29/10/2021

La soutenabilité environnementale de l'hydro-électricité au fil de l'eau (Briones-Hidrovo et al 2021)

Comment apprécier la valeur d'une source d'énergie au regard de la soutenabilité environnementale? Cette estimation doit intégrer de nombreuses données comme le bilan carbone, l'empreinte matières premières, le retour sur investissement énergétique, les services écosystémiques associés. Trois chercheurs ont mené cette analyse sur l'hydro-électricité, concluant que des centrales hydro-électriques au fil de l'eau peuvent avoir de meilleurs bilans de soutenabilité que des grands barrages. Ces chercheurs insistent surtout sur la nécessité de prendre un panel large d'indicateurs : toutes les énergies ont des impacts sur les ressources et les milieux, la notion de soutenabilité environnementale ne se limite pas à un seul critère. Leçon à retenir en France, où la politique publique des rivières est biaisée et mal informée depuis des décennies.


Trois chercheurs ont estimé la soutenabilité environnementale de l'hydro-électricité, en observant que ce sujet, non consensuel dans la recherche scientifique, donne lieu à des assertions contradictoires. Ils ont utilisé huit indicateurs biophysiques : empreinte carbone, énergie retournée sur l'énergie investie, coût de remplacement exergétique, empreinte eau, lien eau-carbone, indice de durabilité environnementale, efficacité des services écosystémiques et impact sur la biocapacité.

Voici le résumé de leurs travaux :

"Avec d'autres sources d'énergie sans combustion et à faible émission de carbone, l'hydroélectricité est considérée comme un outil précieux pour atténuer la crise climatique et écologique actuelle, et atteindre la soutenabilité environnementale. Cependant, on ne sait toujours pas dans quelle mesure l'hydroélectricité est ou non durable sur le plan environnemental. La littérature révèle i) qu'aucune évaluation véritablement holistique n'a été réalisée et ii) qu'il existe des résultats et des conclusions contradictoires. 

La présente étude comble cette lacune en effectuant une évaluation holistique, en utilisant huit indicateurs biophysiques de différentes approches, et en prenant deux projets de centrales hydroélectriques différents comme cas d'étude. Les résultats de l'évaluation montrent que le cas d'étude de centrale hydroélectrique au fil de l'eau est de loin plus durable sur le plan environnemental que le projet de centrale hydroélectrique de barrage. 

Étant donné que les projets hydroélectriques et leurs tailles varient, il est souligné qu'il est important d'inclure autant d'indicateurs que possible pour garantir des évaluations plus larges et complètes et éviter les biais dans les conclusions et faciliter la comparaison avec d'autres sources d'énergie sans combustion à faible émission de carbone et leurs technologies. De plus, la présente étude examine comment et dans quels paramètres la durabilité environnementale de l'hydroélectricité est généralement déterminée. L'ensemble complémentaire d'indicateurs fournis ici, qui ont une portée et une complexité différentes, pourraient être adoptés pour améliorer la prise de décision future dans les politiques énergétiques et en particulier pour l'hydroélectricité."

Discussion
Cette étude ne clôt pas le débat, car on peut varier les indicateurs (le choix de ce que l'on mesure est en partie politique) et, selon la zone où est implantée un projet-hydro-électrique, le résultat des indicateurs peut varier. Un exemple connu : le bilan carbone de la retenue est souvent moins bon en zone tropicale (émission de méthane) mais bon en zone tempérée et très bon en zone d'altitude ou de haute latitude. 

Le premier intérêt de ce travail est évident : rappeler que l'énergie hydro-électrique, comme les autres énergies, ne s'apprécie pas uniquement par rapport à la biodiversité (prisme dominant choisi par exemple en France par les autorités publiques), aussi par rapport à sa soutenabilité environnementale globale dans les limites biophysiques de la planète Terre. De nombreux travaux ont déjà souligné que l'énergie hydraulique a un bon bilan carbone, un bon bilan matière première / cycle de vie et un bon retour sur investissement énergie dépensée / énergie produite (EROEI). En outre, c'est une énergie souvent très populaire, comme l'a rappelé une récente enquête d'opinion en France

Le fait que des schémas hydro-électriques de plus petite dimension aient moins d'impacts n'est pas forcément surprenant. Le coût capitalistique au MWh produit sur la durée de vie de ces schémas est souvent plus élevé que celui des grands barrages. Mais en même temps, la dimension joue en hydro-écologie et hydro-morphologie : de grands réservoirs signifient souvent une moindre connectivité piscicole et sédimentaire, une évaporation de surface plus importante, une modification substantielle des débits lors des éclusées, une mobilisation plus forte de matériaux très carbonés (béton), un impact majeur sur les riverains lors de la construction. Ces phénomènes sont cependant compensés par d'autres avantages dans certains usages (développement d'activités autour de la retenue, stockage stratégique d'eau, etc.). Il faut donc estimer au cas par cas.

Pour conclure, une chose est certainement aberrante et inacceptable dans la phase actuelle de transition bas carbone et bas impact de nos économies industrielles : dépenser de l'argent public à détruire des ouvrages en place qui produisent ou peuvent produire de l'énergie hydro-électrique décarbonée. De tels chantiers ont évidemment un bilan déplorable : la loi devrait les proscrire en dehors de cas de sécurité publique liée à des ouvrages vieillissants. La France avance heureusement dans cette direction, après quelques errements depuis deux ou trois décennies. Des efforts sont encore nécessaires pour libérer pleinement le potentiel hydro-électrique de notre pays, renforcer la contribution des rivières à la transition bas-carbone et bas-impact.

Référence : Briones-Hidrovo A et al, (2021), Hydropower and environmental sustainability: A holistic assessment using multiple biophysical indicators, Ecological Indicators, 127, 107748

4 commentaires:

  1. Bonjour,
    Comme à chaque fois, l'analyse de cette étude ce fait dans votre sens. Chacun peut prendre les phrases qui conviennent :
    "Par conséquent, on ne peut certainement pas dire si l'hydroélectricité et les systèmes énergétiques LCCF dans leur ensemble sont durables sur le plan environnemental."
    ou bien
    "Plus les installations de type MDHP (au fil de l'eau) construites sont nombreuses, plus l'impact sur les ressources, les écosystèmes et la biodiversité est important."
    Celle-là aussi est intéressante mais vous ne la citez pas
    "le déploiement et le développement de l'hydroélectricité doivent être pris avec plus de prudence en raison des impacts environnementaux et de la durabilité au niveau national"

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    1. Nous avons simplement publié ici la synthèse des chercheurs, où ils mettent les informations importantes de leur travail. Les citations que vous faites ne contredisent pas spécialement leur conclusion principale donnée dans la synthèse. Certaines de ces citations sont triviales, il n'échappe à personne que la mise en place d'une infrastructure énergétique post-fossile n'est pas un projet de conservation de la biodiversité, et n'est pas compatible avec une maximisation de cette conservation, car il faut faire des choix sur des priorités. C'est vrai partout, plus on exploite le bois et plus il y a d'impact sur les forêts, plus on exploite le vent et plus il y a d'impact sur les paysages, les oiseaux et chauve-souris, l'artificialisation des sols etc. Fort heureusement, dans le cas de l'eau, la France dispose déjà de plus de 100 000 barrières en place sur les rivières (l'Europe plus de un million). Une bonne part des ouvrages peut donner lieu à une exploitation au fil de l'eau, sans construction nouvelle, ce qui a un excellent bilan carbone et MP par rapport à d'autres choix énergétiques impliquant des extractions et des artificialisations. Il est aussi possible de prévoir des aménagements de continuité qui améliorent les fonctions écologiques d'ouvrage sans remettre en cause leurs avantages par ailleurs. Au demeurant, la loi française demande déjà de mobiliser cette petite hydroélectricité face à l'urgence climatique. Nous espérons bien sûr que les administrations et les associations à agrément public vont enfin respecter / appliquer cette loi, faire des choix conformes à l'intérêt de leurs concitoyens et au code de l'environnement comme à celui de l'énergie. Le contraire serait fort problématique, comme en témoigne déjà l'actualité de la justice sur diverses affaires ayant entraîné des condamnations de l'Etat.

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  2. L'étude est certainement intéressante quoiqu’elle ignore l’intérêt énergétique bien différent des deux hydrauliques en termes de souplesse et de régulation des réseaux. Elle n'a cependant pratiquement aucune application en France ou la question qui se pose n'est pas de choisir entre grande hydraulique et petite hydraulique comme cela peut se poser dans des pays en voie de développement. En effet depuis la fin du siècle dernier la quasi-totalité des sites de grande hydraulique ont été réalisé et cela de façon irréversible. Personne ne souhaite ni ne demande leur suppression à peut-être quelques rares exceptions près. Que va devenir la biodiversité qu’abrite nos cours d’eau déjà fortement impactée par la grande hydraulique si elle subit, en plus, la multiplication de petites unités hydroélectriques fortement subventionnées, sans intérêt autre que d'enrichir leur propriétaire. Voilà la question qui se pose.

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    1. Nous signalons cette étude afin que les gestionnaires publics de l'eau et de l'énergie élargissent leur mode de pensée: le poisson et le sédiment n'est pas le seul enjeu environnemental quand on réfléchit à l'avenir à long terme des ouvrages produisant ou ayant un potentiel de production. La France devrait compter entre 70 et 80 millions d'habitants en 2050-2060, période à laquelle notre est censé ne plus dépendre que marginalement de l'énergie fossile tout en ayant une économie largement adossée à des ressources locales et renouvelables.

      Pour ce qui est de la subvention, nous en avons déjà parlé, elle n'a pas de raison d'être sauf si l'Etat pose des charges publiques exorbitantes créant une entrave à une énergie par rapport à une autre et empêchant l'équipement bas-carbone que cet Etat est censé garantir pour respecter les traités qu'il a signés. Pour ce qui est de l'enrichissement des propriétaires, c'est un sophisme un peu situé et daté. Même si l'Etat nationalise toute l'énergie en France, il aura la même contrainte de quantité et de rentabilité de production énergétique, on retombera sur les mêmes discussions. D'ailleurs, les grands barrages à impacts dont vous parlez ont souvent été construits sur commande de cet Etat. Qui ne juge pas bon payer les frais d'assurance sur ses installations nucléaires, quand même une certaine distorsion de la réalité économique des énergies et de l'égalité des producteurs...

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