25/10/2022

Les têtes de bassin versant ont aussi des eaux et sédiments pollués (Slaby et al 2022)

Alors que la directive cadre européenne sur l'eau a été adoptée en l'an 2000, le réseau de surveillance des pesticides et autres substances toxiques dans les rivières ou plans d'eau reste très lacunaire. Un groupe de chercheurs français montre que ces eaux et sédiments d'un étang ancien de tête de bassin sont contaminés par 26 substances différentes, pesticides ou produits de décomposition des pesticides. Les poissons montrent cependant une faible accumulation, hors l'herbicide prosulfocarbe. Mais les effets cumulés et croisés des expositions sur l'ensemble de la faune aquatique ou amphibie restent largement sous-documentés. Il est vrai que démolir et assécher cet étang ancien au nom de la continuité dite "écologique" pourrait éviter de se poser trop de questions... 

Résumé graphique de l'étude de Slaby et al 2022, art cit.


Le site étudié par Sylvain Slaby et ses collègues est un étang pisicicole ancien (15e siècle) situé dans la région Grand Est. Il est placé en amont d'un cours d'eau dans un petit bassin versant (81 ha), dominé par les terres arables (42 %) et les pâturages (49 %). Les cultures pratiquées dans ce bassin versant sont courantes dans la région (blé, orge, tournesol, colza, maïs ensilage).

Voici le résumé de leur étude :

"Plus de 20 ans après l'adoption de la directive-cadre sur l'eau, des lacunes importantes subsistent concernant l'état sanitaire des petites rivières et des masses d'eau en tête de bassin. Ces petits cours d'eau alimentent en eau un grand nombre de zones humides qui abritent une riche biodiversité. Plusieurs de ces plans d'eau sont des étangs dont la production est destinée à la consommation humaine ou au repeuplement d'autres milieux aquatiques. Cependant, ces écosystèmes sont exposés à des contaminants, notamment des pesticides et leurs produits de transformation. Ce travail vise à fournir des informations sur la distribution, la diversité et les concentrations des contaminants agricoles dans les compartiments abiotiques et biotiques d'un étang piscicole situé en tête de bassins versants. Au total, 20 pesticides et 20 produits de transformation ont été analysés par HPLC-ESI-MS/MS dans de l'eau et des sédiments prélevés mensuellement tout au long d'un cycle de production piscicole, et chez trois espèces de poissons au début et à la fin du cycle.

Les concentrations moyennes les plus élevées ont été trouvées pour le métazachlor-OXA (519,48 ± 56,52 ng.L-1) dans l'eau et le benzamide (4,23 ± 0,17 ng.g-1 en poids sec) dans les sédiments. Jusqu'à 20 contaminants ont été détectés par échantillon d'eau et 26 par échantillon de sédiments. Les produits de transformation de l'atrazine (interdit en Europe depuis 2003 mais encore largement utilisé dans d'autres parties du monde), du flufenacet, de l'imidaclopride (interdit en France depuis 2018), du métazachlore et du métolachlore étaient plus concentrés que leurs composés parents. Moins de contaminants ont été détectés chez les poissons, principalement du prosulfocarbe accumulé dans les organismes au cours du cycle.

Nos travaux apportent des données innovantes sur la contamination des petites masses d'eau situées en tête de bassin. Les produits de transformation avec la fréquence d'occurrence et les concentrations les plus élevées devraient être priorisés pour des études de surveillance environnementale supplémentaires, et des seuils de toxicité spécifiques devraient être définis. Peu de contaminants ont été trouvés dans les poissons, mais les résultats remettent en question l'utilisation à grande échelle du prosulfocarbe."

Discussion
La pollution des milieux aquatiques a pris une dimension massive à compter de la seconde partie du 20e siècle, tout comme des travaux lourds de recalibrage des cours d'eau permis par des engins mécaniques à énergie fossile. Même les têtes de bassin versant sont concernées, alors que certains prétendent que ces milieux seraient plus ou moins épargnés. Le réseau de surveillance mis en place à la suite de la DCE 2000 est très loin d'analyser l'ensemble des bassins, pas plus que l'ensemble des contaminants de l'eau et des sédiments. L'histoire retiendra qu'au début du 21e siècle, les administrations françaises de l'eau et de la biodiversité se sont livrées à une destruction acharnée des moulins et des étangs d'Ancien Régime pendant que les causes manifestes de dégradation de l'eau et de la biodiversité étaient minorées ou acceptées comme des fatalités. Mais peut-être que l'un va avec l'autre : procéder à des destructions spectaculaires et photogéniques pour ne pas avoir à engager des réformes difficiles de nos modes de production et de consommation? 

22/10/2022

Comprendre les rivières comme artefacts culturels

Nous publions une traduction du manifeste de l’archéologue Matt Edgeworth, auteur d’un livre paru voici une dizaine d’années déjà sur la réalité archéologique des modifications des flux d’eau par les sociétés humaines. Loin d’être analysable comme une anomalie industrielle récente,  la relation transformative de l’humanité à l’eau a commencé dès la préhistoire. L’ignorer, c’est entretenir une représentation fausse des fleuves et rivières, une incompréhension du devenir hybride de l’eau, entre puissance sauvage et appropriation sociale.  Ce texte est d’une actualité manifeste à l’heure où les politiques publiques en France et en Europe s’entichent d’un naturalisme amnésique, réducteur voire naïf, faisant comme si le destin culturel et naturel de l’eau n’était pas enchevêtré depuis des millénaires. Et appelé à le rester dans le flux incessant des eaux, des sédiments et des destinées humaines. Une écologie de l’Anthropocène ne pourra pas être une nostalgie d’un paradis perdu, ni sur le plan scientifique, ni sur le plan imaginaire.


Un détail de la série de 15 cartes de la plaine inondable du Mississippi inférieur par le géologue Harold Fisk (Fisk 1944, United States Army Corps of Engineers), montrant les cours actuels et anciens de la rivière. 

Manifeste pour l’archéologie du flot*

par Matt Edgeworth

La matière peut être dans l'un des trois états principaux suivants : solide, liquide ou gazeux. Dans l'étude archéologique des paysages, la matière solide est prioritaire. Procurez-vous presque n'importe quel livre sur l'archéologie du paysage britannique et vous trouverez des matériaux solides mis en évidence, avec des matériaux fluides  liquides et gazeux laissés dans l'ombre. Les fleuves et les rivières sont la matière noire de l'archéologie du paysage (mais pas moins vibrante pour autant). Traversant le cœur des paysages, changeant de formes et d'états au fur et à mesure, ils sont rarement soumis au type d'analyse culturelle appliquée aux matériaux solides. L'eau qui coule a tendance à être considérée comme faisant partie d'un arrière-plan naturel sur lequel l'activité culturelle passée apparaît, à côté duquel se trouvent des sites, auquel une signification culturelle est appliquée ou dans lequel des éléments culturels sont placés, plutôt que comme ayant une dimension culturelle en soi. Or l'activité humaine, sous forme de modification des cours d'eau, est inextricablement liée au cycle dit «naturel» de l'eau. En tant qu'enchevêtrements dynamiques de forces naturelles et culturelles, les rivières ont le potentiel de remodeler le paysage et notre compréhension de celui-ci. Ce manifeste présente six raisons interdépendantes d'amener cette matière noire des paysages dans le domaine de l'étude archéologique.

1. Les rivières sont des artefacts culturels
Les rivières, en particulier dans les pays densément peuplés comme la Grande-Bretagne, sont parmi les caractéristiques du paysage les plus culturellement modifiées. Mais en utilisant le terme artefact, je ne veux pas seulement dire que les rivières et leur débit ont été façonnés artificiellement. Je veux dire aussi que, étant manipulés et contrôlés dans une certaine mesure, leur flux est utilisé pour façonner d'autres choses. À travers les moulins à eau, le flux a été déployé dans le passé pour façonner de nombreux matériaux et les transformer également en artefacts. Plus récemment, l'électricité produite par les centrales hydroélectriques sur les rivières a été transformée en d'innombrables utilisations pour façonner tous les aspects du monde industrialisé moderne. Le débit des rivières a même été utilisé en temps de guerre comme une arme. Les rivières modifiées et manipulées ont également changé la forme des deltas, des plaines inondables et d'autres reliefs à grande échelle.

2. Les rivières sont partiellement sauvages
Aussi façonnées, contrôlées et gérées soient-elles, les rivières ont aussi un aspect sauvage qui n'est pas entièrement prévisible, peuvent agir de manière inattendue et surprenante, et ont la capacité d'échapper au moins temporairement aux formes culturellement appliquées. Cette nature sauvage signifie que toute tentative de contrôler le flux ne sera pas simplement l'application d'une force culturelle sur une substance inerte et passive, car l'eau qui coule est un type de matière particulièrement vibrant, qui peut agir ou répondre de manière parfois imprévue et surprenante, nécessitant des contre-mesures. Cela fait de toute implication humaine avec les rivières davantage une lutte, un entrelacement, une confluence, un maillage, un assemblage ou un enchevêtrement. Quelle que soit la métaphore utilisée, c'est cette fusion dynamique de matériaux et d'agents naturels et culturels, se formant et déformant à travers le temps, qui rend l'étude archéologique des rivières si intéressante.

3. L'activité humaine et l'activité fluviale sont imbriquées
Auparavant, on supposait que l'activité fluviale et la formation des plaines inondables étaient principalement des processus naturels, donc non soumis à une analyse archéologique (culturelle). Mais il s'avère que bon nombre des modèles hydrologiques standard de l'érosion et de la sédimentation des rivières sont basés sur des études de cours d'eau qui - loin d'être naturels comme on le pensait - avaient en réalité fait l'objet de modifications humaines importantes dans le passé. Les preuves d'une intervention humaine extensive dans la morphologie des rivières et des plaines inondables sont claires pour le monde moderne, pas si évidentes pour les périodes antérieures. Pourtant, on le trouve, par exemple, dans l'Europe médiévale et le long des oueds du Proche-Orient ancien, comme des digues monumentales et des plaines inondables surélevées du fleuve Jaune en Chine. Pour leur part, les rivières se sont frayées un chemin dans le tissu même de l'existence humaine - traversant le centre des villes, sous les ponts, le long des parcs et des jardins, dans les écluses, les ponceaux et les tours de refroidissement. Les rivières coulent aussi à travers les rêves, les chansons, les dessins, les projets, les poèmes, les souvenirs et les mythes. Ils font partie de l'histoire humaine.

4. Comprendre les rivières implique de comprendre les activités humaines passées (et vice versa)
Il est maintenant temps d'en finir avec ces vieilles leçons de géographie physique et ces diagrammes omniprésents qui présentent le cycle hydrologique (évaporation → condensation → précipitations → débit → évaporation → etc.) comme des processus entièrement naturels, en quelque sorte séparés de l'activité humaine. En intervenant dans les schémas d'écoulement des rivières - soit directement (par la construction de barrages, la dérivation, le dragage, l'endiguement, le drainage, l'irrigation, etc.) ou indirectement (par la déforestation, les pratiques agricoles, etc.) - les humains ont fait partie du cycle de l'eau pendant des milliers d'années, affectant les flux de sédiments et les formations paysagères. Les rivières et les ruisseaux ont longtemps été des cyborgs (Haraway 1985) ou des hybrides (Latour 1993) – des assemblages dynamiques de matériaux, de flux et de forces, humains et non humains – tout en faisant partie d’autres cyborgs et hybrides. Les interventions humaines dans les cours d'eau sont aujourd'hui d'un ordre de grandeur beaucoup plus important, il est vrai, mais celles-ci restent sur des trajectoires historiques d'enchevêtrement homme-fleuve originaires d'un passé plus ou moins lointain. On pourrait se demander comment comprendre les fleuves et comment mettre en place des stratégies efficaces pour traiter les fleuves si ces trajectoires historiques ne sont pas prises en compte ?

5. Les rivières sont dangereuses, il est donc bon de penser avec elles
Comme lorsqu'un fleuve en crue détruit ou franchit ses rives artificielles et se creuse un nouveau chemin, l'écoulement menace toujours de rompre l'ordre culturel des choses. C'est précisément cet aspect dangereux et sauvage des rivières qui fait qu'elles sont bonnes à penser. Le flux a sa propre logique, qui fonctionne dans les tourbillons, les courants, les lignes de courant, les vortex et les turbulences, circulant autour et au-dessus de la logique des matériaux solides. Elle nous encourage à briser les polarités de pensée, telles que les oppositions rigides entre nature et culture, et à ne pas trop respecter les frontières entre différentes disciplines. Adopter une approche multidisciplinaire, s'appuyer à la fois sur les sciences naturelles et les études culturelles, passer d'une échelle d'analyse à l'autre, rechercher toujours des façons différentes de voir les choses, serait tout à fait conforme à l'archéologie des flots. Le flux lui-même nous met au défi d'adopter des formes d'investigation plus fluides et dynamiques. Penser en termes de flux conduit à mettre davantage l'accent sur les continuités – moins sur les discontinuités. Le simple fait d'introduire le flux dans le champ d'étude a le potentiel de changer radicalement notre façon de penser les choses.

6. L'eau qui coule fournit des modèles pour comprendre d'autres types d'écoulements paysagers
L'eau et la boue ne sont pas les seuls types de matériaux qui traversent les paysages archéologiques. Les personnes, les biens, l'argent, les véhicules, les troupeaux d'animaux et de nombreuses autres entités présentent des modèles de comportement fluides, laissant des traces dans les archives archéologiques. Les rivières et les ruisseaux ne sont pas non plus les seuls éléments matériels à canaliser l'écoulement. Sentiers, chemins creux, voies de procession, escaliers, halls de gare, panneaux de signalisation, berges de rue, câbles à fibres optiques, tourniquets de terrains de football, tracés de rues dans une ville et ainsi de suite – tous les flux de matériaux de chenal  d'un type ou d’un autre, l'un de ces flux étant le déplacement des archéologues eux-mêmes. Même les animaux peints dans les grottes de Lascaux attirent un flux vers eux, lorsqu'ils sont considérés à la lumière de la perspective d'un spectateur incarné se déplaçant à travers les grottes, au lieu de les étudier d'un point de vue fixe.
Que se passe-t-il si nous appliquons des modèles de flux à des preuves archéologiques qui n'étaient auparavant comprises que comme des matériaux solides ?

Références citées
Fisk, HN (1944) Enquête géologique de la vallée alluviale du fleuve Mississippi inférieur, rapport pour le US Army Corps of Engineers, Vicksburg, MS.
Haraway, D. (1985) « Un manifeste pour les cyborgs : science, technologie et féminisme socialiste dans les années 1980 », Socialist Review 80 : 65-108.
Latour, B. (1993) Nous n'avons jamais été modernes (Cambridge MA, Harvard University Press).

(*) NDT :  L’anglais « flow » est difficile à traduire ici. Le même terme signifie le débit et l’écoulement, mais ces mots ne sont pas toujours évocateurs en français. Le mot flux aurait pu être choisi, mais il a une dimension physique un peu détachée de la matérialité de l’eau (nous l’utilisons dans le corps du manifeste quand il est mieux approprié dans une phrase). Nous avons donc opté pour « flot » dans le titre, qui est aussi phonétiquement évocateur du « flow » anglais.

Remarques
Cet article est composé d'extraits d'un livre intitulé Fluid Pasts: Archaeology of Flow  de Matt Edgeworth, publié en septembre 2011 par Bristol Classical Press (Bloomsbury Academic). Le livre a commencé sa vie sous la forme d'un article intitulé «Rivers as Artifacts» écrit pour Archaeolog en 2008. Le «manifeste» a d'abord été présenté sous forme d'article lors de la session «Manifestos for Materials», TAG, Université de Bristol, 2010.

20/10/2022

La Vire, ses destructions d’ouvrages, ses sécheresses aggravées, ses migrateurs à la peine

Sur le fleuve côtier Vire comme dans de nombreuses rivières de l’Ouest de la France, les administrations et lobbies de la casse des ouvrages hydrauliques s’en sont donnés à cœur joie depuis 10 ans. On a dérasé, effacé, arasé du moulin en série, on a asséché de la retenue et du bief pareillement. Les pêcheurs en pointe du mouvement promettaient l’abondance retrouvée du poisson migrateur. Le Canard enchaîné ironise cette semaine sur le résultat en 2022 : une agglomération de Saint-Lô obligée de reposer en urgence un barrage sur la Vire pour son alimentation en eau menacée par les niveaux trop bas, et des poissons migrateurs pas en forme du tout. Nous apportons ici quelques données complémentaires sur l’évolution du saumon et de la grande alose de la Vire depuis 20 ans.  Et appelons une nouvelle fois les administrations comme les élus à changer immédiatement de politique. 


Hier on efface des ouvrages, aujourd'hui on en reconstruit en urgence. On proclame l'accélération de la transition bas-carbone mais on détruit des centrales hydro-électriques en 2022. Tout cela sur ordre du préfet, aux frais du contribuable et dans le département dont Mme Borne est l'élue... Quand va cesser le désastre de la continuité écologique destructrice?


Le Canard Enchaîné a mis de nouveau les pieds dans la mare boueuse de la continuité écologique, en évoquant la rivière Vire, en Normandie. Ce fleuve côtier est depuis 40 ans l’objet de l’acharnement de l’Office français de la biodiversité (ancien Conseil supérieur de la pêche) et du lobby des pêcheurs sportifs en vue d’en faire un des sites pilotes de la remontée des poissons migrateurs. 

Comme on le sait, ces officines affirment que les ouvrages de moulins ou de petites centrales hydro-électriques sont la première cause de disparition des grands migrateurs. Dans un premier temps, avec le plan Retour aux sources des années 1980, des passes à poissons ont été construites. Puis à compter de la fin des années 2000, la préfecture a satisfait les lobbies en exigeant également une gestion de vannes ouvertes en période de chômage des ouvrages. Enfin à partir de 2013, nous avons vu la mise en œuvre de la politique systématique de destruction des seuils sur le cours de la Vire.  Ce plan se poursuit encore en 2022, avec la démolition d'un site de production hydro-électrique. Alors même que la loi de 2021 a interdit la destruction de l’usage actuel ou potentiel des ouvrages hydrauliques, en particulier les moulins.

Un premier motif de rire (jaune) du Canard enchaîné est qu’à l’occasion de la sécheresse 2022, le gestionnaire a été obligé de construire en urgence un ouvrage de rehausse du lit là même où l’on faisait disparaitre les seuils anciens. Le niveau trop bas de la rivière menaçait l’alimentation en eau potable de Saint-Lô. Peut-être que les anciens riverains avaient compris ce phénomène mieux que la préfecture et ses clientèles ? En tout cas, comme les climatologues prédisent que de telles sécheresses ne peuvent que revenir plus fréquemment et intensément à horizon des décennies à venir, il vaudrait mieux que le gestionnaire public apporte une réponse convaincante au problème, au lieu de faire en urgence des chantiers chaque été pour compenser ce qu’il détruit. 

Les saumons et aloses ne suivent pas les attentes
Mais après tout, l’objectif de cette politique n’est pas l’humain (variable manifestement jugée négligeable par ses promoteurs), c'est le poisson migrateur. Que nous disent les chiffres à la station de comptage de Claies de Vire, où l’on enregistre chaque année la remontée de ces poissons ?

Le graphique ci-dessous montre l’évolution des remontées de saumon atlantique et de grande alose à Claies de Vire.



Que constate-t-on ?
  • Il existe une variation interannuelle forte
  • Les années à bas effectifs ne changent guère sur 20 ans, voire sont pires à la fin des mesures qu’au début
  • Le début de la destruction des seuils a été marqué par une hausse des effectifs (2013-2016) suivi par un effondrement ensuite pour les aloses et une baisse sensible pour les saumons (2017-2021)
  • En tout état de cause, on parle de la variation locale d’effectifs en restant dans le même ordre de grandeur de présence des espèces
  • Rien n’indique pour le moment un bon bilan coût-bénéfice des sommes conséquentes d’argent public dépensées et des coûts d'opportunité à ne pas avoir employé les ouvrages à des choses plus utiles (retenue d'eau, production d'énergie)
Les chiffres de 2022 ne sont pas donnés mais au dernier comptage de fin septembre, ils étaient assez catastrophiques (57 saumons, 749 aloses). Et la sécheresse 2022 n'a pas dû être très favorable à la colonisation ni à la reproduction. 

La promesse faite par le lobby des pêcheurs était pourtant simple : une fois supprimé l’ouvrage (obstacle à la montaison) et la retenue de l’ouvrage (dégradation de l’habitat), on doit voir une recolonisation du linéaire, un accès aux affluents, une hausse visible, durable et régulière des effectifs.

A date, ce n’est pas le cas. Alors on va chercher d’autres causes : les pollutions, les sécheresses, le réchauffement, la perturbation du cycle de vie en mer des poissons migrateurs, etc. Il aurait peut-être fallu y réfléchir avant. En attendant, on a détruit le patrimoine hydraulique, le paysage de vallée, le potentiel hydro-électrique bas-carbone sur la base d’une fausse promesse selon laquelle la destruction d’ouvrage serait la solution miracle pour les migrateurs.

Arrêtez le délire, vite
Nous demandons aux préfectures et aux élus de cesser ces politiques inefficaces et conflictuelles de destruction des sites des rivières, accordant un poids disproportionné à certains lobbies, nuisant à l’intérêt général et à la gestion équilibrée de l’eau, détournant une part notable de l'argent public de la biodiversité sur des espèces très ciblées au détriment d'autres enjeux. 

Nous leur demandons aussi de faire évoluer leur vision de la rivière. Que la politique publique vise à améliorer la condition des poissons migrateurs, c’est une chose normale et louable. On peut le faire sans détruire. Qu’elle nuise aux usages et patrimoines bénéfiques de la rivière à cette fin, ce n’est pas acceptable.

Par ailleurs, dans aucune politique publique de protection de la biodiversité on ne défend l’idée hors-sol que les milieux du 21e siècle pourraient retrouver les mêmes peuplements que sous l’Ancien Régime, l’Antiquité ou d’autres moments du passé. On vise à éviter l’extinction d’espèces, ce qui est évidemment légitime et nécessaire, mais pas à revenir aux effectifs de ces espèces dans le passé. Ce qui vaut pour l’ours ou le loup vaut pour le saumon ou l’alose : le projet de détruire et réprimer l’occupation humaine des bassins versants en vue uniquement de maximiser des poissons migrateurs sur chaque tronçon de rivière est un projet aberrant. C’est aussi un projet mono-orienté qui peut être nuisible à d’autres formes de biodiversité s’il menace la rétention d’eau et aggrave les rivières à sec sans zone refuge : on l'a observé un peu partout à l’occasion des sécheresses récentes. 

Il faut en prendre conscience et réviser la politique des cours d’eau, en s’attaquant à ce qui inquiète bien davantage les populations, et de nombreux chercheurs : la pollution de l’eau, le risque de sécheresse et de crue, le changement climatique. Or pour toutes ces politiques, l’ouvrage hydraulique est un allié à mobiliser, pas une réalité à faire disparaître. 

A lire sur le même thème :

Quelques travaux scientifiques :

19/10/2022

Ne commettons sur les retenues d'eau les mêmes erreurs que sur la continuité écologique

L'Office français de la biodiversité a organisé avec des syndicats de rivière une analyse de l'effet cumulé des retenues d'eau. Un colloque de restitution vient d'en rapporter les principales conclusions. Si des données intéressantes ont été récoltées, le colloque nous a aussi permis de constater le fossé béant entre la représentation de la nature de certains gestionnaires publics et la diversité des réalités de l'eau dans la société. Il existe en France 300 000 plans d'eau de plus de 100 m2 et probablement près d'un million au total. Envisager ce fait massif sous le seul angle d'une "dégradation de la nature" à corriger nous mène dans le mur. Ne commettons pas l'erreur déjà faite sur les ouvrages en lit mineur à l'occasion de la réforme ratée de continuité écologique. 


Une expertise collective Inrae-OFB avait été menée entre 2014 et 2016 sur les effets cumulés des retenues d'eau, sous la forme d'un passage en revue de la littérature scientifique. Pour les suites de cette expertise, une démarche a été lancée par l'Office français de la biodiversité (OFB), avec un appel à projets pour étudier les retenues sur des bassins versants. Six projets ont été sélectionnés, portés par des syndicats de rivière ou un parc naturel régional. En début de semaine se tenait le colloque de restitution de cette étude ICRA (Impact cumulé des retenues sur les milieux aquatiques). Nous y avons assisté en distanciel et voici nos observations. 

Quantification et qualification des retenues d'eau : un inventaire bienvenu
Le premier enjeu est déjà de qualifier et quantifier ce dont on parle. Il y a des plans d'eau en travers du lit mineur et d'autres en dérivation. Il y a des plans d'eau déconnectés du lit mineur, à une plus ou moins grande distance des cours d'eau. Il y a aussi des plans d'eau au niveau des sources, plus durs à qualifier puisqu'ils forment en quelque sorte la naissance du cours d'eau par ses sources qu'ils drainent en alimentation de la retenue. En outre, les propriétés physiques et fonctionnelles du plan d'eau sont importantes : superficie, profondeur, temps de résidence hydraulique, forme des berges, marnage saisonnier. Également d'intérêt : la date de construction, l'usage connu. Le CGEDD travaille à un inventaire national des plans d'eau (INPE) avec une quarantaine de descripteurs. L'outil devrait être rendu public dans sa première version en 2023. C'est appréciable, d'autant que les travaux présentés par les syndicats de rivière montre la diversité des plans d'eau et la difficulté de les répertorier. Selon les premières données, il y aurait environ 300 000 plans d'eau de plus de 100 m2 et n'étant pas des zones humides naturelles, environ 800 000 en incluant les moins de 100 m2. Mais c'est une estimation conservatrice, car les techniques altimétriques de détection (images aériennes et satellites) peuvent manquer les sites sous couverts forestiers ou à interprétation ambiguë sur les images. Selon des analyses faites sur un bassin versant, près de la moitié des retenues seraient apparues après les années 1950. Cet inventaire confirme selon nous ce que les universitaires Pascal Bartout et Laurent Touchart avaient pointé, il existe un limnosystème (réseau des points d'eaux lentes, calmes) et il est totalement négligé par l'interprétation administrative de la DCE, voire par la DCE elle-même qui a centré l'essentiel sur la réalité "rivière" ou très grand plan d'eau.

Quantité d'eau : modèles hydrologiques à revoir
Un modèle hydrologique vise à estimer comment évolue la quantité d'eau en surface et en nappe à différentes hypothèses. Les travaux présentés au colloque sont de ce point de vue très insuffisants, ce qui a été reconnu dans la communication de F. Habets. Un modèle doit en effet avoir les données d’entrée (pluviométrie, nappes) et d’usages (tous les prélèvements). Ce n'est pas forcément la retenue en elle-même qui prive le milieu ou l'aval d'eau, c'est d'abord l'usage qui en est fait, en particulier le pompage et la réalimentation de la retenue en période sèche. Un modèle prédictif (pour accompagner l'action et certifier des résultats futurs) doit aussi être couplé à un modèle hydroclimatique, pour savoir comment un milieu réagit demain à des manques ou excès d'eau d'origine météorologique, avec ou sans retenues. Ce point hydrologique est le plus important et le plus légitime : il y a pression quantitative sur l'eau dans certains bassins, mais l'eau est un bien commun, donc on doit veiller à ce que les usages n'affectent pas la ressource de manière immodérée ou injuste (que l’amont ne prive pas l’aval, que certains usages ne privent pas les autres). On doit aussi, ce qui n'était pas vraiment l'esprit du colloque, veiller au stockage de l'eau dont la nécessité sera plus forte. Mais pour le moment, le poids du facteur retenue n'est pas correctement isolé par le modèles, qui doivent s'améliorer. L'enjeu n'est pas simple, car la modélisation est contexte-dépendante (par exemple, un bassin cristallin n'est pas un bassin karstique, un bassin à forte demande d'irrigation n'est pas un bassin à faible usage agricole, etc.).

Température de l'eau : un impact sensible sur la thermie
Les mesures et les modèles sont plus simples à concevoir pour la température, encore qu'il existe des facteurs physiques de pondération à prendre en compte (débit, pente). Les travaux présentés confirment d'autres données déjà connues dans la littérature scientifique, les retenues modestes n'ayant pas de stratification thermique (eau froide en profondeur) et ne rejetant pas l'eau par le fond ont tendance à réchauffer l'eau. L'effet se fait sentir sur 500-1000 m à l'aval en général. Cet effet est lié à des facteurs aggravants (par exemple grande superficie, faible profondeur, fort temps de résidence hydraulique, construction en lit, relargage en surverse) ou atténuants (retenue en dérivation, ombrage des berges, relargage par le fond). La température peut poser des problèmes en tête de bassin à des espèces thermosensibles. Elle augmente aussi le risque de blooms de cyanobactéries, en lien à l'excès de nutriments (pollution ou défaut de curage régulier). La température est aussi liée à l'évaporation, mais le bilan d'évaporation n'a pas été fait dans ces travaux. 

Chimie de l'eau : des effets plutôt épurateurs
Les techniciens ayant fait des mesures chimiques ont confirmé ce que l'on savait déjà : les plans d'eau contribuent à épurer la rivière des nitrates et phosphates. Un travail mené dans une région minière a montré que les plans d'eau stockent aussi des produits dérivés de l'exploitation (arsenic, cadmium), ce qui pose problème pour le devenir de leurs sédiments (épandage interdit) et pour leurs choix de gestion (la suppression ou la destruction accidentelle de plans d'eau aboutirait à polluer le milieu de manière plus diffuse).

Biologie de l'eau : carences et biais d'analyse
Sans grande surprise, la présence de retenues d'eau va modifier les peuplements de la rivière en comparaison d'une autre qui en serait dénuée. Les indicateurs de la DCE ne sont pas les plus utiles si l'on veut une analyse fine de ce facteur biologique, car ils ont été conçus pour un score moyenné et à but réglementaire. Mais les intervenants n'ont pas été clairs sur les indicateurs alternatifs : chacun proposait les siens, sans rationnel convaincant sur ce qu'ils représentaient par rapport à la réalité biologique globale du système rivière-retenue. Au-delà, ce point de la biologie est l'un des plus insatisfaisants de notre point de vue. Toutes les présentations ont été faites selon le même angle : la biologie d'une rivière anthropisée s'apprécie par écart avec une rivière naturelle, l’objet rivière doit être le référentiel permettant de juger tout  le reste. Ce n'est pas notre analyse : une rivière anthropisée est à accepter comme telle, c'est la réalité dont on part et dont on parle, le processus d’anthropisation dure depuis des millénaires, avec des accélérations par époque. Par ailleurs, aucun syndicat n'a envisagé la retenue comme milieu à part entière et donc comme objet d'étude biologique, aucun n'a analysé la biodiversité de la retenue vue comme biotope et non vue comme impact. Or la retenue est aussi un "milieu aquatique" et l’OFB parlait bien d’un "effet sur les milieux aquatiques" comme objectif de l’étude. Ce dédain est en net décalage avec la recherche scientifique européenne de plus en plus fournie sur les écosystèmes d'origine artificielle de type mares, étangs, plans d’eau, lacs peu profonds. Et ce sera forcément un point contentieux si ce déni persiste : l'OFB doit impérativement commanditer des campagnes d'observation sur les écosystèmes anthropiques. Les retenues ont aussi des faunes et flores inféodées, il faut voir comment les plantes, les invertébrés, les poissons, les mammifères, les oiseaux, les amphibiens, les reptiles etc. y vivent, en eau ou sur berge. En particulier quand l’idéologie dominante de gestion exprimée lors du colloque semble de détruire et assécher ces retenues : cela ne doit pas être possible sans étude d’impact à échelle du site et du bassin, sans connaissance des peuplements des retenues et des effets de leurs éventuelles disparitions, sans création a minima d’une autre zone humide présentant la même superficie, etc. Besoin de connaissance mais également obligation juridique : le droit permet déjà d'engager un contentieux pour la destruction d'un milieu aquatique et humide sans étude ni compensation, cela sans faire la distinction entre milieu d'origine naturelle ou d'origine anthropique. C'est la méconnaissance du droit par les propriétaires de plans d'eau qui les mène à engager des destructions sans précaution ni compensation, ainsi que le manque de vigilance des protecteurs de l'environnement sur ces milieux-là, hélas.  

Droit des retenues : la confusion
La dimension juridique ne faisait pas partie de la recherche demandée, pourtant elle a été souvent évoquée dans les comptes-rendus. Il a existé une période un peu laxiste dans la gestion de l'eau, en gros les trente glorieuses avant la loi sur l’eau de 1992. Des travaux ont été menés sans base juridique claire. Certains affirment qu'ils sont "illégaux" mais si aucune déclaration ni autorisation n'était nécessaire à l'époque, le point est discutable (la loi n'est pas rétroactive). En revanche, la règlementation s'applique et il a été suggéré (sans quantification) que le débit réservé de certaines retenues reliées au lit mineur n'est pas respecté. C’est évidemment anormal quand c’est le cas. Nous avons besoin de transparence et de débat sur ce sujet juridique, c'est essentiel dans un état de droit. Il faut que les citoyens mais aussi le personnel public de l'eau y soient sensibilisés : on voit certes des ignorances, des négligences et des abus de propriétaires privés, mais on voit aussi des gestionnaires publics pensant que des approximations juridiques sont tolérables, ce qui ne passe pas en contentieux. (A cet égard, nous avons été quelque peu inquiet d'entendre un chargé de rivière qui se vantait de faire pression pour détruire des retenues de particulier au motif qu’elles seraient "sans usage", et cela sans tenir compte des usages familiaux...) 

Histoire, géographie, sociologie, économie et services écosystémiques de la retenue : le grand vide
Ce point nous a le plus désolé  : le cahier des charges de l'OFB n'a pas intégré la nécessité de comprendre l'histoire, les représentations et les usages des retenues. L'usage le plus cité est l'agriculture, mais en fait les discussions révèlent qu'il y a beaucoup de types de propriétaires et que beaucoup de retenues sont sans usage agricole. La notion de "sans usage" est problématique, puisque l'usage familial et affectif d'une retenue est un cas observé, de même qu'un usage collectif d'agrément dans un village, un usage d’association de pêche, etc. On a observé un angle utilitariste dans les discussions du colloque: l'usage devrait être directement économique ou d'eau potable, les usages sociaux sont négligés ou perçus comme non légitimes. Pourquoi cette indifférence aux sciences sociales et humanités de l’eau? Pourquoi ne pas chercher à mesurer les services écosystémiques, attestés par la recherche? Les acteurs présents (syndicats de rivière, fonctionnaires eau et biodiversité, techniciens fédés pêche, etc.) et prenant la parole semblent tous partager une idéologie naturaliste, un angle de vision posant une nature idéale et référentielle sans humain ou avec très peu d’humains, une analyse des écarts à cet idéal définissant autant de problèmes à résoudre. Nulle part il n'y a une vision de la rivière et du bassin versant comme co-construction de la nature et de la culture, nulle part il n'y a une sensibilité au facteur humain alors que l'humain est la force directrice à l'Anthropocène (ces centaines de milliers de retenues ont bien l'humain comme origine). Nous pensons d'une part que cette posture "hémiplégique" est intenable, elle ne correspond pas à la réalité ; d'autre part que la tentative d'intervention réglementaire et gestionnaire sur des bases aussi fragiles ne ferait que multiplier les contentieux juridiques et conflits sociaux qui accompagnent déjà aujourd'hui les "renaturations". Il est important que le personnel en charge de l'écologie pense à l'économie et à la société, tout comme le personnel en charge de l'économie et de la société doit de son côté penser à l'écologie. L'eau, ce n'est pas juste une question naturelle et il faut assez urgemment faire évoluer cette vision chez le gestionnaire en assurant des formations plus diversifiées. 

Conclusion : ne répétons pas les mêmes erreurs que la continuité écologique
Au final, cette démarche ICRA et le colloque de restitution nous ont laissé un sentiment mitigé. D'un côté, un gros travail a été mené, la compréhension de la réalité des retenues a progressé, le sujet est reconnu comme d'importance. Il est clair que les pressions sur la ressource en eau et les risques accrus apportés par le changement climatique doivent mener à une gestion attentive et raisonnable, ce qui ne fut pas toujours le cas au 20e siècle et ne l’est toujours pas sur nombre de bassins. Il existe aussi un enjeu de bonne gestion écologique de la retenue (au lieu de n'envisager que sa disparition), car les traits fonctionnels des ouvrages comptent pour les rendre plus ou moins accueillants à la biodiversité, plus ou moins impactants sur la thermie, etc. D'un autre côté, les résultats ne sont pas assez fouillés et complets pour être opérationnels, les observables recherchés ont des biais manifestes, le mépris de principe pour un plan d'eau artificiel est intenable pour les futurs rapports sociaux au bord de l'eau (et pour la biodiversité elle-même, répétons-le). Les acteurs qui procèdent à ce travail montrent une vision trop homogène et une idéologie trop décalée de celles présentes dans la société. Nous risquons de reproduire les mêmes erreurs que sur la continuité écologique : une sous-estimation de l'ampleur des modifications humaines du bassin versant et de leur caractère souvent non réversible, une indifférence aux habitats semi-naturels d'origine anthropique, une ignorance voire une hostilité aux usages que les gens ont des retenues ou aux agréments qu'ils en tirent, une précipitation à vouloir faire des règles alors qu'on comprend mal la réalité concernée par ces règles. 

Il est vraiment nécessaire que l'eau soit gérée de manière plus ouverte et plus inclusive au niveau de sa réflexion publique, avec bien sûr la présence forte d'enjeux hydrologiques et écologiques, mais en évitant la cécité aux enjeux sociaux et économiques, à la diversité des rapports entre les humains et les non-humains autour de l'eau. En évitant aussi l'illusion que l'on pourrait restaurer partout une nature sauvage ou une nature antérieure à l'Anthropocène. Les humains seront toujours sur les bassins versants en 2050 et en 2100, il est même probable que l'obligation de relocaliser des activités productives et récréatives va renforcer cette présence. Aucune gestion apaisée et efficace de l'eau n'est possible sans intégrer cela, y compris dans les métriques et les indicateurs que la société (pas seulement ses experts) se donne.

17/10/2022

Les ministères de l'écologie et de l'énergie sont-ils toujours prisonniers des lobbies qui bloquent la transition bas-carbone?

Agnès Pannier-Runacher (ministre de la transition énergétique) a donné un mauvais signal lors d'un échange à l'Assemblée nationale sur la petite hydro-électricité. La ministre semble ignorer que la loi a déjà demandé au gouvernement de mobiliser cette énergie face à l'urgence climatique en 2019, que la loi a aussi déjà demandé au gouvernement de cesser toute destruction de l'usage d'un ouvrage en 2021, que son administration est déjà en carence fautive pour ne pas exécuter ces lois votées par les représentants élus des citoyens. Cela fait beaucoup d'oublis. Si Mme Pannier-Runacher et M. Béchu devaient continuer à donner la prime aux lobbies sur les lois, nous serions contraints d'assigner leur gouvernement en justice. La France souffre de pénurie d'eau et d'énergie, elle est engagée dans une crise dont on comprend chaque jour davantage l'ampleur: les destructions d'ouvrages de retenue et les entraves à la production d'hydro-életricité n'ont plus aucune place dans les politiques publiques du pays.


Dans un échange à l'Assemblée nationale, la députée Florence Lasserre a lancé un appel à développer la petite hydro-électricité dans le cadre de la politique nationale de réponse à la pénurie énergétique et au réchauffement climatique.

La ministre Agnès Pannier-Runacher a fait une réponse dilatoire, affirmant que l'hydro-életricité présentait des "confits des usages" et que la ressource en eau pouvait manquer, renvoyant à son collègue Christophe Béchu qui n'est pourtant pas en charge de l'énergie.

Madame la ministre semble ignorer que l'hydro-életricité a l'image la plus favorable de toutes les énergies, avec 90% d'avis positifs (sondage SER 2021). Si "conflit" il y a, ils sont menés par une ultra-minorité militante bien connue (essentiellement une fraction des pêcheurs de loisir) qui ne représente pas la société française et qui n'a pas vocation à dicter la politique énergétique du pays. Cela fait 100 ans que quelques micro-secteurs de l'opinion s'opposent à l'énergie hydraulique, on ne va pas revenir sans cesse là-dessus ni accorder un poids démesuré à ces récriminations marginales alors qu'il faut désormais décarboner la France dans moins de 30 ans. 

Madame la ministre semble aussi ignorer que la programmation énergétique pluri-annuelle comme la stratégie nationale bas-carbone prévoyant le renforcement de la production hydraulique en 2050, cela suppose de faire croître l'appareil de production, en particulier si le changement climatique provoque des aléas hydriques et des années moins productives. Et qu'en tout état de cause, le gouvernement ne peut pas dire aux citoyens "chaque kWh compte" tout en continuant à entraver par les procédures disproportionnées de son administration les gens qui veulent produire ces kWh. 

Madame la ministre semble enfin ignorer que la loi d'accélération de l'énergie renouvelable discutée à la fin de ce mois a pour but d'en finir avec les blocages de la transition énergétique, donc qu'il faut précisément réduire (et non encourager) les entraves ultra-minoritaires sur l'énergie hydraulique. La loi de 2019 a déjà exigé que le gouvernement mobilise la petite hydro-électricité face à l'urgence écologique et climatique. La loi de 2021 a déjà interdit de détruire l'usage actuel et potentiel des ouvrages hydrauliques. Il faut appliquer les lois: est-ce si compliqué ? Un ministre doit diriger son administration, pas se faire dicter par elle ses politiques. 

Nous appelons par ailleurs Mme Pannier-Runacher et M. Béchu à engager la demande qui leur a été faite en septembre dernier d'un cadrage urgent des services administratifs en vue d'appliquer les dispositions nouvelles du code de l'environnement et les décisions récentes de la jurisprudence. Dans l'hypothèse où les ministres se murent dans le silence, laissent l'administration dériver dans l'arbitraire, donnent la prime aux lobbies contre les lois, nous devrions engager contentieux contre le gouvernement. 

A nos lecteurs : si ce n'est fait, téléchargez et envoyez à vos parlementaires les trois documents suivants, ou allez en discuter à leur permanence parlementaire. Les ouvrages hydrauliques permettent la régulation de l'eau, la production d'énergie, l'adaptation climatique. Ils sont liés aux politiques publiques essentielles de notre pays et il est peu supportable de voir le gouvernement procrastiner sur ce sujet. C'est le rôle des députés et des sénateurs de le rappeler. Déjà sous Nicolas Hulot, sous François de Rugy, sous Barbara Pompili, les parlementaires ont dû imposer leurs vues à des ministres de l'écologie prisonniers de clientèles dont les objectifs sont contraires à l'intérêt général.