27/12/2020

La France reste dépendante à 70% de l'énergie fossile, mais elle détruit ses barrages hydro-électriques

L'Union européenne vient de décider de baisser d'ici 2030 de 55% les émissions carbone par rapport à 1990. Dix ans pour une inflexion majeure... mais en 20 ans, la France a baissé de 20% seulement ces émissions, sans compter le carbone importé qui a augmenté dans l'intervalle. Aujourd'hui, 70% de la consommation énergétique finale en France provient encore du pétrole, du gaz ou du charbon, trois sources fossiles de gaz à effet de serre. Pour tenir les objectifs climat, il faut donc changer de braquet, cesser de croire que nous avons le temps ou le choix, arrêter de se payer de mots et de faire des discours non suivis d'effets. En particulier, il est urgent de retirer le dossier de l'hydro-électricité à la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie, car cette administration détruit depuis 10 ans le potentiel de production des seuils et barrages en rivière tout en faisant tout pour décourager la relance des petits sites. Une attitude qui peut conduire à la condamnation de l'Etat français, au vu des contentieux en justice climatique qui fleurissent depuis 5 ans. 

Le 18 décembre 2020, l'Union européenne et les 27 États-membres ont soumis à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Ccnucc) leurs nouveaux plans d'action climatique, appelés "contributions nationales déterminées" au titre de l'Accord de Paris. Le Conseil européen a adopté un nouvel objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'UE d'au moins 55 % d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990 (contre -40 % précédemment), afin d'atteindre en 2050 la neutralité carbone. Cette décision doit être inscrite dans la législation européenne.

Mais la France est-elle en situation de tenir de tels engagements? 

Dans son rapport annuel 2020, le Haut conseil pour le climat (HCC) rappelle que "les quatre principaux secteurs émetteurs [de carbone] demeurent le transport (30 %) puis l’agriculture, le bâtiment et l’industrie (entre 18 et 20 % chacun). Les retards accumulés du transport et du bâtiment sont ceux qui pèsent le plus dans les déficits carbone des années passées."

L’empreinte carbone de la France s’élève selon le HCC à 749 Mt éqCO2, soit 11,5 t éqCO2 par habitant. Avec des émissions territoriales s’élevant à 445 Mt éqCO2, soit 6,7 t éqCO2 par habitant, l’empreinte carbone de la France est donc environ 70 % plus élevée que ses seules émissions sur le sol: s'y ajoutent les émissions importées (304 Mt éqCO2), qui ont fortement augmenté depuis 30 ans. 

La réalité : 70% de l'énergie qui fait tourner le pays est toujours fossile
Si l'on regarde la consommation territoriale d'énergie en France, hors importation donc, on s'aperçoit que le mix énergétique reste carboné à 70 % :



Part des sources d'énergie dans la consommation finale en France.
Source des données : services statistiques du gouvernement, 2020.

Nous sommes donc très loin de la neutralité carbone, très loin également de 55% de baisse des émissions par rapport à 1990. Pour y parvenir, il faut avancer sur les postes de transport, chauffage, industrie et agriculture. Cela passe nécessairement par une forte hausse de la production électrique, soit pour produire de l'électricité, soit pour produire des dérivés secondaires comme l'hydrogène (par électrolyseur).

Comme le montre le graphique ci-dessus, la totalité du parc installé nucléaire, hydraulique solaire, éolien ne produit en fait que 20% de l'énergie finale consommée, alors même qu'il faut encore en changer 70%. Ni le soleil, ni le vent, ni la biomasse, ni l'eau, ni l'atome ne peuvent à eux seuls, chacun pris isolément, produire cette quantité. Et le modèle de la grande centrale du 20e siècle ne suffit pas davantage à tenir les objectifs, ce sont des dizaines de milliers de sites modestes et décentralisés de production qui doivent émerger au cours des trois prochaines décennies.

Des contentieux climatiques qui fleurissent, car les citoyens exigent des actes
Les objectifs climatiques ne sont pas seulement une question politique, mais aussi une question juridique puisque les traités internationaux et les directives européennes obligent l'Etat français.

En conséquence de l'accord de Paris, les contentieux climatiques contre les Etats (parfois contre des entreprises) se multiplient. La judiciarisation des actions relatives au changement climatique est un phénomène mondial, comme l'a souligné le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), dans son rapport The Status of Climate change litigation : a global review (mai 2017). En 2018, plus de 1.000 contentieux en matière climatique étaient ainsi recensés dans le monde, répartis sur 25 pays. 

En Europe, la Cour de justice de l'Union Européenne (arrêt du 13 août 2018) a jugé recevable la plainte des familles contre le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne, plainte soutenant que l'objectif climatique 2030 est inadéquat et invoquant une violation des droits. Au Pays-Bas, 886 citoyens néerlandais ont intenté une action contre leur pays. La Cour suprême des Pays-Bas a rejeté (20 décembre 2019) le pourvoi de l'État néerlandais contre la décision d'appel lui ordonnant de réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 25 % d'ici fin 2020, par rapport à 1990. 

En France, quatre associations (l'Affaire du siècle) ont lancé en 2019 une action contre l'Etat pour carence fautive dans sa politique climatique, avec le soutien en ligne de plus de deux millions de personnes. Le litige est encours d'examen par la justice.

La France a gelé l'hydro-électricité en raison de l'idéologie anti-barrage de son administration de l'eau
Dans ce contexte de retard et d'urgence à décarboner la consommation énergétique du pays restant à 70% fossile, la position défendue par les gouvernements sur l'hydro-électricité est intenable. La gestion de ce dossier a été confiée pour les petites puissances de moins de 500 kW (sans doute 50 000 sites équipables en France dont 25 000 de moulins) à la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie. Non seulement cette direction n'a pas de culture énergétique, mais son obsession est de détruire le maximum d'ouvrages permettant de produire de l'hydro-électricité et, pour ceux qui ne sont pas détruits, d'opposer des procédures et des exigences rendant impossibles les chantiers. Même dans le domaine des grands barrages, le gouvernement a décidé de détruire deux ouvrages EDF en état de fonctionnement sur la Sélune. Soit 50 millions € d'argent public à faire disparaître une source d'énergie locale bas-carbone.

Si nous étions en avance sur nos objectifs climatiques, ou si nous avions des perspectives d'une source d'énergie abondante, bon marché, à échelle pour remplacer les 70% fossile de notre consommation, une telle position pourrait au moins se justifier par une latitude pour choisir les énergies que nous voulons développer. Mais ce n'est pas le cas du tout. 

Bloquer le développement de l'hydro-électricité et pire encore détruire le potentiel hydro-électrique déjà en place pour faire plaisir au lobby de la pêche au saumon ou au lobby naturaliste désirant ré-ensauvager la France est une faute. L'administration doit incessamment changer de doctrine, d'autant que les parlementaires ont encore rappelé par la loi énergie-climat de 2019 que "pour répondre à l’urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs (..) d’encourager la production d’énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité". Les fonctionnaires eau et biodiversité doivent appliquer les lois votées par les élus des citoyens, et non tenter de les contourner pour poursuivre les objectifs internes de leur administration. Plus largement, l'Etat français doit cesse sa politique de gribouille où l'action publique poursuit des objectifs contradictoires et couvre des choix arbitraires. 

5 commentaires:

  1. Vous raisonnez comme beaucoup de personnes en France, y compris sur les bancs du Parlement et c'est d'ailleurs pour cela que la réduction de nos émissions de GES ne va pas aussi vite qu'il serait nécessaire, et qu'il serait d'ailleurs possible, de le faire. La question centrale qui n'a été jusque ici que peu abordée est celle de l'efficience : Où chaque € doit-il être investi pour qu'il réduise le plus les émissions de GES ? La solution ne consiste certainement pas à réaliser n'importe quoi (et la petite hydraulique c'est vraiment n'importe quoi) au simple motif que cela ne dégage pas de GES voire même que cela permet d'en éviter...

    Si on suivait ce raisonnement de l'efficience la petite hydraulique à 132 € le kWh (Tarif H16) on n'en parlerait même pas ... de ce fait la politique de destruction des seuils (qui malheureusement n'est pas réellement suivie) est sans doute une des meilleures politiques en la matière puisqu'elle élimine la possibilité de gaspiller de l'argent public dans les opérations sans intérêt que vous et d'autres irresponsables appellent de leurs voeux.... Je vous conseille de lire le rapport TAIX de Juillet 1952 (dans un autre contexte) et également d'écouter les séminaires de Jean Marc Jancovici : cela vous ferez comme à d'autres, y compris au gouvernement ou dans les partis politiques, le plus grand bien ...

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    1. Sachez tout d'abord que nombre d'adhérents et sympathisants de notre association produisent en autoconsommation sans coûter un centime d'argent public par le rachat du kWh produit ou par l'aide à la relance. Oui, c'est sans doute épatant pour les milieux parasites qui vivent des subventions payées par impôts, nombreux chez les destructeurs d'ouvrages hydrauliques dont vous êtes partisan, mais cela existe.

      Votre raisonnement consiste à dire qu'il faut dépenser l'argent au mieux pour ne pas émettre de CO2... et donc quand l'agence de l'eau Seine-Normandie paie 50 millions € d'argent public pour détruire 2 barrages EDF qui injectent au prix de marché (le plus bas) et depuis l'hydraulique (le meilleur bilan carbone en milieu tempéré quand le barrage est déjà construit et amorti), vous convenez sans doute que, du point de vue même de votre critère, on nage dans l'absurde.

      Vous nous conseillez d'écouter JM Jancovici, mais celui-ci affirme qu'il ne faut surtout pas développer l'éolien et le solaire, selon lui hors de prix et à mauvais bilan carbone en raison du back-up fossile nécessaire pour pallier leur intermittence. Donc pas de solaire, pas d'éolien, pas d'hydraulique... vous pensez que la France fera sa transition avec des centrales nucléaires? Ou alors que les Français vont admettre l'effondrement du PIB qui est corrélé à l'effondrement de l'énergie, plutôt que de faire une transition industrielle bas-carbone qui préserve l'énergie disponible pour le pays?

      Enfin, vous vous plaignez d'un prix d'achat à 132 euros le MWh. Curieux pour une personne qui dit connaître les travaux de JM Jancovici, puisque celui-ci souligne que le mythe de l'énergie bon marché est entièrement dépendant de l'abondance fossile et que la fête est finie (soit en raison des effets sur le climat, soit en raison du développement des émergents qui exercera une pression de plus en plus forte sur la ressource).

      Voici quelques infos sur les prix de rachat.

      Eolien en mer
      "Le parc de Dieppe-Le Tréport bénéficiera d'un tarif de 131 euros par MWh, celui de Fécamp d'un tarif de 135,2 euros, celui des Iles d'Yeu et de Noirmoutier d'un tarif de 137 euros, celui de Courseulles-sur-Mer d'un tarif de 138,7 euros, celui de Saint-Nazaire d'un tarif de 143,6 et celui de Saint-Brieuc d'un tarif de 155 euros."
      https://www.actu-environnement.com/ae/news/montant-tarif-achat-eolien-francais-33988.php4

      Solaire en petite puissance
      Intégration au bâti de 0 à 3 kWc 179,7 euros, de 3 à 9 kWc 152,7 euros
      Intégration simplifiée au bâti de 0 à 3 kWc : 179,7 euros, de 3 à 9 kWc : 152,7 euros
      https://www.les-energies-renouvelables.eu/conseils/photovoltaique/tarif-rachat-electricite-photovoltaique/

      Bref, nous sommes dans les mêmes ordres de grandeur, et de nombreux autres pays européens ont compris que le seul moyen d'accélérer la transition, c'est de donner le juste prix à dépollution du carbone, donc à l'énergie non carbonée dont l'Europe a besoin.

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    2. Vous gardez un prisme de lecture typiquement franchouillard en restant dans le domaine de la production électrique sur laquelle notre pays fait une fixette ... sans oublier toutefois de limiter vos références aux chiffres qui vous arrangent (par exemple le PV en solution industrielle c'est environ 50 €/MWH et cela, non pas en prix de revient, plus faible... mais en tarif de l'obligation d'achat ou du complément de rémunération).
      Peu importe d'ailleurs, puisque les principaux enjeux sont ailleurs : l'éventail des investissements susceptibles de réduire les émissions de GES est beaucoup, beaucoup plus large que les seuls investissements dans la production de kWh et c'est bien dans cet éventail que l'on doit sélectionner les investissements les plus efficients.... Votre réponse est la démonstration même de mon propos ...

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    3. Vous ressassez à l'envie la destruction des deux barrages de la Sélune ... sans jamais mentionner que personne ne s'est sérieusement proposé pour les exploiter connaissant les investissements à consentir pour les remettre à niveau. Le point de départ de toute cette affaire, et que vous pourriez avoir l’honnêteté de rappeler, est bien que la poursuite de l'exploitation n'intéressait pas du tout EDF qui était la mieux placée pour savoir quelle galère cela représentait...

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    4. @21:30 : la décision de détruire les barrages de la Sélune a été prise dans les cabinets ministériels de Borloo et Jouannot en 2008-2009, le choix donné à l'époque à EDF par son actionnaire ultra-majoritaire étant Poutès ou la Sélune. Sarkozy devait honorer la part du Grenelle où il avait "sécurisé" ce qu'il avait envie de sécuriser. Quant à l'idée qu'un industriel peut investir en France si l'Etat dit son opposition, vous rêvez. Vous êtes ignorant de la manière dont la bureaucratie publique agit dans ce pays, ou alors vous préférez le dissimuler. Mais la colère monte contre ces pratiques dont les réalités fuitent désormais de partout, gare à ceux qui en abusent, à l'hôtel de Roquelaure comme ailleurs.

      @21:22 : votre doigt mouillé vide de référence dit "franchouillarde" sauf que tous les analystes (GIEC, AIE) prévoient que l'électricité prendra une part plus importante à l'avenir. Ce qui n'est pas étonnant, on sait faire du chauffage, du transport et de la transformation industrielle à base d'électricité, l'hydrogène demande une phase électrique pour être obtenu et conservé. (Outre que les besoins en calcul du numérique ne sont pas baisser). Mais ce débat est déjà dépassé, en réalité. Le parlement européen a pris des décisions, le parlement français a pris des décisions, les Etats se sont engagés dans l'accord de Paris et l'Europe dans la diplomatie carbone... on n'en est plus pinailler 107 ans sur les vertus comparées des sources d'énergie. L'Etat voit monter les contentieux et sait qu'il finira par les perdre.

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