23/08/2017

Dogmes de la continuité écologique: la biodiversité de l’Ource à nouveau sacrifiée à Thoires

Truites, chabots, lamproies, épinoches et divers mollusques morts en nombre, c'est le bilan macabre de la mise en oeuvre absurde du débit minimum biologique sur l'Ource. Une forte mortalité y a déjà été observée en 2015, pour les mêmes raisons. Les administrations et gestionnaires de l'eau posent comme dogme que les biefs sont forcément des milieux dégradés et inhospitaliers au vivant, que la rivière doit donc toujours avoir priorité en débit réservé estival. Mais c'est faux, de nombreuses espèces trouvent refuge dans les eaux profondes des biefs en été. Couper l'alimentation d'un canal d'amenée et de restitution conduit inexorablement à le vider, en raison des pertes et fuites inévitables dans ce type d'annexe hydraulique. Un riverain de l'Ource à Thoires a fait un reportage que nous publions ci-dessous, et il souhaite que cessent ces pratiques. Les associations Hydrauxois et Arpohc se joignent à lui et diffuseront son message au préfet comme aux élus. 

[Ajout 05/09/2017 : précision du syndicat SMS, le technicien n'a pas manoeuvré les vannes de Thoires, il travaillait sur Belan à ce moment là. Le problème est celui du maître d'ouvrage en lien aux impératifs de manoeuvre exigés par l'AFB et la préfecture]

Vendredi 19 aout 2017, l'ex SICEC (Syndicat mixte Sequana), sous réserve d’une forte amende, a enjoint J.L. Troisgros, propriétaire du moulin du bas à Thoires, d’ouvrir les vannes de son bief afin de faire bénéficier le cours principal de l’Ource du «débit minimum réservé» [NDLR : débit minimum biologique désormais]. Cette notion de «débit minimum réservé» s’applique en période de sécheresse quand le débit des rivières atteint une valeur plancher déterminée par un «savant calcul» en un point donné du cours d’eau, (en l’occurrence, pour l’Ource, cette valeur plancher est obtenue du côté de Voulaines les Templiers). Les agences de l’eau recommandent, en cas de besoin, de faire bénéficier les cours d’eau principaux de la totalité du débit disponible afin d’y maintenir en vie la faune et la flore aquatiques.

La motivation de cette mesure n’est pas mauvaise en elle-même puisqu’elle permet d’assurer une meilleure qualité de vie aux poissons et autres organismes situés dans la portion de cours d’eau concernée, mais sa mise en pratique est extrêmement critiquable car elle conduit à la mort certaine tous les organismes vivant aussi bien dans le bief que dans son chenal d’évacuation.

Il faut bien prendre conscience que la vidange du bief et de la retenue d’eau située à l’amont d’un vannage ne procure une augmentation du débit de la rivière principale que le temps nécessaire à cette vidange, soit environ 24 h pour le plan d’eau et 24 h supplémentaires pour abaisser la nappe alluviale de 50 à 60 cm.

Si l’on se contentait de fermer la vanne du moulin, on obtiendrait le même résultat, au débit de fuite de la vanne près, soit au moins 95% du débit souhaité, et on éviterait une catastrophe écologique certaine en gardant un niveau d’eau appréciable dans le bief et dans le plan d’eau situé en amont du vannage. Cette disposition aurait l’avantage, en cas de trop forte montée de la température dans le bief, de permettre aux poissons de rejoindre la rivière principale.

Pour information la température relevée le 5 août au niveau du vannage principal, coté amont, était de 13,9 °C, en raison de venues d’eau fraîche (12,1 °C) de la source de Thoires dont le confluent est situé à 100m en amont du vannage.

Cette opération s’était déjà produite fin aout 2015 et avait conduit à la mort de dizaines, voire de centaines de poissons, aussi bien dans le bief principal que dans le bas bief.
Cette année, quelques pécheurs de la commune de Thoires prévenus le jour de la vidange, ont exercé une vigilance dès le lendemain matin mais c’était déjà trop tard : une bonne dizaine de truites avaient péri dans des flaques d’eau dont quelques belles truites indigènes (photos 1 et 2).


Photo 1.Truites fario de 700 à 800 grammes Photo 2.Truite fario de 55cm

A notre grande surprise, de nombreux chabots étaient, soit déjà morts, soit en voie d’asphyxie. Nous avons pu en sauver une bonne centaine, mais on peut considérer que sur tout le linéaire concerné plus d’un millier ont péri. (photos 3 à 6).

Pour mémoire, les chabots qui vivent dans les eaux vives et fraîches sont des indicateurs d’un milieu aquatique de bonne qualité (eau et faune) et sont une espèce classée parmi les poissons vulnérables au niveau européen. La Directive européenne (Directive Faune-Flore- Habitat n° CE/92/43, Annexe 2) impose par ailleurs la protection de son habitat.


Photo 3. Chabots morts Photo 4. Chabots morts dans flaque d’eau Photo 5. Chabots relâchés en eau vive Photo 6. Chabots et lamproie morts sur graviers
     
Des dizaines de lamproies ont pu également être remises à l’eau (photos 7et 8) mais un nombre au moins équivalent n’a pas survécu.

Parmi les autres organismes morts, citons quelques épinoches ainsi que des mollusques d’eau douce.
Quelques brochets ont été vus dans les poches d’eau les plus profondes ainsi que des myriades d’alevins qui, si l’eau vient encore à baisser, ne survivront pas longtemps.

Bilan de l’opération :

  • une dizaine de truites mortes et probablement plus d’un millier de chabots ;
  • des dizaines de lamproies, des épinoches ainsi que de très nombreux mollusques d’eau douce ont également péri ;
  • une dizaine de brochets et des milliers d’alevins, piégés dans des petits trous d’eau, sont gravement menacés ;
  • cet inventaire, opéré en trois heures sur le site n’est pas exhaustif au regard de la faune aquatique et ne tient pas compte de la flore.

Notons que le bief du lavoir de Vanvey, site touristique emblématique du parc des forêts de feuillus, qui avait été asséché en 2015, ce qui avait suscité un émoi considérable parmi la population locale, ne l’a pas été cette année et nous devons nous en réjouir.

Il faut également ajouter que la retenue d’eau de Thoires est un site très prisé par les familles qui viennent s’y baigner en période de canicule, en particulier celles de Belan sur Ource, commune dont les ouvrages hydrauliques ont été détruits ces dernières années.


Photo 7. Mollusques d’eau douce (limnées). Photo 8. Lamproies mortes
     
En conclusion il apparait que le bief de Thoires n’est pas qu’un simple chenal d’amenée d’eau au moulin comme en témoigne la diversité de vie aquatique qui s’y est réinstallée en seulement deux ans. Afin que cette situation ne se reproduise pas à l’avenir, nous souhaitons qu’une réflexion soit engagée sur ce sujet par les pouvoirs publics et qu’une autre manière d’opérer soit mise en pratique à l’avenir.
Thoires, le 21 août 2017, Pierre Potherat, ICTPE retraité

A lire :

10 commentaires:

  1. Dogmes de la continuité: quel rapport entre le respect des dmb et la continuité?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La continuité ne se limite pas à la franchissabilité vers l'amont.

      Supprimer
  2. Les moulins producteurs, exemptés de la continuité, pourraient abonder un fond via votre association par exemple, et payer les sauvetages de poissons. Parce que s'il n'y avait pas de moulins, ces situations n'existeraient pas. L'origine de ces problème n'est pas le dogme ou le technocrate. Les propriétaires ont des droits, certains font des profits grâce à la rivière et il va falloir s'excuser de leur demander de maintenir un débit qui correspond souvent au débit le plus faible enregistre sur une période de 5 ans. Quelle solutions miracles proposez vous, de maintenir des débits faméliques dans les cours d'eau surtout là où cela ne se voit pas. Tellement plus facile et courageux.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La fédération de pêche a un agrément public et des fonds publics, ainsi qu'un bénéfice national de monopole sur une activité (vente de carte de pêche). En échange de cela, elle a une obligation de surveillance et protection des milieux aquatiques. Au lieu de dépenser cet argent déjà versé par les citoyens à utiliser des biotypologies désuètes qui ne font avancer ni la science ni la gestion, ou à militer contre d'autres usages de la rivière plutôt qu'améliorer déjà le sien, la pêche ne pourrait-elle pas s'en charger, comme elle le fait déjà au demeurant quand un moulin avertit l'administration pour un curage ou autres activités vidant une zone importante (pêches de sauvegarde)? Pourquoi la DDT et l'AFB ne procèdent pas ainsi, ainsi que ces services savent très bien le résultat, déjà observé en 2015?

      Vous proposez une taxe moulin. Pourquoi pas, tout se discute. La condition en serait l'abandon immédiat par l'Etat de ses pratiques insupportables (campagne de casse des droits d'eau, imposition de mesure ruineuses, dénonciation systématique des ouvrages) et la simplification des réglementations tentaculaires prises depuis 10 ans. Et en échange de cette taxe, un engagement des établissements à compétence GEMAPI sur un certain nombre de mesures d'entretien des ouvrages et abords, qui faisaient au demeurant partie des compétences normales des agences et syndicats jusqu'à la mode récente de la continuité. Cela dit, comme en France les taxes sur des niches coûtent parfois plus cher à lever qu'elles ne font rentrer d'argent dans les caisses étant donné le coût trop élevé de la gestion publique, c'est à évaluer. La taxe de 1921 avait déjà été abandonnée pour cette raison, elle mobilisait trop de personnels pour trop peu de revenus sur les petits producteurs (pourtant à l'époque plus nombreux et ayant des activités commerciales ou industrielles avec leurs moulins).

      Enfin vous continuez à prétendre que "ces situations n'existeraient pas" sans moulin... mais quelles "situations"? On vous démontre par A+B et de triste manière, à deux reprises, que "ces situations" ne sont pas ici un problème puisque les espèces d'intérêt se plaisent aussi bien dans le bief, mais cela ne percute pas vos neurones? Vous continuez à vous représenter le réel avec "pas de moulin" comme situation normale alors qu'ils sont là depuis des siècles? Mieux vaut changer de discours et de mentalité, ce n'est pas répétant des slogans et des idées fixes que les choses avanceront. De toute évidence, il vaut mieux laisser un peu d'eau à la rivière et un peu au bief, même s'il n'y a plus que quelques dizaines ou centaines de l/s à partager. Voire considérer dans certains cas le bief comme la zone de vie principale en étiage sévère, et adapter le DMB à ces situations. Mais comme nous sommes en France, il faut d'abord un coup de tampon des hauts fonctionnaires des administrations centrales pour avoir le droit de bouger le petit doigt, donc on laisse crever les poissons par servitude aux réglementations bureaucratiques plutôt qu'écoute du bon sens.

      PS : Notre association n'a que des bénévoles et pas les moyens d'organiser des levées de fonds, gestion de pêche de sauvegarde, etc. Elle n'a pas tous les moulins comme adhérents par ailleurs; ni ne se limite à la question des moulins.

      Supprimer
  3. Impayables nos anonymes. Ils défendent des mesures idiotes, ils refusent de reconnaître les espèces vivant dans nos canaux, ils ont de tas de structures déjà financées sur nos impôts pour la gestion et la protection des rivières (sans doute qu'ils y travaillent à nos frais)... mais non, c'est encore la faute aux moulins, c'est encore aux moulins de payer les pots cassés. Une rivière sans Onema ni syndicat serait sans doute aussi agréable, voire plus car on pourrait demander aux maires de prendre des mesures qui intéressent réellement les riverains, pas des trucs pontifiants sortis du cerveau génial des gratte-papier.

    RépondreSupprimer
  4. Si l'administration persistait à classer par défaut les biefs comme cours d'eau, ce que nous ne souhaitons pas...Hydrauxois 2016. Il semble que vos avis changent au gré de vos intérêts. Les biefs ne seront pas classés en cours d'eau, c'est ce que vous vouliez. Parfait.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Les biefs ne sont pas des cours d'eau au sens de la jurisprudence posée par le Conseil d'Etat, reprise dans la loi récemment, puisqu'ils ont une origine artificielle et non naturelle. Le juridique a sa cohérence interne, qui n'est pas celle du biologique (et ceux qui veulent tout "juridiciser" doivent respecter ensuite les conséquences de leurs propres penchants). Pour autant, les biefs abritent du vivant et on ne peut pas faire n'importe quoi avec eux (essayez de vidanger complètement un bief sans signalement à la police de l'eau et avec des centaines de poissons crevés ventre à l'air à l'arrivée, vous verrez ce que l'on vous dit). De toute façon, la cartographie des cours d'eau n'est ni une démarche légale ni une démarche réglementaire opposable comme telle. La loi pertinente en l'espèce (article L 214-18 CE) prévoit déjà de moduler le débit minimum biologique dans les cas particuliers. Si un fonctionnaire AFB ou DDT ou SMS prend une mesure DMB dont il sait en connaissance de cause qu'elle provoquera la mort d'individus appartenant à des espèces protégées, il recevra une plainte puisqu'il s'agira d'une atteinte préméditée aux milieux. C'est logique, même si les avis de ce fonctionnaire changent au gré de ses dogmes, et que sa détestation des moulins est bien plus forte que son amour des truites ou des chabots.

      Supprimer
  5. Rappel de l'article L 110-1 CE :

    "On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants.

    II. - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :

    1° Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ;

    2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ;

    Ce principe doit viser un objectif d'absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité"

    Une action de nature à provoquer sciemment la mortalité d'espèces protégées ne respecte ni le principe de précaution ni le principe d'action préventive.

    Rappel de l'article L 214-18 CE :

    "Toutefois, pour les cours d'eau ou sections de cours d'eau présentant un fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d'un débit minimal dans les conditions prévues ci-dessus, le débit minimal peut être fixé à une valeur inférieure."

    Un fonctionnaire en charge d'une mesure de police ne peut donc se prévaloir du débit minimum biologique sans prendre en compte la possibilité de situations atypiques où l'action requise n'implique pas forcément le strict respect de la règle plancher des 10%.

    Il est donc possible de respecter la règle spéciale du DMB (L218-1 CE) tout en respectant la règle générale de prévention des actions nuisibles à la biodiversité (L110-1 CE), la première ne pouvant être opposée comme exception à la seconde.

    RépondreSupprimer
  6. Vouloir déroger à la règle est à la charge du demandeur. Prouvez avec des éléments scientifiques fiables que le tronçon de l'Ource a un fonctionnement atypique et le préfet se donnera le droit de déroger. A ce jour ...rien.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. On peut voir les choses différemment. Il existe un service public de l'eau et de la biodiversité (DDT, DREAL, AFB), payé par les citoyens pour gérer ces questions, employant des techniciens et ingénieurs à cette fin. Quand des riverains signalent aux services régaliens de police un problème (mortalité), ces services l'analysent et produisent un rapport circonstancié. Il ne s'agit pas ici d'un particulier qui veut déroger à une règle générale pour telle ou telle activité sur sa propriété, mais de mortalités à répétition d'espèces aquatiques.

      Supprimer