07/05/2019

Ruine supposée d'ouvrage et droit d'eau: le conseil d'Etat condamne à nouveau les interprétations abusives du ministère de l'écologie

Pendant 4 ans, par appel puis cassation de décisions qui l'avaient débouté, le ministère de l'écologie s'était acharné à nier le droit d'eau de la commune de Berdoues sur un ouvrage hydraulique, au motif que le seuil du moulin présentait une brèche. Le conseil d'Etat vient de condamner ce qui n'était qu'une lecture infondée et abusive du droit par les fonctionnaires de l'eau et de la biodiversité. Après la victoire du moulin du Boeuf, ce nouvel arrêt de la plus haute juridiction de droit public vient en peu de temps sanctionner les dérapages de l'administration. Nous appelons plus que jamais tous les propriétaires et riverains à ne pas se laisser intimider par les interprétations souvent abusives des fonctionnaires de l'écologie, et à se battre en justice contre tous les excès de pouvoir. Pour les associations, n'hésitez pas à mentionner à vos parlementaires ces deux arrêts rapprochés du conseil d'Etat de 2019, qui démontrent le problème manifeste de l'acharnement infondé de l'Etat contre les moulins et autres ouvrages anciens. La croisade insensée d'une administration à la dérive pour détruire les seuils et barrages en rivière comme pour empêcher leur équipement hydro-électrique doit cesser.  



La commune de Berdoues (Gers) a demandé au tribunal administratif de Pau d’annuler l’arrêté du 17 avril 2015 par lequel le préfet du Gers avait constaté la perte du droit d’eau fondé en titre du moulin de Berdoues, appartenant à la commune, et installé sur la rivière Baïse.

Par un jugement du 20 juin 2017, le tribunal administratif de Pau avait annulé l’arrêté du 17 avril 2015. Par un arrêt du 20 mars 2018, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté le recours formé par le ministre de la transition écologique et solidaire contre ce jugement.

Le ministère de l'écologie s'est acharné et s'est pourvu en cassation : il vient de perdre au conseil d'Etat.

Les conseillers rappellent les conditions d'existence du droit deau, notamment la caractérisation exacte de l'état de ruine :
"La force motrice produite par l’écoulement d’eaux courantes ne peut faire l’objet que d’un droit d’usage et en aucun cas d’un droit de propriété. Il en résulte qu’un droit fondé en titre se perd lorsque la force motrice du cours d’eau n’est plus susceptible d’être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d’affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau. Ni la circonstance que ces ouvrages n’aient pas été utilisés en tant que tels au cours d’une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d’eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit. L’état de ruine, qui conduit en revanche à la perte du droit, est établi lorsque les éléments essentiels de l’ouvrage permettant l’utilisation de la force motrice du cours d’eau ont disparu ou qu’il n’en reste que de simples vestiges, de sorte qu’elle ne peut plus être utilisée sans leur reconstruction complète."
Qu'en est-il de la qualification des faits jugés ici ?
"Par une appréciation souveraine des faits non entachée de dénaturation, la cour a tout d’abord relevé, que le barrage du moulin de Berdoues, qui s’étend sur une longueur de 25 mètres en travers du cours d’eau, comporte en son centre une brèche de 8 mètres de longueur pour une surface de près de 30 mètres carrés, puis relevé que si les travaux requis par l’état du barrage ne constitueraient pas une simple réparation, leur ampleur n’était pas telle “ qu’ils devraient faire considérer l’ouvrage comme se trouvant en état de ruine “. Ayant ainsi nécessairement estimé que l’ouvrage ne nécessitait pas, pour permettre l’utilisation de la force motrice, une reconstruction complète, elle n’a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que le droit fondé en titre attaché au moulin n’était pas perdu dès lors que l’ouvrage ne se trouvait pas en l’état de ruine."
Le ministère de l'écologie est donc débouté de sa demande et le droit d'eau est reconnu.

A retenir pour tous les propriétaires :
  • un ouvrage hydraulique de répartition (seuil, barrage) présentant une brèche même large n'est pas en ruine au sens du droit;
  • lorsque les travaux relèvent d'une réparation d'un élément du système hydraulique, il n'y a ni ruine ni perte du droit d'eau.

Référence : Conseil d'Etat 2019, arrêt n°420764, commune de Berdoues contre ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

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9 commentaires:

  1. Une jurisprudence de plus parmi des centaines d'autres .... pas de quoi en faire un fromage dans un sens comme dans un autre. Vous essayez de faire croire à un changement de doctrine là ou il n'y a rien d'autre que le pouvoir d'appréciation de chaque tribunal

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    1. Le conseil d'Etat précise la jurisprudence qui tend à s'imposer aux TA et aux CAA (si le juge supérieur de cassation a précisé ce qu'il cassait et pourquoi il le cassait, pas trop la peine pour des juges de niveau inférieur de persister dans cette voie).

      Nombre de fonctionnaires ont tenté de casser des droits d'eau pour ruine partielle, un contentieux est en cours chez nous sur un cas similaire. Les propriétaires et riverains savent que ces fonctionnaires étaient dans l'abus de pouvoir dans ces cas d'espèce : cela rappelle opportunément que la préfecture n'est pas parole d'évangile (une croyance encore répandue hélas dans les générations anciennes), juste la parole d'un exécutif jacobin, technocratique et arrogant qui a du mal à respecter les principes d'une démocratie moderne. Mais cela progresse, cela progresse.

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    2. Et si la brèche avait été de 9 mètres ou de 20 mètres ... quelle aurait été la réponse du Conseil d'Etat ?
      Bien malin qui pourra prévoir la réponse d'une autre Chambre du Conseil d'Etat ou d'autres Juges

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    3. La jurisprudence dessine quand même une doctrine assez convergente : soit le barrage a été emporté par un événement non récent, ne fait plus du tout office de dérivation de l'eau et doit être entièrement reconstruit (en ce cas plus de droit d'eau, nouvelle autorisation) ; soit l'ouvrage n'est que partiellement altéré, permet encore la dérivation même partielle de l'eau et peut faire l'objet de réparation sur les zones abîmées (en ce cas droit d'eau préservé, simple autorisation ou déclaration de travaux selon les cas).

      (Mais en France, le haut fonctionnaire jacobin supporte mal les contre-pouvoirs du juge et du parlement, donc il essaiera probablement d'insister encore et encore pour que sa doctrine s'impose. On sait ce que veut et ce que fait la DEB, n'est-ce pas?)

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  2. La DEB a pourtant essayé de modifier l'art. R214-109 en y ajoutant :
    " II. Constitue une construction au sens du 1° du I de l’article L. 214-17 toute construction d’un nouvel ouvrage entrant dans l’un des cas visés au I, ou toute reconstruction d’un tel ouvrage dès lors que, du fait de son état physique, la continuité écologique est restaurée naturellement en quasi-totalité, à l’exception d’une reconstruction dont les démarches administratives et techniques sont entreprises dans un délai raisonnable à la suite d’une destruction liée à des circonstances de force majeure ou de catastrophe naturelle."
    La consultation en plein mois d'août a heureusement été repérée http://www.hydrauxois.org/2017/08/simplification-des-normes-pas-pour-la.html !

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    1. Il s'agissait d'un texte débattu devant le CNE durant plusieurs séances. On ne comprend d'ailleurs pas pourquoi il n'est pas encore sorti... surtout avec les orientations nouvelles exprimées par le Ministre devant l'assemblée. Par ailleurs cette formulation ne touche pas que les droits fondés en titre ...

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    2. Grâce aux échos des fédérations, on sait désormais comment fonctionne le CNE. Pour les acteurs sociaux (les moulins et riverains ici), il ne faut pas perdre trop de temps à essayer de réformer les méthodes du pouvoir administratif en France : quand il y a un problème, saisir le juge pour vérifier quelle est la bonne interprétation de la loi, saisir le parlementaire pour demander de modifier les éléments de la loi qui créent le problème, saisir les médias pour exposer à l'opinion la réalité du problème. Pour cela, il faut évidemment que le monde des moulins et riverains ne laisse plus à d'autres acteurs de la rivière le monopole de l'engagement et de la désignation des problèmes.

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  3. impensable qu un ministere se permette la saisine du conseil d etat Le chef de l executif ne devrait pas permettre une telle fantaisie

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    1. Pour une fois que le ministre de l'environnement agit à visage découvert, et non via France Nature Environnement, vous n'allez pas vous plaindre ! (Le financement de FNE dépend pour plus de moitié du ministère, les cotisations des adhérents, directes ou indirectes, sont négligeables)

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