un poisson. Nous espérons donc que des approches un peu plus complexes et pluridisciplinaires vont continuer à progresser dans la discussion académique et le débat démocratique. 

Référence : Belletti B et al (2020), More than one million barriers fragment Europe’s rivers, Nature, 588, 436–441

14/12/2020

Les silures dévorent les grandes aloses de la Garonne (Boulêtreau et al 2020)

Jadis, les saumons, aloses et autres migrateurs formaient les poissons de plus grande taille (avec le brochet) dans leur milieu d'eau douce. Mais ce n'est plus le cas avec l'introduction du silure, une espèce venue du Danube qui s'est étendue en Europe occidentale et méridionale. Une étude de chercheurs français menée sur la Garonne montre que ces poissons-chats géants consomment des grandes aloses, et qu'ils sont capables de repérer le comportement particulier de frai de ce migrateur pour profiter d'opportunités alimentaires. On peut certes essayer de réguler le silure dans nos eaux. Mais cela doit nourrir aussi une réflexion sur les objectifs de conservation des poissons migrateurs, qui ne rencontrent plus du tout à l'Anthropocène les conditions de leur expansion maximale voici quelques millénaires, en raison de causes multiples dont la plupart ne vont pas disparaître à court terme. 


Le silure européen Silurus glanis fait partie des 20 plus gros poissons d'eau douce au monde, et c'est le plus gros poisson d'Europe (jusqu'à 2,7 m de longueur totale, deux fois plus que des prédateurs indigènes en France comme le brochet). Sa taille extrême en a fait une espèce populaire pour les pêcheurs sportifs, ce qui a entraîné leur introduction intentionnelle dans certains pays d'Europe de l'Ouest et du Sud.

Mais comme toute espèce introduite, le silure a des effets sur les assemblages d'espèces qui pré-existent à son arrivée dans les rivières. 

De nombreuses espèces de poissons dites "anadromes" migrent entre l'eau de mer et l'eau douce pour frayer. Elle sont généralement protégées de la prédation par d'autres poissons lors de leur migration vers l'amont par leur grande taille à l'âge adulte. Mais les introductions et invasions de nouvelles espèces ont perturbé cette règle ayant émergé de l'évolution, car certaines espèces de poissons prédateurs sont plus grandes que les migrateurs. Dans les eaux douces d'Europe occidentale et méridionale, l'établissement du silure Silurus glanis expose les poissons anadromes adultes à la prédation en augmentant le seuil de taille corporelle auquel les proies deviennent invulnérables. 

Stéphanie Boulêtreau et ses collègues ont analysé le comportement de prédation du silure sur les grandes aloses (Alose alosa), un poisson migrateur jadis commun en Europe, mais aujourd'hui menacé.

Voici le résumé de leur travail : 

"Le silure Silurus glanis est un grand prédateur opportuniste non indigène capable de développer une stratégie de chasse en réponse aux proies nouvellement disponibles là où il a été introduit. La migration de proies anadromes reproductrices comme la grande alose Alosa alosa pourrait représenter cette ressource alimentaire disponible et riche en énergie. Ici, nous rapportons un comportement impressionnant de chasse au silure lors de la reproduction de l'alose dans l'une des principales frayères d'Europe (Garonne, sud-ouest de la France). 

La reproduction de l'alose se compose d'au moins un mâle et une femelle nageant côte à côte, battant la surface de l'eau avec leur queue, ce qui produit un bruit d'éclaboussement audible depuis la rive du fleuve. Le comportement de chasse du silure lors de la reproduction de l'alose a été étudié, la nuit, pendant les mois de printemps, en utilisant à la fois une enquête auditive et vidéo. Simultanément, des individus de poisson-chat ont été pêchés pour analyser le contenu de leur estomac. 

Le silure a perturbé 12% des 1024 actes de frai nocturnes que nous avons entendus, et cette proportion est passée à 37% parmi les 129 actes de frai lorsqu'elle est estimée avec un enregistrement par caméra en basse lumière. Les analyses du contenu stomacal de 251 gros silure (longueur du corps > 128 cm) capturés dans le même tronçon de rivière) ont révélé que l'alose représentait 88,5% des proies identifiées dans le régime alimentaire du silure. 

Ces travaux démontrent que la prédation du silure doit être considérée comme un facteur important de mortalité des aloses. Dans un contexte d'extension de l'aire de répartition européenne du silure dans les eaux douces d'Europe occidentale et méridionale, ce nouvel impact trophique, avec d'autres précédemment décrits pour le saumon ou la lamproie, doit être pris en compte dans les plans européens de conservation des espèces anadromes."

Discussion
Ces travaux confirment d'autres recherches faites dans les eaux françaises sur la prédation des saumons remontants par les silures. Ils soulignent les causes multifactorielles de déclin des migrateurs : outre des barrières physiques, ceux-ci sont confrontés à la pollution, la surpêche et le braconnage, la prédation par de nouvelles espèces, le changement climatique et ses effets océaniques comme fluviaux. 

La stratégie évolutive de la migration permet des gains alimentaires (croissance dans un milieu favorable) mais elle est coûteuse, puisque les animaux y ayant recours parcourent de longue distance, ce qui représente une dépense en énergie et une exposition à divers risques. Le changement progressif des conditions des rivières et des océans à l'Anthropocène est particulièrement défavorable à ces espèces. Cela suggère que si les stratégies de conservation de ces migrateurs visent à juste titre à éviter l'extinction des espèces, elles auront sans doute le plus grand mal à revenir aux quantités d'individus observées avant l'ère moderne. Une discussion des objectifs des politiques publiques en ce domaine serait bienvenue.

Référence : Boulêtreau S et al (2020), ‘The giants’ feast’’: predation of the large introduced European catfish on spawning migrating allis shads, Aquatic Ecology, doi.org/10.1007/s10452-020-09811-8

A lire en complément

11/12/2020

La gestion des étangs piscicoles est appréciée par l'avifaune (Boyer et Bourguemestre 2020)

Le fuligule milouin est une espèce de canard qui a connu une expansion dans les étangs européens à compter de la fin du 19e siècle. Mais l'anatidé a amorcé un déclin à partir des années 1980 et il est considéré comme vulnérable. Un travail de recherche sur les étangs de la Brenne montre que ces plans d'eau sont des habitats d'autant plus favorables qu'ils sont activement gérés, ce qui augmente la productivité piscicole et trophique favorable aux fuligules. C'est un bon exemple de l'évolution de la biodiversité dans les nouveaux écosystèmes créés par les humains. Et une incitation supplémentaire à ne pas opposer sommairement milieux naturels et milieux artificiels, ni biodiversité endémique et biodiversité acquise.


Fuligule mâle, par Neil Phillip (Flickr, CC BY 2.0)

Le fuligule milouin Aythya ferina est un canard plongeur (Anatidés) européen, classé comme espèce vulnérable. Il offre un exemple d'adaptation réussie à un habitat artificiel: le système d'étangs piscicoles. Le fuligule s'est installé à la fin du 19e siècle dans des complexes d'étangs du sud de la Bohême, puis s'est étendu sur une large aire vers le sud-ouest de l'Europe. La hausse du nombre de ses hivernages a été attribuée aux progrès de l'aquaculture dans les systèmes d'étang européens. Mais à partir de la fin des années 1970, un déclin à long terme a commencé dans de nombreuses aires européennes. Il y a donc un besoin d'information sur les facteurs clés affectant l'abondance et le succès de reproduction de cette espèce. Les étangs piscicoles constituent aujourd'hui l'un des habitats les plus couramment utilisés dans de nombreux pays (France, Allemagne, Pologne, République Tchèque), mais la gestion de la pisciculture est susceptible d'affecter positivement ou négativement la vie du fuligule milouin.

Jöel Broyer (OFB, DRAS-Pôle ECLA) et François Bourguemestre (Fédération des chasseurs Indre) ont analysé l'évolution du fuligule milouin dans les étangs de la Brenne. Voici le résumé de leur travail : 

"Les étangs piscicoles constituent un habitat de reproduction majeur pour le fuligule milouin Aythya ferina en Europe. Cette étude a exploré les causes possibles de son déclin récent, en décrivant les conséquences des diverses options de gestion des étangs en Brenne, dans le centre de la France. La densité des couples et le rapport nichée/couple ont été décrits dans un échantillon d'étang soumis à diverses pratiques de gestion, au début des années 2000 et, encore une fois, une décennie plus tard. L'influence de la gestion des étangs sur ces variables a été étudiée par des comparaisons de modèles. 

Au début des années 2000, 69,5% des étangs étudiés étaient fertilisés par les pisciculteurs. Des densités de couples de fuligule milouin plus élevées ont été observées chez ceux qui se nourrissaient artificiellement de la carpe et le rapport nichée/couple était positivement lié à la densité de la biomasse des poissons, à condition que la densité des couples ne soit pas trop élevée. Une décennie plus tard, seuls 25% des étangs étudiés restaient fertilisés. La densité des paires de fuligule milouin était positivement corrélée à la densité de la biomasse des poissons. Mais des ratios nichée/couple plus faibles ont été enregistrés dans les étangs avec alimentation artificielle de la carpe, en raison du fait qu'une densité de couples plus élevée n'y a pas conduit à une augmentation de la densité des couvées. Entre les deux périodes d'étude, le nombre de couples est resté stable dans l'échantillon, mais le rapport nichée/couple a diminué, passant de 0,84 à 0,71. 

Nos résultats soutiennent l'idée que les conditions de l'habitat qui permettent une productivité élevée des poissons étaient également attrayantes pour les couples de fuligules. Ils suggèrent l'hypothèse que la fertilisation des étangs pour améliorer la productivité primaire et, par conséquent, la biomasse des poissons, peut également favoriser le succès de la reproduction des fuligules. Il faut cependant garder à l'esprit que, même avec une gestion active de la pisciculture, la densité de la biomasse des poissons dans les étangs français reste généralement modérée par rapport à celles d'Europe centrale. L'étude n'a révélé aucun effet de la gestion de la chasse puisque l'alimentation de la sauvagine, la lutte contre les prédateurs ou le lâcher de canards colverts n'ont pas influencé de manière significative l'utilisation des étangs par les couples de fuligule ni le rapport nichée/couple".

Ce travail confirme d'autres résultats obtenus par les auteurs en Dombes, Forez ou Brenne (voir par exemple Boyer et al 2015), montrant l'importance de la gestion piscicole des étangs sur la reproduction des Anatidés. La biomasse piscicole et l’état trophique de productivité de l’écosystème sont des facteurs limitants pour les oiseaux.

Référence : Boyer J, Bourguemestre F (2020), Common pochard Aythya ferina breeding density and fishpond management in central France, Wildlife Biology, wlb.00592